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[2000] 4 C.F. 159

T-1887-99

Canadien Pacifique Limitée (demanderesse)

c.

Les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Sheena M », les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Rivtow 901 », Bayside Towing Ltd., Rivtow Marine Ltd., Eugene Beckstrom et William Frizell (défendeurs)

Répertorié : Canadien Pacifique Ltée c. Sheena M (Le) (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave Vancouver, 28 janvier; 7 mars 2000.

Droit maritime — Pratique — Une barge remorquée par un remorqueur a heurté un pont de Canadien Pacifique — Requête en suspension de l’action en dommages-intérêts afin que les défendeurs puissent poursuivre sans interruption leur action en limitation de la responsabilité en vertu de la Convention de 1976 — Refus de réunir les actions en dommages-intérêts et en limitation de la responsabilité comme solution de rechange à la suspension de la procédure en raison de l’incompatibilité des actions — Le critère en deux volets énoncé dans Mon-Oil Ltd c. Canada (question de savoir si la poursuite de l’action causerait un préjudice ou une injustice envers les défendeurs et si la suspension serait injuste envers les demandeurs dans l’action en responsabilité) s’applique lorsque, comme en l’espèce, c’est la suspension de la procédure de la Cour même qui est en cause — Suspension accordée.

Pratique — Suspension d’instance — Il n’y a pas chose jugée du fait de l’ordonnance empêchant l’introduction ou la poursuite d’une procédure devant tout autre tribunal que la Cour fédérale — Différence entre le fait d’empêcher (enjoining) et celui de suspendre (staying) — Critère différent pour chacun — Compétence de la Cour fédérale de suspendre la procédure en vertu de l’art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale et d’empêcher une procédure en vertu de l’art. 581(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada — Le critère en deux volets énoncé dans Mon-Oil Ltd. c. Canada (question de savoir si la poursuite de l’action causerait un préjudice ou une injustice envers les défendeurs et si la suspension serait injuste envers les demandeurs dans l’action en responsabilité) s’applique lorsque, comme en l’espèce, c’est la suspension de la procédure de la Cour même qui est en cause — Suspension accordée.

En juin 1999, la barge Rivtow 901, remorquée par le remorqueur Sheena M, a heurté le pont de Canadien Pacifique qui enjambe le fleuve Fraser, à Mission (Colombie-Britannique), et a causé des dommages de quelque 5 000 000 $. Cet incident a donné lieu à la présente action en dommages-intérêts intentée par Canadien Pacifique et à l’action connexe en limitation de la responsabilité intentée par le propriétaire, le capitaine et l’équipage du Sheena M. La requête visait à obtenir la suspension de l’action en dommages-intérêts afin que l’action en limitation de la responsabilité puisse être poursuivie sans interruption. La Cour a aussi tranché une requête présentée par Canadien Pacifique demandant à la Cour de réunir les actions plutôt que de suspendre la procédure.

Jugement : la requête est accueillie entre Canadien Pacifique et tous les défendeurs sauf Rivtow Marine Ltd. et le navire Rivtow 901. La requête de Canadien Pacifique est rejetée.

La réunion des actions en limitation de la responsabilité et en dommages-intérêts a été rejetée comme réparation subsidiaire à la suspension. Les actions sont incompatibles et ne peuvent être réunies parce que les questions à trancher sont différentes, qu’il y a conflit sur le plan du fardeau de la preuve et que des normes de conduite différentes s’appliquent; l’action en limitation de la responsabilité doit presque équivaloir à une procédure sommaire, alors que l’action en responsabilité s’avérera presque inévitablement complexe; la réunion n’entraînera pas une grande économie d’argent; enfin, les parties rattachées au Sheena M ne devraient pas être empêchées de faire trancher sans retard leurs prétentions de portée relativement limitée.

Selon la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes (la Convention de 1976), c’est au créancier qui veut écarter la limitation de la responsabilité de prouver qu’un propriétaire de navire n’a pas le droit de limiter sa responsabilité, en établissant que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement. Il est donc très difficile d’écarter la limitation de la responsabilité du propriétaire d’un navire. Est-il sensé de permettre la tenue d’un procès complexe sur la question de la responsabilité alors que cette question peut être tranchée plus rapidement, à moindre coût et de façon adéquate au moyen d’une action en limitation de la responsabilité?

L’argument portant que la Cour était dessaisie de l’affaire par application du principe de la chose jugée a été rejeté. L’ordonnance rendue plus tôt dans l’action en limitation de la responsabilité empêchait Canadien Pacifique et les autres défendeurs de commencer ou de continuer une procédure devant tout autre tribunal que la Cour contre les parties rattachées au Sheena M. La requête visant à empêcher toute procédure s’appuyait sur le paragraphe 581(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, alors que la requête en suspension a été présentée en vertu de l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale. Il existe une différence entre le fait d’empêcher (enjoining) une procédure et celui de suspendre (staying) la procédure. Les critères à appliquer pour suspendre et pour empêcher une procédure correspondent à des concepts très différents. Il n’existe ni conflit ni tension entre le paragraphe 581(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada et le paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale. La Cour fédérale conserve sa compétence en vertu de l’article 50 de gérer sa propre procédure de suspension; elle peut, de plus, empêcher une procédure devant un autre tribunal en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada.

Le fardeau de convaincre un tribunal qu’une procédure doit être suspendue est très lourd et il incombe à la partie qui demande la suspension. Le critère applicable à une suspension en vertu de l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale est celui énoncé dans Mon-Oil Ltd. c. Canada (1989), 26 C.P.R. (3d) 379 (C.F. 1re inst.). Le critère en deux volets énoncé dans Mon-Oil s’applique à la suspension de la procédure de la Cour même, alors que le critère en trois volets énoncé dans RJRMacDonald s’applique à la suspension de la procédure d’un autre tribunal et à la suspension de l’exécution d’une ordonnance de la Cour en attendant l’issue d’un appel. En l’espèce, la suspension de l’action en responsabilité dépend donc de la question de savoir si la poursuite de l’action causerait un préjudice ou une injustice, et non de simples inconvénients et des frais supplémentaires, aux parties rattachées au Sheena M, en leur qualité de défendeurs, et de celle de savoir si une suspension serait injuste pour Canadien Pacifique, en sa qualité de demanderesse dans l’action en responsabilité. En l’espèce, une suspension serait appropriée que l’on applique l’un ou l’autre critère.

Application du critère relatif à la suspension énoncé dans Mon-Oil. Si l’action en responsabilité doit se poursuivre jusqu’à la tenue d’une instruction, qui sera longue et pourrait bien s’avérer inutile, peu importe l’issue de l’action en limitation de la responsabilité, les parties rattachées au Sheena M subiront un préjudice, car l’exploitation du Sheena M sera interrompue. Cette interruption causerait un préjudice irréparable correspondant certainement à ce qu’on appelle en anglais un « prejudice ». Ce serait aussi une injustice si la procédure de limitation de la responsabilité prévue par la Convention de 1976 ne pouvait mener à ses fins. En revanche, Canadien Pacifique ne subirait qu’un préjudice minime, si tant est qu’elle en subisse un. Deuxièmement, si Canadien Pacifique a gain de cause dans l’action en limitation de la responsabilité, compte tenu du lourd fardeau dont elle doit s’acquitter et qui s’apparente à la faute lourde, la preuve d’une telle faute peut très bien écarter, en pratique, la nécessité d’une instruction sur la question de la responsabilité, le montant des dommages-intérêts demeurant la seule question en litige. Troisièmement, Canadien Pacifique a obtenu l’entière communication des documents et la possibilité de procéder à un interrogatoire préalable complet, en plus de bénéficier d’une concession, soit d’être autorisée à utiliser l’enquête préalable tenue dans l’action en limitation de la responsabilité aux fins de l’instruction de toute action en responsabilité. Quatrièmement, la suspension de l’action en responsabilité n’empêche pas Canadien Pacifique de poursuivre ses enquêtes ni ne compromet sa capacité de faire appel à des experts. Enfin, Canadien Pacifique, compte tenu de son expérience relativement à des affaires semblables, peut difficilement dire que le recours à la Convention de 1976, l’action en limitation et la suspension de l’action en responsabilité la prennent au dépourvu et lui sont de ce fait préjudiciables.

Comme aucune suspension de la procédure entre Canadien Pacifique et Rivtow n’est demandée, la suspension ne s’étendra pas à ces parties. Toutefois, si le droit à la limitation de la responsabilité des parties rattachées à Bayside demeure intact, il serait irréaliste de croire que Canadien Pacifique peut vaincre le droit de Rivtow à la limitation de sa responsabilité.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, telle que modifiée par le Protocole de 1996 modifiant la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, étant l’annexe VI de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9 (édicté par L.C. 1998, ch. 6, art. 26), art. 1, 4, 13.

Convention internationale relative à la Limitation de la Responsabilité des Propriétaires de Navires Océaniques, Bruxelles, 10 octobre 1957.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50(1)a),b).

Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 576(1)(b), 581 (mod. par L.C. 1998, ch. 6, art. 2).

Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1952, ch. 29, art. 663A (édicté par S.C. 1964-65, ch. 39, art. 37).

Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, ch. S-9, art. 648(1) (mod. par S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10, art. 65).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Mon-Oil Ltd. c. Canada (1986), 26 C.P.R. (3d) 379; 27 F.T.R. 50 (C.F. 1re inst.); Carl Zeiss Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), [1967] 1 A.C. 854 (H.L.); Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248; (1974), 47 D.L.R. (3d) 544; 74 DTC 6278; 2 N.R. 397; Poitras c. Bande de Sawridge, [1999] A.C.F. no 375 (1re inst.) (QL).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; (1987), 38 D.L.R. (4th) 321; [1987] 3 W.W.R. 1; 46 Man. R. (2d) 241; 25 Admin. L.R. 20; 87 CLLC 14,015; 18 C.P.C. (2d) 273; 73 N.R. 341; Friends of the West Country Association c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) et autre (1998), 234 N.R. 96 (C.A.F.); Circuit World Corp. v. Lesperance (1997), 33 O.R. (3d) 674; 100 O.A.C. 221 (C.A.); Canning (John E.) Ltd. c. Tripap Inc. (1999), 167 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; (1994), 111 D.L.R. (4th) 385; 164 N.R. 1; Stein et autres c. « Kathy K » et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802; (1975), 62 D.L.R. (3d) 1; 6 N.R. 359; Nisshin Kisen Kaisha Ltd. c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1982] 1 C.F. 530 (1981), 122 D.L.R. (3d) 599; 36 N.R. 181 (C.A.); mod. Nisshin Kisen Kaisha Ltd. c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1981] 1 C.F. 293 (1980), 11 D.L.R. (3d) 360 (1re inst.); AIC Ltd. c. Infinity Investment Counsel Ltd. (1998), 82 C.P.R. (3d) 508; 161 F.T.R. 199 (C.F. 1re inst.); Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et autres (1987), 12 F.T.R. 34 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Bayside Towing Ltd. c. Chemins de fer canadien du Pacifique, [2000] 3 C.F. 127(1re inst.); Breydon Merchant, The, [1992] 1 Lloyd’s Rep. 373 (Q.B. (Com. Ct.)); Valley Towing Ltd. c. Celtic Shipyards (1988) Ltd., [1995] 3 C.F. 527 (1re inst.); American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.); Fruit of the Loom Inc. c. Chateau Lingerie Mfg. Co. Ltd. (1984), 79 C.P.R. (2d) 274 (C.F. 1re inst.); Compulife Software Inc. c. Compuoffice Software Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 451 (C.F. 1re inst.); Discreet Logic Inc. c. Canada (Registraire des droits d’auteur) (1993), 51 C.P.R. (3d) 191 (C.F. 1re inst.); Plibrico (Canada) Ltd. c. Combustion Engineering Canada Inc. (1990), 30 C.P.R. (3d) 312; 32 F.T.R. 30 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Black’s Law Dictionary, revised 4th ed. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1968.

Davison, Richard et Anthony Snelson. The Law of Towage. London : Lloyd’s of London Press, 1990.

Griggs, Patrick and Richard Williams. Limitation of Liability for Maritime Claims. London : Lloyd’s of London Press, 1998.

Halsbury’s Laws of England, 4th ed., Vol. 37. London : Butterworths, 1982.

New Shorter Oxford English on Historical Principles. Oxford : Clarendon Press, 1993, « enjoin ».

Osborn’s Concise Law Dictionary, 5th ed. London : Sweet & Maxwell.

REQUÊTE en suspension de la procédure dans une action en dommages-intérêts découlant d’un accident lors duquel une barge, remorquée par un remorqueur, a heurté un pont de Canadien Pacifique, afin de permettre aux défendeurs dans l’action de poursuivre sans interruption une action en limitation de la responsabilité. Requête accueillie entre Canadien Pacifique et tous les défendeurs à l’exception de Rivtow Marine Ltd. et du Rivtow 901. REQUÊTE en réunion des actions en dommages-intérêts et en limitation de la responsabilité présentée par Canadien Pacifique. Requête rejetée.

ONT COMPARU :

William M. Everett, c.r. pour la demanderesse.

David F. McEwen pour les défendeurs, les parties rattachées au Sheena M et Bayside Towing Ltd.

Doug G. Morrison pour les défendeurs, les parties rattachées au Rivtow 901 et Rivtow Marine Ltd.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawson Lundell Lawson & McIntosh, Vancouver, pour la demanderesse.

McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour les défendeurs, les parties rattachées au Sheena M et Bayside Towing Ltd.

Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour les défendeurs, les parties rattachées au Rivtow 901 et Rivtow Marine Ltd.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le protonotaire Hargrave : Canadien Pacifique Limitée (Canadien Pacifique) a intenté la présente action, que j’appellerai l’action en dommages-intérêts, en vue d’être indemnisée pour les dommages de quelque 5 000 000 $ causés à son pont qui enjambe le fleuve Fraser, à Mission (Colombie-Britannique), lorsque la barge Rivtow 901, remorquée par le remorqueur Sheena M, a heurté le pont le 2 juin 1999. Les défendeurs dans l’action en dommages-intérêts sont notamment le propriétaire, le capitaine et l’équipage du Sheena M (les parties rattachées au Sheena M). Ces personnes sont les parties demanderesses dans une action connexe intentée antérieurement, Bayside Towing Ltd. c. Canadien Pacifique, [2000] 3 C.F. 127 (1re inst.) (l’action en limitation de la responsabilité), dans le but de limiter leur responsabilité en vertu de la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes [telle que modifiée par le Protocole de 1996 modifiant la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, étant l’annexe VI de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9 (édicté par L.C. 1998, ch. 6, art. 26) (la Convention de 1976)].

[2]        Les parties rattachées au Sheena M demandent maintenant, contre Canadien Pacifique, la suspension de la procédure dans l’action en dommages-intérêts afin de pouvoir poursuivre l’action en limitation de la responsabilité sans interruption. Bien que les présents motifs concernent la demande de suspension, que j’ai accueillie, ils visent aussi la requête présentée par Canadien Pacifique, le même jour, demandant à la Cour de réunir l’action en limitation de la responsabilité et l’action en dommages-intérêts plutôt que de suspendre la procédure.

[3]        J’ai examiné attentivement les aspects de la requête en réunion des actions soulevés par les avocats de Canadien Pacifique et de Rivtow Marine Ltd., mais j’ai refusé de réunir les actions, pour plusieurs motifs. Notamment, l’action en limitation de responsabilité et l’action visant à établir la responsabilité sont incompatibles et ne peuvent être réunies parce que les questions à trancher sont différentes, qu’il y a conflit sur le plan du fardeau de la preuve et que des normes de conduite différentes s’appliquent; l’action en limitation de la responsabilité doit presque équivaloir à une procédure sommaire, d’autant plus que les parties rattachées au Sheena M renoncent à l’enquête préalable, alors que l’action en responsabilité s’avérera presque inévitablement complexe; la réunion n’entraînera pas une grande économie d’argent et risque en fait d’engendrer des frais additionnels importants; enfin, les parties rattachées au Sheena M, en qualité de demandeurs dans l’action en limitation de la responsabilité, sont plus avancées que Canadien Pacifique, en qualité de demanderesse dans l’action en responsabilité : les parties rattachées au Sheena M ne devraient pas être empêchées de faire trancher sans retard leurs prétentions de portée relativement limitée. J’ai donc rejeté la requête en réunion des actions.

ANALYSE

La limitation de la responsabilité : l’ancien régime

[4]        Pour bien établir le contexte, il me paraît utile d’examiner d’abord quel était l’état du droit en matière de limitation de la responsabilité en vertu de la Convention de 1957 sur la limitation de la responsabilité [Convention internationale relative à la Limitation de la Responsabilité des Propriétaires de Navires Océaniques, Bruxelles, 10 octobre 1957], telle qu’interprétée par le Canada et telle qu’édictée dans la Loi sur la marine marchande du Canada [S.R.C. 1952, ch. 29, art. 663A (édicté par S.C. 1964-65, ch. 39, art. 37)] avant que le Canada adopte la Convention de 1976. En vertu du régime de limitation de la responsabilité de 1957, le propriétaire de navire responsable qui souhaitait limiter sa responsabilité avait le fardeau excessif d’établir non seulement qu’il n’avait pas commis de faute, mais aussi qu’il n’était pas complice de la faute à l’origine de l’accident : Stein et autres c. « Kathy K » et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802, à la page 819. Les propriétaires de navire ne réussissaient habituellement pas à s’acquitter de ce fardeau, mais ils étaient fortement incités à tenter de limiter leur responsabilité, car le fonds de limitation, pour les navires d’une jauge inférieure à 300 tonneaux ne s’élevait qu’à environ 40 000 $. La limitation était habituellement invoquée par voie de demande reconventionnelle, mais parfois au moyen d’une action distincte en limitation de la responsabilité. Toutefois, pour obtenir la suspension d’une action en dommages-intérêts, de façon à obtenir séparément, en vertu du régime de limitation de la responsabilité de 1957 et de la Loi sur la marine marchande du Canada, une ordonnance de limitation indépendante opposable à tous les créanciers, le propriétaire de navire devait reconnaître sa responsabilité : Nisshin Kisen Kaisha Ltd. c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1982] 1 C.F. 530 (C.A.) [ci-après appelée Japan Erica].

[5]        Dans l’affaire Japan Erica, le propriétaire de navire demandait la suspension de plusieurs recours en responsabilité en s’appuyant sur une reconnaissance de responsabilité très limitée et de portée très restreinte. Le juge du procès [[1981] 1 C.F. 293 a accordé une suspension. Cette ordonnance a cependant été modifiée par la Cour d’appel, qui a permis la poursuite de l’une des actions en responsabilité. En effet, le juge Thurlow a confirmé la pratique alors courante qui consistait à refuser une suspension en l’absence d’une reconnaissance de responsabilité. Il est juste d’affirmer que cette pratique courante se fondait sur le fait que, selon le régime de limitation de la responsabilité de 1957, les actions en responsabilité étaient habituellement longues et complexes et elles donnaient souvent lieu à des appels complexes. Par conséquent, la suspension de l’examen de la question de la responsabilité risquait fort d’entraîner un retard important et de causer de ce fait un préjudice au demandeur qui réclamait des dommages-intérêts; le juge en chef Thurlow traite de ce point dans l’arrêt Japan Erica, à la page 534. Je donnerai maintenant un bref aperçu du régime de limitation de la responsabilité actuellement en vigueur au Canada.

La limitation de la responsabilité : le régime actuel

[6]        En 1998, le Canada a édicté un nouveau régime de limitation de la responsabilité [L.C. 1998, ch. 6], en adoptant la Convention de 1976 et un protocole de 1996, avec certaines modifications applicables au Canada, par exemple, celle permise par l’article 15, paragraphe 2, alinéa b) selon lequel un État partie à la Convention de 1976 peut fixer ses propres limites pour les navires d’une jauge de moins de 300 tonneaux. Je constate que le Sheena M, qui mesure 33,5 pieds de long, a une jauge brute de 9,9 tonneaux, selon le registre des navires, mais je reconnais que la jauge peut être légèrement différente en vertu de la Convention de 1976 en raison de différences dans les critères de mesure.

[7]        Sous le régime de la Convention de 1976, c’est au créancier qui veut écarter la limitation de la responsabilité de prouver qu’un propriétaire de navire n’a pas le droit de limiter sa responsabilité, selon la norme de preuve fixée par l’article 4 de la Convention :

Une personne responsable n’est pas en droit de limiter sa responsabilité s’il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement.

Selon les idées reçues, il est beaucoup plus difficile d’écarter la limitation de la responsabilité sous le régime de la Convention de 1976. En effet, le juge Sheen a souligné, dans Breydon Merchant, The, [1992] 1 Lloyd’s Rep. 373 (Q.B. (Com. Ct.)), à la page 376, que le droit à la limitation de la responsabilité en vertu de la Convention de 1976 est « presque incontestable ». Voir aussi Valley Towing Ltd. c. Celtic Shipyards (1988) Ltd., [1995] 3 C.F. 527 (1re inst.), à la page 541.

[8]        Une partie du raisonnement qui sous-tend la Convention de 1976 est clairement exposée dans Griggs and Williams, Limitation of Liability for Maritime Claims, Lloyd’s of London Press, 1998, à la page 3, où les auteurs commencent en mentionnant la Convention de 1957 :

[traduction] On a reconnu que le régime antérieur de limitation avait donné lieu à de trop nombreux litiges, ce que l’on voulait éviter à l’avenir. On s’entendait pour dire qu’il fallait établir un équilibre entre, d’une part, le désir de veiller à ce qu’un créancier qui a gain de cause soit indemnisé convenablement pour les pertes et préjudices qu’il a subis et, d’autre part, la nécessité de permettre aux propriétaires de navires, pour des motifs d’ordre public, de limiter leur responsabilité à un montant qui puisse être couvert sans problème par une assurance, moyennant une prime raisonnable.

La solution retenue, en bout de ligne, pour concilier les exigences du créancier et du défendeur consiste à a) établir un fonds de limitation correspondant au montant maximal de l’assurance que le propriétaire d’un navire peut obtenir à un coût raisonnable et à b) créer un droit à la limitation de la responsabilité pratiquement impossible à écarter.

Le texte de la Convention de 1976 arrêté par la Conférence constitue donc un compromis. En échange de l’établissement d’un fonds de limitation beaucoup plus élevé, les créanciers devraient accepter que la possibilité d’écarter le droit à la limitation de la responsabilité soit extrêmement limitée. Sous le régime de la Convention de 1976, la perte du droit à la limitation de la responsabilité ne survient que si le créancier peut prouver la faute intentionnelle ou la témérité de la personne qui veut limiter sa responsabilité (Article 4).

Cette volonté des délégués à la Convention de 1976 d’éviter un excès de litiges est louable : on peut espérer que ce résultat sera atteint lorsque la Convention aura été avantageusement mise à l’épreuve devant les tribunaux. Dans l’ouvrage de Davison et Snelson, The Law of Towage, Lloyd’s of London Press, 1990, on trouve une remarque semblable concernant l’article 4 de la Convention de 1976, à la page 84 :

[traduction] Cette formule rendra la tâche des créanciers qui veulent s’opposer à la limitation beaucoup plus difficile. Non seulement il est improbable (en fait, presque inconcevable) qu’un propriétaire de navire soit coupable d’avoir eu l’intention ou fait preuve de la témérité requises, mais encore le fardeau de le prouver incombe maintenant au créancier. Il s’agit d’un renversement complet de la situation qui existait auparavant.

[9]        Quoique le droit à la limitation de la responsabilité sous le régime de la Convention de 1976 ne soit pas absolu, il est très difficile de le nier à un propriétaire de navire. Cette constatation joue un rôle dans la décision de suspendre en l’espèce l’action en responsabilité. Il faut se demander s’il est sensé de permettre la tenue d’un procès complexe sur la question de la responsabilité alors que cette question peut être tranchée plus rapidement, à moindre coût et de façon adéquate au moyen d’une action en limitation de la responsabilité. Sur ce point, je soulignerais que les demandeurs dans l’action en limitation de la responsabilité, savoir les parties rattachées au Sheena M, ont produit des documents, offert d’être interrogés au préalable et indiqué non seulement qu’ils ne veulent pas procéder à un interrogatoire préalable en retour, mais encore qu’ils veulent procéder par procédure de jugement sommaire. À l’opposé, l’action en responsabilité introduite par Canadien Pacifique peu après l’action en limitation de la responsabilité est loin d’avoir atteint une étape aussi avancée.

[10]      Pour revenir à l’aperçu de la Convention de 1976, le montant du fonds de limitation a été majoré pour atteindre plus de dix fois sa valeur, soit 500 000 $, en ce qui concerne les dommages causés aux biens par un navire d’une jauge de moins de 300 tonneaux.

[11]      L’avocat des parties rattachées au Sheena M fait valoir que la conclusion de fait d’un juge de première instance, portant que l’accident a été provoqué intentionnellement ou résulte d’un acte téméraire commis avec conscience que cet accident en résulterait, risque vraisemblablement moins d’être portée en appel que sous le régime de la Convention de 1957. Quoi qu’il en soit, si la partie lésée peut écarter la limitation de la responsabilité sous le régime de la Convention de 1976, en prouvant effectivement la faute intentionnelle ou la témérité et la conscience du dommage d’un propriétaire de navire, il est difficile de concevoir que ce dernier puisse même songer à opposer une défense à une action en responsabilité. Cela vaut, même si selon le paragraphe 7 de l’article premier de la Convention de 1976, le fait d’invoquer la limitation de la responsabilité n’emporte pas la reconnaissance de cette responsabilité.

Suspension de l’action en responsabilité

[12]      Les arguments invoqués par les parties rattachées au Sheena M à l’appui de la suspension peuvent se résumer comme suit. Premièrement, la poursuite concurrente de l’action en limitation de la responsabilité et de l’action en responsabilité perturbera inutilement les activités commerciales de Bayside, car le président de Bayside est le principal capitaine de son seul remorqueur. Deuxièmement, si les deux actions devaient se dérouler simultanément, ou même être réunies, des frais juridiques seraient engagés inutilement. Troisièmement, il faut permettre la réalisation de l’objet du nouveau régime de limitation de la responsabilité, qui vise à éviter les litiges inutiles. Les parties rattachées au Sheena M soulèvent ensuite la possibilité de jugements conflictuels si les deux actions sont menées à terme : cela ne devrait pas créer de problème, parce que les questions en litige dans l’action en limitation de la responsabilité et dans l’action en responsabilité sont très différentes. Avant d’examiner ces prétentions en détail, mentionnons que Canadien Pacifique plaide plusieurs arguments qui touchent directement la compétence pour accorder une suspension.

La compétence pour accorder une suspension

[13]      L’avocat des parties rattachées au Sheena M se réfère à l’article 13 de la Convention de 1976 pour affirmer que la Convention vise notamment, lorsqu’un fonds de limitation a été constitué, à empêcher toute personne qui a produit une créance contre le fonds de pratiquer une saisie contre les biens de la personne qui veut limiter sa responsabilité. Ce but est compatible avec la teneur générale de la Convention de 1976, mais je ne crois pas que l’article 13 fasse obstacle à la poursuite simultanée d’une instance en responsabilité et d’une instance en limitation de la responsabilité. Toutefois, l’article 581 [mod. par L.C. 1998, ch. 6, art. 2] de la Loi sur la marine marchande du Canada [L.R.C. (1985), ch. S-9] et les alinéas 50(1)a) et b) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] confèrent à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre la procédure. Sur ce point, les parties rattachées au Sheena M et Canadien Pacifique diffèrent d’opinion quant à savoir si une suspension est possible en l’espèce et, le cas échéant, si les conditions qui doivent être remplies pour obtenir une suspension sont celles énoncées dans la décision Mon-Oil Ltd. c. Canada (1989), 26 C.P.R. (3d) 379 (C.F. 1re inst.), ou si c’est le critère établi dans l’arrêt RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, qui s’applique.

(i)         La perte de compétence par application du principe de la chose jugée

[14]      J’ai examiné, mais rejeté, l’argument invoqué par Canadien Pacifique selon lequel la Cour est dessaisie de l’affaire par application du principe de la chose jugée. Cet argument s’appuie sur l’ordonnance que j’ai rendue plus tôt dans l’action en limitation de la responsabilité pour empêcher Canadien Pacifique et les autres défendeurs de commencer ou de continuer une procédure devant tout autre tribunal que cette Cour contre les parties rattachées au Sheena M. Voici des explications plus étoffées.

[15]      Canadien Pacifique soutient, pour s’opposer à la suspension, que la Cour est dessaisie de l’affaire parce qu’une ordonnance en date du 2 novembre 1999 a empêché les défendeurs de commencer ou de continuer une procédure devant tout autre tribunal que la Cour fédérale contre les parties rattachées au Sheena M. Canadien Pacifique souligne qu’au moment du prononcé de l’ordonnance, le 2 novembre 1999, elle avait déjà intenté son action en dommages-intérêts. Par souci d’équité envers les parties rattachées au Sheena M, précisons que lorsqu’elles ont mis au rôle la requête visant à empêcher toute procédure en vertu de l’article 581 de la Loi sur la marine marchande du Canada, Canadien Pacifique n’avait pas encore introduit l’action en dommages-intérêts. À l’occasion de cette requête, les parties rattachées au Sheena M n’ont pas demandé la suspension de l’action en dommages-intérêts et ni l’une ni l’autre des parties n’ont fait valoir d’arguments relativement à ce que devrait être le statut de l’action en dommages-intérêts.

[16]      Certes, les parties en cause dans la requête visant à empêcher une procédure étaient identiques et, comme elle n’a pas été portée en appel, l’ordonnance empêchant toute procédure rendue à la suite de cette requête est définitive. Toutefois, l’irrecevabilité à remettre en cause une question est assujettie à un troisième élément, c’est-à-dire que la question en litige doit être identique : voir Carl Zeiss Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), [1967] 1 A.C. 853 (H.L.), à la page 935, approuvé par la Cour suprême du Canada dans Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248. Dans la requête visant à empêcher toute procédure, la question en litige était le droit des parties rattachées au Sheena M de ne pas être forcées de répondre à d’autres actions sur un autre front, plus particulièrement devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, tant qu’une décision ne serait pas rendue dans leur action en limitation de la responsabilité. Cette requête s’appuyait exclusivement sur l’alinéa 581(1)c) de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui confère compétence à la Cour pour empêcher la poursuite d’une procédure en instance devant tout autre tribunal que la « Cour d’Amirauté ». Cette disposition ne confère pas à la Cour fédérale, en sa qualité de Cour d’amirauté, le pouvoir procédural de suspendre une procédure engagée devant elle, ce qui ne serait d’ailleurs pas nécessaire; elle permet seulement à la Cour fédérale d’empêcher les autres tribunaux de continuer à entendre les actions dont ils sont saisis dans certaines circonstances. Le critère applicable pour empêcher une procédure consiste à se demander si pareille ordonnance est appropriée, comme le prévoit le texte introductif du paragraphe 581(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada. Or, la présente requête en suspension s’appuie pour sa part sur l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale.

[17]      Pour compléter ce raisonnement, précisons qu’il existe une différence entre le fait d’empêcher (enjoining) une procédure et celui de suspendre (staying) la procédure. En ce qui concerne le terme « enjoining », la définition du Black’s Law Dictionary, 4e édition révisée, parle d’une injonction obligeant quelqu’un à faire ou à ne pas faire quelque chose. Le New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles laisse aussi entendre que le verbe « enjoin » évoque une injonction :

[traduction] Interdire, défendre; spéc. (droit) interdire ou empêcher par une injonction.

En revanche, une suspension, ou la suspension de la procédure, selon la terminologie juste, est une ordonnance par laquelle un tribunal suspend sa propre procédure, soit temporairement, jusqu’à ce qu’un acte soit accompli, soit de façon permanente, lorsqu’il n’est pas approprié de procéder : voir par exemple le Osborn’s Concise Law Dictionary, Sweet & Maxwell, 5e édition. Le fait qu’une suspension constitue une procédure interne de la Cour qui prononce l’ordonnance ressort clairement de l’exposé sur la nature d’une suspension figurant dans Halsbury’s Laws of England, Volume 37, 4e édition, (1982), à la page 325, dont voici un extrait :

[traduction] Une suspension de la procédure découle d’une ordonnance du tribunal qui arrête ou « suspend » la poursuite de l’instance devant ce tribunal à l’étape alors atteinte, de sorte que les parties ne sont dès lors plus autorisées à prendre de nouvelles mesures dans l’instance. [Non souligné dans l’original.]

Le critère généralement reconnu comme applicable pour déterminer si la procédure doit être suspendue, dans l’intérêt de la justice, est le critère en trois volets énoncé dans l’arrêt RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, qui correspond au critère à trois volets établi dans American Cyanamid [American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.)], bien qu’en l’espèce il faille plutôt appliquer à la suspension de la procédure le critère en deux volets énoncé dans la décision Mon-Oil Ltd. c. Canada (1989), 26 C.P.R. (3d) 379 (C.F. 1re inst.); je reviendrai sur cette question en temps opportun. Le critère d’application d’une suspension correspond à un concept et à un critère très différents du critère applicable pour empêcher une partie de commencer ou de continuer une procédure devant un autre tribunal sous le régime de la Loi sur la marine marchande du Canada. Il ne faut pas s’en étonner, puisque le législateur a utilisé le terme « empêcher » (enjoin) dans une loi et le terme « suspendre » (stay) dans l’autre. Par conséquent, comme les requêtes visent des questions différentes, le troisième élément du critère établi dans Carl Zeiss n’est pas présent. Je traiterai maintenant du prochain argument invoqué par Canadien Pacifique, selon lequel la Cour n’a de toute façon pas compétence pour suspendre l’action en dommages-intérêts.

(ii)        La perte de compétence par application de la règle de l’exception implicite

[18]      Canadien Pacifique prétend que la disposition particulière édictée par l’alinéa 581(1)c) de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui permet d’empêcher une procédure, a préséance sur la disposition générale régissant la suspension d’une procédure, incluse dans le paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Canadien Pacifique affirme qu’un principe d’interprétation, savoir la règle de l’exception implicite ou la règle selon laquelle une disposition générale ne déroge pas à une disposition particulière, permet en l’espèce de concilier ces deux textes législatifs : il crée une exception à la disposition générale de la Loi sur la Cour fédérale qui régit la suspension d’une procédure, en faveur du pouvoir particulier d’empêcher une procédure prévu par la Loi sur la marine marchande du Canada. Canadien Pacifique soutient que, selon ce raisonnement, la compétence de la Cour fédérale dans une action en limitation de la responsabilité, qui était auparavant régie par le paragraphe 648(1) [mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 65] de la Loi sur la marine marchande du Canada [S.R.C. 1970, ch. S-9], par exemple, dans l’affaire Japan Erica, précitée, a déjà été beaucoup plus vaste, puisqu’elle autorisait la Cour à « arrêter toutes procédures pendantes devant une cour relativement à la même affaire ». Canadien Pacifique plaide que, si l’on se reporte au libellé de l’alinéa 581(1)c), la compétence dont est investie la Cour fédérale pour suspendre la procédure dans une action en limitation de la responsabilité est maintenant limitée à la suspension de la procédure devant un autre tribunal que la Cour d’Amirauté. Une disposition transitoire a été édictée entre le paragraphe 648(1) de [l’ancienne] Loi sur la marine marchande du Canada et l’alinéa 581(1)c) actuellement en vigueur, soit l’alinéa 576(1)b) qui figurait dans la version de 1985 de la Loi sur la marine marchande du Canada et qui conférait à la Cour le pouvoir d’ « arrêter toutes procédures pendantes devant un autre tribunal relativement à la même affaire.»

[19]      Il est intéressant de constater le changement de libellé entre les dispositions antérieures de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui permettaient d’arrêter toute procédure devant une cour, puis d’arrêter toute procédure devant un autre tribunal, et la disposition actuelle qui autorise la Cour à empêcher toute procédure devant d’autres tribunaux. Il est évident que les rédacteurs de la loi actuelle avaient un concept différent à l’esprit; ils ne pensaient pas au droit de suspendre une procédure, mais à celui d’empêcher une procédure. Comme je l’ai déjà mentionné, dans le premier cas, il s’agit d’une procédure inhérente au tribunal qui prononce une ordonnance dans le cadre de sa propre procédure interne, alors que, dans le deuxième cas, il s’agit d’une procédure qui produit ses effets à l’extérieur du tribunal qui prononce l’ordonnance, car elle donne à un autre tribunal un ordre qui l’empêche d’agir ou de procéder.

[20]      Ces concepts, savoir suspendre la procédure et empêcher toute procédure, sont très différents. Il n’existe pas, entre l’alinéa 581(1)a) de la Loi sur la marine marchande du Canada et le paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, de conflit ni de tension qu’il faut résoudre en ayant recours à la règle de l’exception implicite. La Cour fédérale conserve sa compétence en vertu de l’article 50 de gérer sa propre procédure de suspension; elle peut, de plus, empêcher une procédure devant un autre tribunal en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada. J’examinerai maintenant le bien-fondé de la demande de suspension de l’action en responsabilité.

La suspension de l’action en responsabilité

(i)         Le fardeau et le critère applicables à une suspension

[21]      Il n’est pas contesté que le fardeau de convaincre un tribunal qu’une procédure doit être suspendue est très lourd et qu’il incombe à la partie qui demande la suspension. C’est plutôt le critère applicable qui est en litige. Toutefois, avant de traiter de deux courants jurisprudentiels contraires, il faut se rappeler qu’une suspension visée par l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, est accordée soit lorsque la demande est en instance devant un autre tribunal, situation qui n’est pas pertinente en l’espèce, soit « lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige » (alinéa 50(1)b) de la Loi).

[22]      Canadien Pacifique soutient que le critère applicable à une suspension est celui énoncé dans la décision Mon-Oil Ltd. c. Canada, précitée, portant sur la réunion de trois actions qui, si elle avait été accordée, aurait retardé l’une des actions dans laquelle le demandeur était pratiquement prêt pour l’instruction. Dans l’affaire Mon-Oil, le juge Cullen a considéré l’effet de la réunion comme celui d’une suspension. Il s’est reporté à la jurisprudence de la Section de première instance pour statuer que le critère applicable à une suspension était celui établi par le juge Muldoon dans Fruit of the Loom Inc. c. Chateau Lingerie Mfg. Co. Ltd. (1984), 79 C.P.R. (2d) 274 (C.F. 1re inst.), à la page 278, c’est-à-dire que le demandeur devait persuader la Cour que la poursuite de l’instance constituerait un abus du processus judiciaire qui ne causerait pas seulement des inconvénients, mais un préjudice (prejudice), à l’auteur de la demande de suspension. Dans l’affaire Fruit of the Loom, qui portait sur une demande de suspension, une instance similaire était aussi en cours devant un autre tribunal, cas visé par la première partie de l’article 50, qui ne s’applique pas en l’espèce.

[23]      L’avocat de Canadien Pacifique se réfère ensuite à la décision Compulife Software Inc. c. Compuoffice Software Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 451 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la décision Mon-Oil a été appliquée. Toutefois, la décision Mon-Oil a été invoquée dans l’affaire Compulife dans le contexte de la réunion d’instances. Bien que la question de la suspension ait aussi été tranchée dans Compulife, la décision Mon-Oil n’a pas été mentionnée dans ce contexte. Le critère appliqué dans Compulife est celui attribué à Discreet Logic Inc. c. Canada (Registraire des droits d’auteur) (1993), 51 C.P.R. (3d) 191 (C.F. 1re inst.); cependant, il ressort clairement de la décision Discreet Logic que ce critère est tiré de l’affaire Plibrico (Canada) Ltd. c. Combustion Engineering Canada Inc. (1990), 30 C.P.R. (3d) 312 (C.F. 1re inst.), à la page 315, qui portait sur une suspension jusqu’à la fin d’un autre litige, mettant en cause des parties différentes. La partie qui demandait la suspension devait démontrer à la fois que la poursuite de l’action causerait un préjudice ou une injustice, et non seulement des inconvénients et des frais additionnels au défendeur, et que la suspension ne serait pas injuste envers la partie opposée. Pour plus de commodité, j’utiliserai aussi l’expression « critère en deux volets énoncé dans Mon-Oil » pour désigner ce critère.

[24]      La cause suivante invoquée par l’avocat de Canadien Pacifique est l’affaire AIC Ltd. c. Infinity Investment Counsel Ltd. (1998), 82 C.P.R. (3d) 508 (C.F. 1re inst.), tranchée par le juge en chef adjoint Richard, devenu depuis juge en chef. Elle portait sur une suspension jusqu’au prononcé d’une décision par la Cour d’appel. Dans cette cause, la Cour a statué que le principe applicable était celui énoncé dans Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et autres (1987), 12 F.T.R. 34 (C.F. 1re inst.), portant également sur une suspension jusqu’à l’issue d’un appel. Ce critère voulait que le défendeur établisse que la poursuite de la procédure serait injuste à son égard ou constituerait un abus du processus judiciaire et qu’une suspension ne créerait pas d’injustice envers le demandeur. La décision dans l’affaire AIC Ltd. était aussi liée aux faits intéressants qui lui étaient propres, car c’est le demandeur qui demandait la suspension et se l’est vu refuser. La décision AIC Ltd. ne fait aucune mention du critère établi par la Cour suprême dans RJRMacDonald, précité.

[25]      La Cour s’est également prononcée sur une demande de suspension dans Canning (John E.) Ltd. c. Tripap Inc. (1999), 167 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.), une requête visant la réunion des instances ou, subsidiairement, une suspension de l’action jusqu’à l’issue d’une autre action. Le juge Lemieux a refusé de réunir les instances, mais il a fait remarquer [à la page 99], quant à la demande subsidiaire, que « [l]e critère applicable à ce genre de sursis a été énoncé par le juge Wetston dans Compulife ». Le problème que posait la demande de suspension dans l’affaire Canning et, en fait, l’application de cette décision à la situation dont la Cour est saisie aujourd’hui, tient à ce que les parties dans l’action dans le cadre de laquelle la suspension a été demandée n’étaient pas les mêmes parties que dans l’action dont la suspension a été demandée.

[26]      Le principe énoncé dans ces décisions, fondées sur la jurisprudence antérieure à l’arrêt RJRMacDonald, selon lequel une suspension ne doit pas être injuste pour le demandeur et la poursuite de l’instance doit causer un préjudice au défendeur, a été appliqué à différentes situations factuelles, notamment dans des cas où une instance similaire était en cours devant un autre tribunal, où deux actions mettaient en cause des parties différentes et où un appel était en instance. Ce critère est en quelque sorte un critère fondé sur la prépondérance des inconvénients. Mais je dois encore examiner le critère d’application d’une suspension énoncé par la Cour suprême du Canada dans RJRMacDonald.

[27]      L’arrêt RJRMacDonald se fonde sur l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, qui portait sur une suspension de la procédure devant un tribunal du travail jusqu’à ce qu’une décision soit rendue quant à la validité de certaines dispositions législatives. Dans cette affaire, la Cour suprême a fait remarquer qu’une suspension de la procédure et une injonction interlocutoire étaient des recours de même nature. Dans Metropolitan Stores, la Cour suprême a retenu un critère en trois volets, exposé dans RJRMacDonald Inc., précité, à la page 334. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, le requérant doit établir qu’il subirait un préjudice irréparable si la demande de suspension était rejetée. Troisièmement, le tribunal doit évaluer la prépondérance des inconvénients. L’affaire RJRMacDonald portait sur la suspension de l’application de la loi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue quant à sa validité constitutionnelle.

[28]      Face à ces deux courants jurisprudentiels, le premier touchant une suspension dans un but général, après évaluation des injustices qui en résulteraient, et le deuxième comportant une évaluation du fond, la preuve d’un préjudice irréparable et une appréciation de la prépondérance des inconvénients, pour reprendre la terminologie employée dans Metropolitan Stores, précité, à la page 129, j’ai d’emblée cru qu’il conviendrait peut-être d’appliquer le critère en trois volets pour suspendre la procédure d’un tribunal administratif ou l’application d’une loi jusqu’à l’issue d’un litige ou pour suspendre l’exécution d’une ordonnance, alors que le critère en deux volets, soit l’injustice et le préjudice, conviendrait dans les autres cas.

[29]      Dans l’affaire AIC Ltd., précitée, portant sur une demande de suspension jusqu’à ce que la Cour d’appel rende sa décision, le juge en chef adjoint Richard, devenu depuis juge en chef, a évalué l’injustice que causeraient respectivement la poursuite de la procédure et sa suspension pour chacune des parties.

[30]      Le concept du recours approprié à ces deux critères pour suspendre la procédure est compatible avec une décision rendue par le juge en chef Isaac un mois après le prononcé de la décision AIC Ltd. Dans l’affaire Friends of the West Country Association c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) et al. (1998), 234 N.R. 96 (C.A.F.), la Cour devait se prononcer sur la suspension d’une ordonnance renvoyant des rapports d’évaluation environnementale au ministre pour réexamen. Elle a appliqué le critère énoncé dans RJRMacDonald.

[31]      Je voudrais de plus mentionner ici la décision Circuit World Corp. v. Lesperance (1997), 33 O.R. (3d) 674 (C.A.), dans laquelle le juge Laskin de la Cour d’appel dit que le critère en trois volets énoncé dans RJRMacDonald est celui qu’il convient d’appliquer pour suspendre l’exécution d’une ordonnance en attendant l’issue d’un appel.

[32]      En résumé, le critère en deux volets s’applique à la suspension de la procédure de la Cour même, alors que le critère en trois volets énoncé dans RJRMacDonald s’applique à la suspension de la procédure d’un autre tribunal et à la suspension de l’exécution d’une ordonnance de la Cour en attendant l’issue d’un appel. En l’espèce, la suspension de l’action en responsabilité dépend donc de la question de savoir si la poursuite de l’action causerait un préjudice ou une injustice, et non de simples inconvénients et des frais supplémentaires, aux parties rattachées au Sheena M, en leur qualité de défendeurs, et de celle de savoir si une suspension serait injuste pour Canadien Pacifique, en sa qualité de demanderesse dans l’action en responsabilité.

[33]      L’avocat de Canadien Pacifique prétend que le critère en deux volets établi dans Mon-Oil est celui auquel il est le plus difficile de répondre, du moins en l’espèce. Ce pourrait bien être le cas. Toutefois, après avoir examiné les faits pertinents dans ces deux perspectives, c’est-à-dire au regard du critère en trois volets énoncé dans RJRMacDonald et du critère en deux volets établi dans Mon-Oil, j’ai la certitude qu’une suspension serait appropriée qu’on leur applique l’un ou l’autre. J’examinerai maintenant les faits pertinents et le critère établi dans Mon-Oil.

(ii)        L’application du critère relatif à la suspension

[34]      Selon le critère établi dans Mon-Oil, deux facteurs sont pertinents pour décider s’il faut suspendre la procédure du point de vue des parties rattachées au Sheena M. Premièrement, Bayside Towing Ltd. est essentiellement une entreprise exploitée par une seule personne : le capitaine Beckstrom est le principal et le seul capitaine régulier du Sheena M. On peut affirmer sans craindre de se tromper que le succès de l’exploitation d’un petit remorqueur sur le fleuve Fraser, dans la région de Mission, exige des habiletés et une compétence spécialisées de haut niveau. Si l’action en responsabilité doit se poursuivre jusqu’à la tenue d’une instruction, qui sera longue et pourrait bien s’avérer inutile, peu importe l’issue de l’action en limitation de la responsabilité, les parties rattachées au Sheena M subiront un préjudice, car l’exploitation du Sheena M sera interrompue. Cette interruption entraîne assurément un préjudice.

[35]      J’étofferai ma conclusion en précisant que le juge Hugessen, dans Poitras c. Bande de Sawridge, [1999] A.C.F. no 375 (1re inst.) (QL), a tranché une requête en suspension partielle à laquelle, fait intéressant, il a appliqué le critère en trois volets énoncé dans RJRMacDonald. Le juge Hugessen a considéré la multiplication des instances comme un préjudice sérieux (serious harm) en soi et, en fait, comme un préjudice irréparable (irreparable harm). Selon moi, les termes anglais « prejudice » et « serious harm » ne sont pas très différents. Par ailleurs, un préjudice irréparable (irreparable harm) est plus sérieux qu’un simple préjudice (mere prejudice). En l’espèce, l’interruption effective de l’exploitation du Sheena M par une seule personne pendant plusieurs semaines, et peut-être pendant beaucoup plus longtemps, si l’on se reporte aux actions récentes en responsabilité pour les dommages causés à un pont, constituerait à tout le moins un préjudice sérieux (serious harm), selon la perception que le juge Hugessen a de la multiplication des instances. L’interruption de l’exploitation d’un petit remorqueur qui repose sur une seule personne, qui surviendrait selon moi si une instruction était tenue dans l’action en responsabilité, causerait un préjudice irréparable correspondant certainement à ce qu’on appelle en anglais un « prejudice ».

[36]      Deuxièmement, comme le premier volet du critère établi dans Mon-Oil comporte une alternative, dont les deux aspects sont un préjudice et une injustice, il faut aussi se pencher sur la question de l’injustice. Le régime actuel de limitation de la responsabilité est conçu pour réduire les litiges. Ce serait une injustice si la procédure de limitation de la responsabilité prévue par la Convention de 1976 ne pouvait mener à ses fins.

[37]      En ce qui a trait au préjudice que subirait Canadien Pacifique, j’ai de la difficulté à imaginer quelque préjudice que ce soit. Premièrement, comme l’action en limitation de la responsabilité se veut une procédure sommaire, aucun retard préjudiciable ne devrait survenir. Soulignons que tout retard survenu à ce jour, dans l’action en limitation de la responsabilité et dans l’action en responsabilité, est imputable à Canadien Pacifique. Les parties rattachées à Bayside sont prêtes pour l’audition de l’action en limitation de la responsabilité, car elles ont renoncé à l’enquête préalable, communiqué leurs documents à Canadien Pacifique et offert à Canadien Pacifique de se soumettre à un interrogatoire préalable.

[38]      Deuxièmement, si Canadien Pacifique a gain de cause dans l’action en limitation de la responsabilité, compte tenu du lourd fardeau dont elle doit s’acquitter et qui, pour employer une expression ressassée et mal définie, s’apparente à la faute lourde, la preuve d’une telle faute peut très bien écarter, en pratique, la nécessité d’une instruction sur la question de la responsabilité, le montant des dommages-intérêts demeurant la seule question en litige.

[39]      Troisièmement, Canadien Pacifique a obtenu l’entière communication des documents et la possibilité de procéder à un interrogatoire préalable complet, en plus de bénéficier d’une concession, soit d’être autorisée à utiliser l’enquête préalable tenue dans l’action en limitation de la responsabilité aux fins de l’instruction de toute action en responsabilité.

[40]      Quatrièmement, la suspension, à cette étape, de l’action en responsabilité n’empêche pas Canadien Pacifique de poursuivre ses enquêtes ni ne compromet sa capacité de faire appel à des experts : la cause de Canadien Pacifique à ces égards n’est simplement pas établie.

[41]      Enfin, Canadien Pacifique, en sa qualité de propriétaire de ponts, connaît bien les dommages causés à des ponts par des barges errantes et la limitation de la responsabilité; par conséquent, elle peut difficilement dire que le recours à la Convention de 1976, l’action en limitation et la suspension de l’action en responsabilité la prennent au dépourvu et lui sont de ce fait préjudiciables.

[42]      Je dois souligner que la suspension de l’action en responsabilité, entre les parties rattachées au Sheena M et Canadien Pacifique, pourrait être déplorable du point de vue de Rivtow Marine Ltd., qui est propriétaire de la barge. Toutefois, du point de vue du propriétaire d’une barge non propulsée remorquée, impliquée dans un accident, la responsabilité de ce propriétaire est habituellement plutôt douteuse. Par conséquent, la suspension demandée et accordée engendre des inconvénients plutôt qu’un préjudice. Je fais cette remarque en toute conscience de la demande reconventionnelle en limitation de la responsabilité déposée par Rivtow dans l’action en responsabilité. Bien que je sois sensible au désir de Rivtow de clore globalement l’incident le plus tôt possible, cet élément ne l’emporte pas sur l’ensemble des avantages liés à la suspension de l’action en responsabilité entre Canadien Pacifique et les parties rattachées au Sheena M et à la poursuite de l’action en limitation de la responsabilité pour l’instant. Toutefois, aucune suspension de la procédure entre Canadien Pacifique et Rivtow n’est demandée : la suspension ne s’étendra pas à ces parties. Je soulignerai néanmoins que si le droit à la limitation de la responsabilité des parties rattachées à Bayside demeure intact, il serait irréaliste de croire que Canadien Pacifique peut vaincre le droit de Rivtow à la limitation de sa responsabilité.

[43]      La requête en suspension de la procédure entre Canadien Pacifique et tous les défendeurs, à l’exception de Rivtow Marine Ltd. et du navire Rivtow 901, est donc accueillie.

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