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[2000] 2 C.F. 81

A-599-98

Sa Majesté la Reine (demanderesse)

c.

Patricia Corbett (défenderesse)

Répertorié : Canada c. Corbett (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac et juges Létourneau et Rothstein, J.C.A., St. John’s (Terre-Neuve), 7 juillet; Ottawa, 31 août 1999.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la C.C.I. a accueilli l’appel d’une nouvelle cotisation refusant la déduction de cotisations à un régime de pensionLa contribuable était membre d’un régime de pension régi par la loi de Terre-Neuve intitulée Public Service (Pensions) Act (la Loi de 1970)Elle a exercé en 1989, le droit d’acheter des années de services devant être reconnues comme ouvrant droit à pension, en vertu de l’art. 32Elle a conclu un contrat prévoyant le paiement des années de service par voie de retenues à la source étalées sur sept ansAbrogation de la Loi de 1970 en 1991La nouvelle loi (la Loi de 1991) ne prévoyait pas expressément l’achat d’années de serviceL’art. 4 de la Loi de 1991 maintenait le régime établi en vertu de la Loi de 1970, sous réserve de la Loi de 1991 et de ses règlements d’applicationL’art. 39 protégeait expressément « tous les avantages » acquis sous le régime de la Loi de 1970Le ministre a statué que les déductions n’avaient pas été versées « conformément au régime tel qu’il est agréé » comme l’exige l’art. 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenuDemande rejetéeL’absence d’ une disposition équivalente à l’art. 32 dans la Loi de 1991 n’a pas l’effet rétroactif d’abroger les contrats d’achat d’années de service conclus avant que la Loi de 1991 entre en vigueurL’art. 4 maintient les droits et les avantages acquis en vertu de la Loi de 1970Il n’est porté atteinte aux droits et avantages acquis en vertu du régime de 1970 que dans la mesure où la Loi de 1991 le prévoit expressémentAucune disposition de la Loi de 1991 ne porte atteinte aux contrats d’achat d’années de service conclus en vertu de l’art. 32 de la Loi de 1970L’art. 39 de la Loi de 1991 appuie cette conclusionL’expression « tous les avantages » a un sens assez large pour englober les droits d’origine contractuelle acquis par la contribuable en vertu de son contrat d’achat d’années de service.

Interprétation des lois L’art. 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu permet la déduction des cotisations à un régime de pension dans la mesure où elles sont versées conformément au régime tel qu’il est agrééLa contribuable était membre d’un régime de pension régi, avant 1991, par la loi de Terre-Neuve intitulée Public Service (Pensions) Act (la Loi de 1970)Elle a exercé, en 1989, le droit d’acheter sept années de service ouvrant droit à pension en vertu de l’art. 32 de cette LoiAbrogation de la Loi de 1970 en 1991La nouvelle loi (la Loi de 1991) ne permettait pas expressément l’achat d’années de service devant être reconnues comme ouvrant droit à pension, mais l’art. 4 maintenait le régime de pension établi par la Loi de 1970, sous réserve de la Loi de 1991 et de ses règlements d’application; l’art. 39 protégeait expressément « tous les avantages » acquis sous le régime de la Loi de 1970Le ministre a refusé les déductions parce que les cotisations n’avaient pas été versées « conformément au régime tel qu’il a été agréé » — Appel accueilli par la C.C.I.Demande de contrôle judiciaire rejetéeL’absence d’une disposition équivalente à l’art. 32 dans la Loi de 1991 n’a pas l’effet rétroactif d’abroger les contrats d’achat d’années de service conclus avant que la Loi de 1991 entre en vigueurLes art. 4 et 39 de la Loi de 1991 maintiennent expressément le régime de pension établi en vertu de la Loi de 1970 et protègent les avantages acquis en vertu de ce régimeCette interprétation est appuyée par l’art. 29 de la loi de Terre-Neuve intitulée Interpretation Act qui prévoit que l’abrogation d’une loi ne porte pas atteinte à l’application antérieure d’une loi ni aux droits acquis sous le régime de la loi abrogéeElle est aussi appuyée par la présomption en matière d’interprétation des lois selon laquelle le législateur n’a pas l’intention d’abolir, de limiter ni d’entraver autrement les droits du sujet à moins de le faire de façon expresse.

Pensions Déductibilité des cotisations en vertu de l’art. 147.2(4)a) qui permet la déduction des cotisations versées conformément au régime tel qu’agrééLa contribuable était membre d’un régime de pension régi jusqu’en 1991 par la loi de Terre-Neuve intitulée Public Service (Pensions) Act (la Loi de 1970), permettant expressément l’achat d’années de service devant être reconnues comme ouvrant droit à pension pour reconnaître que les femmes s’absentent souvent du marché du travail quelques années pour donner naissance à leurs enfants et les éleverElle a exercé, en 1989, le droit d’acheter sept années de servicePaiements étalés sur sept ansAbrogation en 1991 de la Loi de 1970La nouvelle loi ne permettait plus expressément l’achat d’années de service, mais maintenait le régime de 1970 à titre de régime de pension et protégeait tous les avantages acquis en vertu de la Loi de 1970Le ministre a statué que les cotisations de 1994 et 1995 n’avaient pas été versées conformément au régime tel qu’agrééAppel accueilli par la C.C.I.Demande de contrôle judiciaire rejetéeQuel est le régime tel qu’il est agréé?Défini par la Loi de 1991Selon l’art. 29 de la loi de Terre-Neuve intitulée Interpretation Act (selon lequel l’abrogation de la loi ne porte pas atteinte aux droits acquis sous le régime de la loi abrogée), interprété conjointement avec les art. 4 et 39, l’abrogation de la Loi de 1970 et l’adoption subséquente de la Loi de 1991 ne portent pas atteinte aux droits acquis par la contribuable au moyen de son contrat d’achat d’années de serviceConclusion appuyée par la présomption selon laquelle le législateur n’a pas l’intention de porter atteinte aux droits du sujet à moins de le faire expressémentCotisations conformes à l’art. 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Cour de l’impôt a accueilli l’appel interjeté par la contribuable à l’encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre, qui a refusé que soient déduites, pour les années d’imposition 1994 et 1995, les cotisations à un régime de pension agréé, versées en vertu d’un contrat, relativement à l’achat d’années de service. Le ministre a statué que les déductions ne satisfaisaient pas aux conditions fixées par l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui permet la déduction des cotisations à un régime de pension agréé dans la mesure où elles sont versées conformément au régime tel qu’il est agréé. La contribuable était membre d’un régime de pension régi, avant 1991, par la loi de Terre-Neuve intitulée Public Service (Pensions) Act (la Loi de 1970). En 1989, elle s’est prévalue de l’article 32 de cette Loi pour acheter sept années de service supplémentaires qui devaient être reconnues comme ouvrant droit à pension en vertu de son régime de pension. Cette possibilité était offerte pour reconnaître que les femmes pouvaient s’absenter du marché du travail quelques années pour donner naissance à leurs enfants et les élever. La contribuable a conclu un contrat d’achat d’années de service avec son employeur, le gouvernement de Terre-Neuve, et choisi de payer ces années de service par voie de retenues à la source étalées sur environ sept ans. La loi de 1970 a été abrogée en 1991 et remplacée par la loi intitulée Public Service Pensions Act, 1991 (la Loi de 1991), qui ne prévoyait pas expressément l’achat d’années de service devant être reconnues comme ouvrant droit à pension. L’article 4 de la Loi de 1991 maintenait le régime de pension établi en vertu de la Loi de 1970 à titre de régime de pension régi par la Loi de 1991, sous réserve de la Loi de 1991 et de ses règlements d’application. L’article 39 protégeait expressément « tous les avantages » acquis sous le régime de la Loi de 1970 avant que la Loi de 1991 entre en vigueur. La contribuable a continué à verser ses cotisations par voie de retenues à la source après 1991 et elle a déduit ces cotisations de son revenu en vertu de l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

La question à trancher était celle de savoir si les cotisations versées par la contribuable en 1994 et 1995 relativement à l’achat d’années de service ont été versées en conformité avec son régime de pension agréé comme l’exige l’alinéa 147.2(4)a).

Arrêt (le juge en chef Isaac étant dissident) : la demande est rejetée.

Le juge Rothstein, J.C.A. (le juge Létourneau J.C.A., souscrit à son opinion) : le régime tel qu’il a été agréé en 1994 et 1995 est défini par la Loi de 1991. L’absence dans la Loi de 1991 d’une disposition équivalente à l’article 32 de la Loi de 1970 n’a pas l’effet rétroactif d’abroger les contrats d’achat d’années de service conclus en conformité avec le régime de pension tel qu’il était agréé avant que la Loi de 1991 entre en vigueur.

L’article 4 de la Loi de 1991 vise clairement à maintenir les droits et les avantages acquis en vertu du régime tel qu’il existait en vertu de la Loi de 1970. C’est uniquement dans la mesure où la Loi de 1991 prévoit que ce qui a été acquis en vertu du régime de 1970 a été abrogé ou annulé qu’il sera porté atteinte aux droits et avantages acquis en vertu du régime de 1970. Aucune disposition de la Loi de 1991 ne vise ce résultat en ce qui concerne les contrats d’achat d’années de service conclus sous le régime de l’article 32 de la Loi de 1970. L’article 39 de la Loi de 1991 appuie cette conclusion. Selon la définition du terme « benefit », l’équivalent anglais du terme « avantage », que donne le Black’s Law Dictionary, l’expression « tous les avantages » figurant à l’article 39 a un sens assez large pour englober les droits d’origine contractuelle acquis par la défenderesse en vertu de son contrat d’achat d’années de service. Ce contrat a conféré à la contribuable le droit d’acquérir les prestations de retraite fondées sur sept années supplémentaires de service ouvrant droit à pension. Le droit d’acquérir ces prestations en continuant à verser des cotisations est protégé par l’article 39 de la Loi de 1991.

L’article 38 de la Loi de 1991 vise les employés qui ne sont pas des employés au sens de la définition énoncée dans la Loi de 1991 parce qu’ils sont les employés du syndicat et non du gouvernement proprement dit, mais qui ont été admis dans le régime de pension de 1970. L’article 38 concerne cette catégorie particulière de membres et leur permet de continuer à participer au régime de pension en vertu de la Loi de 1991. Il ne protège pas les droits acquis de ces employés parce que le lieutenant-gouverneur en conseil peut les modifier. Toutefois, les droits et prestations acquis sous le régime de la Loi de 1970 par les employés qui eux correspondent à la définition de ce terme figurant à l’article 2 de la Loi sont protégés par l’article 39.

L’article 29 de la loi de Terre-Neuve intitulée Interpretation Act prévoit que l’abrogation d’une loi n’a pas pour conséquence de porter atteinte à l’application antérieure d’une loi ni à un droit acquis sous le régime de la loi abrogée. Si l’on aborde cette disposition conjointement avec les articles 4 et 39 de la Loi de 1991, l’abrogation de la Loi de 1970 et l’adoption subséquente de la Loi de 1991 ne peuvent pas avoir porté atteinte aux droits acquis par la contribuable au moyen de son contrat d’achat d’années de service.

La présomption établie en matière d’interprétation des lois, selon laquelle le législateur n’a pas l’intention [traduction] « d’abolir, de limiter ni d’entraver autrement les droits du sujet » appuie aussi cette interprétation. Pour porter atteinte aux droits des citoyens, le législateur doit le faire expressément. La Loi de 1991 devrait être beaucoup plus explicite pour priver la contribuable des droits et prestations qu’elle a obtenus en vertu de son contrat d’achat d’années de service. L’attitude du gouvernement de Terre-Neuve, qui a continué à accepter ses cotisations par voie de retenues à la source après l’entrée en vigueur de la Loi de 1991, est compatible avec la thèse que le paiement de cotisations relatives à l’achat d’années de service, en exécution d’un contrat conclu valablement avant l’entrée en vigueur de la Loi de 1991, devait se poursuivre conformément à ce contrat. De plus, si les cotisations de la contribuable n’étaient pas déductibles de son revenu, elle serait assujettie à une double imposition parce qu’elles seraient prélevées sur son revenu après impôt et que ses prestations de retraite en découlant seraient assujetties à l’impôt sur le revenu.

Le juge en chef Isaac (dissident) : Interpréter l’article 4 de la Loi de 1991 comme maintenant le régime établi par la Loi de 1970 et l’article 39 de la Loi de 1991 comme protégeant les droits acquis sous le régime de la Loi de 1970 ne tient pas compte de l’effet juridique des mots « sous réserve de la présente Loi et de ses règlements d’application » figurant à l’article 4 et attribue une interprétation erronée aux mots « tous les avantages acquis » figurant à l’article 39 de la Loi de 1991. Les mots « sous réserve de la présente Loi et de ses règlements d’application » signifient que le régime de pension établi par la Loi de 1970 continue d’exister, mais uniquement dans la mesure où ses stipulations ne sont pas modifiées par les dispositions de la Loi de 1991 et de ses règlements d’application. Par conséquent, l’article 4 exige que l’on examine la Loi de 1970 et les règlements pris sous son régime et qu’on les compare au régime établi par la Loi de 1991 et ses règlements d’application.

La prétendue « règle » selon laquelle le législateur n’a pas l’intention d’abolir, limiter ni entraver les droits des sujets n’est pas une règle de droit, mais une présomption réfragable qui peut être écartée par la preuve d’une intention contraire de la part du législateur et elle s’applique « seulement lorsque la loi est d’une quelconque façon ambiguë et logiquement susceptible de deux interprétations ». Les articles 4 et 39 ne sont ni ambigus ni susceptibles de deux interprétations raisonnables, mais même si la loi était ambiguë et donnait ouverture à l’application de cette présomption, celle-ci pourrait être réfutée. On trouve la preuve d’une intention contraire du législateur dans les dispositions transitoires de la Loi de 1991 qui révèlent clairement l’intention de la législature de Terre-Neuve de donner un effet immédiat et général à la Loi de 1991, malgré ses effets préjudiciables.

La façon dont la Loi de 1991 traite les différents « régimes existants » appuie aussi cette interprétation de l’intention du législateur. L’art. 33 de la Loi de 1970 conférait au lieutenant-gouverneur en conseil des pouvoir réglementaires semblables relativement à certaines catégories d’employés, comme les employés de la Newfoundland Government Employees Association. La Loi de 1991 prévoit expressément le maintien des conditions régissant les régimes de pension établis en vertu de l’article 33 de la Loi de 1970 et protège explicitement et expressément les arrangements existants en ce qui concerne la pension des employés de la Newfoundland Association of Public Employees. Aucune disposition semblable n’a été incluse dans la loi de 1991 pour préserver les conditions des régimes de pension établis sous le régime de l’article 32 de la Loi de 1970. Cela démontre fortement que la législature de Terre-Neuve a étudié les conditions régissant les différents régimes de pension existant avant 1991 et qu’elle a intentionnellement choisi d’en maintenir intégralement certains, et non d’autres.

Le droit de continuer à verser des cotisations en vertu du contrat d’achat d’années de service, au cours des années d’imposition 1994 et 1995, ne constituait pas un « avantage » acquis par la contribuable, protégé par l’article 39 de la Loi de 1991. Il était déconcertant que le juge Rothstein choisisse de se fonder sur l’une des définitions du terme « benefits » (avantages) proposées par le Black’s Law Dictionary, qui se fonde exclusivement sur la jurisprudence américaine, pour conclure que l’article 39 protège le droit d’acquérir des prestations alors que le terme « benefits » (prestations), lorsqu’il se rapporte au régime de pension, a un sens reconnu au Canada. Le Dictionary of Canadian Law, s’appuyant sur des sources canadiennes, définit ce terme comme s’entendant d’une [traduction] « pension; somme d’argent versée en vertu d’un régime de pension ou d’un autre régime ». Ce qui est plus important, c’est que la loi intitulée Pension Benefits Act , à laquelle renvoie l’article 37 de la Loi de 1991, définit l’expression « pension benefit » (prestation de retraite) comme le montant total auquel un employé aura droit à sa retraite. C’est le sens que la législature de Terre-Neuve entendait attribuer à l’expression « all benefits acquired » (tous les avantages acquis) dans l’article 39 de la Loi de 1991. Par conséquent, le droit de continuer à verser des cotisations en vertu du contrat d’achat d’années de service, au cours des années d’imposition 1994 et 1995, ne constituait pas un « avantage » acquis par la contribuable, protégé par l’article 39.

Les « cotisations facultatives » payées par la contribuable au cours des années d’imposition 1994 et 1995 n’ont pas été versées conformément au régime tel qu’il est agréé, c’est-à-dire le régime établi par la Loi de 1991.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Civil Service Act (The), R.S.N. 1970, ch. 41.

Interpretation Act, R.S.N. 1990, ch. I-19, art. 29.Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 147.1(15), 147.2(1),(2),(3),(4)a),b),c),(5).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8).

Pension Benefits Act, S.N. 1983, ch. 32.

Public Service (Pensions) Act (The), R.S.N. 1970, ch. 319, art. 2 « Pension Plan », 32, 33, 35(1).

Public Service (Pensions) Act, 1968 (The), S.N. 1968, no 104.

Public Service Pensions Act, 1991, S.N. 1991, ch. 12, art. 2 « employee », « former Act », « pension plan », 4, 37, 38, 39, 41, 42.

Public Service (Pensions) (Purchase of Service) Regulations, 1969 (The), Nfld. Reg. 386/78 (mod. par Nfld. Reg. 158/91, 20/92, 149/93, 113/95, 33/96).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493; (1983), 3 D.L.R. (4th) 1; [1984] 2 W.W.R. 97; 25 Man. R. (2d) 302; 6 Admin. L.R. 206; 24 M.P.L.R. 219; 50 N.R. 264.

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271; (1975), 66 D.L.R. (3d) 449; [1976] CTC 1; 75 DTC 5451; 7 N.R. 401.

DÉCISION CITÉE :

Vivian (G.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2922; (1995), 95 DTC 664 (C.C.I.); Pike c. R., [1998] 1 C.T.C. 2428 (C.C.I.).

DOCTRINE

Black’s Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1990.

Canadian Tax Reporter, Vol. 4, ¶ 21,545a. Toronto : CCH Canadian Ltd.

Côté, Pierre-André, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville, Qc : Yvon Blais, 1990.

Dictionary of Canadian Law, 2nd ed. Toronto : Carswell, 1995, « benefit ».

Newfoundland. Commission of Enquiry on Pensions. Report of the Commission of Enquiry on Pensions. St. John’s (Terre-Neuve) : The Commission, 1990.

Newfoundland. House of Assembly. Hansard, Vol. XLI, No. 47, 1991.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (Corbett c. Canada, [1998] A.C.I. no 1040 (C.C.I.) (QL)) accueillant l’appel interjeté par la contribuable à l’encontre d’une nouvelle cotisation refusant la déduction des cotisations à un régime de pension versées en vertu d’un contrat d’achat d’années de service conclu en vertu de l’article 32 de la loi de Terre-Neuve intitulée The Public Service (Pensions) Act, (abrogée depuis et remplacée par une loi qui ne prévoit pas expressément l’achat d’années de service devant être reconnues comme ouvrant droit à pension), au motif que les cotisations n’ont pas été versées « conformément au régime de pension tel qu’il a été agréé » comme l’exige l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Peter J. Leslie pour la demanderesse.

Barry G. Fleming pour la défenderesse.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.

Barry G. Fleming, St. John’s, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge en chef Isaac (dissident) : J’ai eu le privilège de lire les motifs du jugement que le juge Rothstein a l’intention de prononcer dans la présente demande de contrôle judiciaire. Je ne puis souscrire ni à ses motifs, ni à sa conclusion. Les motifs suivants fondent ma conclusion.

[2]        Par sa demande, présentée sous le régime de l’article 28 [de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8)], Sa Majesté la Reine a sollicité le contrôle et l’annulation d’un jugement rendu oralement par un juge de la Cour canadienne de l’impôt, le 18 août 1998 [[1998] A.C.I. no 1040 (QL)], dans le cadre de la procédure informelle. Par ce jugement, le juge de la Cour de l’impôt a accueilli les appels interjetés par la défenderesse à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu[1] (la Loi) pour les années d’imposition 1994 et 1995. Le juge de la Cour de l’impôt a renvoyé les cotisations au ministre du Revenu national pour qu’il les réexamine et qu’il établisse de nouvelles cotisations en tenant pour acquis que les cotisations versées par la défenderesse à l’égard d’années de service inexistantes sont déductibles dans le calcul de son revenu.

[3]        Le dossier qui nous a été présenté révèle qu’aucun témoin n’a déposé de vive voix à l’audience devant la Cour de l’impôt. Il révèle de plus que, pour étayer son appel, la défenderesse s’est reportée aux documents mentionnés dans sa lettre adressée à la Cour de l’impôt le 13 mars 1998 et a présenté une argumentation[2].

[4]        La preuve produite devant la Cour de l’impôt était composée d’une copie d’un contrat d’achat d’années de service, d’une copie d’un avis de confirmation par le ministre et d’une copie de la lettre adressée par le ministre à la défenderesse[3].

[5]        À l’audience devant le tribunal inférieur, la défenderesse a fait valoir l’argument qui suit concernant la déductibilité de ses cotisations pour les années d’imposition en cause :

[traduction]

Déductibilité

En novembre 1989, j’ai passé, avec mon employeur, le gouvernement de Terre-Neuve, un contrat d’achat d’années de service aux fins du régime de pension. Ce contrat a été signé sous le régime de l’article 32 de la loi intitulée Public Service (Pensions) Act. Ce contrat m’attribuait des obligations et des prestations. Il était exécutoire en droit et les deux parties se sont acquittées parfaitement de leurs obligations.

Comme principal argument, je soutiens que, compte tenu que ce contrat conclu sous le régime des dispositions légales établissant un régime de pension agréé était l’acte juridique en vertu duquel j’ai effectué mes paiements en 1994 et 1995, j’ai le droit de les déduire dans le calcul de mon revenu en vertu de l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu[4].

[6]        La position de la demanderesse est exposée dans une lettre datée du 18 juillet 1997, qui constitue la pièce 3 déposée à l’audience devant la Cour de l’impôt :

[traduction]

[…] prenez avis qu’en l’absence d’une disposition expresse permettant l’achat d’années de service inexistantes, vous ne satisfaites pas aux conditions fixées par l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu et que vous ne pouvez donc pas déduire ces cotisations dans le calcul de votre revenu[5].

[7]        Les appels ont été entendus le 18 août 1998. Le même jour, le juge de la Cour de l’impôt a prononcé oralement ses motifs accueillant les appels. Dans ces motifs, il a précisé[6] que les parties avaient convenu que la seule question en litige était celle de savoir si les cotisations de la défenderesse avaient été versées « conformément au régime ». Il ajoute :

Aucune question n’est soulevée concernant d’autres restrictions imposées par la Loi[7].

[8]        Il a statué sur les appels de la façon suivante :

Étant donné que le régime de pension de Mme Corbett qui existait en 1989 a été maintenu en 1991, lorsque la Loi de 1991 est entrée en vigueur, et que l’article 39 de la Loi de 1991 dit clairement que toutes les prestations acquises en vertu de la Loi de 1970 sont protégées par la Loi de 1991, je considère que les prestations supplémentaires accumulées à partir de la Modification de 1989 sont admissibles comme prestations. Mme Corbett avait droit à ces prestations, pourvu qu’elle verse ses cotisations supplémentaires jusqu’en 1996. Donc, je conclus que les cotisations relatives à des années de service inexistantes versées par Mme Corbett en 1994 et en 1995 ont été versées conformément à son régime de pension, modifié par la Modification de 1989, et qu’elles répondaient aux exigences de l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi[8].

LA QUESTION EN LITIGE

[9]        Le juge de la Cour de l’impôt a-t-il commis une erreur en concluant que la défenderesse avait le droit de déduire ses cotisations pour des années de service inexistantes dans le calcul de son revenu pour les années d’imposition en cause, en vertu de l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi.

ANALYSE

[10]      L’alinéa 147.2(4)a) de la Loi dispose :

147.2 […]

(4) Un particulier peut déduire dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition se terminant après 1990 le total des montants suivants :

a) les cotisations (sauf celles visées par règlement) qu’il verse au cours de l’année à un régime de pension agréé pour une période postérieure à 1989, dans la mesure où il les verse conformément au régime tel qu’il est agréé;

[11]      Cet alinéa fait partie de l’article de la Loi qui traite de la déductibilité des cotisations versées par les employés et par les employeurs dans un régime de pension agréé. Les paragraphes 147.2(1), (2) et (3) concernent les cotisations de l’employeur et le paragraphe (4), celles de l’employé.

[12]      Les cotisations d’un employé à un régime peuvent être des cotisations versées après 1990 pour service courant ou pour service passé relativement à une année postérieure à 1989 (alinéa 147.2(4)a)), des cotisations pour service passé relativement à une année antérieure à 1990 alors que l’employé ne cotisait pas au régime (alinéa 147.2(4)b)), et des cotisations pour service passé alors que l’employé cotisait au régime (alinéa 147.2(4)c)).

[13]      Le paragraphe 147.2(5) est une disposition transitoire touchant les enseignants et le paragraphe 147.2(6) régit la déductibilité des cotisations dans l’année du décès du contribuable.

[14]      Les rédacteurs du Canadian Tax Reporter de CCH disent :

[traduction] Le paragraphe 147.2(4) prévoit la déduction des cotisations d’un employé à un régime de pension agréé à partir de l’année 1991 et pour les années d’imposition subséquentes. En ce qui concerne les années antérieures à 1991, la déduction était prévue par les alinéas 8(1)m) et 8(1)m.1) ainsi que par les paragraphes 8(6) et 8(8). L’alinéa 8(1)m) a été modifié (l’alinéa 8(1)m.1) et les paragraphes 8(6) et 8(8) ont été abrogés) de sorte que, à compter des années d’imposition 1991 et suivantes, seules les cotisations déductibles en vertu du paragraphe 147.2(4) sont autorisées[9]. [Non souligné dans l’original.]

[15]      Il faut noter que la déductibilité des « cotisations facultatives » est expressément exclue par les alinéas 147.2(4)b) et c) et que les cotisations visant des années de service inexistantes ne sont ni expressément incluses dans l’alinéa 147.2(4)a) ni expressément permises.

[16]      Pour trancher la question, le juge de la Cour de l’impôt a été appelé à interpréter l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi à la lumière des dispositions applicables de la loi de Terre-Neuve intitulée Public Service Pensions Act, 1991 [S.N. 1991, ch. 12] (la Loi de 1991).

[17]      Étant donné que la question en litige soulève une question de droit, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision correcte.

[18]      Pour avoir gain de cause devant la Cour de l’impôt, la défenderesse devait, en vertu de l’alinéa 147.2(4)a), démontrer les éléments suivants selon la norme de preuve requise :

a) elle a versé des cotisations

b) à un régime de pension agréé

c) ces cotisations visaient une période postérieure à 1989

d) elles ont été versées conformément au régime tel qu’il est agréé.

Si elle n’a pas établi l’un ou l’autre de ces éléments, ses appels auraient dû être rejetés.

[19]      L’expression « régime tel qu’il est agréé », qui figure dans l’alinéa 147.2(4)a), est ainsi définie dans la Loi[10] :

147.1 […]

(15) Dans la présente loi et dans son règlement, toute mention d’un régime de pension tel qu’il est agréé vaut mention des modalités du régime sur lesquelles le ministre s’est fondé afin d’agréer le régime pour l’application de la présente loi, ainsi que des modifications suivantes apportées à ces modalités :

a) celles qu’il accepte par la suite;

b) celles sur lesquelles il ne s’est pas prononcé mais qu’il aurait pu valablement accepter.

Sont comprises parmi ces modalités celles qui ne sont pas énoncées dans les documents instituant le régime, mais qui constituent des modalités de celui-ci par l’effet de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension ou d’une loi provinciale semblable.

[20]      Il faut signaler en premier lieu que, bien que la Loi renferme des dispositions détaillées[11] concernant l’agrément des régimes de pension, aucune preuve n’a été produite devant le juge de la Cour de l’impôt et aucune mention n’a été faite par lui dans ses motifs au sujet de la question de savoir si le régime invoqué par la défenderesse était effectivement agréé. Dans sa plaidoirie, l’avocat de la demanderesse nous a informés que le régime tel qu’il est agréé se trouve dans la Loi de 1991[12]. Étant donné que l’avocat de la défenderesse n’a pas contesté cette prétention, j’ai tenu pour acquis, dans les présents motifs, que les conditions d’agrément établies par la Loi ont été respectées.

[21]      De même, la prétention de la défenderesse selon laquelle elle a cotisé à un régime de pension agréé n’a pas été contestée. Les deux parties ont tenu pour acquis que les versements que la défenderesse prétend avoir effectués en vertu du contrat d’achat d’années de service signé par elle en 1989 étaient des cotisations à un régime de pension agréé pour les années 1994 et 1995.

[22]      La principale prétention que la défenderesse a fait valoir devant la Cour de l’impôt et devant nous est qu’elle avait droit aux déductions réclamées pour les années d’imposition en litige parce qu’elle avait versé ces cotisations en vertu du contrat d’achat d’années de service conclu sous le régime de l’ancienne loi de Terre-Neuve, intitulée The Public Service (Pensions) Act (la Loi de 1970)[13]. Elle a soutenu de plus que, sur le plan juridique, les droits découlant de ce contrat avaient été transformés en prestations et qu’ils étaient donc maintenus et protégés par la Loi de 1991.

[23]      À l’appui de ses arguments, la défenderesse invoque les dispositions suivantes de la Loi de 1970 et de la Loi de 1991 :

Loi de 1991

[traduction]

4. Le Régime de pension de la fonction publique établi en vertu de l’ancienne Loi est maintenu, sous réserve de la présente Loi et de ses règlements d’application, à titre de régime de pension.

[…]

39. Tous les avantages acquis sous le régime de l’ancienne Loi avant l’entrée en vigueur de la présente Loi sont protégées par la présente Loi[14]. [Non souligné dans l’original.]

[24]      Dans la Loi de 1991, l’expression [traduction] « l’ancienne loi » est définie à l’article 2 comme s’entendant de la Loi de 1970. L’article 32 de cette dernière prévoyait :

[traduction]

32. Sous réserve de la présente loi et de l’approbation préalable du lieutenant-gouverneur en conseil, le ministre peut, par règlement, fixer les conditions auxquelles un employé ou une personne qui est sur le point de devenir un employé peut acheter des années de service qui seront reconnues comme ouvrant droit à pension.

[25]      Le ministre des Finances de Terre-Neuve a exercé le pouvoir que lui conférait cet article pour prendre le règlement suivant :

[traduction]

1. Le présent règlement peut être cité sous le titre The Public Service (Pensions) (Purchase of Service) Regulations, 1969.

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement :

a) « Loi » The Public Service (Pensions) Act, 1968;

b) « employé » Est assimilée à un employé

(i)   toute personne réputée être un employé par application d’un règlement pris en vertu de l’article 34 de la Loi;

(ii)  une personne qui est sur le point de devenir un employé.

3. L’achat, par un employé, d’années de service qui seront reconnues comme ouvrant droit à pension est assujetti aux conditions suivantes :

a)   l’employé paie une somme équivalente au double du montant des cotisations qu’il aurait versées en application de l’Article 4 de la Loi s’il avait été un employé cotisant en vertu de cet article pendant toute la période correspondant aux années de service achetées, calculé selon le salaire payable à l’employé à la date de l’achat ou à la date de son entrée en fonction;

b)   toute somme payable en vertu du présent règlement porte intérêt entre la date de l’achat et la date du paiement; l’intérêt payable par l’employé est calculé annuellement sur le solde du capital impayé au taux de 6½ p. cent par année;

c)   l’employé peut s’acquitter de toutes les sommes payables en vertu du présent règlement par des versements qui s’étalent sur une période n’excédant pas la durée du service acheté et qui peuvent être retenus sur le salaire de l’employé[15]. [Non souligné dans l’original.]

[26]      Il ressort clairement d’une lecture attentive de la Loi de 1991 et de ses règlements d’application qu’aucune disposition ne prévoit expressément l’achat d’années de service inexistantes ni la continuation du paiement des cotisations relatives à l’achat de telles années de service que l’employé a commencé à verser sous le régime de la Loi de 1970. La défenderesse et le juge de la Cour de l’impôt le reconnaissent, mais ils interprètent l’article 4 de la Loi de 1991 comme maintenant le régime établi par la Loi de 1970 et l’article 39 de la Loi de 1991 comme protégeant les droits acquis sous le régime de la Loi de 1970. Le juge Rothstein semble avoir lui aussi retenu cette interprétation.

[27]      Je ne puis adhérer à l’interprétation de ces deux articles de la Loi de 1991 sur laquelle s’appuie la défenderesse parce que, non seulement elle ne tient pas compte de l’effet juridique des mots [traduction] « sous réserve de la présente Loi et de ses règlements d’application » figurant à l’article 4, mais encore elle attribue une interprétation erronée aux mots [traduction] « tous les avantages acquis » figurant à l’article 39 de la Loi de 1991.

[28]      Je crois pour ma part que les mots « sous réserve de la présente Loi et de ses règlements d’application » signifient que le régime de pension établi par la Loi de 1970 continue d’exister, mais uniquement dans la mesure où ses stipulations ne sont pas modifiées par les dispositions de la Loi de 1991 et de ses règlements d’application.

[29]      En d’autres termes, l’article 4 de la Loi de 1991 exige, en premier lieu, que l’on examine la Loi de 1970 et les règlements pris sous son régime et, en deuxième lieu, qu’on les compare à la Loi de 1991 et à ses règlements d’application. Une telle analyse est nécessaire pour déterminer quelles parties du régime établi par la Loi de 1970 ont été maintenues dans la Loi de 1991 et quelles parties de ce régime ont été modifiées ou révoquées. Ce n’est qu’après avoir procédé à cet examen et à cette comparaison qu’on peut déterminer ce qui constitue le « régime tel qu’il est agréé » pour l’application de l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi.

[30]      J’estime qu’il serait utile de se reporter brièvement à l’historique législatif de la Loi de 1991 pour interpréter les mots « sous réserve de la présente Loi et de ses règlements d’application ».

[31]      La Loi de 1991 a été déposée devant l’assemblée législative de Terre-Neuve sous la forme du Projet de loi no 6. La deuxième lecture du Projet de loi a débuté le 10 mai 1991. En ouvrant le débat, le ministre des Finances a déclaré :

[traduction] C’est avec une très grande fierté que je vous présente ce projet de loi attendu depuis longtemps, qui révise et modifie la loi régissant le régime de pension applicable notamment aux employés du gouvernement de la province.

Lorsque nous sommes entrés en fonction il y a deux ans et que j’ai accepté le portefeuille du ministère des Finances, deux éléments ressortaient nettement en ce qui concerne la situation financière de la province. Il s’agissait, premièrement, de la dette dont nous avons hérité et, deuxièmement, du passif non capitalisé des régimes de pension et de la situation alarmante dans laquelle se trouvaient les régimes de pension. Nous avons examiné brièvement ces problèmes et constitué une Commission d’enquête sur les pensions; après la tenue d’un débat public et l’examen des régimes de pension des autres provinces et du gouvernement fédéral, la Commission d’enquête, composée de M. George M. Cummins, président, professeur au département de commerce de Memorial et avocat, de deux comptables agréés, David Earle de Corner Brook et Michael Power de St. John’s, ils formaient une Commission d’enquête et ils ont présenté un rapport en mars 1990, un rapport complet. Le volume 1, que la plupart des membres de l’assemblée connaissent, il y a aussi deux ou trois autres volumes qui reproduisent les observations qui ont été présentées à la Commission. Cette commission a fait plusieurs recommandations très sérieuses dont la plupart ont été intégrées au Projet de loi 6.

Je voudrais dire quelques mots à ce sujet, le passif non capitalisé des régimes s’élevait à environ 2,1 milliards de dollars à la fin de décembre 1989. La plus grande partie du passif non capitalisé, plus de la moitié, se retrouvait dans le régime de pension des enseignants, mais une part importante se trouvait dans le régime de pension de la fonction publique, la dernière fois que nous avons fait faire une évaluation actuarielle, à l’époque, on parlait d’un peu plus de 730 millions de dollars. Le Uniformed Services Pension Plan avait aussi un passif non capitalisé. En fait, nous n’avions absolument aucun actif et toutes les pensions étaient payées avec les revenus et un (inaudible) avec le régime de pension des membres de l’Assemblée législative. Nous avions donc de graves questions auxquelles il fallait répondre concernant les pensions. Et nous avons décidé de nous occuper de ces régimes. Et je voudrais porter à votre attention quelques-uns des changements qui ont été apportés[16]. [Non souligné dans l’original.]

[32]      La Commission d’enquête a étudié l’option d’achat d’années de service offerte par l’article 32 de la Loi de 1970 et par le règlement de Terre-Neuve 387/87. Dans leur rapport au lieutenant-gouverneur de Terre-Neuve, les commissaires ont fait la recommandation suivante : [traduction] « Les dispositions prévoyant l’achat d’années de service inexistantes devraient être supprimées de tous les régimes de pension provinciaux »[17].

[33]      Le rapport des commissaires majoritaires justifie ainsi cette recommandation :

[traduction]

2.04     ACHAT D’ANNÉES DE SERVICE INEXISTANTES ET AUTRES OPTIONS D’ACHAT

(A) Examiner et commenter :

a)   la politique consistant à permettre aux membres du régime d’acheter des années de service inexistantes et le taux des cotisations à verser pour l’achat de ces années de service inexistantes.

Conclusions :

1.   L’achat d’années de service inexistantes, à un taux inférieur au coût actuariel des prestations de retraite liées à ces années de service, a fait augmenter le passif non capitalisé des régimes de pension provinciaux. De l’avis de la Commission, l’achat d’années de service à des taux inférieurs au coût actuariel entraînera une augmentation des coûts assumés par les contribuables.

2.   La Commission est d’avis que certaines dispositions prévoyant l’achat d’années de service ont été intégrées aux régimes pour attirer et retenir certains groupes d’employés conformément aux priorités que la province avait à l’époque. Ces dispositions prévoyant l’achat d’années de service, comme l’achat d’années d’université pour les enseignants, prévoient des taux et des conditions d’achat qui sont bien en deçà de leur coût actuariel.

3.   Les autres régimes du secteur public n’accordent pas le droit d’acheter des années de service inexistantes à des conditions d’achat avantageuses, sauf en ce qui concerne le service de guerre.

4.   La réforme fiscale peut commander la suppression des dispositions prévoyant l’achat d’années de service dans les régimes de pension provinciaux[18].

[34]      Le président de la Commission d’enquête, qui a remis un rapport distinct, a dit :

[traduction]

2.4 ACHAT D’ANNÉES DE SERVICE INEXISTANTES ET AUTRES OPTIONS D’ACHAT

La recommandation suivante a été faite sous la rubrique 2.04 Achat d’années de service inexistantes et autres options d’achat :

RECOMMANDATION

1.   Les dispositions prévoyant l’achat d’années de service inexistantes devraient être supprimées de tous les régimes de pension provinciaux.

Je souscris à cette recommandation[19].

[35]      La défenderesse soutient néanmoins que le contrat d’achat d’années de service qu’elle a signé en 1989, prévoyant l’achat de sept années de service supplémentaires qui devaient compter comme service ouvrant droit à pension et le paiement du prix d’achat par versements étalés sur 182 périodes de paye, a été maintenu au cours des années d’imposition 1994 et 1995 par application des articles 4 et 39 de la Loi de 1991.

[36]      J’estime que cette prétention ne tient pas en droit.

[37]      La position de la défenderesse repose sur l’hypothèse que la prétendue « règle » selon laquelle une législature n’a pas l’intention d’abolir, limiter ni entraver les droits des sujets est absolue. Elle tient pour acquis que cette « règle » doit donner les mêmes résultats dans tous les cas auxquels elle s’applique, sans égard au libellé des dispositions légales pertinentes. Il est toutefois bien établi que cette règle n’est pas une règle de droit, mais une présomption réfragable qui peut être écartée par la preuve d’une intention contraire de la part du législateur[20] et, quoi qu’il en soit, qu’elle s’applique « seulement lorsque la loi est d’une quelconque façon ambiguë et logiquement susceptible de deux interprétations »[21]. Comme je le démontrerai plus loin, la preuve d’une intention contraire de la part du législateur existe en l’espèce.

[38]      Selon moi, les articles 4 et 39 de la Loi de 1991 ne sont ni ambigus ni susceptibles de deux interprétations raisonnables. Le poids de la jurisprudence émanant de la Cour canadienne de l’impôt[22] contredit la thèse soutenue par la défenderesse, par le juge de la Cour de l’impôt dans la présente affaire et par le juge Rothstein dans ses motifs. Toutefois, même si la loi était ambiguë et donnait ouverture à l’application de cette présomption, je crois qu’elle pourrait être réfutée.

[39]      Driedger explique de la façon suivante comment cette présomption est réfutée :

[traduction] La présomption selon laquelle les droits acquis ne sont pas touchés est réfutée par toute intention suffisante de la part de la législature de donner à la loi une application générale et immédiate malgré ses effets préjudiciables. Cette intention est parfois énoncée expressément dans les dispositions transitoires. Celles-ci édictent des règles précisant expressément l’application temporelle des dispositions légales abrogées ou édictées par une loi particulière. Ces règles prévalent sur toute règle contraire prévue par la common law ou par la loi d’interprétation[23].

[40]      Les dispositions transitoires de la Loi de 1991 offrent une preuve convaincante de l’intention de la législature de Terre-Neuve de donner un effet immédiat et général à la Loi de 1991, malgré ses effets préjudiciables apparents :

[traduction]

37. (1) Les dispositions de la présente Loi prévalent sur les dispositions incompatibles de la loi intitulée The Civil Service Act ou d’une autre loi.

(2) Par dérogation au paragraphe (1), les dispositions incompatibles de la loi intitulée The Pension Benefits Act prévalent sur les dispositions incompatibles de la présente Loi et le lieutenant-gouverneur en conseil peut prendre des règlements pour en assurer le respect.

38. Les personnes qui sont des employés de la Newfoundland Association of Public Employees au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi et qui sont devenues membres du régime de pension aux conditions énoncées dans certains décrets pris sous le régime du paragraphe 33(3) de l’ancienne Loi continueront à participer au régime de pension à ces conditions ou aux conditions différentes prescrites par décret du lieutenant-gouverneur en conseil à partir d’une date qui ne peut être antérieure au mois d’avril 1967.

[…]

41. Pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada),

a) le facteur d’équivalence défini par la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) ne pourra dépasser 18 p. 100 pour toutes les années de service postérieures au 31 décembre 1990;

b) toutes les cotisations de l’employeur et de l’employé seront versées par référence aux rapports actuariels;

[…]

42. (1) L’alinéa 3d) de la loi intitulée The Pensions Funding Act est abrogé et remplacé par la disposition qui suit :

« d) les lois intitulées Public Service Pension Act, 1991 et The Civil Service Act. »

(2) Tout renvoi à la loi intitulée The Public Service (Pensions) Act ou à une partie ou disposition de celle-ci dans une loi ou un règlement est réputé renvoyer à la partie ou disposition équivalente de la loi intitulée Public Service Pensions Act, 1991.

[41]      Premièrement, dans l’article 37 de la loi, le législateur décrit expressément les circonstances dans lesquelles la Loi de 1991 prévaut sur les autres lois de Terre-Neuve et celles dans lesquelles ce sont ces dernières qui prévalent. Deuxièmement, l’article 38 limite le droit de participer au régime de pension aux mêmes conditions qu’avant l’édiction de la Loi de 1991 à certaines catégories d’employés. Je constate ici que la catégorie de la défenderesse n’est pas mentionnée. Troisièmement, contrairement à la situation qui existait sous le régime de la Loi de 1970, toutes les cotisations de l’employeur (versées pour la toute première fois en vertu de la Loi de 1991) et de l’employé doivent s’arrimer à des rapports actuariels.

[42]      Ces dispositions transitoires contrastent nettement avec les dispositions transitoires incluses dans la Loi de 1970 qui, règle générale (c’est-à-dire sous réserve de la loi intitulée The Civil Service Act [R.S.N. 1970, ch. 41] et de la Loi de 1970), permettent le maintien du paiement des pensions et gratifications du même montant, au même moment et aux mêmes conditions. Le paragraphe 35(1) de la Loi de 1970 est intéressant à cet égard. Il est libellé comme suit :

[traduction]

35.—(1) L’employé qui choisit d’être assujetti au régime existant est, sous réserve de la Civil Service Act et de la présente Loi, admissible au paiement d’une pension ou gratification du même montant, au même moment et aux mêmes conditions que si la présente Loi, à l’exception de ses dispositions qui s’appliquent expressément à lui, n’avait pas été édictée.

[43]      Lorsque la législature de Terre-Neuve a révisé la Loi de 1970, elle aurait certainement pu choisir de répéter simplement cette disposition large et englobante dans la Loi de 1991 pour garantir le maintien des régimes de pension existants. Mais elle ne l’a pas fait. J’estime donc que l’on commettrait une erreur de droit en interprétant la Loi de 1991 comme si elle l’avait fait.

[44]      Une lecture comparative de la façon dont la Loi de 1991 traite les différents « régimes existants » appuie aussi cette interprétation de l’intention du législateur.

[45]      C’est l’article 32 de la Loi de 1970 qui permettait l’achat facultatif, par la défenderesse, de sept années de service inexistantes supplémentaires. Par souci de commodité, je reproduis à nouveau cette disposition :

[traduction]

32. Sous réserve de la présente loi et de l’approbation préalable du lieutenant-gouverneur en conseil, le ministre peut, par règlement, fixer les conditions auxquelles un employé ou une personne qui est sur le point de devenir un employé peut acheter des années de service qui seront reconnues comme ouvrant droit à pension.

L’article 32 conférait donc au lieutenant-gouverneur en conseil de vastes pouvoirs réglementaires relativement à tous ses employés.

[46]      De même, le paragraphe 33(3) de la Loi de 1970 attribue au lieutenant-gouverneur un pouvoir réglementaire relativement à « certains employés ». Ce paragraphe prévoit :

[traduction]

33. […]

(3) Le lieutenant-gouverneur en conseil peut, par décret, appliquer le Régime de pension aux personnes qui sont des employés de la Newfoundland Government Employees Association à partir d’une date qui n’est pas antérieure au 1er avril 1967, aux conditions prescrites par le lieutenant-gouverneur en conseil; lorsqu’un décret est pris en vertu du présent paragraphe, la présente Loi s’applique, à partir de la date d’entrée en vigueur du décret, aux personnes visées par le décret comme si elles étaient des employés et le lieutenant-gouverneur en conseil peut, dans le même décret ou dans un décret subséquent, dans la mesure et aux conditions précisées dans le décret, inscrire une période de service ouvrant droit à pension au crédit d’une telle personne pour tout service effectué par cette personne avant le 1er avril 1967.

[47]      La Loi de 1970 ne prévoyait pas seulement l’achat d’années de service par les employés se trouvant dans la situation de la défenderesse; elle conférait au lieutenant-gouverneur en conseil des pouvoir réglementaires semblables relativement à certaines catégories d’employés, comme les employés de la Newfoundland Government Employees Association.

[48]      Les régimes de pension distincts qui existaient en vertu de ces pouvoirs de réglementation distincts ont été traités différemment par la Loi de 1991. Le paragraphe 33(1) de la Loi de 1991 prévoit expressément le maintien des conditions régissant les régimes de pension établis en vertu de l’article 33 de la Loi de 1970. Il est rédigé en partie comme suit :

[traduction]

33. (1) Le lieutenant-gouverneur en conseil peut, par règlement :

a)   désigner une ou plusieurs catégories de personnes, qui seraient autrement comprises parmi les « employés » au sens de l’alinéa 2d), auxquelles la présente loi ne s’applique pas;

b)   prescrire le nombre d’heures pour l’application de l’alinéa 2e) et une autre rémunération pour l’application de l’alinéa 2p);

c)   exclure un employé ou un groupe d’employés de la participation au régime de pension, par dérogation au paragraphe 3(1), et prescrire les conditions régissant le retrait d’un employé ou d’un groupe d’employés notamment en ce qui concerne le remboursement des cotisations et des montants correspondants versés sous le régime de la présente Loi;

d)   prescrire les années supplémentaires de service ouvrant droit à pension qui peuvent être inscrites au crédit d’un employé et prescrire les conditions auxquelles elles le seront;

[…]

n)   établir, élargir ou restreindre la définition d’un terme ou d’une expression qui figure, mais qui n’est pas défini dans la présente Loi;

o)   prendre toute mesure nécessaire ou utile à la mise en œuvre efficace de l’objet de la présente Loi.

(2) Les règlements pris en vertu du présent article peuvent avoir un effet rétroactif.

[49]      Une lecture attentive des règlements pris sous le régime de cet article ne révèle l’existence d’aucune répétition du Règlement 387/78, sous quelque forme que ce soit[24].

[50]      L’article 38 de la Loi de 1991, reproduit plus tôt, protège explicitement et expressément les arrangements existants en ce qui concerne la pension des employés de la Newfoundland Association of Public Employees. Aucune disposition semblable n’a été incluse dans la Loi de 1991 pour préserver les conditions des régimes de pension établis sous le régime de l’article 32 de la Loi de 1970. J’estime que cela démontre fortement que la législature de Terre-Neuve a étudié les conditions régissant les différents régimes de pension existant avant 1991 et qu’elle a intentionnellement choisi d’en maintenir certains, dans leur intégralité, et d’adopter une solution différente à l’égard de certains autres.

[51]      Les dispositions transitoires expresses de la Loi de 1991, lues dans le contexte de l’esprit de la Loi de 1991, et de la loi que cette dernière a remplacée, réfutent la présomption de respect des droits existants et permettent raisonnablement de conclure que la législature de Terre-Neuve avait l’intention de donner à la loi une application immédiate et générale malgré ses effets préjudiciables. Ces dispositions prévalent sur toute règle d’interprétation, prévue par une loi ou par la common law, qui commanderait une interprétation différente.

[52]      Comme l’a expliqué le juge en chef Dickson dans l’arrêt Gustavson Drilling, précité :

Personne n’a le droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu’elle existait par le passé; en droit fiscal, il est impérieux que la législation reflète l’évolution des besoins sociaux et de l’attitude du gouvernement. Un contribuable est libre de planifier sa vie financière en se fondant sur l’espoir que le droit fiscal demeure statique; il prend alors le risque d’une modification à la législation.

Le simple droit de se prévaloir d’un texte législatif abrogé, dont jouissent les membres de la communauté ou une catégorie d’entre eux à la date de l’abrogation d’une loi, ne peut être considéré comme un droit acquis[25]. [Non souligné dans l’original.]

[53]      J’examinerai maintenant le deuxième moyen de défense fondé sur la loi qui est invoqué en faveur du jugement de la Cour de l’impôt. Il s’appuie sur l’article 39 de la Loi de 1991. Pour plus de commodité, je reproduis à nouveau cet article :

[traduction]

39. Tous les avantages acquis sous le régime de l’ancienne Loi avant l’entrée en vigueur de la présente Loi sont protégées par la présente Loi. [Non souligné dans l’original.]

[54]      En se fondant sur l’une des définitions du terme « benefits » (avantages) proposées par le Black’s Law Dictionary, le juge Rothstein affirme ce qui suit, au paragraphe 75 de ses motifs :

Selon moi, l’expression « all benefits » (tous les avantages) figurant à l’article 39 a un sens assez large pour englober les droits d’origine contractuelle acquis par la défenderesse en vertu de son contrat d’achat d’années de service. Elle a passé ce contrat valablement en conformité avec la Loi de 1970 et il lui a conféré le droit d’acquérir certains avantages, soit, les prestations de retraite fondées sur sept années supplémentaires de service ouvrant droit à pension. Le droit d’acquérir ces prestations en continuant à verser des cotisations est protégé par l’article 39 de la Loi de 1991[26]. [Non souligné dans l’original.]

[55]      Les auteurs du Black’s Law Dictionary fondent leur définition exclusivement sur la jurisprudence émanant des tribunaux des États-Unis d’Amérique.

[56]      Je trouve déconcertant qu’il faille s’en remettre à la jurisprudence d’un ressort étranger alors que le terme « benefits » (prestations), lorsqu’il se rapporte au régime de pension, a un sens reconnu au Canada, où l’on en trouve des définitions qui font autorité. Par exemple, le Dictionary of Canadian Law, s’appuyant sur des sources canadiennes, définit ce terme comme s’entendant d’une [traduction] « pension; somme d’argent versée en vertu d’un régime de pension ou d’un autre régime. » Il inclut la définition figurant dans la Loi relativement aux prestations reçues dans le cadre d’un régime enregistré d’épargne-retraite[27].

[57]      Ce qui est plus important, c’est que la loi intitulée Pension Benefits Act, à laquelle renvoie l’article 37 de la Loi de 1991, définit l’expression « pension benefit » (prestation de retraite) comme suit :

[traduction]

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi :

[…]

f)               « prestation de retraite » Paiement périodique, notamment annuel ou mensuel, total auquel un employé aura droit à sa retraite ou auquel une autre personne a droit en raison du décès de l’employé après sa retraite au titre d’un régime de pension[28];

[58]      Je crois donc que c’est le sens que la législature de Terre-Neuve entendait attribuer à l’expression « all benefits acquired » (tous les avantages acquis) dans l’article 39 de la Loi de 1991.

[59]      Par conséquent, je suis d’avis que le droit de continuer à verser des cotisations en vertu du contrat d’achat d’années de service, au cours des années d’imposition 1994 et 1995, ne constituait pas un « avantage » acquis par la défenderesse, protégée par l’article 39 de la Loi de 1991.

[60]      Il s’ensuit que le ministre du Revenu national a eu raison de refuser les déductions des « cotisations facultatives » payées par la défenderesse au cours des années d’imposition 1994 et 1995, parce qu’il n’a pas été démontré qu’elles ont été versées conformément au régime tel qu’il est agréé, c’est-à-dire selon le régime établi par la Loi de 1991.

[61]      Je suis donc d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire avec dépens, à la fois devant la présente Cour et devant le tribunal d’instance inférieure, d’annuler le jugement de la Cour canadienne de l’impôt et de rétablir les nouvelles cotisations d’impôt sur le revenu établies par le ministre à l’égard de la défenderesse, pour les années d’imposition 1994 et 1995, refusant les déductions des cotisations que la défenderesse a versées pour acheter des années supplémentaires de service « ouvrant droit à pension ».

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[62]      Le juge Rothstein, J.C.A. : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par la Couronne, à l’encontre d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt (le juge Archambault, J.C.C.I.) a accueilli l’appel interjeté par Patricia Corbett (la défenderesse) relativement à ses années d’imposition 1994 et 1995. La question en litige est celle de savoir si les cotisations versées par la défenderesse en 1994 et 1995 relativement à l’achat d’années de service ont été versées en conformité avec son régime de pension agréé comme l’exige l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’alinéa 147.2(4)a) dispose :

147.2 […]

(4) Un particulier peut déduire dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition se terminant après 1990 le total des montants suivants :

a) les cotisations (sauf celles visées par règlement) qu’il verse au cours de l’année à un régime de pension agréé pour une période postérieure à 1989, dans la mesure où il les verse conformément au régime tel qu’il est agréé; [Non souligné dans l’original.]

LES FAITS

[63]      La défenderesse était membre d’un régime de pension régi, avant 1991, par la loi de Terre-Neuve intitulée The Public Service (Pensions) Act[29] (la Loi de 1970). En novembre 1989, la défenderesse a choisi de se prévaloir de l’article 32 de la Loi de 1970 pour acheter sept années de service supplémentaires qui devaient être reconnues comme ouvrant droit à pension en vertu de son régime de pension. Son avocat a expliqué à l’audience que la possibilité d’acheter des années de service reconnues comme ouvrant droit à pension était offerte, notamment, pour reconnaître que les femmes pouvaient s’absenter du marché du travail quelques années pour donner naissance à leurs enfants et les élever. L’article 32 de la Loi de 1970 prévoyait :

[traduction]

32. Sous réserve de la présente loi et de l’approbation préalable du lieutenant-gouverneur en conseil, le ministre peut, par règlement, fixer les conditions auxquelles un employé ou une personne qui est sur le point de devenir un employé peut acheter des années de service qui seront reconnues comme ouvrant droit à pension.

[64]      La défenderesse s’est prévalue du règlement pris sous le régime de l’article 32[30] pour conclure un contrat d’achat d’années de service avec son employeur, le gouvernement de Terre-Neuve. La défenderesse a choisi de payer ces années de service par voie de retenues à la source de 140 74 $ étalées sur 181 périodes de paye, plus une retenue finale de 141 41 $, pour un coût total de 25 615 35 $, soit l’équivalent d’environ sept années de service.

[65]      En 1991, la Loi de 1970 a été abrogée et remplacée par la loi intitulée Public Service Pensions Act, 1991 (la Loi de 1991). Cette nouvelle loi ne contient aucune disposition qui, après son entrée en vigueur, permettrait à la défenderesse d’acheter des années de service reconnues comme ouvrant droit à pension.

[66]      La défenderesse a continué à verser ses cotisations par voie de retenues à la source après 1991 relativement aux sept années de service qu’elle avait convenu d’acheter. Elle a déduit ces cotisations de son revenu en vertu de l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[67]      Le 16 juin 1997, le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations à l’égard de la défenderesse pour les années d’imposition 1994 et 1995, dans lesquelles il a refusé les déductions réclamées pour ces années relativement aux cotisations versées en paiement des années de service achetées, parce qu’elles ne satisfaisaient pas aux conditions fixées par l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu. La défenderesse a déposé un avis d’opposition et le ministre a confirmé les nouvelles cotisations. La défenderesse a obtenu gain de cause en appel des nouvelles cotisations devant la Cour canadienne de l’impôt. La Couronne s’adresse à la Cour pour obtenir le contrôle judiciaire de cette décision de la Cour canadienne de l’impôt.

ANALYSE

[68]      La jurisprudence de la Cour canadienne de l’impôt est contradictoire en ce qui concerne la déductibilité des cotisations versées après l’entrée en vigueur de la Loi de 1991, pour les années de service achetées avant l’adoption de la Loi de 1991 sous le régime du Newfoundland Public Service Pension Plan. En l’espèce, le juge Archambault de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que les cotisations versées étaient déductibles. Dans les affaires Vivian (G.) c. Canada[31] et Pike c. R.[32], des cotisations semblables ont été jugées non déductibles.

[69]      Pour être déductibles du calcul du revenu en vertu de l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, les cotisations doivent être versées « conformément au régime tel qu’il est agréé ». Il faut donc déterminer quel était le régime « tel qu’il est agréé » au cours des années d’imposition 1994 et 1995 pour lesquelles de nouvelles cotisations ont été établies à l’égard de la défenderesse.

[70]      Selon la définition figurant à l’article 2 de la Loi de 1970, l’expression [traduction] « régime de pension » désigne [traduction] « le régime de pension établi par la présente Loi ». L’article 2 de la Loi de 1991 définit les mots [traduction] « régime de pension » comme s’entendant du [traduction] « Régime de pension de la fonction publique visé par la présente Loi. » Aucune preuve concluante n’a été offerte à l’audience quant au contenu exact du régime. Toutefois, il semble manifestement que le contenu du régime de pension est défini par la loi applicable. En conséquence, le régime tel qu’il était agréé au cours des années d’imposition 1994 et 1995 est défini par la Loi de 1991.

[71]      Les dispositions pertinentes de la Loi de 1991 sont les suivantes :

[traduction]

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente Loi :

[…]

f) « ancienne loi » La loi intitulée The Public Service (Pensions) Act [la Loi de 1970].

[…]

4. Le Régime de pension de la fonction publique établi en vertu de l’ancienne Loi est maintenu, sous réserve de la présente Loi et de ses règlements d’application, à titre de régime de pension.

[…]

39. Tous les avantages acquis sous le régime de l’ancienne Loi avant l’entrée en vigueur de la présente Loi sont protégés par la présente Loi. [Non souligné dans l’original.]

[72]      La Loi de 1991 ne renferme aucune disposition équivalente à l’article 32 de la Loi de 1970, c’est-à-dire que la Loi de 1991 n’autorise pas l’achat d’années de service en termes larges comme l’autorisait l’article 32 de la Loi de 1970. La question à trancher est celle de savoir si l’absence d’une telle disposition dans la Loi de 1991 a mis fin au droit de la défenderesse de verser des cotisations après l’adoption de la Loi de 1991 pour acheter des années de service en vertu de son contrat d’achat d’années de service conclu en 1989.

[73]      Il est clair que l’absence d’une disposition semblable à l’article 32 de la Loi de 1970 empêche l’achat d’années de service après l’entrée en vigueur de la Loi de 1991. Dans ses motifs de dissidence, le juge en chef renvoie aux commentaires exprimés, en 1990, par le ministre des Finances de Terre-Neuve devant l’Assemblée législative et par la Commission d’enquête sur les pensions en vue d’expliquer les raisons pour lesquelles la disposition prévoyant l’achat d’années de service inexistantes n’a pas été reprise dans la Loi de 1991. L’achat d’années de service à un taux inférieur au coût actuariel des prestations de retraite liées à ces années de service avait entraîné des augmentations du passif non capitalisé des régimes de pension de la province. Il s’agit d’un motif rationnel, dicté par la prudence, de ne pas continuer à offrir aux employés la possibilité d’acheter des années de service inexistantes à des taux inférieurs au coût actuariel. Néanmoins, je crois que l’absence d’une disposition autorisant un tel achat n’a pas l’effet rétroactif d’abroger les contrats d’achat d’années de service conclus en conformité avec le régime de pension tel qu’il était agréé avant que la Loi de 1991 entre en vigueur.

[74]      L’article 4 de la Loi de 1991 prévoit que, malgré l’abrogation de la Loi de 1970, le régime établi en vertu de cette loi est maintenu à titre de régime de pension régi par la Loi de 1991. La seule limite imposée veut que le régime soit maintenu sous réserve de la Loi de 1991 et de ses règlements d’application. Cette disposition vise clairement à maintenir les droits et les prestations acquis en vertu du régime tel qu’il existait en vertu de la Loi de 1970. C’est uniquement dans la mesure où la Loi de 1991 prévoit que ce qui a été acquis en vertu du régime de 1970 a été abrogé ou annulé qu’il sera porté atteinte aux droits et prestations acquis en vertu du régime de 1970. Aucune disposition de la Loi de 1991 ne vise ce résultat en ce qui concerne les contrats d’achat d’années de service conclus sous le régime de l’article 32 de la Loi de 1970. Je ne vois absolument pas pourquoi les droits et les prestations prévus par un contrat d’achat d’années de service, conclu valablement en 1989 conformément au régime de pension agréé à l’époque et maintenu par la loi après 1991, ne seraient pas maintenus également.

[75]      L’article 39 de la Loi de 1991, qui protège expressément « tous les avantages » acquis sous le régime de la Loi de 1970 appuie cette conclusion. Le terme « benefit » (avantage) a un sens large. Le Black’s Law Dictionary définit son équivalent anglais « benefit » comme s’entendant d’un [traduction] « avantage; profit; fruit; privilège; gain; intérêt »[33]. Dans un contexte contractuel, comme celui qui est pertinent en l’espèce :

[traduction]

[…] « avantage » signifie que le promettant [la défenderesse, en l’occurrence] a acquis, en échange de sa promesse, un droit reconnu par la loi auquel il ne pourrait prétendre autrement[34].

Selon moi, l’expression « all benefits » (tous les avantages) figurant à l’article 39 a un sens assez large pour englober les droits d’origine contractuelle acquis par la défenderesse en vertu de son contrat d’achat d’années de service. Elle a passé ce contrat valablement en conformité avec la Loi de 1970 et il lui a conféré le droit d’acquérir certains avantages, soit, les prestations de retraite fondées sur sept années supplémentaires de service ouvrant droit à pension. Le droit d’acquérir ces prestations en continuant à verser des cotisations est protégé par l’article 39 de la Loi de 1991. C’est là un autre élément à l’appui de la prétention que les cotisations versées en 1994 et 1995 ont été versées en conformité avec le régime tel qu’il était agréé.

[76]      Dans ses motifs de dissidence, le juge en chef mentionne l’article 38 de la Loi de 1991 à titre de disposition qui protège explicitement et expressément les arrangements existants en ce qui concerne la pension des employés de la Newfoundland Association of Public Employees. Il affirme que cette disposition démontre fortement que le législateur de Terre-Neuve avait l’intention de maintenir les conditions de certains régimes, mais d’adopter une solution différente à l’égard de certains autres. L’article 38 est libellé de la façon suivante :

[traduction]

38. Les personnes qui sont des employés de la Newfoundland Association of Public Employees au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi et qui sont devenues membres du régime de pension aux conditions énoncées dans certains décrets pris sous le régime du paragraphe 33(3) de l’ancienne Loi continueront à participer au régime de pension à ces conditions ou aux conditions différentes prescrites par décret du lieutenant-gouverneur en conseil à partir d’une date qui ne peut être antérieure du 1er avril 1967.

[77]      Pour ma part, je n’interprète pas l’article 38 de la même façon que le juge en chef. L’article 38 traite d’une catégorie particulière de membres du régime de pension. À mon avis, l’article 38 est une disposition particulière visant les employés qui ne sont pas des employés au sens de la définition énoncée dans la Loi de 1991, c’est-à-dire les employés du syndicat de la fonction publique et non du gouvernement proprement dit, mais qui ont été admis dans le régime de pension de 1970. L’article 38 concerne cette catégorie particulière de membres et leur permet de continuer à participer au régime de pension en vertu de la Loi de 1991. Je n’interprète pas l’article 38 comme signifiant que les droits acquis des employés de ce syndicat étaient protégés parce que le lieutenant-gouverneur en conseil peut les modifier. Toutefois, les droits et avantages acquis sous le régime de la Loi de 1970 par les employés qui eux correspondent à la définition de ce terme figurant à l’article 2 de la Loi de 1991 sont protégés par l’article 39.

[78]      De plus, il est significatif que l’article 29 de la loi de Terre-Neuve intitulée Interpretation Act[35] prévoie :

[traduction]

29. (1) L’abrogation, en tout ou en partie, d’une loi ou d’un règlement n’a pas pour conséquence

[…]

b)   de porter atteinte à l’application antérieure d’une loi ou d’un règlement ainsi abrogé ou aux mesures prises sous le régime de cette loi ou de ce règlement;

c)   de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, ni aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime de la loi ou du règlement abrogé; [Non souligné dans l’original.]

Si l’on aborde cette disposition conjointement avec les articles 4 et 39 de la Loi de 1991, l’abrogation de la Loi de 1970 et l’adoption subséquente de la Loi de 1991 ne peuvent pas avoir porté atteinte aux droits acquis par la défenderesse au moyen de son contrat d’achat d’années de service.

[79]      La forte présomption, bien établie en matière d’interprétation des lois, selon laquelle le législateur n’a pas l’intention [traduction] « d’abolir, de limiter ni d’entraver autrement les droits du sujet »[36] appuie aussi cette interprétation. Dans le contexte du droit fiscal, le juge Estey a statué, au nom de la Cour, dans l’affaire Morguard Properties[37] :

En langage plus moderne, pour porter atteinte aux droits d’un administré, que ce soit à titre de contribuable ou à un autre titre, les tribunaux exigent que le législateur le fasse de façon expresse. La diminution de ces droits peut ne pas avoir été législativement voulue ou même être accidentelle, mais les cours doivent trouver dans la loi des termes exprès pour conclure que ces droits ont été diminués. Ce principe d’interprétation s’impose et s’applique d’autant plus aujourd’hui que les législatures profitent de l’aide et des directives d’un conseil exécutif bien pourvu de personnel et ordinairement très averti. Les moyens disponibles pour rédiger et promulguer les lois sont tels qu’une cour doit être réticente à présumer l’oubli ou des intentions inarticulées lorsque les droits des administrés sont en cause. La législature a la maîtrise complète du processus législatif et si elle ne s’est pas exprimée clairement pour un motif quelconque, elle possède tous les moyens de corriger cette déficience d’expression. Cela est encore plus vrai aujourd’hui qu’à toute autre époque de l’histoire de notre régime parlementaire. [Non souligné dans l’original.]

[80]      Le fait que la Loi de 1991 ne prévoie pas, après son entrée en vigueur, l’achat d’années de service par des personnes dans la situation de la défenderesse ne répond pas à la condition exigeant que la loi qui vise à abroger des droits existants les abroge expressément. La défenderesse a obtenu des droits et des avantages correspondants en vertu du contrat d’achat d’années de service qu’elle a conclu avec son employeur en 1989 et la Loi de 1991 devrait être beaucoup plus explicite pour la priver de ces droits et avantages.

[81]      En fait, le gouvernement de Terre-Neuve a continué à accepter ses cotisations par voie de retenues à la source après l’entrée en vigueur de la Loi de 1991. Cette attitude n’est compatible qu’avec la thèse selon laquelle le paiement de cotisations relatives à l’achat d’années de service, en exécution d’un contrat conclu valablement avant l’entrée en vigueur de la Loi de 1991, devait se poursuivre conformément à ce contrat.

[82]      Il faut aussi signaler que, si les cotisations de la défenderesse n’étaient pas déductibles de son revenu, elle serait assujettie à une double imposition. Ses cotisations seraient prélevées sur son revenu après impôt et ses prestations de retraite découlant de ces cotisations seraient quand même assujetties à l’impôt sur le revenu au cours des années où elle les recevraient. Encore une fois, il serait extraordinaire que la simple omission dans la Loi de 1991 d’une disposition autorisant l’achat futur d’années de service, bien que pour des motifs de prudence sur le plan financier, ait pour effet d’invalider des contrats d’achat d’années de service conclus valablement avant l’entrée en vigueur de la Loi de 1991, plus particulièrement en présence d’une disposition qui vise expressément à protéger les prestations de retraite acquises sous le régime de la loi antérieure.

[83]      La demanderesse tente de faire une analogie entre l’omission de l’article 32 de la Loi de 1970 dans la Loi de 1991 et la situation en cause dans l’affaire Gustavson Drilling[38]. La principale question en litige dans l’affaire Gustavson était celle de savoir si une modification apportée en 1962 à la Loi de l’impôt sur le revenu pouvait avoir pour effet de priver Gustavson des avantages d’une déduction dont il aurait pu se prévaloir sous le régime de la loi antérieure. La majorité a répondu à cette question par l’affirmative en statuant[39] :

L’article, tel que modifié par la disposition abrogative, ne vise pas les années d’imposition antérieures à la date de la modification; il ne cherche pas à s’immiscer dans le passé et ne prétend pas signifier qu’à une date antérieure, il faille considérer que le droit ou les droits des parties étaient ce qu’ils n’étaient pas alors. Pour autant que l’appelante soit concernée, cet article ne vise qu’à retirer pour l’avenir le droit de faire certaines déductions dont il était auparavant possible de tirer avantage; l’article n’a aucune incidence sur ce droit dans la mesure où il a été exercé à une date antérieure à l’adoption de la loi modificatrice. [Non souligné dans l’original.]

Elle a ajouté plus loin[40] :

Personne n’a le droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu’elle existait par le passé; en droit fiscal, il est impérieux que la législation reflète l’évolution des besoins sociaux et de l’attitude du gouvernement. Un contribuable est libre de planifier sa vie financière en se fondant sur l’espoir que le droit fiscal demeure statique; il prend alors le risque d’une modification à la législation.

[84]      La demanderesse soutient que ces passages décrivent l’effet de la Loi de 1991 sur la défenderesse en l’espèce. Je ne saurais retenir cette prétention.

[85]      Tout comme c’était le cas dans l’affaire Gustavson Drilling, il est clair que le législateur n’entendait pas donner d’effet rétroactif à la Loi de 1991. En fait, il n’existe aucune preuve qu’il avait l’intention que la loi porte atteinte aux droits conférés aux parties avant la date à laquelle la Loi de 1991 est entrée en vigueur. Toutefois, contrairement à la situation visée par l’arrêt Gustavson Drilling, les articles 4 et 39 de la Loi de 1991 maintiennent expressément le régime de pension prévu par la Loi de 1970 et protègent les avantages acquis en vertu de ce régime. Plus particulièrement, le maintien du régime antérieur par l’article 4 et la protection expresse des avantages accordée par l’article 39 distinguent la présente affaire de la situation soumise à la Cour dans l’affaire Gustavson Drilling.

[86]      Je conclus que les cotisations versées en 1994 et 1995 en vertu du contrat d’achat d’années de service conclu par la défenderesse ont été versées conformément au régime tel qu’il est agréé, comme l’exige l’alinéa 147.2(4)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[87]      La demande sera rejetée avec dépens.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.



[1]  L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

[2]  Dossier de la demanderesse, aux p. 15 à 91.

[3]  Ibid., aux p. 93 à 98.

[4]  Ibid., à la p. 16.

[5]  Ibid., à la p. 89 (souligné dans l'original).

[6]  [1998] A.C.I. no 1040 (C.C.I.) (QL), au par. 7.

[7]  Ibid.

[8]  Ibid., au par. 10.

[9]  CCH Canadian Tax Reporter, Vol. 4, par. 21,545a.

[10]  Loi de l'impôt sur le revenu, précitée, note 1, art. 147.1(15).

[11]  Ibid., art. 147.1.

[12]  S.N. 1991, ch. 12.

[13]  R.S.N. 1970, ch. 319, art. 32.

[14]  Précité, note 12.

[15]  The Public Service (Pensions) (Purchase of Service) Regulations, 1969, Nfld. Reg. 387/78.

[16]  Assemblée législative de Terre-Neuve. House of Assembly. Hansard, Vol. XLI, no 47, aux p. 1717 et 1718 (M. Kitchen).

[17]  Terre-Neuve. Report of the Commission of Enquiry on Pensions, 1990, aux p. 55 et 56.

[18]  Ibid., aux p. 55 et 56.

[19]  Ibid., à la p. 9.

[20]  R. Sullivan. Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. Toronto: Butterworths, 1994, à la p. 528; Coté, P.-A. Interpretation des lois, 2e éd., Cowansville (Qué.), Yvon Blais, 1990, aux p. 166 et 167.

[21]  Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, à la p. 282.

[22]  Vivian (G.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2922 (C.C.I); Pike c. R., [1998] 1 C.T.C. 2428 (C.C.I.).

[23]  Driedger, précité, à la p. 539.

[24]  Nfld. Reg. 158/91, 20/92, 149/93, 113/95, 33/96.

[25]  Gustavson Drilling, précité, note 21, à la p. 283.

[26]  Motifs du juge d'appel Rothstein, au par. 75.

[27]  Dictionary of Canadian Law, 2e éd. Toronto: Carswell, 1995, à la p. 109.

[28]  S.N. 1983, ch. 32.

[29]  R.S.N. 1970, ch. 319.

[30]  The Public Service (Pensions) (Purchase of Service) Regulations, 1969, Nfld. Reg. 387/78. Ce règlement est rédigé comme suit:

[traduction]

1. Le présent règlement peut être cité sous le titre The Public Service (Pensions) (Purchase of Service) Regulations, 1969.

2. Les définitions qui suivent s'appliquent au présent règlement:

a) « Loi » The Public Service (Pensions) Act, 1968 ;

b) « employé » Est assimilée à un employé

(i)   toute personne réputée être un employé par application d'un règlement pris en vertu de l'article 34 de la Loi;

(ii)  une personne qui est sur le point de devenir un employé.

3. L'achat, par un employé, d'années de service qui seront reconnues comme ouvrant droit à pension est assujetti aux conditions suivantes:

a)   l'employé paie une somme équivalente au double du montant des cotisations qu'il aurait versées en application de l'article 4 de la Loi s'il avait été un employé cotisant en vertu de cet article pendant toute la période correspondant aux années de service achetées, calculé selon le salaire payable à l'employé à la date de l'achat ou à la date de son entrée en fonction;

b)   toute somme payable en vertu du présent règlement porte intérêt entre la date de l'achat et la date du paiement; l'intérêt payable par l'employé est calculé annuellement sur le solde du capital impayé au taux de 6 » p. cent par année;

c)   l'employé peut s'acquitter de toutes les sommes payables en vertu du présent règlement par des versements qui s'étalent sur une période n'excédant pas la durée du service acheté et qui peuvent être retenus sur le salaire de l'employé. [Non souligné dans l'original.]

Remarque: La Loi de 1970 a été édictée à l'origine en 1968 sous le titre The Public Service (Pensions) Act, 1968 [S.N. 1968, no 104], puis elle est devenue la Loi de 1970 à l'occasion de sa révision en 1970. Le règlement intitulé Public Service (Pensions) (Purchase of Service) Regulations, 1969 n'a pas été révisé et c'est pourquoi il renvoie à la première version de la Loi.

[31]  [1995] 2 C.T.C. 2992 (C.C.I.).

[32]  [1998] 1 C.T.C. 2428 (C.C.I.).

[33]  Black's Law Dictionary, 6e éd. (St. Paul, Minnesota: West Publishing Co., 1990), à la p. 158.

[34]  Ibid.

[35]  R.S.N. 1990, ch. I-19.

[36]  R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto: Butterworths, 1994), à la p. 370.

[37]  Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493, à la p. 509.

[38]  Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271.

[39]  Ibid., aux p. 279 et 280.

[40]  Ibid., à la p. 283.

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