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[2000] 2 C.F. 538

IMM-3562-99

Jorge Ernesto Echeverria Albuja (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Albuja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Lemieux— Montréal, 25 octobre 1999; Ottawa, 28 janvier 2000.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Processus d’enquête en matière d’immigration Demande visant à obtenir qu’il soit sursis à l’exécution d’une mesure de renvoiCitoyen de l’Équateur cherchant à entrer au Canada en provenance des É.U.A.Revendication du statut de réfugié au sens de la ConventionLe demandeur n’ayant pas de visa en cours de validité, un rapport fondé sur l’art. 20(1)a) a été produit dans lequel il était mentionné que son entrée au pays contreviendrait à la LoiMesure d’interdiction de séjour conditionnelle prise en vertu de l’art. 28(1)Revendication du statut de réfugié plus tard rejetéeDemande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire contre cette décisionL’art. 49(1) prévoit le sursis d’exécution d’une mesure de renvoi en cas de dépôt d’une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire après que la CISR a statué sur une revendication du statut de réfugiéL’art. 49(1.1) prévoit que l’art. 49(1) ne s’applique pas à la personne qui réside ou séjourne aux É.U.A. et qui fait l’objet d’un rapport fondé sur l’art. 20(1)a)Selon le texte législatif, le moment que le législateur a fixé pour déterminer si le demandeur a résidé ou séjourné aux É.U.A. est celui auquel le demandeur a, pour la première fois, fait l’objet d’un rapport fondé sur l’art. 20(1)a)Il n’est pas tenu compte du temps que le demandeur a passé au Canada en attendant que sa revendication du statut de réfugié soit tranchée pour déterminer s’il résidait ou séjournait aux É.-U.A.L’exception prévue à l’art. 49(1.1) s’applique au demandeur en ce qui concerne le sursis prévu à l’art. 49(1).

Citoyenneté et Immigration Contrôle judiciaire Compétence de la Cour fédérale Demande visant à obtenir que le ministre sursoie à l’exécution d’une mesure d’expulsion jusqu’à ce que la Cour statue sur la demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire contre la décision de ne pas accorder le statut de réfugié au sens de la Convention au demandeur, conformément à l’art. 49(1)Le demandeur cherchait également à obtenir la certification d’une question en vue de pouvoir former un appel devant la C.A.F.En vertu de l’art. 83, une question certifiée ne peut être formulée que dans le cadre d’un jugement tranchant une demande de contrôle judiciaireLa Cour n’a pas compétence pour certifier une question dans le contexte d’une instance accessoire à une demande d’autorisation en vue de présenter une demande de contrôle judiciaire.

Interprétation des lois L’art. 49(1.1) de la Loi sur l’immigration prévoit que le sursis d’exécution d’une mesure de renvoi prévu à l’art. 49(1) ne s’applique pas à la personne qui « réside ou séjourne » aux É.U.A. et qui fait l’objet d’un rapport fondé sur l’art. 20(1)a)Le demandeur, un citoyen de l’Équateur, cherchait à être admis au Canada en provenance des É.U.A., où il vivait depuis trois moisComme il n’avait pas de visa en cours de validité, un rapport fondé sur l’art. 20(1)a) a été produitRevendication du statut de réfugié au sens de la ConventionMesure d’interdiction de séjour conditionnelle prise en vertu de l’art. 28Il vit au Canada depuis 1996Il cherchait à obtenir le contrôle judiciaire de la décision qui a rejeté sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, en 1999Selon le texte législatif, le moment que le législateur a fixé pour déterminer si le demandeur a résidé ou séjourné aux É.U.A. est celui auquel le demandeur a, pour la première fois, fait l’objet d’un rapport fondé sur l’art. 20(1)a)Il ne peut être tenu compte du nombre de journées que le demandeur a passées au Canada en attendant que sa revendication du statut de réfugié soit tranchée pour déterminer s’il résidait ou séjournait aux É.U.A.Toute autre interprétation irait grandement à l’encontre du texte législatif et annulerait ou détruirait les dispositions en matière d’application de la loi pour ce qui est des mesures prises aux points d’entréeDe plus, toute autre interprétation mènerait à un résultat absurde et rendrait inutile l’art. 49(1.1)Il faut présumer que l’intention du législateur est d’adopter des lois qui s’appliquent.

Il s’agissait d’une demande visant à obtenir une décision portant que le ministre ne peut exécuter la mesure de renvoi qui a été prise contre le demandeur. Le demandeur, son épouse, et son fils sont des citoyens de l’Équateur. Le demandeur, qui menait une carrière militaire, a entendu par hasard des militaires planifier un coup d’État, et craint par la suite que l’armée voulait se débarrasser de lui. Il s’est enfui de l’Équateur en compagnie de son épouse et son fils. Ils ont vécu à New York pendant trois mois. En mars 1996, ils ont cherché à entrer au Canada. L’agent d’immigration du Canada a fait, conformément à l’alinéa 20(1)a), un rapport indiquant que l’entrée du demandeur au Canada contreviendrait au paragraphe 9(1) de la Loi, qui prévoit que les personnes qui cherchent à obtenir leur admission au Canada doivent déjà avoir obtenu un visa avant de se présenter à un point d’entrée. Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Le même jour, une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle a été prise contre le demandeur en application du paragraphe 28(1) de la Loi. En 1999, la section du statut de réfugié a conclu que l’épouse du demandeur et son fils étaient des réfugiés au sens de la Convention, mais que le demandeur ne l’était pas, vu qu’il y avait des raisons sérieuses de croire qu’il avait commis des crimes contre l’humanité. Il s’agit de la décision à l’égard de laquelle le demandeur a cherché à obtenir l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire. On a demandé l’exécution de la mesure d’expulsion prise contre le demandeur sur le fondement d’un rapport qu’un agent d’immigration a présenté au sous-ministre, dans lequel il disait que le demandeur se trouvait au Canada sans autorisation légale. Par la suite, l’épouse du demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans laquelle elle mentionnait son époux en tant que personne à charge.

Le paragraphe 49(1) prévoit le sursis d’exécution d’une mesure de renvoi en cas de dépôt d’une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire après que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a statué sur une revendication du statut de réfugié. Le paragraphe 49(1.1) prévoit que le paragraphe (1) ne s’applique pas à la personne qui fait l’objet du rapport prévu à l’alinéa 20(1)a) et réside ou séjourne aux États-Unis. Le demandeur a soutenu que le paragraphe 49(1.1) ne s’appliquait pas à lui vu qu’il vivait au Canada depuis 1996. Il a demandé à la Cour de certifier une question en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l’immigration, qui ne permet de former un appel contre un jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rendu sur une demande de contrôle judiciaire que si le juge de la Section de première instance a certifié dans son jugement que l’affaire soulève une question grave de portée générale.

Les questions litigieuses étaient de savoir : 1) à quel moment se prend la décision qu’une personne réside ou séjourne aux États-Unis; et 2) si la Cour avait compétence pour certifier une question dans les circonstances de la présente affaire.

Jugement : la demande est rejetée et aucune question n’est certifiée.

1) Le texte législatif mène à une seule conclusion : le moment que le législateur a fixé pour déterminer si le demandeur a résidé ou séjourné aux États-Unis est celui auquel le demandeur a, pour la première fois, fait l’objet d’un rapport fondé sur l’alinéa 20(1)a), en l’occurrence le 20 mars 1996. Le rapport fondé sur l’alinéa 20(1)a) a constitué le fondement de la mesure d’interdiction de séjour conditionnelle qui a été prise contre le demandeur plus tard ce jour-là. Au moment de la production du rapport fondé sur l’alinéa 20(1)a), le chronomètre s’est arrêté, et il ne pouvait être tenu compte du nombre de journées que le demandeur a passées au Canada en attendant que sa revendication du statut de réfugié ou l’appel qu’il a par la suite formé soit tranché pour déterminer s’il résidait ou séjournait aux États-Unis au cours de la période pertinente. Toute autre interprétation irait grandement à l’encontre du texte législatif et annulerait ou détruirait les dispositions en matière d’application de la loi pour ce qui est des mesures prises aux points d’entrée. De plus, toute autre interprétation mènerait à un résultat absurde et rendrait inutile le paragraphe 49(1.1). Le ministre responsable des questions d’immigration a fait remarquer, lorsque l’ancêtre du paragraphe 49(1.1) a été adopté, qu’il fallait beaucoup de temps pour traiter les revendications du statut de réfugié. Si l’interprétation du demandeur était exacte, le paragraphe 49(1.1) s’appliquerait très peu souvent, voire jamais, et cela n’a pu être l’intention du législateur; il faut présumer que l’intention du législateur est d’adopter des lois qui s’appliquent. Le demandeur était une personne qui résidait ou séjournait aux États-Unis et, par conséquent, l’exception prévue au paragraphe 49(1.1) s’applique à lui.

2) La Cour n’avait pas compétence pour certifier une question dans le contexte de la présente demande, qui était une instance accessoire à une demande d’autorisation en vue de présenter une demande de contrôle judiciaire. En vertu du paragraphe 83(1), une question certifiée, dont la formulation permet qu’un appel soit formé devant la Cour d’appel fédérale, ne peut viser qu’un jugement de la Section de première instance rendu sur une demande de contrôle judiciaire.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fa).

Loi sur l’immigration, R.S.C. (1985), ch. I-2, art. 9(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4), 19(2)d), 20(1), (2) (mod., idem, art. 12), 21, 22, 23 (mod., idem, art. 13; 1995, ch. 15, art. 3), 24 (mod., idem, art. 4), 27 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16; 1995, ch. 15, art. 5), 28 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 17; 1995, ch. 15, art. 6), 44 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35; 1995, ch. 15, art. 7), 45 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35; 1995, ch. 15, art. 8), 46.02 (édicté par L.RC. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 37), 46.04(1) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 38), 49(1) (mod., idem, art. 41), (1.1) (édicté, idem), 83(1) (mod., idem, art. 73).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; Sereno c. Canada (Solliciteur général) (1993), 75 F.T.R. 71 (C.F. 1re inst.); Kayumba c. Canada (Solliciteur général) (1994), 76 F.T.R. 238; 24 Imm. L.R. (2d) 201 (C.F. 1re inst.).

DEMANDE visant à obtenir 1) qu’il soit sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi jusqu’à ce que la Cour statue sur la demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ou jusqu’à ce que le ministre statue sur la demande, présentée par l’épouse du demandeur, visant à obtenir que ce dernier soit inclus dans sa demande de résidence permanente en tant que personne à charge, et 2) qu’une question soit certifiée, de sorte qu’un appel puisse être formé. La demande est rejetée et aucune question n’est certifiée.

ONT COMPARU :

William Sloan pour le demandeur.

Normand Lemyre pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William Sloan, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Lemieux :

INTRODUCTION

[1]        La principale question litigieuse que soulève la présente demande est de savoir si le demandeur a le droit, en vertu du paragraphe 49(1) de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41)], d’obtenir qu’il soit sursis, par application de la loi ou de façon automatique, à l’exécution d’une mesure de renvoi jusqu’à ce que notre Cour tranche la question de savoir si elle doit lui accorder l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ou jusqu’à ce que le défendeur statue sur la demande, présentée par l’épouse du demandeur, visant à obtenir que ce dernier soit inclus dans sa demande de résidence permanente en tant que personne à charge.

[2]        L’avocat du demandeur a concédé à l’audition que sa demande ne couvrirait pas le deuxième aspect de sa demande liée à la décision d’ordre humanitaire que le défendeur devait rendre; cet aspect de la demande a été abandonné.

[3]        Sous réserve des exceptions prévues au paragraphe 49(1.1) [édicté, idem] de la Loi et de celles prévues aux alinéas e) et f) du paragraphe 49(1) de la Loi, le paragraphe prévoit le sursis d’exécution d’une mesure de renvoi dans des cas bien précis, dont le dépôt d’une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire après que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a statué sur une revendication du statut de réfugié.

[4]        Le demandeur soutient que l’exception prévue au paragraphe 49(1.1) ne s’applique pas à lui. Voici le paragraphe 49(1.1) :

49. […]

(1.1) Le sursis d’exécution ne s’applique pas dans les cas suivants :

a) l’intéressé fait l’objet du rapport prévu à l’alinéa 20(1)a) et réside ou séjourne aux États-Unis ou à SaintPierre-et-Miquelon;

b) la revendication a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 46.01(1)b) et l’intéressé doit être renvoyé dans un pays avec lequel le ministre a conclu un accord en vertu de l’article 108.1 en vue du partage de la responsabilité de l’examen des revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. [Je souligne.]

LES FAITS

[5]        Le demandeur, son épouse et son fils sont des citoyens de l’Équateur. Le demandeur menait une carrière militaire au sein de l’armée de ce pays. Il s’y est joint en 1973; en 1990, il avait atteint le grade de premier sergent, et il s’attendait à être promu au grade de lieutenant en 1996. Il était spécialiste de l’encodage et du décodage de messages militaires. Il est devenu chef de son unité. Il a dit qu’il a entendu par hasard, en juillet 1995, des militaires planifier un coup d’État, qu’il a été surpris sur le fait, et qu’il a été arrêté et détenu pendant 20 jours. Il a ensuite été transféré dans une région éloignée; il craignait que l’armée voulait se débarrasser de lui.

[6]        Il s’est enfui de l’Équateur en compagnie de son épouse et son fils le 29 novembre 1995. Il s’est rendu à New York, où il a vécu pendant trois mois. Le 20 mars 1996, il s’est rendu au Canada en automobile, franchissant la frontière à Blackpool (Québec). Son passeport équatorien contenait un visa, daté du 24 novembre 1995, délivré par les États-Unis d’Amérique et expirant le 24 février 1996.

[7]        Au point frontalier canadien, l’agent d’immigration du Canada a remis à l’agent principal, conformément à l’alinéa 20(1)a), un rapport indiquant qu’il avait interrogé le demandeur, qui cherchait à entrer au pays en tant qu’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement. Dans son rapport, l’agent d’immigration a dit que l’entrée du demandeur au Canada contrevenait ou contreviendrait à la Loi et à son règlement d’application, plus précisément au paragraphe 9(1) [mod., idem, art. 4] qui prévoit que les personnes qui cherchent à obtenir leur admission au Canada doivent déjà avoir obtenu un visa avant de se présenter à un point d’entrée.

[8]        Le même jour, soit le 20 mars 1996, l’agent principal a pris une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle contre le demandeur en application du paragraphe 28(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 6] de la Loi, vu la revendication du statut de réfugié que ce dernier avait présentée. Ce jour-là, l’agent principal a, en vertu de l’article 45 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35; 1995, ch. 15, art. 8] de la Loi, traité de la revendication du statut de réfugié du demandeur, la renvoyant à la section du statut de réfugié, conformément à l’article 46.02 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14, L.C. 1992, ch. 49, art. 37] de la Loi, pour que cette dernière prenne une décision.

[9]        Les revendications du statut de réfugié qu’ont présentées le demandeur, son épouse, Gloria Albuja Echeverria, et son fils, Jorge Luis Echeverria, ont été examinées par la section du statut de réfugié (le tribunal), qui a exposé les motifs de sa décision le 25 juin 1999. Le tribunal a conclu que l’épouse du demandeur, Mme Echeverria, et son fils, Jorge Luis Echeverria, étaient des réfugiés au sens de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6]. Cependant, le tribunal a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention; il a été exclu par l’application de l’article 1Fa) de la Convention vu que, selon le tribunal, il y avait des raisons sérieuses de croire qu’il avait commis des crimes contre l’humanité. Il s’agit de la décision à l’égard de laquelle le demandeur cherche à obtenir l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour.

[10]      Le 1er octobre 1999, un agent d’immigration a, conformément à l’article 27 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16; 1995, ch. 15, art. 5] de la Loi, présenté un rapport au sous-ministre dans lequel il disait que le demandeur se trouvait au Canada sans autorisation légale. Ce rapport a constitué le fondement de la demande d’exécution de la mesure d’expulsion prise contre le demandeur.

[11]      Le 12 octobre 1999, conformément au paragraphe 46.04(1) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 38] de la Loi, Mme Echeverria, ayant obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention, a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans laquelle elle mentionnait son époux en tant que personne à charge.

LES QUESTIONS LITIGIEUSES ET LES ARGUMENTS DES PARTIES

[12]      La présente demande soulève deux questions litigieuses. Premièrement, la question de fond, qui n’a pas fait l’objet de remarques judiciaires, est de savoir à quel moment se prend la décision qu’une personne réside ou séjourne aux États-Unis au sens du paragraphe 49(1.1) de la Loi.

[13]      Le demandeur soutient que dans son cas, cette décision a été prise le 26 octobre 1999, date à laquelle la mesure de renvoi prise contre lui devait être exécutée. Le demandeur fait valoir que le législateur a utilisé les verbes « réside » ou « séjourne » au présent et que l’article 49, lu dans son ensemble, traite d’événements en cours ou s’étant déjà produits qui confèrent à la personne visée le droit d’obtenir qu’il soit sursis, par application de la loi ou de façon automatique, à l’exécution d’une mesure de renvoi prise contre elle; il souligne, à titre d’exemple, que le sursis automatique s’applique lorsque la personne prend une mesure, dans le présent et non le passé, telle le dépôt d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire devant la Section de première instance de notre Cour, d’un appel devant la Cour d’appel fédérale sur la base d’une question certifiée, ou d’une demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada.

[14]      En d’autres termes, l’exécution d’une mesure de renvoi, qui constitue l’objet de l’article 49, est l’événement temporel clé qui fixe le moment auquel la décision sur la résidence ou le séjour est prise. Le demandeur a ensuite soutenu, sur la base des faits, qu’il était clair que l’exception prévue au paragraphe 49(1.1) à l’égard du sursis d’exécution automatique ou prévu par la loi ne s’appliquait pas à lui vu qu’il vivait au Canada depuis le 20 mars 1996, et non aux États-Unis.

[15]      Le défendeur soutient que l’interprétation du demandeur est erronée vu que le paragraphe 49(1.1) prévoit l’événement clé, soit le dépôt du rapport, qui, en l’espèce, a été fait par l’agent d’immigration le 20 mars 1996 en vertu de l’alinéa 20(1)a), et que c’est en fonction de cette date que la question de savoir si le demandeur « réside » ou « séjourne » doit être tranchée. Dans le cadre de la présente demande, je ne suis pas tenu d’examiner le sens des termes « réside » ou « séjourne » vu que le demandeur a concédé qu’avant de venir au Canada, il avait séjourné aux États-Unis pendant trois mois.

[16]      La question subsidiaire est de savoir si la Cour a compétence pour certifier une question découlant de la présente demande, qui vise essentiellement à obtenir une décision ou une injonction portant que le défendeur ne peut exécuter la mesure de renvoi qui a été prise contre le demandeur. Le défendeur soutient qu’une question ne peut être certifiée qu’en vertu du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi relativement à un jugement de notre Cour ou à une demande de contrôle judiciaire, ce que la présente demande n’est pas.

L’ANALYSE

(1)       La principale question

[17]      Au fond, la principale question doit être tranchée par l’application de principes d’interprétation législative appropriés. La démarche qu’il convient d’adopter a été récemment exposée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re)[1], dans lequel le juge Iacobucci a dit, aux pages 40 et 41 :

Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après « Construction of Statutes »); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l’approuvant, mentionnons : R. c. Hydro-Québec, [1997] 1 R.C.S. 213; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.

Je m’appuie également sur l’art. 10 de la Loi d’interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois « sont réputées apporter une solution de droit » et doivent « s’interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables ».

[18]      J’entame l’analyse interprétative en examinant le libellé de la disposition législative en cause, soit le paragraphe 49(1.1), que je reproduis de nouveau par souci de commodité :

49. […]

(1.1) Le sursis d’exécution ne s’applique pas dans les cas suivants :

a) l’intéressé fait l’objet du rapport prévu à l’alinéa 20(1)a) et réside ou séjourne aux États-Unis ou à SaintPierre-et-Miquelon;

b) la revendication a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 46.01(1)b) et l’intéressé doit être renvoyé dans un pays avec lequel le ministre a conclu un accord en vertu de l’article 108.1 en vue du partage de la responsabilité de l’examen des revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. [Je souligne.]

[19]      Le paragraphe 49(1.1) lie clairement le concept d’une personne qui réside ou séjourne aux États-Unis à celui d’une personne qui fait l’objet d’un rapport produit en vertu de l’alinéa 20(1)a) de la Loi.

[20]      L’article 20, qui fait partie de la partie III de la Loi, intitulée « Exclusion et renvoi », paraît sous la rubrique « Renvoi aux points d’entrée ».

[21]      Voici l’article 20 [le paragraphe 20(2) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 12)] de la Loi :

20. (1) L’agent d’immigration qui, après interrogatoire, estime que le fait d’admettre ou de laisser entrer l’intéressé au Canada contreviendrait ou pourrait contrevenir à la présente loi ou à ses règlements peut le retenir ou prendre une mesure à cet effet. Il est tenu :

a) soit, sous réserve du paragraphe (2), de signaler son cas dans un rapport écrit, à un agent principal;

b) soit de l’autoriser à quitter le Canada sans délai.

(2) Lorsqu’il estime que le fait d’admettre ou de laisser entrer au Canada une personne en provenance des États-Unis contreviendrait ou pourrait contrevenir à la présente loi ou à ses règlements, l’agent d’immigration en poste à un point d’entrée peut, s’il n’est pas en mesure d’en référer à l’agent principal auquel il ferait normalement rapport conformément à l’alinéa (1)a), ordonner à l’intéressé de retourner aux États-Unis et d’attendre que l’agent principal soit disponible pour examiner son cas.

[22]      L’article 20 de la Loi ne peut être interprété de façon indépendante, en particulier vu que le rapport fondé sur l’alinéa 20(1)a) constitue le fondement sur lequel le législateur a autorisé l’agent principal à exercer certains pouvoirs légaux obligatoires ou discrétionnaires prévus aux articles 21 à 24 de la Loi [articles 23 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 13; 1995, ch. 15, art. 3], 24 (mod., idem, art. 4)]. Par exemple, l’article 21 de la Loi prévoit qu’un rapport fondé sur l’alinéa 20(1)a) peut constituer le fondement d’une mesure de renvoi si la personne visée appartient à une catégorie de personnes non admissibles. En outre, le paragraphe 23(3) confère des pouvoirs de détention à l’agent principal dans le cas où un rapport fondé sur l’alinéa 20(1)a) a été produit, et le paragraphe 23(4) autorise l’agent principal, sous réserve de l’article 28 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 17; 1995, ch. 15, art. 6], à prendre une mesure d’exclusion sur la base d’un tel rapport s’il est convaincu que la personne en cause appartient à une catégorie de personnes non admissibles prévue à l’alinéa 19(2)d) parce qu’elle n’a pas de visa valide ou non périmé en sa possession, ce qui s’est produit en l’espèce.

[23]      La limite prévue à l’article 28 à l’égard de l’exercice des pouvoirs que confère le paragraphe 23(4) de la Loi est importante étant donné que le demandeur a revendiqué le statut de réfugié à la frontière, ce qu’il avait le droit de faire vu qu’il était une « personne se trouvant au Canada », au sens de l’article 44 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35; 1995, ch. 15, art. 7] de la Loi. Comme il a été souligné, l’agent principal en l’espèce a conclu, conformément à l’article 45 de la Loi, que le demandeur avait une revendication recevable. Voici le libellé de l’article 28 :

28. (1) S’il conclut à la recevabilité de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de la personne à l’encontre de laquelle il prendrait une mesure d’exclusion au titre des paragraphes 23(4) ou (4.01) ou une mesure d’interdiction de séjour au titre du paragraphe 27(4), l’agent principal prend contre elle une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle.

(2) La mesure d’interdiction de séjour conditionnelle ne devient exécutoire que si se réalise l’une des conditions suivantes :

a) la personne retire sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention;

a.1) sa revendication a été jugée irrecevable par l’agent principal, qui le lui a dûment notifié;

b) son désistement a été constaté par la section du statut, qui le lui a dûment notifié;

c) la section du statut lui a refusé le statut de réfugié au sens de la Convention et lui a dûment notifié le refus;

d) il a été déterminé conformément aux paragraphes 46.07(1.1) ou (2) que la personne n’avait pas le droit que confère le paragraphe 4(2.1) de demeurer au Canada et la personne en a été avisée. [Je souligne.]

[24]      À mon avis, le texte législatif précité mène à une seule conclusion : le moment que le législateur a fixé pour déterminer si le demandeur a résidé ou séjourné aux États-Unis est celui auquel le demandeur a, pour la première fois, fait l’objet d’un rapport fondé sur l’alinéa 20(1)a), en l’occurrence le 20 mars 1996. Le rapport fondé sur l’alinéa 20(1)a) a constitué le fondement de la mesure d’interdiction de séjour conditionnelle qui a été prise contre le demandeur plus tard ce jour-là, vu la revendication du statut de réfugié qu’il avait présentée. À ce moment-là, soit la production d’un rapport fondé sur l’alinéa 20(1)a), le chronomètre s’est arrêté, et il ne peut être tenu compte du nombre de journées qu’il a passées au Canada en attendant que sa revendication du statut de réfugié ou l’appel qu’il a par la suite formé soit tranché pour déterminer s’il résidait ou séjournait aux États-Unis au cours de la période pertinente.

[25]      Toute autre interprétation, à mon avis, irait grandement à l’encontre du texte législatif et, en fait, annulerait ou détruirait les dispositions soigneusement rédigées en matière d’application de la loi pour ce qui est des mesures prises aux points d’entrée. De plus, toute autre interprétation mènerait à un résultat absurde et rendrait inutile le paragraphe 49(1.1). Le ministre responsable des questions d’immigration a fait remarquer, lorsque l’ancêtre du paragraphe 49(1.1) de la Loi a été adopté en 1952, qu’il fallait beaucoup de temps pour traiter les revendications du statut de réfugié. Si l’interprétation du demandeur était exacte, le paragraphe 49(1.1) s’appliquerait très peu souvent, voire jamais, et cela n’a pu être l’intention du législateur; il faut présumer que l’intention du législateur est d’adopter des lois qui s’appliquent.

[26]      Je suis conscient du fait que si le demandeur n’avait pas séjourné aux États-Unis avant de revendiquer le statut de réfugié, il aurait pu avoir droit à un sursis légal pourvu qu’il ne fût pas visé par les autres exceptions prévues aux alinéas 49(1)d) et f). La structure interne de la Loi ne révèle pas les considérations de principe qui ont mené le législateur à adopter l’exception, et les sources externes qui ont été consultées ne contenaient pas de renseignements à ce sujet. La Cour sait, cependant, que le Canada et les États-Unis ont conclu une entente bilatérale d’échange de personnes expulsées.

[27]      Pour ces motifs, je conclus que le demandeur est une personne qui réside ou séjourne aux États-Unis et, par conséquent, que l’exception prévue au paragraphe 49(1.1) s’applique à lui.

(2)       La question subsidiaire

[28]      Le demandeur a demandé à notre Cour de certifier une question sur la base que la présente affaires soulève une question relevant de la Loi sur l’immigration, plus particulièrement du paragraphe 83(1) de la Loi, dont voici le libellé :

83. (1) Le jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rendu sur une demande de contrôle judiciaire relative à une décision ou ordonnance rendue, une mesure prise ou toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d’application—règlements ou règles—ne peut être porté en appel devant la Cour d’appel fédérale que si la Section de première instance certifie dans son jugement que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

(2) L’appel doit être formé dans les quinze jours qui suivent le prononcé du jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale qui en fait l’objet.

[29]      Cependant, le défendeur soutient que la Section de première instance de la Cour fédérale n’a pas compétence, en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi, pour certifier une question soulevée dans le cadre de la présente demande, qui est une instance accessoire à une demande d’autorisation en vue de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[30]      Ayant soigneusement examiné la jurisprudence de notre Cour sur cette question, je conclus que je n’ai pas compétence pour certifier une question dans le contexte de la présente demande. Mon collègue le juge Pinard a dit, dans Sereno c. Canada (Solliciteur général) (1993), 75 F.T.R. 71 (C.F. 1re inst.), à la page 74 :

Il apparaît clairement du libellé de ces dispositions qu’une certification ne peut viser qu’un jugement rendu sur une demande de contrôle judiciaire. Or, la demande de sursis présentée par le requérant ne constituait évidemment pas une demande de contrôle judiciaire prévue au paragraphe 83(1) de la Loi sur l’immigration ou à l’article 18 des Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration, 1993. Il s’agissait simplement d’une demande incidente, greffée à une demande d’autorisation présentée en vertu de l’article 82.1 de la Loi sur l’immigration.

[31]      La décision Sereno, précitée, a été suivie par mon collègue le juge Nadon dans Kayumba c. Canada (Solliciteur général)[2]. À mon avis, il ne fait aucun doute, vu le libellé du paragraphe 83(1), qu’une question ne peut être certifiée que dans le cadre d’un jugement tranchant une demande de contrôle judiciaire.

CONCLUSION

[32]      Pour ces motifs, la présente demande est rejetée et aucune question n’est certifiée.



[1]  [1998] 1 R.C.S. 27.

[2]  (1994), 76 F.T.R. 238 (C.F. 1re inst.).

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