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[2000] 1 C.F. 475

T-1463-99

L’Institut canadien des droits humains, Son Éminence Lazar Puhalo, Archevêque de l’Ukrainian Orthodox Church Archdiocese of Canada, Rosemary Larson, Citizens Concerned About Free Trade, Constance Clare Fogal, Le Comité de la liberté canadienne (The Defence of Canadian Liberty Committee) (demandeurs)

c.

Michael Goldie, le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, le ministre de la Défense, le procureur général du Canada, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le Premier ministre et les autres membres du Cabinet, Les États-Unis d’Amérique, William J. Clinton, commandant-en-chef, Forces armées des États-Unis d’Amérique (défendeurs)

Répertorié : Institut canadien des droits humains c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Vancouver, 30 août et 2 septembre 1999.

Droit administratif Contrôle judiciaire Injonctions Requête en injonctions provisoires visant à empêcher l’expropriation par le gouvernement fédéral de terres de la Couronne d’une province jusqu’à ce que la contestation de la validité de l’expropriation soit tranchéeLiée à la demande d’annulation de la décision du ministre de donner un avis d’intention d’exproprierLa question de savoir si la Loi sur l’expropriation prévoit l’expropriation des terres appartenant à la Couronne d’une province ou si elle ne prévoit qu’un simple avis donné au procureur général de la province et la question de savoir si les terres appartenant à la Couronne d’une province sont visées par les dispositions en matière d’expropriation qui portent sur les bien-fonds possédés par des « personnes » étaient des questions sérieuses à trancherLes demandeurs n’ont pas démontré qu’ils subiraient un préjudice irréparable ni que la prépondérance des inconvénients favorisait la délivrance d’une injonctionIls ont affirmé qu’une contravention à un impératif constitutionnel causait toujours un préjudice irréparable, mais cette contravention n’était pas encore prouvée, et ce ne sont pas non plus toutes les contraventions aux règles constitutionnelles qui résultent en un préjudice irréparableDans les affaires liées à la Charte, la question est de savoir si le refus d’accorder un redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt des demandeurs que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation en cas de divergence entre la décision sur le fond et l’issue de la demande interlocutoireLes demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’effets défavorables à leurs propres intérêts si l’injonction n’était pas accordéeSi l’expropriation est inconstitutionnelle, elle sera annuléeLa propriété en question appartient à la province, pas aux demandeursLa prépondérance des inconvénients n’avait pratiquement aucune incidence, étant donné l’engagement de la province de ne pas empêcher la poursuite des opérations du champs de tir de torpilles sur la propriété contestée avant que la Cour ne tranche la demandeLa prépondérance des inconvénients favorisait légèrement les défendeurs en raison de la possibilité de gaspillage des ressources liées aux audiences publiques et du rapport, qui seraient réputés abandonnésAucun préjudice ne sera causé aux demandeurs et à l’intérêt public si l’expropriation a lieuSi les demandeurs ont gain de cause en bout de ligne, l’expropriation sera annulée.

Expropriation Requête en injonctions provisoires visant à empêcher l’expropriation par le gouvernement fédéral de terres de la Couronne d’une province utilisées pour l’essai de torpilles par les forces armées canadiennes et américainesLa Colombie-Britannique avait conféré à la Couronne fédérale un permis d’utilisation de la propriété pour 10 ans, mais a annulé le permis à titre de représailles contre le défaut des É.-U. de se conformer aux dispositions d’un traité de pêcheLorsque les négociations fédérales-provinciales subséquentes sur le permis d’utilisation ont échoué en raison de l’opposition de la province aux sous-marins à propulsion nucléaire, le gouvernement fédéral a donné un avis d’expropriationLa Loi sur l’expropriation prévoit-elle l’expropriation de terres de la Couronne d’une province?Une telle expropriation est-elle inconstitutionnelle?Suffit-il au ministre des Travaux publics de donner un avis d’intention d’exproprier ou une loi doit-elle être édictée?

Pratique Parties Qualité pour agir Les demandeurs étaient des résidents de la Colombie-BritanniqueIls cherchaient à obtenir des injonctions provisoires pour empêcher l’expropriation projetée par le gouvernement fédéral de terres de la Couronne d’une province jusqu’à ce que la contestation de la validité de l’expropriation soit tranchéeLa qualité pour agir dans l’intérêt public exige (i) une action soulevant une question de droit sérieuse; (ii) un intérêt véritable quant à la résolution de la question; (iii) aucune autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la CourLorsqu’il y a plusieurs particuliers qui sont directement touchés par les dispositions législatives et qui peuvent s’adresser aux tribunaux pour les contester, la qualité pour agir n’est pas accordée à un groupe de défense de l’intérêt publicLa province possède le bien-fonds pour le bénéfice de tous les résidentsIl ne s’agissait pas d’un cas où d’autres particuliers pouvaient s’adresser aux tribunaux pour faire trancher la question ou fournir des faits plus exhaustifs pour les fins du litige que les parties en l’espèceÀ la lumière de l’interprétation libérale des principes relatifs à la qualité pour agir, les demandeurs avaient la qualité pour agir.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Requête en injonction provisoire visant à empêcher l’enquêteur de remettre son rapport sur les oppositions à l’expropriation projetée par le gouvernement fédéral de terres de la Couronne d’une province jusqu’à ce que la contestation de la validité de l’expropriation soit tranchéeEnquêteur nommé en vertu de l’art. 10(2) de la Loi sur l’expropriation; rapport exigé par l’art. 10(4)d) — « Office fédéral » défini comme étant toute « personne […] ayant compétence […] prévue par une loi fédérale » — L’enquêteur est visé par cette définition, compte tenu de l’art. 10 de la Loi sur l’expropriationIl a tenu des audiences publiques et il évaluera les oppositions, ce qui constitue des fonctions de décisionMais aucune demande de contrôle judiciaire distincte des contestations visant le pouvoir du ministre et la compétence législative du Parlement n’a été déposée contre une décision de l’enquêteurLa demande d’injonction visant à empêcher l’enquêteur de remettre son rapport au ministre n’était pas justifiée.

Il s’agissait d’une requête en injonctions provisoires visant à empêcher l’expropriation projetée par le gouvernement fédéral de bien-fonds se trouvant dans les environs de Nanoose Bay (Colombie-Britannique) jusqu’à ce que les demandeurs aient eu la possibilité de faire trancher par la Cour leur contestation relative à la validité de l’expropriation. La première injonction provisoire demandée visait à empêcher l’enquêteur Michael Goldie de remettre au ministre des Travaux publics son rapport sur les oppositions à l’encontre de l’expropriation projetée; la deuxième visait à empêcher le ministre d’accomplir tout acte pour confirmer l’expropriation; la troisième visait à empêcher les membres du Cabinet fédéral de chercher à conclure une entente avec une nation ou une entité qui prévoirait la location ou la grevation de ces bien-fonds. M. Goldie avait été nommé en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur l’expropriation et le rapport était exigé par l’alinéa 10(4)d).

Les questions en litige étaient : 1) M. Goldie, à titre d’enquêteur, est-il un « office fédéral » et a-t-il le pouvoir d’approuver, de désapprouver, de recommander ou non l’expropriation? 2) les exigences de délivrance d’une injonction sont-elles respectées? 3) les demandeurs ont-ils qualité pour présenter la présente demande?

Jugement : la requête est rejetée.

1) Un « office fédéral » est défini comme étant toute « personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ». M. Goldie, qui a agi à titre d’enquêteur aux termes de l’article 10 de la Loi sur l’expropriation, est visé par cette définition. Il a tenu des audiences publiques et il évaluera les oppositions qui ont été exprimées. Il s’agit de fonctions de décision.

La demande à laquelle cette requête fait référence visait le contrôle judiciaire de la décision d’entreprendre des procédures d’expropriation. Les demandeurs ont contesté le pouvoir du Parlement et du ministre des Travaux publics d’exproprier des terres appartenant à la Couronne d’une province pour le motif principal que l’expropriation était inconstitutionnelle. La remise du rapport de M. Goldie au ministre constituait une étape dans le processus d’expropriation, mais elle ne touchait pas en soi la constitutionnalité ou la validité de la décision d’entreprendre des procédures d’expropriation, ni celle de toute décision prise par le ministre des Travaux publics en vue de confirmer l’expropriation, et ni celle des dispositions législatives édictées par le Parlement du Canada. Aucune demande de contrôle judiciaire distincte des contestations visant le pouvoir du ministre et la compétence législative du Parlement n’a été déposée contre une décision de M. Goldie. Si on tient pour acquis que M. Goldie avait le pouvoir de déférer à la Cour fédérale du Canada ou au procureur général les questions constitutionnelles soulevées lors des audiences qu’il présidait, il avait le pouvoir discrétionnaire de refuser. La délivrance d’une injonction interdisant à M. Goldie de remettre son rapport au ministre n’était pas justifiée.

2) Pour obtenir les autres injonctions provisoires, les demandeurs devaient démontrer que : (i) ils avaient une cause défendable; (ii) ils subiraient un préjudice irréparable si les injonctions provisoires n’étaient pas accordées; (iii) la prépondérance des inconvénients pour les personnes touchées par les injonctions favorisait la délivrance plutôt que la non-délivrance des injonctions. Les arguments de nature constitutionnelle des demandeurs souffraient de lacunes, mais la question de savoir si la Loi sur l’expropriation prévoit l’expropriation des terres appartenant à la Couronne d’une province ou si elle ne prévoit qu’un simple avis donné au procureur général de la province tout en demeurant silencieuses relativement à ce qui se produit par la suite et la question de savoir si les terres appartenant à la Couronne d’une province sont visées par les dispositions en matière d’expropriation qui portent sur les bien-fonds possédés par des « personnes » étaient des questions sérieuses à trancher.

Les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils subiraient un préjudice irréparable si les injonctions provisoires n’étaient pas accordées. Ils ont prétendu qu’une contravention à un impératif constitutionnel causait toujours un préjudice irréparable, mais cette contravention n’était pas encore prouvée. Ce ne sont pas non plus toutes les contraventions aux règles constitutionnelles qui résultent en un préjudice irréparable. Relativement à l’application en matière constitutionnelle du critère de droit privé du préjudice irréparable, c.-à-d. le préjudice qui ne peut pas faire l’objet de dommages-intérêts, dans les affaires liées à la Charte, la question est de savoir si le refus d’accorder le redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation en cas de divergence entre la décision sur le fond et l’issue de la demande interlocutoire. Les demandeurs n’ont pas été capables de démontrer l’existence d’effets défavorables à leurs propres intérêts si l’injonction n’était pas accordée. Si l’expropriation a lieu et qu’elle est jugée inconstitutionnelle, elle sera annulée. De plus, bien que ce soit la propriété de la province qui est expropriée, celle-ci n’est pas demanderesse en l’instance.

Le facteur de la prépondérance des inconvénients n’avait pratiquement aucune incidence. La zone sous-marine située près de Nanoose Bay est utilisée conjointement par le Canada et les États-Unis pour l’essai de torpilles depuis 1965 aux termes d’une convention internationale. En 1989, la Colombie-Britannique, qui possède le fond marin en cause, a conféré au gouvernement canadien un permis d’utilisation de la propriété pour une période de dix ans, mais elle a donné avis en 1997 de son intention de le résilier avant échéance. Cette mesure a été prise à titre de représailles contre les É.-U. en raison de leur défaut de se conformer aux dispositions d’un traité de pêche. Les négociations ont échoué en raison du refus de la province de laisser entrer dans ses eaux des sous-marins à propulsion nucléaire. Par conséquent, le gouvernement fédéral a délivré un avis d’intention d’exproprier. Si l’expropriation n’a pas lieu, le permis d’utilisation de la propriété qui avait été accordé par la Colombie-Britannique ayant expiré, le gouvernement fédéral n’aura pas le droit de continuer à utiliser la propriété ni de permettre à la marine américaine de le faire. Si une injonction provisoire était accordée, les procédures d’expropriation actuelles seraient réputées abandonnées, ce qui aurait pour effet d’annuler les quatre semaines d’audiences publiques et le rapport subséquent. Si les demandeurs n’avaient pas ensuite gain de cause, cette dépense de fonds publics devrait être faite une seconde fois. Les inconvénients étaient assez bien partagés vu l’engagement de la province de ne pas empêcher la poursuite des opérations du champs de tir de torpilles avant que la Cour ne tranche la demande, pourvu que l’action se déroule sans retard, même s’ils favorisaient peut-être légèrement les défendeurs en raison de la possibilité de gaspillage de dépenses. Il n’a pas été démontré qu’un préjudice serait probablement causé aux demandeurs ou à l’intérêt public si on permettait que l’expropriation ait lieu. Le but de cette dernière est de maintenir le statu quo, de permettre la poursuite de l’exploitation d’une installation militaire utilisée depuis plusieurs années. Si les demandeurs ont gain de cause en bout de ligne, l’expropriation sera annulée. Les demandeurs n’ont pas démontré la nécessité d’injonctions provisoires.

3) La qualité pour agir dans l’intérêt public est accordée lorsqu’une partie peut démontrer que : 1) l’action soulève une question de droit sérieuse; 2) elle a un intérêt véritable quant à la résolution de la question; 3) il n’y a pas d’autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour. Lorsqu’il y a plusieurs particuliers qui sont directement touchés par les dispositions législatives pertinentes et qui peuvent s’adresser aux tribunaux pour les contester, la qualité pour agir n’est pas accordée à un groupe de défense de l’intérêt public. Le fondement de la décision d’accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public est d’empêcher que la loi et les actes publics soient à l’abri de toute contestation. Les demandeurs résidaient en Colombie-Britannique. La province possède le bien-fonds pour le bénéfice de tous les résidents. D’autres particuliers ne pouvaient pas s’adresser aux tribunaux pour faire trancher la question ou fournir des faits plus exhaustifs pour les fins du litige que les parties en l’espèce. Étant donné que les principes relatifs à la qualité pour agir doivent être interprétés d’une façon libérale et souple, les demandeurs avaient la qualité pour agir dans le cadre du présent litige.

Il y avait du vrai dans l’argument des défendeurs que la demande de contrôle judiciaire de la décision d’entreprendre les procédures d’expropriation était tardive. Il y avait également du vrai dans l’argument que la procédure appropriée que devraient suivre les demandeurs serait de déposer une demande contre la décision d’exproprier elle-même et d’abandonner la présente demande. La présente décision n’a pas examiné la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire avait été faite en bonne et due forme.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, L.R.C. (1985), appendice II, no 10.

Échange de notes constituant un accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique, prorogeant l’accord du 14 avril 1976, stipulant l’exploitation et l’entretien permanents de la zone d’essai de torpilles dans le détroit de Georgie, 17 juin 1986, [1986] R.T. Can. no 40.

Échange de notes (le 12 mai 1965) entre le gouvernement canadien et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant l’établissement, l’utilisation et l’entretien d’une zone d’essai de torpilles dans le détroit de Georgie, 12 mai 1965, [1965] R.T. Can. no 6.

Échange de notes entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique stipulant l’exploitation permanente de la zone d’essai de torpilles dans le détroit de Georgie et l’établissement et l’exploitation d’un système avancé de mesure acoustique sous-marine dans l’anse Jervis, 14 avril 1976, [1976] R.T. Can. no 18.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 117.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) « office fédéral » (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18.1(2) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l’expropriation, L.R.C. (1985), ch. E-21, art. 10(2),(4)d), 11(2).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 302.

Traité entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant le saumon du Pacifique, 28 janvier 1985, [1985] R.T. Can. no 7.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

RJR —MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; (1994), 111 D.L.R. (4th) 385; 164 N.R. 1; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 33 D.L.R. (4th) 321; [1987] 1 W.W.R. 603; 23 Admin. L.R. 197; 17 C.P.C. (2d) 289; 71 N.R. 338; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; (1992), 88 D.L.R. (4th) 193; 2 Admin. L.R. (2d) 229; 5 C.P.C. (3d) 20; 8 C.R.R. (2d) 145; 16 Imm. L.R. (2d) 161; 132 N.R. 241; Corp. of the Canadian Civil Liberties Assn. v. Canada (Attorney General) (1998), 40 O.R. (3d) 489; 161 D.L.R. (4th) 225; 10 Admin. L.R. (3d) 56; 126 C.C.C. (3d) 257; 111 O.A.C. 51 (C.A.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Succession Grauer c. La Reine, [1973] C.F. 355 (1re inst.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Canada (Attorney General) v. British Columbia, [1999] B.C.J. no 246 (C.S.) (QL).

DÉCISIONS CITÉES :

Renvoi relatif à la propriété du lit du détroit de Géorgie et des régions avoisinantes, [1984] 1 R.C.S. 388; (1984), 8 D.L.R. (4th) 161; [1984] 4 W.W.R. 289; 52 N.R. 335; Mahmood c. Canada et al. (1998), 154 F.T.R. 102 (C.F. 1re inst.).

REQUÊTE en injonctions provisoires visant à empêcher l’expropriation projetée par le gouvernement fédéral de biens-fonds aux environs de Nanoose Bay (Colombie-Britannique) jusqu’à ce que la contestation par les demandeurs de la validité de l’expropriation soit entendue et tranchée par la Cour fédérale. Requête rejetée.

ONT COMPARU :

Rocco Galati pour les demandeurs.

John J. L. Hunter pour les défendeurs ministres de la Couronne fédérale.

D. Geoffrey G. Cowper, c.r., pour le défendeur Michael Goldie.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Azevedo & Associates, Vancouver, pour les demandeurs.

Davis & Company, Vancouver, pour les défendeurs ministres de la Couronne fédérale.

Russell & Dumoulin, Vancouver, pour le défendeur Michael Goldie.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Reed : Les demandeurs présentent une requête visant l’obtention d’injonctions provisoires relativement à l’expropriation projetée par le gouvernement fédéral de bien-fonds se trouvant dans les environs de Nanoose Bay. Les demandeurs cherchent à obtenir des injonctions provisoires empêchant l’expropriation jusqu’à ce qu’ils aient eu la possibilité de faire entendre et trancher par la Cour leur contestation relative à la validité de l’expropriation. Trois injonctions provisoires sont demandées. La première vise à empêcher Michael Goldie de remettre son rapport au ministre des Travaux publics. M. Goldie a été nommé enquêteur en vue de la préparation d’un rapport sur les oppositions existantes à l’encontre de l’expropriation projetée. Il a été nommé en vertu du paragraphe 10(2), et le rapport est exigé par l’alinéa 10(4)d) de la Loi sur l’expropriation, L.R.C. (1985), ch. E-21. La deuxième injonction provisoire demandée vise à empêcher le ministre d’accomplir tout acte prévu par la Loi sur l’expropriation pour confirmer l’expropriation. La troisième vise à empêcher les membres du Cabinet fédéral de chercher à conclure une entente avec une nation ou une entité qui prévoirait la location ou la grevation de ces bien-fonds.

[2]        J’examine d’abord la requête pour injonction provisoire visant à empêcher M. Goldie de remettre son rapport au ministre des Travaux publics. L’avocat de M. Goldie prétend qu’il ne peut pas y avoir d’injonction provisoire contre ce dernier, car celui-ci, à titre d’enquêteur, n’est pas un « office fédéral ». Il prétend également que M. Goldie n’a pas le pouvoir d’approuver, de désapprouver ni de recommander ou non l’expropriation. Il n’a que le pouvoir de faire rapport au ministre « sur la nature et les motifs des oppositions » à l’expropriation qui ont été faites, de sorte qu’une injonction contre lui ne servirait aucune fin utile et ne ferait que priver le ministre du fruit du travail de M. Goldie.

[3]        Le premier argument est mal fondé. Le paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8 art. 1)] définit un « office fédéral » comme étant toute « personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ». M. Goldie, qui a agi à titre d’enquêteur aux termes de l’article 10 de la Loi sur l’expropriation , est visé par cette définition. Il a tenu des audiences publiques et il évaluera les oppositions qui ont été exprimées. Il s’agit de fonctions de décision. Ayant été rendue avant que la distinction entre les décisions quasi-judiciaires et administratives soit éliminée en matière de contrôle judiciaire, la décision Succession Grauer c. La Reine, [1973] C.F. 355 (1re inst.), n’est pas pertinente.

[4]        Le deuxième argument de l’avocat est toutefois plus valable. La demande de contrôle judiciaire déposée par les demandeurs auprès de la Cour le 16 août 1999, à laquelle la requête pour injonctions provisoires fait référence, vise le contrôle d’« un avis d’intention d’exproprier ». C’est-à-dire qu’elle vise le contrôle judiciaire de la décision d’entreprendre des procédures d’expropriation des bien-fonds situés dans les environs de Nanoose Bay. L’avocat prétend que la demande doit être interprétée de façon plus large, qu’elle doit être interprétée comme une contestation de l’ensemble du processus qui a été déclenché en vertu de la Loi par la délivrance de l’avis d’intention d’exproprier. Les demandeurs ne contestent toutefois pas la procédure établie par la Loi, mais bien l’utilisation de cette procédure en vue d’exproprier des terres de la Couronne provinciale. Les demandeurs contestent le pouvoir du Parlement et du ministre des Travaux publics d’exproprier des terres appartenant à la Couronne d’une province pour le motif principal que l’expropriation est inconstitutionnelle. La remise du rapport de M. Goldie au ministre constitue une étape dans le processus d’expropriation, mais elle ne touche pas en soi la constitutionnalité ou la validité de la décision d’entreprendre des procédures d’expropriation, ni celle de toute décision prise par le ministre des Travaux publics en vue de confirmer l’expropriation, ni celle des dispositions législatives édictées par le Parlement du Canada.

[5]        Bien que les demandeurs allèguent que les audiences tenues par M. Goldie n’étaient qu’une parodie et qu’elles avaient été menées de façon contraire aux dispositions de la Loi ainsi qu’aux principes de la justice naturelle et de la justice fondamentale, on ne m’a indiqué aucun fondement factuel à l’égard de cette allégation, à l’exception d’une erreur initiale qui a causé l’exclusion de 500 oppositions de l’avis du rôle, erreur qui a été corrigée par la suite. Il est admis que les mesures de redressement recherchées dans la demande, soit le certiorari annulant [traduction] « les audiences menées par Michael Goldie » et la prohibition [traduction] « interdisant à Michael Goldie de tenir des audiences sous cette forme », sont maintenant sans objet. En outre, sa façon de mener les audiences n’a pas fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire distincte. Une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] (régle 302) ne porte que sur une seule décision. Lorsque le contrôle de plusieurs décisions est demandé, plusieurs demandes sont déposées. En l’espèce, aucune demande de contrôle judiciaire distincte des contestations visant le pouvoir du ministre et la compétence législative du Parlement n’a été déposée contre une décision de M. Goldie.

[6]        Les demandeurs ont également contesté le fait que M. Goldie n’a pas déféré à la Cour fédérale du Canada ou au procureur général les questions constitutionnelles qu’ils avaient soulevées lors des audiences qu’il présidait. Il a refusé de le faire en expliquant que son obligation était énoncée à l’article 10 de la Loi sur l’expropriation et qu’elle se limitait à faire rapport au ministre « sur la nature et les motifs des oppositions » qui étaient faites contre l’expropriation. Si on tient pour acquis qu’il avait le pouvoir de déférer ces questions, de la manière dont on lui avait demandé de le faire, il avait l’entier pouvoir discrétionnaire de refuser. Rien ne l’obligeait à agir différemment. Son refus ne peut pas servir de fondement à une ordonnance lui interdisant de remettre son rapport.

[7]        Pour les présents motifs, je ne peux pas conclure que la délivrance d’une injonction interdisant à M. Goldie de remettre son rapport au ministre est justifiée.

[8]        J’aborde maintenant la requête pour injonctions provisoires de ne pas faire qui vise le procureur général du Canada, le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, le ministre de la Défense, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, ainsi que le Premier ministre et les autres membres du Cabinet. Il n’est pas contesté que, pour obtenir les injonctions provisoires, les demandeurs doivent démontrer que : 1) ils ont une cause défendable; 2) ils subiront un préjudice irréparable si les injonctions provisoires ne sont pas accordées; 3) la prépondérance des inconvénients pour les personnes touchées par les injonctions favorise la délivrance plutôt que la non- délivrance des injonctions.

[9]        Les demandeurs contestent l’expropriation au motif que l’expropriation de terres appartenant à la Couronne provinciale par le gouvernement fédéral est inconstitutionnelle et que, de toute manière, même si la Constitution accorde le pouvoir d’expropriation, la Loi sur l’expropriation ne prévoit pas l’expropriation de terres de la Couronne provinciale. On prétend que l’expropriation doit être faite au moyen d’une loi fédérale adoptée à cette fin, et non pas par le ministre des Travaux publics au moyen d’un avis d’intention d’exproprier émis en vertu de la Loi sur l’expropriation.

[10]      Il ne fait aucun doute que les arguments de nature constitutionnelle des demandeurs souffrent de lacunes. Ils cherchent à interpréter l’article 117 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], qui a été rendu applicable à la Colombie-Britannique par le décret portant sur l’intégration de l’ancienne colonie dans la Confédération [Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, L.R.C. (1985), appendice II, no 10], comme interdisant l’expropriation de terres de la Couronne provinciale par le gouvernement fédéral. Toutefois, cette disposition porte sur le partage des actifs de la confédération, et non pas sur les pouvoirs législatifs, et, fait peut-être aussi important, prévoit expressément le droit du Canada « de prendre » (dans la version anglaise « to assume ») des terres provinciales pour des fins de défense.

[11]      Les arguments des demandeurs relativement au mécanisme d’expropriation ont peut-être plus de poids que ceux qui concernent le pouvoir d’expropriation. On ne sait pas si les dispositions de la Loi sur l’expropriation prévoient l’expropriation des terres appartenant à Sa Majesté du chef d’une province ou si elles ne prévoient qu’un simple avis donné au procureur général de la province tout en demeurant silencieuses relativement à ce qui se produit par la suite. La question de savoir si les terres appartenant à Sa Majesté du chef d’une province sont visées par les dispositions en matière d’expropriation qui portent sur les bien-fonds possédés par des « personnes » est une question connexe, dont la réponse n’est pas claire non plus. J’estime que les demandeurs ont démontré qu’il existe une cause défendable et une question sérieuse à trancher.

[12]      Les demandeurs ne peuvent toutefois pas démontrer qu’ils subiront un préjudice irréparable si les injonctions provisoires ne sont pas accordées ni que la prépondérance des inconvénients favorise la délivrance de ces injonctions. L’avocat des demandeurs a prétendu qu’une contravention à un impératif constitutionnel causait toujours un préjudice irréparable. Mais les demandeurs ont institué la présente instance pour démontrer que l’expropriation éventuelle constituait une telle contravention. Par conséquent, l’affirmation qu’il y a préjudice irréparable est fondée sur une conclusion de droit qui n’est pas encore prouvée. En outre, ce ne sont pas toutes les contraventions aux règles constitutionnelles qui résultent en un préjudice irréparable.

[13]      L’avocat des demandeurs prétend qu’il n’est pas opportun d’appliquer le critère de droit privé du préjudice irréparable en matière constitutionnelle, car ce genre de préjudice ne peut pas faire l’objet de dommages-intérêts. Il soutient qu’il faut plutôt examiner le troisième élément, soit la prépondérance des inconvénients, ainsi que les intérêts publics opposés. L’arrêt RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, constitue naturellement l’arrêt de principe en la matière. À la page 341, le juge Cory, qui parlait des affaires liées à la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], et non pas des affaires liées au partage des compétences, a énoncé très clairement que l’évaluation du préjudice irréparable est plus difficile dans de telles affaires que dans les affaires de droit privé. Il affirme aussi, cependant, que :

À la présente étape, la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l’issue de la demande interlocutoire. [Non souligné dans l’original.]

[14]      Il n’en demeure pas moins que les demandeurs ne sont pas capables de prouver l’existence d’effets défavorables à leurs propres intérêts si l’injonction n’est pas accordée. Si l’expropriation a lieu et qu’elle est jugée inconstitutionnelle ou invalide par suite d’un procès relatif à ces questions, elle sera annulée. Il faut également souligner que la province de la Colombie-Britannique n’est pas demanderesse en l’instance, alors que c’est sa propriété qui est expropriée.

[15]      J’aborde maintenant la prépondérance des inconvénients. La zone sous-marine située près de Nanoose Bay est utilisée conjointement par le Canada et les États-Unis pour l’essai de torpilles depuis 1965. L’utilisation par les États-Unis a commencé aux termes d’une convention internationale constatée par les notes diplomatiques du 12 mai 1965 [Échange de notes (le 12 mai 1965) entre le gouvernement canadien et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant l’établissement, l’utilisation et l’entretien d’une zone d’essai de torpilles dans le détroit de Georgie, 12 mai 1965, [1965] R.T. Can. no 6]. Cette convention a été renouvelée en 1976 [Échange de notes entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique stipulant l’exploitation permanente de la zone d’essai de torpilles dans le détroit de Georgie et l’établissement et l’exploitation d’un système avancé de mesure acoustique sous-marine dans l’anse Jervis, 14 avril 1976, [1976] R.T. Can. no 18] pour une deuxième période de dix ans, et il en a été de même en 1986 [Échange de notes constituant un accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique, prorogeant l’accord du 14 avril 1976, stipulant l’exploitation et l’entretien permanents de la zone d’essai de torpilles dans le détroit de Georgie, 17 juin 1986, [1986] R.T. Can. no 40].

[16]      En 1984, la Cour suprême du Canada a conclu que le fond marin du détroit de Georgie appartenait à la province de la Colombie-Britannique, et non pas au Canada. Le fond marin appartenait à la colonie unie de la Colombie-Britannique au moment de la confédération (Renvoi relatif à la propriété du lit du détroit de Géorgie et des régions avoisinantes, [1984] 1 R.C.S. 388). À la suite de l’arrêt de la Cour suprême, la Colombie-Britannique (Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie-Britannique) et le Canada (Sa Majesté la Reine du chef du Canada) ont signé, le 5 septembre 1989, une convention en vertu de laquelle la première a conféré à ce dernier un permis d’utilisation de la propriété en question pour dix ans. Le 22 août 1997, la Colombie-Britannique a donné avis de son intention de résilier avant son échéance le permis d’utilisation de dix ans. Les dispositions du permis permettent la résiliation sur préavis de 90 jours dans certains cas. Le gouvernement fédéral a institué une action devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique (Canada (Attorney General) v. British Columbia, [1999] B.C.J. no 246 (C.S.) (QL)) en vue d’obtenir un jugement déclarant que l’avis de résiliation était invalide et que des dommages-intérêts devaient être accordés. L’avis de résiliation avait été émis parce que la province était irritée par le défaut des États-Unis de se conformer au Traité concernant le saumon du Pacifique [Traité entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant le saumon du Pacifique, 28 janvier 1985, [1985] R.T. Can. no 7] et qu’elle s’est livrée à des représailles. Le litige a été abandonné.

[17]      Le permis d’utilisation du 5 septembre 1989 arrive à échéance dans quelques jours, soit le 5 septembre 1999. Des négociations entre les gouvernements provincial et fédéral en vue du renouvellement de ce permis ont eu lieu en avril et en mai dernier. Les négociations ont échoué en raison du refus de la province de laisser entrer dans ses eaux des sous- marins à propulsion nucléaire. L’échec des négociations a mené à la délivrance, par le ministre des Travaux publics, de l’avis d’intention d’exproprier qui fait l’objet de la présente demande.

[18]      L’utilisation conjointe du champs sous-marin de tir de torpilles situé près de Nanoose Bay par le Canada et les États-Unis a lieu depuis plusieurs années, comme on l’a souligné. Dans le cadre de cette utilisation conjointe, le Canada fournit des installations évaluées à 47 000 000 $ tandis que les États-Unis fournissent de l’équipement technique valant environ 190 000 000 $. Une partie de l’équipement est installée sous l’eau. Le commandant Gordon Buckingham, commandant de l’unité des Forces canadiennes participant à l’utilisation des installations, affirme que la zone sous-marine en question est unique et particulièrement propice à l’essai de torpilles. Il déclare que plusieurs types de torpilles dont disposent les forces navales canadiennes et américaines ont été testées, que plus de 300 torpilles et engins de même nature ont été testés en 1996, qu’aucune arme nucléaire n’est testée à cet endroit, que le Canada utilise la zone environ 20 % du temps et que la marine américaine l’utilise environ 80 % du temps, qu’une évaluation environnementale effectuée en 1996 n’a remarqué aucun effet environnemental mesurable causé par les opérations dans la zone, que l’installation d’essais constitue une partie cruciale du système de défense du Canada et que son exploitation continue est fondamentale pour la coopération militaire canado-américaine.

[19]      Si l’expropriation n’a pas lieu, le permis d’utilisation de la propriété qui avait été accordé par la Colombie-Britannique ayant expiré, le gouvernement fédéral n’aura pas le droit de continuer à utiliser la propriété ni de permettre à la marine américaine de le faire. À la suite de la présente requête le lundi 30 août 1999, les demandeurs ont reçu de la part de la province, le 31 août, un engagement auprès de la Cour que la province n’empêcherait pas la poursuite des opérations du champs de tir de torpilles avant que la Cour ne tranche la demande, pourvu que l’action se déroule sans retard. L’avocat du ministre des Travaux publics prétend que, bien que cela atténue le préjudice potentiel d’une fermeture éventuelle de l’installation, l’exécution de l’engagement dépend de la province, alors que celle-ci n’est même pas partie au litige.

[20]      L’avocat souligne également que, si une injonction provisoire est accordée, les procédures d’expropriation actuelles seront réputées abandonnées en vertu du paragraphe 11(2) de la Loi sur l’expropriation et qu’une telle conséquence aurait pour effet d’annuler tout le travail qui a été fait depuis la délivrance de l’avis d’intention d’exproprier en mai dernier, y compris les quatre semaines d’audiences publiques et le rapport subséquent qui a été préparé par M. Goldie. Si une injonction provisoire est accordée et que la demande n’est pas accueillie, cette dépense de fonds publics devra être faite une seconde fois. Par contre, le refus d’accorder l’injonction n’entraînerait aucun coût.

[21]      Je conclus que, vu l’engagement reçu de la province, les inconvénients sont assez bien partagés. Je reconnais la validité de l’argument qu’ils favorisent légèrement les défendeurs en raison de la possibilité de gaspillage de dépenses dans le cas où les procédures d’expropriation doivent être entreprises une deuxième fois.

[22]      Les demandeurs ont naturellement le fardeau de prouver qu’une injonction provisoire devrait être délivrée. Bien que le facteur de la prépondérance des inconvénients n’ait pratiquement aucune incidence, il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas été démontré qu’un préjudice serait probablement causé aux demandeurs ou à l’intérêt public si on permettait que l’expropriation ait lieu. Le but de cette dernière est de maintenir le statu quo, de permettre la poursuite de l’exploitation d’une installation militaire utilisée depuis plusieurs années. Si les demandeurs ont gain de cause en bout de ligne, l’expropriation sera annulée. En conséquence, je dois conclure que les demandeurs n’ont pas démontré la nécessité d’une injonction provisoire. Ils n’ont pas prouvé que les exigences liées à la délivrance d’une injonction provisoire étaient respectées.

[23]      Les défendeurs prétendent que les demandeurs n’ont pas la qualité pour instituer la présente demande. Les exigences relatives à la qualité pour agir dans l’intérêt public sont énoncées dans les arrêts Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607, et Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236. La qualité pour agir dans l’intérêt public est accordée lorsqu’une partie peut démontrer que : 1) l’action soulève une question de droit sérieuse; 2) elle a un intérêt véritable quant à la résolution de la question; 3) il n’y a pas d’autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour.

[24]      Dans les arrêts Conseil canadien des Églises (précité) et Corp. of the Canadian Civil Liberties Assn. v. Canada (Attorney General) (1998), 40 O.R. (3d) 489 (C.A.), les cours ont conclu que, lorsqu’il y a plusieurs particuliers qui sont directement touchés par les dispositions législatives pertinentes et qui peuvent s’adresser aux tribunaux pour les contester (dans le premier cas, ceux qui étaient touchés par le processus de détermination du statut de réfugié; dans le deuxième cas, ceux qui faisaient l’objet d’une surveillance envahissante par le Service canadien du renseignement de sécurité), la qualité pour agir n’est pas accordée à un groupe de défense de l’intérêt public. L’avocat prétend qu’en l’espèce, la province de la Colombie-Britannique peut s’adresser aux tribunaux, de sorte qu’il existe une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour, autrement qu’en accordant la qualité pour agir aux demandeurs.

[25]      Dans l’arrêt Conseil canadien des Églises, le juge Cory a énoncé le principe de la façon suivante (aux pages 252 et 253) :

La reconnaissance de la qualité pour agir a pour objet d’empêcher que la loi ou les actes publics soient à l’abri des contestations. Il n’est pas nécessaire de reconnaître qualité pour agir dans l’intérêt public lorsque, selon une prépondérance des probabilités, on peut établir qu’un particulier contestera la mesure. Il n’est pas nécessaire d’élargir les principes régissant la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public établis par notre Cour. La décision d’accorder la qualité pour agir relève d’un pouvoir discrétionnaire avec tout ce que cette désignation implique. Les demandes sans mérite peuvent donc être rejetées. Néanmoins, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, il faut interpréter les principes applicables d’une façon libérale et souple.

[26]      Le fondement de la décision d’accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public, comme le juge Cory l’indique, est d’empêcher que la loi et les actes publics soient à l’abri de toute contestation. Les demandeurs en l’espèce résident en Colombie- Britannique. La propriété du bien-fonds par la province n’est pas comparable à celle d’un particulier. La province possède le bien-fonds pour le bénéfice de tous les résidents. Il ne s’agit pas d’une situation où d’autres particuliers peuvent s’adresser aux tribunaux pour faire trancher la question ou fournir des faits plus exhaustifs pour les fins du litige que les parties en l’espèce. L’application de l’avertissement du juge Cory, selon lequel les principes relatifs à la qualité pour agir doivent être interprétés d’une façon libérale et souple, m’amène à conclure que les demandeurs ont la qualité pour agir dans le cadre du présent litige.

[27]      La présente demande souffre cependant de certaines lacunes. Comme je l’ai mentionné précédemment, on ne peut déposer une demande de contrôle judiciaire que contre une seule décision d’un office fédéral (celui-ci étant défini de façon large). Dans la demande, il faut identifier la décision visée en indiquant sa date ainsi que l’entité ou la personne qui l’a prise. En l’espèce, la demande est quelque peu déroutante, mais je l’interprète comme visant principalement le contrôle de la décision du ministre des Travaux publics d’émettre l’avis d’intention d’exproprier, laquelle a été prise le 14 mai 1999. Toute demande de contrôle judiciaire doit être déposée dans un délai de 30 jours de la communication de la décision aux parties intéressées (paragraphe 18.1(2) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale). La présente demande n’a été déposée que le 16 août 1999, soit trois mois plus tard.

[28]      L’avocat des demandeurs prétend qu’étant donné que, dans la présente affaire, on cherche à obtenir un jugement déclaratoire relativement à la validité d’un régime législatif, il n’est pas nécessaire d’indiquer la décision particulière visée par la demande. Si je comprends bien son argument, c’est le processus continu établi par la Loi sur l’expropriation qui est contesté. Il déclare que cette démarche a été acceptée par la Cour dans l’affaire Mahmood c. Canada et al. (1998), 154 F.T.R. 102 (C.F. 1re inst.).

[29]      Bien que j’aie examiné au fond la requête pour injonctions provisoires, je veux établir clairement que cela ne signifie pas que je me suis prononcée sur le bien-fondé de l’argumentation de l’avocat relativement à la validité de la demande du 16 août. D’ailleurs, il y a du vrai dans l’argument des défendeurs que, si on voulait demander le contrôle judiciaire de la décision d’entreprendre les procédures d’expropriation, on aurait dû le faire bien avant. Il paraît également y avoir du vrai dans l’argument que la procédure appropriée que devraient suivre les demandeurs serait de déposer une demande contre la décision d’exproprier elle-même et, lorsque cela serait fait, d’abandonner la présente demande. De toute manière, je répète que la présente décision ne doit pas être interprétée comme signifiant que la demande du 16 août constitue une demande de contrôle judiciaire en bonne et due forme. Cette question n’a pas été examinée.

[30]      Pour les présents motifs, la requête visant la délivrance des trois injonctions provisoires est rejetée.

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