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[2000] 4 C.F. 264

A-922-96

Apotex Inc. (appelante) (demanderesse)

c.

Le procureur général du Canada, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, Merck & Co., Inc. et Merck Frosst Canada Inc. (intimés) (défendeurs)

et

Eli Lilly Canada Inc., l’Association canadienne de l’industrie du médicament et l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (intervenantes) (intervenantes)

Répertorié : Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d’appel, juges Décary, Sexton et Evans, J.C.A. —Toronto, 28 et 29 février; Ottawa, 12 mai 2000.

Brevets — Validité du Règlement sur les médicaments brevetés (ADC) confirmée étant donné qu’il n’est pas ultra vires l’art. 55.2(4) de la Loi sur les brevets — Cette dernière disposition doit être interprétée d’une façon libérale et ne s’applique pas uniquement aux personnes qui se sont prévalues des avantages conférés par l’art. 55.2(1) ou (2) de la Loi à l’égard du médicament particulier en cause — Le gouverneur en conseil était autorisé en vertu de l’art. 55.2(4) de la Loi à prévoir expressément que le Règlement s’appliquait aux présentations qui avaient été faites mais à l’égard desquelles aucune décision n’avait été prise par le ministre, lorsque le Règlement est entré en vigueur.

Pratique — Actes de procédure — Question théorique, abus de procédure — Étant donné qu’un avis de conformité (l’ADC) avait été délivré à Apotex pour la norfloxacine, la demande visant l’obtention d’une ordonnance de délivrance de l’ADC à l’égard de la même drogue n’a plus qu’un intérêt théorique — En outre, étant donné que l’appelante a eu la possibilité de contester la validité du Règlement sur les médicaments brevetés (ADC) dans des procédures d’interdiction antérieures se rapportant à la même drogue, la Cour aurait pu appliquer les notions de chose jugée et d’irrecevabilité à remettre en cause une question pour refuser de permettre à Apotex de soulever la question en l’espèce — Toutefois, les procédures n’ont pas été rejetées étant donné que la validité du Règlement est encore pertinente (ADC délivré sur la base d’une seule allégation) et qu’il serait encore utile de rendre un jugement déclaratoire portant sur la situation juridique — En outre, compte tenu de l’incertitude qui existait au sujet du Règlement au début du litige, de l’intérêt évident et continu d’Apotex, lorsqu’il s’agissait de faire régler la question de la validité du Règlement et du fait que les parties avaient préparé des arguments complets sur le fond, le juge des requêtes a exercé à juste titre son pouvoir discrétionnaire en vue de ne pas rejeter la procédure pour ce motif sans examiner l’affaire au fond.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Doctrine de l’expectative légitime — L’engagement que le ministre avait pris de consulter l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques avant la prise du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est au mieux un engagement personnel de nature politique qui n’est pas exécutoire devant une cour; de toute façon, il ne lie pas le décideur, c’est-à-dire le gouverneur en conseil.

Interprétation des lois — Rétroactivité — L’application du Règlement sur les médicaments brevetés (ADC) aux présentations de drogue nouvelle en cours de traitement lorsque le Règlement de 1993 a pris effet ne mettait pas en cause une présomption à l’encontre de la rétroactivité — Aucun droit acquis n’a été abrogé : en l’absence d’une indication législative contraire claire, personne n’a le droit légal de faire trancher une demande visant l’obtention d’un avantage conféré par la loi conformément aux critères d’admissibilité qui s’appliquaient au moment du dépôt de la demande.

Apotex avait demandé une licence obligatoire à l’égard de la version générique d’un médicament breveté appelé norfloxacine de Merck Frosst Canada, lequel était un antibiotique, selon le système qui s’appliquait avant la prise du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). En 1993, avant qu’Apotex puisse obtenir l’autorisation de commercialiser le médicament générique, le système des licences obligatoires a été aboli. Dans la demande de contrôle judiciaire qui est en cause en l’espèce, Apotex sollicitait une ordonnance enjoignant au ministre de la Santé et du Bien-être social de délivrer un ADC pour sa version de norfloxacine et déclarant le Règlement invalide parce qu’il n’était pas autorisé par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets. La validité du Règlement a également été contestée pour le motif qu’il avait été promulgué sans consultation préalable, en violation d’une promesse faite par le ministre responsable des modifications législatives, à savoir qu’aucun règlement ne serait pris tant qu’il n’y aurait pas eu consultation avec l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (l’ACFPP), qui est une association commerciale représentant principalement les intérêts des fabricants de produits pharmaceutiques génériques. Il s’agissait d’un appel de la décision de la Section de première instance rejetant la demande de contrôle judiciaire.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le juge Décary, J.C.A. (le juge Sexton, J.C.A. souscrivant à son avis) : les motifs prononcés par le juge Evans, J.C.A. ont été adoptés sauf en ce qui concerne la question de la violation de l’engagement de consulter l’ACFPP avant que le règlement soit pris.

La Loi sur les brevets (la Loi) ne renferme pas de disposition prévoyant qu’un projet de règlement d’application de la Loi doit être publié avant d’entrer en vigueur. Les règlements que le gouverneur en conseil prend en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi sont donc assujettis aux dispositions générales de la Loi sur les textes réglementaires. Il n’est pas nécessaire en vertu de la Loi de les publier avant leur entrée en vigueur. Contrairement à certaines autres dispositions de la Loi sur les brevets, l’article 55.2 n’imposait pas d’obligation de consulter.

À supposer que la théorie de l’expectative légitime puisse s’appliquer au pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil, cette théorie ne s’appliquerait pas aux circonstances de l’espèce parce que le présumé engagement est au mieux un engagement personnel d’une nature politique qui n’est pas exécutoire devant une cour de justice. Quoi qu’il en soit, même si le présumé engagement était de nature à lier le ministre et s’il était exécutoire devant une cour de justice, il n’aurait pas lié, eu égard aux circonstances, le gouverneur en conseil, qui est le décideur. En l’absence d’un pouvoir prévu par la loi, ou d’un pouvoir expressément délégué au ministre par le gouverneur en conseil, le ministre ne peut pas lier le gouverneur en conseil dans l’exercice de son pouvoir de réglementation.

De sérieuses réserves ont été exprimées au sujet de l’application de la théorie de l’expectative légitime au cabinet dans l’exercice de son pouvoir de réglementation. Quoi qu’il en soit, les remarques que le juge Evans a faites sur ce point étaient des remarques incidentes. L’appareil judiciaire devrait hésiter à intervenir de façon à imposer ses propres restrictions procédurales à l’égard du processus de réglementation du gouverneur en conseil.

Le juge Evans, J.C.A. : 1) La question n’avait plus qu’un intérêt théorique étant donné la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193, par suite de laquelle un ADC avait été délivré à Apotex pour la norfloxacine. Toutefois, étant donné que l’ADC a été délivré sur la base d’une seule allégation, la validité du Règlement était encore pertinente, de sorte qu’il était encore utile de rendre un jugement déclaratoire portant sur la situation juridique y afférente. Bien qu’Apotex ait eu la possibilité de contester la validité du Règlement concernant les ADC dans les procédures d’interdiction antérieures engagées par Merck Frosst au sujet de la norfloxacine, le juge des requêtes a exercé à juste titre son pouvoir discrétionnaire en vue de ne pas rejeter la procédure pour ce motif sans examiner l’affaire au fond compte tenu de l’intercertitude qui existait au sujet du Règlement au début du litige, de l’intérêt évident et continu d’Apotex, lorsqu’il s’agissait de faire régler la question de la validité du Règlement, et du fait que les parties avaient préparé des arguments complets sur le fond.

2) Le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets n’autorisait pas uniquement la prise d’un règlement qui s’applique à une personne qui s’est prévalue des paragraphes 55.2(1) ou (2) à l’égard du nouveau produit pharmaceutique qui fait l’objet de la procédure d’interdiction. Si le législateur avait l’intention de limiter ainsi l’étendue du pouvoir de réglementation, il aurait employé des termes plus précis et explicites. Le libellé des versions anglaise et française étaye une interprétation libérale. En outre, la nature et la définition subjectives du but dans lequel le pouvoir peut être exercé étaye une interprétation libérale : « Afin d’empêcher la contrefaçon du brevet d’invention […] le gouverneur en conseil peut prendre des règlements […] » Pour ces raisons, et conformément à la directive générale énoncée à l’article 12 de la Loi d’interprétation, (les textes législatifs sont censés apporter une solution de droit), le paragraphe 55.2(4) devait être interprété d’une manière libérale.

3) Le Règlement, qui est réputé s’appliquer aux demandes d’ADC qui avaient été déposées, mais à l’égard desquelles aucune décision n’avait été prise lorsque le Règlement est entré en vigueur, ne mettait pas en cause la présomption à l’encontre de la rétroactivité.

Aucun droit acquis n’a ainsi été abrogé : en l’absence d’une indication législative claire contraire, personne n’a le droit de faire trancher une demande visant l’obtention d’un avantage conféré par la loi conformément aux critères d’admissibilité qui s’appliquaient au moment du dépôt de la demande. Les personnes qui revendiquent des droits prévus par la loi n’ont normalement qu’un simple espoir que l’autorité responsable prenne une décision qui leur est favorable. Étant donné que le droit de la demanderesse en l’espèce n’était ni un droit « acquis » ni un droit « naissant », la présomption à l’encontre de l’application rétroactive de l’abrogation d’un texte de loi prévue à l’alinéa 44c) de la Loi d’interprétation ne s’appliquait pas.

4) Le Règlement n’est pas invalide du fait qu’il a été pris en violation d’un engagement pris par le ministre de la Consommation et des Affaires commerciales envers l’ACFPP, à savoir que l’Association serait consultée avant que des règlements soient pris en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets.

Il est bien établi au Canada que l’obligation d’équité ne s’applique pas à l’exercice de pouvoirs d’une nature législative, ce qui comprendrait le Règlement contesté en l’espèce. Toutefois, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’un règlement puisse licitement être pris en violation d’une assurance catégorique précise de consultation préalable donnée par un ministre responsable dans l’exercice de fonctions ministérielles. Ce n’est pas non plus ce que prévoit la jurisprudence.

Dans le Renvoi relatif au régime d’assistance du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, la Cour suprême a clairement dit que la doctrine de l’expectative légitime ne s’appliquait pas à l’exercice de pouvoirs législatifs étant donné que cela aurait pour effet d’imposer une restriction à un trait essentiel de la démocratie. Toutefois, des considérations similaires ne s’appliquent pas à l’exercice de pouvoirs législatifs délégués qui ne sont pas assujettis au même degré d’examen qu’un texte de loi principal qui doit être soumis au processus législatif complet. En outre, les droits procéduraux créés par la théorie de l’expectative légitime sont toujours assujettis à la preuve selon laquelle, dans des circonstances particulières, l’intérêt public exige que des mesures administratives soient prises promptement sans que les procédures promises soient observées.

La doctrine de l’expectative légitime ne constitue pas simplement un volet de l’obligation d’équité, en ce sens qu’elle sert aux mêmes fins que les droits de participation conférés par l’obligation d’équité. Il n’y a donc pas lieu de limiter sa portée à l’exercice des pouvoirs reconnus par la loi auxquels l’obligation s’applique. Par conséquent, en l’absence d’arrêts contraires faisant autorité, la théorie de l’expectative légitime s’applique en principe aux pouvoirs législatifs délégués de façon à créer des droits de participation dans des circonstances où aucun droit de ce genre n’aurait par ailleurs pris naissance, à condition que le fait de respecter l’expectative ne viole pas certaines autres obligations légales ou ne retarde pas indûment la prise de règlements à l’égard desquels l’existence d’un besoin urgent est démontrée.

Eu égard aux faits de la présente affaire, le libellé de la lettre permettait légitimement de croire que le ministre consulterait l’ACFPP avant qu’un règlement pris en vertu du paragraphe 55.2(4) entre en vigueur. Toutefois, un engagement pris par un ministre selon lequel il y aura consultation avant qu’un règlement soit pris ne peut pas donner lieu à une expectative légitime lorsque c’est le gouverneur en conseil, plutôt que le ministre, qui est autorisé par la loi à prendre le règlement en question. Rien ne montrait que le gouverneur en conseil eût expressément délégué au ministre de la Consommation et des Affaires commerciales le pouvoir d’imposer des restrictions procédurales à l’exercice du pouvoir de réglementation du cabinet, mais lorsque la promesse de consultation préalable est, comme en l’espèce, faite par le ministre qui est le principal responsable de l’élaboration des règlements et de leur soumission au cabinet, il peut être loisible aux personnes à qui la promesse a été faite de solliciter le contrôle judiciaire, de façon à empêcher le ministre de soumettre le projet de règlement au cabinet tant que la consultation promise n’a pas eu lieu.

Toutefois, lorsque, comme en l’espèce, le cabinet a déjà approuvé le Règlement, la validité du Règlement ne peut pas être contestée pour le motif qu’il a été pris sans consultation, contrairement à ce que le ministre avait promis. Compte tenu de la protection juridique fournie par la loi en ce qui concerne la confidentialité des délibérations du cabinet et les motifs restreints pour lesquels les tribunaux examinent l’exercice de pouvoirs par le cabinet, il ne serait pas permis à un tribunal d’enquêter sur ce que savaient les membres du cabinet au sujet des assurances données par un ministre, sur le plan de la procédure, afin de déterminer si un règlement par ailleurs valide a sciemment été pris en violation d’un engagement ministériel.

De toute façon, étant donné les consultations longues et efficaces qui ont eu lieu après 1993 et avant que le Règlement ait été modifié en 1998, par lequel un grand nombre de difficultés qui ont subséquemment été décelées étaient aplanies, il ne serait pas approprié de déclarer invalide le Règlement initial tel qu’il a été modifié.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2, art. 1709(10).

Code canadien du travail, L.R.C. (1985) ch. L-2, art. 159(2) (édicté par L.C. 1996, ch. 12, art. 3).

Interpretation Act (The), R.S.S. 1978, ch. I-11, art. 23(1)c).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 15(4) (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 10).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 11, 12, 13.

Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2, art. 4, 7, 11(1), 12(1).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12, 35 « gouverneur en conseil », 44c).

Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile, L.C. 1996, ch. 20, art. 12(2).

Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, L.C. 1998, ch. 25, art. 90, 143, 150.

Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 95(1) (mod. par L.R.C., (1985) (3e suppl.), ch. 6, art. 5).

Loi sur le contrôle des renseignements relatifs aux matières dangereuses, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 24, partie III, art. 48(1).

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 66.6(2) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, art. 12).

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 42 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.) ch. 33, art. 16), 55.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4), 101(2) (édicté, idem, art. 7).

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 84, 86.

Loi sur les produits dangereux, L.R.C. (1985), ch. H-3, art. 19 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 24, art. 1).

Loi sur les règlements, L.R.Q., ch. R-18.1, art. 8, 10, 12, 13.

Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), ch. S-22.

Régime d’assistance publique du Canada, S.R.C. 1970, ch. C-1, art. 8.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 2, 5(1) (mod. par DORS/98-166, art. 4), 6(1) (mod., idem, art. 5), (5) (édicté, idem), 7(1) (mod., idem, art. 6).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Travailleurs des pâtes, des papiers et du bois du Canada, section locale et al. c. Canada (Ministre de l’Agriculture) et al. (1994), 174 N.R. 37 (C.A.F.); Scott v. College of Physicians and Surgeons of Saskatchewan (1992), 95 D.L.R. (4th) 706; [1993] 1 W.W.R. 533; 100 Sask. R. 291 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; (1991), 83 D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 58 B.C.L.R. (2d) 1; 127 N.R. 161; Hutchins c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles),[1993] 3 C.F. 505; (1993), 16 Admin. L.R. (2d) 236; 83 C.C.C. (3d) 563; 156 N.R. 205 (C.A.); Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742; (1993), 18 Admin. L.R. (2d) 122; 51 C.P.R. (3d) 339; 162 N.R. 177 (C.A.); conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100; (1994), 176 N.R. 1; Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; (1990), 75 D.L.R. (4th) 385; [1991] 2 W.W.R. 145; 2 M.P.L.R. (2d) 217; 69 Man.R. (2d) 134; 46 Admin. L.R. 161; 116 N.R. 46; R v Secretary of State for Health, ex p US Tobacco International Inc, [1992] 1 All ER 212 (Q.B.D.).

DÉCISIONS CITÉES :

Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193; (1998), 161 D.L.R. (4th) 47; 80 C.P.R. (3d) 368; Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 80 C.P.R. (3d) 110; 144 F.T.R. 299 (C.F. 1re inst.); conf. par (1999), 86 C.P.R. (3d) 489; 236 N.R. 179 (C.A.F.); Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 84 C.P.R. (3d) 492; 160 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 153 D.L.R. (4th) 68; 76 C.P.R. (3d) 1; 219 N.R. 151 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1998] 1 R.C.S. viii; Deprenyl Research Ltd. c. Apotex Inc. (1994), 55 C.P.R. (3d) 171; 77 F.T.R. 62 (C.F. 1re inst.); conf. par (1995), 60 C.P.R. (3d) 501; 180 N.R. 323 (C.A.F.); Smith Kline and French Laboratories Limited v. Douglas Pharmaceuticals Limited, [1991] F.S.R. 522 (N.Z.C.A.); Roche Products, Inc. v. Bolar Pharmaceutical Co. Inc., 733 F.2d 858 (Fed. Cir. 1984); Hoffmann-LaRoche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 67 C.P.R. (3d) 484; 109 F.T.R. 216 (C.F. 1re inst.); conf. par (1996), 70 C.P.R. (3d) 1; 70 C.P.R. (3d) 206; 205 N.R. 360 (C.A.F.); Director of Public Works v. Ho Po Sang, [1961] A.C. 901 (P.C.); Coughlan v. North and East Devon Health Authority, [1999] E.W.J. No. 3774 (C.A.) (QL); Lehndorff United Properties (Canada) Ltd. et al. v. Edmonton (City) (1993), 146 A.R. 37; 14 Alta. L.R. (3d) 67; 18 M.P.L.R. (2d) 146 (B.R.); conf. par (1994), 157 A.R. 169; 23 Alta. L.R. (3d) 1; 23 M.P.L.R. (2d) 146 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1995] 2 R.C.S. vii; Bezaire v. Windsor Roman Catholic Separate School Board (1992), 9 O.R. (3d) 737; 94 D.L.R. (4th) 310; 8 Admin. L.R. (2d) 29; 57 O.A.C. 39 (Cour div.); Sunshine Coast Parents for French v. School District No. 46 (Sunshine Coast) (1990), 44 Admin. L.R. 252; 49 B.C.L.R. (2d) 252 (C.S.C.-B.); Regina v. Liverpool Corpn. Ex parte Liverpool Taxi Fleet Operators’ Association, [1972] 2 Q.B. 299 (C.A.); Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, [1985] A.C. 374 (H.L.); R. v. Lord Chancellor’s Department, ex parte Law Society, Crown Office List CO/991/93, 22 juin 1993 (Q.B.D.); R. v. Brent London Borough Council, Ex p Gunning (1985), 84 L.G.R. 168 (Q.B.D.); Cardinal et al. v. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1985), 24 D.L.R. (4th) 44; [1986] 1 W.W.R. 577; 69 B.C.L.R. 255; 16 Admin. L.R. 233; 23 C.C.C. (3d) 118; 49 C.R. (3d) 35; 63 N.R. 353; Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; (1983), 143 D.L.R. (3d) 577; 46 N.R. 91; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Association canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247; (1994), 17 Admin. L.R. (2d) 121; 164 N.R. 342 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1994] 2 R.C.S. vi; Carpenter Fishing Corp. c. Canada, [1998] 2 C.F. 548; (1997), 155 D.L.R. (4th) 572; 221 N.R. 372 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1998] 2 R.C.S. vi; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22.

DOCTRINE

Joseph, Philip Austin. Constitutional and Administrative Law in New Zealand. Sydney, N.S.W. : Law Book Co., 1993.

Mullan, David. « Canada Assistance Plan — Denying Legitimate Expectation a Fair Start? » (1993), 7 Admin. L.R. (2d) 269.

Mullan, David. « Confining the Reach of Legitimate Expectations : Case Comment : Sunshine Coast Parents for French v. School District No. 46 (Sunshine Coast) » (1991), 44 Admin. L.R. 245.

Small, Joan G. « Legitimate Expectations, Fairness and Delegated Legislation » (1995), 8 C.J.A.L.P. 129.

Wright, David. « Rethinking the Doctrine of Legitimate Expectations in Canadian Administrative Law » (1997), 35 Osgoode Hall L.J. 139.

APPEL d’une décision de la Section de première instance (Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 518; (1996), 71 C.P.R. (3d) 166; 123 F.T.R. 161) rejetant une demande de contrôle judiciaire visant à l’obtention d’une ordonnance enjoignant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité pour la drogue appelée norfloxacine ainsi qu’un jugement déclaratoire portant que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est ultra vires du pouvoir conféré au gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

H. B. Radomski et David M. Scrimger pour l’appelante.

Frederick B. Woyiwada pour le procureur général du Canada, intimé.

W. H. Richardson et Caroline Zayid pour Merck & Co. Inc., intimée.

Anthony G. Creber pour Eli Lilly Canada Inc. et l’Association canadienne de l’industrie du médicament, intimées.

Ronald G. Slaght et Timothy H. Gilbert pour l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques, intervenante.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodman Phillips & Vineberg, Toronto, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada, pour le procureur général du Canada, intimé.

McCarthy Tétrault, Toronto, pour Merck & Co, Inc., intimée.

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour Eli Lilly Canada Inc. et l’Association canadienne de l’industrie du médicament, intimées.

Lenzcner Slaght Royce Smith Griffin, Toronto, pour l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques, intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Décary, J.C.A. : Les faits et les questions en litige ont été décrits par mon collègue le juge Evans; il n’est pas nécessaire de les reprendre. Comme mon collègue, je conclus que l’appel doit être rejeté. J’adopte les motifs que le juge Evans a prononcés en ce qui concerne les trois premières questions dont il a fait mention. Toutefois, je ne souscris pas au raisonnement qu’il a fait au sujet de la quatrième question, qui est ci-après énoncée :

Quatrième question : Le Règlement est-il invalide du fait qu’il a été pris en violation d’un engagement que le ministre de la Consommation et des Affaires commerciales avait pris envers l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques, à savoir qu’il consulterait l’Association avant de prendre le règlement en vertu du paragraphe 55.2(4)?

[Réponse : non.]

[2]        Avant de procéder à l’analyse, j’examinerai brièvement le contexte législatif.

[3]        La Loi sur les brevets[1] (la Loi), contrairement à de nombreuses autres lois[2], ne renferme pas de disposition prévoyant qu’un projet de règlement d’application de la Loi doit être publié avant d’entrer en vigueur. Les règlements que le gouverneur en conseil prend en vertu de l’article 55.2 [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4] de la Loi sont donc assujettis aux dispositions générales de la Loi sur les textes réglementaires[3]. Il n’est pas nécessaire en vertu de la Loi de les publier avant leur entrée en vigueur.

[4]        Comme de nombreuses autres lois[4], la Loi sur les brevets renferme des dispositions exigeant qu’une consultation ait lieu avant que certains règlements soient adoptés. Le paragraphe 101(2) [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7] prévoit que certains règlements concernant le prix d’un médicament peuvent être pris uniquement par le gouverneur en conseil :

101. […]

(2) […] sur recommandation du ministre faite après consultation par celui-ci des ministres provinciaux responsables de la santé et des représentants des groupes de consommateurs et de l’industrie pharmaceutique qu’il juge utile de consulter.

Le législateur a donc clairement imposé au ministre fédéral, agissant pour le compte du gouverneur en conseil, l’obligation légale de consulter certaines personnes dans certaines circonstances. Aucune obligation de ce genre n’est imposée en vertu de l’article 55.2 de la Loi.

[5]        Certaines lois, comme la Loi sur les langues officielles, exigent tant la consultation préalable au sujet des projets de règlement (article 84) que la publication préalable de pareils projets une fois que la consultation a eu lieu (article 86).

[6]        Dans d’autres ressorts, comme au Québec, il existe une loi énonçant la règle générale selon laquelle tout projet de règlement « est accompagné d’un avis qui indique notamment le délai avant l’expiration duquel le projet ne pourra être édicté ou soumis pour approbation et le fait que tout intéressé peut, durant ce délai, transmettre des commentaires à la personne qui y est désignée »[5]. Une disposition de la loi du Québec prévoit qu’un règlement est pris sans être publié au préalable dans des circonstances spéciales, par exemple en cas d’urgence (article 12), auquel cas le motif justifiant l’absence de publication préalable doit être publié avec le règlement (article 13).

[7]        Somme toute, le législateur a déjà songé à la nécessité d’une consultation et d’une publication préalables et les tribunaux doivent examiner chaque cas particulier à la lumière de la loi en cause et du contexte législatif général.

[8]        J’effectuerai maintenant l’analyse; je résumerais comme suit les conclusions que j’ai tirées :

1) À supposer, aux fins de la discussion, que la théorie de l’expectative légitime puisse s’appliquer au pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil, cette théorie ne s’appliquerait pas aux circonstances de l’espèce :

a) parce que le présumé engagement est au mieux un engagement personnel d’une nature politique qui n’est pas exécutoire devant une cour de justice;

b) parce que, de toute façon, il ne s’agit pas d’un engagement qui lie le décideur, c’est-à-dire le gouverneur en conseil.

2) Mon collègue le juge Evans ayant conclu qu’eu égard aux circonstances, le présumé engagement ne liait pas le gouverneur en conseil, les remarques qu’il a faites au sujet de l’application de la théorie de l’expectative légitime au pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil sont des remarques incidentes à l’égard desquelles je me contenterai d’exprimer de sérieuses réserves.

1a)      Le présumé engagement est au mieux un engagement personnel d’une nature politique qui n’est pas exécutoire devant une cour de justice

[9]        Le présumé engagement a été pris le 5 février 1993 par M. Pierre A. Vincent, qui venait d’être nommé ministre de la Consommation et des Affaires commerciales. La lettre de six pages adressée au président de l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (l’Association), M. Kay, commence comme suit[6] :

[traduction]

Monsieur,

Pour le compte de mon prédécesseur, l’honorable Pierre Blais, j’accuse réception de vos lettres du 16 novembre et du 3 décembre 1992, concernant le projet de loi C-91. Le bureau du président du Conseil privé, le ministre de la Défense nationale et le leader de la Chambre des communes nous ont également écrit pour votre compte.

J’aimerais répondre aux questions que vous avez soulevées et aux observations que vous avez faites dans ces lettres :

[10]      Le ministre traite ensuite de sept questions que M. Kay avait soulevées. Les remarques qu’il a faites au sujet de la dernière question (la septième question) et ses paroles finales sont les suivantes[7] :

[traduction]

7.   « Les titulaires de brevet n’ont pas besoin du recours additionnel qui leur sera accordé si le gouvernement fait dépendre l’approbation réglementaire des médicaments génériques de la situation de leurs homologues innovateurs relativement aux brevets. »

Enfin, vous vous êtes opposé à une modification au projet de loi C-91 conférant au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre un règlement empêchant les demandeurs qui utilisent le brevet d’un innovateur afin d’obtenir une approbation réglementaire en vue de la vente de leurs produits d’obtenir pareille approbation lorsqu’un concurrent innovateur est titulaire d’un brevet valide concernant le produit en question. Vous affirmez que le droit du titulaire de brevet d’intenter devant les tribunaux une action en contrefaçon de brevet est suffisant puisque les innovateurs ont le droit d’obtenir un redressement interlocutoire et des dommages-intérêts si aucune injonction n’est accordée et s’il y a en fin de compte contrefaçon. Vous affirmez en outre que le règlement pris en vertu de cette modification vise à tenir les concurrents génériques à l’écart du marché lorsqu’il est allégué qu’un brevet est contrefait.

Je conviens qu’en règle générale, les recours judiciaires suffisent à réprimer les contrefaçons de brevet. Toutefois, en permettant aux sociétés génériques concurrentes de se servir des brevets des sociétés innovatrices pour obtenir une approbation réglementaire, le gouvernement abolit un droit de brevet que les titulaires de brevet auraient autrement pu invoquer pour empêcher ce type d’action de la part de concurrents. La modification dont vous faites mention doit être interprétée dans ce contexte. Elle vise à permettre au gouvernement de limiter tout préjudice découlant de sa décision d’autoriser un type d’action qui, autrement, constituerait une contrefaçon de brevet.

Le paragraphe 55.2(1) fait en sorte qu’un concurrent générique puisse commercialiser ses produits immédiatement après l’expiration des brevets pertinents. Le gouvernement n’a pas l’intention d’écarter un concurrent générique du marché à moins que la vente de produits génériques ne contrefasse un brevet valide. Tout règlement pris en application du paragraphe 55.2(4) nouvellement ajouté sera rédigé conformément à cette intention. Soyez assuré que vous serez consulté avant la prise d’un tel règlement.

Je vous remercie de nous avoir fait part de vos commentaires.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments.

Pierre A. Vincent

c.c. L’honorable Kim Campbell, C.P., c.r., député

Ministre de la Défense nationale

et ministre des Anciens combattants

Le très honorable Joe Clark, C.P., député

Président du Conseil privé de la Reine

pour le Canada et ministre responsable

des Affaires constitutionnelles

L’honorable Harvie Andre, C.P., député

Leader du gouvernement à la Chambre et

ministre d’État chargé d’assister le premier

ministre et ministre responsable de la

Société canadienne des postes

[Non souligné dans l’original.]

[11]      À mon avis, le présumé engagement, que j’ai ci-dessus souligné, constitue tout au plus, compte tenu du contexte dans son ensemble, une brève assurance donnée en passant par un ministre exerçant une fonction politique. On s’attendrait à ce qu’un véritable engagement pris par un ministre soit évident, à ce qu’il renferme des détails au sujet des modalités et du calendrier de consultation et à ce qu’il soit fourni à tous les intéressés sous une forme officielle quelconque. Je ne puis constater rien de la sorte dans les simples remarques qui figurent à la fin du dernier paragraphe d’une longue lettre. En rétrospective, le ministre s’est peut-être montré imprudent en s’exprimant ainsi, mais l’Association était naïve si elle croyait que pareilles remarques pourraient être invoquées contre le ministre devant une cour de justice.

[12]      En outre, je ne suis pas certain que l’Association ait été à ce point naïve. Les événements subséquents tendent au contraire à confirmer que l’« argument relatif à l’engagement » a simplement été invoqué après coup.

[13]      Ni l’avis de requête introductive d’instance daté du 14 octobre 1993 déposé par Apotex Inc. (Apotex), membre de l’Association dont le président, dans un affidavit déposé à l’appui de la requête, déclare agir pour le compte de l’Association, ni la demande d’autorisation d’intervenir présentée le 21 juillet 1994 par l’Association ne font mention de la lettre du 5 février 1993 dans laquelle le ministre avait censément pris l’engagement.

[14]      Il ressort en outre des procédures et des affidavits qui ont été déposés devant la Section de première instance que l’argument initialement soulevé par Apotex et par l’Association se rapportait à l’absence de consultation, plutôt qu’à la violation d’un engagement ministériel. Ce n’est qu’à l’audience qui a eu lieu devant M. le juge MacKay, en 1996, qu’il a été fait mention du présumé engagement du ministre[8].

[15]      Si le présumé engagement figurant dans la lettre du 5 février 1993 avait l’importance que l’Association affirme maintenant qu’il a, on se serait attendu à ce que l’Association invoque cet argument beaucoup plus tôt.

[16]      Bref, il est possible de répondre brièvement aux arguments de l’Association en disant que cette dernière ne considère pas, et n’a jamais considéré, le présumé engagement comme exécutoire devant une cour de justice.

1b)      Le présumé engagement n’est pas un engagement qui lie le décideur, c’est-à-dire le gouverneur en conseil

[17]      Quoi qu’il en soit, même si le présumé engagement était de nature à lier le ministre et s’il était exécutoire devant une cour de justice, il n’aurait pas lié, eu égard aux circonstances, le gouverneur en conseil, qui est somme toute le décideur.

[18]      Un ministre ne peut prendre un engagement ayant certaines conséquences juridiques qu’à l’égard d’une décision qu’il lui appartient de prendre et qu’il appartient à lui seul de prendre[9]. En l’absence d’un pouvoir tel que celui qui est prévu au paragraphe 101(2) de la Loi, ou peut-être en l’absence d’un pouvoir expressément délégué au ministre par le gouverneur en conseil, le ministre ne peut pas lier le gouverneur en conseil dans l’exercice de son pouvoir de réglementation. Il peut être utile de rappeler que le gouverneur en conseil, telle que cette expression est définie à l’article 35 de la Loi d’interprétation[10], est « [l]e gouverneur général du Canada agissant sur l’avis […] du Conseil privé de la Reine pour le Canada », ce qui se rapporte de toute évidence aux articles 11, 12 et 13 de la Loi constitutionnelle de 1867[11].

[19]      Étant donné qu’il n’est pas établi que le gouverneur en conseil ait expressément délégué au ministre « le pouvoir d’imposer des restrictions procédurales à l’exercice du pouvoir de réglementation du cabinet », comme l’a dit mon collègue le juge Evans au paragraphe 133 de ses motifs, il s’ensuit, à mon humble avis, que même s’il était conclu que le présumé engagement pris par le ministre pouvait faire l’objet d’un examen judiciaire, cet engagement ne pourrait pas en l’espèce être invoqué contre le gouverneur en conseil.

[20]      Étant donné la conclusion finale tirée par mon collègue, à savoir qu’eu égard aux circonstances, le ministre ne liait pas le cabinet, la conclusion intermédiaire que le juge a tirée au sujet de l’application de la théorie de l’expectative légitime est une remarque incidente.

2)         Remarques incidentes

[21]      Normalement, je n’estimerais pas nécessaire de faire des remarques au sujet de ce qui était en fin de compte une remarque incidente, mais mon collègue a examiné la question d’une façon si approfondie que je dois au moins indiquer que j’ai de sérieuses réserves au sujet de l’applicabilité de la théorie de l’expectative légitime au cabinet dans l’exercice de son pouvoir de réglementation et que j’aurais été porté à tirer la même conclusion que celle que M. le juge MacKay a tirée en première instance.

[22]      Comme je l’ai déjà dit, la nécessité de la consultation et de la publication préalables est quelque chose qui n’a pas échappé à l’attention du législateur. Certains sont peut-être d’avis que ce qui constitue maintenant une exception dans les lois fédérales devrait être élevé au rang d’exigence juridique applicable à tous les règlements, mais cette décision devrait à mon avis appartenir au législateur. J’hésiterais à faire intervenir l’appareil judiciaire de façon qu’il impose ses propres restrictions procédurales à l’égard du processus de réglementation du gouverneur en conseil.

[23]      Lorsque les tribunaux s’immiscent dans le domaine de l’ordre public en général et qu’on leur demande, comme en l’espèce, de tenir le cabinet responsable d’un engagement, de sorte qu’il serait porté atteinte au pouvoir discrétionnaire que celui-ci possède en matière de réglementation, il faudrait rappeler les remarques que le juge Sopinka a faites dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.)[12], au sujet de l’application de la théorie de l’expectative légitime à l’exercice de pouvoirs législatifs.

[24]      Je me rends bien compte que, dans cette affaire-là, le juge Sopinka n’examinait pas un règlement pris par le gouverneur en conseil, mais il me semble que l’annulation d’un règlement pris par le gouverneur en conseil pour le seul motif qu’un ministre n’a pas respecté la promesse de consultation qu’il avait faite au nom du cabinet constituerait également un redressement extraordinaire. Toutefois, je n’ai pas à tirer une conclusion ferme puisque, à mon avis, la question ne se pose pas en l’espèce.

[25]      Je remarque que dans toutes les décisions sur lesquelles mon collègue se fonde, le règlement en cause avait été pris soit par un ministre en sa qualité de ministre, soit par une autorité municipale ou par un conseil scolaire. Aucun précédent n’a été cité à l’égard d’un règlement pris par le gouverneur en conseil.

[26]      En fin de compte, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens en faveur du procureur général du Canada et de Merck Frosst Canada Inc. et contre Apotex Inc. et l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques.

Le juge Sexton, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Evans, J.C.A. :

A.        INTRODUCTION

[27]      Dans cet appel, Apotex Inc. maintient que le juge des requêtes a commis une erreur de droit en rejetant la prétention selon laquelle le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, était invalide parce qu’il n’était pas autorisé par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, telle qu’elle a été modifiée par la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2, article 4.

[28]      Ce règlement constitue une partie importante de la réforme majeure de la législation sur les brevets telle qu’elle s’applique aux produits pharmaceutiques, laquelle est entrée en vigueur en 1993. Pour la première fois, la législation liait la protection des droits des titulaires de brevet au système d’approbation réglementaire de drogues nouvelles par le ministre. Le Règlement fournissait ainsi aux sociétés fabriquant des médicaments d’origine une nouvelle arme importante dans leur lutte contre les fabricants de médicaments génériques.

[29]      Auparavant, l’approbation réglementaire était donnée sous la forme d’un avis de conformité (ADC) dès que le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social était convaincu de l’innocuité et de l’efficacité d’une nouvelle drogue. Toutefois, le Règlement de 1993 permettait à une société fabriquant des médicaments d’origine qui était titulaire d’un brevet susceptible d’être contrefait par un nouveau médicament générique d’engager des procédures visant à interdire au ministre de délivrer un ADC pour la drogue nouvelle tant que le brevet était en vigueur. Dans l’intervalle, à compter de la date à laquelle une société demandait une ordonnance d’interdiction, le Règlement imposait une suspension automatique de 30 mois (délai qui a été ramené à 24 mois en 1998 [DORS/98-166]) interdisant au ministre de délivrer un ADC à l’égard d’un médicament générique tant que la procédure de contrôle judiciaire n’avait pas été réglée.

[30]      Étant donné que les tribunaux hésitent à accorder des injonctions interlocutoires dans des actions en contrefaçon de brevet, il n’est pas surprenant que ce régime législatif ait été qualifié de « régime […] draconien » : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193, à la page 214.

[31]      Dans la demande de contrôle judiciaire qui est en cause en l’espèce, Apotex sollicite une ordonnance enjoignant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un ADC pour sa version d’un antibiotique appelé norfloxacine et déclarant le Règlement invalide. Apotex maintient que, s’il est interprété de la façon appropriée, le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets autorise la prise d’un règlement liant la protection accordée par un brevet et l’approbation réglementaire dans un nombre de cas beaucoup plus restreint que ce que prévoit, à l’heure actuelle, le Règlement.

[32]      La validité du Règlement est également contestée pour le motif qu’il a été promulgué sans consultation préalable, en violation d’une promesse faite par le ministre responsable des modifications législatives, à savoir qu’aucun règlement ne serait pris tant qu’il n’y aurait pas eu consultation avec l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques, qui est une association commerciale représentant principalement les intérêts des fabricants de produits pharmaceutiques génériques.

B.        LE CONTEXTE LÉGISLATIF

[33]      Le régime législatif qui a donné lieu au présent litige est complexe, mais il suffit d’énoncer ici les dispositions qui sont les plus directement pertinentes quant aux questions en litige dans le présent appel.

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 [articles 42 (mod par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16), 55.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4)].

42. Tout brevet accordé en vertu de la présente loi […] et accorde, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée du brevet à compter de la date où il a été accordé, le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent.

[…]

55.2 (1) Il n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente d’un produit.

(2) Il n’y a pas contrefaçon de brevet si l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée, au sens du paragraphe (1), a lieu dans la période prévue par règlement et qu’elle a pour but la production et l’emmagasinage d’articles déterminés destinés à être vendus après la date d’expiration du brevet.

(3) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre les mesures nécessaires à l’application du paragraphe (2) étant entendu que toute période ainsi prévue doit se terminer à la date qui précède immédiatement celle où expire le brevet.

(4) Afin d’empêcher la contrefaçon de brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens des paragraphes (1) ou (2), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment :

[…]

e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d’un titre visé à l’alinéa a) lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.

(5) Une disposition réglementaire prise sous le régime du présent article prévaut sur toute disposition législative ou réglementaire fédérale divergente.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 [articles 5(1) (mod. par DORS/98-166, art. 4), 6(1) (mod., idem, art. 5), (5) (édicté, idem), 7(1) (mod., idem, art. 6)].

5. (1) Lorsqu’une personne dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue et souhaite en faire la comparaison, ou faire renvoi, à une autre drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l’égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

a) soit une déclaration portant qu’elle accepte que l’avis de conformité ne sera pas délivré avant l’expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l’alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n’est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l’objet de la demande d’avis de conformité.

[…]

6. (1) La première personne peut, dans les 45 jours après avoir reçu signification d’un avis d’allégation aux termes des alinéas 5(3)b) ou c), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l’expiration du brevet visé par l’allégation.

[…]

(5) Lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter la demande si, selon le cas :

a) il estime que les brevets en cause ne sont pas admissibles à l’inscription au registre ou ne sont pas pertinents quant à la forme posologique, la concentration et la voie d’administration de la drogue pour laquelle la seconde personne a déposé une demande d’avis de conformité;

b) il conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure.

[…]

7. (1) Le ministre ne peut délivrer un avis de conformité à la seconde personne avant la plus tardive des dates suivantes :

[…]

e) sous réserve des paragraphes (2), (3) et (4), la date qui suit de 24 mois la date de réception de la preuve de présentation de la demande visée au paragraphe 6(1);

[34]      Bien que la chose ne se rapporte pas directement aux questions particulières qui sont soulevées en l’espèce, il importe de noter que l’article 55.2 et son Règlement d’application étaient, d’une certaine façon, accessoires aux principaux changements qui ont été apportés à la Loi sur les brevets par la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets. On a aboli les licences obligatoires en vertu desquelles, sous réserve du paiement d’une redevance, les fabricants de médicaments génériques pouvaient commercialiser au Canada un médicament concurrent qui contrefaisait le brevet d’une autre personne.

[35]      La Loi de 1992 avait donc pour effet de rétablir les droits que possédaient les personnes détenant des brevets sur des produits pharmaceutiques, tels qu’ils existaient avant l’introduction du système d’octroi de licences obligatoires, en 1923, et de les harmoniser avec la législation sur les brevets telle qu’elle s’applique aux autres inventions. Les licences obligatoires ont été abolies au Canada de façon à assurer l’observation de l’article 1709(10) de l’Accord de libre-échange nord-américain [Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2].

[36]      Toutefois, afin d’assurer qu’une société fabriquant des produits génériques soit en mesure de mettre sur le marché le médicament contrefait dès l’expiration du brevet relatif au médicament d’origine, les paragraphes 55.2(1) et (2) autorisent des activités qui constitueraient par ailleurs une contrefaçon du brevet. Le paragraphe (1) permet à une « seconde personne » d’utiliser l’invention brevetée afin de démontrer, dans la présentation de drogue nouvelle visant à l’obtention d’un ADC, que le médicament équivaut au médicament breveté. Le paragraphe (2) autorise une « seconde personne » à stocker le produit par ailleurs contrefait en vue de le vendre dès l’expiration du brevet.

[37]      Même si cela n’a rien à voir avec le règlement de cet appel, je note que dans une décision récente, l’Organisation mondiale du commerce a confirmé l’« exception réglementaire relative aux démarches nécessaires » prévue au paragraphe (1), mais qu’elle n’a pas confirmé l’« exception relative au stockage » prévue au paragraphe (2) : Canada-Patent Protection of Pharmaceutical Products (plainte présentée par les communautés européennes) (2000) W.T.O. Doc. WT/DS114/R (rapport du comité).

[38]      Le paragraphe 55.2(4) représente un genre de compromis qui a été fait en échange des concessions mentionnées aux paragraphes (1) et (2), en ce sens qu’il autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements en vue de protéger les titulaires de brevets contre la concurrence de produits pharmaceutiques contrefaits avant l’expiration du brevet en liant les droits de brevet à la délivrance d’un ADC.

[39]      Devant le juge des requêtes, dont la décision est publiée sous l’intitulé Apotex c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 518 (1re inst.), Apotex s’est fondée sur plusieurs motifs pour alléguer que le Règlement était invalide. Toutefois, à l’audition de l’appel, le nombre de questions a été ramené à quatre questions, que j’examine maintenant.

C.        QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

Première question : L’appel devrait-il être rejeté pour le motif qu’il n’a plus qu’un intérêt théorique ou qu’il y a abus de procédure?

[40]      Les intimés ont soutenu à titre préliminaire que l’appel devrait être rejeté pour le motif qu’il n’a plus qu’un intérêt théorique parce que, par suite d’une décision que la Cour suprême du Canada a rendue en faveur d’Apotex (Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193), le ministre lui a délivré un ADC pour la norfloxacine. Par conséquent, la demande visant l’obtention d’une ordonnance enjoignant au ministre de délivrer un ADC semblerait redondante. En outre, étant donné que la contestation de la validité du Règlement servait de fondement à l’ordonnance visant à enjoindre au ministre de délivrer l’ADC, la demande de jugement déclaratoire a également été devancée par les événements. Il a en outre été soutenu qu’il n’était pas approprié de tenir compte d’aspects de la validité du Règlement autres que ceux qui étaient soulevés par les faits de la présente affaire.

[41]      La décision de la Section de première instance frappée d’appel en l’espèce a été rendue avant que l’affaire susmentionnée ait été tranchée par la Cour suprême du Canada. L’avocat d’Apotex a en fait admis que la demande visant l’obtention d’une ordonnance enjoignant au ministre de délivrer un ADC n’avait plus qu’un intérêt théorique. Toutefois, la validité du Règlement est encore pertinente, de sorte qu’il serait encore utile de rendre un jugement déclaratoire portant sur la situation juridique y afférente. En sa qualité de grosse entreprise fabriquant et commercialisant des médicaments génériques, Apotex a, en ce qui concerne la validité du Règlement, un intérêt qui n’est pas limité à la présente instance.

[42]      De plus, Apotex avait de fait obtenu un ADC l’autorisant à commercialiser la norfloxacine, mais cette approbation réglementaire s’applique uniquement à l’allégation particulière à l’égard de laquelle Apotex s’est défendue avec succès dans les procédures d’interdiction engagées par Merck Frosst. En effet, Apotex a répondu qu’elle ne contrefaisait pas le brevet relatif à la norfloxacine, pour lequel Merck Frosst détenait une sous-licence exclusive, parce qu’elle avait acheté en vrac la norfloxacine d’un fournisseur, qui l’avait fabriquée en vertu d’une licence obligatoire obtenue de Merck Frosst.

[43]      Toutefois, lorsque Apotex aura épuisé cette source, elle aura besoin d’un autre ADC pour commercialiser la norfloxacine, ce qui donnera vraisemblablement lieu à d’autres litiges au sujet de la question de savoir s’il existe un autre motif pour lequel Apotex peut alléguer avec succès qu’elle ne contrefait pas le brevet relatif à la norfloxacine de Merck Frosst. De fait, la Cour a déjà confirmé une décision rendue par un juge de la Section de première instance, qui avait conclu qu’une allégation de non-contrefaçon d’un procédé de fabrication de la norfloxacine n’était pas fondée parce que le procédé invoqué n’était pas vraiment différent de celui de Merck Frosst : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 80 C.P.R. (3d) 110 (C.F. 1re inst.); conf. par (1999), 86 C.P.R. (3d) 489 (C.A.F.). Au moins une autre décision concernant une allégation de non-contrefaçon d’un procédé différent de fabrication de la norfloxacine est apparemment sur le point d’être portée en appel devant la Cour. Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 84 C.P.R. (3d) 492 (C.F. 1re inst.).

[44]      Malgré les coûts, tant publics que privés, inévitablement associés aux procédures engagées en série, il est bien établi à la Cour qu’une « seconde personne » peut faire une série d’allégations distinctes de non-contrefaçon et contraindre ainsi le titulaire du brevet à engager de nouvelles procédures d’interdiction pour réfuter chaque allégation : Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 153 D.L.R. (4th) 68 (C.A.F.); autorisation de pourvoi refusée, [1998] 1 R.C.S. viii. Afin d’empêcher l’abus de la procédure de la Cour, la chose devrait uniquement être autorisée lorsque l’allégation subséquente est fondée sur de nouveaux faits, tels que la découverte ultérieure d’un autre procédé de fabrication du médicament qui ne contrefait pas le brevet.

[45]      Le juge des requêtes a tenu compte d’un argument différent en ce qui concerne l’abus de procédure. Selon cet argument, la présente instance constituait un abus de la procédure de la Cour parce que Apotex avait eu la possibilité de contester la validité du Règlement concernant les ADC dans les procédures d’interdiction antérieures engagées par Merck Frosst au sujet de la norfloxacine, à la suite desquelles Apotex a finalement eu gain de cause devant la Cour suprême du Canada : voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), précité.

[46]      Le juge des requêtes était d’avis qu’Apotex aurait pu soulever la question de la validité du Règlement dans cette instance-là et qu’étant donné que les notions de chose jugée et d’irrecevabilité à remettre en cause une question s’appliquent en principe aux procédures d’interdiction engagées en vertu du Règlement sur les ADC, la Cour pourrait refuser de permettre à Apotex de la soulever dans la présente instance. Toutefois, compte tenu de l’incertitude qui existait au sujet du Règlement au début du litige, de l’intérêt évident et continu d’Apotex, lorsqu’il s’agissait de faire régler la question de la validité du Règlement, et du fait que les parties avaient préparé des arguments complets sur le fond, le juge des requêtes a exercé son pouvoir discrétionnaire en vue de ne pas rejeter la procédure pour ce motif sans examiner l’affaire au fond.

[47]      Je ne suis pas convaincu que le juge des requêtes ait commis une erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’il avait d’entendre et de régler la demande de contrôle judiciaire, dans la mesure où elle visait l’obtention d’un jugement déclaratoire portant que le Règlement était ultra vires, même si Apotex n’avait pas contesté la validité du Règlement dans les procédures d’interdiction antérieures portant sur le même médicament.

[48]      Pour des motifs semblables à ceux que le juge des requêtes a prononcés au sujet de la question de l’abus de la procédure, je ne suis pas d’avis de rejeter la demande visant l’obtention d’un jugement déclaratoire d’invalidité pour le motif qu’elle n’a plus qu’un intérêt théorique. Toutefois, cela ne veut pas nécessairement dire que la Cour sera prête à déterminer la validité du Règlement dans l’abstrait, au lieu de se fonder sur les faits de l’espèce.

Deuxième question :  Le paragraphe 55.2(4) autorise-t-il uniquement la prise d’un règlement qui s’applique à une personne qui s’est prévalue des paragraphes 55.2(1) ou (2) à l’égard du nouveau produit pharmaceutique qui fait l’objet de la procédure d’interdiction?

[49]      Apotex a fait sa présentation de drogue nouvelle (la PDN) pour la norfloxacine en 1989, bien avant que les licences obligatoires soient abolies par la Loi de 1992 et que la protection fournie par les brevets soit liée par la loi à la délivrance des ADC. Apotex a soutenu que sa PDN ne pouvait pas validement être visée par le Règlement. Il est vrai que le paragraphe 5(1) [avant la modification de 1998] prévoit que le Règlement s’applique à « une personne [qui] dépose ou, avant la date d’entrée en vigueur du présent règlement, a déposé une demande d’avis de conformité » [non souligné dans l’original]. Toutefois, de l’avis d’Apotex, le législateur n’a pas autorisé la chose.

[50]      Apotex soutient que les mots soulignés figurant dans le paragraphe 5(1) sont invalides parce qu’ils visent à donner au Règlement un effet rétroactif. En l’absence d’un pouvoir expressément reconnu par la loi ou d’un pouvoir nécessairement implicite, il est normalement présumé que le législateur ne veut pas qu’un pouvoir de réglementation soit exercé rétroactivement. Cet argument sera examiné séparément en tant que troisième question.

[51]      De plus, Apotex conteste la validité du Règlement sur une base plus générale. Il est ici opportun d’énoncer de nouveau la partie de la disposition sur laquelle Apotex se fonde à l’appui de cet argument :

55.2 […]

(4) Afin d’empêcher la contrefaçon de brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens des paragraphes (1) ou (2), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment :

[52]      Apotex soutient que cette disposition impose expressément deux restrictions au pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil. En premier lieu, les règlements peuvent uniquement être pris dans la mesure où le gouverneur en conseil les considère comme nécessaires en vue d’empêcher la contrefaçon d’un brevet. Toutefois, étant donné les termes subjectifs dans lesquels ce pouvoir est conféré, l’avocat d’Apotex a sagement renoncé à son argument antérieur, selon lequel puisque le Règlement couvrait des cas dans lesquels un brevet n’était peut-être violé, ce règlement n’était pas [traduction] « nécessaire en vue d’empêcher la contrefaçon d’un brevet ». Je ferais uniquement ici remarquer que la nature subjective générale du pouvoir délégué par le paragraphe 55.2(4) peut avoir une pertinence plus générale lorsqu’il s’agit de déterminer la validité du Règlement.

[53]      En second lieu, ce règlement peut uniquement s’appliquer à une « seconde personne » qui a utilisé une invention brevetée « au sens des paragraphes (1) ou (2) ». Selon l’avocat, cela veut dire qu’étant donné qu’Apotex ne s’était pas prévalue d’une disposition ou de l’autre, parce qu’elle avait déposé sa PDN avant que l’article 55.2 soit édicté, le Règlement ne peut pas s’appliquer à la demande d’ADC pour la norfloxacine qui est en cause en l’espèce. En outre, étant donné qu’Apotex était titulaire d’une licence l’autorisant à utiliser le produit breveté, elle n’avait de toute façon pas à se prévaloir du paragraphe 55.2(1).

[54]      Par conséquent, selon l’argument, le paragraphe 5(1) du Règlement est invalide en ce sens qu’il vise à appliquer le Règlement à une demande qui a été déposée, mais à l’égard de laquelle aucune décision n’a été prise, avant l’entrée en vigueur du Règlement, ou à l’appliquer à une seconde personne qui, pour d’autres raisons, ne s’est pas prévalue des paragraphes 55.2(1) ou (2).

[55]      En plus de se fonder sur le sens clair du paragraphe 55.2(4), l’avocat d’Apotex invoque le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui a été publié avec le Règlement comme preuve de l’intention législative sous-tendant le régime. Selon ce résumé, les règlements sont nécessaires en vue d’assurer que les sociétés fabricant des produits génériques n’abusent pas de l’autorisation prévue aux paragraphes (1) et (2) en se livrant à des activités qui auraient par ailleurs constitué une contrefaçon de brevet : l’utilisation de l’invention brevetée comme élément de comparaison afin d’obtenir un ADC et le stockage, puis la mise en vente d’un produit contrefait avant l’expiration du brevet.

[56]      Par conséquent, la « seconde personne » qui ne s’est pas prévalue des paragraphes (1) ou (2) n’a pas obtenu un avantage dont elle pourrait abuser, et elle n’a donc pas commis le tort visé par le paragraphe 55.2(4). Si la société fabricant un médicament d’origine croit qu’un produit générique contrefait son brevet, il lui est loisible d’intenter une action en contrefaçon.

[57]      En outre, l’avocat a soutenu que la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets visait à abolir les licences obligatoires pour les produits pharmaceutiques contrefaits, notamment celles qui avaient déjà été accordées après le 20 décembre 1991 (paragraphe 12(1)) et, à certaines exceptions près, à placer les titulaires de brevets se rapportant à ces produits à peu près dans la même situation que les autres brevetés. Si un fabricant de médicaments génériques peut produire et commercialiser un médicament breveté sans contrefaire le brevet (par exemple, en découvrant un procédé non contrefait lorsque le brevet se rapporte au produit fabriqué par un procédé particulier, ou en obtenant une licence du titulaire du brevet), il lui est loisible de le faire, à condition d’avoir obtenu un ADC après avoir convaincu le ministre de l’innocuité et de l’efficacité de son produit.

[58]      Toutefois, compte tenu des aspects spéciaux et de l’importance de l’industrie pharmaceutique, la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets limite de certaines façons les droits des titulaires de brevets pharmaceutiques. Ainsi, les licences obligatoires accordées avant le 20 décembre 1991 continuent à être valides (paragraphe 11(1)), et le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés s’est vu conférer des pouvoirs additionnels à l’égard des prix exigés pour les médicaments brevetés (article 7).

[59]      Les paragraphes 55.2(1) et (2) sont les dispositions modificatrices visant à rétablir les droits des titulaires de brevet qui sont pertinentes dans le présent appel. Ces dispositions visent à assurer que les titulaires de brevet ne bénéficient pas d’un monopole de fait après l’expiration de leur brevet compte tenu du temps qu’il faudrait pour qu’un fabricant de produits génériques obtienne un ADC s’il ne pouvait pas entreprendre les « démarches réglementaires nécessaires », ou fabriquer et stocker le produit tant que le brevet n’était pas expiré. Il est donc soutenu qu’afin de déroger le moins possible à l’objectif primordial de la Loi, le paragraphe 55.2(4) devrait être interprété de façon à autoriser les règlements qui accroissent les droits des titulaires de brevet uniquement dans les cas où une « seconde personne » s’est prévalue, en vertu des paragraphes (1) et (2), de l’assouplissement des droits conférés à ceux-ci.

[60]      Il est soutenu que cette interprétation stricte de la portée du paragraphe 55.2(4) est justifiée parce que rien, dans le texte de la Loi dans son ensemble, n’indique que le législateur ait eu l’intention de fournir aux titulaires de brevets relatifs à des produits pharmaceutiques une protection, telle que celle qui est conférée par le Règlement, beaucoup plus étendue que celle dont bénéficient les titulaires de brevets se rapportant à d’autres produits, qui doivent se fonder sur les recours juridiques normaux qu’ils peuvent exercer devant les tribunaux pour empêcher la contrefaçon d’un brevet ou pour obtenir une indemnité y afférente.

[61]      Le juge des requêtes a rejeté cet argument; il a préféré une interprétation du paragraphe 55.2(4) dans laquelle les mots « l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens des paragraphes (1) ou (2) » sont interprétés comme « décriv[ant] […] la catégorie générale de personnes à laquelle le règlement peut s’appliquer » plutôt que l’activité à laquelle une seconde personne s’est livrée à l’égard du produit particulier qui fait l’objet de la procédure. Il a donc conclu ce qui suit (précité, à la page 550) :

[…] le paragraphe 55.2(4) peut présider à la prise d’un règlement applicable à toutes les personnes demandant un ADC qui n’avaient pas de droit acquis à une licence au moment où la Loi modificatrice a été adoptée, que leur demande ait ou non été présentée.

[62]      Le juge des requêtes a statué que toute autre interprétation entraînerait une anomalie, à savoir qu’une licence obligatoire serait accordée à Apotex et à d’autres personnes dont les demandes d’ADC étaient en cours de traitement lorsque le nouveau régime législatif est entré en vigueur, même si les dispositions par lesquelles ce type de licences ont été créées ont été abrogées lorsque la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets est entrée en vigueur et que les licences obligatoires accordées avant cette date, mais après le 20 décembre 1991, ont été invalidées.

[63]      L’avocat s’est fondé sur cette partie des motifs du juge des requêtes pour affirmer qu’ils indiquaient que le juge confondait l’ADC et la licence obligatoire. L’avocat a souligné qu’avant 1993, une « seconde personne » qui fabriquait un produit pharmaceutique au moyen d’un procédé non contrefait n’avait pas besoin d’une licence obligatoire, et qu’elle n’aurait donc pas été tenue de verser une redevance sur les ventes au titulaire du brevet. Il a été soutenu qu’il serait conforme au nouveau régime que les demandes d’ADC en cours de traitement soient examinées par le ministre pour déterminer l’innocuité et l’efficacité du produit, et qu’un ADC soit délivré si ces critères étaient satisfaits. Lorsque le produit est commercialisé, la « première personne » qui croit que son brevet a ainsi été contrefait pourrait intenter une action en contrefaçon de brevet de la façon normale.

[64]      Me Radomski a avancé un argument habile pour le compte d’Apotex, mais je ne puis retenir cet argument. Le texte du paragraphe 55.2(4) peut, au point de vue linguistique, avoir l’un ou l’autre des sens qui ont été invoqués au cours des plaidoiries. Toutefois, si le législateur avait l’intention de limiter l’étendue du pouvoir de réglementation aux personnes qui s’étaient prévalues des paragraphes (1) ou (2), il aurait été plus naturel que la version anglaise de la disposition parle de « any person who has made, constructed, used or sold a patented invention in accordance with subsection (1) or (2) ». L’emploi du présent dans la version anglaise est plus apte à décrire un fabricant de médicaments génériques en général qu’une personne qui a fait l’une des choses énumérées à un moment donné.

[65]      Je reconnais que les mots qui ont été employés constituent une façon singulièrement étrange d’exprimer cette idée, mais je me fonde sur la version française du paragraphe 55.2(4), dans laquelle le mot « personne » n’est pas employé et dans laquelle l’expression « au sens des paragraphes (1) ou (2) » est employée plutôt que l’expression « en conformité avec les paragraphes (1) ou (2) », qui correspond à la version anglaise « in accordance with ».

[66]      Étant donné que les mots du texte de loi n’indiquent pas une conclusion inéluctable, le contexte législatif résout-il l’ambiguïté? À mon avis, la nature et la définition subjectives du but dans lequel le pouvoir peut être exercé étaye une interprétation libérale : « Afin d’empêcher la contrefaçon du brevet d’invention […] le gouverneur en conseil peut prendre des règlements.»

[67]      Par conséquent, le gouverneur en conseil pourrait bien considérer qu’une seconde personne, qui a demandé un ADC pour un nouveau médicament qui figurait sur la liste de brevets de la première personne, pourrait être tentée, si l’ADC était délivré, de commercialiser son produit avant l’expiration du brevet et de laisser la première personne recourir aux droits qu’elle peut établir dans une action fondée sur son brevet. Étant donné que les tribunaux hésitent à accorder des injonctions interlocutoires en matière de brevets, et compte tenu du temps qu’il faut normalement pour qu’une affaire de brevet qui est vigoureusement contestée soit entendue, la seconde personne, armée d’un ADC, pourrait en fait s’attribuer de fait une licence obligatoire. La « redevance » payable s’élèverait au montant auquel le litige serait réglé, ou à la somme qu’un tribunal accorderait en fin de compte au titre des dommages-intérêts ou dans le cadre d’une reddition de comptes exigée à la suite d’une conclusion de contrefaçon.

[68]      Il aurait certes été conforme à l’abolition des licences obligatoires de conférer un pouvoir de réglementation suffisamment large pour empêcher ce genre d’abus. Si l’affaire était considérée sous cet angle, il ne serait pas pertinent, semble-t-il, en ce qui concerne l’intention du législateur, que la seconde personne ait tiré parti de l’assouplissement de la législation en matière de brevets résultant de l’application des paragraphes (1) ou (2) à un médicament particulier.

[69]      L’avocat d’Apotex a soutenu que cette interprétation était contraire au régime de la Loi de 1992 parce que, si elle était retenue, elle conférerait de nouveaux droits aux titulaires de brevet, au lieu de simplement rétablir les droits qui avaient été supprimés par les dispositions antérieures concernant les licences obligatoires. Toutefois, il est plus exact de dire que la Loi prévoit uniquement un nouveau recours visant à protéger les droits existants des titulaires de brevet contre la contrefaçon, à savoir une action résultant de la commercialisation d’un médicament en l’absence d’un ADC.

[70]      Bien sûr, dans certains cas, la seconde personne pourra établir, dans des procédures d’interdiction ou dans une action privée fondée sur un brevet, que son produit est fabriqué au moyen d’un procédé non contrefait ou que le brevet de la première personne est invalide. Dans l’intervalle, la seconde personne se sera vu refuser un ADC et aura été mise à l’écart du marché. On peut encore une fois se demander de quelle façon ce résultat est conforme au but exprimé par le législateur, à savoir protéger les titulaires de brevet contre la contrefaçon.

[71]      À coup sûr, la réponse est que la question de savoir si une seconde personne se livre à la contrefaçon n’est peut-être pas évidente en soi, mais qu’il faut fournir une preuve, qui peut être fort technique ou non concluante, ou qu’il faut résoudre des questions de droit difficiles se rapportant à l’interprétation ou à la validité du brevet. Un ADC est refusé à toute seconde personne, même si elle réussit en fin de compte à réfuter l’allégation de la première personne, afin de protéger les titulaires de brevet contre les personnes qui, si un ADC leur était accordé, pourraient tenter de se livrer à la contrefaçon. En outre, étant donné que compte tenu du temps qu’il faut pour traiter une demande d’ADC, la suspension de 24 mois prévue par la loi aura dans bien des cas pris fin avant que le processus ait été mené à bonne fin, le régime est peut-être en pratique moins draconien qu’il ne semble l’être en théorie.

[72]      Pour ces raisons, et conformément à la directive générale énoncée à l’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, j’ai conclu que le paragraphe 55.2(4) devait être interprété d’une manière libérale, de façon que son application ne soit pas limitée aux personnes qui se sont prévalues des avantages conférés par les paragraphes (1) ou (2) à l’égard du médicament particulier en litige.

[73]      Je reconnais que le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation étaye l’interprétation plus stricte avancée pour le compte d’Apotex, comme le fait la lettre du 5 février 1993 adressée à l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (l’ACFPP), dans laquelle le ministre de la Consommation et des Affaires commerciales a dit ce qui suit au sujet du paragraphe 55.2(4) :

[traduction] Il vise à permettre au gouvernement de limiter tout préjudice découlant de sa décision d’autoriser un type d’action qui, autrement, constituerait une contrefaçon de brevet.

[74]      Toutefois, je ne vois pas pourquoi ces documents devraient être considérés comme indiquant l’intention du législateur d’une façon nécessairement plus convaincante que le fait que, en prenant le Règlement, le gouverneur en conseil a de toute évidence adopté au sujet du pouvoir législatif délégué par le paragraphe 55.2(4) une interprétation plus libérale que ce qu’indiquent ces documents.

[75]      Ces remarques suffisent pour régler la principale prétention qu’Apotex a avancée au sujet de la validité du Règlement, mais je dois également examiner une autre série d’arguments qui ont été débattus d’une façon passablement approfondie à l’audience. Il s’agit du rapport qui existe entre les paragraphes 55.2(1) et (2) de la Loi d’une part, et le paragraphe 5(1) du Règlement d’autre part. Il s’agit de savoir si les personnes qui sont visées par le paragraphe 5(1) doivent par définition s’être également prévalues des paragraphes (1) ou (2). Dans l’affirmative, le Règlement est encore valide, même si le paragraphe 55.2(4) est interprété d’une façon aussi stricte qu’Apotex le prône.

[76]      Le paragraphe 5(1) prévoit que le Règlement s’applique à la personne qui a déposé une demande d’ADC et qui souhaite « en faire la comparaison, ou faire renvoi, à une autre drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été soumise » [non souligné dans l’original]. D’autre part, le paragraphe 55.2(1) parle de l’utilisation d’une « invention brevetée » [non souligné dans l’original] aux fins de l’obtention d’une approbation réglementaire à l’égard d’un nouveau médicament.

[77]      L’avocat d’Apotex a soutenu que, contrairement à la présomption sur laquelle la rédaction du paragraphe 5(1) du Règlement semble être fondée, une personne pourrait utiliser un médicament aux fins de comparaison ou de renvoi sans nécessairement utiliser une « invention brevetée » au sens du paragraphe 55.2(1). Il a soutenu que tel serait par exemple le cas d’un brevet relatif à un [traduction] « produit fabriqué selon un procédé » étant donné que la comparaison de deux médicaments visant l’obtention d’un ADC ne comporterait pas l’utilisation de l’« invention brevetée », celle-ci ne se rapportant pas simplement au médicament, mais aussi au médicament tel qu’il est fabriqué au moyen d’un procédé particulier. Le procédé par lequel le médicament est fabriqué n’entre pas en ligne de compte aux fins de la comparaison visant à établir l’équivalence des médicaments lorsqu’il s’agit de démontrer l’innocuité et l’efficacité du produit.

[78]      Je ne puis retenir cet argument. Dans l’arrêt Deprenyl Research Ltd. c. Apotex Inc. (1994), 55 C.P.R. (3d) 171 (C.F. 1re inst.); conf. par (1995), 60 C.P.R. (3d) 501 (C.A.F.), il a été statué qu’une revendication relative à un procédé particulier de fabrication, ou une revendication relative au « simple procédé », n’était pas visée par le Règlement sur les ADC parce qu’il ne s’agissait pas d’une « revendication pour le médicament en soi » au sens de l’article 2. Toutefois, le Règlement s’applique aux brevets qui contiennent une revendication relative à un médicament qui est fabriqué au moyen d’un procédé particulier, ou à une « revendication dépendant du procédé ».

[79]      Par conséquent, étant donné que le produit est toujours inclus dans la revendication de brevet, dès qu’un fabricant de médicaments génériques soumet une présentation abrégée de drogue nouvelle et compare son produit à un produit qui figure sur la liste de brevets d’une première personne, il utilise « une invention brevetée » (à supposer, bien sûr, que la validité du brevet soit par la suite confirmée), et ce, tant dans le cas d’un « brevet dépendant d’un procédé » que d’un « brevet relatif au produit seulement ».

[80]      Même si elle a initialement été faite avant l’entrée en vigueur du Règlement, la demande d’ADC d’Apotex relative à la norfloxacine, y compris l’analyse comparative, était encore entre les mains du ministre après le mois de mars 1993; elle l’a été jusqu’au mois de juillet, lorsque l’accord relatif à la licence a pris effet. Ce fait, auquel vient s’ajouter le fait qu’Apotex possédait, aux fins réglementaires, un échantillon du produit breveté, constituait une utilisation d’une invention brevetée au sens du paragraphe 55.2(1) : voir Smith Kline and French Laboratories Limited v. Douglas Pharmaceuticals Limited, [1991] F.S.R. 522 (C.A.N.-Z.); Roche Products, Inc. v. Bolar Pharmaceutical Co. Inc., 733 F.2d 858 (Fed. Cir. 1984); Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 67 C.P.R. (3d) 484 (C.F. 1re inst.), à la page 489; conf. par (1996), 70 C.P.R. (3d) 1 et 206 (C.A.F.).

[81]      Pour ces motifs, Apotex n’a pas établi que le Règlement sur les ADC est, quand au fond, ultra vires du paragraphe 55.2(4).

Troisième question :  En l’absence d’un pouvoir exprès conféré par la loi autorisant le gouverneur en conseil à prendre des règlements ayant un effet rétroactif, le Règlement est-il invalide dans la mesure où il est réputé s’appliquer aux demandes d’ADC qui avaient été déposées, mais à l’égard desquelles aucune décision n’avait été prise, lorsque le Règlement est entré en vigueur?

[82]      À mon avis, l’application du Règlement aux présentations de drogue nouvelle qui étaient en cours de traitement lorsque le Règlement de 1993 a pris effet ne mettait pas en cause la présomption à l’encontre de la rétroactivité. Aucun droit acquis n’a ainsi été abrogé : en l’absence d’une indication législative claire contraire, personne n’a le droit de faire trancher une demande visant l’obtention d’un avantage conféré par la loi conformément aux critères d’admissibilité qui s’appliquaient au moment du dépôt de la demande. Les personnes qui revendiquent des droits prévus par la loi n’ont normalement qu’un simple espoir que l’autorité responsable prenne une décision qui leur est favorable (voir, par exemple, Director of Public Works v. Ho Po Sang, [1961] A.C. 901 (C.P.)), mais le refus de faire droit à une demande peut être annulé s’il n’est pas conforme au droit qui s’appliquait au moment où la décision a été prise.

[83]      En vertu de l’alinéa 44c) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, la présomption à l’encontre de l’application rétroactive de l’abrogation d’un texte de loi protège les droits qu’une personne a « acquis » et ses droits « naissants ». Si la demande qu’Apotex a présentée au ministre ne donnait pas naissance à un droit acquis à l’égard d’un ADC sur la base des critères prévus par la loi qui existaient au moment du dépôt de la demande, Apotex avait-elle un droit « naissant » au sens de l’alinéa 44c), de sorte qu’il était présumé qu’elle n’était pas visée par le pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets?

[84]      Dans les motifs concourants distincts qu’il a rédigés dans l’arrêt Scott v. College of Physicians and Surgeons of Saskatchewan (1992), 95 D.L.R. (4th) 706 (C.A. Sask.), le juge Cameron a statué (à la page 719) que la disposition identique figurant à l’alinéa 23(1)c) de The Interpretation Act, R.S.S. 1978, ch. I-11, protégeait uniquement les droits qui prendraient inévitablement naissance en temps opportun, et non ceux qui peuvent

[traduction] […] donner naissance à un droit acquis ou à une obligation acquise dans l’avenir. Comme il est possible de le constater, les conséquences, en ce qui concerne l’efficacité de l’abrogation, sont tout simplement trop importantes pour être acceptables.

[85]      Une remarque similaire a été faite dans l’arrêt Hutchins c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1993] 3 C.F. 505 (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée [1994] 1 R.C.S. vii, où la Cour a statué que le droit que possède un détenu d’obtenir une audience en vertu d’une disposition de la loi qui a été abrogée n’était pas un droit « naissant » au moment de l’abrogation, même si le demandeur avait pris toutes les mesures qu’il pouvait prendre afin d’engager des procédures avant l’abrogation.

[86]      D’autre part, l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.); conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100, est un exemple de cas dans lequel il y existait un droit « naissant » visé par la présomption. Dans cette affaire, le ministre avait déjà procédé à l’approbation réglementaire lorsque le Règlement de 1993 était entré en vigueur, de sorte qu’il restait uniquement à délivrer officiellement l’ADC. En d’autres termes, au moment de l’abrogation, la délivrance d’un ADC ne dépendait pas d’une décision prise par le ministre, mais découlait inévitablement de l’approbation de la demande.

[87]      Le gouverneur en conseil était donc autorisé, en vertu du paragraphe 55.2(4), à prévoir expressément dans le Règlement que celui-ci s’appliquerait aux demandes qui avaient été déposées avant l’entrée en vigueur du Règlement, mais sur lesquelles le ministre ne s’était pas encore prononcé. Par conséquent, il n’était pas illicite pour le ministre de refuser de délivrer un ADC à Apotex pour la norfloxacine, même si la demande avait été déposée avant que l’octroi de l’approbation réglementaire soit liée à la protection fournie par un brevet.

Quatrième question : Le Règlement est-il invalide du fait qu’il a été pris en violation d’un engagement pris par le ministre de la Consommation et des Affaires commerciales envers l’Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques, à savoir que l’Association serait consultée avant que des règlements soient pris en vertu du paragraphe 55.2(4)?

(i)         Les faits

[88]      Au mois de juillet 1992, un haut fonctionnaire du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social a informé l’ACFPP que l’approbation réglementaire d’une drogue nouvelle au moyen de la délivrance d’un avis de conformité serait liée à la protection des droits des titulaires de brevets existants même si, lorsqu’il avait été rédigé, le projet de loi C-91 ne renfermait aucune disposition en ce sens.

[89]      Le mois suivant, l’Association a répondu en s’opposant à tout régime législatif de ce genre. Elle a réitéré son opposition au mois de novembre, au cours d’audiences publiques, pendant que le projet de loi C-91 était entre les mains d’un comité. Dans l’intervalle, l’Association canadienne de l’industrie du médicament, qui est une société à but non lucratif représentant principalement les sociétés fabricant des médicaments d’origine, a soutenu devant le Comité que pareil lien devait être établi au moyen de règlements.

[90]      Au mois de décembre 1992, l’ACFPP a rencontré les représentants du ministère de la Consommation et des Affaires commerciales qui étaient responsables de la modification de la Loi sur les brevets. Les représentants du Ministère ont informé l’Association qu’une modification au projet de loi C-91 devant être présentée autorisait le gouverneur en conseil à prendre des règlements liant les questions autrefois distinctes de la contrefaçon possible d’un brevet et de l’octroi de l’approbation réglementaire de drogues nouvelles par le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

[91]      L’ACFPP a vigoureusement manifesté son opposition, qui a été communiquée dans des lettres adressées au ministre de la Consommation et des Affaires commerciales et au ministre de l’Industrie, des Sciences et de la Technologie du Canada, mais le projet de loi C-91 a néanmoins été modifié en troisième lecture de façon à ajouter la disposition qui est devenue le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets. Cela avait pour effet d’autoriser la prise de règlements tels que ceux auxquels l’ACFPP s’était opposée.

[92]      Le projet de loi, et notamment cette disposition habilitante, ayant été adoptés par la Chambre des communes, les représentants de l’industrie ont présenté d’autres observations, au mois de janvier 1993, devant le Comité du Sénat qui était chargé d’examiner ce projet de loi. Des rencontres ont également eu lieu à ce moment-là entre l’ACFPP et un sous-ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, au cours desquelles on a affirmé que le gouvernement avait l’intention de consulter l’industrie avant d’édicter le règlement d’application.

[93]      Dans une lettre datée du 5 février 1993 adressée au président de l’ACFPP, M. Kay, le nouveau ministre de la Consommation et des Affaires commerciales, M. Vincent, a réitéré les motifs pour lesquels le projet de loi C-91 avait été modifié, modification à laquelle l’ACFPP s’était opposée. Il a expliqué que le projet de règlement était fondé sur la nécessité de minimiser le préjudice que les titulaires de brevet pourraient par ailleurs subir par suite des dispositions permettant aux sociétés fabricant des médicaments génériques d’utiliser le produit breveté afin d’obtenir un ADC et de stocker le produit en attendant l’expiration du brevet. À la fin de sa lettre, l’auteur disait ce qui suit : [traduction] « Soyez assuré que vous serez consulté avant la prise d’un tel règlement. »

[94]      Le 15 février 1993, le projet de loi C-91 est entré en vigueur sous le titre de Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, à l’exception de l’article 55.2, qui renferme la disposition controversée autorisant la prise de règlements. Cette disposition est entrée en vigueur le 12 mars 1993, en même temps que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), par lequel était créé le régime législatif établissant un lien entre la protection des droits de brevet et la délivrance d’un ADC. Malgré l’assurance que le ministre avait donnée dans sa lettre du 5 février 1993, l’ACFPP n’a pas été consultée au sujet du contenu du Règlement avant qu’il soit édicté.

[95]      Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation publié avec le Règlement disait que les principaux intéressés avaient été consultés au sujet du principe sur lequel le projet de loi C-91 était fondé, mais que « comme il [était] important de mettre le règlement en vigueur rapidement pour appliquer la nouvelle loi », il n’y avait pas eu de consultation au sujet du texte du Règlement avant son entrée en vigueur. En vertu des Projets de réglementation fédérale, un préavis est normalement donné de façon que les intéressés puissent faire connaître leurs commentaires avant qu’un règlement soit promulgué. Toutefois, étant donné que ce règlement était nouveau, le gouvernement s’est engagé à procéder à une consultation au sujet de son application, en remaniant le Règlement au besoin.

[96]      Au cours des années suivantes, il y a eu de longues consultations avec les membres de l’industrie et les associations qui les représentaient. Par suite de l’expérience acquise grâce à l’application du Règlement et, sans doute, grâce aux consultations, des modifications importantes ont été apportées au Règlement, lesquelles sont entrées en vigueur en 1998 sous le titre Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/98-166.

[97]      Entre autres choses, les modifications qui, en général, favorisaient les fabricants de médicaments génériques, ramenaient de 30 à 24 mois la période de suspension automatique de la délivrance d’un ADC qui s’applique lorsque des procédures d’interdiction sont engagées : paragraphe 6(2) du Règlement de 1998, modifiant l’alinéa 7(1)e) du Règlement de 1993. La suspension imposée par la loi constitue l’aspect du Règlement qui, selon les fabricants de médicaments génériques, porte peut-être le plus atteinte à leurs intérêts.

[98]      Tout en étant d’une nature relativement technique, ces modifications, considérées dans leur ensemble, peuvent avoir mitigé les répercussions défavorables que le lien établi par la loi entre la protection fournie par un brevet et l’approbation réglementaire avaient pour les fabricants de médicaments génériques. Néanmoins, le principe essentiel et la conception générale du régime législatif sont encore les mêmes.

(ii)        La législation subordonnée et l’expectative légitime

[99]      Il est facile de répondre à la question de savoir si le Règlement de 1993 est invalide du fait qu’il a été édicté sans que l’ACFPP soit consultée comme le ministre l’avait promis. En l’absence d’une exigence légale prévoyant la consultation avant la promulgation d’un règlement, l’obligation d’équité constitue l’unique source juridique de l’obligation légale de consultation.

[100]   Toutefois, l’obligation d’équité ne s’applique pas à l’exercice de pouvoirs d’une nature législative (Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735), y compris les règlements qui s’appliquent à une industrie particulière (Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée [1994] 2 R.C.S. vi; Carpenter Fishing Corp. c. Canada, [1998] 2 C.F. 548 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée [1998] 2 R.C.S. vi). Par conséquent, il n’existait aucune obligation légale de consulter l’ACFPP avant que le Règlement de 1993 soit édicté.

[101]   Selon cet argument, l’engagement pris par le ministre ne pouvait pas non plus donner naissance à une obligation légale de consultation, et ce, parce que pareille obligation pourrait uniquement être fondée sur le fait qu’elle créait une expectative légitime de consultation; or, puisque cette théorie ne constitue qu’un aspect de l’obligation d’équité, elle ne peut pas s’appliquer à l’exercice d’un pouvoir auquel l’obligation elle-même ne s’applique pas.

[102]   De fait, dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, aux pages 557 à 560, il a expressément été dit que la théorie de l’expectative légitime ne s’appliquait pas à l’exercice de pouvoirs législatifs. De plus, dans l’arrêt Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, à la page 1204, la Cour a rejeté une contestation de la validité de règlements municipaux qui était fondée sur l’allégation selon laquelle ces règlements avaient été édictés en violation d’une expectative légitime de consultation préalable.

[103]   Tel était le motif pour lequel, en l’espèce, le juge des requêtes a rejeté l’argument fondé sur l’expectative légitime. Le juge a étayé sa conclusion en faisant remarquer que, de toute façon, le pouvoir en question conféré par la loi, soit le pouvoir de prendre des règlements, avait été conféré au gouverneur en conseil, qui n’avait lui-même pris aucun engagement procédural envers l’ACFPP et qui ne pouvait pas être lié par l’engagement pris par le ministre.

[104]   Il est bien établi au Canada que l’obligation d’équité ne s’applique pas à l’exercice de pouvoirs d’une nature législative, ce qui comprendrait le Règlement contesté en l’espèce. Le Règlement s’appliquait à un groupe relativement restreint et facilement identifiable, mais il se situe à l’extrémité « législative » du spectre des pouvoirs, qui s’étend des pouvoirs législatifs aux pouvoirs judiciaires, en passant par les pouvoirs administratifs. Il en est ainsi parce que le Règlement a été pris en vertu du vaste pouvoir discrétionnaire conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 55.2(4) : « The Governor in Council may make such regulations as the Governor in Council considers necessary » [non souligné dans l’original], « le gouverneur en conseil peut prendre des règlements » dans la version française et qu’il s’applique d’une façon générale à toutes les personnes en cause dans l’industrie pharmaceutique.

[105]   Toutefois, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’un règlement puisse licitement être pris en violation d’une assurance catégorique précise de consultation préalable donnée par un ministre responsable dans l’exercice de fonctions ministérielles. Ce n’est pas non plus ce que prévoit la jurisprudence, si on l’examine de plus près.

[106]   Dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada, précité, la Cour suprême du Canada a clairement repris (à la page 558) la position orthodoxe selon laquelle l’obligation d’équité ne s’applique pas aux pouvoirs législatifs de façon à exiger qu’un avis soit donné avant que pareils pouvoirs soient exercés, mais à mon avis, cet arrêt n’étaye pas la thèse selon laquelle la théorie de l’expectative légitime ne s’applique pas elle non plus.

[107]   Dans cette affaire, la question pertinente en l’espèce se rapportait à l’effet juridique de la violation de l’article 8 du Régime d’assistance publique du Canada, S.R.C. 1970, ch. C-1. Cette disposition prévoyait que le gouvernement fédéral ne modifierait pas les conditions de l’accord conclu dans le cadre du Régime sans le consentement de la province et que l’une ou l’autre partie ne pouvait résilier l’accord qu’après avoir donné un préavis de douze mois de son intention.

[108]   La Cour suprême a statué que cette disposition n’imposait pas une restriction fondamentale au droit du législateur d’édicter de temps en temps, dans le cadre de ses pouvoirs constitutionnels, les dispositions législatives qu’il juge indiquées. La Cour s’est ensuite demandé si cette disposition créait une expectative légitime de consultation avant que le Régime soit modifié unilatéralement et si le gouvernement fédéral avait agi illicitement en présentant une loi au Parlement en vue de modifier la formule de financement sans consulter la province.

[109]   La Cour suprême a rejeté l’argument (aux pages 559 et 560) pour le motif que le fait d’invoquer la théorie de l’expectative légitime en vue de créer un droit procédural dans ce cas-là limiterait indûment l’exercice par le législateur du pouvoir qu’il possédait d’édicter, selon les modalités et dans la forme normales, une loi portant sur des questions relevant de sa compétence constitutionnelle et, par conséquent, que cela « aurait pour effet d’imposer une restriction à ce trait essentiel de la démocratie ».

[110]   Des considérations constitutionnelles similaires ne s’appliquent pas à l’exercice de pouvoirs législatifs délégués qui ne sont pas assujettis au même degré d’examen qu’un texte de loi principal qui doit être soumis au processus législatif complet. En outre, les droits procéduraux créés par la théorie de l’expectative légitime sont toujours assujettis à la preuve selon laquelle, dans des circonstances particulières, l’intérêt public exige que des mesures administratives soient prises promptement sans que les procédures promises soient observées.

[111]   L’arrêt Vieux St-Boniface, précité, pourrait sembler plus pertinent parce qu’il se rapportait à un règlement de zonage municipal qui, comme un règlement, relève de la législation déléguée. Toutefois, en rejetant l’argument selon lequel une promesse faite par le président d’un comité au sujet de consultations additionnelles créait une expectative légitime, la Cour suprême a mis l’accent (à la page 1204) sur l’existence d’un code de procédure expressément créé par la loi aux fins de l’adoption de règlements de zonage. Pour assurer l’équité, il ne serait pas nécessaire que les tribunaux ajoutent la théorie de l’équité à ce processus, au moyen de la théorie de l’expectative légitime; cela ne serait pas non plus conforme au régime procédural prévu par la loi, lequel constituait « un ensemble complexe destiné à permettre que toutes les personnes concernées soient non seulement consultées mais aussi entendues ».

[112]   Par contre, aucune disposition législative n’exige la consultation des intéressés avant qu’un règlement soit pris en vertu de la Loi sur les brevets. Il n’existe donc aucune raison pour laquelle, et je reprends ce qu’a dit le juge Sopinka dans l’arrêt Vieux St-Boniface, précité (à la page 1204), la Cour ne devrait pas en l’espèce suppléer à

[…] l’omission dans un cas où, par sa conduite, un fonctionnaire public a fait croire à quelqu’un qu’on ne toucherait pas à ses droits sans le consulter.

[113]   Je ne crois pas non plus que l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, empêche l’application de la théorie de l’expectative légitime aux pouvoirs législatifs délégués, de façon à exiger qu’il y ait consultation avant que ces pouvoirs puissent être validement exercés. Dans cet arrêt, le juge L’Heureux-Dubé a dit (à la page 839, paragraphe 26) qu’au Canada, une expectative légitime peut accroître le contenu procédural de l’obligation d’équité au-delà du contenu qu’elle aurait par ailleurs eu. Étant donné le contexte dans lequel cette remarque a été faite, je déduis que le juge L’Heureux-Dubé voulait simplement dire que, dans notre droit, la doctrine ne donne pas naissance à des droits fondamentaux, contrairement par exemple à la position qui a récemment été prise en Angleterre par la Cour d’appel dans l’arrêt important Coughlan v. North and East Devon Health Authority, [1999] E.W.J. no 3774 (C.A.) (QL).

[114]   Je n’interprète donc pas non plus les remarques du juge L’Heureux-Dubé comme voulant dire que la déclaration selon laquelle une personne aura la possibilité de participer à un processus ne peut jamais donner naissance à une expectative légitime, en ce qui concerne la prise de mesures administratives auxquelles l’obligation d’équité ne s’appliquerait par ailleurs pas. De fait, plus loin dans le même paragraphe (à la page 840), le juge L’Heureux-Dubé a reconnu la thèse générale selon laquelle la théorie de l’expectative légitime est fondée sur la prémisse voulant qu’il soit en général inéquitable pour les décideurs de ne pas donner suite à un engagement procédural. Le juge n’a pas limité cet énoncé de principe aux cas dans lesquels l’application de la théorie de l’expectative légitime a simplement pour effet d’augmenter le contenu de l’obligation d’équité dans une situation où cette obligation aurait par ailleurs comporté certains droits de participation qui ne seraient toutefois pas aussi étendus.

[115]   De fait, dans certaines décisions, il a été statué que la théorie de l’expectative légitime peut s’appliquer à une autorité publique qui déclare qu’elle suivra une certaine procédure avant d’exercer un pouvoir auquel l’obligation d’équité ne s’appliquerait par ailleurs probablement pas, y compris les pouvoirs d’une nature politique ou législative. Voir, par exemple, Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), précité; Lehndorff United Properties (Canada) Ltd. et al. v. Edmonton (City) (1993), 146 A.R. 37 (B.R.) et les décisions qui y sont citées, conf. pour d’autres motifs par (1994), 157 A.R. 169 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée [1995] 2 R.C.S. vii; Bezaire v. Windsor Roman Catholic Separate School Board (1992), 9 O.R. (3d) 737 (C. Div.).

[116]   Toutefois, les décisions ne confirment pas toutes ce point de vue : voir, par exemple, la décision Sunshine Coast Parents for French v. School District No. 46 (Sunshine Coast) (1990), 44 Admin. L.R. 252 (C.S.C.-B.), qui a fait l’objet de critiques tranchantes : voir David J. Mullan, « Confining the Reach of Legitimate Expectations : Case Comment : Sunshine Coast Parents for French v. School District No. 46 (Sunshine Coast) » (1991), 44 Admin. L.R. 245.

[117]   Il est également intéressant de noter que dans d’autres ressorts de common law, on est prêt à appliquer à l’exercice de pouvoirs de réglementation la théorie de l’expectative légitime au sens procédural du terme, en particulier lorsque, comme en l’espèce, le règlement s’applique directement à un groupe déterminé, et ce, même si, comme au Canada, on n’applique normalement pas l’obligation d’équité aux pouvoirs législatifs ou aux décisions de principe; voir, par exemple, Regina v. Liverpool Corpn., Ex parte Liverpool Taxi Fleet Operators’ Association, [1972] 2 Q.B. 299 (C.A.); Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, [1985] A.C. 374 (H.L.); R. v. Lord Chancellor’s Department, ex parte Law Society (Q.B.D. Crown Office List; 22 juin 1993; CO/991/93); Philip A. Joseph, Constitutional and Administrative Law in New Zealand (Sydney, N.S.W. : Law Book Co., 1993), aux pages 754 à 756.

[118]   La doctrine complémentaire étaye également d’une façon impressionnante la thèse selon laquelle la création d’une expectative légitime de consultation devrait limiter le principe général selon lequel l’obligation d’équité ne s’applique pas à l’exercice de pouvoirs d’une nature législative : voir, par exemple, David J. Mullan, « Canada Assistance Plan—Denying Legitimate Expectation a Fair Start? » (1993), 7 Admin. L.R. (2d) 269, ainsi que l’analyse particulièrement utile que Joan G. Small a effectuée dans « Legitimate Expectations, Fairness and Delegated Legislation » (1995), 8 C.J.A.L.P. 129.

[119]   Une opinion quelque peu différente est exprimée par David Wright, « Rethinking the Doctrine of Legitimate Expectations in Canadian Administrative Law » (1997), 35 Osgoode Hall L.J. 139, aux pages 188 à 193, où l’auteur soutient que le problème essentiel que pose la common law dans ce domaine est le refus catégorique d’étendre l’obligation d’équité de façon à conférer aux intéressés le droit général de participer au processus législatif avant la prise d’un règlement ou d’autres décisions de principe.

[120]   Wright soutient qu’imposer aux organismes de réglementation l’obligation de consulter, ou l’obligation de faire participer le public sous quelque autre forme, uniquement lorsqu’une expectative légitime a été créée, sur le plan de la procédure, par suite de la conduite de ces organismes est une façon indirecte et incomplète de résoudre le problème fondamental, à savoir le fait que le droit ne renforce pas la légitimité démocratique de la législation déléguée en imposant, au moyen de l’obligation d’équité qui existe en common law, un processus auquel les intéressés ont le droit de participer.

[121]   Toutefois, à mon avis, les droits protégés par la théorie de l’expectative légitime ne sont pas les mêmes que ceux qui sont protégés par l’obligation générale de donner aux intéressés la possibilité de participer à l’élaboration de règlements. Cette dernière obligation est fondée sur les valeurs démocratiques de l’obligation de rendre compte, sur le fait que les citoyens cherchent à influer sur le contenu du droit qui les régit et sur la conviction selon laquelle un processus consultatif est susceptible d’entraîner la prise de mesures plus réfléchies. Par contre, le fait de tenir le gouvernement responsable d’un engagement procédural qui a solennellement été pris pour son compte envers un individu est davantage une question de justice individuelle.

[122]   Lorsqu’elle découle de la pratique passée d’un organisme, ou de lignes directrices procédurales non prévues par la loi, l’expectative légitime sert à empêcher la partialité procédurale, et non pas à faire obstacle à une expectative réelle de la part d’un individu qui n’était peut-être pas au courant de la situation. Toutefois, lorsque l’expectative légitime découle d’une promesse ou d’un engagement qui a catégoriquement et expressément été donné à un individu ou à un groupe déterminé, le gouvernement est tenu responsable en raison du droit de l’individu de faire confiance ou, à défaut de confiance préjudiciable, parce que l’individu a le droit de s’attendre à ce que le gouvernement respecte les règles élémentaires de la décence en tenant ses promesses, à moins qu’il n’existe un motif impérieux de ne pas le faire.

[123]   Les droits sous-tendant la théorie de l’expectative légitime se rapportent à l’application non discriminatoire, au sein de l’administration publique, des normes procédurales établies par la pratique passée ou par des lignes directrices publiées, et à la protection de l’individu contre l’abus de pouvoir résultant de la violation d’un engagement. Telles sont les préoccupations traditionnelles fondamentales qui existent en droit public. Ce sont également les éléments essentiels d’une administration publique saine. Dans ces conditions, la consultation cesse d’être uniquement une question de processus politique ne relevant donc pas du droit, et entre dans la sphère du contrôle judiciaire.

[124]   À mon avis, la doctrine de l’expectative légitime ne constitue donc pas simplement un volet de l’obligation d’équité, en ce sens qu’elle sert aux mêmes fins que les droits de participation conférés par l’obligation d’équité. Il n’y a donc pas lieu de limiter sa portée à l’exercice des pouvoirs reconnus par la loi auxquels l’obligation s’applique.

[125]   D’autre part, comme c’est le cas pour l’obligation d’équité, une violation entraînera l’imposition d’obligations procédurales, en général sur le plan de la participation, à la personne ou à l’organisme autorisé à prendre des mesures administratives, plutôt que d’exiger que l’exercice d’un pouvoir donne un résultat susbtantiel particulier. De fait, lorsque, dans le récent arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précité, à la page 839, paragraphe 26, la Cour suprême du Canada a considéré la théorie de l’expectative légitime comme faisant partie de l’obligation d’équité en réponse à l’argument selon lequel une personne est en droit de s’attendre à bénéficier d’un avantage quant au fond, et non simplement sur le plan de la procédure. Et dans l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada, précité, la Cour cherchait à protéger la souveraineté du Parlement contre l’imposition d’exigences nouvelles auxquelles l’adoption d’une loi devait satisfaire, relativement aux modalités et à la forme. Toutefois, dans l’arrêt Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), précité, où aucune comparaison n’a été faite avec les droits fondamentaux, il a uniquement été dit que la théorie de l’expectative légitime, telle qu’elle avait été élaborée dans les arrêts anglais, était une extension de l’obligation d’équité.

[126]   Par conséquent, en l’absence d’arrêts contraires faisant autorité, je conclus que la théorie de l’expectative légitime s’applique en principe aux pouvoirs législatifs délégués de façon à créer des droits de participation dans des circonstances où aucun droit de ce genre n’aurait par ailleurs pris naissance, à condition que le fait de respecter l’expectative ne viole pas certaines autres obligations légales ou ne retarde pas indûment la prise de règlements à l’égard desquels l’existence d’un besoin urgent est démontrée (voir R. v. Lord Chancellor’s Department, ex parte Law Society (Q.B.D. Crown Office List; 22 juin 1993; CO/991/93)).

[127]   Un tribunal peut annuler, ou déclarer invalide, un règlement qui viole l’obligation légale de consultation : R v Secretary of State for Health, ex p US Tobacco International Inc, [1992] 1 All ER 212 (Q.B.D.), à la page 225. C’est pourquoi il ne devrait pas importer que l’obligation découle de la loi ou d’une promesse ayant pour effet de créer une expectative légitime de consultation. Il reste à savoir si, eu égard aux faits de la présente espèce, il y avait une expectative légitime et, dans l’affirmative, si le Règlement a été pris en violation de cette expectative.

(iii)       Eu égard aux faits, existait-il une expectative légitime?

[128]   La question de savoir si une promesse faite par un fonctionnaire ou par un organisme public, selon laquelle il y aura consultation avant qu’une mesure administrative soit prise, crée une expectative légitime donnant naissance à l’obligation légale de consultation dépend des faits de l’affaire. La question comporte des aspects tant factuels que normatifs : une personne raisonnable croirait-elle qu’il s’agit d’une promesse sérieuse, ou une personne raisonnable devrait-elle avoir le droit de croire qu’il s’agit d’une promesse sérieuse?

[129]   Eu égard aux faits de la présente affaire, je ne doute aucunement que le libellé de la lettre permettait légitimement de croire que le ministre consulterait l’ACFPP avant qu’un règlement pris en vertu du paragraphe 55.2(4) entre en vigueur, et ce, en raison de la nature précise et catégorique de l’assurance donnée au sujet de la consultation, laquelle avait été donnée dans une lettre rédigée par le ministre responsable de l’élaboration des règlements en réponse aux préoccupations exprimées par l’Association au cours des discussions qui avaient eu lieu au sujet de la conduite que le gouvernement semblait vouloir adopter.

[130]   À mon avis, le ministre n’avait pas à aller plus loin dans sa lettre, par exemple, en proposant un calendrier aux fins du processus de consultation. Je remarque que dans le jugement Liverpool Taxi, précité, il a été statué qu’une expectative légitime avait été créée lorsque le secrétaire municipal avait assuré par écrit aux avocats de l’association des propriétaires de taxis qu’avant qu’une décision soit prise au sujet de l’augmentation du nombre de permis disponibles, les intéressés seraient pleinement consultés ». Le président du comité responsable du conseil municipal avait oralement donné une assurance similaire.

[131]   À mon avis, les Canadiens s’attendraient, et ils ont le droit de s’attendre, à ce qu’un engagement clair et non équivoque de consultation qu’un ministre donne par écrit à un individu ou à une association soit respecté à moins qu’il n’existe des motifs impérieux de ne pas le faire.

[132]   Toutefois, il faut examiner un autre aspect de la légitimité de l’expectative : un engagement pris par un ministre selon lequel il y aura consultation avant qu’un règlement soit pris peut-il donner lieu à une expectative légitime lorsque c’est le gouverneur en conseil, plutôt que le ministre, qui est autorisé par la loi à prendre le règlement en question?

[133]   Comme on peut s’y attendre, rien ne montre que le gouverneur en conseil ait expressément délégué au ministre de la Consommation et des Affaires commerciales le pouvoir d’imposer des restrictions procédurales à l’exercice du pouvoir de réglementation du cabinet. Néanmoins, lorsque la promesse de consultation préalable est faite par le ministre qui est le principal responsable de l’élaboration des règlements et de leur soumission au cabinet, un citoyen peut raisonnablement supposer que, ce faisant, le ministre agit dans les limites de ses attributions, expresses ou implicites. Par conséquent, il peut être loisible aux personnes à qui la promesse a été faite de solliciter le contrôle judiciaire, de façon à empêcher le ministre de soumettre le projet de règlement au cabinet tant que la consultation promise n’a pas eu lieu.

[134]   Toutefois, en l’espèce, le cabinet a déjà approuvé le Règlement; il s’agit donc de savoir si la validité du Règlement peut être contestée pour le motif qu’il a été pris sans consultation, contrairement à ce que le ministre avait promis. À mon avis, la validité du Règlement ne peut pas être contestée. Si le cabinet prend un règlement en ne sachant pas qu’un ministre s’est engagé à procéder à la consultation, il n’abuse pas du pouvoir qui lui est conféré par la loi, me semble-t-il. Et, compte tenu de la protection juridique fournie par la loi, en ce qui concerne la confidentialité des délibérations du cabinet et les motifs restreints pour lesquels les tribunaux examinent l’exercice de pouvoirs par le cabinet, il ne serait pas permis à un tribunal d’enquêter sur ce que savaient les membres du cabinet au sujet des assurances données par un ministre, sur le plan de la procédure, afin de déterminer si un règlement par ailleurs valide a sciemment été pris en violation d’un engagement ministériel.

[135]   À mon avis, l’assurance donnée par le ministre ne créait donc pas d’expectative légitime de consultation de la part de l’ACFPP, expectative qui, si elle n’était pas respectée, aurait pour effet d’invalider le Règlement pris par le cabinet sans que la consultation promise ait eu lieu. Cela suffit pour répondre à l’argument fondé sur la doctrine de l’expectative légitime qui a été invoqué pour contester la validité du Règlement sur les ADC. Toutefois, je dois également examiner un autre argument qui a été avancé devant nous, à savoir que toute obligation de consultation découlant de l’engagement pris par le ministre avait de fait été satisfaite.

(iv)       Y a-t-il eu consultation suffisante?

[136]   L’engagement de procéder à la consultation avant qu’un règlement soit pris ne peut pas être respecté sans donner à l’individu envers lequel il a été pris une possibilité raisonnable de tenter d’influer sur son contenu, en particulier en ce qui concerne des questions se rapportant à des principes secondaires ou des questions de nature technique. Pour que pareil engagement soit honoré, le processus de consultation doit en général inclure la communication du texte du projet de règlement ainsi que des explications, et l’on doit donner aux intéressés suffisamment de temps pour leur permettre d’étudier ce document et de préparer une réponse : voir, par exemple, R. v. Brent London Borough Council, Ex p Gunning (1985), 84 L.G.R. 168 (Q.B.D.).

[137]   En l’espèce, aucun de ces éléments de consultation n’était présent avant la publication du Règlement de 1993. Toutefois, il y avait eu des consultations entre le gouvernement et l’ACFPP et d’autres intéressés au sujet du projet de loi C-91, et notamment au sujet de la disposition de réglementation qui n’avait été ajoutée qu’en troisième lecture. On a alors clairement fait savoir à l’ACFPP que le gouvernement avait l’intention de prévoir par règlement l’existence d’un lien entre la protection fournie par un brevet et la délivrance d’un ADC.

[138]   L’ACFPP participe d’une façon experte à une lutte aux enjeux élevés entre les fabricants de « médicaments génériques » et les fabricants de « médicaments d’origine » de l’industrie pharmaceutique au sujet de l’approbation réglementaire de drogues nouvelles et des droits de brevet; cette lutte, qui se livre tant sur le plan politique que sur le plan juridique, dure depuis bien des années. La Loi de 1992 et son Règlement d’application représentaient indubitablement un recul sérieux pour les fabricants de médicaments génériques, mais l’ACFPP ne peut pas vraisemblablement alléguer que l’essentiel du régime prévu par le Règlement de 1993 l’a complètement prise par surprise.

[139]   De fait, après que la disposition qui est devenue le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets modifiée eut été ajoutée au projet de loi C-91, l’ACIM, à la connaissance de l’ACFPP, a continué à exercer des pressions sur le gouvernement pour que celui-ci mette en place des règlements qui assureraient qu’un ADC ne puisse pas être délivré à un fabricant de produits génériques dans des circonstances qui pourraient lui permettre de commercialiser un médicament contrefaisant un brevet détenu par une société fabricant des médicaments d’origine. Toutefois, malgré son savoir-faire politique, il est possible de croire que l’ACFPP a cessé de faire elle-même des représentations additionnelles après que le ministre lui eut assuré qu’elle serait consultée. Ainsi, l’ACFPP a peut-être utilisé ce temps pour se préparer aux fins des consultations qui, comme on le lui avait faire croire, devaient avoir lieu.

[140]   Même dans le cas d’un organisme ayant les connaissances, les ressources et l’expérience qu’il est raisonnable d’attribuer à l’ACFPP, il existe une différence énorme, compte tenu en particulier de la complexité technique du régime, entre le fait d’être en mesure de prévoir le contenu général de règlements susceptibles d’être pris en vue d’assurer la mise en œuvre d’une politique gouvernementale connue et le fait d’avoir le temps d’étudier le texte du projet de règlement et son fondement déclaré et de faire des commentaires à ce sujet. De fait, les événements qui se sont ensuite produits laissent entendre que, si la consultation avait eu lieu comme le ministre l’avait promis, l’ACFPP aurait peut-être réussi à convaincre le gouvernement de modifier certains aspects du projet de règlement avant que le cabinet l’approuve.

[141]   Par conséquent, considérée isolément, la consultation qui a eu lieu avant que le ministre donne son assurance et sans que le projet de règlement ait été publié, ne suffirait pas pour atténuer l’abus de pouvoir inhérent à la violation de l’engagement pris au sujet de la consultation préalable.

[142]   Toutefois, après l’entrée en vigueur du Règlement, au mois de mars 1993, l’ACFPP ainsi que d’autres membres de l’industrie pharmaceutique ont rencontré les ministres concernés et les hauts fonctionnaires et ont eu avec eux des communications fréquentes et longues au sujet du Règlement. Or, comme je l’ai déjà fait remarquer, le Règlement de 1993 a été modifié en profondeur en 1998.

[143]   Dans ces conditions, il a été soutenu qu’il avait de fait été « remédié » à toute omission de consulter les intéressés au sujet du texte du Règlement de 1993 avant qu’il soit pris. La promesse du ministre avait été respectée au point qu’il ne serait pas approprié pour la Cour d’invalider un règlement complexe qui vise à établir l’équilibre entre deux ensembles d’intérêts contradictoires : les intérêts commerciaux des sociétés fabricant des médicaments d’origine qui cherchent à protéger leurs droits propriétaux et les intérêts des sociétés fabricant des médicaments génériques qui veulent leur faire concurrence sur le marché d’une part, et les intérêts du public, lorsqu’il s’agit d’obtenir de meilleurs médicaments à moindres frais, d’autre part.

[144]   Il va sans dire qu’en règle générale, si elle a lieu bien avant la prise de mesures administratives, la consultation est plus efficace que dans le cas où elle a lieu une fois que les dés sont à toutes fins utiles jetés, sauf peut-être pour des ajustements relativement mineurs. De fait, dans d’autres contextes administratifs, il est rare qu’un organisme satisfasse à l’obligation exigeant la tenue d’une audience préalable à la prise d’une décision en tenant pareille audience après coup. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, le contexte, y compris l’ajout du paragraphe 55.2(4), permet de déduire que la consultation promise se rapportait aux détails de mise en œuvre du régime et non au principe de l’établissement d’un lien entre la protection fournie par un brevet et l’approbation réglementaire.

[145]   À mon avis, étant donné les consultations longues et efficaces qui ont eu lieu après 1993 et avant que le Règlement ait été modifié en 1998, il ne serait pas approprié de déclarer invalide le Règlement initial tel qu’il a été modifié. Je ne suis pas convaincu que le processus dont l’ACFPP a en fin de compte pu se prévaloir ait été inadéquat au point que l’omission de donner une possibilité de consultation au moment promis permette d’invalider le Règlement pour le motif qu’un abus de pouvoir a été commis, et ce, compte tenu du fait que l’ACFPP a participé au processus avant que le projet de loi C-91 ait été adopté ainsi que de sa compréhension des questions qui se posaient.

[146]   Il est certes possible de soutenir que, si les consultations avaient eu lieu au moment où on l’avait promis, un grand nombre de difficultés qui ont subséquemment été décelées dans le Règlement de 1993 auraient été aplanies beaucoup plus tôt. D’autre part, il se peut également que le gouvernement ait uniquement été prêt à modifier le Règlement de 1993 après avoir fait l’expérience du nouveau régime pendant plusieurs années. Par conséquent, il est loin d’être certain que les modifications qui ont été effectuées en 1998 à la suite de la consultation de l’ACFPP et d’autres intéressés auraient été effectuées plus tôt s’il y avait eu consultation, comme on l’avait promis.

[147]   Bien sûr, les tribunaux ne déterminent pas normalement si l’obligation d’équité a été violée ou, dans l’affirmative, si pareille violation doit entraîner l’annulation de la décision ou de l’ordonnance en question, en cherchant à savoir quel aurait été le résultat si le décideur avait méticuleusement observé les formalités procédurales : Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643.

[148]   Toutefois, compte tenu des motifs stricts pour lesquels les tribunaux exercent normalement un contrôle judiciaire lorsqu’un règlement est en cause (Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106), et du contexte politique du processus de consultation, les consultations qui ont eu lieu après l’entrée en vigueur du Règlement en 1993 ont effectivement remédié à l’abus de pouvoir résultant de la violation de l’engagement solennel que le ministre avait pris de procéder à la consultation avant que le Règlement de 1993 soit édicté.

(v)        La qualité pour agir

[149]   La question n’a pas été soulevée par les parties, mais je me suis demandé s’il était loisible à une intervenante, l’ACFPP, de se fonder sur un motif d’examen dont la demanderesse ne pouvait probablement pas se prévaloir : normalement, seules les personnes à qui une promesse a été faite peuvent se fonder sur cette promesse pour solliciter une réparation dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Or, étant donné que l’ACFPP est une intervenante dans la demande de contrôle judiciaire plutôt qu’une partie, il est difficile de voir comment une réparation pourrait être accordée à la demanderesse Apotex pour le motif que l’expectative légitime de l’ACFPP, relativement à la consultation, n’a pas été respectée.

[150]   Étant donné que j’ai déjà conclu que l’engagement pris par le ministre ne pouvait pas invalider le Règlement pris par le gouverneur en conseil, je n’ai pas à répondre d’une façon définitive à cette question. Toutefois, le fait que l’ACFPP a obtenu l’autorisation d’intervenir dans la demande n’empêche pas la Cour, après avoir entendu la demande au fond, de décider que la question soulevée par l’intervenante, aussi méritoire soit-il en principe, ne justifie pas une intervention judiciaire parce qu’il ne s’agit pas d’une question sur laquelle la demanderesse pouvait se fonder.

[151]   D’autre part, puisque la demanderesse Apotex est le principal fabricant de médicaments génériques au Canada et, par conséquent, puisqu’on peut s’attendre à ce qu’elle ait un rôle de premier plan dans les affaires de l’ACFPP, en sa qualité de membre de l’association, il serait beaucoup trop formaliste de faire entre la demanderesse Apotex et l’intervenante, c’est-à-dire l’association représentant l’industrie, une distinction tellement grande que la violation d’un engagement pris envers cette dernière ne puisse pas servir de fondement pour accorder à Apotex, qui est membre de l’association, un jugement déclarant le Règlement invalide.

D.        CONCLUSION

[152]   Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel selon les modalités énoncées au paragraphe 26 des motifs de mon collègue, le juge Décary, J.C.A.



[1]  L.R.C. (1985), ch. P-4, dans sa forme modifiée.

[2]  Voir par ex. la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 95(1) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 6, art. 5]; la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 15(4) [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 10] et la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 66.6(2) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, art. 12].

[3]  L.R.C. (1985), ch. S-22.

[4]  Voir par exemple le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 159(2) [édicté par L.C. 1996, ch. 12, art. 3]; la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 84; la Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile, L.C. 1996, ch. 20, art. 12(2); la Loi sur le contrôle des renseignements relatifs aux matières dangereuses, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 24, partie III, art. 48(1); la Loi sur les produits dangereux, L.R.C. (1985), ch. H-3, art. 19 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 24, art. 1), et la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, L.C. 1998, ch. 25, art. 90, 143, 150.

[5]  Loi sur les règlements, L.R.Q., ch. R-18.1, art. 8, 10.

[6]  D.A., vol. 7, à la p. 1847.

[7]  Ibid., aux p. 1851 et 1852.

[8]  Voir [1997] 1 C.F. 518 (1re inst.), à la p. 536.

[9]  Voir par ex. Travailleurs des pâtes, des papiers et du bois du Canada, section locale 8 et al. c. Canada (Ministre de l’Agriculture) et al. (1994), 174 N.R. 37 (C.A.F.), à la p. 49, juge Desjardins, J.C.A.

[10]  L.R.C. (1985), ch. I-21.

[11]  30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]].

[12]  [1991] 2 R.C.S. 525, aux p. 557 à 560.

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