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IMM‑3522‑05

2006 CF 444

A. B., B. B., C. B. et D. B. (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : A. B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Barnes—Toronto, 22 mars; Ottawa, 5 april 2006 et 5 février 2010.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Personnes à protéger — Contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a rejeté les demandes d’asile des demandeurs en vertu des art. 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Le demandeur principal, qui est du Zimbabwe, a été diagnostiqué comme étant séropositif — Il a prétendu que sa vie serait en danger s’il retournait au Zimbabwe parce que le gouvernement n’est pas disposé à fournir des soins adéquats — La Commission a rejeté cette allégation — Les conclusions de fait et les déductions de la Commission ne pouvaient être qualifiées de manifestement déraisonnables, étant donné qu’elles étaient étayées par une preuve — Il s’agissait de savoir si le refus de l’État de fournir un traitement médical abordable dans le cas d’une maladie terminale avait pour effet de rendre inapplicable l’exclusion fondée sur les soins de santé de l’art. 97(1)b)(iv) — La Commission disposait de preuves largement suffisantes pour décider si la vie du demandeur était menacée, en raison des lacunes criantes du système de soins de santé du Zimbabwe — Le demandeur avait le droit d’exiger de la Commission qu’elle examine de façon équitable la contestation constitutionnelle de l’art. 97(1)b)(iv) de la Loi  — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a rejeté les demandes d’asile des demandeurs en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le demandeur principal et sa famille sont arrivés au Canada en provenance du Zimbabwe en 2001. Après avoir subi un examen médical, le demandeur a été diagnostiqué comme étant séropositif. Depuis avril 2004, il suit une thérapie antirétrovirale et réagit bien à ce traitement. En tant que personne à protéger, le demandeur a prétendu que, s’il retournait au Zimbabwe, sa vie serait en danger parce que le gouvernement n’est pas disposé à fournir des soins adéquats. À titre subsidiaire, il a contesté la constitutionnalité du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi, qui dispose qu’a qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité, exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas où la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. La Commission a rejeté toutes ces allégations. La Commission s’est fondée sur les éléments de preuve relatifs à la situation du pays pour juger que le demandeur et les autres membres de sa famille n’avaient pas démontré qu’ils avaient la qualité de réfugié au sens de la Convention, conformément à l’article 96 de la Loi. De plus, elle a conclu que la vie du demandeur ne serait pas menacée en raison d’un manque de soins médicaux s’il était obligé de retourner au Zimbabwe. Enfin, la Commission a fait remarquer qu’il serait plus approprié que la crainte du demandeur de ne pas recevoir des soins de santé et des services de soutien adéquats soit examinée devant une autre jurisdiction, plus précisément en vertu de l’article 25 de la Loi en tenant compte de considérations d’ordre humanitaire. Trois questions ont été soulevées : 1) la Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve? 2) a‑t‑elle commis une erreur en appliquant l’article 97 de la Loi à la preuve? et 3) a‑t‑elle commis une erreur dans la façon dont elle a traité la contestation de la constitutionnalité du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi par les demandeurs?

Jugement : la demande est accueillie.

1) Il est regrettable que la Commission ait qualifié d’« hypothétique » la preuve au sujet de l’accès aux soins médicaux et du niveau de stigmatisation sociale au Zimbabwe parce qu’on pouvait en déduire que la preuve en question n’avait aucune valeur probante. Cette preuve avait une certaine valeur puisque la Commission s’est fondée sur elle sur certains points. Cependant, il n’appartenait pas à la Cour de réviser les conclusions relatives à la crédibilité et à la preuve qui étaient fondées à juste titre sur une appréciation de cette preuve. Les conclusions de fait et les déductions de la Commission ne pouvaient être qualifiées de manifestement déraisonnables, étant donné qu’elles étaient étayées par un certain nombre d’éléments de preuve. Par conséquent, il était impossible de retenir les arguments des demandeurs fondés sur la preuve pour annuler la décision de la Commission.

2) Les demandeurs ont soutenu également que la Commission a commis deux erreurs de droit dans l’application à la preuve de l’article 97 de la Loi, d’abord dans son examen de la question de la « menace à sa vie », puis dans son interprétation trop large de l’exclusion fondée sur les soins de santé du sous‑alinéa 97(1)b)(iv). Étant donné que la Commission a omis de tirer une conclusion précise au sujet du type de soins auquel le demandeur aurait accès, sa décision sur le point de savoir si sa vie serait menacée dans le cas où il retournerait au Zimbabwe ne reposait sur aucune base factuelle. La Commission a néanmoins conclu que sa vie ne serait pas menacée. La méthode qu’il fallait utiliser pour appliquer l’article 97 de la Loi consistait, premièrement, à décider s’il existait une preuve suffisante pour démontrer que la vie du demandeur serait menacée et, deuxièmement, à décider si l’exclusion fondée sur les soins de santé s’appliquait. Il semble que la Commission ait fusionnée à tort les deux volets de ce critère. Le fait que le demandeur aurait accès à certains soins de santé au Zimbabwe ne démontre pas que sa vie ne serait pas menacée s’il y retournait. La Commission a expressément refusé d’apprécier la qualité des programmes de traitement auxquels aurait accès le demandeur. La conclusion de la Commission selon laquelle la vie du demandeur ne serait pas menacée s’il retournait au Zimbabwe était par conséquent manifestement déraisonnable, étant donné qu’elle s’est délibérément abstenue de tirer les conclusions de fait susceptibles d’étayer une telle conclusion.

Que la vie du demandeur soit menacée ou non au Zimbabwe, il était néanmoins tenu d’établir que sa demande n’était pas visée par l’exclusion fondée sur les soins de santé prévue au sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi. La question en litige était celle de savoir si le refus de l’État de fournir un traitement médical abordable dans le cas d’une maladie terminale avait pour effet de rendre cette exclusion inapplicable au demandeur. Compte tenu des conclusions de la Commission selon lesquelles le demandeur ne ferait pas l’objet de discrimination ou de persécution pour ce qui est de recevoir un traitement au Zimbabwe, il n’était pas en mesure de bénéficier de la protection de l’article 97 de la Loi. La Commission a décidé de ne pas retenir les éléments de preuve indiquant qu’au Zimbabwe l’accès au traitement était souvent refusé aux personnes atteintes du VIH/sida pour des motifs discriminatoires. Il n’appartenait pas à la Cour de rejeter ces conclusions pour la seule raison qu’elle serait peut‑être arrivée à une conclusion différente. L’exclusion du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) n’a pas une portée si large qu’elle interdirait d’examiner tous les cas où une personne serait incapable d’avoir accès à des soins de santé dans son pays d’origine. Compte tenu des conclusions auxquelles est arrivée la Commission, il ne s’agissait pas d’une situation où des pratiques assimilables à de la persécution dans la prestation de soins de santé pouvaient menacer la vie et où la protection accordée par l’article 97 était justifiée.

3) La Commission a commis une erreur lorsqu’elle a refusé d’examiner la contestation constitutionnelle de l’exclusion fondée sur les soins de santé du sous‑alinéa 97(1)b)(iv). Elle disposait de preuves largement suffisantes pour décider si la vie du demandeur était menacée, compte tenu des lacunes criantes du système de soins de santé du Zimbabwe. En refusant de tirer les conclusions factuelles nécessaires à partir de cette preuve, elle a abdiqué ses responsabilités et n’a pas examiné comme elle devait le faire les questions qui lui étaient soumises. Le demandeur avait le droit d’exiger un examen juste et équitable de sa contestation constitutionnelle du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi.

lois et règlements cités

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25, 39, 96, 97.

Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 46.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 323; 2004 CF 288; Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1193; N (FC) v. Secretary of State for the Home Department, [2005] UKHL 31.

décisions citées :

Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Satiacum, [1989] A.C.F. no 505 (C.A.) (QL); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100; 2005 CSC 40; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655; 2005 CAF 436.

doctrine citée

Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Regroupement des motifs de protection dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Ottawa : CISR, 15 mai 2002.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui  a rejeté les demandes d’asile des demandeurs en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.

ont comparu :

Michael F. Battista pour les demandeurs.

Kevin Lunney pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Jordan Battista LLP, Toronto, pour les demandeurs.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française modifiée des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]Le juge Barnes : Les demandeurs concluent à l’annulation de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 19 mai 2005, par laquelle la Commission a rejeté leur demande d’asile respective en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27] (la LIPR).

Le contexte

[2]Le demandeur principal, A. B., et sa famille sont arrivés au Canada en provenance du Zimbabwe en 2001. M. A. B. a 46 ans. Tous les demandeurs sont en situation régulière au Canada. M. A. B. et son épouse, B. B., sont arrivés au Canada avec des visas de travail et leurs enfants ont obtenu des visas d’étudiant. M. A. B. a été amené à passer un examen médical parce qu’il changeait de travail et a été diagnostiqué comme étant séropositif. Depuis avril 2004, il suit une thérapie antirétrovirale et réagit bien à ce traitement. Le rapport présenté en preuve à la Commission qui a été préparé par son médecin spécialiste, le Dr Stan Houston, indique qu’avec un traitement adéquat, il serait probablement possible de contrôler à long terme la maladie dont souffre M. A. B. et que celui‑ci pourrait continuer à occuper un emploi rémunéré. Le Dr Houston a également formulé les commentaires suivants sur l’état actuel du régime des soins de santé au Zimbabwe et sur la situation dans laquelle se trouverait M. A. B. s’il y retournait :

[traduction] Je connais bien la situation qui prévaut au Zimbabwe parce que j’y ai vécu et travaillé pendant quatre ans, en particulier tout récemment en 2000 et 2001. Je m’intéresse de près à la situation qui règne au Zimbabwe en lisant la presse et grâce aux contacts que j’ai conservés avec des personnes qui y vivent. Tout récemment, il y a trois semaines, nous avons eu l’occasion d’obtenir une description de première main de la situation actuelle au Zimbabwe à l’occasion de la visite à Edmonton de l’archevêque Pius Ncube et du constitutionnaliste Brian Kagoro.

Au Zimbabwe, l’année 2004 a été très difficile pour l’ensemble de la population, à l’exception des personnes très riches et de celles qui ont des liens avec le parti au pouvoir. Le taux de chômage s’établit entre 60 et 80 p. 100. Les services de santé ont pratiquement cessé de fonctionner, les médicaments de base manquent et une forte proportion des médecins ont quitté le pays. De plus, toute personne qui milite activement contre le gouvernement ou, dans certains cas, qui refuse d’adhérer au parti au pouvoir fait l’objet de graves persécutions.

Il est pratiquement impossible à l’heure actuelle d’avoir accès aux médicaments antirétroviraux, à des soins et à une surveillance adéquats. D’un point de vue médical, [omis] risquerait de se retrouver dans l’état qui était le sien avant le début de son traitement et son espérance de vie serait probablement de deux à cinq ans, si l’on se base sur la numération des lymphocytes CD4.

[3]La demande d’asile de M. A. B. est fondée à la fois sur sa qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 et sur celle de personne à protéger aux termes de l’article 97 de la LIPR. Sa demande d’asile fondée sur sa qualité de réfugié au sens de la Convention repose sur des preuves indiquant qu’au Zimbabwe, les personnes souffrant du VIH/sida sont stigmatisées et font l’objet de discrimination et de mauvais traitements. En tant que personne à protéger, M. A. B. prétend que, s’il retournait au Zimbabwe, sa vie serait en danger parce que le gouvernement n’est pas disposé à fournir des soins adéquats. À titre subsidiaire, il conteste la constitutionnalité du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR. La Commission a rejeté toutes ces allégations. Je reproduis ci‑dessous ces dispositions légales, pour la commodité du lecteur :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention—le réfugié—la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes—sauf celles infligées au mépris des normes internationales—et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[4]Les arguments qu’a invoqués le demandeur devant la Cour portaient d’une façon générale sur la manière dont la Commission a apprécié la preuve et abordé la question de la « menace à sa vie » ainsi que sur l’exclusion fondée sur les soins de santé de l’article 97 de la LIPR et sur la décision de la Commission au sujet de la contestation constitutionnelle du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR.

[5]La Commission a conclu que M. A. B. répondait aux conditions de l’article 96 de la LIPR pour ce qui est de l’appartenance à un groupe social particulier (soit les personnes craignant d’être persécutées en raison d’une caractéristique personnelle non modifiable). Elle a ensuite examiné les preuves concernant la crainte d’être persécuté, stigmatisé, de faire l’objet de discrimination et de mauvais traitements et a écarté la plupart de ces preuves parce qu’elles étaient de nature hypothétique. Elle a notamment tiré les conclusions suivantes au sujet de sa prétendue crainte de persécution :

· Le droit des demandeurs adultes de gagner leur vie ne serait pas gravement limité.

· La situation économique du Zimbabwe n’est pas idéale, et ne s’est probablement pas améliorée depuis le départ des demandeurs en 2002, mais cette situation touche l’ensemble de la population.

· M. A. B. ne sait pas à quel genre de traitement il aura accès et ses craintes à ce sujet sont de nature hypothétique.

· La crainte de M. A. B. d’être ostracisé socialement ne constitue qu’une vague hypothèse.

· La crainte qu’éprouve M. A. B. au sujet du non‑respect de la confidentialité des renseignements médicaux repose sur une simple hypothèse.

· Dans l’ensemble, le témoignage qu’a livré M. A. B. au sujet de ses craintes concernant le traitement auquel il aurait accès était général, ne contenait pas de détails précis, était souvent fondé sur des documents et de nature hypothétique.

[6]La Commission a examiné la preuve concernant les éléments pertinents de la situation du pays et a tiré les conclusions suivantes :

· Le rapport médical préparé par le Dr Houston est de nature générale et d’intérêt limité pour ce qui est d’évaluer les services de santé offerts au Zimbabwe au moment de l’audition.

· Les bouleversements politiques, la violence, l’instabilité, la pauvreté et la sécheresse ont amené le Zimbabwe au bord d’un effondrement politique et économique.

· La pandémie du VIH/sida a compromis le fonctionnement du système de soins de santé et des autres institutions nationales.

· Le Zimbabwe dispose d’un système de soins de santé pour ses citoyens, mais il n’incombe pas à la Commission de juger son système de prestation de soins de santé par rapport au Canada ou de trouver un responsable pour les lacunes de ce système, étant donné que les forces en jeu sont multiples et complexes.

· Le système de soins de santé du Zimbabwe offre un traitement aux victimes du VIH/sida, mais il n’appartient pas à la Commission de juger ce système par rapport à celui du Canada ou d’imputer à qui que ce soit la responsabilité de ses lacunes.

· Les commentaires qu’a fait le président Mugabe au milieu des années 1990 selon lesquels les homosexuels sont [traduction] « pires que des cochons et des chiens » et « un fléau apporté par l’homme blanc dans un continent vierge » n’appartiennent qu’à lui et ne constituent pas la politique officielle du gouvernement. Les opposants de Mugabe ne prendraient pas ces commentaires au sérieux.

· Les documents présentés établissent que les personnes atteintes du VIH/sida sont stigmatisées au Zimbabwe.

· La plupart des personnes atteintes du VIH/sida au Zimbabwe vivent une situation difficile et font face à des obstacles graves qui suscitent chez eux un sentiment d’angoisse et de détresse.

· Il n’existe pas de preuve fiable indiquant que les personnes atteintes du VIH/sida sont publiquement humiliées ou qu’elles sont victimes de violence.

· La stigmatisation des victimes du VIH/sida est une réalité au Zimbabwe et dans la plupart des autres pays, y compris le Canada, dans une mesure variable.

· M. A. B. ne serait pas normalement obligé de révéler qu’il est atteint du VIH/sida.

· Les preuves visant à établir que l’état de santé de M. A. B. serait rendu public et qu’il ferait pour cette raison l’objet de mauvais traitements ne sont pas suffisantes, crédibles ou dignes de foi.

· Il n’existe pas de preuve indiquant que les personnes atteintes du VIH/sida sont victimes de violations répétées ou systématiques de leurs droits fondamentaux, tels que le droit de ces personnes de gagner leur vie, de pratiquer leur religion, d’avoir accès à l’éducation offerte à la population ou à un traitement médical.

· L’ensemble de la preuve n’établit pas que les mauvais traitements ou la discrimination dont font l’objet les personnes atteintes du VIH/sida sont de nature systémique ou que ces personnes feraient l’objet d’actes discriminatoires constituant de la persécution.

· Les documents indiquent que l’épidémie est répandue dans tous les groupes sociaux mais que ce sont les classes inférieures et moyennes qui sont les plus gravement touchées, et ils laissent entendre que les personnes à faible revenu n’ont pas les moyens d’assumer les frais d’une thérapie.

· Les demandeurs adultes auraient peut‑être du mal à trouver un travail ou à en créer un, mais il existe des solutions viables pour eux.

· La crise économique que connaît le Zimbabwe est une situation qui touche à des degrés divers tous les citoyens sans exception et ne constitue pas un motif susceptible de fonder une crainte valable.

· Il n’est pas inévitable que les gens apprennent la maladie de M. A. B.

· Il n’existe pas de preuve suffisante et digne de foi établissant que le traitement administré à M. A. B. en raison de sa séropositivité constituerait de la persécution.

· M. A. B. n’a pas établi selon la prépondérance de la preuve que l’on refuserait de lui donner un traitement s’il retournait au Zimbabwe.

· Il ne sait pas quel traitement il pourrait en fait obtenir et ses craintes à ce sujet sont de nature hypothétique.

· La propagation des maladies infectieuses, et en particulier du VIH/sida, semble saper les institutions du pays.

· Bien qu’il y ait des cas de discrimination et de réprobation sociale, les personnes atteintes du VIH/sida, considérées comme un groupe, ne sont pas persécutées.

[7]La Commission a ensuite abordé précisément la question de l’accès de M. A. B. à des soins médicaux au Zimbabwe. Elle a tiré à ce sujet les conclusions suivantes :

· La prépondérance de la preuve n’indique pas qu’au Zimbabwe, les victimes du VIH/sida font l’objet d’une discrimination systématique ou qu’on refuse de les traiter.

· Il n’existe aucune raison de croire que M. A. B. serait particulièrement visé et qu’on refuserait de le traiter.

· Il existe au Zimbabwe un système de soins de santé auquel ont accès tous les citoyens.

· Les soins de santé offerts au Zimbabwe ne respectent pas les normes de certains pays, comme le Canada, mais ils sont offerts à tous les citoyens.

· Il n’est pas raisonnablement possible que les soins médicaux soient systématiquement refusés aux victimes du VIH/sida, y compris à M. A. B.

· Il est possible que le demandeur principal et sa famille fassent l’objet de certains actes de discrimination et que certains citoyens du Zimbabwe les évitent socialement, mais ils n’ont pas démontré la possibilité raisonnable qu’ils éprouvent des difficultés à se loger ou à trouver du travail ou que leur droit de gagner leur vie serait gravement restreint en raison de l’état de santé de M. A. B.

· Il n’existe pas de preuve suffisante, crédible et digne de foi indiquant que les membres de la famille d’une personne séropositive qui ne sont pas eux‑mêmes infectés seraient gravement maltraités ou qu’ils subiraient de la discrimination assimilable à de la persécution.

· Le demandeur ne risque pas d’être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier, défini comme celui des personnes atteintes du VIH/sida au Zimbabwe.

[8]La Commission s’est fondée sur l’ensemble des conclusions ci‑dessus pour juger que M. A. B. et les autres membres de sa famille n’avaient pas démontré qu’ils avaient la qualité de réfugié au sens de la Convention, conformément à l’article 96 de la LIPR. La Commission a ensuite examiné leur droit à titre de personnes à protéger, conformément à l’article 97 de la LIPR. La Cour a déclaré ce qui suit sur ce point :

· Il n’existe aucune preuve indiquant que les demandeurs seraient torturés ou maltraités par des fonctionnaires ou des personnes agissant à titre officiel s’ils retournaient au Zimbabwe.

· Il n’existe aucune preuve documentaire indiquant que les victimes du VIH/sida font l’objet d’actes de violence ou autres constituant de la torture et qui sont tolérés par l’État.

· Les demandeurs n’ont pas démontré qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’ils risqueraient personnellement d’être torturés s’ils retournaient au Zimbabwe.

· M. A. B. aurait accès à un traitement médical au Zimbabwe.

 · Le préjudice envisagé par M. A. B. et sa famille ne répond pas à la définition de traitements ou peines cruels et inusités—même si leur situation est triste et difficile.

[9]La Commission a ensuite examiné si la vie de M. A. B. serait menacée en raison d’un manque de soins médicaux s’il était obligé de retourner au Zimbabwe, et elle a conclu qu’il n’était pas exposé à cette menace.

[10]Enfin, la Commission a fait remarquer qu’il serait plus approprié que la crainte de M. A. B. de ne pas recevoir des soins de santé adéquats et à des services de soutien soit examinée adevant d’une autre juridiction, plus précisément en vertu de l’article 25 de la LIPR en tenant compte de considérations d’ordre humanitaire. Étant donné que cet aspect ne relevait pas de la compétence de la Commission, celle‑ci ne pouvait tenir compte de cette disposition.

Les questions en litige

1.             La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve?

2.             La Commission a‑t‑elle commis une erreur en appliquant l’article 97 de la LIPR à la preuve?

3.             La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans la façon dont elle a traité la contestation de la constitutionnalité du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR par les demandeurs?

Analyse

[11]Les demandeurs reprochent à la Commission d’avoir écarté la plupart des preuves relatives à la crainte de faire l’objet de discrimination ou de persécution et d’avoir qualifié d’hypothétique la plus grande partie de leurs témoignages. Étant donné qu’il s’agit là de questions factuelles, la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable : voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL), au paragraphe 4.

[12]Il est exact d’affirmer que la Commission a constamment qualifié d’« hypothétique » le témoignage de M. A. B. au sujet de l’accès aux soins médicaux et du niveau de stigmatisation sociale au Zimbabwe. Il est regrettable que cette preuve ait été qualifiée sans plus d’hypothétique parce que, dans un certain sens, on pourrait en déduire que les témoignages en question n’avaient aucune valeur probante : voir Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Satiacum, [1989] A.C.F. no 505 (C.A.) (QL), à la page 10. Il est évident que ces preuves avaient une certaine valeur puisque la Commission s’est fondée sur elles sur certains points. Je pense cependant que si l’on tient compte du contexte, la Commission a uniquement affirmé qu’elle n’accordait qu’une faible valeur probante à cette preuve parce qu’ells montent à loin ou qu’elle était anecdotique.

[13]La façon négative dont la Commission a qualifié la plupart des preuves présentées par les demandeurs semble quelque peu sévère, mais elle ne constitue pas une conclusion abusive ou arbitraire. Il n’appartient pas à la Cour de réviser les conclusions relatives à la crédibilité et à la preuve qui sont fondées à juste titre sur une appréciation de cette preuve.

[14]La Commission disposait de documents volumineux et contradictoires au sujet de la situation médicale et sociale des personnes atteintes du VIH/sida au Zimbabwe. Elle a décidé d’accepter la plupart des preuves qui minimisaient la stigmatisation et la discrimination dont faisaient l’objet ces malades et qui présentaient le système de soins de santé du Zimbabwe sous un jour relativement positif. D’autres auraient certes pu arriver à des conclusions différentes à partir des mêmes preuves mais les conclusions et les déductions de fait de la Commission ne peuvent être qualifiées de manifestement déraisonnables, étant donné qu’elles sont étayées par un certain nombre de preuves. Il m’est, par conséquent, impossible de retenir les arguments des demandeurs fondés sur la preuve pour annuler la décision de la Commission.

[15]Les demandeurs soutiennent également que la Commission a commis deux erreurs de droit dans l’application à la preuve de l’article 97 de la LIPR. Premièrement, ils affirment que la Commission a commis une erreur dans son examen de la question de la « menace à sa vie » et, deuxièmement, ils affirment que la Commission a interprété trop largement l’exclusion fondée sur les soins de santé du sous‑alinéa 97(1)b)(iv). Ces arguments soulèvent des questions de droit ou des questions mixtes de fait et de droit pour lesquelles les normes de contrôle sont respectivement la décision fondée et la décision raisonnable : voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

[16]La façon dont la Commission a abordé la question de savoir si la vie de M. A. B. serait menacée s’il retournait au Zimbabwe présente sans doute un problème. La Commission n’a pas formulé de conclusions précises au sujet du type ou de la qualité des soins auxquels M. A. B. aurait accès s’il était obligé de retourner dans ce pays. Elle a apparemment estimé que sa seule obligation consistait à décider s’il existait dans ce pays un système de soins de santé, quel qu’il soit, et si M. A. B. y avait accès. Voici la conclusion de la Commission sur ce point :

[traduction] La Commission estime qu’il existe un système de soins de santé qui traite les victimes du VIH/sida. Là encore, ce n’est pas à la Commission de juger le système de prestation des soins de santé par rapport à celui du Canada ou d’imputer à qui que ce soit les lacunes de ce système, étant donné que les facteurs à l’origine de la situation sont multiples et complexes.

[17]Étant donné que la Commission a omis de tirer une conclusion précise au sujet du type de soins auquel M. A. B. aurait accès, sa décision sur le point de savoir si sa vie serait menacée dans le cas où il retournerait au Zimbabwe ne repose sur aucune base factuelle. La Commission a néanmoins conclu que sa vie ne serait pas menacée dans le passage suivant :

[traduction] La vie du demandeur serait‑elle directement menacée en raison de l’impossibilité de recevoir un traitement médical s’il retournait au Zimbabwe maintenant?

Il a été soutenu que le demandeur est une personne à protéger parce que sa vie est menacée. Sa vie est menacée parce qu’il n’aurait pas accès à des soins de santé adéquats et à des traitements pour sa séropositivité VIH. La Commission fait encore une fois référence à sa conclusion selon laquelle le demandeur aurait accès à des soins médicaux et conclut par conséquent que le demandeur n’a pas démontré que sa vie serait menacée.

[18]À mon avis, la méthode qu’il faut utiliser pour appliquer l’article 97 de la LIPR dans un contexte comme celui‑ci consiste, premièrement, à décider s’il existe une preuve suffisante pour démontrer que la vie du demandeur est menacée et, deuxièmement, à décider si l’exclusion fondée sur les soins de santé s’applique. En l’espèce, il semble que la Commission ait fusionné à tort les deux volets de ce critère.

[19]Le fait que M. A. B. aurait accès à certains soins de santé au Zimbabwe ne démontre pas que sa vie ne serait pas menacée s’il y retournait. Si la Commission avait clairement conclu que M. A. B. aurait accès à des soins d’une qualité telle qu’il resterait probablement en vie, il serait difficile de contester la conclusion à laquelle elle est arrivée au sujet de la menace à sa vie. En l’espèce, la Commission a toutefois expressément refusé d’apprécier la qualité des programmes de traitement auxquels aurait accès M. A. B. La conclusion de la Commission selon laquelle la vie de M. A. B. ne serait pas menacée s’il retournait au Zimbabwe est par conséquent manifestement déraisonnable, étant donné que la Commission s’est délibérément abstenue de tirer les conclusions de fait susceptibles d’étayer une telle conclusion : voir Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 43.

[20]L’erreur qu’a commise la Commission au sujet de la question de la menace à la vie n’est pas tout puisqu’il y a lieu d’examiner la portée de l’exclusion relative aux soins de santé prévue au sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR. Que la vie de M. A. B. soit menacée ou non au Zimbabwe, il était néanmoins tenu d’établir que sa demande n’est pas visée par cette exclusion (c’est‑à‑dire que la menace à sa vie ne résulte pas de l’incapacité de l’État de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats).

[21]Les demandeurs affirment qu’ils avaient présenté à la Commission de nombreuses preuves établissant qu’au Zimbabwe, la corruption et la discrimination affectaient de façon importante le traitement des personnes atteintes du VIH/sida. Ils affirment que ces pratiques nuiraient au traitement de la maladie de M. A. B., non pas en raison de l’incapacité de l’État à fournir des soins adéquats mais en raison de ses réticences à fournir de tels soins. Cet aspect, affirment‑ils, démontre que M. A. B. n’est pas visé par l’exclusion du sous‑alinéa 97(1)b)(iv).

[22]De son côté, le défendeur affirme que l’article 97 de la LIPR n’a jamais eu pour objectif de protéger les menaces à la vie fondées sur des questions de santé et que si la LIPR accorde une protection pour ce genre de menaces, elle découle soit de l’article 96 (réfugié au sens de la Convention) ou de l’article 25 (motifs d’ordre humanitaire). Le défendeur se fonde principalement sur les décisions de la Cour Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 323 (C.F.) et Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1193.

[23]J’ai examiné en détail les décisions prononcées dans les affaires Covarrubias et Singh, précitées. Dans Covarrubias, il s’agissait d’un demandeur d’asile qui était atteint d’une maladie grave des reins et qui avait besoin de subir une dialyse trois fois par semaine. Ce traitement était offert au Mexique, mais le demandeur n’avait pas les moyens de se le payer. En l’absence de dialyse, le demandeur mourrait après une semaine. La question en litige devant le juge Richard Mosley était donc la même que celle qui est en litige ici—à savoir, le refus de l’État de fournir un traitement médical abordable dans le cas d’une maladie terminale avait‑il pour effet de rendre inapplicable au demandeur l’exclusion fondée sur les soins de santé du sous‑alinéa 97(1)b)(iv). Le juge Mosley s’est fondé sur le raisonnement tenu dans Singh et a déclaré au paragraphe 33 :

Je pense qu’il est évident que le régime législatif avait pour but d’exclure de la portée de l’article 97 les demandes d’asile fondées sur les risques découlant du caractère inadéquat des soins de santé et des traitements médicaux dans le pays d’origine du demandeur, notamment lorsque les traitements sont offerts aux personnes qui ont les moyens de payer. Je souscris à l’interprétation donnée à la loi par le juge Russell. Aussi, j’estime que l’agent d’ERAR n’a pas commis d’erreur en appliquant l’exclusion à M. Ramirez et la demande ne peut être accueillie pour ce motif.

Le juge Mosley a procédé ensuite à une analyse détaillée du droit et a rejeté l’attaque constitutionnelle lancée contre l’exclusion fondée sur les soins de santé de l’article 97 de la LIPR. Il y a toutefois lieu de noter que dans Covarrubias, la Cour a certifié une question qui portait sur la constitutionnalité de l’exclusion fondée sur les soins de santé de l’article 97 et je crois savoir que l’appel n’a pas encore été tranché.

[24]Dans la décision Singh, précitée, il s’agissait également d’un demandeur d’asile qui souffrait d’insuffisance rénale. Dans cette affaire, le demandeur n’avait pas accès en Inde au traitement dont il avait besoin en raison de son impécuniosité. Tout en reconnaissant que le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) était quelque peu imprécis, le juge James Russell a déclaré au paragraphe 24 :

Cela m’amène à conclure que le défendeur a raison quant à cette question. La question d’une menace à la vie suivant l’article 97 ne devrait pas inclure l’obligation d’évaluer la question de savoir s’il existe des soins médicaux et de santé adéquats dans le pays en question. Il y a diverses raisons pour lesquelles les soins médicaux et de santé peuvent être « inadéquats ». Il se peut que ces soins n’existent pas du tout ou qu’ils ne soient pas offerts à un demandeur en particulier parce qu’il n’est pas dans une situation dans laquelle il peut en profiter. Lorsqu’un demandeur n’a pas la possibilité d’obtenir ces soins, alors ils ne sont pas adéquats pour lui.

[25]Je souscris aux décisions prononcées dans les affaires Singh et Covarrubias. Compte tenu des conclusions que la Commission a tirées en l’espèce selon lesquelles M. A. B. ne ferait pas l’objet de discrimination ou de persécution pour ce qui est de recevoir un traitement au Zimbabwe (quel qu’il soit), je ne pense pas qu’il puisse bénéficier de la protection de l’article 97 de la LIPR. Même dans les pays dont les systèmes de soins de santé sont particulièrement inadéquats, les personnes qui disposent de ressources financières suffisantes ont habituellement accès à des soins médicaux de qualité. C’est ce qu’a estimé le spécialiste canadien qui traite M. A. B., le Dr Houston, qui a confirmé que les personnes disposant des ressources nécessaires avaient accès au Zimbabwe à un traitement pour le VIH/sida.

[26]La Commission disposait de preuves indiquant qu’au Zimbabwe, l’accès au traitement était souvent refusé aux personnes atteintes du VIH/sida pour des motifs discriminatoires, mais elle a décidé de ne pas retenir ces preuves. Il ne m’appartient pas de rejeter ces conclusions pour la seule raison que je serais peut‑être arrivé à une conclusion différente. La conclusion qu’a tirée la Commission sur ce point repose manifestement sur une base rationnelle puisque les conclusions qui l’étayent n’ont pas été tirées de façon arbitraire.

[27]Malgré mes conclusions exposées ci‑dessus et les solides arguments présentés par le défendeur, je ne suis pas convaincu que l’exclusion du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) a une portée si large qu’elle interdit d’examiner tous les cas où une personne est incapable d’avoir accès à des soins de santé dans son pays d’origine. Lorsque l’accès à un traitement qui lui sauverait la vie est refusé à une personne pour des raisons de persécution qui ne sont pas autrement visées par l’article 96 de la LIPR, il semble approprié d’accorder la protection prévue par l’article 97. Cela est conforme au Regroupement des motifs de protection dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de la CISR [Commission de l’immigration et du statut de réfugié], dont la section 3.1.9 énonce :

3.1.9 Risque non attribuable à des soins médicaux ou de santé inadéquats

Si le risque est causé par l’incapacité du pays de référence de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats, le demandeur ne sera pas admissible à la protection. Une obligation analogue dans la disposition réglementaire relative à la CDNRSRC a été expliquée dans les lignes directrices à cet égard comme reflétant la position selon laquelle les dispositions réglementaires n’ont jamais visé à pallier les disparités entre les soins médicaux et de santé offerts au Canada et ceux qui sont accessibles ailleurs dans le monde. On pourrait en dire de même du sous‑alinéa 97(1)b)(iv).

On peut généralement établir une distinction entre l’incapacité d’un pays à fournir des soins médicaux ou de santé adéquats et les situations dans lesquelles des soins médicaux ou de santé adéquats sont fournis à certaines personnes, mais non à d’autres. Les personnes qui se voient refuser un traitement peuvent fonder une demande d’asile en vertu de l’alinéa 97(1)b) parce que dans leur cas, le risque découle du refus du pays à leur fournir des soins adéquats. Les demandes impliquant ces types de situations pourraient aussi donner lieu à la reconnaissance de la qualité de réfugié si le risque est lié à un des motifs prévus à la définition de réfugié au sens de la Convention.

[28]L’avocat des demandeurs a présenté plusieurs arguments supplémentaires susceptibles d’appuyer une interprétation plus restrictive de l’exclusion relative aux soins de santé du sous‑alinéa 97(1)b)(iv). Il signale que le législateur utilise fréquemment l’expression « ne peut […] ou ne veut » dans la LIPR (voir les articles 96, 97 et 39). Il affirme que l’omission d’utiliser l’expression « ne veut » au sous‑alinéa 97(1)b)(iv) est tout à fait délibérée et a pour but de réduire la portée de cette exclusion. Il fait également remarquer qu’il suffirait de modifier légèrement le libellé de l’exclusion pour indiquer, de façon très claire, qu’elle avait pour but de viser toutes les situations dans lesquelles une vie est menacée pour des motifs reliés à la santé.

[29]Deuxièmement, il a été soutenu que toute disposition législative ayant pour objet de limiter les droits fondamentaux de la personne doit faire l’objet d’une interprétation restrictive.

[30]Enfin, l’avocat des demandeurs soutient que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655 (au paragraphe 75) est clairement favorable à une interprétation des termes de la LIPR qui favorise, lorsque cela est possible, l’harmonisation de ses dispositions avec les obligations qui incombent au Canada en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne. Il mentionne, à titre d’exemple, le Pacte international relatif  aux  droits  économiques,  sociaux  et  culturels [16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 46] qui oblige les États parties à consacrer le maximum de leurs ressources disponibles à la mise en œuvre du droit à la santé. Il affirme que le Canada devrait accorder l’asile aux demandeurs qui risqueraient autrement d’être renvoyés dans des pays dont les gouvernements refusent délibérément de respecter les engagements interna-tionaux de ce genre et où leurs vies seraient en danger.

[31]Je reconnais qu’il peut y avoir des situations où des pratiques assimilables à de la persécution dans la prestation de soins de santé peuvent menacer la vie de quelqu’un et où la protection accordée par l’article 97 est justifiée mais, compte tenu des conclusions auxquelles est arrivée la Commission dans la présente affaire, il ne s’agit pas ici d’une de ces situations.

[32]Les demandeurs soulèvent un dernier argument qui demeure problématique. Ils se plaignent—à juste titre je pense—du fait que la Commission a refusé d’examiner leur contestation constitutionnelle de l’exclusion fondée sur les soins de santé du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) et qu’elle a ainsi commis une erreur. La Commission a refusé d’examiner cette question en déclarant qu’elle ne disposait de faits suffisants pour rendre une décision sur la constitutionnalité de cette exclusion.

[33]La Commission disposait de preuves largement suffisantes pour décider si la vie de M. A. B. était menacée, compte tenu des lacunes criantes du système de soins de santé du Zimbabwe. En refusant de tirer les conclusions factuelles nécessaires à partir de ces preuves, elle a abdiqué ses responsabilités et n’a pas examiné comme elle devait le faire les questions qui lui étaient soumises. Il paraît peu équitable que la Commission refuse de tirer, à partir de la preuve, les conclusions qui étaient nécessaires à l’examen de cette contestation constitutionnelle et qu’elle invoque ensuite comme excuse le fait qu’elle a abdiqué ses responsabilités. C’est en fait lorsqu’elle a abordé cette question de la menace à la vie du demandeur que la Commission semble avoir minimisé les graves difficultés auxquelles ferait face M. A. B. s’il était obligé de retourner au Zimbabwe.

[34]Le défendeur a invoqué dans ses arguments une décision très convaincante de la Chambre des lords dans l’affaire N(FC) v. Secretary of State for the Home Department, [2005] UKHL 31. Les faits de N(FC) ressemblent étonnamment à ceux de l’espèce. La Cour a examiné les choix difficiles que doivent faire les pays industrialisés à l’égard de ressortissants étrangers qui arrivent dans ces pays et qui sont atteints d’une maladie terminale mais susceptible d’être traitée. Ce genre d’affaires soulève des questions fondamentales d’ordre humanitaire, juridique et social. Il a été jugé dans N(FC) que la personne en question n’avait pas le droit de demeurer au Royaume‑Uni même s’il était probable qu’elle risquerait de mourir très rapidement si elle retournait en Ouganda. Il y a toutefois lieu de noter que la Cour n’a pas tenté de minimiser les conséquences très graves qu’aurait sa décision, si ce n’est qu’elle a invité le ministre à envisager d’accorder une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires. La Cour a fait remarquer à juste titre que, si le gouvernement ne faisait pas ce geste humanitaire, le fait de renvoyer la demanderesse dans son pays d’origine reviendrait pratiquement à [traduc tion] « le condamner à mort » (voir le paragraphe 66).

[35]À mon avis, la Commission était légalement tenue d’examiner de façon équitable la contestation constitutionnelle du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR présentée par M. A. B. C’est une question qui a été soumise à la Cour d’appel fédérale au moyen de la question certifiée qu’a posée le juge Mosley dans Covarrubias, précitée. Pour pouvoir éventuellement bénéficier de l’issue de cet appel, M. A. B. avait demandé à la Commission de résoudre les questions factuelles sur lesquelles reposait cette contestation. Je vais donc annuler la décision de la Commission et renvoyer la question à une autre formation pour qu’elle se prononce une nouvelle fois sur le bien‑fondé de la demande.

[36]Seuls les demandeurs ont sollicité la certification d’une question concernant la portée de l’exclusion du sous‑alinéa 97(1)b)(iv); mais compte tenu de ma décision dans la présente affaire, il n’est pas nécessaire de certifier cette question.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE la décision de la Commission soit annulée et l’affaire renvoyée pour nouvelle décision à une formation différemment constituée.

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