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[2000] 3 C.F. 508

A-583-99

Lamont Management Ltd. (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Lamont Management Ltd. c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Décary, Rothstein et Malone, J.C.A.—Winnipeg, 28 mars; Ottawa, 19 avril 2000.

Impôt sur le revenu — Exemptions — Principe général interdisant la double imposition au niveau de la société — « Revenu protégé » — La contribuable est une société canadienne actionnaire d’une autre société canadienne — Cette dernière a acheté les actions de la contribuable pour un certain montant — La contribuable est réputée avoir reçu un dividende correspondant à cette somme en vertu de l’art. 84(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu — Le ministre a considéré qu’il s’agissait d’un gain tiré de la disposition d’une immobilisation au sens de l’art. 55(2) de la Loi — L’art. 55 est une disposition anti-évitement qui vise à limiter le recours au versement de dividendes exonérés d’impôt entre sociétés lorsque ces dividendes seraient autrement imposables — Cette disposition ne s’applique pas lorsque le dividende entre sociétés est imputable à un « revenu gagné ou réalisé par une corporation en vertu de l’art. 55(2) » — Il s’agit de déterminer si l’expression « une corporation » se limite aux types de sociétés dont il est question à l’art. 55(5)b), c) et d) — Il est possible de calculer le revenu gagné ou réalisé par une société étrangère non affiliée même si aucune règle n’est précisée à l’art. 55(5) — Les sociétés étrangères non affiliées ne sont pas exclues des catégories de sociétés qui ont droit au calcul du « revenu protégé » en vertu de l’art. 55(2) — Les mots employés par le législateur ne permettent pas de tirer nécessairement une telle déduction — L’expression « une corporation » n’est pas limitative et englobe les sociétés étrangères non affiliées.

Il s’agissait en l’espèce de l’appel d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt portant que, en l’absence de règles permettant de déterminer le « revenu protégé » d’une société, cette dernière ne peut être « une corporation » au sens du paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’appelante est une société privée canadienne qui détenait 250 actions d’une autre société privée canadienne, Canpac Entreprises Ltd. Entre le 12 février 1986 et le 15 décembre 1992, Canpac détenait une participation indirecte dans une société étrangère non affiliée, Western Thrift Financial Corporation (Westcorp). Le 15 décembre 1992, Canpac a acheté à l’appelante, en vue de les annuler, ses 250 actions pour la somme de 7 282 926 $, que celle-ci est réputée avoir reçu à titre de dividende aux termes du paragraphe 84(3) de la Loi. Le ministre a considéré que la somme que l’appelante avait reçue de Canpac était non pas un dividende réputé, mais plutôt un gain tiré de la disposition d’une immobilisation au sens du paragraphe 55(2) de la Loi. La somme que le ministre a considérée comme un gain en capital dans le cas de Westcorp était de 1 707 737 $. Il a été admis que la plus-value de 1 707 737 $ dont a fait l’objet la juste valeur marchande des 250 actions de la Canpac que l’appelante détenait n’était attribuable à rien d’autre qu’au revenu gagné ou réalisé par Westcorp. Le ministre a soutenu que l’expression « une corporation » au paragraphe 55(2) ne pouvait désigner qu’une société canadienne non privée au sens de l’alinéa 55(5)b), une société canadienne privée au sens de l’alinéa 55(5)c) ou une société étrangère affiliée au sens de l’alinéa 55(5)d). Il s’agissait de décider si les mots « une corporation » englobent une société étrangère qui n’est pas une société étrangère affiliée, c’est-à-dire une société étrangère dans laquelle le contribuable canadien détenait une participation inférieure à 10 %.

Arrêt (le juge Malone, J.C.A., dissident) : l’appel est accueilli.

Le juge Rothstein, J.C.A. : L’exonération de l’impôt sur le revenu pour les dividendes entre sociétés a pour but d’empêcher la double imposition au niveau de la société, d’abord entre les mains de la société qui gagne le revenu à l’origine du dividende, ensuite entre les mains de la société qui reçoit un revenu sous forme de dividende. L’article 55 de la Loi de l’impôt sur le revenu est une disposition anti-évitement qui vise à limiter le recours au versement de dividendes exonérés d’impôt entre sociétés lorsque ces dividendes seraient autrement imposables. Lorsque cette restriction s’applique, le dividende entre sociétés est réputé être, non pas un dividende, mais le produit de la disposition d’un bien réalisé par la société bénéficiaire. Toutefois, lorsque le dividende entre sociétés est imputable à un « revenu gagné ou réalisé par une corporation », aussi appelé « revenu protégé », la disposition anti-évitement ne s’applique pas et le dividende entre sociétés continue d’être considéré comme un dividende. La question de savoir si l’expression « une corporation » que l’on trouve au paragraphe 55(2) se limite aux types de sociétés dont il est question aux alinéas 55(5)b), c) et d) est une question d’interprétation de la loi. On ne peut contourner la question en examinant ces deux mots hors contexte, selon une méthode télescopique. Le paragraphe 55(5) ne prétend pas, du moins explicitement, limiter la portée de l’expression « une corporation », et la déduction nécessaire selon laquelle on conclut qu’aucune autre société ne peut être visée par ces mots doit être évidente. L’article 55 est une disposition complexe qui renferme certaines règles qui s’appliquent à toutes les sociétés et d’autres qui ne concernent que certaines sociétés, et on aurait peut-être tort d’imputer au législateur une intention tacite qu’il n’a pas exprimée lorsque le texte de la loi est ambigu. Il est possible de calculer le revenu gagné ou réalisé par une société étrangère non affiliée même si aucune règle n’est précisée au paragraphe 55(5). Contrairement à ce qu’a dit le juge de la Cour de l’impôt, l’absence de règles explicites pour déterminer le « revenu protégé » de sociétés étrangères non affiliées ne conduit pas à un résultat absurde. Même en tenant compte de l’expression française « une corporation » au paragraphe 55(2), les sociétés étrangères non affiliées ne sont pas exclues des catégories de sociétés qui ont droit au calcul du « revenu protégé ». Les mots employés par le législateur ne permettent pas d’affirmer avec certitude que l’expression « une corporation » se limite aux trois catégories de sociétés précisées au paragraphe 55(5), et ils ne permettent pas de tirer nécessairement une telle déduction. L’expression « une corporation » n’est pas limitative et englobe les sociétés étrangères non affiliées comme la Westcorp.

Le juge Malone, J.C.A., dissident : Les mots « revenu gagné ou réalisé par une corporation » sont limitatifs et ne peuvent pas s’appliquer aux sociétés étrangères non affiliées, compte tenu de l’économie de la Loi de l’impôt sur le revenu ainsi que de l’objet et de l’esprit de l’article 55. Le paragraphe 55(2) est une disposition anti-évitement qui a pour effet de restreindre le recours au versement de dividendes exonérés d’impôt pour réduire un éventuel gain en capital. L’expression « une corporation » au paragraphe 55(2) ne peut être dissociée du reste de l’article 55. Sinon, on ferait fi des mots « aux fins du présent article » que l’on trouve au début du paragraphe 55(2). En rédigeant le paragraphe 55(2), le législateur voulait que l’article 55 au complet soit régi par les règles applicables aux fins de cet article. L’expression « revenu gagné ou réalisé » n’est pas générique puisqu’elle ne figure qu’aux paragraphes 55(2) et 55(5) de la Loi et qu’elle n’est pas définie dans l’article général des définitions de la Loi, en l’occurrence le paragraphe 248(1). La Loi ne définit le « revenu protégé » que pour les sociétés publiques, les sociétés privées et les filiales étrangères. Le législateur n’a pas prévu de définition dans le cas du « revenu protégé » des sociétés étrangères non résidentes qui ne sont pas des filiales et il s’ensuit logiquement qu’il n’existe pas de « revenu protégé » dans leur cas. Il irait à l’encontre de l’objet et de l’esprit de l’article 55 de la Loi de permettre aux gains réalisés par une société non résidente qui n’est pas une filiale étrangère de bénéficier d’un traitement plus avantageux que celui qui est réservé aux gains d’une société non résidente qui est une filiale étrangère.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 12(1)j),k), 55(2) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24; ch. 140, art. 25; 1984, ch. 45, art. 15), (5) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24; 1988, ch. 55, art. 33), 84(3) (mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 38), 85.1(3) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 49), 90, 95(1)d) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 59), (4) (mod., idem; 1976-77, ch. 4, art. 35), 112(1)a),b) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 71), 113(1) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 73; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 72).

Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, Règle 5907(1)d) (mod. par DORS/80-141, art. 5; 85-176, art. 4; 89-135, art. 3), k) (mod. par DORS/80-141, art. 5; 85-176, art. 4; 89-135, art. 3).

JURISPRUDENCE

DÉCISION EXAMINÉE :

Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; (1995), 127 D.L.R. (4th) 193; [1995] 2 C.T.C. 369; 95 DTC 5551; 186 N.R. 243.

DOCTRINE

Krishna, Vern. The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5th ed. Toronto : Carswell, 1995.

New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles, Oxford : Clarendon Press, 1993. « Purpose ».

APPEL d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt ([1999] 3 C.T.C. 2576; (1999), 99 DTC 871) qui a statué que, en l’absence de règles permettant de déterminer le « revenu protégé » d’une société, cette dernière ne peut être « une corporation » au sens du paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Joel A. Weinstein, c.r., et Robert C. Lee pour l’appelante.

Robert M. Gosman pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aikins, MacAulay & Thorvaldson, Winnipeg, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A. :

QUESTION EN LITIGE

[1]        La question en litige dans le présent appel d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt [[1999] 3 C.T.C. 2576] est celle de savoir si les mots « une corporation*» que l’on trouve au paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu[1] englobent une société étrangère qui n’est pas une société étrangère affiliée, c’est-à-dire, à l’époque en cause, une société étrangère dans laquelle le contribuable canadien détenait une participation inférieure à 10 %[2]. Dans l’affirmative, le dividende reçu par une société canadienne qui est attribuable à un revenu gagné ou réalisé par une société étrangère non affiliée est exonéré d’impôt conformément au principe général interdisant la double imposition au niveau de la société. Dans la négative, le dividende est réputé être un gain réalisé par la société bénéficiaire lors de la disposition d’une immobilisation et ce gain est imposable au taux applicable aux gains en capital.

FAITS

[2]        Il n’est pas nécessaire, pour trancher le présent appel, de relater tous les faits et opérations complexes qui ont été mis en preuve devant la Cour de l’impôt. Il suffit de retenir ce qui suit :

1) L’appelante est une société privée canadienne imposable.

2) L’appelante détenait 250 actions de Canpac Enterprises Ltd., qui était elle aussi une société privée canadienne imposable.

3) Au cours de la période pertinente de détention, en l’occurrence entre le 12 février 1986 et le 15 décembre 1992, Canpac détenait une participation indirecte dans Western Thrift Financial Corporation (Westcorp).

4) Westcorp était une société étrangère non affiliée de Canpac; autrement dit, moins de 10 % de la participation de Westcorp appartenait indirectement à Canpac.

5) Le 15 décembre 1992, les 250 actions appartenant à l’appelante ont fait l’objet d’une plus-value inhérente de 4 573 121 $ qui était attribuable uniquement au revenu gagné ou réalisé par Westcorp.

6) Le 15 décembre 1992, Canpac a acheté à l’appelante, en vue de les annuler, les 250 actions qui appartenaient à celle-ci pour la somme de 7 282 926 $. Aux termes du paragraphe 84(3) [mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 38] de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’appelante est réputée avoir reçu un dividende de 7 282 926 $[3].

7) L’achat pour annulation, par Canpac, des actions de l’appelante a notamment eu pour effet de diminuer sensiblement le gain en capital que, sans le dividende réputé visé au paragraphe 84(3), l’appelante aurait réalisé lors de la disposition de ses actions de la Canpac à leur juste valeur marchande.

8) L’appelante a déclaré à titre de dividende imposable la totalité de la somme de 7 282 926 $ qu’elle avait reçue de Canpac lors de l’achat pour annulation des actions qu’elle détenait dans cette dernière compagnie. Elle a ensuite déduit ce dividende de son revenu en vertu du paragraphe 112(1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 71] de la Loi de l’impôt sur le revenu[4].

9) Le ministre a fixé à nouveau l’impôt dû par l’appelante en établissant une nouvelle cotisation dans laquelle il a considéré la somme que l’appelante avait reçue de Canpac au titre du revenu de Westcorp et qui correspondait à la plus-value des actions de Canpac non pas comme un dividende réputé, mais plutôt comme un gain tiré de la disposition d’une immobilisation au sens du paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. La somme que le ministre a considérée comme un gain en capital dans le cas de Westcorp était de 1 707 737 $[5].

LE PARAGRAPHE 55(2)

[3]        La Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que, conformément à certaines dispositions déterminées, les dividendes reçus par une société d’une autre société sont exonérés de l’impôt sur le revenu[6]. Cette exonération a pour but d’empêcher la double imposition au niveau de la société, c’est-à-dire une première fois entre les mains de la société qui gagne le revenu à l’origine du dividende et une seconde fois, entre les mains de la société qui reçoit un revenu sous forme de dividende.

[4]        Dans les cas où la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que les dividendes versés par une société à une autre sont exonérés d’impôt, la compagnie actionnaire est incitée à toucher le gain en capital en résultant sous forme de dividendes. L’article 55 est une disposition anti-évitement qui vise à limiter le recours au versement de dividendes exonérés d’impôt entre sociétés lorsque ces dividendes seraient autrement imposables. Lorsque cette restriction s’applique, le dividende entre sociétés est réputé être, non pas un dividende, mais le produit de la disposition d’un bien ou encore un gain réalisé par la société bénéficiaire, imposable au taux applicable aux gains en capital. Toutefois, lorsque le dividende entre sociétés est imputable à un « revenu gagné ou réalisé par une corporation », la disposition anti-évitement ne s’applique pas et le dividende entre sociétés continue à être considéré comme un dividende. C’est ce qu’on appelle parfois un « revenu protégé ».

[5]        Le paragraphe 55(2) dispose :

55. […]

(2) Lorsqu’une corporation résidant au Canada a reçu, après le 21 avril 1980, un dividende imposable à l’égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) ou 138(6), comme partie d’une opération ou d’un événement ou d’une série d’opérations ou d’événements (sauf comme partie d’une série d’opérations ou d’événements qui ont commencé avant le 22 avril 1980) dont l’un des objets (ou dans le cas d’un dividende visé au paragraphe 84(3), dont l’un des résultats) a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d’une disposition d’une action du capital-actions à la juste valeur marchande, immédiatement avant le dividende et qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable à quoi que ce soit qui n’est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation après 1971 et avant l’opération ou l’événement ou le début de la série d’opérations ou d’événements visés à l’alinéa (3)a), nonobstant tout autre article de la présente loi, le montant du dividende (à l’exclusion de la partie de celui-ci, si partie il y a, qui est assujettie à l’impôt en vertu de la Partie IV qui n’est pas remboursé en raison du paiement d’un dividende à une corporation lorsqu’un tel paiement fait partie de la série d’opérations ou d’événements)»

a) est réputé ne pas être un dividende reçu par la corporation;

b) lorsqu’une corporation a disposé de l’action, est réputé être le produit de la disposition de l’action, sauf dans la mesure où il est inclus par ailleurs dans le calcul de ce produit; et

c) lorsqu’une corporation n’a pas disposé de l’action, est réputé être un gain de la corporation pour l’année au cours de laquelle le dividende a été reçu de la disposition d’un bien en immobilisations. [Soulignement ajouté.]

[6]        À première vue, Westcorp est une « corporation ». Les parties sont d’accord pour dire que la plus-value de 1 707 737 $ dont a fait l’objet la juste valeur marchande des 250 actions de Canpac que l’appelante détenait n’est attribuable à rien d’autre qu’au revenu gagné ou réalisé par Westcorp. Comme aucune autre disposition ne s’applique, l’achat pour annulation par Canpac des 250 actions appartenant à l’appelante devrait donner lieu au dividende réputé visé au paragraphe 84(3), dividende qui devrait être exonéré d’impôt.

LE PARAGRAPHE 55(5)

[7]        Le ministre affirme que l’expression « une corporation » au paragraphe 55(2) ne peut désigner qu’une société canadienne non privée au sens de l’alinéa 55(5)b), une société canadienne privée au sens de l’alinéa 55(5)c), ou une société étrangère affiliée au sens de l’alinéa 55(5)d). Les dispositions pertinentes du paragraphe 55(5) sont ainsi libellées :

55. […]

(5) Aux fins du présent article,

a) la fraction de tout gain en capital attribuable au revenu que l’on prévoit qu’une corporation peut gagner ou réaliser après la date de réception du dividende visé au paragraphe (2) est, pour plus de précision, réputé être une partie du gain en capital attribuable à quoi que ce soit, sauf un revenu;

b) le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour toute une période au cours de laquelle elle était un résident du Canada et n’était pas une corporation privée est réputé être le total de

(i) son revenu pour la période déterminée […]

(ii) l’excédent éventuel […]

(iii) du total des montants […]

c) le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour toute une période au cours de laquelle elle était une corporation privée est réputé être son revenu pour la période déterminé par ailleurs en supposant qu’aucun montant n’a été déductible par la corporation en vertu de l’alinéa 20(a)gg) ou de l’article 37.1;

d) le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour une période se terminant à une date où elle était une corporation étrangère affiliée d’une autre corporation est réputé être le total de la somme éventuelle qui aurait été déductible à cette date par cette autre corporation en vertu de l’alinéa 113(1)a) et la somme éventuelle qui aurait été déductible à cette date par cette autre corporation en vertu de l’alinéa 113(1)b) si celle-ci

[…]

e) afin de déterminer si deux ou plusieurs personnes ont un lien de dépendance, un frère qui traite avec une sœur est réputé ne pas avoir de lien de dépendance avec elle et ne pas être lié à celle-ci, et réciproquement; et

f) lorsqu’une corporation a reçu un dividende dont une partie est un dividende imposable,

(i) la corporation peut désigner dans sa déclaration de revenu, en vertu de la présente Partie, pour l’année d’imposition au cours de laquelle le dividende a été reçu, toute fraction du dividende imposable comme étant un dividende imposable distinct, et

(ii) le montant éventuel de la fraction du dividende qui est imposable qui est en sus de la partie désignée en vertu du sous-alinéa (i) est réputé être un dividende imposable distinct. [Non souligné dans l’original.]

[8]        Si le ministre a raison, comme Westcorp est une société étrangère non affiliée, elle n’est pas « une corporation » et les dispositions anti-évitement du paragraphe 55(2) s’appliquent, de sorte que le dividende réputé découlant de l’annulation des 250 actions de la Canpac est réputé constituer un gain en capital imposable au taux applicable aux gains en capital.

DÉCISION DU JUGE DE LA COUR DE L’IMPÔT[7]

[9]        Le juge de la Cour de l’impôt a accepté la thèse du ministre. Elle s’est dite d’avis que, si les alinéas 55(5)b), c) et d) n’existaient pas, Westcorp serait « une corporation » au sens du paragraphe 55(2). Elle a toutefois conclu que le paragraphe 55(5) était censé servir à l’interprétation de l’article 55 en entier. Les alinéas 55(5)b), c) et d) permettent d’établir le revenu protégé dont il est question au paragraphe 55(2). En conséquence, en l’absence de règle permettant d’établir le revenu protégé d’une société, cette dernière ne peut être « une corporation » au sens du paragraphe 55(2).

[10]      Le juge s’est dite d’avis que toute autre interprétation mènerait à un résultat absurde. N’importe quelle méthode de calcul du revenu protégé s’appliquerait à une société étrangère non affiliée, alors qu’une méthode de calcul précise a été établie pour les sociétés étrangères affiliées ainsi que pour les sociétés canadiennes privées et non privées.

[11]      Elle s’est également dite d’avis que l’emploi des mots « une corporation » dans la version française du paragraphe 55(2) appuyait son interprétation.

[12]      La juge a ensuite cité des extraits des articles de doctrine qui lui avaient été soumis. Aucun de ces articles ne permettait de penser selon elle que l’on devait tenir compte du revenu des sociétés autres que celles qui sont visées au paragraphe 55(5) pour calculer le revenu protégé.

[13]      Finalement, elle a déclaré que le mot « une » n’avait de sens que dans le contexte du contrôle exercé par une société sur une autre.

[14]      Par ces motifs, elle a rejeté l’appel de l’appelante.

ANALYSE

[15]      En l’espèce, le débat tourne autour de la question de savoir si les alinéas 55b), c) et d) ont pour effet de restreindre la portée de l’expression « une corporation » que l’on trouve au paragraphe 55(2).

[16]      Il est d’abord nécessaire de se prononcer sur l’argument initial de l’appelante. L’appelante affirme qu’il faut appliquer le principe du sens ordinaire des mots pour interpréter l’expression « une corporation » que l’on trouve au paragraphe 55(2). Elle soutient que, dans son sens ordinaire, le mot « une » exclut toute limite ou condition et que, lorsque le législateur fédéral a choisi de limiter le sens de l’expression « une corporation » dans la Loi de l’impôt sur le revenu, il l’a fait expressément (voir, par exemple, les paragraphes 85.1(3) [édicté par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 49] et 95(4) [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 59; 1976-77, ch. 4, art. 35]). Ainsi, le revenu gagné ou réalisé par « une corporation » visée au paragraphe 55(2) englobe tout revenu gagné ou réalisé par une société étrangère non affiliée, en l’occurrence, Westcorp.

[17]      Pour retenir cet argument, il faudrait que la Cour tienne uniquement compte des mots « une corporation » au paragraphe 55(2) et qu’elle fasse abstraction de toutes les autres dispositions de cet article. Je ne connais aucune règle d’interprétation qui justifierait une façon de procéder aussi « télescopique ». En ne retenant que les mots « une corporation », on présume qu’aucune autre disposition de l’article 55 ne modifie ou ne limite cette expression. Pourtant, pour être convaincue qu’aucune autre disposition de cet article ne modifie ou ne limite l’expression en cause, la Cour doit examiner l’article dans son ensemble. Si elle conclut qu’aucune autre disposition de cet article ne modifie l’expression « une corporation » que l’on trouve au paragraphe 55(2), il est alors loisible à la Cour de ne retenir que les mots « une corporation » pour conclure que cette expression englobe toutes les sociétés, y compris les sociétés étrangères non affiliées.

[18]      D’ailleurs, la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si l’expression « une corporation » que l’on trouve au paragraphe 55(2) se limite au type de sociétés dont il est question aux alinéas 55(5)b), c) et d). C’est une question d’interprétation de la loi. On ne peut contourner la question en examinant hors contexte, selon une méthode télescopique, les deux mots qui forment l’expression « une corporation » que l’on trouve au paragraphe 55(2). Il est nécessaire de se demander si le paragraphe 55(5) a l’effet limitatif que le juge de la Cour de l’impôt lui a reconnu et que l’intimée lui attribue.

[19]      Un examen même superficiel du paragraphe 55(5) montre que celui-ci ne renferme aucune disposition qui définit l’expression « une corporation » contenue au paragraphe 55(2). Ainsi, on ne trouve pas au paragraphe 55(5) de disposition portant, par exemple : « La corporation visée au paragraphe 55(2) s’entend de toute corporation canadienne privée, de toute corporation canadienne non privée et de toute corporation étrangère affiliée à une autre corporation ». Par son propre libellé, le paragraphe 55(5) ne prétend donc pas, du moins pas explicitement, limiter la portée de l’expression « une corporation » que l’on trouve au paragraphe 55(2).

[20]      Le paragraphe 55(5) renferme seulement des règles permettant de calculer « le revenu gagné ou réalisé par une corporation » pour l’application de l’article 55 et, en particulier, pour l’application du paragraphe 55(2). On ne peut donc considérer que le paragraphe 55(5) limite la portée des mots « une corporation » au paragraphe 55(2) que si, par déduction nécessaire, on conclut qu’aucune autre société ne peut être visée par cette expression, parce qu’on y énonce les règles à appliquer pour calculer le revenu gagné ou réalisé uniquement dans le cas de ces trois types de sociétés. Mais pour que la Cour puisse conclure à l’existence d’une telle déduction nécessaire, celle-ci doit être évidente. L’article 55 est une disposition complexe et on aurait peut-être tort d’imputer au législateur une intention tacite qu’il n’a pas exprimée lorsque le texte de la loi est ambigu.

[21]      Suivant l’interprétation que j’en fais, le paragraphe 55(5) renferme certaines règles qui s’appliquent à toutes les sociétés et d’autres qui ne concernent que certaines sociétés. Ainsi, l’alinéa 55(5)a) s’applique à l’ensemble des sociétés. Il prévoit que tout gain en capital qui est attribuable à un revenu gagné ou réalisé après la réception du dividende visé au paragraphe 55(2) n’est pas considéré comme un revenu. Je ne vois rien dans les dispositions des alinéas 55(5)a), e) ou f) qui s’appliquent à toutes les sociétés qui permettrait de penser que ces dispositions ne pourraient pas s’appliquer aux sociétés qui ne sont pas expressément visées aux alinéas 55(5)b), c) ou d) et, notamment aux sociétés étrangères non affiliées.

[22]      Les alinéas 55(5)b), c) et d) précisent les règles applicables respectivement aux sociétés canadiennes non privées, aux sociétés canadiennes privées et aux sociétés étrangères affiliées. Il n’y a rien dans ces alinéas ou dans les autres dispositions du paragraphe 55(5) qui permette de penser, faute de règles régissant un type déterminé de société, que le revenu d’une société étrangère non affiliée ne peut être calculé. Dans son ouvrage The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5e éd. Toronto : Carswell, 1995, le professeur Krishna aborde la question du calcul du revenu gagné par une société étrangère affiliée pour l’application d’autres articles que l’article 55. Il déclare ce qui suit, à la page 1323 :

[traduction] Les gains de la filiale sont établis selon les lois fiscales du pays où la filiale réside si ce pays exige que ce revenu soit calculé conformément à ses lois. Si le pays de résidence ne précise pas la méthode de calcul du revenu, celui-ci est calculé selon les lois du pays où la filiale exerce ses activités. Si aucun des deux pays étrangers ne précise la méthode de calcul, le revenu est calculé selon les règles fiscales canadiennes.

Je ne vois pas pourquoi la méthode proposée par le professeur Krishna ne s’appliquerait pas au calcul du revenu d’une société étrangère non affiliée pour l’application du paragraphe 55(2), en l’absence de règles au paragraphe 55(5).

[23]      Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin. Je suis convaincu qu’il est possible de calculer le revenu gagné ou réalisé par une société étrangère non affiliée même si aucune règle n’est précisée au paragraphe 55(5). Il m’est donc impossible d’affirmer que les règles contenues au paragraphe 55(5) impliquent nécessairement que l’expression « une corporation » contenue au paragraphe 55(2) ne vise que les sociétés expressément visées aux alinéas 55(5)b), c) et d).

[24]      Au cours du débat, la Cour a demandé aux avocats de lui expliquer pourquoi le paragraphe 55(5) ne renferme aucune règle explicite permettant de calculer le revenu protégé des sociétés étrangères non affiliées. L’avocat de l’intimée a laissé entendre que cette situation s’expliquait peut-être par la question du contrôle. Il n’a cependant pas expliqué pourquoi l’absence de contrôle ou le contrôle limité qui suppose implicitement la situation d’une société étrangère non affiliée, soit, à l’époque en cause, une participation de moins de 10 %, par opposition à la situation d’une société étrangère, pour laquelle la participation est d’au moins 10 %, amènerait le législateur à exclure les sociétés étrangères non affiliées du calcul du revenu protégé dont il est question au paragraphe 55(2). Comme l’article 55 est une disposition anti-évitement, il est plus probable qu’il vise les sociétés sur lesquelles un contrôle plus grand est exercé. La réception d’un revenu versé par une société étrangère non affiliée semblerait, en règle générale, correspondre aux cas les moins graves au sujet desquels le législateur serait moins préoccupé de recourir à des mesures anti-évitement.

[25]      Le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’on aboutirait à une situation absurde si le revenu des sociétés étrangères non affiliées pouvait être calculé selon n’importe laquelle des méthodes de calcul alors qu’une méthode de calcul précise est prévue pour les sociétés canadiennes et leurs filiales étrangères. Bien qu’on ne sache pas avec certitude pourquoi le législateur n’a pas cru bon de prévoir au paragraphe 55(5) des règles précises pour calculer le revenu gagné ou réalisé par les sociétés étrangères non affiliées, je ne suis pas d’accord avec le juge de la Cour de l’impôt pour dire que l’absence de règles explicites conduit à un résultat absurde. Le calcul du revenu des sociétés étrangères non affiliées est peut-être plus permissif que dans le cas des sociétés visées aux alinéas 55(5)b), c) et d). Il n’y a toutefois rien d’absurde dans cette situation.

[26]      Je ne suis pas d’accord non plus pour dire que l’expression « une corporation » de la version française de la Loi appuie l’interprétation retenue par le juge de la Cour de l’impôt. Au sens littéral, l’expression « une corporation » n’est pas l’équivalent de « toute corporation ». L’article indéfini « une » est malgré tout un terme large et non limitatif. Ainsi, même en tenant compte de l’expression française « une corporation », les sociétés étrangères non affiliées ne sont pas exclues des catégories de sociétés qui ont droit au calcul du revenu protégé en vertu du paragraphe 55(2).

[27]      J’ai également tenu compte des divers articles de doctrine auxquels le juge de la Cour de l’impôt s’est référé, et d’autres articles qui ont été soumis à notre Cour. Bien qu’on ait beaucoup écrit au sujet de l’article 55, je n’ai pas réussi à trouver dans les articles soumis par les avocats quoi que ce soit qui porte sur la question en litige en l’espèce, en l’occurrence celle de savoir si l’expression « une corporation » peut englober les sociétés étrangères non affiliées.

[28]      L’article 55 est une disposition complexe. Je reconnais qu’en précisant au paragraphe 55(5) le type de sociétés qu’il entendait viser, le législateur fédéral voulait peut-être que l’expression « une corporation » au paragraphe 55(2) se limite à ces trois catégories de sociétés. Or, les mots employés par le législateur ne permettent pas de l’affirmer avec certitude ou de tirer nécessairement une telle déduction. En revanche, l’expression « une corporation » n’est pas limitative.

[29]      Je suis d’avis que l’expression « une corporation » contenue au paragraphe 55(2) n’est pas limitative et qu’elle englobe les sociétés étrangères non affiliées comme la Westcorp.

[30]      Par ces motifs, l’appel sera accueilli et le jugement de la Cour de l’impôt sera annulé. L’affaire sera renvoyée au ministre du Revenu national pour qu’il fixe de nouveau l’impôt dû par l’appelante en considérant la somme de 1 707 737 $ comme un dividende imposable qui serait autrement inclus dans le revenu conformément au paragraphe 84(3) et à l’alinéa 12(1)j) et qui serait déductible en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’appelante a droit aux dépens tant devant notre Cour que devant la Cour canadienne de l’impôt.

Le juge Décary, J.C.A. : Je suis du même avis.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[31]      Le juge Malone, J.C.A. (dissident) : Le présent appel porte sur le sens des mots « revenu gagné ou réalisé par une corporation » employés au paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu[8], revenu qui est souvent désigné sous le nom de « revenu protégé », ainsi que sur les rapports réciproques entre ce paragraphe et les règles de calcul du revenu énoncées aux alinéas 55(5)b) à d).

[32]      L’appelante soutient essentiellement que le revenu qu’elle reçoit sous forme de dividendes d’« une corporation » dans laquelle elle détient une participation entre dans le calcul du revenu protégé dont il est question au paragraphe 55(2). La thèse du ministre est que les alinéas 55(5)b) à d) limitent le revenu protégé aux seules sociétés qui sont expressément visées par ces alinéas. Le juge de la Cour de l’impôt a confirmé l’interprétation du ministre selon laquelle les alinéas 55(5)b), c) et d) limitent la portée de l’expression « une corporation » aux sociétés publiques, aux sociétés privées et aux filiales étrangères.

[33]      J’ai eu l’avantage de prendre connaissance des motifs rédigés par le juge Rothstein qui, au nom de la majorité, s’est dit d’avis que l’expression « une corporation » que l’on trouve au paragraphe 55(2) n’est pas limitative et qu’elle englobe les sociétés étrangères non affiliées. Je ne puis me rallier à cette conclusion. À mon avis, les mots « revenu gagné ou réalisé par une corporation » sont limitatifs et ne peuvent s’appliquer aux sociétés étrangères non affiliées, compte tenu de l’économie de la Loi et, plus particulièrement, de l’objet et de l’esprit de l’article 55.

[34]      Les dividendes qu’une société résidant au Canada reçoit d’une société canadienne imposable ou d’une société résidant au Canada qu’elle contrôle sont exonérés d’impôt en vertu de la partie I de la Loi, et plus précisément du paragraphe 112(1). En conséquence, lorsqu’une société résidant au Canada désire vendre les actions qu’elle détient dans une telle société, la Loi l’incite à obtenir de la société en question qu’elle verse le dividende avant la vente de manière à réduire le gain en capital réalisé lors de la vente.

[35]      Le paragraphe 55(2) est une disposition anti-évitement qui a pour effet de restreindre le recours au versement de dividendes exonérés d’impôt pour réduire un éventuel gain en capital. En voici le texte :

55. […]

(2) Lorsqu’une corporation résidant au Canada a reçu, après le 21 avril 1980, un dividende imposable à l’égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) ou 138(6), comme partie d’une opération ou d’un événement ou d’une série d’opérations ou d’événements (sauf comme partie d’une série d’opérations ou d’événements qui ont commencé avant le 22 avril 1980) dont l’un des objets (ou dans le cas d’un dividende visé au paragraphe 84(3), dont l’un des résultats) a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d’une disposition d’une action du capital-actions à la juste valeur marchande, immédiatement avant le dividende et qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable à quoi que ce soit qui n’est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation après 1971 et avant l’opération ou l’événement ou le début de la série d’opérations ou d’événements visés à l’alinéa (3)a), nonobstant tout autre article de la présente loi, le montant du dividende (à l’exclusion de la partie de celui-ci, si partie il y a, qui est assujettie à l’impôt en vertu de la Partie IV qui n’est pas remboursé en raison du paiement d’un dividende à une corporation lorsqu’un tel paiement fait partie de la série d’opérations ou d’événements)

a) est réputé ne pas être un dividende reçu par la corporation;

b) lorsqu’une corporation a disposé de l’action, est réputé être le produit de la disposition de l’action, sauf dans la mesure où il est inclus par ailleurs dans le calcul de ce produit; et

c) lorsqu’une corporation n’a pas disposé de l’action, est réputé être un gain de la corporation pour l’année au cours de laquelle le dividende a été reçu de la disposition d’un bien en immobilisations. [Soulignement ajouté.]

[36]      Voici les faits saillants qui sont à l’origine du présent appel :

a) L’appelante (Lamont) est une société privée canadienne imposable qui, à l’époque en cause, détenait 250 actions de Canpac Enterprises Ltd. (Canpac), qui était elle aussi une société privée canadienne imposable.

b) Canpac détenait une participation indirecte dans deux sociétés américaines, Western Insurance Holdings Ltd. (Western Insurance) et Thrift Financial Corporation (Westcorp). À l’époque en cause, Western Insurance était une filiale étrangère de Canpac, tandis que Westcorp ne l’était pas (autrement dit, la participation que Canpac détenait dans cette dernière était inférieure à 10 %)[9].

c) Le 15 décembre 1992, les 250 actions appartenant à l’appelante ont fait l’objet d’une plus-value inhérente dont une partie était attribuable au revenu gagné ou réalisé par Westcorp. Le même jour, Lamont a vendu pour annulation les actions en question à Canpac au prix de 7 282 926 $. Aux termes du paragraphe 84(3) de la Loi, Lamont était réputée avoir reçu un dividende correspondant au prix de vente intégral[10].

d) L’appelante a déclaré à titre de dividende imposable la totalité de la somme qu’elle avait reçue lors de l’achat des actions. Ce dividende a ensuite été déduit de son revenu en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi[11].

e) Le ministre a fixé de nouveau l’impôt dû par Lamont en partant du principe que la plus-value de 1 707 737 $ qu’avaient connue les actions de Canpac et qui était directement attribuable au revenu gagné ou réalisé par la Westcorp constituait non pas un dividende réputé, mais plutôt un gain tiré de la disposition d’une immobilisation au sens du paragraphe 55(2) de la Loi.

f) La plus-value de 5 575 189 $ qu’ont connue les 250 actions de Canpac et qui était directement attribuable au revenu gagné ou réalisé par la Western Insurance ou par d’autres filiales étrangères de Canpac n’a pas fait l’objet d’une nouvelle cotisation. Le ministre a accepté qu’il s’agissait d’un revenu protégé d’une filiale étrangère au sens de l’alinéa 55(5)d).

[37]      Le premier argument que fait valoir l’appelante est que l’expression « une corporation » que l’on trouve au paragraphe 55(2) est claire et non ambiguë. Elle invoque plusieurs arrêts dans lesquels la Cour suprême du Canada a statué qu’en pareil cas, c’est le « sens ordinaire » des mots qu’il faut retenir. L’appelante affirme que toutes les sociétés tombent donc sous le coup de l’expression « une corporation » et qu’en conséquence, le paragraphe 55(2) doit être interprété isolément. Je rejette cet argument pour les motifs exposés par le juge Rothstein, étant donné qu’il s’agit d’une interprétation beaucoup trop étroite. L’expression « une corporation » au paragraphe 55(2) ne peut être dissociée du reste de l’article 55. Sinon, on ferait fi des mots «[a]ux fins du présent article » que l’on trouve au début du paragraphe 55(5).

[38]      Le juge de la Cour de l’impôt a traité la question de la façon suivante :

Je ne crois pas qu’on puisse contester que le mot any [au paragraphe 55(2)] est un mot qui englobe tout et dont le sens naturel exclut les restrictions. Je crois cependant qu’il est nécessaire de déterminer quelles corporations sont visées par le mot any, vu l’existence du paragraphe 55(5) de la Loi. Comme ses mots introductifs le laissent clairement voir, il s’agit d’une disposition qui a été adoptée pour interpréter l’article 55 au complet. On devrait alors l’utiliser pour interpréter le sens des mots « revenu gagné ou réalisé par une [any] corporation » qui figurent au paragraphe 55(2) de la Loi[12]. [Non souligné dans l’original.]

[39]      Le paragraphe 55(5) est ainsi conçu :

55. […]

(5) Aux fins du présent article,

[…]

b) le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour toute une période au cours de laquelle elle était un résident du Canada et n’était pas une corporation privée est réputé être le total de

[…]

c) le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour toute une période au cours de laquelle elle était une corporation privée est réputé être son revenu pour la période déterminé par ailleurs en supposant qu’aucun montant n’a été déductible par la corporation en vertu de l’alinéa 20(1)gg) ou de l’article 37.1;

d) le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour une période se terminant à une date où elle était une corporation étrangère affiliée d’une autre corporation est réputé être le total de la somme éventuelle qui aurait été déductible à cette date par cette autre corporation en vertu de l’alinéa 113(1)a) et la somme éventuelle qui aurait été déductible à cette date par cette autre corporation en vertu de l’alinéa 113(1)b) si celle-ci […] [Soulignement ajouté.]

[40]      L’avocat du ministre soutient que les alinéas 55(5)b) à d) prévoient des règles de calcul dans le cas des sociétés qui ont un revenu protégé en vertu du paragraphe 55(2). Ainsi qu’il ressort des alinéas 55(5)b) à d), l’économie de la loi confirme que le revenu protégé est constitué du revenu qui a été assujetti à l’impôt au Canada ou qui peut être rapatrié au Canada en franchise d’impôt. À cet égard, l’économie de la loi sert l’objectif consistant à empêcher la double imposition au niveau de la société (c.-à-d. le paiement de l’impôt canadien par une société justifie le versement d’un dividende libre d’impôt entre sociétés à une autre société canadienne). L’avocat du ministre affirme en outre qu’il est logique de penser que, comme il a pris soin d’édicter des règles précises pour le calcul du revenu protégé de ces types de sociétés, le législateur ne voulait pas que les sociétés qui ne sont pas visées par les alinéas 55(5)b) à d) puissent elles aussi se prévaloir d’un revenu protégé.

[41]      Je souscris au raisonnement du juge de la Cour de l’impôt. Je suis d’avis qu’en rédigeant le paragraphe 55(5), le législateur voulait que l’article 55 au complet soit régi par les règles applicables aux fins du présent article « for the purposes of this section »). Le mot anglais « purpose » signifie [traduction] « but à atteindre; résultat qu’on se propose d’atteindre »[13]. Littéralement, cette expression signifie : « Pour atteindre les objectifs que le législateur s’est fixés à l’article 55, les calculs permis sont les suivants ».

[42]      Je suis renforcé dans mon opinion par les propos suivants formulés par le juge Major de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Friesen c. Canada[14] :

Pour interpréter les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, il convient, comme l’affirme le juge Estey dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, d’appliquer la règle du sens ordinaire. À la page 578, le juge Estey se fonde sur le passage suivant de l’ouvrage de E. A. Driedger, intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87 :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[43]      Il y a un autre fait qui confirme l’opinion que le législateur voulait que l’expression « une corporation » au paragraphe 55(2) s’entende de l’une ou l’autre des sociétés prévues aux alinéas 55(5)b), c) et d). L’expression « revenu gagné ou réalisé » n’est pas générique. Elle ne figure dans la Loi qu’aux paragraphes 55(2) et 55(5). Elle n’est pas définie dans l’article général des définitions de la Loi, en l’occurrence le paragraphe 248(1).

[44]      La Loi ne définit le revenu protégé que pour les sociétés publiques—55(5)b), les sociétés privées 155(5)c) et les filiales étrangères alinéa 55(5)d)—. Faute de règle précise régissant les sociétés étrangères non résidentes qui ne sont pas des filiales, il serait difficile de savoir comment calculer cette somme. Le législateur n’a pas prévu de définition dans le cas du revenu protégé des sociétés étrangères non résidentes qui ne sont pas des filiales et il s’ensuit logiquement qu’il n’existe pas de revenu protégé dans leur cas. Il s’agit tout simplement de l’application de la maxime expressio unius est exclusio alterius : le fait que le législateur a déclaré dans la loi que certaines sociétés ont droit au calcul du revenu protégé permet de déduire qu’il voulait soustraire toutes les autres sociétés à l’application de cette disposition.

[45]      L’appelante soutient également que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’objet et de l’esprit du paragraphe 55(2) lorsqu’il a tenté de cerner le sens de l’expression « une corporation ». Voici de quelle manière le juge de la Cour de l’impôt a abordé la question :

Comme elle l’a exprimé […] dans son argumentation écrite […], l’appelante prétend que, puisque les parties admettent qu’une fraction du gain en capital réalisé lors du rachat des actions est attribuable au revenu gagné par Westcorp et puisque le paragraphe 55(2) de la Loi a pour objet de considérer cette fraction du gain en capital comme un dividende entre corporations, sa thèse est par conséquent en conformité avec ce paragraphe. Cette thèse semblerait sensée si ce n’était, comme je l’ai mentionné dans le paragraphe précédent des présents motifs, de l’existence des alinéas 55(5)b), c) et d) de la Loi. Ces alinéas déterminent le revenu qui peut être considéré comme un revenu gagné ou réalisé par une corporation[15].

[46]      J’estime que l’examen de l’objet et de l’esprit de la Loi ne conduit pas à la conclusion préconisée par l’appelante mais plutôt à celle à laquelle le juge de la Cour de l’impôt en est arrivé. La thèse proposée par l’appelante aurait pour effet d’accorder un traitement de faveur au revenu des sociétés non résidentes qui ne sont pas des filiales étrangères par rapport au traitement qui serait réservé à ces dernières. Or, cette situation irait à l’encontre de l’esprit de la Loi que l’on peut dégager des dispositions suivantes :

a) aux termes de l’alinéa 12(1)k) et de l’article 90, un contribuable qui réside au Canada doit inclure dans le calcul de son revenu toute somme qu’il a reçue sous forme de dividende d’une société qui ne réside pas au Canada;

b) dans le cas d’une telle société, le paragraphe 113(1) prévoit que seuls les dividendes reçus d’une filiale étrangère peuvent être déduits lors du calcul du revenu imposable, sous réserve des règles énoncées aux alinéas 113(1)a) à d). En particulier, l’alinéa 113(1)b) limite cette déduction à la partie du dividende versé par une filiale étrangère qui est réputé avoir été versé sur l’excédent imposable de la filiale en question (c.-à-d. le revenu libéré d’impôt d’une entreprise exploitée activement).

c) Les alinéas 5907(1)d) et k) du Règlement de l’impôt sur le revenu [C.R.C., ch. 945 (mod. par DORS/80-141, art 5; 85-176, art. 4; 89-135, art. 3)] prévoient que l’excédent exonéré et l’excédent imposable d’une société étrangère affiliée à une société résidant au Canada n’est calculé qu’à compter du premier jour de l’année d’imposition de la filiale au cours de laquelle celle-ci est devenue une filiale étrangère de la société.

[47]      L’alinéa 55(5)d) s’accorde avec l’esprit de ces dispositions, étant donné qu’il reconnaît le statut de revenu protégé aux gains provenant d’une filiale étrangère susceptibles d’être rapatriés au Canada en franchise d’impôt. Les gains exonérés d’impôt et les gains imposables qui sont assujettis à un impôt étranger suffisant feraient partie des gains en question. Les gains des sociétés non résidentes qui ne sont pas des filiales étrangères ne peuvent être rapatriés au Canada en franchise d’impôt et ne sont reconnus comme un revenu protégé nulle part au paragraphe 55(5). Pourtant, la thèse de l’appelante est qu’un revenu qui est analogue au revenu protégé d’« une corporation » a droit à l’exemption d’impôt prévue au paragraphe 55(2).

[48]      Je souscris à la conclusion générale du juge de la Cour de l’impôt suivant laquelle il irait à l’encontre de l’objet et de l’esprit de l’article 55 de la Loi de permettre aux gains réalisés par une société non résidente qui n’est pas une filiale étrangère de bénéficier d’un traitement plus avantageux (dans des circonstances identiques ou similaires) que celui qui est réservé aux gains d’une société non résidente qui est une filiale étrangère. Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.



* NOTE DE L’ARRÊTISTE : Le mot français «corporation » a été remplacé par « société » dans L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, qui est entré en vigueur le 1er mars 1994.

[1] S.C. 1970-71-72, ch. 63 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24; ch. 140, art. 25; 1984, ch. 45, art. 15].

[2] À l’époque en cause, l’art. 95(1)d) [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 59] disposait :

95. (1) Dans la présente sous-section,

[…]

d) « corporation étrangère affiliée » à une date quelconque, d’un contribuable (à l’exclusion d’une corporation de placements appartenant à des non-résidents) résidant au Canada, désigne une corporation (à l’exclusion d’une corporation résidant au Canada) dans laquelle, à cette date, le pourcentage d’intérêt du contribuable était d’au moins 10 %.

[3] L’art. 84(3) dispose :

84. […]

(3) Lorsque, à une date quelconque après le 31 décembre 1977, une corporation résidant au Canada a racheté, acquis ou annulé de quelque façon que ce soit (autrement que par une opération visée au paragraphe (2)), toute action d’une catégorie quelconque de son capital-actions,

a) la corporation est réputée avoir versé à cette date un dividende sur une catégorie distincte d’actions comprenant les actions ainsi rachetées, acquises ou annulées, égal à la fraction,, si fraction il y a, de la somme payée par la corporation lors du rachat, de l’acquisition ou de l’annulation, selon le cas, de ces actions, qui est en sus du capital versé relatif à ces actions, existant immédiatement avant cette date; et

b) chacune des personnes qui détenaient à cette date une ou plusieurs actions de cette catégorie distincte est réputée avoir reçu à cette date un dividende égal à la fraction de l’excédent déterminée en vertu de l’alinéa a) et représentée par le rapport existant entre le nombre de ces actions, que détenait cette personne immédiatement avant cette date, et le nombre total des actions de cette catégorie distincte que la corporation a rachetées, acquises ou annulées, à cette date.

[4] L’art. 112(1) dispose :

112. (1) Lorsqu’une corporation a reçu, au cours d’une année d’imposition, un dividende imposable

a) d’une corporation canadienne imposable, ou

b) d’une corporation résidant au Canada (autre qu’une corporation de placement appartenant à des non-résidents et une corporation exonérée d’impôt en vertu de la présente Partie) et dont elle a le contrôle,

une somme égale au dividende peut être déduite du revenu pour l’année de la corporation qui le reçoit, dans le calcul de son revenu imposable.

[5] Il s’agit d’un montant moindre que la plus-value inhérente de 4 573 121 $ dont les 250 actions de Canpac que détenait l’appelante ont fait l’objet par suite du revenu de Westcorp. La somme payée lors de l’annulation des 250 actions de Canpac était de 7 282 926 $ et, de cette somme, le ministre a autorisé la déduction, à titre de dividende réputé, de la somme de 5 575 189 $ relativement au revenu d’une autre société qui était une filiale étrangère de Canpac. Le ministre a considéré la différence de 1 707 737 $ comme un gain en capital de Wetscorp, laquelle n’était pas une filiale étrangère.

[6] Voir, par ex. les art. 112(1) et 113(1) [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 73; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 72].

[7] [1999] 3 C.T.C. 2576.

[8] S.C. 1970-71-72, ch. 63.

[9] D.A., aux p. 33, 35 et 36.

[10] D.A., à la p. 36.

[11] D.A., aux p. 36 et 37.

[12] [1999] 3 C.T.C. 2576 (C.C.I.), à la p. 2587.

[13] New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles, Oxford : Clarendon Press, 1993.

[14] [1995] 3 R.C.S. 103, à la p. 113.

[15] À la p. 2587.

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