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[1993] 2 C.F. 515

T-1350-86

J.M. Voith GmbH (demanderesse)

c.

Beloit Corporation (défenderesse)

T-1607-86

Beloit Canada Ltée/Ltd. et Beloit Corporation (demanderesses)

c.

J.M. Voith GmbH et Voith S.A. (défenderesses

T-1268-86

Valmet-Dominion Inc. (demanderesse)

c.

Beloit Corporation (défenderesse)

T-1450-86

Beloit Canada Ltée/Ltd. et Beloit Corporation (demanderesses)

c.

Valmet-Dominion Inc. (défenderesse

T-2253-86

Beloit Canada Ltée/Ltd. et Beloit Corporation (demanderesses)

c.

General Electric Canada Inc. (défenderesse)

Répertorié : J.M. Voith GmbH c. Beloit Corp. (1re inst.)

Section de première instance, juge Rouleau—Ottawa, 19, 20 et 21 octobre 1992 et 16 février 1993.

Brevets — Contrefaçon — Brevet portant sur une organisation nouvelle des rouleaux et feutres dans la presse de machines à papier — L’art. 44 de la Loi sur les brevets accorde au breveté le droit et le privilège exclusifs de « fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres » l’objet de l’invention — Les défenderesses se sont engagées par contrat à vendre des machines complètes, pour l’installation au Canada et à l’étranger, ainsi que des éléments constitutifs — L’art. 44 ne permet pas de distinguer entre « acte de vente » et « promesse de vente » — Les objets incertains (non encore fabriqués, à fournir à une date ultérieure) peuvent constituer une contrefaçon — Il y a contrefaçon en cas de vente d’éléments constitutifs pour l’exploitation et l’assemblage au Canada ou d’assemblage de ces éléments conformément à l’agencement indiqué dans les revendications du brevet, suivi de l’exportation du produit fini — Les contrats de vente d’éléments constitutifs pour l’assemblage à l’étranger ne constituent pas une contrefaçon.

BrevetsPratiqueAction en contrefaçonDélai de prescription et mesures de réparationL’art. 2261 du Code civil prévoit que l’action se prescrit par deux ans pour dommages résultant de délits à défaut d’autres dispositions applicablesLa contrefaçon de brevet est un délit au regard de la loi québécoiseLa Loi sur les brevets est muette quant au délai de prescription de l’action en contrefaçonL’art. 39 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que c’est la loi de la province concernée qui s’appliqueLa brevetée conclut soit à dommages-intérêts soit à restitution des bénéficesLa restitution des bénéfices est une mesure de réparation, non une cause d’actionL’art. 2261 prévoit les cas donnant naissance à la cause d’action, non à la mesure de réparationUne fois établis les éléments nécessaires de la cause d’action, l’action se prescrit par deux ansL’action est prescrite à l’égard des contrats conclus plus de deux ans avant la date où elle fut intentée en 1986La restitution des bénéfices n’est pas la réparation indiquée vu la complexité du litige, le retard mis à intenter l’action, et le fait que certains des contrats ont été conclus à un moment où le brevet fut déclaré invalideLe paiement de dommages-intérêts est la réparation indiquéeLe principe de la réparation s’appliqueLa demanderesse a droit aux bénéfices qu’elle aurait réalisés par la vente des articles de contrefaçon.

PratiqueRenvoisAvant le rejet de l’action en contrefaçon de brevet, le protonotaire adjoint a ordonné un renvoi pour déterminer l’étendue de la contrefaçon et le quantum des dommages-intérêtsLa Cour d’appel a infirmé la décision portant rejet, déclaré l’action fondée, et renvoyé la question de la contrefaçon à la Section de première instanceObjet de cette audienceIl échet d’examiner s’il suffit à la demanderesse de prouver juste un cas de contrefaçon, et l’ampleur de l’atteinte à ses droits serait déterminée au renvoiLe renvoi a pour objet d’examiner des questions de faitIl n’a jamais été destiné à résoudre des questions de droit par quiconque n’est pas un jugeLe renvoi prévu à la Règle 500 ne vise pas à décider s’il y a eu contrefaçon, mais à fixer le quantum des dommages-intérêts.

Compétence de la Cour fédéraleSection de première instanceLa demanderesse conclut à dommages-intérêts ou à restitution des bénéfices dans son action en contrefaçon de brevetLa Cour fédérale est un tribunal d’équité au sens des art. 3 et 20 de la Loi sur la Cour fédéraleElle a compétence pour accorder la réparation d’equity qu’est la restitution des bénéfices si les circonstances le justifient et si, à d’autres égards, elle a compétence pour connaître du litigeLe choix fait par la demanderesse ne lie pas la Cour ni ne lui enlève son pouvoir discrétionnaire en la matière.

Dans cette action en contrefaçon de brevet, la demanderesse conclut à injonction, à dommages-intérêts ou restitution des bénéfices, à ordonnance de livrer tous les articles de contrefaçon, et à dépens et intérêts avant et après jugement. Le brevet en cause porte sur une organisation nouvelle des rouleaux et feutres dans la presse des machines à papier. L’article 44 de la Loi sur les brevets accorde au breveté le droit et le privilège exclusifs de « fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres » l’objet de l’invention.

De 1979 à 1985, les défenderesses se sont engagées par contrat à vendre des machines complètes à installer au Canada et à l’étranger, ainsi que de presses remises à neuf (éléments constitutifs) à installer au Canada. En 1986, Valmet-Dominion Inc. (VDI) et J.M. Voith GmbH ont intenté des actions pour contester la validité du brevet de Beloit à raison de connaissance et de publication antérieures. Beloit a répliqué par ses propres actions en contrefaçon contre ces dernières et aussi contre General Electric Canada (GEC). Avant le procès, le protonotaire adjoint Giles a ordonné que l’ampleur de l’atteinte aux droits, les dommages-intérêts et les bénéfices feraient l’objet d’un renvoi après le procès conformément à la Règle 500. À l’issue du procès Beloit a été déboutée de ses actions en contrefaçon, les actions en invalidation ont été accueillies, et le brevet déclaré invalide. La Cour d’appel a infirmé la décision portant rejet de l’action en contrefaçon de Beloit, confirmé la validité de son brevet et renvoyé l’affaire pour la reprise du procès sur la question de la contrefaçon. Une question préalable s’est posée au sujet de l’objet de cette audience. La demanderesse soutient qu’il lui suffit de prouver qu’il y a eu contrefaçon et l’affaire ferait l’objet d’un renvoi destiné à déterminer l’ampleur de cette contrefaçon et le quantum des dommages-intérêts. Les défenderesses répliquent qu’il lui incombe de prouver chaque chef de contrefaçon de même que son droit aux dommages-intérêts.

Les défenderesses soutiennent que les actions relatives aux quatre contrats conclus au Québec entre 1979 et 1983 sont prescrites par application de l’article 2261 du Code civil du Bas-Canada, aux termes duquel l’action en dommages résultant de délits se prescrit par deux ans à défaut d’autres dispositions applicables. La Loi sur les brevets est muette quant au délai de prescription des actions en contrefaçon. Le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que dans ce cas, ce sont les règles de droit de la province concernée qui s’appliquent. Les demanderesses invoquent la décision Reeves Bros. Inc. c. Toronto Quilting & Embroidery Ltd. où il a été jugé que l’article 2261 ne s’appliquait pas en cas de demande de restitution des bénéfices. Au contraire, le texte applicable est l’article 2242, aux termes duquel les actions dont la prescription n’est pas autrement réglée par la loi se prescrivent par trente ans.

GEC s’est engagée par contrat à fabriquer et à vendre deux machines complètes pour assemblage et utilisation à l’étranger, puis a cédé le contrat à VDI qui l’a exécuté. Elle soutient que le contrat portait sur des objets incertains parce qu’ils n’avaient pas encore été fabriqués, que la conclusion d’un contrat sur des objets incertains ne peut constituer une vente et que, la contrefaçon ne se produisant qu’au moment de la vente, il n’y a pas eu contravention à l’article 44. La demanderesse soutient que GEC a contrefait le brevet en s’engageant par contrat à fournir le matériel visé. La défenderesse réplique en distinguant entre « acte de vente » et « promesse de vente ».

Le contrat de vente d’une machine à papier complète peut être partagé entre plusieurs fabricants pour les diverses sections. VDI n’assemblait pas la presse complète des machines qu’elle vendait. Elle ne montait qu’un rouleau sur place pour en vérifier l’ajustement, après quoi elle présumait que les autres rouleaux étaient identiques. La demanderesse soutient que le contrat de vente d’éléments d’une invention brevetée au Canada, livrés pour assemblage et utilisation à l’étranger, constitue une contrefaçon parce que celle-ci se produit au moment de la vente et de nouveau au moment de la fabrication, que l’objet soit destiné à l’utilisation au Canada ou à l’étranger. Les défenderesses répliquent que l’article 44 limite la protection du brevet à l’assemblage utilisable de l’ensemble de l’objet de l’invention. Par conséquent, la production d’éléments de machines brevetées et leur expédition, si elles ne sont pas complètement assemblées, pour la construction et l’exploitation à l’étranger, ne constituent pas une contrefaçon.

En ce qui concerne les réparations, la demanderesse soutient qu’elle a le droit d’opter soit pour les dommages-intérêts soit pour la restitution des bénéfices. Les défenderesses répliquent que la Cour n’a pas compétence pour ordonner la restitution des bénéfices, qui n’est pas prévue à la Loi sur les brevets.

Il échet d’examiner si certaines des causes d’action sont prescrites par application de l’article 2261; si un contrat de vente d’objets incertains constitue une contrefaçon; si la vente d’éléments de l’objet d’une invention brevetée au Canada constitue une contrefaçon; si la livraison de machines fabriquées par les défenderesses pour assemblage et utilisation à l’étranger constitue une contrefaçon; et quelles mesures de réparation sont disponibles.

Jugement : l’action doit être accueillie en partie.

La demanderesse ne peut s’appuyer sur l’ordonnance de renvoi pour se dispenser de la charge de la preuve qui lui incombe. Puisque l’audience représente la reprise du procès intenté par Beloit, c’est à elle qu’il incombe de prouver les chefs de contrefaçon. En second lieu, il y a certains points de droit à trancher, qui relèvent du procès et non du renvoi. La question de savoir s’il y a eu contrefaçon embrasse certaines matières complexes et inédites. Il s’agit d’une question de fait et de droit, laquelle ne saurait être tranchée dans le cadre d’un renvoi, qui a pour objet d’examiner des questions de fait. Le renvoi n’a jamais été destiné à résoudre des points de droit par quiconque n’est pas un juge de la Cour. Le renvoi prévu à la Règle 500 n’a pas pour fonction d’examiner s’il y a eu contrefaçon, mais de confier à un arbitre, si la Cour conclut à contrefaçon, la tâche de déterminer quel est le préjudice y afférent.

Les précédents cités par le juge Gibson dans Reeves Bros. ne s’accordent pas avec l’analyse qu’il a faite. Ils posent pour principe qu’une fois jugé qu’il y a eu contrefaçon, le breveté ne peut demander à la fois des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices. La conclusion du juge Gibson a pour effet de faire une cause d’action d’une mesure de réparation, portant ainsi le délai de prescription à 30 ans. L’article 2261 prévoit les cas qui donnent naissance à la cause d’action (« dommages »), et non pas à la réparation par « dommages et intérêts ». Une fois établis les éléments nécessaires pour donner naissance à une cause d’action, celle-ci se prescrit par deux ans. La contrefaçon de brevet constitue un délit au regard de la loi québécoise et l’action en contrefaçon doit être intentée dans le délai de deux ans. Selon l’article 2267, la prescription est extinctive et les droits ne peuvent être ressuscités par les actions intentées par certaines défenderesses contre Beloit. L’action relative aux contrats conclus au Québec entre 1979 et 1983 est prescrite puisqu’elle n’a été intentée qu’en 1986.

Pour tenir que la vente d’objets incertains ne constitue pas la contrefaçon d’un brevet existant, il faudrait interpréter les mots « vendre à d’autres » figurant à l’article 44 comme s’appliquant uniquement aux « actes de vente » et non aux « promesses de vente ». Rien dans le libellé du texte de loi ne justifie une distinction aussi subtile. Il importe donc peu que le contrat conclu par GEC puis cédé à VDI fût une « promesse de vente », puisque le transfert du droit de propriété sur les machines était subordonné à leur fabrication, laquelle n’aurait lieu qu’à une date ultérieure. Ce que faisait GEC au sujet des machines destinées à l’utilisation à l’étranger ne peut être qualifié que de « vente à d’autres » et de contravention à l’article 44.

La vente au Canada d’éléments constitutifs d’une invention vaut contrefaçon de cette invention; cependant les seules ventes du genre se rapportaient en l’espèce à des contrats à l’égard desquels l’action est prescrite par application de l’article 2261.

Les contrats de vente d’éléments constitutifs destinés à l’assemblage à l’étranger ne constituent pas une contrefaçon. Les droits conférés au breveté sont territorialement limités au Canada. L’octroi du brevet a pour effet d’interdire aux défenderesses, au Canada, de fabriquer, de construire, d’exploiter, et de vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention. Cette invention consiste en la combinaison d’éléments anciens, déjà connus, en une configuration nouvelle. En conséquence, la seule protection assurée par la Loi sur les brevets se limite à cet amalgame inédit et innovateur qui constitue l’essentiel de l’invention. Les éléments détachés de l’invention ne sont pas protégés comme tels. Dans les cas où les défenderesses ont expédié des pièces non assemblées hors du pays, elles n’ont pas fabriqué, construit, exploité ou vendu à d’autres, au Canada, l’objet de l’invention de la demanderesse. Pour qu’il y ait contrefaçon du brevet de Beloit, il faut que les défenderesses aient vendu les éléments de l’invention pour l’exploitation et l’assemblage au Canada, ou qu’elles aient assemblé elles-mêmes ces éléments conformément à l’agencement indiqué dans les revendications du brevet, à l’intérieur de ce pays, puis qu’elles aient exporté le produit fini par la suite.

La Cour a compétence pour accorder la réparation d’equity qu’est la restitution des bénéfices. La Cour fédérale est un tribunal d’équité (Loi sur la Cour fédérale, articles 3 et 20) et, en cette qualité, peut toujours accorder cette réparation si les circonstances le justifient et si, à d’autres égards, elle a compétence pour connaître du litige. Que la Loi sur les brevets ne prévoie pas expressément la restitution des bénéfices ne prive pas la Cour de cette compétence. De même, le choix par la demanderesse de la restitution des bénéfices ne lie pas la Cour ni ne lui enlève son pouvoir discrétionnaire de décider la réparation à accorder. La restitution des bénéfices n’est cependant pas la réparation indiquée en l’espèce vu la complexité et la durée excessive de ces actions, ainsi que le temps et les frais que nécessite cette procédure compliquée. Les autres facteurs qui militent contre la restitution des bénéfices sont le retard mis par la demanderesse à intenter ces actions et le fait que le brevet avait été déclaré invalide avant que certains des contrats en cause n’aient été conclus. La réparation indiquée en l’espèce doit être le paiement de dommages-intérêts. Le principe de la réparation doit être appliqué pour parvenir à une indemnisation juste et équitable. Beloit a droit aux bénéfices qu’elle eût réalisés à l’égard des machines vendues par les défenderesses et dont la Cour a conclu qu’elles constituent une contrefaçon de son brevet. Les dommages-intérêts ne devraient pas être limités à la presse de la machine dans les cas où les défenderesses ont vendu une machine complète. La jurisprudence ne va pas dans le sens d’une limitation des dommages-intérêts au manque à gagner afférent à l’article breveté lui-même. S’il se trouve que l’article breveté est vendu séparément dans le cours normal des affaires du titulaire du brevet, il se peut que ce soit là tout ce qui lui revient. Cependant, si l’article breveté n’est pas nécessairement vendu seul, il est raisonnable de présumer que le préjudice causé au titulaire réside, non seulement dans le manque à gagner afférent à cet article lui-même, mais dans la vente des articles dont il fait le commerce, en l’occurrence les machines à papier avec presse à triple pince. Au renvoi, la demanderesse aura à montrer quels bénéfices elle aurait réalisés sur la vente des marchandises et des éléments constitutifs de contrefaçon.

La demanderesse a droit à l’intérêt à la fois avant et après jugement. Vu les faits de la cause, y compris le temps excessif mis par la demanderesse à intenter ses actions, elle a droit à l’intérêt simple avant jugement au taux annuel de 10 p. 100, pour la période allant de la date où elle intenta ses actions au 31 décembre 1990, et par la suite au taux de 7 p. 100 jusqu’au règlement de tout compte.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code civil du Bas-Canada, art. 2242, 2261, 2267.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 3, 20, 39(1).

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 27(1), 44, 58, 61(1).

Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, ch. I-8.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 500.

JURISPRUDENCE

DÉCISION NON SUIVIE :

Reeves Brothers Inc. c. Toronto Quilting & Embroidery Ltd. (1978), 43 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Sibo Inc. et autres c. Posi-Slope Enterprises Inc. (1984), 5 C.P.R. (3d) 111 (C.F. 1re inst.); American Cyanamid Co. v. Berk Pharmaceuticals Ltd., [1976] R.P.C. 231 (Ch. D.); Hydro-Québec c. Dableh, jugement en date du 25 novembre 1991, Montréal 500-09-001071-919, J.E. 92-32 (C.A. Qué.), encore inédit; Mastini v. Bell Telephone Co. of Canada et al. (1971), 18 D.L.R. (3d) 215; 1 C.P.R. (2d) 1 (C. de l’É.); Windsurfing Int. Inc. c. Trilantic Corp. (1985), 7 C.I.P.R. 281; 8 C.P.R. (3d) 241; 63 N.R. 218 (C.A.F.) sur la question de savoir si la vente au Canada d’éléments constitutifs vaut contrefaçon; Dole Refrigerating Products Ltd. v. Can. Ice Machine Co.& Amerio Contact Plate Freezers Inc. (1957), 28 C.P.R. 32; 17 Fox Pat. C. 125 (C. de l’É.); Deepsouth Packing Co., Inc. v. Laitram Corp. (1972), 173 USPQ 769 (Sup. Ct.); Teledyne Industries, Inc. et autre c. Lido Industrial Products Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1re inst.); Global Upholstery Co. Ltd. c. Galaxy Office Furniture Ltd. (1976), 29 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.); Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 191 (C.F. 1re inst.); conf. par [1981] 1 R.C.S. 504; Watson, Laidlaw, & Co. Ld. v. Pott, Cassels, & Williamson (1914), 31 R.P.C. 104 (H.L.); Colonial Fastener Co. Ltd. v. Lightning Fastner Co. Ltd., [1937] R.C.S. 36; [1937] 1 D.L.R. 21; Neilson and Others v. Betts (1871), L.R. 5 H.L. 1.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Lido Industrial Products Ltd. c. Teledyne Industries Inc. et autre (1981), 57 C.P.R. (2d) 29; 39 N.R. 561 (C.A.F.); British Motor Syndicate, Ld. v. John Taylor & Sons, Ld. (1900), 17 R.P.C. 189 (Ch. D.); Windsurfing Int. Inc. c. Trilantic Corp. (1985), 7 C.I.P.R. 281; 8 C.P.R. (3d) 241; 63 N.R. 218 (C.A.F.) sur la question de savoir si l’assemblage à l’étranger d’éléments constitutifs fabriqués au Canada vaut contrefaçon.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

United Horse Nail Co. v. Stewart (1888), 5 R.P.C. 260 (H.L.); Dubiner, Samuel v. Cheerio Toys & Games Ltd., [1966] Ex. C.R. 801; (1966), 55 D.L.R. (2d) 420; 49 C.P.R. 155; 32 Fox Pat. C. 76; Siddell v. Vickers (1892), 9 R.P.C. 152 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1986), 7 C.I.P.R. 205; 8 C.P.R. (3d) 289; 64 N.R. 287 (C.A.F.); J.M. Voith GMBH c. Beloit Corp. (1989), 26 C.I.P.R. 22; 27 C.P.R. (3d) 289; 30 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.); J.M. Voith GmbH et autres c. Beloit Corp. et autres (1991), 36 C.P.R. (3d) 322 (C.A.F.); demande de pourvoi en Cour suprême du Canada rejetée [1992] 1 R.C.S. viii; Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd., [1987] 2 C.F. 373; (1986), 11 C.I.P.R. 221; 12 C.P.R. (3d) 289; 7 F.T.R. 81 (1re inst.); R.W. Blacktop Ltd. c. Artec Equipment Co. (1991), 39 C.P.R. (3d) 432 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Baudoin, J.-L. La responsabilité civile délictuelle, 3e éd., Cowansville, Québec : Éditions Y. Blais, 1990.

Friedman, G. H. L. Sale of Goods in Canada, 3e éd., Toronto : Carswell, 1986.

ACTION en contrefaçon de brevet protégeant une organisation nouvelle des rouleaux et feutres dans la presse des machines à papier. Action accueillie en partie.

AVOCATS :

Donald J. Wright, c.r., pour Beloit Canada et Beloit Corporation.

James D. Kokonis et A. David Morrow pour Valmet-Dominion Inc. et General Electric Canada Inc.

Roger T. Hughes et Timothy M. Lowman pour J.M. Voith GmbH et Voith S.A.

PROCUREURS :

Ridout & Maybee, Toronto, pour Beloit Canada et Beloit Corporation.

Smart & Biggar, Ottawa, pour Valmet-Dominion Inc. et General Electric Canada Inc.

Sim, Hughes, Dimock, Toronto, pour J.M. Voith GmbH et Voith S.A.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rouleau : Il y a en l’espèce [T-1607-86] action de la demanderesse en contrefaçon de son brevet, qui porte sur une organisation ou disposition nouvelle des rouleaux et feutres dans la presse d’une machine à papier de manière à créer une succession de trois pinces essoreuses rapprochées, par lesquelles passe la feuille supportée avant le tirage ouvert. L’essorage accéléré du fait du changement dans la structure de la presse donne une feuille plus résistante, ce qui permet d’accélérer la vitesse des machines à papier et, partant, d’accroître la productivité. L’élément vitesse, dont fait état la divulgation du brevet, n’est pas expressément mentionné dans les revendications en cause.

La demanderesse conclut à injonction pour interdire aux défenderesses de fabriquer, d’exploiter, de vendre, ou d’encourager ou d’aider d’autres à fabriquer, à exploiter ou à vendre des presses à triple pince; à dommages-intérêts ou restitution des bénéfices, à ordonnance pour contraindre les défenderesses VDI [Valmet Dominion Inc.] et GEC (General Electric Canada Inc.] à lui livrer les articles argués de contrefaçon; et à dépens et intérêts avant et après jugement.

Cette action a une longue histoire, qu’il convient de rappeler brièvement. Elle a commencé le 4 juin 1986, date à laquelle la défenderesse VDI dépose une déclaration dans l’action no T-1268-86, pour contester la validité du brevet de la demanderesse à raison de connaissance et de publication antérieures, en application du paragraphe 27(1) et de l’article 61 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4. Subséquemment, par déclaration déposée le 24 juin 1986 sous le numéro T-1450-86, la demanderesse intente contre VDI sa propre action en jugement déclarant que les revendications 1, 2 et 4 à 11 de son brevet sont valides et ont été contrefaites, et aussi en injonction, dommages-intérêts et restitution des bénéfices. La demanderesse fait valoir que VDI est irrecevable, du fait de la force de la chose jugée et en raison de son abus des procédures, à conclure à l’invalidité de son brevet ou à nier qu’elle l’ait contrefait, étant donné que VDI est une ayant-cause de Valmet Oy, contre laquelle Beloit avait obtenu, dans une action antérieure, un jugement déclaratoire de validité et une injonction lui interdisant de contrefaire le brevet en cause (Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1986), 7 C.I.P.R. 205 (C.A.F.)

La défenderesse Voith [J.M. Voith GmbH], par déclaration déposée le 6 juin 1986 sous le numéro T-1350-86, intente également contre la demanderesse une action en invalidation de son brevet à raison de connaissance et de publication antérieures, en application des paragraphes 27(1) et 61(1) de la Loi sur les brevets. À son tour, Beloit intente le 11 juillet 1986 contre Voith, sous le numéro T-1607-86, une action en jugement déclaratoire de la validité des revendications 1, 2 et 4 à 12 de son brevet, et en dommages-intérêts et injonction contre Voith pour contrefaçon.

En octobre 1986, la demanderesse intente contre la défenderesse GEC [General Electric Canada], sous le numéro T-2253-86, une action en jugement déclarant que les revendications 1, 2 et 4 à 11 de son brevet sont valides et ont été contrefaites par GEC. Cette fois encore, Beloit conclut à injonction, à dommages-intérêts et à restitution des bénéfices. GEC réplique par une demande reconventionnelle pour contester la validité du brevet de la demanderesse par les mêmes motifs que les deux autres défenderesses.

Par ordonnance en date du 20 octobre 1988, le protonotaire adjoint Giles a ordonné que les questions suivantes feraient, après le procès, l’objet d’un renvoi en application de la Règle 500 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], le cas échéant : l’ampleur de l’atteinte aux droits de la demanderesse, les dommages-intérêts découlant de l’atteinte aux droits de Beloit, et les bénéfices, si bénéfices il y a, provenant de l’atteinte aux droits de la demanderesse.

Au moment où cette action passa pour la première fois en jugement, elle a été, pour plus de commodité, combinée avec les actions T-1350-86, T-1450-86, T-1268-86 et T-2253-86. Le 17 novembre 1989, j’ai débouté Beloit de ses actions en contrefaçon no T-1450-86 contre VDI, no T-1607-86 contre Voith et no T-2253-86 contre GEC [(1989), 26 C.I.P.R. 22]. J’ai en outre accueilli les actions de VDI (T-1268-86) et de Voith (no T-1350-86) en invalidation du brevet de la demanderesse ainsi que les demandes reconventionnelles contre celle-ci. J’ai encore rendu un jugement déclarant que le brevet canadien no 1,020,383 de Beloit était invalide.

Toutes les décisions rendues dans ces cinq actions ont été portées en appel. Par arrêt en date du 4 juin 1991, la Cour d’appel fédérale :

1. a infirmé la décision portant rejet de l’action en contrefaçon de Beloit, invalidation du brevet canadien no 1,020,383 de Beloit et octroi des dépens à Voith, VDI et GEC;

2. a confirmé la validité du brevet canadien no 1,020,383 ainsi que des revendications 1, 2 et 4 à 12 y contenues;

3. a renvoyé l’affaire pour la reprise du procès sur la question de la contrefaçon.

Les demandes, faites par les défenderesses, d’autorisation de pourvoi en Cour suprême du Canada ont été rejetées [[1992] 1 R.C.S. viii].

QUESTION PRÉALABLE

Il échet d’examiner si le brevet de la demanderesse a été contrefait par les défenderesses et, dans l’affirmative, quelle réparation la Cour peut lui accorder. À cet égard, il y a eu divergence entre les parties au sujet de l’objet de l’audience qui s’est déroulée devant moi pendant trois jours, les 19, 20 et 21 octobre 1992.

La demanderesse était d’avis que, vu l’ordonnance du protonotaire adjoint Giles, il lui suffisait de prouver qu’il y avait eu contrefaçon de son brevet et l’affaire ferait l’objet d’un renvoi destiné à déterminer l’ampleur de cette contrefaçon et le quantum des dommages-intérêts y afférents.

De leur côté, les défenderesses soutenaient qu’il incombait à la demanderesse de prouver chaque chef de contrefaçon figurant dans sa déclaration, de même que son droit aux dommages-intérêts. Et qu’il ne lui suffisait pas de prouver juste un cas de contrefaçon pour invoquer l’ordonnance du protonotaire adjoint Giles et demander un renvoi destiné à déterminer l’ampleur de la contrefaçon et à décider si elle en a subi un préjudice.

À mon avis, la demanderesse se trompe sur l’objet de cette audience et sur la fonction du renvoi qui a été ordonné. À cet égard, il est impératif d’examiner la décision en date du 4 juin 1991 [(1991), 36 C.P.R. (3d) 322], dans laquelle la Cour d’appel a tiré la conclusion suivante en page 341 :

En conséquence, il faut accueillir les appels formés contre les jugements rendus dans les actions en invalidation, et infirmer l’invalidation du brevet canadien no 1,020,383.

Il faut aussi accueillir les appels formés contre les jugements rendus contre les actions en contrefaçon et, conformément au sous-alinéa 52b)(iii) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, renvoyer l’affaire pour la reprise des procès de contrefaçon.

Par suite de cette décision de la Cour d’appel, je suis parvenu aux conclusions suivantes. En premier lieu, l’audience devant moi représentait la reprise du procès, intenté par la demanderesse dans ces actions par voie de déclaration. C’est donc à la demanderesse, dont dépend la poursuite de cette procédure, qu’il incombe de prouver les chefs de contrefaçon qu’elle fait valoir. Autrement dit, elle ne peut pas s’appuyer sur l’ordonnance de renvoi du protonotaire adjoint Giles pour se dispenser de la charge de la preuve qui lui incombe dans ces actions en contrefaçon.

En second lieu, je vois que dans les arguments qu’elles opposent aux chefs de contrefaçon, les défenderesses soulèvent certains points de droit à trancher en l’espèce, lesquels relèvent du procès et non du renvoi. En effet, la question de savoir si le brevet en cause a été contrefait est une question de fait et de droit, laquelle ne saurait être tranchée dans le cadre d’un renvoi. En l’espèce, l’examen de la question de savoir s’il y a eu contrefaçon embrasse certaines matières complexes et inédites, par exemple l’interprétation du brevet, la question de savoir s’il y a contrefaçon en cas de contrat de vente d’objets incertains ou en cas d’assemblage à l’extérieur du Canada, et si la demanderesse est irrecevable à prétendre aux mesures de réparation demandées du fait qu’il y a eu prescription, pour ne mentionner que ces questions.

Il est clair qu’il ne s’agit pas là de questions susceptibles d’être tranchées par renvoi visé à la Règle 500 des Règles de la Cour fédérale, qui porte :

Règle 500. (1) La Cour pourra, aux fins d’établir des comptes ou de faire des enquêtes, ou pour statuer sur un point ou une question de fait en litige, renvoyer toute matière devant un juge désigné par le juge en chef adjoint, ou devant un protonotaire ou toute autre personne que la Cour estime compétente en l’occurrence, pour enquête et rapport.

Ainsi, le renvoi a pour objet d’examiner des questions de fait. Comme l’a conclu cette Cour dans Sibo Inc. et autres c. Posi-Slope Enterprises Inc. (1984), 5 C.P.R. (3d) 111, le libellé même de cette Règle limite le renvoi aux points purement de fait; le renvoi n’a jamais été destiné à résoudre des points de droit par quiconque n’est pas un juge de la Cour. Le renvoi prévu à la Règle 500 n’a pas pour fonction d’examiner s’il y a eu contrefaçon, mais de confier à un arbitre, si la Cour conclut à contrefaçon, la tâche de déterminer quel est le préjudice y afférent, si préjudice il y a.

Je conclus donc qu’il incombe clairement à la demanderesse de prouver les chefs de contrefaçon formulés dans sa déclaration, et que le renvoi est strictement limité à la détermination des dommages-intérêts relatifs aux chefs de contrefaçon prouvés au procès. J’en viens maintenant à la question de la contrefaçon.

INTERPRÉTATION DU BREVET

Avant de statuer sur la question de la contrefaçon, la Cour doit interpréter le brevet, compte tenu de ce que le brevet n’est pas destiné au grand public mais aux spécialistes de ce domaine. Sur ce point, les tribunaux se sont généralement guidés sur la règle de droit définie par le juge Whitford dans American Cyanamid Co. v. Berk Pharmaceuticals Ltd., [1976] R.P.C. 231 (Ch. D), en page 234 :

[traduction] La première chose à faire dans une affaire de brevet est de décider exactement quel monopole a été accordé au breveté … L’une des principales caractéristiques des revendications est qu’elles font savoir aux autres ce qu’ils n’ont pas le droit de faire pendant la durée du brevet, et la Loi sur les brevets prévoit expressément que les revendications doivent être claires, succinctes, et essentiellement fondées sur ce qui est divulgué dans le mémoire descriptif… De même, lorsqu’on considère les revendications, il faut qu’on soit en mesure de savoir ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire, et si elles sont incompréhensibles ou ambiguës, ou n’ont guère de rapport avec l’invention divulguée dans le mémoire descriptif, le brevet ne sera pas valide.

La première chose à faire, et à faire objectivement, c’est de comprendre les revendications, d’en cerner l’étendue, ce que les avocats appellent l’interprétation des revendications.

L’interprétation des revendications du brevet en cause a fait l’objet de ma décision du 17 novembre 1989 et de l’arrêt du 4 juin 1991 de la Cour d’appel. Il convient donc de prendre pour point de départ les conclusions de ces décisions sur les revendications dont il s’agit.

En interprétant le brevet dans ma décision précédente, voici ce que je conclus en page 73 :

C’est sur la revendication 1 que repose l’invention présumée; il n’y a pas de doute qu’il s’agit d’une combinaison d’éléments déjà connus, comme on l’a dit dans les plaidoiries. Les éléments essentiels sont trois pinces sur des rouleaux communs avant le tirage ouvert, la première pince comportant deux feutres et la feuille étant supportée des deux côtés tout au long du processus. Le terme « tirage ouvert » n’a rien de mystérieux puisque cet élément suit toujours la section des presses dans toutes les machines à papier commerciales. L’élément fondamental réside dans l’utilisation de trois pinces et de rouleaux communs très rapprochés. Bien que l’on ait insisté sur ce point, la vitesse ou l’augmentation de la productivité ne sont pas revendiquées et ne font pas partie du monopole réclamé. La vitesse est un aspect qui, s’il était visé par les revendications, serait la source d’une ambiguïté car le montage à triple pince, d’après l’ensemble de la preuve, pouvait entrer dans la conception des machines rapides comme dans celle des machines lentes; le montage des rouleaux et des feutres peut être appliqué à la production de papier journal et de papiers minces, ainsi qu’à celle de cartons et de papiers de poids plus grand.

Je concluais que l’invention de la demanderesse avait été devancée par une publication antérieure de M. Christian Schiel (« le mémoire Schiel »). La Cour d’appel a infirmé cette conclusion mais approuvé l’interprétation que je faisais du brevet, par ces observations en pages 339 et 340 de sa décision :

En considérant le mémoire Schiel et ce qu’en disait le juge de première instance, il faut se rappeler qu’alors que la figure illustre clairement un montage à trois pinces, le texte n’en parle qu’au sujet du montage « c », avec l’utilisation des trois pinces I, II et III.

Les autres paragraphes cités du mémoire Schiel sont au mieux ambivalents pour ce qui est de recommander une première presse à double feutre. Le papier journal est fabriqué par des machines à grande vitesse. Sa production, selon la conclusion de l’arrêt Valmet qui n’est pas contestée en l’espèce, est « l’application la plus courante de l’invention en cause ». Alors que la première pince à double feutre du montage « b » était la plus apte à réduire la différence entre les deux faces, du papier plus sec—qui est l’objectif de l’invention Beloit—pouvait être obtenu avec le montage « a », qui n’a pas de pince à double feutre.

Un examen impartial du mémoire Schiel, sans le secours de témoignages oraux inadmissibles, oblige à conclure que son auteur n’envisageait nullement la possibilité qu’un montage à trois pinces, dont la première est à double feutre, pût être utilisée dans une section de presse à grande vitesse. Ces éléments essentiels de la revendication no 1 du brevet, celle sur laquelle reposent toutes les autres revendications, ne sont pas révélés par le mémoire Schiel.

C’est donc l’interprétation qu’il convient de faire des revendications du brevet en cause.

À la reprise du procès, beaucoup de temps a été consacré aux débats sur la question de savoir si la « grande vitesse » est un élément de ces revendications. Les défenderesses soutiennent que la décision de la Cour d’appel oblige à conclure que la « grande vitesse » en est un élément essentiel et, attendu qu’il n’y a aucune preuve concluante de ce que « grande vitesse » signifiait à la date de la demande de brevet, le brevet en cause est ambigu et ne se prête pas à une interprétation précise.

Je n’accueille pas ce raisonnement. Rien dans les conclusions citées ci-dessus ne permet de conclure que la grande vitesse est un élément essentiel du brevet de la demanderesse. Ce que protège la revendication no 1 du brevet, c’est la configuration à trois pinces avec la première pince à double feutre avant le tirage ouvert. Le fait que cette invention permet aussi d’accroître la vitesse ne signifie pas que la grande vitesse en fait partie intégrante, et je ne suis pas persuadé non plus que la demanderesse doit accepter que la vitesse élevée soit un élément de son invention. Pour cette raison, je ne peux que réitérer ce que j’ai dit dans ma décision précédente, et qui a été approuvé par la Cour d’appel, savoir que l’élément vitesse, bien que mentionné dans la divulgation du brevet, ne figure pas expressément dans les revendications en cause.

En conséquence, celles-ci ne sont pas limitées aux presses à grande vitesse, et l’argument des défenderesses doit être rejeté qui veut que le brevet soit ambigu au sujet de la grande vitesse et ne se prête pas à interprétation.

CONTREFAÇON

La question de savoir quel monopole est protégé par le brevet étant résolue, il reste à examiner si les défenderesse y ont porté atteinte. Il y a onze contrats dont la demanderesse affirme qu’ils opèrent contrefaçon de son brevet :

1. Une machine complète sauf la caisse d’arrivée, vendue par la défenderesse GEC à Midtec Paper Corporation. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) en juin 1979. Installation de la machine à Kimberly, Wisconsin.

2. Une machine complète vendue par la défenderesse GEC à Donohue-Normick Inc. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 13 août 1980. Installation de la machine à Amos (Québec).

3. Une presse remise à neuf vendue par la défenderesse GEC à Consolidated-Bathurst Inc. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 11 juillet 1980. Installation à Shawinigan (Québec).

4. Deux machines complètes vendues par la défenderesse VDI à Klockner Stadler Hunter Ltd. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 29 avril 1983. Installation des machines au Sabah du Sud, en Malaysia.

5. Une presse avec sécherie légèrement remise à neuf, vendue par la défenderesse VDI à Great Lakes Forest Products Limited. Offre, acceptation et contrats faits à Montréal (Québec) en février 1985. Installation à Thunder Bay (Ontario).

6. Une machine complète sauf la sécherie vendue par la défenderesse VDI à Corner Brook Pulp & Paper Limited. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 12 septembre 1985. Installation à Corner Brook (Terre-Neuve).

7. Une machine complète vendue par la défenderesse VDI à Donohue Malbaie Inc. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 18 septembre 1985. Installation à Clermont Mill (Québec).

8. Une machine complète vendue par la défenderesse VDI à Repap N.B. Inc. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 31 janvier 1985. Installation à New Castle (Nouveau-Brunswick).

9. Une presse remise à neuf vendue par la défenderesse Voith à Canadian International Paper (Gatineau).

10. Une presse remise à neuf vendue par la défenderesse Voith à British Columbia Forest Products.

Comme indiqué supra, il s’agit là de contrats dont la demanderesse a produit la preuve au procès; elle y est donc limitée en ce qui concerne les dommages-intérêts au cas où il serait jugé qu’il y a eu contrefaçon. Elle ne sera pas recevable à produire d’autres preuves de contrefaçon au cours de la procédure de renvoi.

PRESCRIPTION LÉGALE

Je tiens à examiner en premier lieu la question préalable de savoir si tous les chefs de demande contre GEC et les chefs de demande contre VDI au sujet des deux machines installées au Sabah du Sud sont prescrits par application de l’article 2261 du Code civil du Bas-Canada.

En l’espèce, les demanderesses invoquent la décision rendue par le juge Gibson dans Reeves Brothers Inc. c. Toronto Quilting & Embroidery Ltd. (1978), 43 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.), pour soutenir que leurs chefs de demande relatifs à certains contrats conclus au Québec et signés longtemps avant le commencement du délai de prescription de deux ans ne sont pas irrecevables comme le prétendent les défenderesses. Le juge Gibson s’est prononcé en ces termes en page 167 :

[traduction] Dommages-intérêts et restitution des bénéfices sont deux chefs de demande inconciliables. On ne peut faire valoir que l’un ou l’autre; V. Neilson et al. v. Betts (1871), L.R. 5 H.L. 1 à la p. 22; The United Horse Shoe and Nail Co., Ltd. v. Stewart & Co. (1888), 5 R.P.C. 260, à la p. 266.

S’il y a demande de restitution des bénéfices mais non pas de dommages-intérêts, l’article 2261 du Code civil de la province de Québec ne s’applique pas. Dans ce cas, c’est le délai général de prescription de trente (30) ans prévu à l’article 2242 qui s’applique.

La Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, est muette quant au délai de prescription des actions en contrefaçon. Selon le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], la loi applicable est celle de la province où surviennent les faits de la cause. Dans Mastini v. Bell Telephone Co. of Canada et al. (1971), 1 C.P.R. (2d) 1 (C. de l’É.), le juge Jackett qui était à l’époque le président de la Cour s’est penché sur la question, et sa conclusion se dégage du sommaire de la décision comme suit :

[traduction] Il s’agit en deuxième lieu de savoir dans quelle mesure il y avait prescription légale de telle ou telle partie de l’action en contrefaçon du demandeur qui prenait naissance en Ontario ou au Québec. Le demandeur soutient que la Loi sur les brevets, S.R.C. 1952, ch. 208, ne prévoit aucun délai de prescription, et qu’il n’y a donc aucun délai applicable à l’introduction de l’action.

Quant à la seconde question : la contrefaçon est un tort ou wrong en common law, et un délit au regard de la loi du Québec.

L’article 2261 du Code civil de la province de Québec, qui est entré en vigueur le 1er août 1866, prévoit que toute action en dommages-intérêts résultant de « délits » se prescrit par deux ans. Cette loi est restée en vigueur au Québec par application de l’article 129 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 . Sous le régime de l’actuel Code civil du Québec, l’article 2261 produit le même résultat.

J’ai examiné les précédents cités par le juge Gibson, savoir Neilson and Others v. Betts (1871), L.R. 5 H.L. 1 et United Horse Nail Co. v. Stewart (1888), 5 R.P.C. 260 (H.L.). Ils ne s’accordent pas avec l’analyse qu’il a faite. Dans United Horse Nail Co., supra, lord Watson a fait cette observation en page 266 :

[traduction] Par son arrêt Neilson v. Betts, cette Chambre a jugé que le breveté ne peut conclure à la fois à restitution des bénéfices et à dommages-intérêts, mais doit choisir entre ces deux chefs de demande; en l’espèce, les Appelants ont arrêté leur choix par cette action.

Dans Neilson, supra, la Chambre des lords s’est prononcée en ces termes, à la page 22 :

[traduction] Vos Seigneuries, il y a lieu de noter que la décision de l’instance inférieure ordonnait non seulement le calcul des dommages-intérêts, mais aussi la restitution des bénéfices. Les deux ne sont guère compatibles, car celui qui accepte la restitution des bénéfices tolère la contrefaçon. J’en conclus, Vos Seigneuries, que nous avons eu raison de demander à l’avocat de l’Intimée de choisir entre les deux …

À mon sens, ces deux arrêts posent pour principe qu’une fois jugé qu’il y a eu contrefaçon, le breveté ne peut demander à la fois des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices, mais doit choisir l’une ou l’autre de ces mesures de réparation. Je pense que la conclusion du juge Gibson a pour effet de faire une cause d’action d’une mesure de réparation (la restitution des bénéfices), portant ainsi le délai de prescription à 30 ans.

Ma conclusion trouve encore confirmation dans la décision Hydro-Québec c. Dableh, jugement en date du 25 novembre 1991, J.E. 92-32 (C.A. Qué.). Il s’agit d’une action en contrefaçon de brevet dans laquelle le demandeur concluait à dommages-intérêts et, subsidiairement, à restitution des bénéfices. Par requête qui est allée devant la Cour d’appel du Québec, Hydro-Québec a cherché à contraindre le demandeur à choisir, avant la poursuite de l’action en contrefaçon, l’un ou l’autre des deux chefs de demande. La Cour d’appel du Québec a jugé que la contrefaçon de brevet était une cause d’action unique qui ne se prêtait pas à deux chefs de demande; elle a ordonné au demandeur de choisir l’un ou l’autre. Voilà qui confirme que la restitution des bénéfices n’est pas une cause d’action mais seulement une mesure de réparation.

La version française de l’article 2261 du Code civil du Bas-Canada porte ce qui suit :

Art. 2261. L’action se prescrit par deux ans dans les cas suivants :

1. Pour séduction et frais de gésine;

2. Pour dommages résultant de délits et quasi-délits, à défaut d’autres dispositions applicables;

3. Pour salaires des employés non-réputés domestiques et dont l’engagement est pour une année ou plus;

4. Pour dépenses d’hôtellerie et de pension.

En voici la traduction anglaise :

Art. 2261. The following actions are prescribed by two years :

1. For seduction and lying-in expenses;

2. For damages resulting from offences or quasi-offences, whenever other provisions do not apply;

3. For wages of workmen not reputed domestics and who are hired for a year or more;

4. For hotel or boarding house charges.

Je ne vois aucune incompatibilité entre les deux versions française et anglaise, mais il appert que l’interprétation du mot « dommages » ou « damages » a donné lieu à des difficultés.

Dans certains cas, « actions en dommages » a été interprété comme ayant la même signification que « actions en dommages-intérêts ». Il est généralement reconnu que l’action en « dommages » se prescrit par deux ans; par contre, on pourrait soutenir que la mesure de réparation, c’est-à-dire la restitution des bénéfices, n’est pas soumise au même délai de prescription parce qu’elle n’est pas expressément visée par l’article 2261 du Code, mais qu’elle se prescrirait par 30 ans par application de l’article 2242 qui est la disposition générale, et dont voici les deux versions française et anglaise :

Art. 2242. Toutes choses, droits et actions dont la prescription n’est pas autrement réglée par la loi, se prescrivent par trente ans, sans que celui qui prescrit soit obligé de rapporter titre et sans qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi.

Art. 2242. All things, rights and actions the prescription of which is not otherwise regulated by law, are prescribed by thirty years, without the party prescribing being bound to produce any title, and notwithstanding any exception pleading bad faith.

Tout au long du Code civil du Bas-Canada, le terme « damages » s’emploie indifféremment dans la version anglaise où elle peut avoir deux sens : (1) préjudice causé par suite d’une faute ou d’un délit; ou (2) réparation ou indemnisation du préjudice causé.

La première définition est celle qui établit le droit à une cause d’action. La seconde est la réparation due en raison du préjudice causé, d’où « dommages et intérêts ».

Dans La responsabilité civile délictuelle, 3e éd. Cowansville, Québec : Yvon Blais, 1990, J.-L. Baudoin écrit, au sujet de la version française du Code, et je le paraphrase, que lorsque le mot « dommage(s) » s’emploie seul, il signifie généralement préjudice résultant d’un délit ou d’une faute, lequel donne naissance à une cause d’action, alors que l’expression « dommages et intérêts » se trouve généralement dans les articles sur la réparation monétaire.

L’article 2261 prévoit les cas qui donnent naissance à la cause d’action, et non pas à la réparation par « dommages et intérêts ». Selon son paragraphe (2), une fois que le demandeur a prouvé qu’il a subi un préjudice ou des « dommages », on peut passer à la détermination du quantum de la responsabilité civile. Donc par suite des agissements délictuels de quelqu’un, on a droit à la « compensation » ou à l’« indemnisation », c’est-à-dire à une mesure de réparation (restitution des bénéfices, compensation du manque à gagner, redevances).

Selon l’article 2261, une fois établis les éléments nécessaires pour donner naissance à une cause d’action, celle-ci se prescrit par deux ans.

Or, dans Mastini, supra, le président Jackett a conclu que la contrefaçon d’un brevet constitue un délit au regard de la loi québécoise et que l’action en contrefaçon de brevet doit être intentée dans le délai de deux ans; telle est aussi ma conclusion.

Il serait possible de soutenir que les actions de certaines défenderesses, qui ont intenté elles-mêmes certaines procédures en instance, ont soit ressuscité le droit des demanderesses soit prolongé le délai de prescription. Il ne saurait en être ainsi; d’après l’article 2267 du Code, la prescription est extinctive et les droits ne peuvent être ressuscités :

Art. 2267. Dans tous les cas mentionnés aux articles 2250, 2260, 2260a, 2260b, 2261 et 2262 la créance est absolument éteinte, et nulle action ne peut être reçue après l’expiration du temps fixé pour la prescription.

Art. 2267. In all the cases mentioned in articles 2250, 2260, 2260a, 2260b, 2261 and 2262 the debt is absolutely extinguished and no action can be maintained after the delay for prescription has expired. [C’est moi qui souligne.]

Si nous appliquions l’approche adoptée par le juge Gibson dans Reeves Brothers, supra, aux affaires de contrefaçon de brevet où le chef de demande est la restitution des bénéfices, une partie pourrait attendre jusqu’à la 29e année pour engager la procédure, ce qui serait éminemment inique et totalement déraisonnable.

Je conclus en conséquence que l’action relative aux contrats suivants est prescrite, puisqu’elle n’a été intentée qu’en 1986 :

1. Une machine complète sauf la caisse d’arrivée, vendue par la défenderesse GEC à Midtec Paper Corporation. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) en juin 1979. Installation de la machine à Kimberly, Wisconsin.

2. Une machine complète vendue par la défenderesse GEC à Donohue-Normick Inc. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 13 août 1980. Installation de la machine à Amos (Québec).

3. Une presse remise à neuf vendue par la défenderesse GEC à Consolidated-Bathurst Inc. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 11 juillet 1980. Installation à Shawinigan (Québec).

4. Deux machines complètes vendues par la défenderesse VDI à Klockner Stadler Hunter Ltd. Offre, acceptation et contrat faits à Montréal (Québec) le 29 avril 1983. Installation des machines au Sabah du Sud, en Malaysia.

LES CONTRATS RESTANTS

Les défenderesses GEC et VDI proposent encore trois autres arguments pour soutenir que les contrats restants ne constituent pas une contrefaçon du brevet de la demanderesse. Ces trois arguments, étroitement liés, portent sur la question de savoir si un contrat de vente d’objets incertains peut constituer une contrefaçon, si la vente d’éléments d’une invention brevetée au Canada peut constituer une contrefaçon et enfin, argument le plus important, si les machines fabriquées par les défenderesses mais livrées pour assemblage et utilisation à l’extérieur du Canada, constituent la contrefaçon du brevet canadien de la demanderesse.

(i) Vente d’objets incertains

Cet argument est proposé par la défenderesse GEC au sujet des deux presses à triple pince DEW [Dominion Engineering Works] vendues au Sabah du Sud. Voici l’historique de cette opération : le 26 avril 1984, GEC s’engagea par contrat à fabriquer et à vendre deux presses à triple pince pour assemblage et utilisation au Sabah du Sud, en Malaysia. Elle céda ensuite le contrat à VDI le 28 avril 1984, date à laquelle VDI acquit l’actif de l’entreprise de fabrication des machines à papier de GEC. Depuis cette date, GEC a cessé toute activité relative aux presses à triple pince DEW.

GEC soutient qu’au moment de la signature du contrat, les éléments de presse destinés au Sabah du Sud étaient des objets incertains du fait qu’ils n’avaient pas encore été fabriqués. La conclusion d’un contrat sur des objets incertains ne peut constituer une vente, et GEC soutient qu’elle n’a pas contrefait le brevet de la demanderesse en concluant ce contrat puisqu’elle n’a pas « fabriqué, construit, exploité ou vendu à d’autres pour qu’ils les exploitent » les machines montées au Sabah du Sud, ainsi que l’interdit l’article 44 de la Loi sur les brevets . Elle n’a fait que conclure un contrat, lequel a été subséquemment cédé à la défenderesse VDI et exécuté par cette dernière.

La demanderesse soutient que GEC, en s’engageant par contrat à fournir le matériel visé, a contrefait le brevet puisque la contrefaçon se produit au moment de la vente. L’offre et l’acceptation du contrat ont eu lieu au Canada et, selon la demanderesse, portent indubitablement atteinte à ses droits que protège la Loi sur les brevets.

L’article 44 de la Loi prévoit ce qui suit :

44. Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou nom de l’invention, avec renvoi au mémoire descriptif, et accorde, sous réserve des conditions prescrites dans la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée y mentionnée, à partir de la date de la concession du brevet, le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent. [Non souligné dans le texte]

L’avocat de la défenderesse soutient qu’il faut distinguer « vente » et « promesse de vente ». Cette distinction est expliquée par Fridman dans Sale of Goods in Canada , 3e éd., 1986, pages 11 à 13, en page 11 comme suit :

[traduction] Si en exécution d’un contrat, « la propriété sur le bien passe du vendeur à l’acheteur, le contrat est appelé acte de vente ; mais si le transfert du droit de propriété sur le bien ne doit avoir lieu qu’après un certain délai ou est subordonné à la réalisation à l’avenir d’une condition quelconque, le contrat est une promesse de vente ». Celle-ci devient acte de vente « lorsque le délai est expiré ou que la condition est remplie. »

Je juge fondé l’argument de cette défenderesse selon lequel le contrat relatif aux deux machines destinées au Sabah du Sud s’accorde avec la définition de « promesse de vente ». Il est manifeste que le transfert du droit de propriété sur les machines était subordonné à leur fabrication, laquelle n’aurait lieu qu’à une date ultérieure.

Je ne pense cependant pas que cette distinction soit de quelque secours à la défenderesse dans les circonstances de la cause. Pour tenir que la vente d’objets incertains ne constitue pas la contrefaçon d’un brevet existant, il faudrait interpréter les mots « vendre à d’autres » figurant à l’article 44 de la Loi comme s’appliquant uniquement aux « actes de vente » et non aux « promesses de vente ». Rien dans le libellé du texte de Loi ne justifie une distinction aussi subtile. Que GEC ait conclu un acte de vente ou une promesse de vente, ce qu’elle faisait au sujet des machines destinées au Sabah du Sud ne peut être qualifié que de « vente à d’autres », droit et privilège exclusifs qu’accorde au breveté l’article 44 de la Loi sur les brevets.

Par ailleurs, les faits de la cause en instance ne s’apparentent pas aux faits de la cause Lido Industrial Products Ltd. c. Teledyne Industries Inc. et autre (1981), 57 C.P.R. (2d) 29 (C.A.F.), que les défenderesses citent à l’appui de leur argument. Dans cette dernière affaire, la demanderesse agissait en contrefaçon du brevet visant une pomme de douche. La défenderesse importait et vendait au Canada une grande quantité de pommes de douche qui contrefaisaient le brevet de la demanderesse. Il a été jugé que certaines des unités achetées par la défenderesse n’étaient pas déjà sur le marché au moment où la demanderesse obtint son brevet, mais que les commandes ont été exécutées après cette date, et les pommes de douche importées et vendues au Canada par la défenderesse. Celle-ci soutenait qu’elle était à l’abri de l’action en contrefaçon à l’égard de toutes les unités par application de l’article 58 de la Loi sur les brevets [S.R.C. 1970, ch. P-4]. Le juge Urie, J.C.A., rendant la décision de la majorité, a conclu que la défenderesse ne contrefaisait le brevet de la demanderesse que si le produit argué de contrefaçon existait déjà au moment de la délivrance du brevet. Il s’est prononcé en ces termes en page 54 :

Il est clair que l’article 58 s’applique à toute personne autre que le breveté qui utilise ou vend un article ou une machine après la délivrance du brevet. En l’espèce, la date décisive est le 14 décembre 1976. Par conséquent, il faut déterminer si, à cette date, les articles ou les machines que l’appelante avait utilisés ou vendus étaient ceux-là mêmes qu’elle avait achetés, exécutés ou acquis avant la délivrance du brevet. À mon avis, étant donné son but évident, l’article 58 envisage, pour que ses dispositions soient applicables aux articles ou aux machines en question, que ces derniers existent réellement à la date de la délivrance du brevet. À mon avis, leur existence réelle à cette date est essentielle pour que l’article soit applicable.

Je ne doute pas que la conclusion ci-dessus s’applique aux faits de la cause Teledyne, mais ceux-ci sont tout à fait différents des faits qui nous intéressent en l’espèce, où le point litigieux n’est pas centré sur l’article 58 [maintenant l’article 56] qui porte sur l’achat, l’exécution ou l’acquisition de l’objet d’une invention, avant la délivrance du brevet. Il est constant que le brevet de la demanderesse avait été délivré au moment où GEC s’engagea à vendre ces objets incertains; la preuve est faite à cet égard. En conséquence, il faut conclure que GEC savait que les articles qu’elle s’engageait à vendre contrefaisaient le brevet de Beloit.

Par ces motifs, le fait que les marchandises n’étaient pas encore fabriquées mais devaient être livrées à une date ultérieure, ne signifie pas en soi qu’il n’y avait pas contrefaçon.

(ii) Vente d’éléments au Canada

Cette question a été tranchée par la Cour d’appel fédérale dans Windsurfing Int. Inc. c. Trilantic Corp. (1985), 7 C.I.P.R. 281, affaire de contrefaçon d’un brevet de planche à voile, où la demanderesse reconnaissait que tous les éléments de la combinaison qu’elle revendiquait étaient déjà connus, mais où l’invention nouvelle résidait dans la combinaison de ces éléments, tout comme en l’espèce. La défenderesse vendait ses planches à voile au Canada, non montées. Elle soutenait que la simple fabrication, exploitation ou vente d’éléments qui entraient subséquemment dans une combinaison n’était pas interdite dans le cas où le brevet était limité à la combinaison elle-même. La Cour d’appel a catégoriquement rejeté cet argument comme suit, en pages 308 et 309 :

À mon avis, l’argument voulant que l’intimée n’ait pu violer le brevet parce qu’elle aurait fourni des pièces plutôt que la planche à voile tout assemblée est dénué de tout fondement …

En l’espèce, la contrefaçon des éléments de l’invention n’a jamais été alléguée. Ils sont reconnus comme étant anciens. Ce qui constitue l’invention, c’est la combinaison de vieux composants ou éléments. Il est clair que l’intimée ne vend pas des pièces. Elle vend des pièces dans le but de constituer une planche à voile. Sans l’assemblage, il ne peut y avoir de planche à voile. Sans l’assemblage, l’achat des pièces disjointes n’a aucun sens puisque, disjointes, elles ne peuvent être utilisées à la fin pour laquelle elles sont achetées, à savoir faire de la voile. À mon avis, la proposition voulant qu’on puisse éviter une action en contrefaçon de brevet en vendant des pièces formant un ensemble plutôt qu’en vendant ces pièces assemblées est absurde et erronée.

Il est donc clair que la vente au Canada d’éléments constitutifs d’une invention vaut contrefaçon de cette invention. Quoi qu’il en soit, la question n’est pas sérieusement contestée en l’espèce, puisque cet argument ne vise que les presses à triple pince DEW vendues par la défenderesse GEC à Donohue et à Consolidated Bathurst et à l’égard desquelles j’ai conclu supra que la demanderesse n’est pas recevable à demander des dommages-intérêts en raison du délai de prescription prévu au Code civil du Canada.

(iii) Assemblage à l’extérieur du Canada

Cette question se pose au sujet des presses à triple pince DEW fabriquées et vendues par la défenderesse GEC à Midtec, et des deux presses à triple pince DEW vendues par GEC et fournies par la défenderesse VDI au Sabah du Sud.

Dans une vente de presse de machine à papier, plusieurs éléments, comme les feutres et le moteur électrique, sont fournis par des tiers directement à l’usine à papier. En général, les presses ne sont assemblées, avec feutres et rouleaux en place, qu’après livraison à l’établissement de l’acheteur. Elles lui sont expédiées en pièces détachées. En fait, l’expert cité comme témoin par la demanderesse, M. Schmitt, a fait savoir lors d’une audience antérieure que les presses qui nous intéressent en l’espèce étaient partiellement assemblées à l’usine et partiellement assemblées au lieu d’installation finale.

En conséquence, le contrat de vente d’une machine à papier complète peut être partagé entre plusieurs fabricants pour les diverses sections. Par exemple, la défenderesse VDI n’assemblait pas la presse complète des machines qu’elle vendait. Normalement elle n’assemble pas du tout les rouleaux, sauf un seul qu’elle monte sur place pour en vérifier l’ajustement pour chaque machine. Elle présume alors que les autres rouleaux sont identiques. C’est ce qui se faisait pour les machines vendues au Sabah du Sud.

Les preuves administrées justifient donc la conclusion que, s’il peut y avoir assemblage préalable de certaines parties des machines en question, l’usage général consiste à assembler les machines dans l’établissement même de l’acheteur. Il échet alors d’examiner si la fabrication et la vente d’éléments, livrés pour assemblage et utilisation à l’étranger, constituent une contrefaçon du brevet de la demanderesse.

Celle-ci soutient que la contrefaçon se produit au moment de la vente et de nouveau au moment de la fabrication, même si la machine est assemblée à l’étranger à une date ultérieure; que la vente et la fabrication valent l’une et l’autre contrefaçon, peu importe que l’objet soit destiné à l’utilisation au Canada ou à l’exportation; et qu’en l’espèce, la teneur de son invention a été exploitée au bénéfice des défenderesses au Canada.

Les défenderesses répliquent que les droits exclusifs conférés par un brevet canadien sont territorialement limités au Canada et qu’ils sont encore limités par l’article 44 de la Loi sur les brevets au privilège de « fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention ». Qu’un brevet ne protège que contre l’assemblage utilisable de l’ensemble de l’objet de l’invention, et non contre la fabrication de ses éléments. Et par conséquent que la production d’éléments de machines brevetées et leur expédition, si elles ne sont pas complètement assemblées, pour la construction et l’exploitation à l’étranger, ne constituent pas une contrefaçon.

Ni l’une ni l’autre partie n’a pu citer la jurisprudence canadienne en la matière. En fait, il appert qu’il s’agit là d’une question inédite qui, à mon avis, est complètement différente de la question de la vente d’éléments non assemblés au Canada, que nous avons examinée supra. Bien que la demanderesse ait cité divers précédents à l’appui de son argument, je vois qu’ils portent sur des faits qui ne s’apparentent pas aux faits de la cause.

Par exemple, dans British Motor Syndicate, Ld. v. John Taylor & Sons, Ld. (1900), 17 R.P.C. 189 (Ch. D.), l’article argué de contrefaçon a été expédié hors du pays sous forme assemblée, et non pas en pièces détachées pour assemblage à l’étranger, comme c’est le cas en l’espèce. De même, l’affaire Windsurfing, supra, ne portait pas sur la question de savoir si la vente d’éléments détachés pour montage et utilisation à l’étranger constituait une contrefaçon.

Après examen attentif des arguments proposés par les parties et de la jurisprudence en la matière, je conclus que la réponse à cette question est subordonnée à l’interprétation correcte de l’article 44 de la Loi sur les brevets, c’est-à-dire la disposition qui confère au breveté « le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention ».

Il est vrai que les droits conférés au breveté en application de la Loi sur les brevets sont territorialement limités au Canada. Dans Dole Refrigerating Products Ltd. v. Can. Ice Machine Co. & Amerio Contact Plate Freezers Inc. (1957), 28 C.P.R. 32 (C. de l’É.), le juge Thurlow a fait cette observation en page 36 :

[traduction] Je pense qu’il faut aussi se rappeler que les droits exclusifs conférés par un brevet canadien sont territorialement limités au Canada, et qu’ils sont encore limités par l’article 46 [l’article 44 actuel] de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1952, ch. 203, au fait de « fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention ». Quiconque fabrique, construit, exploite ou vend l’objet de l’invention à l’étranger ne viole en rien le brevet canadien.

Il échet donc d’examiner quelles activités sont interdites aux défenderesses du fait de l’octroi du brevet à la demanderesse. La réponse est tout simplement qu’il leur est interdit, au Canada, de fabriquer, de construire, d’exploiter, et de vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention de cette dernière. La question se pose alors de savoir en quoi consiste cette invention. Il est constant que l’invention de Beloit consiste en la combinaison d’éléments anciens, déjà connus, en une configuration nouvelle. En conséquence, la seule protection que la Loi sur les brevets assure à la demanderesse, c’est-à-dire le monopole dont elle jouit, se limite à cet amalgame inédit et innovateur qui constitue l’essentiel de son invention. Les éléments détachés de l’invention ne sont pas protégés comme tels.

À ce sujet, je partage l’avis donné par la Cour suprême des États-Unis dans Deepsouth Packing Co., Inc. v. Laitram Corp. (1972), 173 USPQ 769, où la question se posait de savoir si, en application de la législation sur les brevets, il était interdit à la défenderesse Deepsouth d’exporter son produit, qui n’était pas tout à fait assemblé, pour utilisation à l’étranger par ce motif qu’une fois assemblé, ce produit contrefaisait le brevet de la demanderesse. La Cour suprême a confirmé le droit de la défenderesse de se livrer à l’activité en cause, par cette conclusion en pages 770 à 774 :

[traduction] « Aucune des pièces en question n’est nouvelle ou revendiquée comme telle; de même, la demanderesse ne prétend pas qu’une quelconque combinaison partielle soit nouvelle ou donne tel ou tel résultat. La fin poursuivie doit être accomplie par une combinaison de tous les éléments, combinés et organisés de la manière décrite. Et cette combinaison, qui comprend toutes les pièces indiquées dans le mémoire descriptif et arrangées l’une par rapport à l’autre comme par rapport à d’autres pièces de la machine de la manière décrite, est revendiquée à titre de perfectionnement, d’invention »…

Comme c’est normalement le cas des brevets de combinaison, aucun des éléments de l’un ou l’autre de ces brevets n’est en soi brevetable ni au moment de la délivrance du brevet ni maintenant.

La loi ne laisse aucun doute que la fabrication ou l’utilisation à l’étranger d’un produit breveté ne constitue pas une contrefaçon. Il s’ensuit que pour avoir droit à l’injonction à laquelle elle conclut, Laitram doit démontrer qu’il y a eu contrefaçon directe au regard de l’alinéa 271(a) par Deepsouth aux États-Unis, c’est-à-dire que Deepsouth « fabrique », « exploite » ou « vend » le produit breveté à l’intérieur de ce pays.

Laitram ne prétend pas que Deepsouth « exploite » la machine. Son argument que Deepsouth vend ces machines … ne signifie rien si elle ne réussit pas à démontrer que Deepsouth vend « l’objet de l’invention brevetée ». La question de la vente se réduit donc à la question de la fabrication : il échet d’examiner si Deepsouth a « fabriqué » (puis vendu) quelque chose qui, au regard de la loi sur les brevets, est l’objet de l’invention brevetée, ou si elle a « fabriqué » (puis vendu) quelque chose qui n’est pas du tout un article de contrefaçon.

Nous ne pouvons convenir que « la fabrication d’une quantité notable des éléments d’une machine » constitue une contrefaçon directe, puisque nous avons si souvent jugé qu’un brevet de combinaison ne protège que contre l’assemblage utilisable du tout et non pas contre la fabrication de ses éléments

En somme, la jurisprudence et la loi tranchent cette affaire aux dépens de l’intimée. Après que tant de tribunaux ont si souvent conclu à ce qui paraît si évident—savoir qu’un brevet de combinaison ne peut être contrefait que par une combinaison—nous n’envisageons pas de déroger à la règle et de reprendre depuis le début. [Non souligné dans le texte.]

En l’espèce, dans les cas où les défenderesses ont expédié les pièces non assemblées en question hors du pays, on ne peut dire qu’elles ont fabriqué, construit, exploité ou vendu à d’autres, au Canada, l’objet de l’invention de la demanderesse. Pour qu’on puisse conclure qu’elles ont contrefait le brevet de Beloit, il faut que les défenderesses aient vendu les éléments de l’invention pour l’exploitation et l’assemblage au Canada, comme l’a décidé la Cour d’appel dans Windsurfing, supra, ou qu’elles aient assemblé elles-mêmes ces éléments conformément à l’agencement indiqué dans les revendications du brevet, à l’intérieur de ce pays, puis qu’elles aient exporté le produit fini par la suite, comme dans l’affaire British Motors, supra. Il ressort des preuves produites que tel n’est pas le cas en l’espèce; il s’ensuit que les contrats en question ne constituent pas une contrefaçon au regard de la législation canadienne en matière de brevets.

Je ne remets pas du tout en question les conclusions tirées par la Cour d’appel dans Windsurfing. En fait, j’y souscris entièrement par les motifs exposés supra. J’estime cependant que cette décision est limitée aux faits de la cause sur lesquels elle était fondée, savoir qu’un contrefacteur vendait des éléments non assemblés d’une invention pour l’exploitation au Canada. Ce serait une grave erreur que d’étendre cette conclusion aux faits de la cause en instance. Ce que la demanderesse recherche en fait en l’espèce, c’est une extension de la protection que lui assure la Loi sur les brevets au-delà des frontières de ce pays. Si Beloit a besoin de protection ailleurs qu’au Canada, elle doit la chercher dans la législation sur les brevets des pays où son invention est exploitée.

Comme indiqué supra, la Cour ayant conclu que l’action visant le contrat conclu entre VDI et Klockner Stadler Hunter Ltd. pour l’installation des machines au Sabah du Sud est prescrite par le Code civil du Bas-Canada, la demanderesse n’a pas droit aux dommages-intérêts à l’égard de ce contrat.

Par ces motifs, la vente et la fabrication de la presse à triple pince DEW, vendue et fabriquée par la défenderesse GEC à Midtec, ne constituent pas une contrefaçon du brevet de la demanderesse. N’eussé-je pas déjà décidé que l’action de la demanderesse relative aux deux machines destinées au Sabah du Sud est prescrite, j’aurais également conclu que celles-ci ne constituaient pas une contrefaçon puisqu’elles ont été assemblées à l’extérieur du Canada.

RÉPARATIONS POSSIBLES

Il reste donc à examiner la question finale de savoir quelles réparations peuvent être accordées à la demanderesse. Beloit soutient qu’elle a le droit d’opter soit pour les dommages-intérêts soit pour la restitution des bénéfices. Elle conclut en fait à la restitution des bénéfices et affirme que maintenant qu’elle a arrêté son choix, la Cour n’a plus le pouvoir discrétionnaire de refuser de lui accorder cette mesure de réparation. Les défenderesses répliquent que par application de la Loi sur les brevets, la demanderesse n’est pas recevable à demander la restitution des bénéfices et qu’en conséquence, la Cour n’a pas compétence pour la lui accorder.

Face à ces deux vues extrêmes, il n’est pas étonnant que je ne puisse partager ni l’une ni l’autre. En premier lieu, je suis persuadé que cette Cour a compétence pour accorder, le cas échéant, la réparation d’equity qu’est la restitution des bénéfices. Les articles 3 et 20 de la Loi sur la Cour fédérale prévoient ce qui suit :

3. Tribunal de droit, d’équité et d’amirauté du Canada, la Cour fédérale du Canada est maintenue à titre de tribunal additionnel propre à améliorer l’application du droit canadien. Elle continue d’être une cour supérieure d’archives ayant compétence en matière civile et pénale.

20. (1) La Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, dans les cas suivants opposant notamment des administrés :

a) conflit des demandes de brevet d’invention ou d’enregistrement d’un droit d’auteur, d’une marque de commerce ou d’un dessin industriel;

b) tentative d’invalidation ou d’annulation d’un brevet d’invention, ou d’inscription, de radiation ou de modification dans un registre de droits d’auteur, de marques de commerce ou de dessins industriels.

(2) La Section de première instance a compétence concurrente dans tous les autres cas de recours sous le régime d’une loi fédérale ou de toute autre règle de droit non visés par le paragraphe (1) relativement à un brevet d’invention, un droit d’auteur, une marque de commerce ou un dessin industriel.

L’effet de ces dispositions a été résumé par le juge Addy dans Teledyne Industries, Inc. et autre c. Lido Industrial Products Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1re inst.), en page 227 :

L’article 3 de la Loi sur la Cour fédérale fait de la Cour fédérale du Canada un tribunal de common law, d’equity et d’amirauté. De plus, l’article 20 de la Loi sur la Cour fédérale, entre autres, donne à cette Cour compétence, en equity, en matière de brevets d’invention, de droit d’auteur, de marque de commerce et de dessin industriel. Bien que la Cour fédérale du Canada soit créée par une loi et ne soit pas une cour de compétence générale, puisque c’est une cour d’equity, lorsque l’objet du litige relève, par ailleurs, de sa compétence et lorsque des principes d’equity lui sont applicables, elle peut exercer tous les pouvoirs et appliquer tous les recours dont dispose une Cour d’equity traitant du même litige. Le droit de son prédécesseur, la Cour de l’Échiquier, d’appliquer les principes d’equity et de faire exécuter les recours d’equity a toujours été reconnu. [Non souligné dans le texte.]

On retrouve la même conclusion dans Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd., [1987] 2 C.F. 373 (1re inst.), et dans R.W. Blacktop Ltd. c. Artec Equipment Co. (1991), 39 C.P.R. (3d) 432 (C.F. 1re inst.). En outre, cette Cour a jugé, par sa décision Global Upholstery Co. Ltd. c. Galaxy Office Furniture Ltd. (1976), 29 C.P.R. (2d) 145, qu’elle a compétence pour accorder la restitution des bénéfices provenant de la violation d’un droit d’auteur et d’un dessin industriel enregistré, malgré l’absence d’une disposition à cet effet dans la Loi sur les dessins industriels [S.R.C. 1970, ch. I-8]. En conséquence, je rejette l’argument des défenderesses, qui n’est fondé sur aucune jurisprudence et qui veut que, la Loi sur les brevets ne prévoyant pas expressément la restitution des bénéfices, cette Cour n’ait pas compétence pour accorder cette mesure de réparation d’equity. Notre Cour, en sa qualité de cour d’equity, peut toujours accorder cette réparation si les circonstances le justifient et si, à d’autres égards, elle a compétence pour connaître du litige. En fait, la jurisprudence invoquée par les défenderesses concerne la compétence de la Cour sur une matière en particulier, et non pas la compétence dont elle est investie pour accorder une réparation d’equity qui n’est pas prévue dans une loi écrite.

Cependant, je n’accueille pas non plus l’argument de la demanderesse que son choix de la restitution des bénéfices lie la Cour et lui enlève en quelque sorte son pouvoir discrétionnaire de décider la réparation à accorder. La Cour n’est jamais tenue d’accorder une mesure de réparation d’equity; il s’agit là d’une matière entièrement soumise à son pouvoir d’appréciation souveraine.

La question ne se pose pas de savoir si la restitution des bénéfices peut être prononcée, mais de savoir s’il s’agit là de la réparation indiquée en l’espèce. Cette réparation n’est certainement pas celle que recherche d’ordinaire le breveté contre un contrefacteur, car elle est d’une application extrêmement difficile. C’est une tâche bien ardue que de vérifier quels bénéfices le contrefacteur a réalisés grâce à une invention donnée et de savoir quels bénéfices il faut imputer à telle ou telle source. Cette tâche se traduit par une procédure longue et coûteuse, dont le résultat final est rarement satisfaisant. Dans Dubiner, Samuel v. Cheerio Toys & Games Ltd., [1966] R.C. de l’É. 801, le juge Noël a fait observer que cette réparation n’était pas souvent recherchée à cause des difficultés qu’elle présentait. Il a cité [à la page 813] la conclusion suivante qu’avait tirée le lord juge Lindley dans Siddell v. Vickers (1892), 9 R.P.C. 152 (C.A.), en pages 162 et 163 :

[traduction] Le demandeur avait donc parfaitement le droit d’opter, comme il l’a fait en l’espèce, pour la restitution des bénéfices, mais je ne connais aucune autre forme d’établissement de compte aussi difficile à effectuer que la comptabilisation des bénéfices … Le contentieux est énorme, les frais considérables et le temps qu’il faut y consacrer est complètement hors de proportion avec l’avantage obtenu en fin de compte; à tel point que dans les affaires de société en nom collectif, je dois avouer que je n’ai jamais vu une comptabilisation de ce genre qui ait été effectuée à la satisfaction de qui que ce soit. Je pense que dans la plupart des cas, les gens s’en lassent et en sont dégoûtés.

L’histoire de ces actions, savoir leur complexité et leur durée excessive, est à mon avis une raison suffisante pour refuser à la demanderesse la restitution des bénéfices. Je ne vois pas en quoi la procédure compliquée qu’entraînerait une restitution des bénéfices en l’espèce justifierait le temps et les frais qu’elle nécessite.

D’ailleurs, d’autres facteurs militent encore contre la restitution des bénéfices. Dans Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 191 (C.F. 1re inst.), confirmé [1981] 1 R.C.S. 504, le juge Collier s’est prononcé en ces termes en pages 221 et 222 :

À mon avis, la présente Cour peut décider s’il est possible d’accorder un retour des bénéfices dans une action de ce genre. Compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, le versement de dommages-intérêts constitue, à mon avis, le redressement approprié.

À cet égard, l’affaire Electrolux, susmentionnée, est utile. Comme toujours, les faits de cette affaire ne sont pas exactement les mêmes. Il s’agissait là d’une action en usurpation d’une marque de commerce. Les demanderesses savaient depuis longtemps que les défenderesses utilisaient la marque contestée. Elles ont eu gain de cause. Cependant, le tribunal a octroyé des dommages-intérêts au lieu d’un retour des bénéfices. Dans ses motifs, le juge Lloyd-Jacob précise à la p. 159 :

Selon mon interprétation, le tribunal se fonde sur le principe suivant pour octroyer un retour de bénéfices : lorsqu’une personne doit payer à une autre des droits, le bénéficiaire a le droit de recouvrer de l’autre partie tout montant que cette dernière aurait reçu à titre de fiduciaire si le montant ainsi perçu l’avait été sans la connaissance ou le consentement de la personne à qui les droits étaient dus. En l’espèce, si l’on pouvait appliquer ce principe, c’est-à-dire si les défenderesses avaient bénéficié de profits à l’insu des demanderesses, j’aurais estimé de mon devoir de laisser à celles-ci le choix demandé dans leur déclaration; cependant, selon mon interprétation des faits (et comme les témoignages l’indiquent clairement), les demanderesses savaient depuis quelque temps (depuis longtemps, si ma mémoire est fidèle) que les défenderesses utilisaient la marque en litige; par conséquent, les profits perçus ne l’ont pas été à l’insu des demanderesses. [Non souligné dans le texte.]

On peut conclure des preuves administrées qu’à l’égard de la défenderesse GEC tout au moins, la demanderesse était au courant de ses activités de contrefaçon depuis 1975 à peu près. Elle n’a cependant rien fait ni n’a formulé aucune plainte jusqu’à ce que GEC intentât son action en invalidation du brevet de Beloit le 9 octobre 1986. Voilà, à mon avis, un long délai, qui justifie encore le refus de la Cour de condamner la défenderesse GEC à la restitution des bénéfices.

Il y a également lieu de noter que les trois contrats de vente de la presse à triple pince conclus par la défenderesse VDI l’ont tous été pendant la période où le brevet était jugé invalide par la Section de première instance de cette Cour.

Par tous ces motifs, je conclus que la réparation indiquée en l’espèce doit être le paiement de dommages-intérêts et non la restitution des bénéfices. Cependant, l’octroi de dommages-intérêts comporte ses difficultés propres, dont la plupart tiennent au calcul du préjudice subi par le breveté par suite des ventes réalisées par le contrefacteur. Il est pratiquement impossible dans les cas de ce genre d’établir le quantum des dommages-intérêts avec une exactitude mathématique; il n’y a pas deux cas qui soient identiques, et chaque cas d’espèce est caractérisé par ses faits et ses complexités propres.

Il est clair que la valeur monétaire du préjudice subi par la demanderesse en l’espèce ne peut se calculer en toute certitude, et qu’il ne serait pas prudent de la part de la Cour de tenter pareil calcul exact. En effet, les tribunaux ont conscience de cette limitation depuis longtemps. Dans United Horse Nail Co. Ltd. v. Stewart, supra, lord Watson a conclu à ce sujet comme suit, en page 267 :

[traduction] Ce qu’il s’agit de calculer, dans un cas comme en l’espèce, c’est le quantum du préjudice causé au commerce du breveté par les ventes illégales du contrefacteur. C’est nécessairement plus ou moins affaire d’estimation, car il est impossible de déterminer avec une précision mathématique ce qui, dans le cours normal des affaires, aurait été le chiffre des ventes et des bénéfices du breveté.

Néanmoins, ces difficultés ne sont pas une raison pour que la Cour refuse de rendre jugement. Comme l’a fait observer lord Shaw dans Watson, Laidlaw, & Co. Ld. c. Pott, Cassels, & Williamson (1914), 31 R.P.C. 104 (H.L.), en page 118, [traduction] « la réparation par voie d’indemnisation s’effectue ainsi dans une large mesure par l’exercice d’une saine imagination et le maniement d’une grosse hache ». Bien que les tribunaux aient eu recours à une variété de méthodes pour parvenir à un montant qui représente une indemnisation juste et équitable, le principe sous-jacent est celui de la réparation. Voici la conclusion tirée à ce sujet par lord Shaw dans Watson, Laidlaw, & Co. Ld. v. Pott, Cassels, & Williamson, supra, en pages 117 et 118 :

[traduction] À mon avis, cette affaire pose la très importante question du calcul des dommages-intérêts dans les affaires de brevet; et c’est cette question que je vais examiner. C’est probablement une faute de langue que de voir des principes dans les méthodes habituellement adoptées pour déterminer le quantum des dommages-intérêts dans les affaires de brevet. Ces méthodes sont en fait des règles pratiques de travail qui semblent aider le juge à parvenir à une estimation correcte de l’indemnisation à condamner le contrefacteur à payer au breveté. Pour ce qui est des dommages-intérêts en général, il y a un principe qui en sous-tend la détermination. On pourrait l’appeler le principe de la réparation. Il s’agit de rétablir dans l’état antérieur la personne qui a subi le préjudice et la perte. [Non souligné dans le texte.]

Donc, ce que la Cour doit faire, c’est d’accorder les dommages-intérêts qu’elle considère, sur la foi des preuves et témoignages produits, comme la réparation raisonnable du préjudice subi par la demanderesse en raison du tort commis par les défenderesses. La simple question est de savoir quelle eût été la situation de la demanderesse si les défenderesses n’avaient commis cet acte illégal; la réponse à cette question conduira à une évaluation raisonnablement correcte du manque à gagner de la demanderesse.

À la lumière de la jurisprudence en la matière, je conclus que l’octroi de dommages-intérêts appropriés en l’espèce consiste à compenser la perte qu’a subie la demanderesse par suite de la vente par les défenderesses des articles de contrefaçon, vente que, n’eût été cette contrefaçon, la demanderesse aurait réalisée, ce qui lui aurait assuré les bénéfices qu’elle a ainsi perdus. Étant donné que les dommages-intérêts doivent être à la mesure du bénéfice qu’aurait réalisé la demanderesse à la vente de chaque article de contrefaçon vendu par les défenderesses, Beloit a droit aux bénéfices qu’elle eût réalisés à l’égard des machines vendues par les défenderesses, dont la Cour a conclu qu’elles constituent une contrefaçon de son brevet.

Je ne peux accepter l’argument des défenderesses que les dommages-intérêts accordés à la demanderesse devraient être limités à la presse de la machine dans les cas où elles ont vendu une machine complète. La jurisprudence ne va pas dans le sens d’une limitation des dommages-intérêts au manque à gagner afférent à l’article breveté lui-même. S’il se trouve que l’article breveté est vendu séparément dans le cours normal des affaires du breveté, il se peut que ce soit là tout ce qu’il lui revient. Cependant, si l’article breveté n’est pas toujours ou nécessairement vendu seul, il est raisonnable de présumer que le préjudice causé au breveté réside, non seulement dans le manque à gagner afférent à cet article lui-même, mais dans la vente des articles dont il fait le commerce, en l’occurrence les machines à papier avec presse à triple pince. En effet, telle est la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Colonial Fastener Co. Ltd. v. Lightning Fastener Co. Ltd., [1937] R.C.S. 36, aux pages 41 et 42 :

[traduction] (b) Quant à ce volet de l’argumentation de la défenderesse, il suffit de noter qu’eu égard à l’objet de l’invention du breveté, tel qu’il est indiqué dans les revendications et le mémoire descriptif du brevet, qui est de fabriquer des demi-chaînes pour les fermetures à glissière, la demanderesse ne serait pas convenablement dédommagée si les dommages-intérêts ne comprenaient que le coût de fabrication et le prix de vente des demi-chaînes, abstraction faite du coût et du prix de vente de l’article complet. Comme indiqué supra, les demi-chaînes n’ont d’utilité qu’à titre d’élément des fermetures à glissière, et ce qu’a perdu la demanderesse, ce sont les ventes de ces dernières. Il faut appliquer le principe défini dans Meters Ld. v. Metropolitan Gas Meters Ld. Dans cette affaire, la Cour d’appel était appelée à considérer le quantum de dommages-intérêts auquel avait droit la demanderesse par suite de la contrefaçon de ses brevets par la défenderesse, dont l’un portait sur un genre particulier de came et de tige commandant l’ouverture de la vanne à gaz dans les compteurs à prépaiement. La preuve a été administrée devant le protonotaire et devant le juge Eve, saisi de l’appel, que la demanderesse aurait vendu davantage de compteurs sans l’intervention de la défenderesse, et c’est ainsi qu’elle s’est vu accorder 13s. 4d. pour le manque à gagner afférent à chaque compteur. La Cour d’appel a confirmé le jugement et souligné qu’elle convenait avec le protonotaire et avec le juge Eve que la méthode convenable de détermination des dommages-intérêts consistait à prendre en considération le bénéfice réalisé sur le prix de vente des compteurs, et à ne pas considérer uniquement les pièces dont la demanderesse détenait le brevet. Adoptant ce principe, la Cour rejette l’argument de la défenderesse. [Non souligné dans le texte.]

Il s’ensuit qu’au renvoi, la demanderesse aura à montrer quel bénéfice elle aurait réalisé sur la vente des trois machines vendues par la défenderesse VDI à Corner Brook Pulp& Paper Limited, à Donohue Malbaie Inc. et à Repap N.B. Inc. respectivement, des deux presses remises à neuf vendues par la défenderesse Voith à Canadian International Paper (Gatineau) et à British Columbia Forest Products, et de la presse vendue par la défenderesse VDI à Great Lakes Forest Products Limited, autant d’articles dont la Cour a jugé qu’ils constituent la contrefaçon du brevet en cause.

J’examine maintenant la question de l’intérêt avant et après jugement.

À mon avis, la demanderesse a droit à l’intérêt à la fois avant et après jugement, mais le taux de cet intérêt relève de la décision discrétionnaire de la Cour. Vu le temps excessif mis par la demanderesse à intenter son action et étant donné que certains des actes de contrefaçon ont été commis par les défenderesses durant la période où le brevet en cause était tenu invalide par cette Cour, je suis disposé à accorder l’intérêt simple avant jugement au taux annuel de 10 p. 100, pour la période allant de la date à laquelle la demanderesse intenta ses actions au 31 décembre 1990, et par la suite au taux annuel de 7 p. 100 jusqu’au règlement de tout compte.

Étant donné que la défenderesse GEC a invoqué la prescription légale au paragraphe 16 de sa défense en date du 13 octobre 1988, je lui accorde les dépens pour toute la procédure.

En ce qui concerne les défenderesses VDI et Voith, elles sont condamnées à payer les dépens de la cause à la demanderesse Beloit.

CONCLUSION

Par les motifs exposés ci-dessus, la Cour déclare fondée l’action en contrefaçon de brevet intentée par la demanderesse à l’égard des contrats suivants des défenderesses :

1. La presse (avec remise à neuf mineure de la sécherie) vendue par la défenderesse VDI à Great Lakes Forest Products Limited.

2. La machine (sauf la sécherie) vendue par la défenderesse VDI à Corner Brook Pulp & Paper Limited.

3. La machine vendue par la défenderesse VDI à Donohue Malbaie Inc.

4. La machine vendue par la défenderesse VDI à Repap N.B. Inc.

5. La presse remise à neuf vendue par la défenderesse Voith à Canadian International Paper (Gatineau).

6. La presse remise à neuf vendue par la défenderesse Voith à British Columbia Forest Products.

À tous autres égards, la demanderesse est déboutée de son action.

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