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[1993] 3 C.F. 142

T-1214-92

Ken Sparvier (requérant)

c.

La bande indienne Cowessess No 73, Richard Redman, Muriel Lavallée et Samuel Sparvier (intimés)

Répertorié : Sparvier c. Bande indienne Cowessess (1re inst.)

Section de première instance, juge Rothstein—Winnipeg, 29 janvier; Ottawa, 12 mai 1993.

Peuples autochtonesÉlectionsLe tribunal d’appel d’élection, établi conformément à la Cowessess Indian Reserve Elections Act, a annulé l’élection du requérant au poste de chef de la bande, et une nouvelle élection a été ordonnée parce que certains candidats ne remplissaient pas les conditions en matière de résidence prévues par la loiLa Loi prévoit que le tribunal d’appel est élu avant la réunion de présentation des candidatsMême en supposant qu’il n’ait pas été élu ainsi, le tribunal était dûment constitué comme l’imposait la LoiLe tribunal n’a pas la compétence pour statuer sur la résidence des candidatsSeul un tribunal établi par la Loi peut traiter les infractionsL’exigence de résidence doit pouvoir être sanctionnée pour avoir du sensLa Loi prévoit que la pratique électorale est un motif d’appel — « Les pratiques électorales » comprennent l’éligibilité d’un candidat.

Contrôle judiciaireBrefs de prérogativeCertiorariLe tribunal d’appel, établi conformément à la Cowessess Indian Reserve Elections Act, a annulé l’élection du chef de la bande, et une nouvelle élection a été ordonnée parce que certains candidats ne remplissaient pas les conditions en matière de résidence prévues par la loiLes principes de justice naturelle s’appliquent aux instances du tribunalLes principes de la justice naturelle ont été violés à cause de la partialité reconnue d’un membre, du très court délai d’avis de l’audience, du fait qu’on n’a pas permis au requérant d’être présent pendant les observations des autres partiesLa théorie de la nécessité peut s’appliquer si la Cour n’a pas la compétence voulue pour ordonner la constitution d’un nouveau tribunal d’appel.

Compétence de la Cour fédéraleSection de première instanceIl est de la compétence du tribunal d’examiner la décision du tribunal d’appel d’élection établi conformément à la Cowessess Indian Reserve Elections Act puisqu’il s’agit d’un office fédéralIl n’est pas clair que la Cour ait compétence pour ordonner la constitution d’un nouveau tribunal d’appel.

Le requérant a prié la Cour d’annuler la décision du tribunal d’appel d’élection qui avait annulé l’élection du chef de la bande et ordonné une nouvelle élection. Le 24 avril 1992, le requérant a été élu chef de la bande. L’un des candidats défaits a interjeté appel des résultats. Un tribunal d’appel a été établi conformément à la Cowessess Indian Reserve Elections Act et a décidé de convoquer de nouvelles élections au motif que deux des cinq candidats (autres que le requérant) ne remplissaient pas l’exigence en matière de résidence prévue par la loi. À la deuxième élection, un autre candidat a été élu. Le requérant a fait valoir que le tribunal d’appel n’avait pas été dûment constitué. Le conseil de la bande a proposé et choisi les membres du tribunal d’appel et leurs suppléants le 2 mars 1992. La réunion de présentation des candidats a été tenue le 3 avril. Les membres du tribunal ont été confirmés le 16 avril. L’alinéa 6(4)a) de la Cowessess Indian Reserve Elections Act prévoit que le tribunal sera élu avant la réunion de présentation des candidats. Le requérant a soutenu que le tribunal d’appel n’a été constitué que le 16 avril, ou après la réunion de présentation des candidats, et qu’il n’était donc pas constitué conformément à l’alinéa 6(4)a). Le requérant a aussi soutenu que le tribunal d’appel n’avait pas compétence pour statuer sur la résidence puisque cette question n’intéressait pas une pratique électorale ou une pratique illégale, corrompue ou criminelle visée par le paragraphe 6(2) de la Loi. Il a été soutenu que la compétence du tribunal d’appel n’était censée porter que sur les questions de procédure dans le cours d’une élection. Enfin, le requérant a soutenu que le tribunal d’appel avait commis un certain nombre d’erreurs de procédure. Il a allégué qu’un membre du tribunal d’appel avait fait des remarques désobligeantes envers lui à l’audience devant le tribunal d’appel, créant ainsi une crainte raisonnable de partialité en ce qui a trait à la procédure et à la décision du tribunal. Un autre membre du tribunal louait une terre agricole au requérant devant le tribunal d’appel, ce qui a suscité une crainte raisonnable de partialité. Le requérant a aussi plaidé qu’il n’avait été avisé de l’audience qu’un seul jour à l’avance, et que cela revenait à ne pas avoir été avisé du tout, que l’audition n’avait pas été ouverte et que la nature de l’audience elle-même n’avait pas été clairement communiquée aux parties.

Jugement : il y a eu déni d’équité procédurale, mais l’ordonnance requise ne devrait pas être émise en attendant les mémoires sur la question de la réparation.

La Cour fédérale avait compétence relativement à la question soulevée dans la demande. Pour que la Cour ait compétence, il faut démontrer que la décision contrôlée a été rendue par un « office fédéral » défini à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Le conseil d’une bande indienne élu conformément à la coutume de celle-ci est un office fédéral au même titre que s’il avait été élu conformément à la Loi sur les indiens. Là encore, un tribunal d’appel élu conformément à la coutume de la bande est un office fédéral. Le tribunal d’appel tire son pouvoir de la coutume de la bande, y compris de la Cowessess Indian Reserve Elections Act.

Le tribunal d’appel a été validement constitué. La disposition en vertu de laquelle le tribunal d’appel doit être élu avant la réunion de présentation des candidats est, d’après l’économie de la Loi, directive et non impérative, et le non-respect de cette disposition n’a pas empêché le tribunal d’appel d’être dûment constitué. En outre, le non-respect de cette disposition n’invalidait pas le processus électoral ou les actes ou ordonnances du tribunal d’appel. L’objet principal de la Cowessess Indian Reserve Elections Act est de prévoir le mécanisme qui permet d’élire un chef et un conseil de bande conformément à la coutume de la bande. Le tribunal d’appel est élu avant la réunion de présentation des candidats pour qu’il soit en place pendant tout le processus électoral pour traiter les pratiques électorales ou les pratiques illégales, corrompues ou criminelles des candidats et pour que ses membres, dès le début, évitent de prendre part de façon partisane à l’élection. Ni l’une ni l’autre de ces raisons ne font croire que leur inobservation, contraire à l’alinéa 6(4)a), devrait entraîner la nullité juridique des actes d’un tribunal d’appel élu après une réunion de présentation des candidats. Le fait d’invalider les actes d’un tribunal d’appel du seul fait qu’il a été élu après la date de présentation des candidats pourrait très bien entraîner, pour des membres de la bande qui n’ont aucun contrôle sur ceux chargés de faire respecter la Loi, une injustice ou des inconvénients graves.

La question de la résidence des candidats relève de la compétence du tribunal d’appel en vertu du paragraphe 6(2). Le tribunal d’appel est le seul tribunal établi par la Loi pour traiter les infractions à celle-ci. Si le tribunal d’appel ne connaît pas de la question, un non-résident qui était proposé comme candidat, pourrait devenir un conseiller ou un chef, contrairement à la Loi. Si l’exigence en matière de résidence doit avoir un sens, il faut pouvoir la faire respecter. L’instance devant le tribunal d’appel est le moyen légal de faire respecter cette exigence. L’expression « pratiques électorales » comprend la question de l’éligibilité d’un candidat. Le fait pour un non-résident de se porter candidat reviendrait à commettre une illégalité puisqu’il contrevient à la Loi.

Bien que les tribunaux doivent éviter de s’immiscer dans le mouvement politique des peuples autochtones en vue d’acquérir plus d’autonomie, les membres des bandes sont des individus qui ont le droit à ce que les tribunaux suivent une procédure équitable dans les instances qui les concernent. Dans la mesure où la Cour fédérale a compétence, les principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale s’appliquent. Que les fonctions exercées par le tribunal d’appel soient considérées comme judiciaires, quasi-judiciaires ou administratives, une audition équitable, comprenant l’impartialité du tribunal, la nécessité d’un avis et la possibilité de répondre, était essentielle.

Le tribunal d’appel n’a pas suivi les règles fondamentales d’équité procédurale. Les membres d’un tribunal d’appel ne sont pas élus par le public, mais sont choisis par le conseil de la bande. En l’absence de motifs irrésistibles, il est souhaitable d’appliquer de façon plus rigoureuse le critère de la crainte raisonnable de partialité, mais à la lumière des faits, même une application moins stricte du critère conduirait à la même conclusion. Il ressortait clairement de la preuve que l’un des membres du tribunal d’appel avait effectivement un parti pris à l’égard du requérant. Le fait que ce membre n’ait pas voté n’a pas résolu la question. Il suffisait qu’un seul membre du tribunal suscite une crainte raisonnable de partialité pour rendre tout le tribunal inhabile, même si ce membre n’a fait que siéger à l’audience, sans y avoir joué de rôle actif et sans avoir participé aux délibérations subséquentes. En l’espèce, le membre partial avait joué un rôle actif à l’audience avant de se récuser à cause de sa partialité. Un observateur relativement bien informé aurait perçu de la partialité chez le tribunal d’appel à cause de l’opinion avouée par le membre partial en faveur de la destitution du requérant et de sa participation à l’audience tenue devant le tribunal d’appel. Ceci a fatalement vicié l’instance et la décision du tribunal d’appel.

La bande n’était pas nombreuse. Il ne serait pas réaliste de s’attendre à ce que les membres du tribunal d’appel qui résidaient dans la réserve n’aient eu aucun lien social, familial ou commercial avec un candidat à une élection. Une application aussi rigoureuse des principes relatifs à la crainte de partialité risquerait de mener à des situations où le processus électoral serait constamment menacé par de telles allégations, et pourrait compromettre l’élection des gouvernements de bandes. Les questions soulevées en l’espèce mettaient en évidence les questions de principe.

Le délai d’avis très court soulevait plusieurs inquiétudes : a) les intéressés risquaient de ne pas être disponibles; b) il n’y avait pratiquement pas de temps pour enquêter sur les faits qui se rapportaient à l’objet de l’appel; c) il était déraisonnable de s’attendre à ce que les participants organisent et préparent leurs observations de façon adéquate. Le fait que le requérant avait effectivement été avisé et qu’il était présent à l’audience n’empêchait pas qu’il était dans une situation désavantageuse, du fait qu’il avait dû agir sans avoir eu l’occasion d’enquêter sur la question et de préparer ses observations. La participation du requérant ne représentait pas un véritable consentement à la tenue de l’audience ni une renonciation à son droit à un avis suffisant.

Le fait de refuser au requérant, dont le poste comme chef désigné était en jeu dans l’instance, le droit d’être présent pendant que d’autres présentaient des observations, amène à demander s’il était en mesure de connaître les arguments auxquels il devait répondre, autre exigence fondamentale de l’équité procédurale.

Si la décision du tribunal d’appel était annulée, sans plus, les résultats de l’élection du 24 avril seraient rétablis. Pour des motifs de procédure, la Cour, plutôt que les membres de la bande, désignerait le chef. Un appel validement déposé auprès du tribunal d’appel, la question de la résidence des candidats, et de la validité de l’élection du 24 avril ne serait pas réglée. Ces résultats insatisfaisants pourraient être évités si la Cour renvoyait l’affaire devant un tribunal d’appel différemment constitué. La Cour n’étant pas sûre de sa compétence pour ordonner la constitution d’un nouveau tribunal d’appel, aucune ordonnance ne serait rendue jusqu’à ce que les avocats aient l’occasion d’approfondir la question de la réparation. Si la Cour n’a pas la compétence voulue, il faut se demander s’il y a lieu d’appliquer la théorie de la nécessité.

LOIS ET RÈGLEMENTS

La Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5).

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUEÉS :

Gabriel c. Canatonquin, [1978] 1 C.F. 124 (1re inst.); conf. par [1980] 2 C.F. 792; [1981] 4 C.N.L.R. 61 (C.A.); Montreal Street Railway Company v. Normandin, [1917] A.C. 170 (P.C.); Apsassin c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1988] 3 C.F. 20; [1988] 1 C.N.L.R. 73; (1987), 14 F.T.R. 161 (1re inst.); Simpson v. Attorney-General, [1955] N.Z.L.R. 271 (S.C.); conf. par [1955] N.Z.L.R. 276 (C.A.); Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165; (1992), 142 N.R. 241; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC 14,181; 23 N.R. 410; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 15 C.R. (3d) 1 (ang.); 15 C.R. (3d) 315 (fr.); 30 N.R. 119; Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1985), 24 D.L.R. (4th) 44; [1986] 1 W.W.R. 577; 69 B.C.L.R. 255; 16 Admin. L.R. 233; 23 C.C.C. (3d) 118; 49 C.R. (3d) 35; 63 N.R. 353; Rex v. Sussex Justices. Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115; Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; (1992), 95 Nfld. & P.E.I.R. 271; 4 Admin. L.R. (2d) 121; 134 N.R. 241; Regina v. Ont. Labour Relations Bd., Ex p. Hall, [1963] 2 O.R. 239; (1963), 39 D.L.R. (2d) 113; 63 C.L.L.C. 15,478 (H.C.); Haight-Smith v. Kamloops School District No. 34 (1988), 51 D.L.R. (4th) 608; [1988] 6 W.W.R. 744; (1988), 28 B.C.L.R. (2d) 391; 30 Admin. L.R. 298 (C.A.); Kane c. Conseil d’administration (Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105; (1980), 110 D.L.R. (3d) 311; [1980] 3 W.W.R. 125; 18 B.C.L.R. 124; 31 N.R. 214.

DÉCISION EXAMINÉE :

Szilard v. Szasz, [1955] R.C.S. 3; [1955] 1 D.L.R. 370.

DÉCISIONS CITÉES :

Trotchie c. La Reine et autres, [1981] 2 C.N.L.R. 147 (C.F. 1re inst.); Beauvais c. R., [1982] 1 C.F. 171; [1982] 4 C.N.L.R. 43 (1re inst.); Rider v. Ear (1979), 103 D.L.R. (3d) 168; [1979] 6 W.W.R. 226; [1979] 4 C.N.L.R. 119 (Alb. 1re inst.).

DOCTRINE

Mullan, David. Administrative Law, 2nd ed.

Wade, H. W. R. Administrative Law, 6th ed. Oxford : Clarendon Press, 1988.

DEMANDE d’annulation de la décision d’un tribunal d’appel d’élection établi conformément à la Cowessess Indian Reserve Elections Act qui a annulé l’élection d’un chef de bande et ordonné la tenue de nouvelles élections. Le tribunal a agi de façon inéquitable, mais sa décision ne devrait pas être annulée en attendant les mémoires sur la question de la réparation.

AVOCATS :

Marusia A. Kobrynsky et C. Mervin Ozirny pour le requérant.

Orest Rosowsky pour les intimés.

PROCUREURS :

Ozirny, Fisher, Bell & Matthews, Melville, Saskatchewan, pour le requérant.

Rosowsky & Campbell, Kamsack, Saskatchewan, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Rothstein : Dans sa demande fondée sur l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, le requérant prie la Cour d’annuler la décision, rendue le 5 mai 1992 par un tribunal d’appel d’élection sous le régime de la Cowessess Indian Reserve Elections Act (la Loi), et d’ordonner des mesures accessoires à l’encontre de cette décision. En vertu de celle-ci, l’élection du chef de la bande, tenue le 24 avril 1992 a été annulée et une nouvelle élection a été ordonnée. En outre, le requérant demande une ordonnance déclarant invalide et nulle la réélection au poste de chef tenue conformément à cette décision.

RÉSUMÉ DES FAITS

La Cowessess Indian Reserve Elections Act, ainsi que d’autres coutumes et traditions non codifiées, régissent les élections du chef et des conseillers de la bande Cowessess. Ces élections doivent être tenues tous les trois ans. Le 24 avril 1992, une élection a été tenue et le requérant, Ken Sparvier, a été élu. L’un des candidats défaits, Terry Lavallée, a interjeté appel de l’élection à un tribunal d’appel établi conformément à la Loi, au motif que deux des cinq candidats à l’élection (autres que M. Sparvier et lui-même) étaient des non-résidents, et donc inéligibles. Le tribunal d’appel a tenu une audience le 5 mai 1992 et a ordonné une nouvelle élection qui a eu lieu le 22 mai 1992. Terry Lavallée a remporté la deuxième élection. Après la décision du tribunal d’appel, rendue le 5 mai 1992, le requérant a intenté des procédures devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan pour contester la compétence du tribunal d’appel, sa procédure et la décision qu’il a rendue. Cette Cour a décliné sa compétence pour entendre la demande. Par la suite, le requérant a déposé la présente demande devant la Cour fédérale du Canada.

REQUÊTES PRÉLIMINAIRES

Au début de l’audience, l’avocate du requérant a présenté une requête pour constituer Terry Lavallée intimé. Selon elle, cette mesure était nécessaire, pour obtenir un jugement déclaratoire portant que M. Lavallée agissait illégalement comme chef de la bande et une injonction lui interdisant d’exercer tout pouvoir comme chef de la bande ou de remplir toute fonction en cette qualité.

L’avocat des intimés a reconnu que si l’ordonnance de la Cour annulait la décision du tribunal d’appel, tout ce qui avait suivi cette décision serait probablement sans effet, au plan juridique, y compris l’élection subséquente de M. Lavallée comme chef.

Après avoir entendu les arguments des parties, j’ai rejeté cette requête préliminaire. À mon avis, si la Cour devait rendre une ordonnance annulant la décision du tribunal d’appel, et si M. Lavallée ne renonçait pas au poste de chef, une demande pourrait être présentée par la suite en vue d’obtenir l’ordonnance appropriée pour assurer l’exécution de l’ordonnance annulant la décision du tribunal d’appel. J’ai dit aux avocats que j’envisagerais de demeurer saisi du dossier à cette fin.

L’avocat des intimés a présenté une deuxième requête préliminaire relativement à l’allégation de l’avocate du requérant selon laquelle le tribunal d’appel n’avait pas été dûment constitué. Plus précisément, l’avocat des intimés a plaidé que la question de la constitution du tribunal d’appel exigeait l’audition de témoins. Selon lui, il y avait des divergences entre la preuve par affidavit du requérant et celle des intimés, et la seule manière de résoudre ces divergences était d’entendre des témoins. Il a donc demandé que la demande soit traitée comme une action et que des témoins soient entendus sur cette question et d’autres.

L’avocate du requérant a prétendu qu’il y avait une preuve sur la manière dont le tribunal d’appel avait été constitué en 1989, preuve qui permettait de connaître les coutumes et la tradition qui se rapportaient à cette question. Par conséquent, la preuve par affidavit dont la Cour avait connaissance était suffisante.

J’ai décidé de mettre cette question en délibéré et j’ai demandé aux parties de plaider la requête en s’appuyant sur la preuve écrite. J’ai dit que la possibilité d’entendre des témoins pouvait être envisagée par la suite, si nécessaire. Vu ma décision en ce qui concerne la constitution du tribunal d’appel, il n’est pas nécessaire, pour résoudre cette question, d’entendre des témoins sur la coutume et la tradition, si bien que la requête des intimés est rejetée.

COMPÉTENCE DE LA COUR FÉDÉRALE

Le 19 mai 1992, M. Sparvier a demandé à la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan d’annuler la décision du tribunal d’appel. M. le juge McLean de cette Cour a statué que seule la Cour fédérale du Canada connaissait de la question soulevée dans la demande et a décliné sa compétence pour ce motif.

De l’avis des parties, cette Cour connaît de la présente demande. Cependant, parce que le consentement ne saurait conférer la compétence, je vais énoncer les motifs pour lesquels j’ai conclu que cette Cour connaît de la demande.

Aux termes du décret C.P. 6016, en date du 12 novembre 1951 [DORS/51-529], la bande indienne Cowessess no 73 devait élire le chef et les conseillers de la bande conformément aux dispositions de La Loi sur les Indiens [S.C. 1951, ch. 29]. Vers 1980, la bande Cowessess a adopté la « Cowessess Indian Reserve Elections Act », laquelle a codifié, en partie du moins, les coutumes de la bande pour choisir un chef et des conseillers. Ce rétablissement de la coutume de la bande a été approuvé par le gouvernement fédéral le 10 novembre 1980, lorsque le décret C.P. 6016 a été modifié par la radiation, de son annexe, de la bande indienne Cowessess. Cette mesure a fait en sorte que les membres de la bande Cowessess ne choisissent plus leurs chefs et leurs conseillers conformément à la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, ch. I-6], mais plutôt selon la coutume de leur bande. Par conséquent, la Cowessess Indian Reserve Elections Act, édictée par la bande indienne Cowessess no 73, régit maintenant l’élection du chef et des conseillers.

La présente demande est fondée sur l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] de la Loi sur la Cour fédérale. Pour que la Cour ait compétence, il faut démontrer que la décision contrôlée a été rendue par un « office fédéral », défini à l’article 2 [mod., idem , art. 1] de la Loi sur la Cour fédérale. L’article 2 dispose :

2. …

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Il est bien établi qu’aux fins d’un contrôle judiciaire, un conseil de bande indienne et les personnes qui sont censées exercer des pouvoirs sur les membres d’une bande indienne, et qui agissent conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens constituent un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Voir les jugements Trotchie c. La Reine et autres, [1981] 2 C.N.L.R. 147 (C.F. 1re inst.); Beauvais c. R., [1982] 1 C.F. 171 (1re inst.); et Rider v. Ear (1979), 103 D.L.R. (3d) 168 (Alb. 1re inst.). Dans l’arrêt Gabriel c. Canatonquin, [1978] 1 C.F. 124 (1re inst.); conf. par [1980] 2 C.F. 792 (C.A.), il a été jugé qu’un conseil de bande indienne relevait de la compétence de la Cour fédérale lorsque l’élection du conseil de la bande avait été tenue conformément à la coutume de la bande et non la Loi sur les Indiens. Au nom de la Cour, le juge Pratte, J.C.A., a affirmé ce qui suit à la page 793 :

Nous sommes tous d’avis que le jugement de première instance [[1978] 1 C.F. 124] a correctement statué que le conseil d’une bande indienne constitue un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale

Nous jugeons non fondée la prétention des appelants selon laquelle la Division de première instance n’a pas la compétence parce que le seul point en litige en l’espèce, soit la validité de l’élection des défendeurs au conseil de la bande, est régi par la coutume de la bande indienne et non par une loi fédérale.

Si l’arrêt Gabriel c. Canatonquin est bien fondé et si le conseil d’une bande indienne, élu conformément à la coutume de celle-ci, est un office fédéral au même titre que s’il avait été élu conformément à une loi fédérale comme la Loi sur les Indiens, il s’ensuit qu’un tribunal d’appel, élu conformément à la coutume de la bande indienne, serait pareillement un office fédéral.

En l’espèce, le tribunal d’appel tire son pouvoir de la coutume de la bande, y compris la Cowessess Indian Reserve Elections Act. Si l’on applique l’arrêt Gabriel c. Canatonquin, le tribunal d’appel est un office fédéral. Cette Cour connaît donc de la présente demande.

J’examine maintenant les questions de fond dont je suis saisi.

CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS

Le 2 mars 1992

Réunion extraordinaire du conseil de la bande.

Nomination du directeur des élections et de son adjoint.

La date de la présentation des candidats est fixée au 3 avril 1992.

Le conseil de la bande propose et choisit les membres du tribunal d’appel et leurs suppléants. Les membres choisis étaient Clifford Lerat, Bob Stevenson et Maryanne Lavallée. Si certains d’entre eux ne voulaient pas participer, Muriel Lavallée ou Sam Sparvier seraient invités à le faire.

Le 3 avril 1992

Date de la présentation des candidats.

Le 16 avril 1992

Réunion ordinaire du conseil de la bande.

Ratification du choix des membres du tribunal d’appel et d’un suppléant. Les membres étaient Sam Sparvier, Maryanne [ho]Lavallée et Muriel Lavallée. Le suppléant était Clifford Lerat.

Le 24 avril 1992

Élection du chef et des conseillers.

Résultats de l’élection :

Ken Sparvier

137

Terry Lavallée

121

Reynold Delorme

  86

Theresa Stevenson

  67

Tony Sparvier

  17

Total:

408

Le 30 avril 1992

Terry Lavallée dépose un avis d’appel au tribunal d’appel.

Le 4 mai 1992

Nouveau dépouillement du scrutin.

Avis du tribunal d’appel que l’appel de Terry Lavallée serait entendu le 5 mai 1992.

Le 5 mai 1992

Audience devant le tribunal d’appel.

Le 19 mai 1992

Le requérant intente un recours devant la Cour du Banc de la Reine. La Cour du Banc de la Reine décline sa compétence.

Le 22 mai 1992

Deuxième élection. Résultats de cette élection :

Terry Lavallée

220

Ken Sparvier

106

Theresa Stevenson

  21

Total:

347

ANALYSE

1.         Constitution du tribunal d’appel

Le premier argument de fond du requérant était que le tribunal d’appel n’était pas dûment constitué. Son avocate a soutenu que la Cowessess Indian Reserve Elections Act renfermait des dispositions qui reflétaient certaines coutumes et traditions de la bande en matière d’élections. En particulier, elle a attiré mon attention sur l’alinéa 6(4)a) de la Loi qui dispose :

[traduction] 6. (4) Un tribunal autorise ou refuse une audience d’appel.

a) Le tribunal sera élu avant la réunion de présentation des candidats et il sera composé de membres de la réserve Cowessess.

En l’espèce, la réunion de présentation des candidats a été tenue le 3 avril 1992. Or, selon l’avocate du requérant, le tribunal d’appel mentionné à l’alinéa 6(4)a) n’a été constitué que le 16 avril 1992. Toujours selon l’avocate du requérant, puisque le tribunal d’appel a été élu après la réunion de présentation des candidats, il n’a pas été constitué conformément à l’alinéa 6(4)a) et n’a aucun statut juridique. L’avocate du requérant a reconnu que la Loi n’était pas un « code » et qu’elle ne devait pas être considérée comme un texte législatif complet régissant toutes les questions qui se rapportaient à l’élection du chef et des conseillers de la bande. Cependant, elle a soutenu que la Loi renfermait des dispositions expresses en ce qui avait trait au tribunal d’appel et qu’elle prévoyait, en particulier, que celui-ci devait être constitué avant la réunion de présentation des candidats.

D’après l’avocate du requérant, si la Loi imposait une telle chronologie, c’était pour éviter que les membres de la bande participent, de façon partisane, à une réunion de présentation des candidats et qu’ils soient ensuite choisis pour siéger sur ce qui était censé être un tribunal d’appel impartial chargé de traiter les irrégularités électorales. L’avocate du requérant a également reconnu que les délais prévus à l’alinéa 6(4)a) de la Loi étaient peut-être nécessaires pour permettre au tribunal d’appel de traiter toute irrégularité électorale qui se produirait à n’importe quelle étape du processus d’élection, y compris le processus de présentation des candidats.

L’avocat des intimés a soutenu que si le tribunal d’appel n’avait pas été dûment constitué, la première élection elle-même n’aurait aucun effet juridique puisqu’une partie intégrante du processus électoral n’avait pas été dûment établie.

Les membres du tribunal d’appel avaient été proposés et choisis par le conseil de la bande à sa réunion du 2 mars 1992. Le choix des membres du tribunal, y compris le membre suppléant, a été confirmé le 16 avril 1992. Bien qu’à mon avis, l’on pourrait fort bien prétendre que les membres avaient été « élus » le 2 mars 1992, avant la réunion de présentation des candidats, je présumerai, pour les fins du présent jugement, qu’ils ne l’ont pas été et que les formalités prévues à l’alinéa 6(4)a) de la Loi n’ont pas été respectées.

Essentiellement, la question que je dois trancher est de savoir si l’inobservation de l’alinéa 6(4)a) de la Cowessess Indian Reserve Elections Act a pour effet d’invalider les actes du tribunal d’appel. Il faut donc se demander si l’alinéa 6(4)a) est impératif ou simplement directif.

L’arrêt le plus important dans ce domaine du droit a été rendu par la Chambre des lords dans l’affaire Montreal Street Railway Company v. Normandin, [1917] A.C. 170 (P.C.). Dans cette affaire, l’on avait prétendu que le verdict d’un jury devait être annulé vu que le shérif n’avait pas mis à jour la liste électorale à partir de laquelle étaient choisis les jurés éventuels. Aux pages 174 et 175, Sir Arthur Channel a affirmé ce qui suit au nom de la Chambre des lords :

[traduction] Il est nécessaire d’examiner les règles d’interprétation des lois de ce genre et la jurisprudence, dans la mesure où il y en a, sur le point particulier soulevé ici. La question de savoir si les dispositions d’une loi sont directives ou impératives a très souvent été soulevée dans notre pays, mais on a dit qu’il n’est pas possible d’établir une règle générale et que, dans chaque cas, il faut considérer l’objet de la loi. La jurisprudence sur le sujet est rassemblée dans Maxwell on Statutes, 5th ed., aux pages 596 et suivantes. Lorsque les dispositions d’une loi se rapportent à l’exécution d’un devoir public et que, dans un cas donné, déclarer nuls et non avenus des actes accomplis par manquement à ce devoir entraînerait pour des personnes qui n’ont aucun contrôle sur ceux chargés de ce devoir une injustice ou des inconvénients généraux graves, et en même temps n’aiderait pas à atteindre l’objet principal visé par le législateur, on conclut habituellement que ces dispositions ne sont que directives et que leur non-respect, bien qu’il puisse entraîner des sanctions, ne porte pas atteinte à la validité des actes accomplis. [C’est moi qui souligne.]

Dans le jugement Apsassin c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1988] 3 C.F. 20 (1re inst.), le juge Addy, après avoir entériné le passage précité de l’arrêt Montreal Street Railway, a affirmé ce qui suit à la page 71 de son jugement :

L’examen de l’objet de la Loi montre qu’une décision invalidant la cession pour la seule raison que les formalités prescrites par le paragraphe 51(3) n’ont pas été respectées ne favoriserait certainement pas la réalisation du principal objectif de la législation lorsque toutes les exigences essentielles ont été remplies. Il se pourrait fort bien que des personnes n’ayant aucune autorité sur ceux qui sont chargés de prouver l’observation des formalités prescrites subissent de ce fait de graves inconvénients ou fassent l’objet d’une injustice. Contrairement au paragraphe (1) qui porte qu’en cas d’inobservation de ces dispositions, la cession n’est ni valide ni obligatoire, le paragraphe 51(3) n’envisage pas les conséquences du non-respect de ses exigences. Je conclus donc que les dispositions du paragraphe 51(3) sont simplement supplétives [directives], et non impératives.

L’arrêt Montreal Street Railway a également été cité dans l’arrêt Simpson v. Attorney-General, [1955] N.Z.L.R. 271 (S.C.); conf. par [1955] N.Z.L.R. 276 (C.A.). Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si le Parlement de la Nouvelle-Zélande avait été dûment constitué vu que l’on n’avait apparemment pas demandé que les brefs d’élection soient rapportés dans le délai prévu par la loi pertinente. À la page 275, le juge en chef Barrowclough a affirmé ce qui suit :

[traduction] À mon sens, l’objet principal de cette loi est de maintenir la Chambre des représentants et non de la dissoudre; je suis convaincu que les dispositions de l’art. 101 qui prévoient les délais dans lesquels le mandat et les brefs doivent être décernés sont directifs et non impératifs; je suis également convaincu que le fait de ne pas avoir suivi, dans les délais prévus, les nombreuses formalités qui y sont prescrites ne saurait invalider l’élection.

L’objet principal de la Cowessess Indian Reserve Elections Act est de prévoir le mécanisme qui permet d’élire un chef et un conseil de bande conformément à la coutume de la bande. Le tribunal d’appel doit être élu pour traiter les pratiques électorales ou les pratiques illégales, corrompues ou criminelles des candidats, conformément à ce qui est prévu plus particulièrement au paragraphe 6(2) de la Loi :

[traduction] 6. (2) Les motifs d’appel se limitent à ce qui suit :

a) les pratiques électorales qui contreviennent à la présente loi;

b) les pratiques illégales, corrompues ou criminelles d’un candidat qui risquent de déconsidérer la grande intégrité du gouvernement indien de la réserve Cowessess.

À mon avis, il est important que le tribunal d’appel soit élu avant la réunion de présentation des candidats pour qu’il soit en place pendant tout le processus électoral afin de traiter les questions qui relèvent de sa compétence. Si le tribunal d’appel doit être constitué avant la réunion de présentation des candidats, c’est peut-être aussi pour que ses membres, dès le début, évitent de prendre part, de façon partisane, à l’élection. Cependant, ni l’une ni l’autre de ces raisons ne font croire que les délais prévus pour l’élection du tribunal d’appel aient une telle importance que leur inobservation, contraire à l’alinéa 6(4)a), doive entraîner la nullité juridique des actes d’un tribunal d’appel élu après une réunion de présentation des candidats.

À mon avis, le tribunal, une fois constitué, peut néanmoins entendre des appels même s’il a été élu après le commencement du processus électoral. Si un membre constate qu’il est devenu le partisan d’un candidat de sorte que cela soulève une crainte raisonnable de partialité, il devrait décliner son élection au tribunal d’appel.

Le fait d’invalider les actes d’un tribunal d’appel du seul fait qu’il a été élu après la date de la présentation des candidats pourrait très bien entraîner, pour des membres de la bande qui n’ont aucun contrôle sur ceux chargés de faire respecter la Loi, une injustice ou des inconvénients graves. Je suis convaincu que la disposition en vertu de laquelle le tribunal d’appel doit être élu avant la réunion de présentation des candidats est, d’après l’économie de la Loi, directive et non impérative, et que le non-respect de cette disposition n’a pas empêché le tribunal d’appel d’être dûment constitué. En outre, le non-respect de cette disposition n’invalide pas le processus électoral ou les actes ou ordonnances du tribunal d’appel.

2.         Excès de pouvoirRésidence

En l’espèce, le tribunal d’appel a jugé invalide le scrutin du 24 avril 1992, au cours duquel le requérant a été élu chef parce que deux des cinq candidats ne remplissaient pas les conditions en matière de résidence prévues par la Loi. Dans sa décision, le tribunal a affirmé ce qui suit :

[traduction] (1) Après avoir mûrement délibéré, et vu les dispositions de la Cowessess Band Election Act [sic], nous concluons que les deux candidats au poste de chef, c’est-à-dire Reynold Delorme et C. Tony Sparvier ne sont pas des « résidents » au sens de la Cowessess Band Election Act [sic]. Par conséquent, le tribunal ordonne que les noms de ces deux candidats soient rayés du bulletin de vote et qu’une nouvelle élection pour le poste de chef soit tenue, attendu que les noms des autres candidats figureront tels quels sur le nouveau bulletin de vote. Le poste de chef demeurera vacant jusqu’à ce que les résultats de cette élection soient connus. Cette nouvelle élection doit être tenue le plus tôt possible, à la date fixée par le directeur des élections.

La question de la résidence est traitée au paragraphe 2(7) de la Loi. Ce paragraphe dispose :

[traduction] 2. (7) Tous les candidats aux postes de chef et de conseillers doivent déposer des documents de présentation des candidats pour montrer qu’ils ne sont pas en conflit d’intérêts. Les candidats doivent avoir été résidents de la réserve depuis un an avant la présentation des candidats.

L’avocate du requérant a soutenu que le tribunal d’appel n’avait pas compétence pour statuer sur la résidence puisque cette question n’intéressait pas une pratique électorale ou une pratique illégale, corrompue ou criminelle visée par le paragraphe 6(2) de la Loi. Elle a soutenu que la compétence du tribunal d’appel était étroitement circonscrite par le paragraphe 6(2) et que cette compétence n’était censée porter que sur les questions de procédure dans le cours d’une élection. En outre, elle a fait valoir que la question de résidence n’était pas claire puisque les expressions « résident » ou « résidence » n’étaient pas définies dans la Loi. Enfin, elle a affirmé que l’on ne pouvait pas raisonnablement prétendre que les candidats dont la résidence était contestée avaient participé à une pratique illégale, corrompue ou criminelle.

L’avocat des intimés a plaidé que les deux candidats dont la résidence était contestée avaient signé un consentement à leur mise en candidature, déclarant qu’à leur connaissance, ils étaient habiles à être présentés comme candidats, à être élus et à occuper le poste de chef. Il a soutenu que le processus de mise en candidature, et de consentement à celle-ci, était une pratique électorale et qu’en se déclarant éligibles, les intéressés ont fait une fausse déclaration en ce qui a trait à leur résidence. Par conséquent, le tribunal d’appel connaissait de cette affaire.

Après avoir examiné la Loi, j’ai conclu que le tribunal d’appel n’a pas excédé sa compétence en rendant sa décision en matière de résidence. Le tribunal d’appel est le seul tribunal établi par la Loi pour traiter les infractions à celle-ci. Il se voit conférer le pouvoir de maintenir l’élection ou d’en ordonner une nouvelle. Le paragraphe 6(7) de la Loi dispose :

[traduction] 6. (7) La décision du groupe (6.6) est finale en ce qui a trait à l’élection. Le tribunal peut :

a) soit maintenir l’élection;

b) soit ordonner la tenue d’une nouvelle élection pour les postes qui font l’objet de l’appel seulement.

Selon l’interprétation préconisée par l’avocate du requérant, les expressions « pratiques électorales » et « pratiques illégales », employées au paragraphe 6(2), viseraient uniquement les questions relatives aux procédures d’élection. Cette interprétation exclurait la question de résidence qui, selon elle, porte sur l’éligibilité des candidats et non sur les procédures d’élection.

Je ne puis souscrire à cette distinction. Bien que je comprenne l’interprétation que préconise l’avocate du requérant, celle-ci n’a pas expliqué pourquoi les rédacteurs de la Loi auraient voulu exclure la question de la résidence de la compétence du tribunal d’appel. La Loi ne renferme aucune autre disposition sur la non-résidence de candidats. Si le tribunal d’appel ne connaît pas de la question, il s’ensuivrait qu’un non-résident qui était proposé comme candidat pourrait devenir un conseiller ou un chef contrairement à la Loi.

Selon l’avocate du requérant, c’est au cours d’une réunion de présentation des candidats qu’une telle question devrait être soulevée. Cependant, les personnes qui votent à une réunion de présentation des candidats doivent quand même respecter les dispositions de la Loi. Si l’exigence en matière de résidence doit avoir un sens, il faut pouvoir la faire respecter. Il me semble que l’instance devant le tribunal d’appel est le moyen légal de faire respecter cette exigence.

À mon avis, l’expression « pratiques électorales » comprend la question de l’éligibilité d’un candidat. En outre, le fait pour un non-résident de se porter candidat reviendrait à commettre une illégalité puisqu’il contrevient au paragraphe 2(7) de la Cowessess Indian Reserve Elections Act. Par conséquent, je conclus que la question de la résidence des candidats relève de la compétence du tribunal d’appel en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi.

La notion de résidence n’est pas définie dans la Loi. Cependant, le tribunal d’appel n’est pas empêché pour autant de traiter la question. Les cours de justice doivent régulièrement interpréter des mots qui ne sont pas définis dans la législation pertinente.

3.         Erreurs de procédure

L’avocate du requérant a soutenu que le tribunal d’appel avait commis un certain nombre d’erreurs de procédure. Elle a d’abord allégué qu’un membre du tribunal d’appel, Clifford Lerat, avait fait des remarques désobligeantes envers le requérant à l’audience devant le tribunal d’appel. Bien que M. Lerat n’ait pas participé au vote du tribunal d’appel, l’avocate du requérant a prétendu que sa présence et ses commentaires avaient créé une crainte de partialité en ce qui a trait à la procédure et à la décision du tribunal. En outre, l’avocate du requérant a allégué que Muriel Lavallée, un autre membre du tribunal, avait loué une terre agricole à Terry Lavallée, le requérant devant le tribunal d’appel. Selon elle, cette situation a également suscité une crainte raisonnable de partialité. Enfin, sur la question de la partialité, l’avocate du requérant a plaidé qu’une question relative à la résidence de l’un des conseillers élus avait été soulevée devant le tribunal d’appel, mais que celui-ci n’en avait jamais traité.

L’avocate du requérant a également soutenu que le tribunal n’avait pris connaissance d’aucune preuve qui lui aurait permis de statuer sur la résidence des candidats. Par conséquent, affirme-t-elle, le tribunal a dû statuer en se fondant sur des renseignements qui n’avaient pas été mis en preuve.

L’avocate du requérant a également plaidé que son client n’avait été avisé de l’audience qu’un seul jour à l’avance et que cela revenait à ne pas avoir été avisé du tout, que l’audience n’avait pas été ouverte et que la nature de l’audience elle-même n’avait pas été clairement communiquée aux parties. Elle a donc fait valoir que même si le tribunal avait été dûment constitué et qu’il avait statué dans les limites de sa compétence, sa procédure était à ce point viciée que la décision ne pouvait être maintenue de toute façon.

En ce qui a trait à la présence de M. Lerat, l’avocat des intimés a soutenu qu’il n’y avait aucune preuve comme quoi il avait influencé la décision du tribunal d’appel. Quant à Muriel Lavallée, l’avocat des intimés a plaidé qu’aucune procédure ne pouvait être suivie sans que les intéressés n’aient entre eux quelque lien de parenté ou rapport créant une crainte de partialité, vu la petite taille des bandes et le fait que dans plusieurs cas, une bande ne comprenait que quelques familles. Selon l’avocat des intimés, l’application stricte d’une telle règle irait à l’encontre de la tendance en faveur d’une autonomie politique accrue pour les Indiens.

Sur la question de l’avis, l’avocat des intimés a fait valoir que rien n’indiquait que le requérant s’était plaint de ne pas avoir été avisé en temps voulu et que le requérant avait effectivement assisté à la réunion du tribunal d’appel et qu’il avait présenté des observations. L’avocat des intimés a également affirmé que le requérant savait que la résidence était la question en litige puisque la veille de la réunion, il avait mis en doute la compétence du tribunal d’appel en la matière.

Selon l’avocat des intimés, la procédure suivie par le tribunal d’appel était conforme à la coutume de la bande. Richard Redman, le directeur des élections de la bande, a affirmé ce qui suit au paragraphe 24 de son affidavit :

[traduction] 24. La procédure suivie par le tribunal à l’audience était conforme à la coutume de la bande.

L’avocat des intimés prétend que parce que la procédure du tribunal d’appel était conforme à la coutume de la bande, le degré de justice naturelle ou d’équité procédurale auquel le requérant avait droit était minime. Selon lui, en décider autrement aurait pour effet d’invalider les procédures suivies par toutes les autres bandes au Canada qui élisent leurs dirigeants selon leurs propres coutumes, puisque la Cour se trouverait simplement à imposer ses propres règles de procédure à la place des procédures coutumières de la bande.

L’avocat des intimés n’a cité aucune jurisprudence ou doctrine selon laquelle les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale ne doivent pas être appliqués dans les cas où la coutume de la bande prescrit les procédures que doivent suivre les tribunaux de bande.

Bien que j’accepte l’importance d’un processus autonome pour l’élection des gouvernements de bandes, j’estime que des normes minimales de justice naturelle ou d’équité procédurale doivent être respectées. Je reconnais pleinement que les tribunaux doivent éviter de s’immiscer dans le mouvement politique des peuples autochtones en vue d’acquérir plus d’autonomie. Cependant, les membres des bandes sont des individus qui, à mon sens, ont le droit à ce que les tribunaux suivent une procédure équitable dans les instances qui les concernent. Dans la mesure où cette Cour a compétence, les principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale doivent être appliqués.

Pour décider quels « principes » doivent s’appliquer en l’espèce, j’ai tenu compte de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer , [1992] 3 R.C.S. 165, où, à la page 195 de l’arrêt, le juge Gonthier a affirmé ce qui suit pour la majorité :

Le contenu des principes de justice naturelle est souple et dépend des circonstances dans lesquelles la question se pose. Toutefois, les exigences les plus fondamentales sont la nécessité d’un avis, la possibilité de répondre et l’impartialité du tribunal. [C’est moi qui souligne.]

En l’espèce, il y a un tribunal d’appel qui a le pouvoir de prendre des décisions qui touchent les élections et les droits des candidats à ces élections. En vertu de ses pouvoirs, il peut maintenir une élection ou en ordonner une nouvelle. Il est tenu d’entendre les appels dans lesquels sont alléguées des pratiques électorales contraires à la Loi ou des pratiques illégales, corrompues ou criminelles de la part des candidats.

Dans les documents dont j’ai pris connaissance, les avocats ont employé indifféremment les expressions « justice naturelle » et « équité procédurale ». Depuis l’arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police , [1979] 1 R.C.S. 311, il n’est plus nécessaire de qualifier les fonctions exercées par les tribunaux de judiciaires, de quasi judiciaires ou d’administratives pour savoir si les principes de la justice naturelle s’appliquent. L’arrêt Nicholson a introduit la notion d’équité procédurale qui s’appliquait à tous les tribunaux, qu’ils exercent des fonctions judiciaires, quasi judiciaires ou administratives.

Dans l’arrêt Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S 602, le juge Dickson (tel était alors son titre), dans un jugement concordant mais distinct de celui de la majorité, a affirmé ce qui suit à la page 629 :

En général, les cours ne devraient pas tenter de distinguer ces concepts l’un de l’autre [la justice naturelle et l’équité procédurale], car tracer une distinction entre une obligation d’agir équitablement et celle d’agir selon les règles de la justice naturelle conduit à un cadre conceptuel de maniement difficile.

À la page 630, il affirmé ce qui suit :

À mon avis, il est erroné de considérer la justice naturelle et l’équité comme des normes distinctes et séparées et de chercher à définir le contenu procédural de chacune.

Par conséquent, dans le présent jugement, j’emploierai l’expression « équité procédurale ».

Je suis convaincu que le tribunal d’appel, en l’espèce, avait l’obligation d’agir conformément aux règles de l’équité procédurale. Dans l’arrêt Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, le juge Le Dain a affirmé ce qui suit à la page 661 :

Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit.

Il n’y a aucun doute que les candidats à une élection de bande sont touchés par une décision d’un tribunal d’appel. Que les fonctions exercées par le tribunal d’appel soient considérées comme judiciaires, quasi judiciaires ou administratives, une audition équitable est essentielle.

Vu cette conclusion, je suis d’avis que les exigences fondamentales énoncées par le juge Gonthier dans l’arrêt Hofer, (précité), s’appliquent au tribunal d’appel de la bande indienne Cowessess no 73. Ces conditions sont : l’impartialité du tribunal, la nécessité d’un avis et la possibilité de répondre.

a.         La partialité

La question de la partialité touche directement à la validité des actes du tribunal d’appel. La règle sous-jacente en matière de partialité est fondée sur la maxime maintes fois citée du lord juge en chef Hewart, tirée de l’arrêt Rex. v. Sussex Justices. Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256, à la page 259 :

[traduction] … il ne suffit pas que justice soit rendue, mais il doit apparaître clairement et manifestement qu’elle est rendue.

Le critère de la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Granpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique… »

L’application du critère de la crainte raisonnable de partialité dépendra de la nature du tribunal en cause. Dans l’arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, le juge Cory affirme ce qui suit aux pages 638 et 639 :

De toute évidence, il existe une grande diversité de commissions administratives. Celles qui remplissent des fonctions essentiellement juridictionnelles devront respecter la norme applicable aux cours de justice. C’est-à-dire que la conduite des membres de la commission ne doit susciter aucune crainte raisonnable de partialité relativement à leur décision. À l’autre extrémité se trouvent les commissions dont les membres sont élus par le public. C’est le cas notamment de celles qui s’occupent de questions d’urbanisme et d’aménagement, dont les membres sont des conseillers municipaux. Pour ces commissions, la norme est nettement moins sévère. La partie qui conteste l’habilité des membres ne peut en obtenir la récusation que si elle établit que l’affaire a été préjugée au point de rendre vain tout argument contraire. Les commissions administratives qui s’occupent de questions de principe sont dans une large mesure assimilables à celles composées de conseillers municipaux en ce sens que l’application stricte du critère de la crainte raisonnable de partialité risquerait de miner le rôle que leur a précisément confié le législateur.

À mon avis, le tribunal exerce des fonctions juridictionnelles. Il est chargé de trancher des appels fondés sur des infractions à la Cowessess Indian Reserve Elections Act ou sur des pratiques illégales, corrompues ou criminelles des candidats. Même si les membres du tribunal d’appel n’ont pas nécessairement de formation juridique, ils sont apparemment appelés à décider, en se fondant sur les faits et leur application de la Loi ou d’autres coutumes ou traditions de la bande ou peut-être d’autres lois, de maintenir ou non une élection ou d’ordonner une nouvelle élection. Les membres ne sont pas élus par le public. Bien que la Loi emploie l’expression « élu », les membres sont choisis par le conseil de la bande.

Ceci m’amène à conclure qu’en l’absence de motifs irrésistibles, il serait souhaitable, dans le cas du tribunal d’appel, d’appliquer de façon plus rigoureuse le critère de la crainte raisonnable de partialité. Je ferai d’autres commentaires plus loin sur la question des motifs contraires irrésistibles. Cependant, j’ajouterais qu’à la lumière des faits en l’espèce, une application moins stricte du critère m’amène à la même conclusion que celle à laquelle je serais arrivé si j’avais appliqué le critère de façon plus rigoureuse.

En l’espèce, pendant l’audience tenue devant le tribunal d’appel, Clifford Lerat a fait des remarques désobligeantes envers le requérant. Au paragraphe 23 de son affidavit en date du 19 mai 1992, le requérant affirme ce qui suit :

[traduction] 23. Même avant que je ne commence mon intervention, Clifford Lerat m’a dit « Kenny, tu as toujours été contre moi depuis le début. » J’ai répondu que j’étais là seulement pour faire mon intervention.

Des commentaires du même acabit ont apparemment été faits à un autre membre de la bande à sa comparution devant le tribunal. Au paragraphe 4 de son affidavit en date du 19 mai 1992, Clifford Young fait la déclaration suivante :

[traduction] 4. Même avant que je ne commence mon intervention, Clifford Lerat s’est levé et a dit « Je veux que tu saches que nous faisons ceci parce que Kenny (c’est-à-dire Ken Sparvier) est trop méchant envers le peuple et c’est pourquoi nous avons ce type pour le destituer. » Clifford Lerat a pointé du doigt le directeur des élections, Richard Redman, pendant qu’il faisait ce commentaire. Les autres personnes dans la salle ont entendu Clifford Lerat, mais elles n’ont rien dit.

L’affidavit de M. Redman renferme les renseignements suivants :

[traduction] 19. Pendant cette audience, Clifford Lerat a fait plusieurs affirmations désobligeantes sur le chef désigné, Ken Sparvier.

20. J’ai dit que je ne pouvais pas destituer Clifford Lerat puisqu’il ne m’appartenait pas de la faire et parce qu’il avait le droit à ses propres opinions et qu’il avait le droit de participer au processus électoral en appuyant le candidat de son choix.

21. Après l’intervention de Ken Sparvier, celui-ci a quitté la pièce et les membres du tribunal ont commencé à délibérer; Clifford Lerat a accepté de son propre gré de se récuser comme membre du tribunal car il estimait ne pas être en mesure de rendre une décision impartiale à cause de l’inimitié qu’il avait envers Ken Sparvier.

22. Par conséquent, le tribunal a continué à agir par la voie de ses autres membres, Muriel Lavallée et Samuel Sparvier.

Les actes de M. Lerat ont engendré plus qu’une crainte raisonnable de partialité. Il ressort clairement de la preuve qu’à l’égard du requérant, il avait effectivement un parti pris. S’il n’y avait eu qu’une simple crainte de partialité d’un membre d’une commission dont les actes étaient dictés par des questions de principe, l’incident n’aurait peut-être pas été fatal. Cependant, dans un cas comme celui-ci, lorsque le parti pris d’un membre d’une commission exerçant des fonctions juridictionnelles, comme le tribunal d’appel, ne fait aucun doute, même s’il y a application indulgente du critère, l’on ne saurait faire abstraction de ce parti pris. Après tout, une application indulgente du critère ne signifie pas que celui-ci ne doive pas être appliqué du tout.

Apparemment, M. Lerat n’a pas participé au vote du tribunal d’appel. Cependant, le fait qu’il n’ait pas voté ne résout pas la question. Dans l’arrêt Regina v. Ont. Labour Relations Bd., Ex p. Hall, [1963] 2 O.R. 239 (H.C.), le juge en chef McRuer, de la Haute Cour, affirme ce qui suit à la page 243 :

[traduction] Selon une autre règle bien établie, s’il est prouvé qu’un membre d’une commission a un parti pris, la décision de la commission peut être annulée au moyen d’un bref de certiorari : voir les arrêts The Queen v. Meyer et al. (1875), 1 Q.B.D. 173, et Frome United Breweries Co. v. Keepers of the Peace and Justices for County Borough of Bath, [1926] A.C. 586, à la p. 591. Dans l’arrêt Frome, le vicomte Cave a exprimé mieux que quiconque les grand principes juridiques qu’il faut appliquer en l’espèce. À la p. 590, il a affirmé ce qui suit :

Vos seigneuries, s’il est un principe qui fasse partie intégrante du droit anglais, c’est que chaque membre d’un corps saisi d’une instance judiciaire doit être en mesure d’agir judiciairement; les tribunaux ont statué à maintes reprises que si un membre d’un tel corps était susceptible d’avoir un parti pris (d’ordre pécuniaire ou autre) en faveur d’une partie au litige, ou contre elle, ou s’il se trouvait dans une situation qui fît nécessairement présumer d’un parti pris, il ne devrait pas prendre part à la décision ni même siéger comme membre du tribunal. Cette règle a été affirmée, non seulement dans le cas des cours de justice et d’autres tribunaux judiciaires, mais aussi dans le cas d’autorités qui, quoiqu’elles ne puissent d’aucune façon être assimilées à des cours, doivent statuer sur les droits d’autrui. (C’est moi qui mets en italique.)

À la p. 591, le vicomte Cave a poursuivi en ces termes :

De la règle précédente, il s’ensuit nécessairement qu’un membre d’un corps comme celui que j’ai décrit ne peut être à la fois juge et partie dans le même litige et que s’il s’est lui-même porté partie, il ne peut siéger ou agir comme juge, et que s’il le fait, la décision de tout le corps sera viciée.

Cette règle du « puits empoisonné » est résumée par le juge Esson, J.C.A., dans l’arrêt Haight-Smith v. Kamloops School District No. 34 (1988), 51 D.L.R. (4th) 608 (C.A.C.-B.), à la page 614 :

[traduction] La règle applicable est la suivante : si une personne inhabile à cause d’un parti pris est présente à une audience et qu’elle siège ou délibère avec le tribunal, la décision peut être annulée même si la personne n’a aucunement participé à la décision et qu’elle ne l’a pas vraiment influencée.

Dans l’ouvrage Administrative Law (2e éd.), de Mullan, à la page 3-131, le savant auteur affirme succinctement la conséquence habituelle :

[traduction] Il suffit qu’un seul membre du tribunal suscite une crainte raisonnable de partialité pour rendre tout le tribunal inhabile, même si ce membre n’a fait que siéger à l’audience, sans y avoir joué de rôle actif et sans avoir participé aux délibérations subséquentes. Généralement, sa simple présence suffit.

D’après la preuve dont j’ai connaissance, il est clair que M. Lerat a siégé avec le tribunal d’appel à l’audience. Bien que la preuve indique qu’il se soit récusé comme membre du tribunal d’appel à cause du parti pris avoué de sa part, il a apparemment joué un rôle actif à l’audience jusqu’à ce moment-là. À mon avis, il faut nécessairement conclure qu’un observateur relativement bien renseigné percevrait de la partialité chez le tribunal d’appel à cause de l’opinion avouée de M. Lerat en faveur de la destitution du requérant et de sa participation à l’audience tenue devant le tribunal d’appel. Ceci a fatalement vicié l’instance et la décision du tribunal d’appel.

Vu cette conclusion, il ne m’est pas nécessaire de statuer sur l’allégation du requérant selon laquelle la présence de Muriel Lavallée sur le tribunal d’appel pouvait également susciter une crainte de partialité. Cependant, il y a peut-être lieu de faire quelques commentaires. Muriel Lavallée a loué une terre agricole au requérant, Terry Lavallée, avant la constitution du tribunal d’appel, si bien qu’il existait entre eux des relations commerciales de locateur et de locataire.

Dans l’arrêt Szilard v. Szasz, [1955] R.C.S. 3, le juge Rand a affirmé ce qui suit aux pages 6 et 7 :

[traduction] Ces arrêts illustrent en quoi des relations commerciales ou personnelles peuvent, par leur nature ou par leur étroitesse, mettre l’impartialité en doute à tel point qu’une partie à l’arbitrage peut contester la légitimité du tribunal établi. C’est la probabilité ou le soupçon raisonnable que l’évaluation et le jugement soient empreints de partialité, même involontaire, qui vicie le jugement dès le départ. Chaque partie, agissant raisonnablement, a le droit de pouvoir compter constamment sur l’indépendance d’esprit de ceux qui porteront jugement sur elle et sur ses affaires.

La bande indienne Cowessess n’est pas nombreuse. Au total, 408 électeurs ont voté le 24 avril 1992. Au plan de la taille de la collectivité en cause, la bande Cowessess est, à mon avis, analogue aux associations religieuses volontaires dont parlait le juge Gonthier dans l’arrêt Hofer, précité, dans lequel il a affirmé ce qui suit à la page 197 :

Cependant, vu les liens étroits qui existent entre les membres d’associations volontaires, il semble assez probable que les membres du tribunal pertinent auront déjà eu connaissance jusqu’à un certain point de la question en litige et, compte tenu de la structure de l’association volontaire, il est presque inévitable que les décideurs auront à tout le moins un intérêt direct dans cette question.

Comme je l’ai mentionné précédemment, vu que le tribunal d’appel exerçait une fonction juridictionnelle, et en l’absence de motifs contraires irrésistibles, il serait souhaitable d’appliquer plus rigoureusement le critère de la crainte raisonnable de partialité. Cependant, il ne me semble pas réaliste de s’attendre à ce que les membres du tribunal d’appel qui résident dans la réserve n’aient eu aucun contact social, familial ou commercial avec un candidat à une élection. Au paragraphe 15 de son affidavit en date du 16 juin 1992, Lionel Sparvier affirme ce qui suit :

[traduction] 15. Conformément à la coutume de la bande indienne Cowessess, les membres du tribunal sont choisis parmi les membres de la bande, et ces membres ont invariablement des liens de parenté avec un ou plusieurs candidats aux postes de conseillers ou de chef, vu le grand nombre de candidats qui se présentent aux élections d’habitude.

Si on devait appliquer rigoureusement le critère de la crainte raisonnable de partialité, la légitimité des membres d’organismes décisionnels comme le tribunal d’appel, dans les bandes peu nombreuses, serait constamment contestée pour des motifs de partialité découlant des liens de parenté qu’un membre de l’organisme décisionnel avait avec l’un ou l’autre des candidats éventuels. Une application aussi rigoureuse des principes relatifs à la crainte de partialité risque de mener à des situations où le processus électoral serait constamment menacé par de telles allégations. Comme l’a affirmé l’avocat des intimés, une telle paralysie de la procédure pourrait compromettre l’élection autonome des gouvernements de bandes.

Pour éviter ces difficultés, les membres d’un tribunal d’appel pourraient être choisis parmi des non-résidents de la réserve, peut-être réciproquement avec d’autres bandes. Cependant, un tel processus pourrait créer d’autres difficultés ou être impossible à maintenir dans le cas d’une bande indienne autonome. Il s’agit là de questions de principe mises en évidence par les questions soulevées en l’espèce.

Cependant, la Cour doit agir dans le cadre du droit existant. Si j’ai ajouté ces commentaires, c’est à cause des difficultés que pose, à mon sens, l’application d’un critère strictet plus souhaitableen matière de partialité dans le cas d’une commission exerçant des fonctions juridictionnelles, comme le tribunal d’appel, aux réalités concrètes des relations sociales et commerciales qui existent inévitablement dans une petite collectivité comme la bande Cowessess.

Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le tribunal d’appel n’a pas statué sur la contestation de l’élection de l’un des conseillers de la bande au motif qu’il n’était pas résidant, on ne m’a pas présenté suffisamment de faits qui indiquent pourquoi le tribunal d’appel a refusé de se prononcer sur cette question. Faute de renseignements supplémentaires, je ne peux pas dire qu’un observateur relativement bien renseigné pourrait percevoir de la partialité chez le tribunal en ce qui a trait aux candidats au poste de chef à cause de l’inaction du tribunal relativement à l’élection d’un conseiller de bande.

b)         La nécessité d’un avis

Bien qu’il ne soit pas nécessaire de statuer sur la question de savoir si un avis suffisant a été donné, vu ma décision sur la partialité, quelques commentaires pourraient se révéler utiles.

Le 4 mai 1992, le requérant, probablement avec d’autres, s’est rendu à l’école Old Day, dans la réserve Cowessess, pour observer un nouveau dépouillement du scrutin du 24 avril 1992. À ce moment-là, le tribunal d’appel était composé de Sam Sparvier, Muriel Lavallée et Maryanne Lavallée. Maryanne Lavallée s’est ensuite récusée, à cause d’un conflit d’intérêts (elle était la mère de Terry Lavallée, le requérant devant le tribunal d’appel), et elle a été remplacée par Clifford Lerat. Ce tribunal nouvellement constitué a eu en entretien avec M. Redman et a conclu qu’il y avait suffisamment de preuves pour justifier la tenue d’une audience d’appel. Immédiatement après cette décision, M. Redman a annoncé que le tribunal d’appel entendrait l’appel à 9 h le lendemain matin, le 5 mai 1992.

Il est indéniable que l’appel porté devant le tribunal intéressait directement le requérant. Le tribunal devait, soit confirmer, soit annuler son élection au poste de chef. Selon l’avocate du requérant, l’avis en l’espèce, donné environ douze heures d’avance, était insuffisant.

La Cowessess Indian Reserve Elections Act est silencieuse sur la question de l’avis, et la jurisprudence ne précise pas, en fonction d’un nombre d’heures ou de jours, ce que constitue ou non un avis suffisant. Dans chaque cas, le caractère suffisant de l’avis doit être apprécié à la lumière des faits. Manifestement, un délai d’avis de moins de douze heures est très court. Un délai d’avis si court soulève un certain nombre d’inquiétudes : a) les intéressés risquent de ne pas être disponibles; b) il n’y a pratiquement pas de temps pour enquêter sur les faits qui se rapportent à l’objet de l’appel; c) il est déraisonnable de s’attendre à ce que les participants organisent et préparent leurs observations de façon adéquate. Aucune preuve au dossier n’indique que le tribunal était contraint d’entendre l’appel après un si bref délai d’avis.

Il est vrai que le requérant avait effectivement été avisé et qu’il était présent à l’audience devant le tribunal d’appel. Cependant, sa présence n’empêche pas qu’il était dans une situation désavantageuse du fait qu’il a dû agir sans avoir eu l’occasion adéquate d’enquêter sur la question et de préparer ses observations. Je crois qu’il est raisonnable de conclure que la participation du requérant ne représentait pas un véritable consentement à la tenue de l’audience devant le tribunal d’appel et qu’il n’a pas renoncé à son droit à un avis suffisant.

c)         L’occasion d’être entendu par le tribunal

Vu mes conclusions sur la partialité, il ne m’est pas nécessaire de me prononcer sur la question de savoir si les participants ont eu une occasion raisonnable d’être entendus par le tribunal d’appel ou si le tribunal d’appel avait connaissance d’une preuve qui lui permettait de statuer sur la question dont il était saisi. Cependant, je ferais remarquer qu’en fait, ce qui était en jeu dans l’instance devant le tribunal d’appel, c’était le poste du requérant comme chef désigné. Le fait que le requérant n’ait pas été présent pendant que d’autres présentaient des observations nous amène à nous demander s’il était en mesure de connaître les arguments auxquels il devait répondre. J’ai de graves doutes sur la légalité d’une procédure qui permet à ceux qui veulent se faire entendre de le faire, mais qui les empêche d’écouter ce que d’autres ont à dire ou de réfuter une preuve ou des arguments contraires.

Dans l’arrêt Kane c. Conseil d’administration (Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105, le juge Dickson, tel était alors son titre, a affirmé ce qui suit, pour la majorité, aux pages 1113 et 1114 :

4. Le tribunal doit entendre équitablement les deux parties au litige afin de leur donner la possibilité [traduction] « de rectifier ou de contredire toute déclaration pertinente préjudiciable à leurs points de vue ». Board of Education v. Rice, à la p. 182; Local Government Board v. Arlidge, précité, aux pp. 133 et 141.

5. C’est un principe fondamental de notre droit qu’à moins d’être autorisée à agir ex parte de façon expresse ou nettement implicite, une juridiction d’appel ne doit pas avoir d’entretiens privés avec les témoins (de Smith, Judicial Review of Administrative Action (3e éd.) 179) ou, a fortiori, entendre des témoignages en l’absence de la partie dont la conduite contestée fait l’objet de l’examen. Cette partie doit, selon lord Denning dans Kanda v. Government of the Federation of Malaya, à la p. 337 [traduction] « … connaître la preuve réunie contre [elle]. [Cette dernière] doit être informé[e] des témoignages et des déclarations qui l’intéressent et avoir la possibilité de les rectifier ou de les contredire … quiconque appelé à rendre une décision ne doit pas recueillir des témoignages ou entendre des arguments d’une partie dans le dos de l’autre. »

À mon sens, le tribunal d’appel n’a pas suivi ces règles fondamentales d’équité procédurale en l’espèce.

En ce qui a trait à la question de savoir si le tribunal d’appel avait connaissance d’une preuve qui lui permettait de statuer sur la question de la résidence des candidats, je n’ai pas suffisamment de renseignements pour trancher cette question. Le tribunal d’appel n’a pas fait dresser de procès-verbal de l’audience tenue devant lui. Lorsque la décision d’un tribunal est contestée au motif qu’elle a été rendue sans preuve, il serait souhaitable que ceux qui souhaitent maintenir la décision indiquent la preuve dont le tribunal avait connaissance, s’il en est.

4.         Erreur dans l’établissement du mécanisme électoral

Enfin, l’avocate du requérant a plaidé que, même si son client devait échouer sur tous les autres points, le tribunal d’appel a commis une erreur en établissant lui-même la procédure de l’élection qu’il a ordonnée. L’avocate du requérant a soutenu qu’en vertu du paragraphe 6(7) de la Loi, la compétence du tribunal d’appel se limitait au pouvoir d’ordonner une nouvelle élection et de s’en tenir, au plan procédural, aux dispositions de la Loi.

Vu mes conclusions sur la partialité, il ne m’est pas nécessaire de statuer sur cette question. Cependant, j’ajouterais que pour éviter ce genre de controverse, toute ordonnance rendue par un tribunal d’appel relativement à une nouvelle élection devrait être conforme aux dispositions de la Loi et aux autres coutumes et traditions pertinentes.

RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS

1. Le tribunal d’appel a été validement constitué.

2. Le tribunal d’appel a compétence pour statuer sur la résidence des candidats aux fins de leur habilité.

3. La capacité des membres du tribunal d’appel d’examiner la question de la résidence de façon impartiale a été minée par la présence et la participation de Clifford Lerat à l’instance devant le tribunal d’appel. Sa participation a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité du tribunal d’appel dans son ensemble. Le requérant n’a par conséquent pas joui de l’équité procédurale à l’instance devant le tribunal d’appel.

DISPOSITIF

Le paragraphe 18.1(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale dispose :

18.1

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

Normalement, si la Cour conclut qu’il y a crainte raisonnable de partialité équivalant à un déni d’équité procédurale par un tribunal, elle annule la décision de celui-ci. Selon les circonstances, la Cour peut renvoyer l’affaire pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées.

Si la Cour annulait la décision du tribunal d’appel en l’espèce, sans plus, les résultats de l’élection du 24 avril 1992 seraient rétablis. À mon sens, un tel résultat serait insatisfaisant pour plusieurs raisons. Au fond, pour des motifs de procédure, ce serait la Cour, plutôt que les membres de la bande, qui désignerait le chef de la bande indienne Cowessess no 73. Par ailleurs, un appel validement déposé auprès du tribunal d’appel demeurerait non résolu. La question de la résidence des candidats et de la validité de l’élection du 24 avril 1992 ne serait pas réglée. Le requérant devrait alors assumer ses fonctions de chef et les remplir dans une atmosphère d’équivoque.

Ces résultats insatisfaisants pourraient être évités si, en plus d’annuler la décision du tribunal d’appel, la Cour renvoyait l’affaire devant un tribunal d’appel différemment constitué pour qu’il statue de nouveau sur la question de la résidence, en suivant les procédures appropriées en ce qui a trait à la partialité, à la nécessité d’un avis et au droit d’être entendu. Si le tribunal d’appel concluait que tous les candidats à l’élection du 24 avril 1992 étaient véritablement des résidents de la réserve depuis un an au moins avant la présentation de leur candidature, il maintiendrait cette élection et le requérant, qui serait alors le candidat élu, pourrait devenir chef. Si le tribunal d’appel jugeait que l’un ou plusieurs des candidats étaient inhabiles du fait qu’ils n’étaient pas des résidents et jugeait nécessaire d’ordonner une nouvelle élection au poste de chef, il pourrait le faire.

Cependant, je ne suis pas certain d’avoir la compétence pour ordonner la constitution d’un nouveau tribunal d’appel. Il faudrait qu’un nouveau tribunal d’appel soit élu par le conseil de la bande. Or, il n’est pas certain que j’aie le pouvoir d’ordonner au conseil de la bande d’élire un nouveau tribunal d’appel. Les coutumes ou les traditions de la bande pourraient également jouer. Il y a peut-être aussi certaines difficultés procédurales à résoudre.

Si la Cour n’a pas la compétence voulue pour ordonner la constitution d’un nouveau tribunal d’appel, il faut se demander s’il y lieu d’appliquer la théorie de la nécessité. La théorie de la nécessité peut s’appliquer dans des cas où, lorsque personne d’autre n’a le pouvoir d’agir, les membres du tribunal qui sont inhabiles par ailleurs (à part Clifford Lerat, dont le parti pris était réel et prouvé) peuvent être habiles à entendre et à juger un appel. Le principe est énoncé par Sir William Wade dans l’ouvrage Administrative Law, 6e éd., 1988, aux pages 478 et 479 :

[traduction] Dans tous les arrêts mentionnés jusqu’ici, on pouvait se passer de l’arbitre inhabile ou le remplacer par quelqu’un auquel l’objection ne s’appliquait pas. Cependant, il arrive souvent qu’aucune substitution ne soit possible, puisque personne d’autre n’a le pouvoir d’agir. Dans ces cas, la justice naturelle doit céder le pas à la nécessité; autrement, il n’y a plus aucun moyen de décider et le processus judiciaire ou administratif cesse de fonctionner.

La théorie de la nécessité n’a pas été plaidée lorsque j’ai entendu la présente demande à l’origine. Il y a peut-être lieu de se demander si cette théorie s’applique en l’espèce.

Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que les avocats devraient avoir l’occasion d’approfondir la question de la réparation en l’espèce, et de s’entendre, si possible, sur la manière de résoudre l’affaire, avant qu’une ordonnance ne soit rendue par la Cour. Le greffier de la Cour communiquera donc avec les avocats peu de temps après la publication des présents motifs pour organiser une conférence téléphonique avec moi pour que je puisse savoir comment les avocats souhaitent procéderc’est-à-dire par voie d’audition, de mémoire ou de quelque autre façon, sur la question de la réparation.

Pour éviter toute incertitude ou confusion et pour que la bande ne subisse aucun inconvénient, je déclare expressément que la publication des présents motifs n’a, pour le moment, aucune incidence sur l’administration de la bande. Une ordonnance ne sera pas rendue tant que les avocats n’auront pas eu l’occasion de présenter d’autres observations sur la question de la réparation.

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