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[2000] 1 C.F. 463

99-A-34

Merck & Co., Inc. et Merck Frosst Canada & Co. (requérantes)

c.

Nu-Pharm Inc. et Procureur général du Canada et le ministre de la Santé (intimés)

Répertorié : Nu-Pharm Inc. c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d’appel, juges Desjardins, Décary et Létourneau, J.C.A.—Ottawa, 26 août 1999.

Pratique Jugements et ordonnances Annulation ou modification Dans l’exercice de sa compétence en equity, la Cour fédérale peut, à la demande d’une personne qui aurait dû être constituée partie à une instance, annuler une ordonnance qu’elle a rendueLe recours approprié était une requête analogue à celle visée à la règle 399 des Règles de la Cour fédérale ou à la règle 38.11 des Règles de procédure civile de l’OntarioSubsidiairement, ce pouvoir est nécessaire pour que la Cour exerce pleinement sa compétence.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance La C.F. 1re inst. peut, à la demande d’une personne qui aurait dû être constituée partie à une instance, annuler une ordonnance qu’elle a rendue et ordonner la tenue d’une nouvelle audienceLe recours approprié était une requête analogue à celle visée à la règle 399 des Règles de la Cour fédérale ou à la règle 38.11 des Règles de procédure civile de l’OntarioMême si elle n’avait pas eu de compétence en equity, même si ses Règles n’avaient prévu aucun redressement et même si elle n’avait pas eu de compétence inhérente, la Cour aurait pu exercer sa « compétence implicite » — Ce pouvoir est nécessaire pour que la Cour exerce pleinement sa compétence.

Les requérantes ont demandé que leur soit reconnue la qualité pour agir devant la Cour d’appel fédérale afin d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel de l’ordonnance du juge Cullen, de la Section de première instance, rendue dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire à laquelle les requérantes n’ont pas été constituées intimées et dont elles n’ont été informées qu’après le prononcé de l’ordonnance. Un juge des requêtes de la Section de première instance a accueilli la requête des requérantes présentée afin d’être constituées intimées pour interjeter appel de l’ordonnance du juge Cullen, mais la Cour d’appel a par la suite statué que le juge de la Section de première instance n’avait pas compétence pour constituer les requérantes parties intimées dans le cadre d’un appel devant être interjeté en Cour d’appel fédérale. Cette dernière a rejeté l’appel de la décision du juge Cullen sous réserve du droit des appelantes de demander, sur le fondement de la règle 369, que leur soit reconnue la qualité pour agir devant la Cour d’appel.

Arrêt : la requête est rejetée.

Le juge Décary, J.C.A. : Il ne fait aucun doute que la Cour fédérale, par l’exercice de la compétence en equity que lui confère l’article 3 de la Loi sur la Cour fédérale, a le pouvoir d’annuler toute ordonnance qu’elle rend à la demande d’une personne qui prétend à juste titre qu’elle aurait dû être constituée partie à une instance. La seule question qui se pose est de savoir par quel moyen procédural ce pouvoir doit être exercé. La Cour ne peut se soustraire à l’obligation en equity à laquelle elle est tenue légalement en adoptant des règles qui paraissent incompatibles avec ce pouvoir.

Il est temps de mettre un terme, du moins dans les questions procédurales telles que la présente, au débat sur la question de savoir si la Cour tire ses pouvoirs d’une compétence inhérente par opposition à une compétence implicite. Une fois que la compétence de la Cour fédérale est établie, la Cour, étant investie du statut de cour supérieure par l’article 3 de la Loi sur la Cour fédérale, doit avoir tous les pouvoirs nécessaires pour exercer cette compétence. Lorsque, comme en l’espèce, la compétence en litige concerne non pas les dispositions de fond sur lesquelles les cours supérieures provinciales, par opposition à la Cour fédérale, pourraient avoir compétence, mais des questions de procédure, et qu’il est établi, comme en l’espèce, que le juge des requêtes avait la compétence de rendre l’ordonnance en cause, il n’est tout simplement pas nécessaire de s’assurer du droit d’accès à une cour, qui est l’origine de la théorie de la compétence inhérente.

Même si elle est formulée de manière plus générale que les deux règles qu’elle remplace, la nouvelle règle 399 ne permet toujours pas l’annulation de l’ordonnance à la demande d’une personne qui n’est pas une partie lorsque, comme en l’espèce, il n’y a pas d’allégation de fraude. Les règles ont reconnu officiellement le droit d’être constituée partie à une instance d’une personne qui aurait dû l’être (règle 104(1)b), qui confère à la Cour le pouvoir nécessaire et règle 303, qui établit une exigence vis-à-vis du demandeur). Il doit y avoir une façon de sanctionner la violation par un requérant de son obligation de désigner une partie intimée, et l’une des sanctions possibles est l’annulation de l’ordonnance qui a été rendue et ce, en application, par analogie, de la règle 399. Ou, si l’analogie avec la règle 399 est jugée trop éloignée, par l’application, suivant la règle des lacunes, de la règle 38.11(1) des Règles de procédure civile de l’Ontario, qui permettent la présentation de requêtes pour l’annulation ou la modification d’ordonnances dans des circonstance semblables à celle de la présente espèce.

Même s’il n’y avait pas eu de compétence en equity et même si les règles n’avaient pu être interprétées comme elles l’ont été, et même si la Cour n’avait pas eu de « compétence inhérente », la même conclusion aurait été tirée en utilisant le critère de la « compétence implicite ». L’existence et l’exercice du pouvoir d’annulation d’une ordonnance à la demande d’une personne qui aurait dû être constituée partie à l’instance sont nécessaires pour que la Cour exerce pleinement sa compétence.

Si l’appel avait été autorisé, la Cour d’appel aurait été appelée à statuer sur des questions qui n’avaient pas été soulevées en première instance et à le faire sur le fondement d’une preuve qui n’avait pas été présentée en première instance. Il serait donc plus pratique de faire entendre de nouveau la requête par la Section de première instance. Lorsqu’un recours est possible devant la Section de première instance, les parties devraient normalement s’adresser à elle en premier lieu. Les requérantes peuvent avoir recours à une procédure analogue à celle qui est établie à la règle 399, et le juge de la Section de première instance pourrait être saisi de la requête visant la tenue d’une nouvelle audience.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 489.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), c. F-7, art. 3 (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 68).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 330 (mod. par DORS/79-58, art. 1), 1733.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 2 « ordonnance », 4, 104(1)b ), 303, 399.

Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règles 38.11, 68.02.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Coulson v. Secure Holdings Ltd. (1976), 1 C.P.C. 168 (C.A. Ont.); Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.S.C. 626; (1998), 157 D.L.R. (4th) 385; 6 Admin. L.R. (3d) 1; 22 C.P.C. (4th) 1; 224 N.R. 241; Union Natural Gas Co. v. Chatham Gas Co. (1917), 38 D.L.R. 753 (C.S. Ont.); inf. pour d’autres motifs dans Union Natural Gas Company v. The Chatham Gas Company (1918), 56 R.C.S. 253; 40 D.L.R. 485.

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et l’Associaton de Conseillers Scolaires Francophones du Nouveau-Brunswick v. Minority Language School Board No. 50 (défenderesse) et Association of Parents for Fairness in Education, Grand Falls District 50 Branch (intervenante éventuelle) (1984), 54 R.N.-B. (2e) 198; 8 D.L.R. (4th) 238; 8 Admin. L.R. 138 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Nu-Pharm Inc. c. Canada (Procureur général), [1999] F.C.J. no 231 (1re inst.) (QL); Nu-Pharm Inc. c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 1004 (C.A.) (QL); Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13 (1985), 60 N.R. 203 (C.A.).

REQUÊTE afin que soit reconnue aux requérantes la qualité pour agir devant la Cour d’appel fédérale en vue d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel d’une ordonnance de la Section de première instance (Nu-Pharm Inc. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 C.F. 620 (1999), 84 C.P.R. (3d) 466; 159 F.T.R. 68). Requête rejetée.

OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :

G. Alexander Macklin, pour les requérantes.

Harry B. Radomski et Andrew R. Brodkin, pour l’intimée Nu-Pharm Inc.

Frederick B. Woyiwada, pour les intimés le procureur général du Canada et le ministre de la Santé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Strathy & Henderson, Ottawa, pour les requérantes.

Goodman Phillips & Vineberg, Toronto, pour l’intimée Nu-Pharm Inc.

Le sous-procureur général du Canada, pour les intimés le procureur général du Canada et le ministre de la Santé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Décary, J.C.A. : La Cour est saisie d’une requête peu courante : les requérantes, Merck & Co., Inc. et Merck Frosst Canada& Co., cherchent à se faire reconnaître qualité pour agir devant la Cour d’appel fédérale afin d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel de l’ordonnance du juge Cullen datée du 19 novembre 1998 [[1999] 1 C.F. 620. Cette ordonnance a été rendue dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire à l’égard de laquelle les requérantes n’ont pas été constituées intimées et dont elles n’ont été informées qu’après le prononcé du jugement final par le juge Cullen.

[2]        Les requérantes ont initialement présenté une requête devant la Section de première instance en vue d’être constituées intimées dans le but d’interjeter appel du jugement du juge Cullen. Le 17 février 1999 [[1999] F.C.J. no 231 (1re inst.) (QL)], un juge des requêtes a accueilli leur requête, mais, le 15 juin 1999, la présente Cour a statué qu’un juge de la Section de première instance n’avait pas compétence pour constituer intimées les requérantes dans le cadre d’un appel qui devait être introduit devant la Section d’appel, et elle a annulé la décision du juge des requêtes (A-130-99) [[1999] A.C.F. no 1004 (QL)]. La présente Cour a ensuite rejeté l’appel de la décision du juge Cullen (A-161-99) [traduction] « parce que les appelantes n’avaient pas qualité pour agir, sous réserve de leur droit de tenter, par requête présentée en vertu de la Règle 369 des Règles de la Cour fédérale, de se faire reconnaître qualité pour agir devant la présente Cour ». Dans ses motifs de jugement dans le dossier A-130-99 (au paragraphe 11), la Cour avait exprimé l’opinion que :

Seule la Cour d’appel fédérale pourrait, après que la Section de première instance a rendu son jugement sur le fond, permettre à un tiers d’être constitué comme partie en vue du dépôt d’un avis d’appel devant la Cour d’appel, et ce, uniquement dans les circonstances décrites par la Cour suprême dans Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. c. Association of Parents for Fairness in Education ([1986] 1 R.C.S. 549, aux p. 584 et suivantes.) [Non souligné dans l’original.]

[3]        J’aimerais mentionner tout d’abord qu’il n’y a absolument aucun doute dans mon esprit que la Cour fédérale dans l’exercice de la compétence en equity que lui confère l’article 3 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 68)], a le pouvoir d’annuler toute ordonnance qu’elle rend à la demande d’une personne qui prétend à juste titre qu’elle aurait dû être constituée partie à une instance. À mon avis, la seule question consiste à savoir par quel moyen procédural ce pouvoir doit être exercé.

[4]        Si les Règles de la Cour paraissaient incompatibles avec le pouvoir susmentionné, je dirais, pour paraphraser Mme le juge Wilson (plus tard juge de la Cour suprême du Canada) dans Coulson v. Secure Holdings Ltd. (1976), 1 C.P.C. 168 (C.A. Ont.), à la page 172, ne pas croire que la Cour puisse invoquer ses règles de pratique pour se soustraire à l’obligation en equity à laquelle elle est tenue en vertu de l’article 3 de la Loi sur la Cour fédérale.

[5]        Il me semble qu’il est temps de mettre un terme, du moins dans les questions procédurales telles que la présente, au débat qui perdure depuis de trop nombreuses années sur la question de savoir si la Cour tire ses pouvoirs d’une compétence inhérente par opposition à une compétence implicite. Une fois que la compétence de la Cour fédérale est établie, la Cour, étant investie du statut de cour supérieure par l’article 3 de la Loi sur la Cour fédérale, doit avoir tous les pouvoirs nécessaires pour exercer cette compétence.

[6]        La distinction qu’il est possible d’établir entre une « compétence inhérente » et une « compétence implicite » a été replacée dans son juste contexte dans l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626. Au nom de la majorité, le juge Bastarache a réfuté la croyance selon laquelle la doctrine de la compétence inhérente pouvait être utilisée « comme corollaire de la proposition selon laquelle une loi fédérale attributive de compétence à la Cour fédérale doit recevoir une interprétation étroite » (à la page 651). À la page 658, il dit :

À mon avis, la théorie de la compétence inhérente a pour effet de garantir que, une fois analysées les diverses attributions législatives de compétence, il y aura toujours un tribunal habilité à statuer sur un droit, indépendamment de toute attribution législative de compétence. Le tribunal qui jouit de cette compétence inhérente est la juridiction de droit commun, c’est-à-dire la cour supérieure de la province. Cette théorie n’a pas pour effet de limiter restrictivement une attribution législative de compétence; de fait, elle ne prévoit rien quant à la façon dont une telle attribution doit être interprétée. Comme l’a souligné le juge McLachlin dans l’arrêt Fraternité, précité, au par. 7, il s’agit d’une « compétence résiduelle ». Dans un système fédéral, la théorie de la compétence inhérente ne justifie pas d’interpréter restrictivement les lois fédérales conférant compétence à la Cour fédérale.

[7]        Lorsque, comme en l’espèce, la « compétence » en litige concerne non pas les dispositions de fond sur lesquelles les cours supérieures provinciales, par opposition à la Cour fédérale, pourraient avoir compétence, mais des questions de procédure, et qu’il est établi, comme en l’espèce, que le juge Cullen avait la compétence pour rendre l’ordonnance en litige, il n’est tout simplement pas nécessaire de s’assurer du droit d’accès à une cour, qui est l’origine de la théorie de la compétence inhérente.

[8]        Pour revenir à la question qui doit être tranchée dans le cadre de la présente requête et en tenant pour acquis que la Cour fédérale, en equity, doit trouver une façon de venir à la rescousse des requérantes si elles prétendent à juste titre qu’elles auraient dû être constituées parties à l’instance devant le juge Cullen, je dois maintenant décider si les Règles de la Cour fédérale prévoient une solution appropriée et, dans la négative, si celle que proposent les requérantes est valable (c’est-à-dire d’obtenir de la Cour d’appel l’autorisation de se faire reconnaître qualité pour interjeter appel d’une ordonnance de la Section de première instance).

[9]        J’ai d’abord cru que la solution se trouvait à la règle 399 [des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106] qui dispose :

399. (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue :

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance.

(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;

(b) l’ordonnance a été obtenue par fraude.

(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’annulation ou la modification d’une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) ne porte pas atteinte à la validité ou à la nature des actes ou omissions antérieurs à cette annulation ou modification.

[10]      La règle 399 a remplacé, à compter du 25 avril 1998, les anciennes règles 330 [mod. par DORS/79-58 art. 1] et 1733 [des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] qui disposaient :

Règle 330. La Cour peut annuler

a) toute ordonnance rendue ex parte, ou

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui a omis de comparaître par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis de requête insuffisant;

mais une telle annulation n’affecte ni la validité ni la nature d’une action ou omission antérieure à l’ordonnance d’annulation sauf dans la mesure où la Cour, à sa discrétion, le prévoit expressément dans son ordonnance d’annulation.

[…]

Règle 1733. Une partie qui a droit de demander en justice l’annulation ou la modification d’un jugement ou d’une ordonnance en s’appuyant sur des faits survenus postérieurement à ce jugement ou à cette ordonnance ou qui ont été découverts par la suite, ou qui a droit d’attaquer un jugement ou une ordonnance pour fraude, peut le faire, sans intenter d’action, par simple demande à cet effet dans l’action ou autre procédure dans laquelle a été rendu ce jugement ou cette ordonnance.

[11]      La nouvelle règle est formulée de manière plus générale que les deux règles qu’elle remplace. Le paragraphe 399(1), contrairement à l’ancienne règle 330, ne se limite plus aux « ordonnances » par opposition aux « jugements » parce que le mot « ordonnance » dans les nouvelles règles inclut un jugement (voir la règle 2). Une personne qui n’est pas une partie à une instance peut avoir recours au paragraphe 399(2), ce que ne permettait pas l’ancienne règle 1733. Il s’agit de changements importants, mais ce serait élargir le sens du mot « partie » du paragraphe 399(1) que d’y inclure une personne qui n’est pas une partie et qui aurait dû être constituée comme partie—comment pourrait-on dire que Merck est une partie « contre laquelle [l’ordonnance] a été rendue »« et ce serait ajouter à l’objet de l’alinéa 399(2)b) que de permettre l’annulation de l’ordonnance à la demande d’une personne qui n’est pas une partie lorsque, comme en l’espèce, il n’y a pas d’allégation de « fraude ». Toutefois, notre recherche ne s’arrête pas là.

[12]      Les règles ont reconnu officiellement le droit d’être constituée partie à une instance d’une personne qui aurait dû l’être : dans l’alinéa 104(1)b), par laquelle la Cour est investie du pouvoir « d’ordonner […] que soit constituée comme partie à l’instance toute personne qui aurait dû l’être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance » et dans la règle 303, par laquelle le demandeur dans une demande de contrôle judiciaire est tenu de désigner « a) toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, […] [ou] b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d’application qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande ».

[13]      Il doit certainement y avoir une façon de sanctionner la violation par un requérant de son obligation de désigner une partie intimée, et l’une des sanctions possibles est l’annulation de l’ordonnance qui a été rendue. Je ne vois aucune raison, en principe, pour laquelle une personne qui aurait dû être constituée partie ne devrait pas avoir, tout comme une partie qui était absente pour l’un des motifs prévus à l’alinéa 399(1)b) des Règles (1998), la possibilité de faire annuler l’ordonnance en cause. Selon moi, la règle 399 devrait manifestement s’appliquer par analogie à des affaires telles que la présente.

[14]      Même si l’analogie avec la règle 399 est trop éloignée, la règle 4 permet de se reporter « à la pratique de la cour supérieure de la province qui est plus pertinente en l’espèce ».

[15]      En l’espèce, la demande initiale de contrôle judiciaire a été déposée par Nu-Pharm à Toronto, en Ontario. Nu-Pharm Inc. est une société constituée sous le régime des lois de la province de l’Ontario. La requête de Merck a aussi été déposée en Ontario par ses conseillers juridiques d’Ottawa. La pratique de la Cour supérieure de justice d’Ontario est celle qui est la « plus pertinente » pour les fins de l’article 4, et les Règles de procédure civile de l’Ontario [R.R.O. 1990, Règl. 194] ont établi un mécanisme conçu précisément pour résoudre des problèmes tels que celui qui nous occupe. Il s’agit de la règle 38.11(1) qui dispose :

38.11(1) La personne sur laquelle un jugement rendu dans une requête introduite sans préavis a une incidence ou qui ne se présente pas à l’audition d’une requête par inadvertance ou erreur ou faute d’un préavis insuffisant, peut demander, par voie de motion, l’annulation ou la modification du jugement, au moyen d’un avis de motion qu’elle signifie dès qu’elle prend connaissance du jugement et qui précise la date d’audience la plus rapprochée possible, au moins trois jours après la signification de l’avis de motion.

[16]      La règle 38.11(1) régit les requêtes, mais la règle 68.02 la rend applicable aux instances en contrôle judiciaire.

[17]      Le fait que l’appel de la décision du juge des requêtes ait été entendu, pour des raisons d’ordre pratique, à Montréal, n’a aucune incidence sur le but de l’application de la règle 4. En tout état de cause, le résultat serait le même si les règles de référence étaient celles qui sont applicables dans la province de Québec. L’article 489 du Code de procédure civile [L.R.Q., ch. C-25] permet la révocation d’un jugement à la demande de « [t]oute personne dont les intérêts sont affectés par un jugement rendu dans une instance où ni elle ni ses représentants n’ont été appelés ».

[18]      J’en conclus donc que le mécanisme auquel Merck aurait dû avoir recours était une requête en Section de première instance en vue d’annuler l’ordonnance rendue par le juge Cullen, analogue à celle que l’on retrouve à la règle 399 des Règles de la Cour fédérale (1998) ou, subsidiairement, celle que l’on retrouve à la règle 38.11 des Règles de procédure civile de l’Ontario.

[19]      J’ajouterais que même s’il n’y avait pas eu de compétence en equity et même si je n’avais pu interpréter les règles comme je l’ai fait, et même si la Cour n’avait pas de « compétence inhérente », j’aurais tiré la même conclusion en utilisant le critère de la « compétence implicite ». En suivant ce que le juge Bastarache a qualifié de « démarche relativement souple » (arrêt Canadian Liberty Net , précité, à la page 641) ou la démarche « plus rigoureuse » (il s’agit des mots du juge Bastarache dans l’arrêt Canadian Liberty Net, précité, à la page 641) du juge Stone dans Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13(C.A.), j’aurais été d’avis que l’existence et l’exercice du pouvoir d’annulation d’une ordonnance à la demande d’une personne qui aurait dû être constituée partie à l’instance est nécessaire pour que la Cour exerce pleinement sa compétence.

[20]      Il s’agit précisément du même résultat auquel est arrivée la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Coulson v. Secure Holdings Ltd., précité, où le juge Wilson a statué qu’un juge de première instance avait compétence pour annuler le jugement d’un autre juge de première instance à la demande de personnes qui auraient dû être constituées parties à l’action et qui avaient été informées du jugement par un compte rendu dans les journaux. Mme le juge Wilson s’est fondée sur une décision antérieure rendue par ce qui était alors la Cour suprême de l’Ontario dans l’arrêt Union Natural Gas Co. v. Chatham Gas Co. (1917), 38 D.L.R. 753 (infirmé pour d’autres motifs (1918), 56 R.C.S. 253), où le juge Hodgins, au nom de la Cour, avait souligné que le jugement liant les parties avait pratiquement annulé le contrat d’un tiers et qu’une telle injustice ne pouvait être commise à l’endroit d’une partie qui était absente. Le juge Hodgins avait décidé que la règle 134 [des Règles de pratique et procédure de la Cour suprême de l’Ontario] (l’équivalent de la règle 104 de la Cour fédérale) visait cette affaire et il avait ordonné la tenue d’un nouveau procès.

[21]      En l’espèce, si l’appel était autorisé, la Cour d’appel serait appelée à statuer sur des questions qui n’ont pas été soulevées en première instance et à le faire d’après une preuve qui n’a pas été présentée en première instance. Il serait plus pratique dans ces circonstances de faire entendre de nouveau la requête par la Section de première instance. Lorsqu’un recours est possible devant la Section de première instance, les parties devraient normalement s’adresser d’abord à la Section de première instance. Je souligne que dans Société des Acadiens, l’existence d’un recours subsidiaire ne semble pas avoir été soulevée, l’intérêt des parents à l’égard de l’instance n’était pas en cause—dans la présente espèce, au contraire, la question de savoir si les requérants ont un intérêt à l’égard de l’instance est précisément la question que la présente Cour est appelée à trancher sans disposer de l’avis du juge de première instance sur cette question—et la partie absente avait convenu d’être liée en appel par le dossier de première instance (voir Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et l’Association de Conseillers Scolaires Francophones du Nouveau-Brunswick c. Minority Language School Board No. 50 (défenderesse) et Association of Parents for Fairness in Education, Grand Falls District 50 Branch (intervenante éventuelle) (1984), 54 R.N.-B. (2e) 198 (C.A.), à la page 210.)

[22]      Il s’ensuit que si les requérantes prétendent à juste titre qu’elles auraient dû être constituées parties intimées à l’instance devant le juge Cullen, elles peuvent avoir recours à une procédure analogue à celle qui est établie à la règle 399, et le juge de première instance saisi de leur requête pourrait annuler l’ordonnance et ordonner la tenue d’une nouvelle audience, s’il est convaincu que les requérantes auraient dû être ainsi constituées parties.

[23]      Vu la conclusion que j’ai tirée, je ne fais aucun commentaire à l’égard des autres motifs invoqués par Nu-Pharm dans son dossier de requête, c’est-à-dire que Merck n’a pas prouvé qu’elle avait une cause défendable, que rouvrir la décision rendue par le juge Cullen entraînerait une multiplicité abusive d’instances et que la réouverture de la décision rendue par le juge Cullen que propose Merck est maintenant théorique. Ces questions relèvent davantage du juge des requêtes si Merck demande réparation devant la Section de première instance de la manière établie dans les présents motifs.

[24]      La requête doit être rejetée. Dans les circonstances, il n’est pas justifié d’adjuger des dépens.

Le juge Desjardins, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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