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[2000] 3 C.F. 360

A-772-98

(T-366-98)

AB Hassle, Astra AB et Astra Pharma Inc. (appelantes) (requérantes)

c.

Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, Rhoxalpharma Inc. et Takeda Chemical Industries, Ltd. (intimés) (intimés)

Répertorié : AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (C.A.)

Cour d’appel, juges Décary, Robertson et Evans, J.C.A.—Ottawa, 23 février et 7 mars 2000.

Brevets Pratique Appel d’une ordonnance accueillant l’appel interjeté contre une ordonnance du protonotaire selon laquelle un affidavit déposé par le fabricant de médicaments génériques dans une instance relative à un avis de conformité n’était pas confidentielLe prononcé d’ordonnances de non-divulgation dans une instance relative à un avis de conformité ne met pas en danger le principe de la transparence de la justiceLe prononcé d’une ordonnance de non-divulgation crée une présomption réfutable selon laquelle tout renseignement déposé subséquemment et participant de la même nature que celle décrite dans l’ordonnance sera tenu confidentielCe n’est que dans les cas les plus manifestes, lorsqu’il est évident que les clauses de l’ordonnance de non-divulgation ne visent pas le document attaqué, qu’il y a lieu d’accueillir la requête contestant le caractère confidentiel du documentUne fois qu’est présentée une preuve établissant à première vue que le document appartient à la catégorie de documents envisagée par l’ordonnance et que la partie le considère comme confidentiel, un lourd fardeau incombe à la partie qui conteste cette confidentialité de prouver le contraireLes renseignements en cause sont, à première vue, visés par l’ordonnance de non-divulgationLe protonotaire n’ayant pas appliqué le bon critère, le juge des requêtes a eu raison d’intervenirCette dernière n’a pas appliqué le critère défini en l’espèce, mais elle aurait tiré la même conclusion si elle avait pu prendre connaissance des présents motifs.

Le présent appel est interjeté contre une ordonnance qui a accueilli l’appel interjeté contre une ordonnance du protonotaire selon laquelle certains documents n’étaient pas confidentiels. La question en litige était de savoir si certaines preuves par affidavit déposées par le fabricant de médicaments génériques RhoxalPharma Inc. conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) sont confidentielles et, par conséquent, assujetties à l’ordonnance de non-divulgation rendue au début de cette instance. RhoxalPharma affirme que les comprimés d’oméprazole proposés ne contrefont pas les brevets des appelantes et qu’un avis de conformité devrait donc être délivré.

Arrêt : l’appel est rejeté.

L’intérêt public de connaître précisément le procédé de fabrication de médicaments est minime, s’il existe, et on ne peut sérieusement affirmer que la délivrance d’ordonnances de non-divulgation dans une instance relative à un avis de conformité met en danger le principe de la transparence de la justice. La Cour sera toujours disposée à entendre éventuellement la contestation d’un tiers, que les clauses de l’ordonnance le prévoient ou non.

Étant donné que l’ordonnance de non-divulgation permet aux parties de décider, par convention, à quels documents le public n’aura pas accès, les appelantes n’ont pas été en mesure d’expliquer quel intérêt public elles protégeaient ni d’indiquer quel préjudice elles avaient subi, étant donné que l’ordonnance en question leur permet d’avoir accès aux renseignements qui, selon ce qu’elles prétendent, devraient pouvoir être consultés par tous. Les appels de ce genre dans une instance relative à un avis de conformité relèvent davantage d’une manœuvre tactique que de préoccupations quant au préjudice susceptible de résulter du fait de garder un document confidentiel ou que du souci de réaliser l’objectif d’apporter une solution au litige qui soit juste.

Le prononcé d’une ordonnance de non-divulgation crée une présomption réfutable suivant laquelle tout renseignement déposé subséquemment et participant de la même nature que celle décrite dans l’ordonnance sera tenu confidentiel sous réserve des exceptions prévues dans l’ordonnance. À ce stade de l’instance, ce n’est que dans les cas les plus manifestes, lorsqu’il est évident que les clauses de l’ordonnance de non-divulgation ne visent pas le document attaqué, qu’il y a lieu d’accueillir la requête contestant le caractère confidentiel du document. Une fois qu’est présentée une preuve établissant à première vue que le document appartient à la catégorie de documents envisagée par l’ordonnance et que la partie le considère comme étant confidentiel, il incombe alors à la partie qui conteste cette confidentialité de prouver que le document ne fait pas partie de la catégorie envisagée par l’ordonnance. Cette conclusion est rationnellement justifiée. La Cour doit absolument traiter ce genre de demandes sommaires rapidement. Il faut dissuader les avocats de profiter de toutes les occasions pour attaquer indirectement une ordonnance de non-divulgation. En outre, la Cour manquerait à ses obligations si elle ne rejetait pas rapidement les demandes qui ne visent qu’à essayer de contester de nouveau des ordonnances de non-divulgation.

Comme les renseignements en cause sont, à première vue, visés par l’ordonnance de non-divulgation, il incombe aux appelantes de réfuter la présomption de confidentialité. Le protonotaire n’ayant pas appliqué le bon critère, le juge des requêtes a eu raison d’intervenir. Bien que le critère auquel elle a eu recours ne soit pas exactement celui qui est défini en l’espèce, elle a soigneusement examiné la preuve et elle aurait tiré la même conclusion si elle avait pu prendre connaissance des présents motifs.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.001 (mod. par DORS/95-172, art. 4).

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 6(8) (mod. par DORS/98-166, art. 5).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 3.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 81 C.P.R. (3d) 121 (C.F. 1re inst.); conf. par (1999), 87 C.P.R. (3d) 191 (C.A.F.); Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (1993), 48 C.P.R. (3d) 296; 63 F.T.R. 197 (C.F. 1re inst.); Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329; 163 N.R. 183 (C.A.F.); Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1993), 51 C.P.R. (3d) 305; 69 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION CITÉE :

Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1998), 82 C.P.R. (3d) 417; 229 N.R. 33 (C.A.F.).

APPEL interjeté contre une ordonnance (AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 83 C.P.R. (3d) 428; 161 F.T.R. 15 (C.F. 1re inst.)) accueillant l’appel interjeté contre une ordonnance rendue par le protonotaire (AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 83 C.P.R. (3d) 417 (C.F. 1re inst.)) portant sur la question de savoir si certaines preuves par affidavit déposées par le fabricant de médicaments génériques sont confidentielles et, par conséquent, assujetties à l’ordonnance de non-divulgation prononcée au début de cette instance relative à un avis de conformité. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

J. Sheldon Hamilton et Yoon Kang pour les appelantes (requérantes).

Martin F. Sheehan pour les intimés (intimés).

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar, Toronto, pour les appelantes (requérantes).

Martineau, Walker, Montréal, pour les intimés (intimés).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Décary, J.C.A. : Le présent appel est interjeté contre une ordonnance rendue par Mme le juge Tremblay-Lamer (publiée à (1998), 83 C.P.R. (3d) 428 (C.F. 1re inst.)) qui a accueilli l’appel interjeté contre une ordonnance du protonotaire Morneau (publiée à (1998), 83 C.P.R. (3d) 417 (C.F. 1re inst.)). Il s’agit de déterminer si certaines preuves par affidavit déposées par le fabricant de médicaments génériques RhoxalPharma Inc. (RhoxalPharma) conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (Règlement sur les avis de conformité) sont confidentielles et, par conséquent, assujetties à l’ordonnance de non-divulgation rendue au début de l’instance par le juge Teitelbaum (publiée à (1998), 81 C.P.R. (3d) 121 (C.F. 1re inst); conf. par (1999), 87 C.P.R. (3d) 191 (C.A.F.)). Ainsi qu’il ressort de ce qui précède, c’est la cinquième fois que les parties saisissent la Cour fédérale du Canada de questions relatives à la confidentialité de documents dans la présente instance. Je pourrais ajouter d’autres renseignements sur la genèse de l’instance—à savoir que RhoxalPharma affirme dans son avis d’allégation que les comprimés d’oméprazole proposés ne contrefont pas les brevets des appelantes (Astra) et qu’un avis de conformité devrait donc être délivré.

[2]        Les parties pertinentes de l’ordonnance de non-divulgation sont les suivantes (Dossier d’appel, vol. 1, aux p. 26 à 31) [publié à l’annexe A de (1998), 83 C.P.R. (3d) 428 (C.F. 1re inst.), aux p. 437 à 440] :

2.   Tout document ou chose qui se rapporte à l’identité du fournisseur d’oméprazole de RhoxalPharma, de même qu’au procédé, aux composantes ou aux formules par lesquels les comprimés d’oméprazole de RhosxalPharma [sic] sont fabriqués, et qui est présenté par toute partie, de même que toute réponse faite par toute partie au cours de la présente instance, y compris tout interrogatoire et toute pièce dûment cotée dans la présente instance (les renseignements), peut être assujetti à la présente ordonnance. […]

9.   À défaut de l’autorisation écrite de la partie intéressée en ce qui concerne la divulgation de tout renseignement confidentiel, le destinataire des renseignements confidentiels ne doit divulguer ceux-ci à personne, sauf au personnel de la Cour et aux personnes, personnes morales, personnes physiques, employés et préposés des organisations suivantes :

(1)  Les demanderesses à l’instance et leurs compagnies liées ou affiliées, ainsi que leurs avocats et, au sein de ces compagnies, seuls les employés qui ont besoin d’être au courant des renseignements;

(2)  Les défendeurs à l’instance et leurs compagnies liées ou affiliées, ainsi que leurs avocats et, au sein de ces compagnies, seuls les employés qui ont besoin d’être au courant des renseignements;

(3)  Jusqu’à trois experts externes que chaque partie peut engager pour l’aider à préparer et à faire instruire la présente instance;

(4)  Les cabinets Martineau Walker et Goudreau Gage Dubuc & Martineau Walker;

(5)  Le cabinet Smart & Biggar;

(6)  le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social;

(7)  le procureur général du Canada;

(8)  le ministère de la Justice;

[…]

14. La présente ordonnance ne doit pas être interprétée de manière à :

(a) empêcher toute personne ou partie ou son avocat de se servir des renseignements qui se trouvaient légalement et sans restriction légale en sa possession avant la date de la présente ordonnance;

(b)  s’appliquer aux renseignements obtenus indépendamment de la divulgation visée aux présentes;

(c)  s’appliquer aux renseignements que toute personne ou partie ou son avocat a obtenu légalement et sans restriction légale d’une personne ayant le droit de les communiquer;

(d)  d’empêcher toute personne ou partie ou son avocat d’obtenir une décision au sujet du caractère confidentiel de tout renseignement contesté.

15. Aucune des dispositions de la présente ordonnance n’empêche ou ne limite le droit de toute partie :

(a)  d’affirmer que tout renseignement désigné comme « confidentiel » en vertu de la présente ordonnance n’est, en fait, pas confidentiel;

[…]

16. Toute partie peut renoncer par écrit en tout ou en partie à tout droit que lui confère la présente ordonnance et a le droit de demander à la Cour de modifier les restrictions imposées à la divulgation aux termes de la présente ordonnance pour ce qui est de tout renseignement confidentiel désigné ou pour obtenir une décision au sujet du caractère confidentiel de tout renseignement contesté.

17. En cas de contestation du caractère confidentiel de renseignements confidentiels désignés, la partie qui revendique la confidentialité a la charge de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements sont effectivement confidentiels.

18. En cas de contestation du caractère confidentiel de renseignements confidentiels désignés, sont exclus des renseignements confidentiels les renseignements qui, selon le cas :

(a)  font ou faisaient partie du domaine public ou d’archives publiques par des moyens qui ne violent pas les dispositions de la présente ordonnance ou de la loi;

(b)  sont ou ont été légalement obtenus d’une personne qui n’est pas partie à la présente action dans des circonstances qui ne donnent pas lieu à l’application d’une obligation de conserver le secret;

(c)  sont ou étaient déjà connus du destinataire, de ses affiliés, de son avocat ou de ses experts;

(d)  sont ou ont été mis au point indépendamment par le destinataire, son avocat ou ses experts.

19. Les conditions d’utilisation des renseignements confidentiels et la protection de leur caractère confidentiel lors de toute audience tenue dans le cadre de la présente instance sont des questions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

[3]        Des ordonnances de non-divulgation visant les méthodes et les procédés de fabrication des produits pharmaceutiques sont régulièrement sollicitées tôt dans le cadre d’instances fondées sur le Règlement sur les avis de conformité et on peut dire qu’elles sont généralement accordées, sous réserve de certaines conditions. Il en est ainsi pour des raisons évidentes.

[4]        En premier lieu, qu’on examine la question du point de vue du fabricant du médicament de marque ou de celui du fabricant du médicament générique, la confidentialité perçue des renseignements constitue la pierre angulaire du régime de réglementation prévu par le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.001 [mod. par DORS/95-172, art. 4] ainsi que par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) :

La confidentialité perçue de l’information communiquée par un fabricant de médicaments au ministère de la Santé nationale et du Bien-être social est la pierre angulaire du régime applicable au traitement des présentations de nouvelles drogues et à la délivrance d’avis de conformité. Pour que le régime soit efficace, le caractère confidentiel des rapports doit être respecté et maintenu dans toute la mesure du possible. [Non souligné dans l’original.] [Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (1993), 48 C.P.R. (3d) 296 (C.F. 1re inst.), à la p. 305 le juge McGillis.]

L’alinéa 5(3)a) du Règlement oblige la personne qui demande la délivrance d’un avis de conformité à fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde. Il semble que le législateur ait voulu que le breveté soit parfaitement au courant des motifs sur lesquels le requérant se fonde pour prétendre que la délivrance d’un avis de conformité ne donnera pas lieu à la contrefaçon du brevet avant que le breveté ne décide de présenter ou non une demande au tribunal pour obtenir une décision. Une telle divulgation permettrait de cerner le débat très tôt. Si c’est le but qui est poursuivi, cela confirme que le législateur avait l’intention que l’instance se déroule avec célérité.[…] On ne peut s’attendre à ce que la personne qui demande un avis de conformité et qui prétend employer un procédé différent procède à une divulgation complète sans une ordonnance de confidentialité. La confidentialité ne peut être assurée tant qu’une instance n’a pas été introduite devant le tribunal. [Non souligné dans l’original.] [Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329 (C.A.F.), aux p. 337 et 338, le juge Mahoney. Voir également l’arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1998), 82 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.), à la p. 421.]

[5]        Je remarque, à cet égard, que le règlement a été modifié en 1998 (DORS/98-166) et qu’il prévoit maintenant expressément au paragraphe 6(8) que « tout document produit aux termes du paragraphe (7) »—c’est-à-dire les extraits pertinents de la demande d’avis de conformité déposée par la seconde personne—« est considéré comme confidentiel ».

[6]        En second lieu, en endossant le principe selon lequel il est possible de délivrer des ordonnances de non-divulgation dans ce genre d’instances et en adaptant les clauses de ces ordonnances de manière à restreindre leur application aux stricts besoins d’une affaire en particulier, les tribunaux ont soigneusement cherché à établir un équilibre entre la nécessité de la publicité des procédures judiciaires et, pour reprendre les termes utilisés par le juge MacKay dans l’affaire Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1993), 51 C.P.R. (3d) 305 (C.F. 1re inst.), aux pages 309 et 310, « les intérêts judiciaires des parties, dont leurs droits commerciaux et leurs droits exclusifs légitimes ».

[7]        Ne soyons pas naïfs. L’intérêt public de connaître précisément le procédé de fabrication de médicaments est minime, s’il existe, et personne ne peut sérieusement affirmer que la délivrance d’ordonnances de non-divulgation comme celles qui sont en litige dans une instance relative à un avis de conformité met en danger le principe de la transparence de la justice. Les parties elles-mêmes peuvent contester la confidentialité véritable de certains documents suivant les clauses de ces ordonnances, et la Cour sera toujours disposée à entendre éventuellement la contestation d’un tiers, que les clauses de l’ordonnance le prévoient ou non.

[8]        Étant donné qu’en pratique l’ordonnance de non-divulgation permet aux parties de décider, par convention, à quels documents le public n’aura pas accès, l’avocat des appelantes n’a pas été en mesure d’expliquer quel intérêt public ses clientes protégeaient en l’espèce. Il n’a pas pu indiquer non plus quel préjudice avaient subi ses clientes, étant donné que l’ordonnance en question leur permet d’avoir accès aux renseignements qui, selon ce qu’elles prétendent maintenant, devraient pouvoir être consultés par tous. Par ailleurs, l’expérience tend à démontrer que les appels de ce genre, dans des instances mettant en cause un avis de conformité, relèvent davantage d’une manœuvre tactique que de préoccupations quant au préjudice susceptible de résulter du fait de garder un document confidentiel ou du souci de réaliser l’objectif de la règle 3 des Règles de la présente Cour [Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106], à savoir « apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». Dans un monde idéal, les avocats accepteraient les clauses de l’ordonnance de non-divulgation et les respecteraient.

[9]        Les ordonnances de non-divulgation rendues en début d’instance, avant présentation de la preuve, sont nécessairement rédigées en termes généraux. Comme je l’ai souligné, elles visent à permettre aux parties d’aller de l’avant et au tribunal de statuer sur la demande de la façon la plus expéditive possible. Le juge qui rend l’ordonnance prend en considération les intérêts du public et ceux des parties. À ce premier stade, le critère à appliquer en matière de confidentialité est celui qu’a défini la présente Cour dans l’appel interjeté contre l’ordonnance du juge Teitelbaum [(1999), 87 C.P.R. (3d) 191 (C.A.F.), à la page 192] :

[…] il est possible […] de rendre une ordonnance de confidentialité fondée sur une croyance subjective mais légitime […]

Je m’arrête ici pour signaler que ni le protonotaire ni le juge des requêtes n’avaient à leur disposition cette définition concise du critère à appliquer au moment de rendre leur décision respective.

[10]      Une fois qu’une ordonnance de non-divulgation a été prononcée, il serait contre-productif que les parties, qui n’ont d’autre choix que de déposer des preuves confidentielles en s’appuyant sur une garantie de confidentialité judiciaire relativement sûre, vivent dans la crainte constante des attaques des parties adverses. Demander et obtenir une ordonnance de non-divulgation serait un exercice futile si, chaque fois qu’il y a dépôt d’un document aux termes d’une telle ordonnance, la partie qui l’invoque devait retourner à la case départ, où elle se verrait imposer un fardeau analogue à celui dont elle s’est déjà acquittée ou un fardeau encore plus lourd, et devrait faire valoir de nouveau les arguments déjà acceptés ou rejetés par le juge ayant rendu l’ordonnance.

[11]      J’estime que le prononcé d’une ordonnance de non-divulgation dans des circonstances comme celles de l’espèce crée une présomption suivant laquelle tout renseignement déposé subséquemment et participant de la même nature que celle décrite dans l’ordonnance sera tenu confidentiel sous réserve des exceptions prévues dans l’ordonnance, comme celles énoncées aux paragraphes 14 et 18 de l’ordonnance de non-divulgation en cause. Cette présomption, bien sûr, est réfutable mais—et c’est là le critère à appliquer à ce stade de l’instance—ce n’est que dans les cas les plus manifestes, lorsqu’il est évident que les clauses de l’ordonnance de non-divulgation ne visent pas le document attaqué, qu’il y a lieu d’accueillir la requête contestant le caractère confidentiel du document. Une fois qu’est présentée une preuve établissant à première vue que le document appartient à la catégorie de documents envisagée par l’ordonnance et que la partie le considère comme étant confidentiel—en l’espèce, la catégorie est définie au paragraphe 2 de l’ordonnance de non-divulgation —, il incombe alors à la partie qui conteste cette confidentialité de prouver, et ce fardeau est lourd, que le document ne fait pas partie de la catégorie envisagée par l’ordonnance ou que le juge n’avait pas ce genre de document à l’esprit en rendant son ordonnance.

[12]      Cette conclusion est rationnellement justifiée. Comme il a été dit à de nombreuses reprises (voir, par exemple, l’affaire Bayer, précitée, à la page 337), la Cour doit absolument traiter ce genre de demandes sommaires rapidement. Il faut dissuader les avocats de profiter de toutes les occasions pour procéder à ce qui revient en fait à attaquer indirectement une ordonnance de non-divulgation. En outre, la Cour manquerait à ses obligations si elle ne rejetait pas rapidement les demandes qui ne visent qu’à essayer de contourner ou de contester de nouveau des ordonnances de non-divulgation.

[13]      Je suis bien conscient que le critère qu’énonce maintenant la présente Cour ne correspond pas exactement à celui que le juge Teitelbaum a formulé au paragraphe 17 de l’ordonnance de non-divulgation délivrée en l’espèce. Toutefois, je doute que les clauses de l’ordonnance de non-divulgation puissent, sur une question qui, somme toute, est une question de droit, limiter le pouvoir du juge éventuellement saisi d’une requête contestant le caractère confidentiel d’un document en particulier.

[14]      Dans la présente espèce, les renseignements en cause—la liste des ingrédients des comprimés d’oméprazole proposés ainsi que la preuve d’expert au sujet des distinctions entre les comprimés proposés et ceux décrits dans les brevets d’Astra—se rapportent, à première vue, « au procédé, aux composantes ou aux formules par lesquels les comprimés d’oméprazole de RhoxalPharma sont fabriqués » (voir le paragraphe 2 de l’ordonnance). Il incombait donc aux appelantes de réfuter la présomption de confidentialité qui protège ces renseignements.

[15]      Le protonotaire n’ayant pas appliqué le bon critère, le juge des requêtes a eu raison d’intervenir. Bien que le critère auquel elle a eu recours ne soit pas exactement celui qui est défini dans les présents motifs, nous sommes convaincus qu’elle a soigneusement examiné la preuve et qu’elle aurait tiré la même conclusion si elle avait pu prendre connaissance des présents motifs.

[16]      Il y a lieu de rejeter l’appel avec dépens en faveur de l’intimée RhoxalPharma Inc., en appel et dans les deux instances inférieures.

Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Evans, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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