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[2000] 3 C.F. 253

IMM-2372-98

Parminder Singh Saini (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Saini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Dubé—Toronto, 8 février; Ottawa, 17 février 2000.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Personnes non admissibles Contrôle judiciaire visant l’obtention d’un jugement déclaratoire portant que la mesure d’expulsion prise en 1995 ne devait pas être exécutéeLe demandeur a été déclaré coupable de détournement d’avion au PakistanPeine de mort initiale commuée en peine de prison à perpétuitéPar la suite, le demandeur a été mis en liberté conditionnelle et a reçu l’ordre de quitter le PakistanLe président du Pakistan a exercé les pouvoirs que lui confère l’art. 45 de la Constitution de la République islamique du Pakistan pour lui accorder une réhabilitation en 1998 « à l’égard de la condamnation/peine d’emprisonnement déjà purgée » — On ne peut faire fi d’une réhabilitation valide accordée dans un autre pays dont le système de justice est semblable au nôtreSelon les experts, la réhabilitation accordée par le président emporte la suppression de toutes les conséquences juridiques de la condamnationLe système judiciaire du Pakistan est assez semblable au nôtreOn porterait gravement atteinte au sens canadien de la justice si le ministère canadien de l’Immigration présumait qu’une personne a été déclarée coupable d’une infraction alors que cette personne est réputée ne pas avoir été déclarée coupable dans le territoire où l’infraction aurait été commiseLe demandeur n’est pas à l’abri d’une expulsion fondée sur d’autres motifsQuestions certifiées : 1) Un tribunal canadien est-il lié par la réhabilitation accordée par un État étranger en l’absence d’éléments de preuve concernant les facteurs qui ont motivé l’octroi de cette réhabilitation? 2) Une réhabilitation accordée « à l’égard de la condamnation/peine d’emprisonnement déjà purgée » efface-t-elle à la fois la condamnation et ses conséquences? 3) La nature de l’infraction de détournement d’avion constitue-t-elle une raison solide de s’écarter du principe voulant qu’une réhabilitation accordée par un État étranger, dont les lois reposent sur des fondements analogues à ceux des lois canadiennes, soit reconnue au Canada?

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que la mesure d’expulsion prise en 1995 contre le demandeur ne devait pas être exécutée. Le demandeur est un citoyen de l’Inde qui a été déclaré coupable, au Pakistan, du détournement d’un avion de ligne. Il a initialement été condamné à mort, mais sa peine a été commuée en une peine d’emprisonnement à perpétuité. Il a été mis en liberté conditionnelle en 1994 et il a reçu l’ordre de quitter le Pakistan. En 1998, le président du Pakistan a exercé les pouvoirs que lui confère l’article 45 de la Constitution de la République islamique du Pakistan et il a réhabilité le demandeur « à l’égard de la condamnation/peine d’emprisonnement déjà purgée.

Jugement : la demande est accueillie.

Selon la jurisprudence canadienne, la réhabilitation a pour effet de laver la personne visée de toute souillure causée par la déclaration de culpabilité. Personne ne peut faire fi, au Canada, d’une réhabilitation valide accordée dans un autre pays dont le système de justice est semblable au nôtre, et cela vaut plus particulièrement d’un responsable de l’immigration. L’opinion de l’expert du ministre portant qu’une réhabilitation ne peut être considérée comme un acquittement et que la déclaration de culpabilité du demandeur subsiste, s’appuyait sur une décision britannique qui n’avait pas force exécutoire au Pakistan, parce que la Constitution du Pakistan avait été promulguée longtemps avant qu’elle soit prononcée. De l’avis des deux autres experts, la réhabilitation emporte la suppression de toutes les conséquences juridiques de la condamnation. Le système judiciaire pakistanais est assez semblable au système judiciaire canadien et on « porterait gravement atteinte au sens canadien de la justice » si le ministère canadien de l’Immigration présumait qu’une personne a été déclarée coupable d’une infraction alors qu’elle est réputée ne pas avoir été déclarée coupable de cette même infraction dans le territoire où l’infraction aurait été commise. Bien qu’un détournement d’avion constitue une infraction grave, le demandeur a été lavé de cette déclaration de culpabilité et ne doit pas être expulsé pour cette raison. Il n’est toutefois pas à l’abri d’une expulsion fondée sur d’autres motifs.

Les questions suivantes ont été certifiées : 1) Un tribunal canadien est-il lié par la réhabilitation accordée par un État étranger en l’absence d’éléments de preuve concernant les facteurs qui ont motivé l’octroi de cette réhabilitation? 2) Une réhabilitation accordée « à l’égard de la condamnation/ peine d’emprisonnement déjà purgée » efface-t-elle à la fois la condamnation et ses conséquences? 3) La nature de l’infraction de détournement d’avion constitue-t-elle une raison solide de s’écarter du principe voulant qu’une réhabilitation accordée par un État étranger, dont les lois reposent sur des fondements analogues à ceux des lois canadiennes, soit reconnue au Canada?

LOIS ET RÈGLEMENTS

Constitution of Islamic Republic of Pakistan, Art. 45.

Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), ch. C-47.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)c.1)(i) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11).

Rehabilitation of Offenders Act 1974 (R.-U.), 1974, ch. 53.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Burgon, [1991] 3 C.F. 44 (1991), 78 D.L.R. (4th) 103; 13 Imm. L.R. (2d) 102; 122 N.R. 228 (C.A.); Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 144 (1re inst.); Lui c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1997), 134 F.T.R. 308; 39 Imm. L.R. (2d) 60 (C.F. 1re inst.); Barnett c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 109 F.T.R. 154; 33 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. v. Foster, [1984] 2 All ER 679 (C.A.); R. v. Cosgrove, [1949] Tas. S.R. 99; R. v. Secretary of State for the Home Dept., ex p. Bentley, [1993] 4 All ER 442 (Q.B.D.).

DOCTRINE

Halsbury’s Laws of England, vol. 8(2), 4th ed. (Reissue). London : Butterworths, 1996.

DEMANDE de contrôle judiciaire visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que la mesure d’expulsion prise contre le demandeur ne devait pas être exécutée pour le motif que le président du Pakistan a réhabilité le demandeur en 1998. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Barbara L. Jackman pour le demandeur.

David W. Tyndale pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Dubé : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que la mesure d’expulsion prise contre le demandeur le 27 octobre 1995 ne doit pas être exécutée parce que le demandeur a obtenu sa réhabilitation du président du Pakistan en 1998.

1.         Les faits

[2]        Le demandeur est un citoyen de l’Inde qui a été déclaré coupable, au Pakistan, du détournement d’un avion de ligne effectuant un vol entre l’Inde et le Pakistan. Il a initialement été condamné à mort, mais sa peine a été commuée en une peine d’emprisonnement à perpétuité. Il a été mis en liberté conditionnelle en 1994 et il a reçu l’ordre de quitter le Pakistan. En 1998, il a été réhabilité par le président du Pakistan.

2.         La réhabilitation accordée par le président

[3]        Voici les termes dans lesquels la réhabilitation a été accordée :

[traduction]

SUJET+ RÉHABILITATION À L’ÉGARD DE LA CONDAMNATION DE PARMINDER SINGH SAINI FILS DE ARJAN SINGH SAINI.

Je dois me reporter à l’appel que vous avez adressé au président du Pakistan pour lui demander une réhabilitation à l’égard de la condamnation/peine d’emprisonnement déjà purgée par M. Parminder Singh Saini, prononcée par la Cour spéciale de Lahore, relativement à l’accusation d’avoir détourné un avion d’Indian Airlines effectuant un vol entre Srinagar et le Pakistan.

2. L’affaire a été examinée par le gouvernement du Pakistan et le président du Pakistan a décidé, en vertu des pouvoirs que lui confère l’article 45 de la Constitution de la République islamique du Pakistan, d’accorder une réhabilitation à l’égard de la condamnation/peine d’emprisonnement déjà purgée par Parminder Singh Saini, fils de Arjan Singh Saini, prononcée par la Cour spéciale de Lahore, relativement à l’accusation d’avoir détourné un avion d’Indian Airlines effectuant un vol entre Srinagar et le Pakistan.

                                                                             Sincèrement vôtre,

                                                                             (Muhammad Zafeer Abbasi)

                                                                             Secrétaire adjoint

3.         Les opinions d’expert

[4]        Trois experts ont déposé une opinion concernant l’effet de la réhabilitation. La première opinion obtenue par le demandeur émane du cabinet Khwaja Law Associates. Elle ne comporte qu’un paragraphe, que voici :

[traduction] Le président du Pakistan a accordé, à l’égard de la condamnation de M. Parminder Singh Saini, une réhabilitation qui emporte la suppression de toutes les conséquences juridiques de sa condamnation.

[5]        S. M. Zafar, avocat principal à la Cour suprême du Pakistan, a fourni une opinion plus étoffée pour étayer les prétentions du demandeur. Me Zafar explique que le père du demandeur a formé un appel, à partir de l’Inde, auprès du président du Pakistan, en invoquant les pouvoirs en vertu de la prérogative que lui confère l’article 45 de la Constitution of Islamic Republic of Pakistan. Après avoir dûment examiné la demande de réhabilitation, le président du Pakistan a accordé une « réhabilitation à l’égard de la condamnation/peine d’emprisonnement déjà purgée ».

[6]        Me Zafar souligne en outre que la réhabilitation [traduction] « est survenue après que Parminder Singh Saini a purgé sa peine et a été libéré ». La réhabilitation accordée le 17 avril 1998 [traduction] « indique que le président du Pakistan a exercé le pouvoir que lui confère l’article 45 pour libérer Parminder Singh Saini non de la prison, mais de sa déclaration de culpabilité ». L’article 45 prévoit :

[traduction] 45. Le président a le pouvoir d’accorder une réhabilitation, un sursis et une remise, et de suspendre ou commuer toute peine infligée par une cour, un tribunal ou une autre autorité.

[7]        Me Zafar ajoute que la réhabilitation [traduction] « a pour effet de supprimer toutes les peines ainsi que l’incapacité liées à une déclaration de culpabilité. La réhabilitation les annule à tous égards ». Selon d’éminents juristes de son pays, [traduction] « la réhabilitation inconditionnelle efface l’infraction et annule tant la peine que la déclaration de culpabilité ». Il conclut que [traduction] « la réhabilitation accordée au prisonnier est complète, absolue et inconditionnelle par nature, de sorte qu’elle remédie à la culpabilité et absout le prisonnier des conséquences pénales, ce qui emporte le rétablissement de ses droits civiques ».

[8]        L’expert du ministre, Munawar Akhtar, avocat à la Cour suprême du Pakistan, n’est pas du même avis. Bien qu’il soit d’accord avec Me Zafar pour dire que le pouvoir d’accorder une réhabilitation, interprété par les tribunaux du Pakistan, est de la nature de la prérogative royale et que cette compétence remonte à l’exercice d’un tel pouvoir par la Couronne britannique, il ne souscrit pas à la conclusion tirée par son collègue. Il se reporte au point de vue anglais sur la question et cite le paragraphe 826 de la réédition de Halsbury’s Laws of England, 4e éd., vol. 8(2) :

[traduction] La réhabilitation peut être totale, conditionnelle ou prendre la forme d’une remise intégrale ou partielle de la peine. La réhabilitation totale a pour effet de libérer la personne en cause de toutes les conséquences de l’infraction à l’égard de laquelle elle est accordée et de toutes les inhabilités, notamment d’origine législative, découlant de la déclaration de culpabilité, mais elle ne supprime pas la déclaration de culpabilité. [Souligné par l’expert.]

[9]        Me Akhtar se reporte ensuite à l’arrêt R. v. Foster[1] de la Cour d’appel anglaise, portant sur l’effet d’une réhabilitation et d’un jugement de la Cour suprême de Tasmanie, intitulé R. v. Cosgrove[2], statuant qu’une réhabilitation n’équivalait pas à un acquittement. L’extrait pertinent suivant a été cité :

[traduction] […] une telle réhabilitation accordée par le Roi a pour effet de faire un nouvel homme du contrevenant; de le libérer de toutes les peines et confiscations matérielles liées à l’infraction à l’égard de laquelle il obtient sa réhabilitation; et non vraiment de rétablir sa crédibilité et sa capacité initiales, de lui en conférer une nouvelle […] Par conséquent, une réhabilitation n’équivaut d’aucune façon à un acquittement.

[10]      Me Akhtar enchaîne en affirmant que [traduction] « la Cour d’appel d’Angleterre a retenu la thèse selon laquelle la Couronne ne bénéficie plus de la prérogative de justice, mais uniquement de la prérogative de clémence : elle ne peut supprimer la déclaration de culpabilité, mais uniquement en annuler les effets. Le seul organisme habilité à annuler une déclaration de culpabilité est la section criminelle de la Cour d’appel, et non la Couronne ». Dans une affaire ultérieure, R. v. Secretary of State for the Home Dept., ex p. Bentley[3], la Haute Cour d’Angleterre a étudié l’arrêt susmentionné de la Cour d’appel d’Angleterre et [traduction] « reconnu la force de l’argument portant qu’une réhabilitation totale n’élimine pas la déclaration de culpabilité.

[11]      Me Akhtar passe brièvement en revue la jurisprudence américaine en la matière et conclut que [traduction] « la tendance générale des tribunaux des États-Unis semble vouloir que le pouvoir de clémence attribué au président par la Constitution américaine n’englobe pas le pouvoir d’effacer la culpabilité. » Me Akhtar conclut dans les termes suivants :

[traduction] Au Pakistan, les tribunaux reconnaissent que le pouvoir d’accorder une réhabilitation équivaut à la prérogative de la Couronne comme en Angleterre et constitue un acte de clémence. Il s’agit d’une fonction exécutive, accomplie par l’attribution de la grâce. Comme nous l’avons déjà expliqué, il n’existe aucune décision publiée émanant des tribunaux du Pakistan qui porte sur cette question. Nous sommes d’avis que les tribunaux pakistanais suivraient le jugement rendu par la Cour d’appel dans l’affaire R. v. Foster, qui est aussi cité dans le vol. 8(2) de l’ouvrage intitulé Halsbury’s Laws of England. La réhabilitation inconditionnelle accordée à une personne déclarée coupable a pour effet de la libérer de toutes les conséquences de l’infraction de détournement d’avion, mais sa réhabilitation ne doit pas être considérée comme un acquittement, ce qui fait que la déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction subsiste. Quant à l’effet qu’aura cette réhabilitation au Canada, il faut tenir compte des lois applicables au Canada. [Non souligné dans l’original.]

4.         L’argumentation du demandeur

[12]      Le demandeur soutient que la décision britannique rendue en 1984 dans l’affaire Foster, sur laquelle s’appuie l’opinion de Me Akhtar, n’a pas force exécutoire au Pakistan parce qu’elle a été prononcée longtemps après la promulgation de la Constitution du Pakistan. L’article 45 de la Constitution prévoit clairement que le président a le pouvoir d’accorder une réhabilitation, un sursis et une remise, et de suspendre ou commuer toute peine infligée par un tribunal.

[13]      En ce qui concerne la jurisprudence canadienne en la matière, la Cour d’appel fédérale a statué, dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Burgon[4], qu’une réhabilitation accordée au Royaume-Uni ou dans un autre pays ayant un système juridique semblable à celui du Canada a pour effet d’éliminer les restrictions à l’admissibilité au Canada. Le juge Linden de la Cour d’appel a écrit ce qui suit, aux pages 62 et 63 :

À moins qu’il existe un motif valable de rendre une autre décision, j’estime donc qu’il y a lieu de respecter les lois des pays qui sont semblables aux nôtres, surtout lorsque leurs buts sont identiques. Bien que je sois certainement d’accord avec le juge Bora Laskin pour dire que le droit d’un autre pays « n’est pas déterminant en ce qui concerne une question relative aux condamnations criminelles posée aux fins de déterminer si l’immigration au Canada devrait être permise » (voir Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration c. Brooks, [1974] R.C.S. 850, à la page 863), nous devons reconnaître les lois d’autres pays qui reposent sur les mêmes fondements que les nôtres, à moins qu’il existe une raison solide de s’en écarter. Pour reprendre les mots de la Section d’appel :

[traduction] On porterait gravement atteinte au sens canadien de la justice si le ministère canadien de l’Immigration ou le système judiciaire canadien s’autorisait lui-même à présumer qu’une personne est déclarée coupable d’une infraction alors que cette personne est réputée ne pas avoir été déclarée coupable de la même infraction dans le territoire où l’infraction aurait été commise.

Bien que notre Cour ne soit pas, comme le fait valoir l’avocat de l’intimé, tenue d’aller jusqu’à « reconnaître » les lois de tous les ressorts étrangers, il convient de le faire en l’espèce, parce que les lois et le système juridique de l’autre pays sont similaires aux nôtres.

Comme il n’y a pas de « déclaration de culpabilité » au Royaume-Uni et qu’il n’y a pas de raison de refuser de reconnaître le loi du Royaume-Uni qui est semblable à la nôtre, Mme Burgon n’a pas été « déclarée coupable » au sens de l’alinéa 19(1)c) de la Loi sur l’immigration et elle n’est pas frappée d’exclusion.

[14]      Dans l’affaire Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[5], le juge MacKay de notre Cour s’est prononcé sur le cas d’un demandeur qu’un agent d’immigration avait jugé non admissible en raison de condamnations antérieures. Une mesure d’expulsion avait été prise contre lui. Le demandeur a obtenu sa réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire[6]. L’une des questions en litige était l’effet de la réhabilitation sur la mesure d’expulsion et la mesure d’exclusion. Il a conclu que, si on ne saurait affirmer que la Loi efface la condamnation, en ce sens que la condamnation est censée ne pas avoir existé, il faut néanmoins donner effet à la réhabilitation.

[15]      L’une des sources sur lesquelles s’est appuyé le juge MacKay est la décision rendue par M. le juge Rothstein (siégeant alors en première instance, maintenant juge à la Cour d’appel) dans l’affaire Lui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[7] qui a dit, à la page 310 : « À moins qu’il existe un motif valable de rendre une autre décision, j’estime donc qu’il y a lieu de respecter les lois des pays qui sont semblables aux nôtres, surtout lorsque leurs buts sont identiques. » Le juge Rothstein a interprété la portée de la Loi sur le casier judiciaire afin de décider s’il était possible d’affirmer qu’une loi similaire de Hong Kong, qui était en cause dans cette affaire, avait le même effet et il a tiré la conclusion suivante, à la page 311 :

Bien que la réhabilitation soit susceptible d’être révoquée si la personne visée est condamnée pour une nouvelle infraction ou pour d’autres raisons, il semble que, hormis les quelques exceptions prévues au Code criminel que j’ai mentionnées, la réhabilitation, pour reprendre les paroles du juge Linden dans l’arrêt Burgon, a pour effet de laver la personne visée de « toute souillure causée par la déclaration de culpabilité ».

[16]      Dans l’arrêt Barnett c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[8], le juge Jerome (alors juge en chef adjoint de la Cour) a appliqué la décision Burgon à la Rehabilitation of Offenders Act 1974 [(R.-U.), 1974, ch. 53] du Royaume-Uni, statuant que le demandeur Barnett n’était pas exclu par application du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11)]. Voici les propos qu’il a tenus, à la page 158 :

Je ne puis accueillir cet argument. Il ressort clairement de l’arrêt Burgon que lorsqu’un autre pays, dont le système juridique repose sur des fondements analogues et partage des valeurs semblables aux nôtres, a adopté des lois qui reflètent des buts et des objectifs semblables à ceux que renferme notre propre système juridique, il y a lieu de respecter ces lois et de les reconnaître aux fins du droit canadien en matière d’immigration. La question n’est pas de savoir si le Canada possède une législation semblable, mais si le principe qui sous-tend la loi étrangère est conforme à un principe fondamental de justice respecté au sein de notre propre société.

5.         L’argumentation du défendeur

[17]      Pour sa part, le défendeur fait valoir que le demandeur a été déclaré coupable de détournement d’avion au Pakistan et qu’il a obtenu sa réhabilitation du gouvernement du Pakistan en vertu de l’article 45 de la Constitution de ce pays. Il ne s’agit donc manifestement pas d’une réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire du Canada. Le demandeur ne peut s’appuyer sur aucune disposition expresse de la législation pakistanaise (comme c’était le cas dans les affaires Burgon et Smith) pour prétendre que la réhabilitation au Pakistan est conçue pour que ses effets débordent la procédure criminelle particulière en cause. L’absence de ce type de disposition expresse dans une loi a aussi joué un rôle crucial dans l’affaire Lui.

[18]      Le processus suivi pour accorder une réhabilitation au demandeur en l’espèce était fondé sur des renseignements qui n’ont pas été divulgués au demandeur. Aucune preuve n’a été produite devant la Cour afin de démontrer pourquoi il a obtenu sa réhabilitation. Était-ce simplement pour aider le demandeur qui risquait d’être expulsé? Les lois d’un autre pays ne peuvent régir une enquête menée par un responsable de l’immigration du Canada relativement à des condamnations criminelles afin de décider si l’immigration au Canada devrait être autorisée dans un cas donné. Dans l’affaire Burgon, le juge Mahoney a rendu un jugement dissident, dans lequel il a déclaré (à la page 50) :

Pourtant, le législateur fédéral a bien précisé que c’est la norme canadienne, et non la norme étrangère, de la gravité des crimes, mesurée en fonction de la durée possible de la peine, qui régit l’admissibilité au Canada. Le fondement logique de l’exclusion prévue à l’alinéa 19(1)c) doit certainement être la gravité relative—envisagée d’un point de vue canadien—de l’infraction dont la personne en cause a été déclarée coupable et non les conséquences réelles de cette conclusion en droit interne étranger.

[19]      Cela vaut plus particulièrement en l’espèce, le demandeur ayant été déclaré coupable de l’infraction très grave de détournement d’avion, qui constitue un acte de terrorisme international, et, répétons-le, il est impossible de savoir quels facteurs ou motifs ont amené le président du Pakistan à lui accorder une réhabilitation.

[20]      En ce qui a trait à l’opinion juridique de Me Zafar, produite à l’appui de la thèse du demandeur, il faut souligner que Me Zafar est l’avocat du demandeur et l’a représenté lors de son procès pour détournement d’avion au Pakistan. En revanche, l’expert du ministre, Me Akhtar n’a pas participé à l’affaire et son opinion impartiale mérite un plus grand respect.

6.         Analyse

[21]      J’estime que la jurisprudence canadienne, exprimée dans les décisions Burgon, Smith, Lui et Barnett, établit qu’une réhabilitation lave une personne de toute souillure causée par la déclaration de culpabilité. Personne ne peut faire fi d’une réhabilitation valide accordée dans un autre pays dont le système de justice est semblable au nôtre, et cela vaut plus particulièrement, en l’occurrence, d’un responsable de l’immigration. La validité de la réhabilitation accordée par le président du Pakistan n’est pas contestée. De l’avis de Me Akhtar, l’expert du ministre, la réhabilitation accordée par le président ne peut être traitée comme un acquittement et la condamnation du demandeur à l’égard de l’infraction subsiste. Toutefois, l’opinion de Me Akhtar s’appuie en grande partie sur la décision britannique rendue dans l’affaire Foster, qui n’a pas force exécutoire au Pakistan parce que la Constitution pakistanaise a été promulguée longtemps avant le prononcé de la décision Foster, et n’y est donc pas assujettie.

[22]      De l’avis des deux autres experts, la réhabilitation accordée par le président « emporte la suppression de toutes les conséquences juridiques de sa condamnation » (opinion du cabinet Khwaja Law Associates). Selon Me Zafar, le pouvoir du président d’accorder une réhabilitation émane de l’article 45 de la Constitution et il supprime tant les peines que l’inhabilité découlant d’une déclaration de culpabilité : la réhabilitation est totale, absolue et inconditionnelle par nature. Le pouvoir d’accorder une réhabilitation est une prérogative du président de ce pays. Le système judiciaire pakistanais est assez semblable au nôtre et, pour reprendre les termes employés par le juge Linden dans l’arrêt Burgon, on « porterait gravement atteinte au sens canadien de la justice » si le ministère canadien de l’Immigration présumait qu’une personne a été déclarée coupable d’une infraction alors qu’elle est réputée ne pas avoir été déclarée coupable de cette même infraction dans le territoire où l’infraction aurait été commise.

[23]      Bien que je sois conscient qu’un détournement d’avion constitue une infraction grave, le demandeur a été lavé de cette déclaration de culpabilité et ne doit pas être expulsé pour cette raison. Évidemment, s’il a commis d’autres infractions en Inde ou au Pakistan, à l’égard desquelles il n’a pas été réhabilité, ou s’il a commis des infractions au Canada depuis son arrivée, il doit en subir les conséquences. Il n’est évidemment pas non plus à l’abri d’une expulsion fondée sur d’autres motifs.

[24]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la mesure d’expulsion ne doit pas être exécutée.

[25]      L’avocate du demandeur a proposé la certification de trois questions graves de portée générale. L’avocat du défendeur ne s’oppose pas à l’énoncé de ces questions. Je suis également d’accord. Voici ces trois questions :

1. Un tribunal canadien est-il lié par la réhabilitation accordée par un État étranger en l’absence d’éléments de preuve concernant les facteurs qui ont motivé l’octroi de cette réhabilitation?

2. Une réhabilitation accordée « à l’égard de la condamnation/peine d’emprisonnement déjà purgée » doit-elle être tenue pour effacer à la fois la condamnation et ses conséquences?

3. La nature de l’infraction de détournement d’avion constitue-t-elle une raison solide de s’écarter du principe voulant qu’une réhabilitation accordée par un État étranger, dont les lois reposent sur des fondements analogues à ceux des lois canadiennes, soit reconnue au Canada?



[1]  [1984] 2 All ER 679 (C.A.), à la p. 685.

[2]  [1949] Tas. S.R. 99, aux p. 105 et 106.

[3]  [1993] 4 All ER 442 (Q.B.D.).

[4]  [1991] 3 C.F. 44 (C.A.).

[5]  [1998] 3 C.F. 144 (1re inst.).

[6]  L.R.C. (1985), ch. C-47.

[7]  (1997), 134 F.T.R. 308 (C.F. 1re inst.).

[8]  (1996), 109 F.T.R. 154 (C.F. 1re inst.).

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