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[2000] 1 C.F. 455

A-175-99

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant) (défendeur)

c.

Arshad Mahmood Chaudhry (intimé) (demandeur)

Répertorié : Chaudhry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Linden, Rothstein et McDonald, J.C.A.—Toronto, 7 septembre 1999.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Renvoi de visiteurs L’intimé a été incarcéré à la suite d’une condamnation au criminelIl a été frappé d’une mesure d’expulsionLe ministre a lancé un mandat d’arrestation contre l’intimé conformément à l’art. 103(1) de la Loi sur l’immigration parce qu’il craignait que, s’il ne le faisait pas, l’intimé ne comparaisse pas en vue de son renvoiConformément à l’art. 105(1), on a ordonné la prolongation de sa détention jusqu’à l’expiration de sa peineLa CNLC a refusé d’examiner son cas aux fins de la libération conditionnelle parce qu’il était détenu conformément à un ordre prévu à l’art. 105(1)La CISR a refusé d’ordonner un examen des motifs de sa garde conformément à l’art. 103(6)L’ordre prévu à l’art. 105(1) est l’ordre qui a pour effet de prolonger la détentionSi une personne est détenue parce qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle constitue une menace pour la sécurité publique ou qu’elle ne comparaîtra pas en vue de son renvoi (art. 103), elle n’est pas détenue en raison d’une condamnation au criminelL’art. 103(6), qui prévoit un examen périodique des motifs de la garde, s’applique.

Libération conditionnelle Si la CNLC accordait la semi-liberté à une personne qui fait l’objet d’un ordre prévu à l’art. 105, enjoignant au gardien, au directeur ou au responsable de l’établissement où elle est détenue de prolonger sa détention jusqu’à l’expiration de sa peine ou de la durée de sa détention, compte tenu des éventuelles réductions légales de peine, et, par la suite, de la remettre à un agent d’immigration, cet ordre deviendrait applicable et aurait pour effet de prolonger sa gardeLes motifs de la détention pourraient alors être examinés conformément à l’art. 103(6) de la Loi sur l’immigrationSi la CNLC ordonnait la prolongation de la garde, mais que cet ordre n’était pas fondé sur l’art. 105(1), les motifs de la garde pourraient être examinés de la même manière que celle qui est applicable aux personnes qui ne font pas l’objet de mesures judiciaires fondées sur la Loi sur l’immigration.

Appel quant à une question certifiée. L’intimé, un citoyen du Pakistan qui est resté au Canada après l’expiration de son statut de visiteur, a été incarcéré à la suite d’une condamnation au criminel. On a ordonné son expulsion et, en 1995, le ministre a lancé un mandat d’arrestation contre lui conformément au paragraphe 103(1) de la Loi sur l’immigration, parce qu’il craignait que, s’il ne le faisait pas, l’intimé ne comparaisse pas en vue de son renvoi. Le 28 juillet 1997, conformément au paragraphe 105(1), on a ordonné au gardien, au directeur ou au responsable de l’établissement où l’intimé était détenu de continuer à le détenir jusqu’à l’expiration de sa peine. Lorsque l’intimé est devenu admissible à la semi-liberté, il a été avisé que la Commission n’examinerait pas aux fins de la semi-liberté le dossier des délinquants faisant l’objet d’un ordre de détention prévu à l’article 105 qui a été prononcé le ou après le 10 juillet 1995. La section d’arbitrage de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé d’ordonner un examen des motifs de la garde conformément au paragraphe 103(6). L’appelant reconnaît que si une personne est détenue conformément au paragraphe 105(1), le paragraphe 103(6) exige que les motifs de sa garde soient examinés à tous les 30 jours. La question litigieuse est de savoir si l’intimé était détenu conformément au paragraphe 105(1).

Arrêt : la question suivante devrait recevoir une réponse positive : "Un non-citoyen, incarcéré à la suite d’une condamnation au criminel, qui est visé par l’ordre prévu au paragraphe 105(1) de la Loi sur l’immigration et dont le cas est considéré ne pas pouvoir être examiné par une commission des libérations conditionnelles aux fins de la semi-liberté ou d’une sortie sans surveillance est-il gardé aux fins du renvoi conformément à la Loi sur l’immigration de sorte qu’il a droit à un examen des motifs de prolongation de la garde en vertu du paragraphe 103(6) de la Loi?", et l’appel devrait être rejeté.

Lorsque le cas de l’intimé a pu être examiné aux fins de la semi-liberté et que la Commission nationale des libérations conditionnelles a refusé d’effectuer cet examen en raison du prononcé de l’ordre prévu au paragraphe 105(1), l’intimé était détenu conformément au paragraphe 105(1). Comme la Commission a refusé d’examiner le dossier de l’intimé en vue de la semi-liberté uniquement en raison de l’ordre prévu au paragraphe 105(1), c’est cet ordre qui doit être considéré comme l’ordre qui a pour effet de prolonger la détention de l’intimé.

Si une personne est détenue conformément à la Loi sur l’immigration parce qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle constitue une menace pour la sécurité publique ou qu’elle ne comparaîtra pas en vue de son renvoi, elle n’est pas détenue en raison d’une condamnation au criminel. La justice fondamentale exige que les motifs de sa garde soient examinés périodiquement et c’est le paragraphe 103(6) qui prévoit cet examen lorsque la prolongation de sa garde est fondée sur le paragraphe 105(1).

On n’a pas décidé si un ordre prévu au paragraphe 105(1) empêche nécessairement une personne de faire examiner son cas par la Commission nationale des libérations conditionnelles aux fins de la semi-liberté. Mais, si la Commission nationale des libérations conditionnelles accordait la semi-liberté à une personne faisant l’objet d’un ordre prévu au paragraphe 105(1), cet ordre deviendrait alors applicable et aurait pour effet de prolonger sa garde et les motifs de celle-ci pourraient être examinés conformément au paragraphe 103(6). Si l’intéressé faisait l’objet d’un ordre de garde de la Commission nationale des libérations conditionnelles, non fondé sur le paragraphe 105(1), la Commission nationale des libérations conditionnelles pourrait examiner les motifs de sa garde de la manière habituelle applicable aux personnes qui ne font pas l’objet de mesures judiciaires fondées sur la Loi sur l’immigration.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 83(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73), 103(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 19), (6) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 94; 1995, ch. 15, art. 19), 105(1) (mod., idem, art. 20).

JURISPRUDENCE

DÉCISION CITÉE :

Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; (1989), 57 D.L.R. (4th) 231; [1989] 3 W.W.R. 97; 75 Sask. R. 82; 47 C.C.C. (3d) 1; 33 C.P.C. (2d) 105; 38 C.R.R. 232; 92 N.R. 110.

APPEL quant à une question certifiée par la Section de première instance (Chaudhry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 3 C.F. 3) : [u]n non-citoyen, incarcéré à la suite d’une condamnation au criminel, qui est visé par l’ordre prévu au paragraphe 105(1) de la Loi sur l’immigration et dont le cas ne peut donc pas être examiné par une commission des libérations conditionnelles aux fins de la semi-liberté ou d’une sortie sans surveillance est-il gardé aux fins du renvoi conformément à la Loi sur l’immigration de sorte qu’il a droit à un examen des motifs de prolongation de la garde en vertu du paragraphe 103(6) de la Loi? La question a reçu une réponse positive, et l’appel a été rejeté.

ONT COMPARU :

Joel Katz pour l’appelant (défendeur).

David Matas pour l’intimé (demandeur).

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant (défendeur).

David Matas, Winnipeg, pour l’intimé (demandeur).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour rendus par

[1]        Le juge Rothstein, J.C.A. : Il s’agit d’un appel fondé sur le paragraphe 83(1) de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73)] qu’a interjeté le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration relativement à trois questions certifiées par le juge Evans [[1999] 3 C.F. 3. La première question se lit comme suit [à la page 26] :

1.   Un non-citoyen, incarcéré à la suite d’une condamnation au criminel, qui est visé par l’ordre prévu au paragraphe 105(1) de la Loi sur l’immigration et dont le cas ne peut donc pas être examiné par une commission des libérations conditionnelles aux fins de la semi-liberté ou d’une sortie sans surveillance est-il gardé aux fins du renvoi conformément à la Loi sur l’immigration de sorte qu’il a droit à un examen des motifs de prolongation de la garde en vertu du paragraphe 103(6) de la Loi?

Le juge Evans a répondu à cette question par l’affirmative.

[2]        Les faits peuvent être exposés brièvement. L’intimé est un citoyen du Pakistan qui est resté au Canada après l’expiration de son statut de visiteur. Il a été incarcéré au pénitencier de Stony Mountain au Manitoba après avoir été déclaré coupable, en octobre 1994, relativement à deux chefs de trafic de stupéfiants et condamné à 14 ans d’emprisonnement. Le 29 mars 1995, le ministre a ordonné l’expulsion de l’intimé. Le 19 avril 1995, le ministre a lancé un mandat d’arrestation contre l’intimé conformément au paragraphe 103(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 19] de la Loi sur l’immigration[1], vraisemblablement parce qu’il craignait que, s’il ne le faisait pas, l’intimé ne comparaisse pas en vue de son renvoi.

[3]        Le 28 juillet 1997, conformément au paragraphe 105(1) [mod., idem, art. 20][2], on a ordonné au gardien, au directeur ou au responsable de l’établissement où l’intimé était détenu de continuer à le détenir jusqu’à l’expiration de sa peine.

[4]        Il paraît qu’à un moment donné, l’intimé est devenu admissible à la semi-liberté. Toutefois, la Commission nationale des libérations conditionnelles l’a avisé qu’elle n’examinerait pas aux fins de la semi-liberté le dossier des délinquants faisant l’objet d’un ordre de détention prévu à l’article 105 de la Loi sur l’immigration qui a été prononcé le ou après le 10 juillet 1995. Dans une ordonnance en date du 14 juillet 1998, la section d’arbitrage de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé d’ordonner un examen des motifs de la garde conformément au paragraphe 103(6) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 94; 1995, ch. 15, art. 19] de la Loi sur l’immigration[3].

[5]        Le ministre reconnaît que si une personne est détenue conformément au paragraphe 105(1) de la Loi sur l’immigration, le paragraphe 103(6) exige que les motifs de sa garde soient examinés au moins à tous les 30 jours. La seule question litigieuse en l’espèce est de savoir si l’intimé était détenu conformément au paragraphe 105(1).

[6]        Selon ce qu’affirme le ministre, comme la Commission nationale des libérations conditionnelles n’a jamais ordonné la semi-liberté de l’intimé, ce dernier n’a jamais été détenu conformément au paragraphe 105(1). Autrement dit, il a continué à être détenu conformément à sa peine et au refus de la Commission nationale des libérations conditionnelles de lui accorder la semi-liberté, et non en raison d’un ordre de prolongation de sa détention prévu au paragraphe 105(1) de la Loi sur l’immigration.

[7]        Tout comme le juge Evans, nous croyons que, en réalité, lorsque le cas de l’intimé a pu être examiné par la Commission nationale des libérations conditionnelles aux fins de la semi-liberté et que la Commission a refusé d’effectuer cet examen en raison du prononcé de l’ordre prévu au paragraphe 105(1), l’intimé était détenu conformément au paragraphe 105(1). En concluant ainsi, nous ne disons pas que la Commission nationale des libérations conditionnelles aurait nécessairement accordé à l’intimé la semi-liberté. Cependant, si la Commission a refusé d’examiner le dossier de l’intimé en vue de la semi-liberté uniquement en raison de l’ordre prévu au paragraphe 105(1), c’est cet ordre qui doit être considéré comme l’ordre qui a pour effet de prolonger la détention de l’intimé.

[8]        Devant la Section de première instance, le ministre a prétendu qu’il n’y avait pas d’examen aux termes du paragraphe 103(6) quand la détention était prolongée conformément à un ordre prévu au paragraphe 105(1). Le ministre n’a pas invoqué cet argument dans le cadre du présent appel et, en fait, il ne le pouvait pas. Si une personne est détenue conformément à la Loi sur l’immigration parce qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle constitue une menace pour la sécurité publique ou qu’elle ne comparaîtra pas en vue de son renvoi, elle n’est pas détenue en raison d’une condamnation au criminel. La justice fondamentale exige que les motifs de sa garde soient examinés périodiquement et c’est le paragraphe 103(6) de la Loi sur l’immigration qui prévoit cet examen lorsque la prolongation de sa garde est fondée sur le paragraphe 105(1).

[9]        Nous sommes d’accord avec le juge Evans et nous sommes donc d’avis de répondre à la première question par l’affirmative.

[10]      Toutefois, nous faisons remarquer que, de la façon dont elle est formulée, la question suppose que, lorsqu’une personne fait l’objet d’un ordre prévu au paragraphe 105(1), son cas ne peut certainement pas être examiné par une commission des libérations conditionnelles aux fins de la semi-liberté. Cette question n’a pas été débattue devant nous et, en fait, la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles de ne pas examiner le cas de l’intimé aux fins de la semi-liberté n’a pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire. En conséquence, nous ne déciderons pas si un ordre prévu au paragraphe 105(1) empêche nécessairement une personne de faire examiner son cas par la Commission nationale des libérations conditionnelles aux fins de la semi-liberté. Cependant, nous notons que si la Commission nationale des libérations conditionnelles accordait la semi-liberté à une personne faisant l’objet d’un ordre prévu au paragraphe 105(1), cet ordre deviendrait alors applicable et aurait pour effet de prolonger sa garde et les motifs de celle-ci pourraient être examinés conformément au paragraphe 103(6). Si l’intéressé faisait l’objet d’un ordre de garde de la Commission nationale des libérations conditionnelles, et non d’un ordre de garde fondé sur le paragraphe 105(1) de la Loi sur l’immigration, la Commission nationale des libérations conditionnelles pourrait examiner les motifs de sa garde de la manière habituelle applicable aux personnes qui ne font pas l’objet de mesures judiciaires fondées sur la Loi sur l’immigration.

[11]      Pour ces motifs, nous reformulons comme suit la question à laquelle nous répondons par l’affirmative :

Un non-citoyen, incarcéré à la suite d’une condamnation au criminel, qui est visé par l’ordre prévu au paragraphe 105(1) de la Loi sur l’immigration et dont le cas est considéré ne pas pouvoir être examiné par une commission des libérations conditionnelles aux fins de la semi-liberté ou d’une sortie sans surveillance est-il gardé aux fins du renvoi conformément à la Loi sur l’immigration de sorte qu’il a droit à un examen des motifs de prolongation de la garde en vertu du paragraphe 103(6) de la Loi?

[12]      Les avocats ont avisé la Cour que l’intimé a été expulsé. Même si la présente affaire était sans objet, la question en l’espèce pourrait être soulevée ultérieurement et nous avons donc exercé notre pouvoir discrétionnaire d’entendre la première question certifiée et de statuer sur celle-ci. Voir Borowski c. Canada (Procureur général)[4].

[13]      Les questions 2 et 3, qui ont été certifiées par le juge de première instance, étaient subordonnées à une réponse négative à la question 1. Comme la question 1 a reçu une réponse positive, il n’est pas nécessaire de traiter des questions 2 et 3.

[14]      L’appel sera rejeté avec dépens.



[1] 103. (1) Le sous-ministre ou l’agent principal peut lancer un mandat d’arrestation contre toute personne qui doit faire l’objet d’un interrogatoire, d’une enquête ou d’une décision de l’agent principal aux termes du paragraphe 27(4), ou qui est frappée par une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, lorsqu’il croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle constitue une menace pour la sécurité publique ou qu’elle ne comparaîtra pas, ou n’obtempérera pas à la mesure de renvoi.

[2] 105. (1) Par dérogation à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et à la Loi sur les prisons et maisons de correction et à toute loi provinciale, si le mandat ou l’ordre prévus aux paragraphes 103(1) ou (3) visent une personne incarcérée dans un lieu de détention en application de l’ordonnance d’un tribunal ou d’un autre organisme, le sous-ministre peut ordonner au gardien, directeur ou responsable de ce lieu :

a) d’une part, de continuer à la détenir jusqu’à l’expiration de sa peine ou de la durée de sa détention, compte tenu des éventuelles réductions légales de peine ou des mesures de clémence;

b) d’autre part, de la remettre par la suite à un agent d’immigration en vue de son placement sous garde.

[3] 103. […]

(6) Si l’interrogatoire, l’enquête ou le renvoi aux fins desquels il est gardé n’ont pas lieu dans les quarante-huit heures, ou si la décision n’est pas prise aux termes du paragraphe 27(4) dans ce délai, l’intéressé est amené, dès l’expiration de ce délai, devant un arbitre pour examen des motifs qui pourraient justifier une prolongation de sa garde; par la suite, il comparaît devant un arbitre aux mêmes fins au moins une fois :

a) dans la période de sept jours qui suit l’expiration de ce délai;

b) tous les trente jours après l’examen effectué pendant cette période.

[4] [1989] 1 R.C.S. 342.

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