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[1993] 3 C.F. 28

A-1240-87

Joseph Apsassin, chef de la bande indienne de la rivière Blueberry, et Jerry Attachie, chef de la bande indienne de la rivière Doig, en leur nom et en celui de tous les autres membres de la bande indienne de la rivière Doig, de la bande indienne de la rivière Blueberry ainsi que de tous les descendants encore vivants de la bande indienne des Castors (appelants) (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et le Directeur des terres destinées aux anciens combattants (intimée) (défenderesse)

Répertorié : Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Marceau et Stone, J.C.A.—Vancouver, 26, 27, 28, 29 et 30 octobre 1992; Ottawa, 9 février 1993.

Peuples autochtones — Terres — Titre relatif à une ancienne réserve indienne et aux droits miniers y afférents — Nature du rapport fiduciaire entre la Couronne et les Indiens et obligations qui en découlent pour la Couronne relativement à la cession des terres indiennes — Obligation de conseiller les Indiens quant à savoir s’ils avaient intérêt à effectuer la cession pour la vente ou pour la location — Aucune raison de modifier la conclusion de fait tirée par le juge de première instance, selon laquelle l’obligation fiduciaire susmentionnée n’avait pas été violée — L’omission de se conformer à l’exigence légale relative à l’attestation sous serment ne constituait pas une violation d’une obligation fiduciaire — La Couronne n’a pas violé les obligations fiduciaires existant après la cession en vendant les terres au lieu de les louer — La cession des terres de la réserve comprenait les droits miniers — Les obligations fiduciaires envers les Indiens n’ont pas été transmises au Directeur des terres destinées aux anciens combattants lorsque les terres ont été transférées à celui-ci — La Couronne n’a pas continué à être assujettie aux mêmes obligations fiduciaires après le transfert — Violation d’une obligation fiduciaire par le Ministère relativement à la suffisance du prix de vente.

Pratique — Prescription — Conformément à l’art. 38 de la Loi sur la Cour fédérale, les règles de droit relatives à la prescription des actions existant en Colombie-Britannique s’appliquaient et l’action contre la Couronne, fondée sur la violation de l’obligation fiduciaire qui lui incombait lorsqu’elle a cédé la réserve indienne, était prescrite — L’art. 38 visait à incorporer les règles de droit provinciales relatives à la prescription, avec leurs modifications.

Cet appel concerne la réserve indienne 172 (la R.I. 172), qui était composée de terres d’une superficie de 28 milles carrés situées dans le nord-est de la Colombie-Britannique, ainsi que les droits miniers y afférents. En 1940, les appelants ont cédé les droits miniers afférents à la R.I. 172, aux fins de la location, au ministère des Affaires indiennes (le MAI). En 1945, toute la réserve a été cédée au MAI. En 1948, la MAI a transféré la R.I. 172 au Directeur des terres destinées aux anciens combattants (le DTAC) pour la somme de 70 000 $, et le Directeur a par la suite aliéné certaines parcelles de ces terres, et notamment les droits miniers, à des anciens combattants individuels et à d’autres personnes. En 1976, un important gisement de pétrole a été découvert sur ce qui était auparavant la R.I. 172.

Il s’agit d’un appel de la décision par laquelle la Section de première instance avait rejeté l’action des demandeurs. Ces derniers avaient contesté la validité de la cession de 1945 et de la cession de 1948 de leur réserve ainsi que des droits miniers y afférents pour le motif que la Couronne avait violé ses obligations fiduciaires de diverses façons et que les formalités nécessaires aux fins de la cession de la réserve n’avaient pas été respectées. Ils ont également soutenu que l’action n’était pas prescrite. Un appel incident a également été interjeté à l’égard de la conclusion selon laquelle une obligation fiduciaire avait été violée relativement à la sous-évaluation des terres.

Dans cet appel, les appelants ont demandé à être indemnisés par la Couronne par suite de la violation de ses obligations fiduciaires. Les appelants soutiennent qu’avant la cession de 1945, la Couronne avait une obligation fiduciaire en vertu de laquelle elle était tenue de conseiller à la bande de ne pas céder ses droits sur la réserve et que cette obligation avait été violée; que la Couronne avait violé une obligation fiduciaire en omettant de se conformer strictement à l’une des formalités de la Loi des Indiens en ce qui concerne la cession de la R.I. 172; que la Couronne avait violé ses obligations fiduciaires en vendant la R.I. 172 au lieu de la louer et en omettant de réserver les droits miniers si, de fait, ces droits pouvaient être inclus dans la cession de 1945. Les appelants soutiennent également que les obligations fiduciaires de la Couronne n’ont pas été éteintes par le transfert de la réserve au DTAC, en mars 1948, mais ont continué à exister tant que les diverses parcelles n’ont pas finalement été cédées aux acheteurs individuels et que leurs demandes n’étaient pas prescrites.

L’intimée a contesté la conclusion tirée par le juge de première instance, à savoir qu’une obligation fiduciaire avait été violée relativement à la sous-évaluation des terres.

Arrêt (le juge en chef Isaac, étant dissident) : l’appel et l’appel incident doivent être rejetés.

Le juge Stone, J.C.A. : Les Indiens étaient essentiellement des trappeurs illettrés ou peu instruits, qui n’étaient pas versés en affaires et qui dépendaient énormément de la Couronne dans la gestion de leurs biens, et principalement du droit qu’ils possédaient sur la R.I. 172. Ils étaient donc dans une situation fort vulnérable par rapport à la Couronne.

S’il existait un rapport fiduciaire entre la Couronne et les Indiens avant la cession de 1945, ce rapport pouvait imposer une obligation à la Couronne. Cette obligation était de conseiller les Indiens au sujet de la question de savoir s’ils avaient intérêt à céder la R.I. 172 aux fins de la vente ou de la location, puisque la Couronne elle-même demandait la cession de la réserve de façon à mettre les terres à la disposition des anciens combattants pour qu’ils puissent s’y établir. Toutefois, étant donné que le juge de première instance a conclu qu’en fait, aucune obligation n’avait été violée à cet égard, et puisque celui-ci n’a commis aucune erreur manifeste ou dominante dans son appréciation des faits, cette conclusion ne devrait pas être modifiée.

L’omission de se conformer à une exigence légale (soit l’attestation sous serment du fait que la bande avait consenti à la cession : paragraphe 51(3) de la Loi des Indiens) ne constituait pas une violation d’une obligation fiduciaire précise étant donné que cela n’était pas essentiel à la validité de la cession. L’article 51 visait à assurer qu’aucune cession ne soit effectuée sans le consentement préalable des Indiens concernés. La formalité en question, bien qu’elle soit énoncée de façon impérative, devrait être considérée comme supplétive.

Il a été soutenu que la Couronne, en sa qualité de fiduciaire, était tenue de déterminer si la bande avait intérêt à louer la R.I. 172 plutôt qu’à la vendre purement et simplement. Toutefois, la Couronne ne pouvait pas omettre de tenir compte des vœux que la bande avait elle-même exprimés à l’assemblée relative à la cession, à savoir que les terres soient vendues. La Couronne n’a donc violé aucune obligation fiduciaire à cet égard.

La Couronne n’a violé aucune présumée obligation fiduciaire en permettant que les droits miniers afférents aux terres de la réserve soient transférés au DTAC et en transférant ces droits sans aucune contrepartie additionnelle quant au prix d’achat. Compte tenu de la preuve, l’intimée n’aurait pas raisonnablement pu prévoir que les droits miniers éventuels auraient une valeur réelle.

L’argument selon lequel les droits miniers afférents à la R.I. 172 n’avaient pas été transmis en vertu de la cession de 1945 était dénué de fondement. Selon l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 54 ainsi qu’aux alinéas 2j) et e), les droits miniers afférents à la R.I. 172 étaient inclus dans la cession de la réserve. En outre, rien dans l’acte de cession de 1945 lui-même ne laisse entendre que la bande avait l’intention d’exclure les droits miniers de la cession de 1945.

La Couronne n’a pas non plus violé une obligation fiduciaire en disposant des droits miniers comme elle l’a fait. À ce moment-là, la politique de la Couronne fédérale était de conserver les droits miniers uniquement si l’on savait que ces terres contenaient ou pouvaient contenir des minéraux et que ceux-ci avaient de la valeur. À ce moment-là, les droits miniers éventuels avaient une valeur minimale, de sorte que la Couronne n’a pas violé une obligation fiduciaire en omettant d’exiger une contrepartie pécuniaire.

L’argument selon lequel, même après le transfert de la réserve au DTAC, en 1948, la Couronne a continué à être assujettie à une obligation fiduciaire parce que les terres en question ont continué à lui être dévolues était dénué de fondement. Compte tenu du cadre légal dans lequel le DTAC avait acquis, détenu et transféré les terres en sa qualité de corporation constituée d’une seule personne physique, l’obligation fiduciaire de la Couronne ne lui était pas imposée. Le DTAC a acquis les terres à la suite de négociations, et le titre y afférent lui a été dévolu, en sa qualité de corporation constituée d’une seule personne physique, apparemment sans qu’il ait été avisé de l’existence d’une obligation fiduciaire. Il était vrai que le DTAC agissait à titre de mandataire de Sa Majesté, mais uniquement à l’égard des choses qu’il était expressément autorisé à faire en vertu de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants.

L’argument selon lequel toute obligation fiduciaire incombant à la Couronne a été transmise au DTAC, parce que celui-ci était au courant de l’existence de l’obligation et de sa violation, était dénué de fondement. Il n’était pas prouvé que le DTAC ait eu connaissance de l’obligation ou de sa présumée violation.

Rien ne permettait de modifier la conclusion tirée par le juge de première instance, à savoir que la Couronne avait violé une obligation fiduciaire en convenant que le prix d’achat serait de 70 000 $, au moment de la vente de la R.I. 172 au DTAC, sans enquêter sur la possibilité d’obtenir un meilleur prix.

Toutefois, en mars 1978, cette demande était prescrite (prescription de 30 ans) conformément au paragraphe 8(1) de la Limitations Act de 1975 de la Colombie-Britannique, qui s’appliquait en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Les règles de droit relatives à la prescription des actions incorporées dans la Loi sur la Cour fédérale étaient non seulement celles qui étaient en vigueur lorsque la Loi a été adoptée en 1971, mais aussi les lois provinciales existant de temps en temps, de sorte que la Limitations Act de 1975 de la Colombie-Britannique a également été incorporée. La Loi contenait une disposition expresse lui donnant un effet rétroactif, et le délai final de prescription de 30 ans s’appliquait.

Le juge Marceau, J.C.A. (motifs concourants quant au résultat) : L’interprétation qu’il convient de donner à la jurisprudence mène à la conclusion que même avant la cession des terres de la réserve, il existait entre les Indiens et la Couronne un rapport fiduciaire avec une obligation fiduciaire correspondante.

En l’espèce, l’obligation fiduciaire s’accordait avec l’obligation de diligence que la Couronne avait envers les Indiens, à laquelle le juge de première instance a conclu. De plus, rien ne permettait de contester la conclusion de fait tirée par le juge de première instance, à savoir que la Couronne n’avait pas violé l’obligation légale qu’elle avait envers les Indiens.

Le fait que les terres ont finalement été transférées au DTAC ne prouve pas l’existence d’un conflit d’intérêts. Aucun élément de preuve ne laissait entendre que la cession ne pouvait pas être avantageuse tant pour la bande que pour certains anciens combattants, ou qu’au moment de la cession, l’intérêt de ces derniers l’emportait, dans l’esprit des fonctionnaires de la Couronne, sur celui de la bande.

L’omission de respecter les exigences légales concernant la cession des terres de réserve énoncées à l’article 51 de la Loi des Indiens ne constituait pas une violation de l’obligation fiduciaire de la Couronne. Il n’était pas possible de conclure à la violation d’une obligation découlant du rapport fiduciaire du seul fait qu’il existait une irrégularité, sans tenir compte des circonstances qui y avaient donné lieu. Et surtout, l’indemnité à laquelle pareille violation donnerait lieu devrait être versée à la victime et se rapporter uniquement à une perte qui, même si elle n’était pas prévue, était directement attribuable à la violation.

Il est allégué qu’après la cession, la Couronne a violé son obligation fiduciaire : 1) lorsqu’elle a omis d’envisager la possibilité de louer les terres au lieu de recourir à une vente pure et simple; 2) lorsqu’elle a omis d’exiger un prix plus élevé et de conserver les droits miniers; 3) lorsque le DTAC a omis de conserver les droits miniers en passant un contrat avec un ancien combattant. Les première et deuxième allégations se rapportent surtout à des questions de fait, et rien ne permet de modifier les conclusions tirées par le juge de première instance. De plus, le DTAC n’aurait pas pu violer une obligation fiduciaire envers les Indiens pour la simple raison qu’il n’avait aucune obligation de ce genre. Seul le ministre des Mines et des Ressources (et maintenant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) était chargé de veiller à ce que la Couronne s’acquitte de son obligation envers les Indiens, et lui seul avait le droit de détenir les terres cédées, ou le produit de la vente, à l’usage et au profit des Indiens.

La Couronne a violé son obligation fiduciaire en acceptant un prix qui était inférieur à la valeur marchande des terres. Toutefois, en mars 1978, cette demande était prescrite (prescription de 30 ans) conformément au paragraphe 8(1) de la Limitations Act de 1975 de la Colombie-Britannique, qui s’appliquait en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

Le juge en chef Isaac (dissident) : Le titre des Indiens sur leurs terres est un titre sui generis. Il s’agit de quelque chose de plus qu’un droit de jouissance et d’occupation, bien qu’il soit difficile de décrire ce en quoi consiste ce quelque chose de plus au moyen de la terminologie traditionnelle du droit des biens. La nature du droit que possèdent les Indiens sur leurs terres est étroitement liée aux relations particulières qu’ils entretiennent avec la Couronne.

La cession des droits miniers, en 1940, dans ces conditions particulières empêchait d’en tenir compte à moins qu’ils ne soient expressément en cause. Il était donc erroné d’appliquer des présomptions (à savoir, qu’en l’absence d’une preuve contraire, tous les droits sur les terres sont présumés faire partie de la cession), élaborées en common law pour protéger les droits d’acquéreurs innocents sans lien de dépendance qui effectuent des opérations immobilières, à une opération dans laquelle une partie défavorisée cède à une fin précise un droit sur des terres unique en son genre sur le plan juridique à une autre personne qui s’est engagée à agir uniquement au mieux des intérêts de la partie défavorisée et conformément à la fin pour laquelle la terre a été cédée.

Le juge de première instance a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait qu’avant la cession de 1945, il existait un rapport fiduciaire entre la Couronne et les Indiens à l’égard des droits miniers afférents à la R.I. 172. Il incombait donc à la Couronne d’informer les Indiens de l’effet de la cession de 1945 relativement aux droits miniers. À cause de son obligation fiduciaire, en l’absence de communication complète, il faut présumer que la Couronne n’avait pas l’intention d’inclure les droits miniers dans la cession de 1945. Les conclusions du juge de première instance à cet égard ne sont pas étayées par la preuve. La preuve établissait que la Couronne n’avait pas fait ce qu’il fallait, en sa qualité de fiduciaire, pour prouver que les parties voulaient que la cession de 1945 remplace la cession antérieure des droits miniers aux fins de la cession à bail. En outre, il ressort de la lecture des dispositions pertinentes de la Loi des Indiens qu’au moment de la cession, les droits miniers sont devenus des terres indiennes au sens de la Loi, lesquelles ne pouvaient pas être de nouveau cédées sans le consentement exprès de la bande et sans la révocation préalable de la cession des droits miniers aux fins de location effectuée en 1940.

Les droits miniers n’ont pas été transmis au DTAC, lors du transfert de 1948, et ce, pour la raison même qu’ils n’ont pas été subsumés sous les conditions de la cession de 1945. Étant donné que la Couronne était fiduciaire, et puisque l’obligation qu’elle s’était elle-même imposée de louer les droits miniers n’avait pas été levée, cette obligation n’aurait pas pu être évitée par la simple délivrance de lettres patentes à une autre création de la Couronne. En outre, étant donné qu’il agissait pour le compte de la Couronne, le DTAC pouvait acquérir les charges établies sur les terres (soit l’obligation de louer les droits miniers au profit des Indiens) de même que les avantages y afférents. De plus, il existe une présomption selon laquelle en adoptant la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, le législateur n’avait pas l’intention de priver les Indiens de leurs droits. Par conséquent, lorsque le DTAC a soi-disant acquis le titre sur les terres de la R.I. 172, il représentait la Couronne. En fin de compte, l’interprétation qu’il convient de donner est qu’il y avait une partie, la Couronne, et qu’étant donné que les droits miniers avaient été cédés en 1940 et qu’ils étaient donc séparés des droits de superficie sur les terres réservées, la Couronne détenait encore ceux-ci en fiducie aux fins de leur location, même après le transfert de l’administration active des droits de superficie du directeur des Affaires indiennes au DTAC.

À cause du paragraphe 5(2) de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, les anciens combattants jouissaient d’un droit de propriété absolu lorsque le prix d’achat était payé au complet. En outre, ils étaient des acheteurs véritables contre valeur sans avis et il serait injuste d’accorder un redressement contre eux.

Toutefois, la Couronne a violé son obligation fiduciaire envers les appelants à la date du transfert du droit de propriété absolu sur les terres aux anciens combattants. La Couronne était donc responsable envers les appelants du préjudice découlant de cette violation.

L’action a été intentée dans le délai fixé par la Limitation Act de la Colombie-Britannique. Elle n’était pas prescrite parce que les circonstances de l’espèce équivalaient à une fraude au sens de ce terme en equity. En outre, il était certain que jusqu’au milieu des années 1970, les appelants n’étaient en mesure de faire preuve, à l’égard de leurs droits, du degré de diligence dont on pourrait s’attendre d’un membre ordinaire de la société. L’examen de la question de l’application des lois sur la prescription, dans les cas d’agression sexuelle, que la Cour suprême du Canada a récemment effectué dans l’arrêt M.(K) c. M.(H.) avait une certaine pertinence en l’espèce. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’action a été intentée dans le délai de prescription fondamental fixé par le paragraphe 3(4) de la Limitation Act ou dans le délai de prescription final de 30 ans fixé par l’article 8 de la Loi.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Land Act, R.S.B.C. 1948, ch. 175.

Lands Act, R.S.B.C. 1924, ch. 131, art. 119, 120.

Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236, art. 3(4), 6(3),(4), 8.

Limitations Act, S.B.C. 1975, ch. 37, art. 3(4), 6, 7, 8, 14.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35(1).

Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, S.C. 1942-43, ch. 33, art. 2, 3, 5, 7, 9, 10, 11.

Loi de la cour de l’Échiquier, S.R.C. 1927, ch. 34, art. 31, 32.

Loi des concessions de terres publiques, S.R.C. 1927, ch. 114, art. 3.

Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 2e),j), 4, 51, 54.

Loi des pétitions de droit, S.R.C. 1927, ch. 158, art. 8.

Loi des terres fédérales, S.R.C. 1927, ch. 113, art. 8, 74a).

Loi d’établissement des soldats, 1919, S.C. 1919, ch. 71, art. 57.

Loi d’interprétation, S.R.C. 1927, ch. 1, art. 15.

Loi du ministère des Mines et des Ressources, S.C. 1936, ch. 33, art. 5.

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 38(1).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 17 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3), 39.

Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1980, ch. 240, art. 45(1)j).

Loi sur le ministère des Affaires des anciens combattants, S.C. 1944-45, ch. 19, art. 8(1).

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, art. 18(1).

Mechanics’ Lien Act, R.S.O. 1950, ch. 227.

Ministers of the Crown (Transfer of Functions) Act, 1946 (R.-U.) 9& 10 Geo. VI, ch. 31, art. 1A (édicté par 1974, ch. 21, ann. 2, art. 1).

Proclamation royale de 1763 (R.-U.), L.R.C. (1985), appendice II, no 1.

Statute of Limitations, R.S.B.C. 1911, ch. 145.

Statute of Limitations, R.S.B.C. 1924, ch. 145.

Statute of Limitations, R.S.B.C. 1936, ch. 159.

Statute of Limitations, R.S.B.C. 1948, ch. 191.

Treasury Solicitor Act, 1876 (R.-U.), 39 & 40 Vict., ch. 18, art. 1.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

M.(K.) c. M.(H.), [1992] 3 R.C.S. 6; (1992), 142 N.R. 321; Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574; (1989), 69 O.R. (2d) 287; 61 D.L.R. (4th) 14; 26 C.P.R. (3d) 97; Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99; (1987), 42 D.L.R. (4th) 81; 42 C.C.L.T. 1; [1988] 1 C.N.L.R. 152; 78 N.R. 40; 23 O.A.C. 84; 9 R.F.L. (3d) 225; Stein et autres c. Le navire « Kathy K » et autres, [1976] 2 R.C.S. 802; (1975), 62 D.L.R. (3d) 1; 6 N.R. 359; Montreal Street Railway Company v. Normandin, [1917] A.C. 170 (P.C.); Zakrzewski, Peter v. The King, [1944] R.C.É. 163; [1944] 4 D.L.R. 281; Parmenter, Leonard A. v. The Queen, [1953-1960] R.C.É. 66; Bera v. Marr (1986), 27 D.L.R. (4th) 161; [1986] 3 W.W.R. 142; 1 B.C.L.R. (2d) 1; 37 C.C.L.T. 21 (C.A.C.-B.); Wittman (Guardian Ad Litem) v. Emmott (1991), 77 D.L.R. (4th) 77; [1991] 4 W.W.R. 175; 53 B.C.L.R. (2d) 228; 45 C.P.C. (2d) 245 (C.A.C.-B.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Ramia (Edward), Ltd. v. African Woods, Ltd., [1960] 1 All E.R. 627 (P.C.); St. Ann’s Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211; [1950] 2 D.L.R. 225; Berkheiser v. Berkheiser and Glaister, [1957] R.C.S. 387; (1957), 7 D.L.R. (2d) 721; Lonsdale (Earl of) v. Lowther, [1900] 2 Ch. 687; Reference re Saskatchewan Natural Resources, [1931] R.C.S. 263; Fonthill Lbr. Ltd. v. BK. Montreal, [1959] O.R. 451; (1959), 19 D.L.R. (2d) 618; 38 C.B.R. 68 (C.A.); Mainwaring v. Mainwaring (1942), 57 B.C.R. 390; [1942] 2 D.L.R. 377; [1942] 1 W.W.R. 728 (C.A.); Martin c. Perrie, [1986] 1 R.C.S. 41; (1986), 24 D.L.R. (4th) 1; 36 C.C.L.T. 36; 64 N.R. 195; 12 O.A.C. 269; Angus c. Sun Alliance Insurance Co., [1988] 2 R.C.S. 256; (1988), 65 O.R. (2d) 638; 52 D.L.R. (4th) 193; 34 C.C.L.T. 237; 47 C.C.L.T. 39; [1988] I.L.R. 1-2370; 9 M.V.R. (2d) 245; 87 N.R. 200; 30 O.A.C. 210.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. 1; Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3; (1985), 17 D.L.R. (4th) 591; [1985] 3 C.N.L.R. 15; 32 L.C.R. 65; 58 N.R. 241 (C.A.); Kruger et autres c. La Reine (1981), 125 D.L.R. (3d) 513; [1982] 1 C.N.L.R. 50; 23 L.C.R. 108 (C.F. 1re inst.); Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654; (1988), 91 N.B.R. (2d) 43; 53 D.L.R. (4th) 487; 232 A.P.R. 43; [1989] 1 C.N.L.R. 47; 89 N.R. 325; 1 R.P.R. (2d) 105; Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322; [1989] 3 W.W.R. 117; (1989), 35 B.C.L.R. (2d) 1; 25 F.T.R. 161; 92 N.R. 241; Mitchell c. La bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85; (1990), 71 D.L.R. (4th) 193; [1990] 5 W.W.R. 97; 67 Man. R. (2d) 81; [1990] 3 C.N.L.R. 46; 110 N.R. 241; 3 T.C.T. 5219; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; (1990), 70 D.L.R. (4th) 385; [1990] 4 W.W.R. 410; 46 B.C.L.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 263; [1990] 3 C.N.L.R. 160; 111 N.R. 241; Bande indienne de Lower Kootenay c. Canada (1991), 42 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.); Gauthier v. The King (1918), 56 R.C.S. 176; 40 D.L.R. 353; R. v. Gliberry, [1963] 1 O.R. 232; (1963), 36 D.L.R. (2d) 548; [1963] 1 C.C.C. 101; 38 C.R. 25 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S 534; (1991), 85 D.L.R. (4th) 129; [1992] 1 W.W.R. 245; 61 B.C.L.R. (2d) 1; 6 B.C.A.C. 1; 9 C.C.L.T. (2d) 1; 39 C.P.R. (3d) 449; 43 E.T.R. 201; 131 N.R. 321; 13 W.A.C. 1; Hodgkinson v. Simms, [1992] 4 W.W.R. 330; (1992), 65 B.C.L.R. (2d) 264; 6 C.P.C. (3d) 141 (C.A.C.[ib]-B.); Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2 R.C.S. 694; (1980), 115 D.L.R. (3d) 257; 14 C.C.L.T. 294; 34 N.R. 1; Beaudoin—Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2; (1984), 37 R.F.L. (2d) 225; 51 N.R. 288; Klimashewski c. Succession Klimashewski, [1987] 2 R.C.S. 754; (1987), 50 Man. R. (2d) 161; 28 E.T.R. 163; 80 N.R. 396; N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247; (1987), 39 D.L.R. (4th) 465; 27 C.C.L.T. 51; 17 C.P.C. (2d) 204; 76 N.R. 212; Fletcher c. Manitoba Public Insurance Co., [1990] 3 R.C.S. 191; (1990), 75 O.R. (2d) 373; 74 D.L.R. (4th) 636; 71 Man. R. (2d) 81; 1 C.C.L.I. (2d) 1; 5 C.C.L.T. (2d) 1; [1990] I.L.R. 1[ib]-2672; 30 M.V.R. (2d) 261; 116 N.R. 1; 44 O.A.C. 81; Sunrise Co. c. Lake Winnipeg (Le), [1991] 1 R.C.S. 3; (1991), 77 D.L.R. (4th) 701; 117 N.R. 364; Ontario (Procureur général) c. Bear Island Foundation, [1991] 2 R.C.S. 570; (1991), 83 D.L.R. (4th) 381; [1991] 3 C.N.L.R. 79; 127 N.R. 147; 46 O.A.C. 396; 20 R.P.R. (2d) 50; Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351; (1992), 90 D.L.R. (4th) 27; 10 C.C.L.T. (2d) 101; 133 N.R. 116; Melville (City of) c. Le procureur général du Canada, [1982] 2 C.F. 3; (1981), 129 D.L.R. (3d) 488 (1re inst.); Chambre de commerce de Jasper Park c. Gouverneur général en conseil, [1983] 2 C.F. 98; (1982), 141 D.L.R. (3d) 54; 44 N.R. 243 (C.A.); Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; (1985), 19 D.L.R. (4th) 1; [1985] 4 W.W.R. 385; 35 Man. R. (2d) 83; 59 N.R. 321; Regional Municipality of Ottawa-Carleton v. Canada Employment and Immigration Commission (1986), 86 CLLC 14,053; 69 N.R. 156 (C.A.F.); Cyanamid Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), A-294-92, juge Stone, J.C.A., jugement en date du 23-10-92, C.A.F., encore inédit; McCain Foods Ltd. c. Canada (Office national des transports), [1993] 1 C.F. 583 (C.A.); Smith c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 554; (1983), 147 D.L.R. (3d) 237; 47 N.R. 132; Surrey (Corpn.) v. Peace Arch Enterprises Ltd. and Surfside Recreations Ltd. (1970), 74 W.W.R. 380 (C.A.C.-B.); Fales et autres c. Canada Permanent Trust Co., [1977] 2 R.C.S. 302; (1976), 70 D.L.R. (3d) 257; [1976] 6 W.W.R. 10; 11 N.R. 487; Attorney-General of Canada v. Higbie, [1945] R.C.S. 385; [1945] 3 D.L.R. 1; The King v. Armstrong (1908), 40 R.C.S. 229; 5 E.L.R. 182; Amodu Tijani v. Southern Nigeria (Secretary), [1921] 2 A.C. 399 (P.C.); The Queen v. Symonds (1847), N.Z.P.C.C. 387 (S.C.); St. Catherine’s Milling and Lumber Company v. Reg. (1888), 14 App. Cas. 46 (P.C.); Attorney-General for Quebec v. Attorney-General for Canada, [1921] 1 A.C. 401 (P.C.); St. Catharines Milling and Lumber Co. v. The Queen (1887), 13 R.C.S. 577; Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654; (1988), 91 N.B.R. (2d) 43; 53 D.L.R. (4th) 487; 232 A.P.R. 43; [1989] 1 C.N.L.R. 47; 89 N.R. 325; 1 R.P.R. (2d) 105; The Queen v. George, [1966] R.C.S. 267; (1966), 55 D.L.R. (2d) 386; [1966] 3 C.C.C. 137; 47 C.R. 382; St. Ann’s Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211; [1950] 2 D.L.R. 225; Theodore v. Duncan, [1919] A.C. 696 (P.C.); Maritime Bank of Canada (Liquidators of) v. Receiver-General of New Brunswick, [1892] A.C. 437 (P.C.); Regina v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, Ex parte Indian Association of Alberta, [1892] Q.B. 892 (C.A.); Metropolitan Asylum District v. Hill (1881), 6 App. Cas. 193 (H.L.); Entick v. Carrington (1765), 19 St. Tr. 1029 (K.B.); Shaul, Helen In re, [1961] R.C.É. 101; Bain v. The Director, Veterans’ Land Act et al., [1947] O.W.N. 917 (H.C.); Pankka v. Butchart et al., [1956] O.R. 837; (1956), 4 D.L.R. (2d) 345 (C.A.).

DOCTRINE

Blackstone, Sir William. Commentaries on the Laws of England, Book 2, New York : W. E. Dean, Printer & Publisher, 1846.

Coke, Sir Edward. Institutes on the Laws of England, vol. 1, London : James & Luke G. Hansard & Sons, 1832.

Halsbury’s Laws of England, vol. 8, 4th ed., London : Butterworths, 1974, Para. 805.

Halsbury’s Laws of England, vol. 9, 4th ed., London : Butterworths, 1974, Paras. 931, 943.

Jowitt’s Dictionary of English Law, 2nd ed., London : Sweet & Maxwell Ltd., 1977 « corporation ».

Walker, David M. The Oxford Companion to Law, Oxford : Clarendon Press, 1980 « usufruct ».

APPEL et APPEL INCIDENT d’une décision de la Section de première instance (sous l’intitulé Apsassin c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1988] 3 C.F. 20 (dans sa forme abrégée); sous l’intitulé Bande indienne de la rivière Blueberry et bande indienne de la rivière Doig c. Canada (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) et autre (1987), 14 F.T.R. 161) qui rejetait l’action dans laquelle les appelants ont allégué que la Couronne avait violé l’obligation fiduciaire qu’elle avait envers eux relativement à la cession de la réserve indienne 172 et des droits miniers y afférents. Appel et appel incident rejetés.

AVOCATS :

Thomas R. Berger, Leslie J. Pinder, Arthur Pape, Gary A. Nelson pour les appelants (demandeurs).

John R. Haig, c.r., Mitchell Taylor pour l’intimée (défenderesse).

PROCUREURS :

Mandell Pinder, Vancouver, pour les appelants (demandeurs).

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée (défenderesse).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge en chef Isaac (dissident) : J’ai eu l’occasion de lire les motifs de jugement de mon collègue, le juge Stone. J’aurais peut-être tiré une conclusion différente en ce qui concerne un certain nombre de questions dont il a parlé, mais pour les motifs énoncés ci-dessous, j’estime nécessaire de tenir compte d’une question seulement pour en arriver à une conclusion au sujet du règlement de cet appel.

LES FAITS

Les appelants sont membres des bandes indiennes de la rivière Blueberry et de la rivière Doig, mais jusqu’en 1977, ils faisaient tous partie d’une seule bande (c’est la raison pour laquelle je désignerai à l’occasion les appelants collectivement comme étant « la bande »). De 1962 à 1977, ils s’appelaient la bande de Fort Saint John et, auparavant, la bande des Castors de Fort Saint John. Comme le savant juge de première instance l’a fait remarquer à la page 28[1], les appelants sont parfois collectivement désignés sous le nom de « Cri-Dunne-za », qui représente les deux communautés linguistiques dont la bande est composée.

Par le passé, les Cri-Dunne-za étaient des chasseurs et des trappeurs. Comme d’autres peuples autochtones, ils ont habité dans la région de la rivière de la Paix ou à proximité, dans ce qui est maintenant le nord-est de la Colombie-Britannique, pendant plusieurs siècles. Toutefois, à la fin du dix-neuvième siècle, lorsque les colons européens ont commencé à s’installer dans la région de la rivière de la Paix, la Couronne et divers groupes indiens ont conclu le Traité no 8, qui faisait partie d’une série de traités dits numérotés. La bande a adhéré au traité le 30 mai 1900.

Aux termes du Traité no 8, la bande a cédé ses terres à la Couronne, cette dernière s’engageant à mettre de côté des terres dès que l’état de la colonisation européenne pourrait rendre la chose souhaitable pour la bande. Le traité écrit et les garanties orales connexes données par les commissaires au traité contiennent un certain nombre d’engagements de la part de la Couronne, mais, à nos fins, le point le plus pertinent est que le traité prévoyait que tant qu’il ne s’avérerait pas nécessaire d’établir officiellement des réserves, les Indiens continueraient à avoir libre accès à tout leur territoire traditionnel. Le traité mentionnait également que la Couronne ne s’ingérerait pas de force dans le mode de vie traditionnel des Indiens.

En 1913, la bande a choisi comme réserve une étendue de terre de 28 milles carrés. La chose a été faite sur l’ordre des fonctionnaires de la Couronne, qui craignaient que l’arrivée des colons blancs dans la région entraîne la perte de la plupart des bonnes terres. Il importe également de noter que les terres dont la R.I. 172 était composée ont été choisies en partie à cause de leur valeur éventuelle comme terres agricoles, même si les Cri-Dunne-za vivaient de la chasse et de la cueillette[2]. Bien que la chose ne soit pas clairement indiquée, la lecture du rapport des commissaires au traité, dans lequel il est question du fait que les Indiens passeraient éventuellement de l’état nomade à l’agriculture, semble montrer que la possibilité que les Indiens doivent de fait éventuellement changer a influé sur l’attitude de la Couronne[3]. Le fait que cette étendue de terre particulière a été choisie (bien que les appelants n’aient pas eux-mêmes invoqué cet argument) pourrait également donner à entendre que la bande et la Couronne avaient discuté des besoins futurs possibles de la bande en dehors de son mode de vie traditionnel.

Quoi qu’il en soit, la R.I. 172 a été mise de côté pour la bande par un décret en date du 11 avril 1916. Les appelants disent que les terres dont la R.I. 172 était composée étaient [traduction] « essentielles » à la vie de la bande, en ce sens qu’elles faisaient partie de son circuit saisonnier de déplacements. Comme ils l’ont dit, c’était [traduction] « une place où les contacts spirituels et culturels pouvaient être régénérés, où les moissons estivales avaient lieu, et cela constituait un lien important entre les Indiens et la société non indienne ». En outre, [traduction] « [ç’]était le seul endroit où l’ensemble de la bande se rassemblait »[4].

Toutefois, fort peu de temps après la création de la réserve, des pressions ont commencé à être exercées sur la Couronne pour qu’elle permette l’empiétement sur la R.I. 172. Prévoyant ce qui allait éventuellement se produire, une association privée du nom de Great War Veterans’ Association of Canada et la Commission d’établissement des soldats gouvernementale ont demandé qu’un certain nombre de régions réservées soient mises à la disposition des hommes qui revenaient de la guerre[5]. En fin de compte, le ministère des Affaires indiennes a informé le ministre de l’Intérieur que la R.I. 172 ne pouvait pas être mise à la disposition des soldats pour qu’ils s’y établissent car la bande en avait besoin[6]. La Couronne fédérale a également rejeté la demande que le gouvernement de la Colombie-Britannique avait faite en 1935, à savoir que la R.I. 172 soit échangée contre un lopin de terre plus étendu plus au nord[7].

Les appelants mettent l’accent sur le fait que dans chaque cas, la Couronne a rejeté les demandes sans soumettre l’affaire à la bande elle-même. Cela prouve, disent-ils, l’obligation qui incombait à la Couronne, obligation que cette dernière avait elle-même reconnue, d’agir au mieux des intérêts de la bande et de ne pas « tenter » celle-ci (c’est moi qui emploie ce terme, et non les appelants) avec des offres auxquelles elle ne pouvait pas comprendre grand-chose. À cet égard, il est opportun de noter les conclusions que le juge de première instance a tirées au sujet du niveau de développement social de la bande (quoique à un moment postérieur). À la page 43, le juge a dit ceci :

Il semble presque indubitable que, dans les années 1940, les Cri-Dunne-za n’avaient pas les compétences nécessaires pour s’occuper de planification financière ou de l’établissement d’un budget ni, en général, d’administrer financièrement leurs affaires. Aucune véritable structure gouvernementale n’était en place et personne n’était chargé de légiférer. Ils n’avaient pas non plus la capacité d’organiser ou de diriger, avec plus ou moins de succès, des activités ou entreprises autres que la pêche, la chasse et le piégeage. Il semble qu’on pourrait qualifier d’instinctives ou de spontanées plutôt que de volontairement planifiées un bon nombre de leurs décisions relatives à ces activités.

Au fur et à mesure que le temps s’est écoulé et que la région a été colonisée (et au fur et à mesure que le gibier est donc devenu moins abondant), les appelants ont utilisé de moins en moins la R.I. 172. Dans son argumentation, la Couronne a attaché beaucoup d’importance à ce fait, mais malgré tout, l’attitude prédominante à l’époque parmi les fonctionnaires responsables des Affaires indiennes continuait à être qu’éventuellement, les terres seraient utiles à la bande. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a envisagé la construction d’une route à travers la réserve. Ainsi, une note de service au surintendant général des Affaires indiennes, en date du 9 octobre 1934 (volume 2, appendice du dossier conjoint, à la page 179), montre clairement que le gouvernement croyait que la R.I. 172 serait un jour utile à la bande :

[traduction] [N]ous estimons que la construction de cette route par le gouvernement provincial, laquelle doit passer au centre de cette réserve, sera suffisamment avantageuse pour les Indiens, lorsqu’ils aménageront la réserve, pour justifier ce transfert [soit le transfert de suffisamment de terres pour permettre la construction de la route] à la province sans indemnité. [C’est moi qui souligne.]

Les appelants affirment également avec insistance que les terres ont continué à faire partie de leur circuit saisonnier jusqu’en 1945.

Dans l’intervalle, certaines personnes avaient déclaré être intéressées à entreprendre des travaux d’exploration dans la région, pour y trouver des gisements minéraux. Comme la preuve le montre, en 1940, un certain Alexander Anderson a présenté une demande en vue de se livrer à des travaux d’exploration pétrolière dans la R.I. 172[8]. Le gouvernement a donc demandé, et obtenu, une cession des droits miniers afférents à la réserve de façon que ceux-ci puissent être loués au profit de la bande. Des copies des actes de cession figurent dans le volume 3 de l’appendice du dossier conjoint, aux pages 264 à 279. Il est important de souligner que la cession visait la location seulement. La cession de 1940 ne permettait pas et ne prévoyait pas la vente des terres.

Un permis d’exploration a de fait été décerné par le directeur des Affaires indiennes (le DAI), et les sommes touchées ont été portées au crédit de la bande[9]. Il semblerait également que conformément au permis, on se soit livré, à un moment donné pendant la Deuxième Guerre mondiale, à des travaux d’exploration pétrolière et gazière dans la R.I. 172 et à proximité[10]. La chose était conforme à la politique du gouvernement, soit de promouvoir les travaux d’exploration et d’aménagement des ressources en pétrole et en gaz naturel sur les terres réservées aux Indiens. M. J. E. Chamberlain, témoin cité par les appelants, que le juge de première instance a reconnu comme étant un expert dans le domaine des politiques gouvernementales et des pratiques administratives concernant les affaires indiennes au Canada[11], a décrit cette politique comme suit :

[traduction] À la fin des années 1930 et au cours des années 1940, on s’est de plus en plus engagé à exploiter les minéraux souterrains dans les réserves, comme autre moyen de développer les possibilités des réserves de produire un revenu. Des règlements précis ont été promulgués en vue de l’exploitation du pétrole et du gaz dans les réserves et, à cette fin, le ministère des Affaires indiennes a désigné un expert établi à Calgary pour agir à titre de conseiller et assurer au maximum le développement des possibilités qu’offraient les gisements de pétrole et de gaz sur les terres indiennes[12].

De même, dans le rapport annuel de 1939, le directeur des Affaires indiennes a fait remarquer qu’en ce qui concerne l’aliénation des terres réservées, la politique gouvernementale

[traduction] … vise à la location des terres superflues dont on n’a pas besoin immédiatement plutôt qu’à la vente pure et simple, ainsi qu’à la conservation des biens immobiliers des Indiens pour les besoins futurs d’une population en pleine croissance[13].

Dans son rapport annuel de 1945—soit l’année même où les droits de superficie ont été cédés—le directeur a fait une déclaration de principes similaire à l’encontre de l’aliénation du titre indien :

[traduction] Le Ministère s’est opposé avec véhémence à l’aliénation au moyen de la vente des terres dont les Indiens auront vraisemblablement besoin au cours des années à venir. Les terres superflues dont on n’a pas immédiatement besoin font l’objet de contrats de bail et permettent de gagner des revenus considérables[14].

Comme mon collègue le juge Stone, je ferais d’abord remarquer que, dans ses motifs de jugement, le juge de première instance n’a pas examiné cette preuve de la politique gouvernementale contemporaine à l’égard des peuples autochtones. Toutefois, à mon avis, pour des raisons qui deviendront évidentes, la politique que la Couronne a elle-même établie, soit tirer le revenu maximum des terres indiennes non utilisées tout en veillant à ce que le titre indien ne soit pas éteint, a une grande importance.

Quoi qu’il en soit, comme dans le cas de la Première Guerre mondiale, le fait que les événements ont tourné en faveur des Alliés à la fin de la Deuxième Guerre mondiale a contraint les autorités à mettre les terres réservées aux Indiens à la disposition des militaires qui revenaient de la guerre pour qu’ils puissent s’y établir. Toutefois, à ce moment-là, le ministre fédéral responsable du ministère des Affaires indiennes, soit le ministre des Mines et des Ressources, était également chargé d’acquérir des terres pour les anciens combattants. Cette situation a continué jusqu’en octobre 1944, lorsque la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants a été modifiée de façon que cette dernière fonction soit transmise au ministre des Affaires des anciens combattants nouvellement constitué[15].

C’est en août 1944 que le sous-ministre des Affaires indiennes (dont le Ministère, doit-on noter, était encore chargé de l’application de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants) a pour la première fois fait savoir que la R.I. 172 pourrait être mise à la disposition des anciens combattants si elle pouvait être cédée dans sa totalité à un prix satisfaisant. À compter de ce moment-là, la suite des événements a abouti à la cession de la R.I. 172 en septembre 1945.

Les détails concernant la cession sont énoncés au complet dans les motifs de mon collègue le juge Stone, mais en bref, après la cession de 1945, des négociations ont eu lieu entre le directeur des Affaires indiennes et le Directeur des terres destinées aux anciens combattants (le DTAC). Je tiens à répéter qu’au moment où les négociations ont commencé, les deux parties relevaient de la compétence du même ministre de la Couronne.

La R.I. 172 a été évaluée à 93 000 $, et le directeur des Affaires indiennes a initialement affirmé que les terres ne devaient pas être vendues à moins de 100 000 $. Toutefois, le DTAC a déclaré qu’il n’offrirait que 70 000 $, somme qui a finalement été acceptée par les Affaires indiennes[16]. En mars 1948, les terres dont la R.I. 172 était composée ont été transférées par lettres patentes au Directeur des terres destinées aux anciens combattants.

Dans l’intervalle, la condition matérielle de la bande a considérablement empiré. Dans un rapport de 1947, le surintendant régional des Services de santé aux autochtones disait que l’[traduction] « extinction complète » de la bande semblait possible et que celle-ci avait [traduction] « spécialement droit à la sympathie du ministère »[17]. Pourtant, les nouvelles terres réservées n’ont été transférées à la bande qu’en 1950, soit cinq ans après la cession de la R.I. 172. Pendant tout ce temps, la plupart des membres de la bande ont eu ce qui était au mieux une existence sordide à titre de squatters sur les terres provinciales. Lorsque de nouvelles terres de réserve ont été obtenues pour la bande, elles étaient situées dans des régions que les blancs étaient déjà en train de coloniser.

Après le transfert du DAI au DTAC, en 1948, les terres dont la R.I. 172 était composée ont été loties, puis transférées aux anciens combattants en vertu de conventions de vente, mais quatre lopins de terres qui ne convenaient pas à l’agriculture ont été conservés. La signature des conventions de vente a eu lieu entre le 10 septembre 1948 et le 3 avril 1956. En vertu de l’article 10 de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, dont les dispositions ont été incorporées dans les conventions de vente, les anciens combattants occupaient leurs parcelles à titre de « tenanciers à volonté » tant que les terres n’étaient pas légalement transférées sur paiement du prix d’achat. Par conséquent, des actes ont été remis aux anciens combattants à diverses dates, entre le 13 avril 1956 et le 4 avril 1977. De plus, les quatre lotissements que les anciens combattants n’avaient pas achetés ont été vendus à des compagnies pétrolières le 30 mai 1952[18].

Le directeur des Affaires indiennes était censé ne plus être en cause au moment où l’administration de la R.I. 172 a été transmise au DTAC en 1948, mais une compagnie gazière a écrit au DAI, en 1949, pour demander un permis d’exploration à l’égard de la R.I. 172[19]. Il semble que du gaz naturel avait été découvert à 40 milles au sud-est de la réserve. Le DAI a immédiatement donné à l’agent local des Indiens des instructions en vue de l’obtention d’une cession des droits miniers[20]. On l’a informé (ou on lui a rappelé) que la R.I. 172 avait été [traduction] « vendue » au DTAC, et il a informé la compagnie de la chose. Des demandes similaires ont été faites au DAI au début des années 1950, et chaque demande a été renvoyée au DTAC, bien que des doutes aient à maintes reprises été exprimés au sujet de la question de savoir si les droits miniers avaient été cédés dans le cadre de la cession de 1945[21].

En fin de compte, la plupart des anciens combattants de la région ont accepté la cession à bail du pétrole et du gaz. Toutefois, sur les soi-disant lotissements superflus qui ne convenaient pas à l’agriculture et qui n’avaient pas été achetés par des anciens combattants, le DTAC a vendu aux enchères les terres et les droits miniers y afférents, et le produit a été versé au Trésor fédéral. Les appelants disent que c’est là un fait important dont il faut tenir compte puisque cela montre que le DTAC était véritablement mandataire de la Couronne.

Il est reconnu que la bande a d’abord manifesté son intérêt à l’égard de droits continus qu’elle pouvait avoir sur la R.I. 172 au cours des années 1970. Les appelants disent que cet intérêt a été manifesté en 1977, année où le directeur régional du gouvernement leur a pour la première fois conseillé de retenir les services d’un avocat, alors que la Couronne dit qu’on devrait estimer que la chose s’est produite en 1970, lorsque la bande a décidé de fournir des copies de tous les documents se rapportant à la prétendue vente de la R.I. 172 à l’Union of British Columbia Indian Chiefs. Quoi qu’il en soit, les appelants ont finalement intenté une action devant la Section de première instance de cette Cour en septembre 1978. L’audience a eu lieu en janvier 1987, et l’action a été rejetée par un jugement prononcé le 4 novembre 1987.

LA NATURE DU TITRE DES INDIENS SUR LEURS TERRES EN DROIT CANADIEN

Dans ses motifs de jugement, le juge de première instance a accordé beaucoup d’importance à la supposition selon laquelle le droit des Indiens sur leurs terres « n’était pas un droit de propriété reconnu par la loi », mais simplement un droit personnel (à la page 44). Avec égards, je crois que cette conclusion était fondée sur une mauvaise compréhension de la jurisprudence. Étant donné que cette supposition constituait le fondement de la décision finale, je crois qu’il est utile, avant d’examiner les motifs de fond de ma conclusion, de passer en revue certains principes généraux qui, selon moi, s’appliquent aux affaires de ce genre. En plus d’illustrer la façon dont les tribunaux ont traité ce genre d’affaires, je crois que cela aidera à situer les événements, en particulier les actions contestées de la Couronne, dans leur contexte.

L’examen d’une affaire comme celle-ci exige au départ qu’on reconnaisse que le titre des Indiens sur leurs terres est un titre sui generis. La doctrine juridique actuelle peut avoir évolué par suite de l’examen effectué par des juges de common law, mais les règles que les tribunaux appliquent aux litiges concernant le titre des Indiens sur leurs terres sont plutôt différentes de la common law ordinaire en matière immobilière. À mon avis, la chose a une importance cruciale lorsqu’on examine la nature du lien qui unit les peuples autochtones à leurs terres, et les obligations concomitantes de la Couronne envers les peuples autochtones. Le vicomte Haldane a mis l’accent sur ce point dans l’arrêt Amodu Tijani v. Southern Nigeria (Secretary), [1921] 2 A.C. 399 (P.C.), lorsqu’il a dit ceci, aux pages 402 et 403 :

[traduction] En premier lieu, Leurs Seigneuries veulent faire remarquer qu’en déterminant la nature du titre des indigènes sur des biens-fonds non seulement au Nigéria du sud, mais en d’autres parties de l’Empire britannique, il est essentiel de se montrer extrêmement prudent. On a tendance, parfois inconsciemment, à concevoir ce titre selon des termes ne s’appliquant bien qu’aux systèmes fondés sur le droit anglais. Mais il faut contrôler étroitement cette tendance. Règle générale, dans les divers systèmes de droit aborigène à travers l’Empire on ne retrouve pas la distinction complète qui existe entre la propriété et la possession et avec laquelle les avocats anglais sont familiers.

À mon avis, l’essence véritable du titre des Indiens au Canada peut être mieux décrite comme une altération de la common law en matière immobilière, ou comme l’adjonction de notions non anglaises au droit anglais. Lorsque la Couronne britannique a proclamé sa souveraineté en Amérique du Nord britannique, elle l’a fait pour manifester le droit de propriété absolu du Roi contre toutes les autres puissances européennes. Dans ce sens, la souveraineté impériale en Amérique du Nord avait le même fondement que la souveraineté du Roi en Angleterre à l’époque féodale. Comme l’a dit Blackstone, les impératifs politiques et, en particulier, la nécessité de revendiquer la possession licite contre les puissances étrangères, ont donné lieu à un [traduction] « principe nécessaire (bien que, en réalité, une simple fiction) » selon lequel le Roi était considéré en droit comme [traduction] « le maître universel et le propriétaire initial de toutes les terres de son royaume », personne ne pouvant posséder un droit sur celles-ci [traduction] « si ce n’est ce qui émanait directement ou indirectement de lui à titre de donation » (Commentaries on the Laws of England, Book 2, à la page 51)[22].

Toutefois, à cette conception féodale du domaine public a été appliqué un ensemble de règles génériques, dont le développement a succinctement été expliqué par le juge Chapman dans The Queen v. Symonds (1847), N.Z.P.C.C. 387 (S.C.), à la page 388 :

[traduction] Les rapports entre les nations civilisées et en particulier la Grande-Bretagne, et les peuples autochtones d’Amérique et d’autres pays, au cours des deux derniers siècles, ont graduellement mené à l’adoption et à la reconnaissance par les tribunaux coloniaux de certains principes de droit établis pertinents.

L’arrêt canadien contemporain qui fait autorité et dans lequel sont examinés les principes de droit applicables à ces rapports est Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335. Cet arrêt portait sur la cession à la Couronne, par une bande indienne, en vue de la location, de terres qui devaient être utilisées comme terrain de golf; comme le montrent les motifs du juge de première instance et du juge Stone, la décision a une certaine importance lorsqu’il s’agit d’examiner les obligations fiduciaires de la Couronne envers les appelants et la question de la prescription. Toutefois, il importe également de noter les remarques qui y sont faites au sujet de la nature du titre autochtone en général.

Dans un arrêt antérieur, St. Catherine’s [sic] Milling and Lumber Company v. Reg. (1888), 14 App. Cas. 46, à la page 58, le Conseil privé a dit que la Couronne avait [traduction] « un droit de propriété actuel sur les terres et le titre des Indiens ne faisait que le grever »[23]. Lord Watson, parlant au nom du comité, et manifestant peut-être ses sources civiles[24] en empruntant un terme du droit romain, a décrit le titre autochtone comme étant un [traduction] « droit personnel, de la nature d’un usufruit, dépendant du bon plaisir du souverain » (à la page 54)[25]. De même, dans Amodu Tijani v. Southern Nigeria (Secretary), précité, à la page 403, le vicomte Haldane a décrit le titre autochtone comme étant [traduction] « une simple restriction ou charge sur le titre radical ou final du souverain ».

Toutefois, dans l’arrêt Attorney-General for Quebec v. Attorney-General for Canada, [1921] 1 A.C. 401 (l’affaire dite Star Chrome), le Conseil privé a clarifié ces déclarations. À la page 408, et en réponse à la proposition du juge de première instance selon laquelle les appelants en l’espèce possédaient simplement un droit personnel sur leurs terres, le juge Duff, parlant au nom du comité, a dit que le titre autochtone sur des biens-fonds [traduction] « est un droit de la nature d’un usufruit seulement et un droit personnel en ce sens que, par sa nature, il est inaliénable, sauf par cession à la Couronne ». (C’est moi qui souligne.)

Dans l’arrêt Guerin, la Cour suprême a donné une définition plus précise du titre autochtone de façon que celui-ci corresponde mieux à la situation actuelle[26]. En rendant jugement au nom de la majorité, le juge Dickson (tel était alors son titre) a concilié, à la page 382, les notions de droit personnel et de droit de propriété. Comme nous le verrons, ce faisant, il a réitéré l’avertissement donné par le vicomte Haldane dans l’arrêt Amodu Tijani :

Il me semble qu’il n’y a pas de conflit véritable entre les décisions qui qualifient le titre indien de sorte de droit de bénéficiaire et celles qui le qualifient de droit personnel, de la nature d’un usufruit. Toute apparence d’incompatibilité découle du fait que les tribunaux, en décrivant ce qui constitue un droit unique sur des terres, ont presque inévitablement appliqué une terminologie quelque peu inadéquate tirée du droit général des biens. Il y a un élément de vérité dans la description du titre indien qui se dégage de chacun des deux courants de jurisprudence, mais il y a tout de même apparence de conflit parce que dans ni l’un ni l’autre cas la catégorisation n’est tout à fait exacte. [C’est moi qui souligne.]

Le juge a ensuite décrit comme suit la nature du droit pouvant être reconnu par la loi que possèdent les Indiens sur leurs terres [à la page 382] :

Les Indiens ont le droit, en common law, d’occuper et de posséder certaines terres dont le titre de propriété est finalement détenu par Sa Majesté. Bien que leur droit n’équivaille pas, à proprement parler, à un droit de propriété à titre bénéficiaire, sa nature n’est pas définie complètement par la notion d’un droit personnel. Il est vrai que le droit sui generis des Indiens sur leurs terres est personnel en ce sens qu’il ne peut être transféré à un cessionnaire, mais il est également vrai, comme nous allons le constater plus loin, que ce droit, lorsqu’il est cédé, a pour effet d’imposer à Sa Majesté l’obligation de fiduciaire particulière d’utiliser les terres au profit des Indiens qui les ont cédées. Ces deux aspects du titre indien vont de pair, car, en stipulant que le droit des Indiens ne peut être aliéné qu’à elle-même, Sa Majesté voulait au départ être mieux en mesure de représenter les Indiens dans les négociations avec des tiers. Le droit des Indiens se distingue donc surtout par son inaliénabilité générale et par le fait que Sa Majesté est tenue d’administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu’il y a eu cession de ce droit. Toute description du titre indien qui va plus loin que ces deux éléments est superflue et risque d’induire en erreur. [C’est moi qui souligne.]

Dans des arrêts subséquents, la Cour suprême du Canada a de nouveau déclaré que le titre autochtone était unique en son genre. Ainsi, dans Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654, la Cour a passé les arrêts en revue et a dit ceci, à la page 678 :

La conclusion inéluctable qui se dégage jusqu’à maintenant de l’analyse que la Cour a faite du titre indien est que les Indiens ont un véritable droit sui generis sur leurs terres. Il s’agit de quelque chose de plus qu’un droit de jouissance et d’occupation bien que, comme l’a souligné le juge Dickson dans l’arrêt Guerin, il soit difficile de décrire ce en quoi consiste ce quelque chose de plus au moyen de la terminologie traditionnelle du droit des biens. [C’est moi qui souligne.]

Voir également Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; et Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85.

On peut donc constater que la nature du droit que possèdent les Indiens sur leurs terres est étroitement liée aux relations particulières qu’ils entretiennent avec la Couronne. En sa qualité de souveraine, la Reine possède un titre final à l’égard de toutes les terres sur lesquelles elle exerce sa souveraineté. Au fil des siècles, les restrictions imposées à la plupart des propriétaires fonciers ont été considérablement relâchées, de sorte que les notions féodales de droits et d’obligations ne constituent qu’une fiction juridique. Toutefois, en ce qui concerne les peuples autochtones, Sa Majesté continue à être dans une situation quasi féodale. Les autochtones ont la faculté d’utiliser leurs terres à leur gré, mais s’ils veulent les aliéner, la Couronne s’engage à veiller à ce que leurs intérêts soient protégés.

En d’autres termes, au lieu de définir le droit des Indiens comme une [traduction] « charge » sur le titre de la Couronne, le Conseil privé aurait peut-être dû le décrire comme étant également une charge sur la personne du souverain de façon à s’assurer que les Indiens n’étaient pas déraisonnablement privés du droit qu’ils avaient de jouir d’une manière pleine et absolue de leurs terres. C’est dans cet esprit que dans l’arrêt The Queen v. George, [1966] R.C.S. 267, à la page 279, le juge Cartwright (tel était alors son titre) a dit que la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1952, ch. 149] et les traités conclus avec les peuples autochtones du Canada devaient être interprétés

[traduction] … de manière que l’honneur de la Souveraine soit préservé et qu’on ne puisse reprocher au Parlement d’avoir retiré aux Indiens par un acte unilatéral et sans leur accorder de contrepartie les droits qui leur sont solennellement garantis par le traité ainsi qu’à leurs descendants.

Bref, les arrêts montrent que dans les affaires concernant les terres autochtones, il faut se rappeler qu’en s’interposant entre les Indiens et le public non autochtone, la Couronne reconnaît que les peuples autochtones avaient un genre de titre pouvant être légalement reconnu sur les terres qu’ils occupaient avant l’arrivée des Européens et qu’elle a en outre engagé son honneur à protéger les intérêts des habitants autochtones. Tel est le contexte dans lequel, à mon avis, il faut examiner la légitimité de l’action gouvernementale dans les circonstances de l’affaire.

LA CESSION DES DROITS MINIERS AFFÉRENTS À LA R.I. 172 EFFECTUÉE EN 1940

À mon avis, la réponse à la prétention des appelants se trouve dans la cession effectuée en 1940 aux fins de la cession à bail des droits pétroliers, gaziers et miniers afférents à la R.I. 172. Le juge de première instance a conclu que la cession de 1945 avait, en fait, remplacé la cession de 1940. Toutefois, à mon avis (et sans exprimer une opinion concluante au sujet de la validité légale de la cession de 1945, question sur laquelle j’ai un doute considérable), la cession des droits miniers dans ces circonstances particulières empêchait d’en tenir compte, pour ainsi dire, à moins qu’ils ne soient expressément en cause.

En concluant que les droits miniers étaient inclus dans la cession de 1945, le juge de première instance a dit ceci, aux pages 53 et 54 :

Il est important de se rappeler que le titre sur les terres de la réserve appartenait en tout temps à la Couronne. Par ce qu’on pourrait appeler la clause de concession dans l’acte de cession de 1940, tous les droits usufruitiers que les demandeurs possédaient relativement [traduction] « au pétrole et au gaz naturel ainsi qu’aux droits miniers connexes » en ce qui concerne la R.I. 172 ont été effectivement cédés au Roi. Par contre, il est question dans la cession de 1945 de la réserve elle-même et non d’un droit restreint afférent à celle-ci, et, par cette cession, l’ensemble de la réserve est cédé pour toujours à Sa Majesté. Évidemment, cela ne peut que viser les droits usufruitiers ou autres droits que les Indiens peuvent posséder sur l’ensemble de la réserve. Il n’y a aucune restriction dans la clause de concession; la clause de l’habendum prévoit qu’il y a cession [traduction] « en fiducie aux fins de vendre ou de louer … et que les sommes reçues seront portées à notre crédit de la manière habituelle. » Lorsque la description d’un bien cédé ne comporte aucune restriction ni réserve, l’ensemble du bien mentionné, qu’il s’agisse d’un bien réel ou personnel, et tous les droits afférents, qu’il s’agisse de droits légaux, en equity ou usufruitiers, sont présumés faire partie de la cession. Il ne s’agit pas seulement d’une règle de common law, mais de bon sens. [C’est moi qui souligne.]

Le juge a ajouté ceci [à la page 54] :

Si on présume pour l’instant que les demandeurs ont librement consenti, en toute connaissance de cause, à la cession effectuée en 1945 [ce que le juge a par la suite conclu], on pourrait normalement conclure à la simple lecture des deux documents, et en l’absence de preuve contraire, que les deux parties voulaient, en signant la cession de 1945, que tous les droits de propriété des demandeurs, y compris les droits de propriété ou autres droits qu’ils pouvaient posséder sur les minéraux de la réserve, soient cédés aux fins mentionnées dans cet acte, c’est-à-dire leur vente ou leur location par la Couronne pour le profit des Indiens.

Dans son argumentation, l’avocat de la Couronne a donné des explications à ce sujet. Faisant allusion au fait que le titre légal sur toutes les terres réservées est dévolu à la Couronne, l’avocat a soutenu que la cession constitue essentiellement une simple levée de la restriction législative empêchant la Couronne d’aliéner une partie de la réserve. En 1940, dit-il, les Indiens ont partiellement renoncé à cette restriction de façon à permettre à la Couronne de disposer des droits miniers pour leur compte. De son côté, l’effet de la cession de 1945 a été de supprimer complètement la restriction concernant l’aliénabilité. Cela étant, il devient évident, selon l’avocat, que les appelants ne peuvent pas affirmer que leur titre a de quelque façon été [traduction] « divisé » par la cession antérieure.

Avec égards, je crois qu’indépendamment du fait qu’on caractérise le titre comme un genre de fusion, comme la Couronne l’a fait, ou comme une question d’intention des parties, comme le juge de première instance l’a fait, la conclusion que la cession de 1940 a été subsumée sous la cession de 1945 est erronée à plusieurs égards.

Premièrement, j’estime que dans le passage que je viens de citer, et en particulier dans la partie que j’ai soulignée, le juge de première instance a fait pencher la balance du mauvais côté en ce qui concerne la présomption. Il a dit qu’en l’absence d’une restriction expresse dans l’acte de cession, tous les droits des Indiens sur la R.I. 172 « sont présumés faire partie de la cession » et qu’« en l’absence de preuve contraire », « les deux parties voulaient » que tous les droits autochtones soient cédés en vertu des dispositions de la cession de 1945 (à la page 54). Même si c’est le cas lorsque deux parties traitent sans lien de dépendance en vertu du droit général des biens immobiliers, il est erroné de ne pas tenir compte du fait que les droits que possèdent les autochtones sur leurs terres, et l’aliénabilité de ces droits, sont des droits sui generis.

À mon avis, en vertu des dispositions dont avaient convenu les peuples autochtones et la Couronne dans les divers traités, lesquelles ont été incorporées dans la Proclamation royale de 1763 et dans la Loi sur les Indiens, il est impossible, par définition, pour les Indiens d’effectuer des opérations du genre envisagé par le juge de première instance. De fait, comme le juge Dickson l’a dit dans l’arrêt Guerin, l’intention même était d’« être mieux en mesure de représenter les Indiens dans les négociations avec des tiers » (précité, à la page 382) et d’« interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter » (à la page 383). À mon avis, il est donc erroné d’appliquer des présomptions, élaborées en common law pour protéger les droits d’acquéreurs innocents sans lien de dépendance qui effectuent des opérations immobilières, à une opération dans laquelle une partie défavorisée cède à une fin précise un droit sur des terres unique en son genre sur le plan juridique à une autre personne qui s’est engagée à agir uniquement au mieux des intérêts de la partie défavorisée et conformément à la fin pour laquelle la terre a été cédée.

Avec égards, je crois qu’en considérant les appelants comme les cédants ordinaires d’un bien en common law, le juge de première instance a commis le genre d’erreur contre laquelle le vicomte Haldane et le juge Dickson avaient mis en garde. En somme, il caractérise implicitement le droit autochtone en se fondant sur les termes de la common law en matière immobilière. Comme le juge Dickson l’a dit dans l’arrêt Guerin, et comme le vicomte Haldane l’a rappelé dans l’arrêt Amodu Tijani, le titre autochtone est un droit sui generis, et il faut le considérer d’une façon indépendante. Si j’applique cette mise en garde à cette affaire, je ne crois pas que déterminer l’effet de la cession de 1940 sur la cession subséquente de 1945 est aussi simple que dire qu’étant donné que tout appartenait à la Couronne, sauf certains droits personnels que possédaient les Indiens, une fois que les droits personnels ont été abandonnés, cette dernière était libre de disposer des biens-fonds à sa guise. Pourtant, tel est le corollaire implicite de la conclusion tirée par le juge de première instance.

De même, le juge de première instance a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait qu’avant la cession de 1945, il existait un rapport fiduciaire entre la Couronne et les Indiens à l’égard des droits miniers afférents à la R.I. 172. Indépendamment des obligations fiduciaires qu’elle pouvait avoir pendant la période où elle cherchait à obtenir la cession de 1945, il est certain qu’après 1940, la Couronne agissait à titre de fiduciaire envers les Indiens en ce qui concerne les droits miniers. Comme le juge Dickson l’a dit dans l’arrêt Guerin (précité, à la page 378), une fois que les Indiens ont cédé les droits miniers afférents à la R.I. 172 aux fins de la cession à bail, la Couronne était tenue de disposer de ces droits au profit des Indiens et conformément aux conditions de la cession.

Cela étant, si la Couronne voulait que la cession de 1945 prive les Indiens de tous les droits qu’ils possédaient sur la réserve et si elle voulait se libérer de l’obligation qu’elle avait volontairement assumée de gérer les droits miniers afférents à la réserve au mieux des intérêts des Indiens, elle était tenue d’informer les Indiens de la chose. C’est ce que le juge Dickson a dit dans l’arrêt Guerin. En examinant l’obligation de la Couronne, lorsqu’il est devenu évident que celle-ci ne serait pas en mesure de louer les terres cédées à des conditions aussi avantageuses que celles qui avaient été proposées aux Indiens, il a dit ceci, aux pages 388 et 389 :

J’estime … que l’acte de cession n’autorisait pas Sa Majesté à ignorer les conditions verbales qui, selon ce que la bande avait cru comprendre, seraient incluses dans le bail. C’est en fonction de ces représentations verbales que doit être appréciée la conduite adoptée par Sa Majesté en s’acquittant de son obligation de fiduciaire. Elles définissent et limitent la latitude dont jouissait Sa Majesté dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Après que les mandataires de Sa Majesté eurent amené la bande à céder ses terres en lui laissant entendre qu’elles seraient louées à certaines conditions, il serait déraisonnable de permettre à Sa Majesté d’ignorer tout simplement ces conditions. Lorsqu’il s’est révélé impossible d’obtenir le bail promis, Sa Majesté, au lieu de procéder à la location des terres à des conditions différentes et défavorables, aurait dû retourner devant la bande pour lui expliquer ce qui s’était passé et demander son avis sur ce qu’il lui fallait faire. L’existence de cette conduite peu scrupuleuse est primordiale pour qu’on puisse conclure que Sa Majesté a manqué à son obligation de fiduciaire. L’equity ne sanctionnera pas une conduite peu scrupuleuse de la part d’un fiduciaire qui doit faire preuve d’une loyauté absolue envers son commettant. [C’est moi qui souligne.]

En l’espèce, ce raisonnement s’applique avec autant de force. Quoi qu’il en soit dans le cas du transfert sans lien de dépendance d’un titre sur des biens immobiliers existant en common law, dans les circonstances de cette affaire, après la cession des droits miniers, aux fins de la cession à bail, effectuée en 1940, la Couronne était tenue d’informer les Indiens qu’elle avait l’intention de vendre, plutôt que de louer, ces droits avant d’accepter la cession des droits de superficie en 1945. En d’autres termes, puisque la Couronne avait une obligation fiduciaire, en l’absence de communication complète, il faut présumer qu’elle n’avait pas l’intention d’inclure les droits miniers dans la cession de 1945. Il n’est pas prouvé que la Couronne l’ait fait et, à mon avis, il n’est pas opportun, dans le contexte d’un rapport fiduciaire, en particulier d’un rapport entre la Couronne et un groupe de gens qui, comme la bande, s’y connaissaient si peu en matière juridique, d’interpréter le silence comme voulant dire que la partie vulnérable acceptait d’être privée d’une façon permanente de son droit, ou que le fiduciaire voulait que celle-ci en soit privée.

Je dirais également qu’à mon avis, les conclusions du juge de première instance ne sont pas étayées par la preuve. Comme il en a été fait mention, le juge de première instance a tiré ses conclusions en se fondant sur la simple lecture des clauses de l’habendum des actes de cession de 1940 et de 1945. « [E]n l’absence de preuve contraire », a-t-il dit [à la page 54], le libellé utilisé dans les actes de cession (qui, doit-on faire remarquer, étaient rédigés en la forme normale utilisée dans les actes en common law) mène à la conclusion que les deux parties voulaient que la cession de 1945 englobe tous les droits autochtones afférents à la R.I. 172. Pourtant, il l’a fait devant une politique gouvernementale qui encourageait l’exploration et la mise en valeur des ressources en pétrole et en gaz naturel sur les terres réservées.

En outre, le juge a conclu qu’il n’avait pas été question des droits miniers à l’assemblée convoquée au sujet de la cession (à la page 201 du F.T.R.). De plus, il ne faut pas oublier le contexte dans lequel les [traduction] « négociations » relatives à la cession ont eu lieu, à savoir afin de fournir des terres agricoles aux anciens combattants. Aux pages 98 à 103, mon collègue le juge Stone, énumère certaines raisons qui ont mené à la cession de 1945; celles-ci montrent toutes clairement que la Couronne voulait fournir des terres agricoles aux militaires qui revenaient de la guerre. Enfin, fait non moins important, comme je l’ai ci-dessus fait remarquer, après que le directeur des Affaires indiennes eut transféré l’administration de la R.I. 172 au Directeur des terres destinées aux anciens combattants, en 1948, le DAI et le DTAC ne savaient ni l’un ni l’autre quel était exactement l’état des droits pétroliers et gaziers.

Cet examen m’amène à conclure que la preuve n’était pas neutre, comme le juge de première instance l’a laissé entendre. Au contraire, j’estime que considérée dans son contexte, la preuve établit que la Couronne n’avait pas fait ce qu’il fallait, en sa qualité de fiduciaire, pour prouver que les parties voulaient que la cession de 1945 remplace la cession antérieure des droits miniers aux fins de la cession à bail. Cela étant, j’estime que même après la cession de 1945 (ici encore, à supposer tout simplement qu’elle fût valide), la Couronne détenait les droits miniers afférents à la R.I. 172 en vertu de l’obligation qui lui incombait de les louer au profit des appelants aux conditions les plus avantageuses possibles.

Cette conclusion est étayée par les dispositions de la Loi des Indiens*. Les appelants soutiennent qu’au moment de la cession, les droits miniers sont devenus des « terres indiennes » au sens de la Loi, lesquelles, selon eux, ne peuvent pas être de nouveau cédées. Toutefois, le juge de première instance a rejeté cet argument et a jugé que les « terres indiennes » pouvaient uniquement comprendre les droits de superficie, et non uniquement les droits miniers.

L’article 54 de la Loi des Indiens en vigueur au moment pertinent[27] prévoyait que la Couronne devait disposer de toutes « [l]es terres des Indiens qui sont des réserves ou des parties de réserves rétrocédées » conformément aux conditions de la rétrocession. Une disposition confirmatoire, soit l’alinéa 2l), définissait les expressions « terres indiennes » et « terres des Indiens » comme signifiant « toute réserve ou partie de réserve qui a été cédée à la Couronne ». De son côté, l’expression « réserve » était définie à l’alinéa 2h) comme signifiant

2.

h)   … toute étendue de terre mise à part, par traité ou autrement, pour l’usage ou le profit d’une bande particulière d’Indiens ou concédée à cette bande, et dont le titre légal est attribué à la Couronne, et qui fait encore partie de la réserve et n’a pas été rétrocédée à la Couronne, et comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux, les métaux et autres choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l’intérieur du sol. [Soulignements ajoutés.]

Il faut noter dès le début qu’il s’agit là clairement d’une définition inclusive qui vise manifestement à englober des choses autres que de simples droits de superficie.

Dans St. Ann’s Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211, le juge Kerwin (tel était alors son titre) a conclu que, pour être cédées de nouveau, les terres réservées qui avaient été cédées pour un certain nombre d’années devaient d’abord faire de nouveau partie de la réserve (aux pages 212 et 213). De même, le juge Rand, qui exprimait une opinion concordante, a laissé entendre que l’arrêt St. Catharine’s Milling pouvait être considéré comme étayant la proposition selon laquelle il pouvait y avoir une cession partielle des [traduction] « droits personnels, de la nature d’un usufruit » des autochtones sur leurs biens. À son avis, cela permettrait de céder une réserve pendant une période limitée (à la page 219).

Il s’agit donc en l’espèce de savoir si les droits miniers, qui sont clairement inclus dans la définition de l’expression « réserve », peuvent constituer une « partie de réserve » de façon à pouvoir être convertis en terres indiennes. Dans l’affirmative, comme le soutiennent les appelants, les droits miniers afférents à la R.I. 172 n’ont pas pu être cédés en 1945 car ils ne faisaient plus partie du bien que les Cri-Dunne-za pouvaient céder.

À mon avis, la position des appelants est étayée par la simple lecture de la Loi. En outre, étant donné le raisonnement qui a été fait dans l’arrêt St. Ann’s Fishing Club (et en particulier celui du juge Rand), une chose aussi facilement identifiable que des droits miniers devrait donc pouvoir faire l’objet d’une cession partielle valide.

Ainsi, il est difficile de nier qu’une bande indienne pourrait céder une rivière ou un ruisseau situés dans une réserve et que la notion de terre indienne s’appliquerait facilement à ceux-ci. Il est à supposer que la bande pourrait également simplement céder ses droits de pêche sur le ruisseau[28]. Dans l’affirmative, pourquoi ne pourrait-elle pas céder l’équivalent souterrain, les veines, ou les « couches » de minéraux comme les géologues les appellent? De toute évidence, pendant les années 1940, la Couronne semblait croire que les droits miniers pouvaient être loués indépendamment de la surface. Comme mon collègue le juge Stone, le souligne, M. Joe Leask, témoin de la Couronne, estimait qu’il fallait [traduction] « annuler » une cession par décret avant d’effectuer une autre cession contraire aux conditions de la première[29]. En l’espèce, il n’est pas établi que la cession de 1940 ait été [traduction] « annulée ».

Cela étant, si l’on donne à la Loi des Indiens une interprétation réparatrice, comme la Loi d’interprétation l’exige[30], on peut passablement à bon droit, à mon avis, considérer l’article 54 comme englobant les minéraux, les forêts, le poisson et le gibier et toute autre chose qui permettrait à la Couronne d’utiliser les terres au mieux des intérêts des Indiens. Si l’on donne aux mots leurs sens littéral, les minéraux doivent certainement faire « partie » de la réserve, puisque par définition une réserve inclut les minéraux.

Pour ces motifs, j’estime que les droits miniers afférents à la R.I. 172 n’étaient pas inclus dans la cession de 1945. Cela ne veut pas dire, comme le juge de première instance l’a laissé entendre [à la page 57], que les droits miniers « ne pourraient plus jamais être vendus ». Il est passablement clair que pareille interprétation irait à l’encontre de l’esprit de la Loi des Indiens, voulant que les peuples autochtones puissent tirer le plus possible parti de leurs terres. Cependant, cela veut dire qu’une fois que les droits miniers étaient séparés de la réserve, comme la Couronne estimait qu’il était préférable de le faire dans l’intérêt de la bande, ils ne pouvaient pas être de nouveau cédés sans le consentement exprès de la bande et sans la révocation antérieure de la cession des droits miniers aux fins de la location, effectuée en 1940, ce qui ne s’est pas produit dans ce cas-ci. Comme je l’ai fait remarquer, la déposition du propre témoin de la Couronne, M. Leask, montre clairement que la Couronne ne considérait pas pareille procédure comme absurde.

LE TRANSFERT DES DROITS DE SUPERFICIE AFFÉRENTS À LA R.I. 172 DU DIRECTEUR DES AFFAIRES INDIENNES AU DIRECTEUR DES TERRES DESTINÉES AUX ANCIENS COMBATTANTS EN ATTENDANT L’ALIÉNATION—TRANSFERT DES DROITS DE SUPERFICIE SEULEMENT

Le juge de première instance et mon collègue le juge Stone, se fondent tous les deux sur ce que les lettres patentes par lesquelles la R.I. 172 a été transférée au Directeur des terres destinées aux anciens combattants constituaient une vente entre la Couronne et une tierce partie indépendante. Cela étant, ils concluent que le droit en common law de la Couronne à l’égard des droits miniers s’est éteint au moment du transfert. Toutefois, je ne partage pas cet avis. J’estime que les droits miniers n’ont pas été transmis au DTAC lors du transfert de 1948, et ce, pour la raison même pour laquelle ils n’ont pas été subsumés sous les conditions de la cession de 1945.

Au risque de me répéter, la Couronne était fiduciaire, et même si ce n’est que par inadvertance que les droits miniers n’ont pas expressément été réservés, comme le soutenait le ministère des Affaires des anciens combattants (voir ci-dessus, note 20), si l’obligation que la Couronne s’était elle-même imposée de louer les droits miniers au profit des Indiens n’avait pas été levée, elle n’aurait pas pu être évitée par la simple délivrance de lettres patentes à une autre création de la Couronne.

J’ajouterais également qu’à mon avis, malgré les documents utilisés, le transfert du DAI au DTAC était simplement cela—un transfert administratif entre des organismes de la Couronne en attendant la vente. Par conséquent, même si les lettres patentes peuvent être interprétées comme incluant les droits miniers ainsi que les droits de superficie afférents à la R.I. 172, l’obligation qui, à mon avis, incombait à la Couronne à l’égard des droits miniers par suite de la cession de 1940 a continué à exister telle quelle après 1948.

J’estime que tel est le cas parce que je crois que l’examen de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, et le cadre constitutionnel dans lequel celle-ci devait s’appliquer, mènent à la conclusion que le DTAC agissait pour le compte de la Couronne et qu’en tant que tel, il pouvait hériter de tout ce qui grevait les terres qu’il acquérait. En d’autres termes, il pouvait acquérir les charges établies sur les terres de même que les avantages y afférents.

Tout examen de la responsabilité juridique de ceux qui agissent pour le compte de l’État est fondé (ou du moins, était fondé, jusqu’en 1982) sur la prémisse constitutionnelle voulant que le souverain est la source et la fontaine de justice et que toute compétence émane de lui[31]. Dans la mesure où les chefs exclusifs de compétence sont en cause, la Couronne est une et indivisible[32] et, en vertu de la prérogative royale, le souverain est l’autorité exécutive suprême au sein de l’État. Tous les actes de l’exécutif sont accomplis en son nom ou sont accomplis par des ministres de la Couronne agissant en vertu des pouvoirs qui leur sont conférés par une loi. En outre, il n’y a aucun acte de l’exécutif dont un fonctionnaire ou ministre de la Couronne n’est pas responsable[33].

Par conséquent, en common law, si la Couronne acquiert un bien-fonds grevé d’une charge en faveur des autochtones, il importe peu de savoir quel fonctionnaire est par la suite responsable de la gestion de celui-ci, car la charge est une obligation à laquelle le souverain est assujetti et elle ne sera levée qu’au moment de son extinction. Or, en l’espèce, l’extinction peut uniquement se faire sur consentement mutuel de la Couronne et des Indiens ou par l’entremise d’une loi fédérale, bien que, dans ce dernier cas, il doive y avoir une disposition expresse pour que les tribunaux puissent interpréter un droit privé comme ayant été supprimé[34].

Étant donné que j’ai conclu que, dans les circonstances de l’espèce, l’obligation fiduciaire qui incombait à la Couronne de louer les droits miniers pour le compte des Indiens n’a pas été éteinte par suite de la cession de 1945, c’est-à-dire de gré à gré, il s’agit maintenant de savoir si l’on peut dire qu’une disposition de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants montre, d’une façon expresse ou nécessairement implicite, que, selon l’intention du législateur, il suffisait de transmettre l’administration des terres indiennes réservées au Directeur des terres destinées aux anciens combattants pour éteindre les droits des autochtones sur leurs terres. En effet, si l’existence de pareille intention ne peut être établie, il faut conclure que dans la mesure où l’obligation qui incombait à la Couronne en vertu de la cession de 1940 est en cause, le DAI et le DTAC ne faisaient qu’un et que les [traduction] « négociations » entre le DAI et le DTAC constituaient donc une transaction intéressée dans sa forme la plus élémentaire (question sur laquelle le juge de première instance n’a pas jugé bon d’exprimer son opinion).

La plupart des arguments au sujet du statut du DTAC en l’espèce étaient uniquement fondés sur l’examen isolé de l’article 5 de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants[35]. Je conviens qu’en fin de compte, la réponse dépendra du sens donné à l’article 5 (et en particulier au paragraphe 5(1)), mais pour en arriver là, en d’autres termes, pour déterminer si le législateur avait l’intention d’annuler la garantie solennelle donnée aux Indiens par la Couronne, comme le juge Cartwright l’a appelée dans l’arrêt The Queen v. George, précité, je crois qu’il faut absolument examiner la Loi dans son ensemble.

Ainsi, il importe de tenir compte du préambule car il montre clairement que le législateur avait l’intention de faire jouer au gouvernement un rôle actif dans la distribution des terres aux militaires qui revenaient de la guerre. Ainsi, le préambule dit qu’il est « d’intérêt public » « d’aider à devenir propriétaires de domaines ruraux les anciens combattants qualifiés » parce que la grande majorité d’entre eux ont « un capital restreint ». Toutefois, fait encore plus important, il parle de la participation directe du gouvernement : « [L]e gouvernement fédéral a l’intention de fournir une certaine mesure d’aide financière aux anciens combattants lorsqu’ils auront rempli les conditions d’établissement prescrites ».

En vertu du paragraphe 3(1), le gouverneur en conseil pouvait nommer un Directeur qui était directement responsable envers le ministre des Mines et des Ressources (le ministre des Affaires des anciens combattants, après le mois d’octobre 1944) qui devait « [avoir] le rang de sous-ministre ». En vertu du paragraphe 3(2), le traitement touché par le Directeur devait être fixé par décret.

L’article 7 décrit l’étendue des pouvoirs du DTAC, en ce qui concerne l’acquisition de biens. Celui-ci pouvait a) les acheter par contrat, ou b) « de toute autre manière [les] acquérir, par consentement ou contrat, de Sa Majesté du chef du Canada, ou de toute province ou autorité municipale, ou de toute personne, firme ou corporation ». L’article 9 conférait au Directeur le pouvoir de « passer un contrat » en vue de la vente de biens-fonds. Le paiement du prix d’achat pouvait être échelonné sur un certain nombre d’années, mais tant que le prix n’était pas payé au complet, le titre restait entre les mains du Directeur (article 11) et l’ancien combattant était un tenancier à volonté (article 10).

Il est également intéressant de noter les définitions des expressions « terre » ou « bien-fonds » et « biens » ou « propriété » figurant dans la Loi. L’article 2 est ainsi libellé :

2.

b)   « terre » ou « bien-fonds », ou « terres » ou « biens-fonds », comprend les terres fédérales, provinciales ou privées, concédées ou non concédées, ainsi que les biens réels ou immobiliers, les maisons et dépendances, les terres, fonds et héritages de toute tenure, de même que les droits réels, les servitudes, les rivières, eaux, cours d’eau, chemins et voies, et tous droits ou intérêts dans ou sur une terre ou des terres définies aux présentes ou qui en proviennent, et toutes charges sur la terre ou les terres ainsi définies;

c)   « biens » ou « propriété » comprend une terre définie aux présentes et les biens et effets réels et personnels, les biens personnels ou mobiliers, et tous droits ou intérêts dans ou sur des biens définis aux présentes ou qui en proviennent, et toutes charges sur les biens ainsi définis. [Soulignements ajoutés.]

Comme je l’ai fait remarquer, l’article 7 parle de l’acquisition de « biens » par le Directeur. Compte tenu des définitions figurant aux alinéas 2b) et c) (c’est-à-dire que l’expression « biens » comprend les droits, intérêts et charges afférents à une terre), cela inclurait les droits autochtones. Par conséquent, le Directeur, en sa qualité de cessionnaire de terres, n’était pas, à première vue, dans une situation différente de celle d’une autre personne. En d’autres termes, il n’y a pas lieu de croire que lorsqu’il acquérait un titre sur une propriété, il n’était pas assujetti aux charges dont le bien-fonds pouvait être grevé s’il était acheté par un particulier.

Comme le juge de première instance l’a souligné, pour déterminer si le DTAC agissait pour le compte de la Couronne en [traduction] « prenant la place » du directeur des Affaires indiennes relativement à la R.I. 172, il faut se reporter au paragraphe 5(1). Cette disposition est ainsi libellée :

5. (1) Aux fins d’acquérir, de détenir, transporter et transférer et de convenir de transporter, d’acquérir ou de transférer l’un des biens que la présente loi l’autorise à acquérir, détenir, transporter, transférer ou convenir de transporter ou de transférer, mais pour ces fins seulement, le Directeur est une corporation constituée d’une seule personne physique; lui et ses successeurs auront une succession perpétuelle et, à ce titre, il est le mandataire de Sa Majesté du droit du Canada. [Soulignements ajoutés.]

Compte tenu des principes constitutionnels susmentionnés, il s’agit de savoir si l’on peut dire que cette disposition indique d’une façon expresse ou nécessairement implicite l’intention du législateur de considérer le DTAC comme distinct et indépendant de la Couronne lorsque celui-ci acquiert un titre sur une terre. Je crois que ce point, soit la présomption qu’en adoptant la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, le législateur n’avait pas l’intention de priver les Indiens de leurs droits, est important, car il me semble que le juge de première instance s’est fondé sur une hypothèse de [traduction] « neutralité d’interprétation », comme on pourrait l’appeler.

Aux fins de notre examen, il pourrait être utile d’omettre les termes superflus. Fondamentalement (s’il est uniquement tenu compte du pouvoir en cause en l’espèce), le paragraphe 5(1) serait ainsi libellé : [traduction] « Aux fins d’acquérir des terres, mais pour ces fins seulement le Directeur est une corporation constituée d’une seule personne physique et, à ce titre, il est mandataire de la Couronne ». Considérée sous cet angle, cette disposition laisse-t-elle supposer que le législateur avait l’intention de priver les Indiens de leurs droits? Pour plusieurs raisons, je répondrais par la négative.

Premièrement, il semble évident que contrairement à ce que le juge de première instance a affirmé, le paragraphe 5(1) confirme en fait qu’en acquérant des terres, le DTAC agissait pour le compte de la Couronne. Le DTAC était peut-être une corporation constituée d’une seule personne physique, mais en me fondant sur la simple lecture de la disposition, je ne puis voir comment on pourrait soutenir qu’il n’agissait pas à titre de mandataire de la Couronne.

Deuxièmement, il importe de noter, à mon avis, que le paragraphe 5(1) décrit le statut du Directeur aux fins de l’acquisition de terres, mais « pour ces fins seulement ». Bien sûr, cela laisse entendre qu’à toutes les autres fins, le statut du DTAC était différent. Étant donné qu’en vertu de l’article 3, le DTAC avait le rang de sous-ministre, il pouvait uniquement avoir le statut de préposé de la Couronne. La Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants visait peut-être à accorder au DTAC une certaine indépendance dans l’exercice de ses fonctions habituelles, par rapport à l’appareil gouvernemental, mais à mon avis, le paragraphe 5(1) confirme l’économie générale de la Loi, à savoir que le gouvernement continuait à avoir un rôle actif.

Troisièmement, fait peut-être encore plus important, il faut se rappeler ce qu’est une « personne morale simple ». Cette expression n’est plus couramment employée au Canada, mais, en droit, elle a un sens distinct, fort différent de celui de la personne morale [traduction] « ordinaire ». Jowitt’s Dictionary of English Law (2e éd.) la définit comme suit :

[traduction] Corporation

Pareille corporation est composée d’un seul membre à la fois, sa nature de personne morale étant assurée par une suite de membres uniques. Les corporations composées d’une personne morale simple sont toujours titulaires d’une charge publique, les principaux exemples étant le souverain et les membres du clergé, comme les évêques, les pasteurs, etc.; le Solicitor for the Affairs of Her Majesty’s Treasury est constitué en une corporation composée d’une personne morale simple créée par une loi[36]. Un secrétaire d’État peut être constitué en une corporation de ce genre[37]. La principale particularité de pareille corporation est que les biens que le membre détient en raison de sa charge (mais non ses biens privés) sont transmis, au moment de son décès, non à ses représentants personnels, mais à la personne qui assume sa charge, comme si ce successeur et lui-même n’étaient qu’un. [C’est moi qui souligne.]

Le fait que cette expression est employée dans la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants laisse donc par définition entendre qu’en l’espèce, conformément à l’intention du législateur, le DTAC a agi pour le compte de la Couronne, en acquérant la R.I. 172.

Enfin, j’estime que les autres dispositions de l’article 5, bien qu’elles ne soient pas à elles seules nécessairement concluantes, viennent confirmer que l’intention du législateur était que le Directeur agisse pour le compte de la Couronne. Ainsi, en vertu du paragraphe (2)[38], les transferts émanant du Directeur pouvaient constituer un titre aussi valable que les octrois par la Couronne de terres domaniales non concédées antérieurement. En vertu du paragraphe (3), comme Sa Majesté personnellement, le Directeur, même s’il était une corporation constituée d’une seule personne physique, n’était pas pour autant assujetti aux lois concernant les sociétés. Aux termes du paragraphe (4), le Directeur avait un sceau portant l’écusson du Canada. Et surtout, le législateur a jugé nécessaire, au paragraphe (6), d’énoncer qu’aux fins de l’impôt et à cette fin seulement, le Directeur n’était pas mandataire de la Couronne. De toute évidence, cela laisse entendre qu’à toutes les autres fins, le Directeur était mandataire de la Couronne. Si le législateur avait envisagé l’interprétation donnée par le juge de première instance, le paragraphe (6) (sans parler des modifications effectuées en 1950 et en 1980) aurait été complètement inutile.

Compte tenu de ce qui précède, je ne puis accepter que la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants montre que le législateur avait l’intention d’éteindre les droits des autochtones sur leurs terres lorsque ces dernières étaient transférées d’une création de la Couronne, soit le directeur des Affaires indiennes, à une autre, soit le Directeur des terres destinées aux anciens combattants. Cela étant, j’estime que compte tenu des principes fondamentaux du droit constitutionnel, à savoir que tous les actes de l’exécutif sont accomplis au nom du souverain, que la Couronne est une et indivisible, et que les ministres de la Couronne sont responsables de tous les actes gouvernementaux, on peut uniquement conclure que, lorsque le DTAC a soi-disant acquis le titre sur les terres de la R.I. 172, il représentait la Couronne.

Dans l’argumentation, l’avocat de la Couronne a accordé beaucoup d’importance au fait que le transfert du DAI au DTAC s’est effectué par lettres patentes, plutôt que par décret. Selon lui, cela montrait que l’opération était une vente, par opposition à un transfert gouvernemental interne. À mon avis, la chose a peu d’importance, ou n’a pas d’importance, en ce qui concerne les questions ici en litige. Conformément au principe constitutionnel de la légalité, l’existence d’un pouvoir ou d’une obligation est une question de droit, et non de fait, et doit être déterminée par renvoi à une autorisation légale[39]. La Couronne ne peut pas utiliser ses propres documents pour [traduction] « transformer » son erreur en quelque chose qu’elle n’est pas.

J’ajouterais que les arrêts étayent la conclusion qu’aux fins de la détention et de l’acquisition de terres, le DTAC était un représentant de la Couronne. Dans Shaul, Helen In re, [1961] R.C.É. 101, par exemple, le juge Thurlow (tel était alors son titre), a interprété l’article 5 de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants. Il a dit ceci, à la page 108 :

[traduction] Diverses dispositions de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants autorisent le Directeur à acquérir des biens réels et des biens personnels et à passer un contrat avec un ancien combattant afin de lui vendre pareils biens … De toute évidence, l’exercice de ces pouvoirs entraînerait habituellement des obligations contractuelles entre la Couronne, représentée par le Directeur d’une part, et les vendeurs de terres ou les anciens combattants d’autre part … [C’est moi qui souligne.]

Le juge Thurlow a conclu qu’à cause du libellé spécial du nouveau paragraphe 5(2)[40], un créancier par jugement pouvait saisir le produit de la vente entre les mains du Directeur, mais comme ce passage l’indique, il n’avait aucun doute sur le lien entre la Couronne et un acheteur ou un vendeur, créé par le paragraphe 5(1) de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants.

De même, dans Bain v. The Director, Veterans’ Land Act et al., [1947] O.W.N. 917 (H.C.), le protonotaire adjoint Marriott a radié un privilège de constructeur enregistré sur un bien-fonds, dont le titre était dévolu au DTAC. Après avoir cité le paragraphe 5(1), il a dit ceci, à la page 918 :

[traduction] La dernière partie de cette disposition prévoit expressément que le Directeur est mandataire de la Couronne et, bien que dans certains cas cela ne soit peut-être pas concluant, … pourtant s’il est également tenu compte du fait que les activités du directeur sont exécutées sous la direction du ministre des Affaires des anciens combattants (art. 3(2)), je crois qu’il est clair que le Directeur peut se prévaloir des droits et privilèges de la Couronne du chef du Canada.

Pour les motifs susmentionnés, je conclus que le Directeur est une création, ou plus exactement le mandataire, de la Couronne fédérale et que le gouvernement du Canada a un droit de propriété sur les biens-fonds et bâtiments en cause dans cette action.

Ce raisonnement a été cité avec approbation par la Cour d’appel de l’Ontario dans Pankka v. Butchart et al., [1956] O.R. 837. La Cour a confirmé qu’un ancien combattant qui n’avait pas encore payé le prix d’achat continuait à être un tenancier à volonté n’ayant aucun droit en common law sur la propriété. Étant donné que le propriétaire des terres était le DTAC, une action fondée sur un privilège de constructeur grevant la propriété ne pouvait pas être maintenue. Toutefois, fait particulièrement intéressant dans cette dernière affaire, le Directeur est intervenu dans l’appel pour soutenir qu’il était mandataire de la Couronne et qu’il n’était pas assujetti au Mechanics’ Lien Act [R.S.O. 1950, ch. 227]. Il semble plutôt curieux qu’en l’espèce, la Couronne soutient le contraire!

Par conséquent, j’estime qu’il est erroné de dire qu’après 1948, deux parties juridiques distinctes étaient en cause, soit le directeur des Affaires indiennes et le Directeur des terres destinées aux anciens combattants. À mon avis, l’interprétation qu’il convient de donner est qu’il y avait une partie, la Couronne, et qu’étant donné que les droits miniers avaient été cédés en 1940 et qu’ils étaient donc séparés des droits de superficie sur les terres réservées, la Couronne détenait encore ceux-ci en fiducie aux fins de leur location, même après le transfert de l’administration active des droits de superficie du DAI au DTAC.

LA VENTE DE TERRES AUX ANCIENS COMBATTANTS

Toutefois, la situation a changé au moment de la vente des terres aux anciens combattants, et ce, à cause du paragraphe 5(2) de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants (numérotation initiale), qui prévoyait que tous les transferts émanant du DTAC constituaient de nouveaux titres. En vertu des articles 10 et 11 de la Loi, le DTAC conservait le titre tant que le prix d’achat n’était pas payé au complet, mais à compter de ce moment-là, les anciens combattants jouissaient d’un droit de propriété absolu. Comme je l’ai fait remarquer, les actes par lesquels le titre sur les lots compris dans la R.I. 172 a été transféré ont été signés entre le 30 mai 1952 et le 4 avril 1977.

Il n’est pas établi que les anciens combattants savaient qu’une demande pouvait être présentée par les appelants à l’égard des droits miniers afférents à leurs lots. Cela étant, indépendamment des dispositions du paragraphe 5(2) de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, qui leur conférait un nouveau titre, je conclurais que les anciens combattants étaient des acheteurs véritables contre valeur sans avis et qu’il serait injuste d’accorder un redressement contre eux.

Toutefois, en ce qui concerne la Couronne, je conclus que dans un cas comme dans l’autre, soit que les droits miniers n’étaient pas inclus dans la cession de 1945 et qu’ils étaient donc exclus du transfert de l’administration de la R.I. 172 du DAI au DTAC, ou que s’ils étaient inclus dans le transfert, le DTAC représentait la Couronne, de sorte que l’obligation que cette dernière avait envers les Indiens à l’égard des droits miniers n’était pas éteinte, la Couronne a violé son obligation fiduciaire envers les appelants à la date du transfert du droit de propriété absolu sur les terres aux anciens combattants. Par conséquent, je conclurais que la Couronne est responsable envers les appelants du préjudice causé par cette violation.

PRESCRIPTION

J’examinerai maintenant la question de la prescription.

À supposer que la Limitation Act de 1975 de la Colombie-Britannique[41] s’applique à cette action, je souscris à l’avis de mon collègue le juge Stone que la demande des appelants n’est pas carrément visée par les délais de prescription énumérés et qu’elle semblerait donc être assujettie au paragraphe 3(4), qui prévoit ceci :

[traduction] 3.

(4) Toute autre action non expressément prévue par la présente loi ou par une autre loi doit être intentée dans les six ans à compter de la date à laquelle le droit de le faire a pris naissance.

Toutefois, ceci dit, j’estime que le délai dans lequel les appelants étaient tenus d’intenter l’action a été, compte tenu des circonstances, interrompu par suite de l’application du paragraphe 6(3) de la Loi, qui prévoit ceci :

[traduction] 6.

(3) Le délai de prescription fixé par la présente loi à l’égard d’une action concernant

d) une fraude ou une tromperie;

est interrompu et ne commence à courir qu’au moment où … les faits qu’il [le demandeur] est en mesure de connaître sont tels qu’une personne raisonnable, connaissant ces faits et ayant reçu les conseils appropriés qu’une personne raisonnable aurait demandé à leur égard, estimerait qu’ils montrent

i) qu’une action fondée sur la cause d’action aurait, si ce n’était de l’expiration du délai de prescription, des chances de succès raisonnables; et

j) que la personne qui est en mesure de connaître les faits devrait, dans son propre intérêt et compte tenu des circonstances, être capable d’intenter une action.

Le paragraphe 6(4) donne des précisions en définissant les expressions [traduction] « conseils appropriés » et [traduction] « faits », mais il me semble être clair que dans les circonstances de l’espèce, les appelants bénéficient de la protection fournie par cette disposition.

À mon avis, il est certain que jusqu’au milieu des années 1970, les appelants n’étaient tout simplement pas en mesure de faire preuve, à l’égard de leurs droits, du degré de diligence dont on pourrait s’attendre d’un membre ordinaire de la société. Comme la preuve le montre clairement, même en 1978, les appelants étaient encore dans une situation particulièrement vulnérable par rapport à la Couronne. À la page 43, le juge de première instance a fait remarquer que le directeur régional des appelants (qui, doit-on se rappeler, était un préposé de la Couronne) avait témoigné comme suit :

Le témoin Johnson-Watson a déclaré dans sa déposition que, même pendant les années 1975 à 1978 lorsqu’il était directeur régional du bureau régional de Fort Saint John, il a constaté que les Cri-Dunne-za étaient fort peu compétents pour administrer leurs affaires financières, qu’ils n’étaient pas de bons fermiers et qu’ils dépendaient encore dans une large mesure des conseils et avis du personnel du Ministère. La plupart des autres bandes indiennes étaient sensiblement plus avancées dans ces domaines.

De même, il n’y a aucun doute dans mon esprit que les circonstances de l’espèce équivalent à une fraude au sens de ce terme en equity. Je le dis en me fondant sur l’arrêt Guerin, dans lequel, à la page 390, le juge Dickson a dit ceci :

Il est bien établi qu’en cas de dissimulation frauduleuse de l’existence d’une cause d’action, le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où le demandeur découvre la fraude, ou du moment où, en faisant preuve de diligence raisonnable, il aurait dû la découvrir. Il n’est pas nécessaire que la dissimulation frauduleuse requise pour interrompre ou suspendre l’application de la loi constitue une tromperie ou une fraude de common law. Il suffit qu’il y ait fraude d’equity qui est définie, dans la décision Kitchen v. Royal Air Force Association, [1958] 1 W.L.R. 563, comme [traduction] « une conduite qui, compte tenu de la relation spéciale qui existe entre les parties concernées, est fort peu scrupuleuse de la part de l’une envers l’autre » Je partage l’avis du juge de première instance selon lequel la conduite de la direction des Affaires indiennes à l’égard de la bande équivaut à une fraude d’equity. Même si les fonctionnaires de la Direction n’ont pas agi de façon malhonnête ou blâmable en cachant à la bande les conditions du bail, j’estime néanmoins que leur conduite a été peu scrupuleuse, compte tenu du rapport fiduciaire qui existe entre la Direction et la bande. [C’est moi qui souligne.]

J’ajouterais que même si la loi de l’Ontario était en cause, la décision que la Cour suprême du Canada vient de rendre dans M.(K.) c. M.(H.), [1992] 3 R.C.S. 6, où il s’agissait de savoir si les lois sur la prescription s’appliquaient aux affaires d’exploitation sexuelle, semblerait pertinente en l’espèce. Les remarques du juge La Forest au sujet du fait qu’il est important d’aborder ces questions d’une façon libérale et en tenant compte du contexte et d’examiner l’intention réelle du législateur lorsqu’il a adopté les lois sur la prescription pour déterminer si l’écoulement du temps empêche une personne d’intenter une action pour assurer le respect de ses droits, s’appliquent par analogie au cas des appelants.

Comme les enfants victimes d’exploitation sexuelle, les appelants n’étaient tout simplement pas capables de se rendre compte que lorsque la Couronne leur [traduction] « a proposé » de céder les droits qu’ils possédaient sur leurs terres, ils renonçaient peut-être à une chose de valeur sur le plan juridique. De plus, je crois qu’on peut établir une analogie entre la contrainte en cause lorsque des cas d’exploitation sexuelle sont dissimulés et l’omission de la Couronne, en l’espèce, de soulever la question des droits miniers lorsqu’elle s’est demandé si la cession de 1945 était opportune. Dans les deux cas, la partie qui a le dessus dans un rapport fiduciaire compte sur la dépendance et la confiance de la partie défavorisée. Enfin, il me semble qu’en ce qui concerne la capacité réelle de la plupart des appelants d’intenter une action pour assurer le respect de leurs droits avant les années 1970, on pourrait dire à peu près la même chose que ce que la Cour suprême a dit au sujet du « tabou » social qui régnait à l’encontre des actions du genre en cause dans M.(K.).

Compte tenu de l’ensemble des circonstances, et notamment du fait que, comme l’a fait remarquer le juge de première instance, les appelants se sont énormément fiés, jusqu’en 1978, aux conseils donnés par la Couronne, je conclus que le délai de prescription a commencé à courir à un moment donné en 1975, lorsque le directeur régional a conseillé à la bande de retenir les services d’un avocat. À mon avis, l’action a donc été intentée dans le délai fixé par le paragraphe 3(4) de la Limitation Act.

Cependant, en plus du délai de prescription de base, la Colombie-Britannique a adopté ce qu’on a appelé, avec le temps, le délai de prescription [traduction] « final ». L’article 8 de la Limitation Act (que le juge de première instance a appliqué en l’espèce) prévoit que même si le délai est interrompu, aucune action [traduction] « ne doit être intentée après l’expiration d’un délai de trente ans à compter de la date à laquelle le droit de le faire a pris naissance ». Cependant, étant donné qu’en l’espèce, le titre légal sur les terres a été aliéné pour la première fois en 1952 seulement, l’action a été intentée bien avant l’expiration du délai de prescription final.

L’APPEL INCIDENT

Comme mon collègue le juge Stone l’a fait remarquer, la Couronne a interjeté un appel incident de la conclusion tirée par le juge de première instance, à savoir que la Couronne avait violé l’obligation de fiduciaire qu’elle avait envers les appelants en acceptant le paiement de la somme de 70 000 $ en échange de la R.I. 172, sans se demander s’il était possible d’obtenir un meilleur prix. À cet égard, je souscris aux motifs et au règlement proposés par mon collègue.

RÈGLEMENT DE L’APPEL

Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel et je rejetterais l’appel incident, avec dépens en cette Cour et en première instance, et conformément à l’ordonnance rendue par le juge de première instance, je renverrais l’affaire à la Section de première instance pour que les dommages-intérêts soient évalués d’une façon compatible avec ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Marceau, J.C.A. (motifs concourants quant au résultat) : J’ai eu l’avantage de lire les motifs de jugement du juge Stone. Je souscris à l’avis que mon collègue a exprimé au sujet du règlement définitif de l’appel ainsi qu’aux conclusions provisoires qu’il a tirées au sujet des principales questions en litige. Toutefois, mon raisonnement ne concorde pas toujours avec le sien, et compte tenu de l’importance de l’affaire, je tiens à exprimer certaines opinions personnelles.

1. J’aimerais en premier lieu mentionner qu’il m’est difficile de suivre le point de vue que le juge de première instance a exprimé au sujet de l’allégation fondamentale des appelants, à savoir que la Couronne a violé l’obligation fiduciaire qu’elle avait envers eux avant, pendant et après la cession de 1945. Après avoir minutieusement examiné les arrêts de la Cour suprême du Canada, et notamment l’arrêt Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335, le juge de première instance a refusé de reconnaître que la Couronne pouvait avoir une obligation fiduciaire envers les Indiens avant la cession des terres de la réserve. Il s’est fondé sur les motifs du juge Dickson (tel était alors son titre) dans l’arrêt Guerin, à savoir que « la Couronne n’est tenue par aucune obligation ou rapport fiduciaire spécial en ce qui concerne les terres des réserves avant qu’elles ne soient cédées »[42]. Je ne souscris pas à cette proposition initiale.

À mon avis, les remarques que le juge Dickson a faites dans l’arrêt Guerin ne veulent pas dire qu’il ne peut exister de rapport fiduciaire entre la Couronne et une bande indienne avant la cession des terres d’une réserve, mais uniquement que la cession donne lieu [à la page 382] à une « obligation de fiduciaire particulière » (c’est moi qui souligne). Dans R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, parlant en son nom et au nom du juge La Forest, le juge en chef a déclaré ceci, à la page 1108 :

À notre avis, l’arrêt Guerin, conjugué avec l’arrêt R. v. Taylor and Williams (1981), 34 O.R. (2d) 360, justifie un principe directeur général d’interprétation du par. 35(1), savoir, le gouvernement a la responsabilité d’agir en qualité de fiduciaire à l’égard des peuples autochtones. Les rapports entre le gouvernement et les autochtones sont de nature fiduciaire plutôt que contradictoire et la reconnaissance et la confirmation contemporaines des droits ancestraux doivent être définies en fonction de ces rapports historiques.

Dans M.(K.) c. M.(H.), [1992] 3 R.C.S. 6, le jugement le plus récent de la Cour suprême concernant les rapports fiduciaires, le juge La Forest a fait des remarques particulièrement instructives à ce sujet. Aux pages 64 à 66, il a déclaré ceci :

Dans l’arrêt Lac Minerals c. International Corona Resources Ltd., précité [[1989] 2 R.C.S. 574], je propose une autre amélioration du processus permettant de découvrir l’existence de rapports fiduciaires. Je mentionne particulièrement trois sens que peut avoir le mot « fiduciaire » afin de clarifier sa portée dans certaines situations données. Le premier sens est celui que lui donne le juge Wilson dans l’arrêt Frame c. Smith [[1987] 2 R.C.S. 99] et que je décris ainsi, aux pp. 646 et 647 :

La question litigieuse était de savoir si un certain type de rapports, à savoir ceux qui existent entre le parent qui a la garde de l’enfant et l’autre parent, formait une catégorie analogue à celle des rapports entre les administrateurs et la société, les avocats et leurs clients, les fiduciaires et les bénéficiaires, les mandataires et leurs mandants, ces rapports donnant lieu à des obligations fiduciaires. L’accent porte sur la définition des rapports dont les tribunaux diront, en raison de leur fin inhérente ou de ce qui serait leurs particularités factuelles ou juridiques, qu’ils imposent à l’une des parties l’obligation fiduciaire d’agir ou de s’abstenir d’agir d’une certaine façon. La nature particulière de cette obligation peut varier selon les rapports concernés, bien que, sommairement, on puisse dire qu’il s’agit de l’obligation de loyauté, qui comprendra le plus souvent l’obligation d’éviter les conflits de devoirs ou d’intérêts et celle de ne pas faire de profits aux dépens du bénéficiaire. La présomption qu’il existe une obligation fiduciaire dans le cadre de tels rapports n’est pas irréfutable, mais elle est très forte. De plus, ce ne sont pas tous les droits découlant de rapports présentant des caractéristiques fiduciaires qui justifient une demande pour manquement à une obligation fiduciaire.

[ … ] La prétention qu’il y a manquement à une obligation fiduciaire ne peut se fonder que sur le manquement aux obligations particulières qui découlent des rapports dits fiduciaires.

C’est dans ce premier sens que le mot « fiduciaire » est utilisé en l’espèce. L’objet inhérent des rapports familiaux impose à un parent certaines obligations d’agir au mieux des intérêts de l’enfant et crée une présomption d’obligation fiduciaire.

Dans Lac Minerals, j’ai fait ressortir, ce qui se dégage également de l’arrêt Frame c. Smith, que l’obligation fiduciaire dans un cas donné ne découle pas, pour l’essentiel, d’une liste immuable de devoirs rattachés à une catégorie de rapports. En d’autres termes, le devoir n’est pas déterminé par analogie avec des types « établis » d’obligation fiduciaire. La nature de l’obligation varie plutôt en fonction du contexte factuel des rapports dans lesquels elle naît.

Ces préceptes, selon l’interprétation que je leur donne, étayent la prétention des appelants, à savoir que, même avant la cession des terres de la réserve, il existait déjà entre la Couronne et eux, en ce qui concerne tout acte susceptible d’influer sur leur bien-être, un rapport fiduciaire qui imposait à cette dernière une obligation fiduciaire, dont l’exécution devait être jugée conformément à une norme stricte de conduite, et sanctionnée indépendamment de tout principe de prévisibilité.

Mon point de vue est donc différent de celui du juge de première instance, mais cela ne m’amène pas à tirer des conclusions différentes. De fait, cette divergence de vues porte davantage, à mon avis, sur une question de forme, une question de caractérisation et de présentation, que sur une question de fond. Je m’explique.

Une fois qu’il est reconnu qu’une obligation fiduciaire incombe à la Couronne avant la cession, il faut bien sûr déterminer le contenu de cette obligation, détermination qui dépend de ce qui est visé par l’obligation et du contexte dans lequel celle-ci doit être exécutée. Il est facile de se rendre compte que l’obligation de la Couronne envers une bande, relativement aux terres de la réserve mises de côté à l’usage et au profit de cette dernière, ne peut pas créer les mêmes obligations avant, pendant ou après la cession. Après la cession, les obligations sont semblables à celles d’un fiduciaire, mais avant et pendant la cession, elles sont nécessairement passablement différentes et se rapprochent davantage de celles du tuteur et du conseiller spécial. Toutefois, de toute évidence, cela ne suffit pas : il faut définir l’obligation d’une façon plus concrète afin de déterminer si, en fait, à un moment donné et dans certaines circonstances, l’obligation a été violée.

Si nous en revenons maintenant au juge de première instance, nous pouvons voir que, malgré son refus de confirmer l’existence d’une obligation fiduciaire de la part de la Couronne avant la cession, son raisonnement l’a obligé lui aussi à définir le contenu des obligations incombant à la Couronne au moment de la cession. En effet, le juge imposait à la Couronne, à ce moment-là, une obligation spéciale dont le contenu, une fois énoncé en termes concrets, avait pour effet de créer, selon son appréciation, une obligation passablement semblable à celle du tuteur ou du conseiller spécial. Le juge décrit comme suit l’obligation de la Couronne avant la cession (à la page 47 du recueil) :

Toutefois, je m’empresse d’ajouter que chaque fois que des conseils sont demandés ou qu’ils sont offerts, qu’ils aient été sollicités ou non, ou lorsqu’une action est intentée, la Couronne est tenue de faire preuve d’une prudence raisonnable en offrant ces conseils aux Indiens ou en intentant une action en leur nom. La question de savoir si la Couronne a fait preuve de prudence ou de diligence raisonnable dépendra évidemment de toutes les circonstances de l’affaire; parmi ces circonstances, il faut bien sûr inclure l’inconscience, l’ignorance, le manque de compréhension, de subtilité, d’ingéniosité ou de ressources de la part des Indiens, dont on peut raisonnablement s’attendre que la Couronne soit au courant. Étant donné qu’il s’agit d’une telle situation en l’espèce, la Couronne est tenue d’une lourde obligation dont la violation permettra l’utilisation des recours en equity et de ceux prévus dans la loi.

Je ne crois pas que l’obligation qui incombait à la Couronne avant la cession, même si elle était à juste titre considérée comme la conséquence juridique d’un rapport fiduciaire, pourrait être décrite en de meilleurs termes ou en des termes plus rigoureux.

Ainsi, en fin de compte, puisque je souscris à l’avis du juge Stone qu’il n’y a pas lieu de contester la façon dont le juge de première instance a apprécié la preuve ainsi que les conclusions qu’il a tirées au sujet des faits, il faudrait des arguments très précis et convaincants pour rejeter sa conclusion que les appelants n’ont pas établi que la Couronne avait violé l’obligation légale qu’elle avait envers eux avant la cession.

Je ne suis pas troublé par le fait qu’au moment de la cession de 1945, le transfert des terres au Directeur des terres destinées aux anciens combattants (le DTAC) avait déjà été envisagé. Les appelants laissaient de toute évidence entendre que la Couronne avait à l’esprit son propre intérêt, de sorte qu’elle a violé l’obligation primordiale du fiduciaire, soit éviter toute transaction intéressée lorsqu’il agit en cette qualité. À mon avis, cette prétention n’est pas justifiée. Je crois qu’il serait erroné de considérer la Couronne comme un particulier à cet égard. Le fait que les terres cédées pouvaient aider à répondre aux besoins des anciens combattants ne veut pas dire que la Couronne agissait dans son propre intérêt. Il faudrait des circonstances très exceptionnelles pour placer la Couronne dans un véritable conflit d’intérêts, étant donné que par essence cette dernière doit servir le public et satisfaire divers intérêts publics, et non faire une acquisition pour son propre compte. Aucun élément de preuve ne laisse entendre que la cession ne pouvait pas être avantageuse tant pour la bande que pour certains anciens combattants, ou qu’au moment de la cession, l’intérêt de ces derniers l’emportait, dans l’esprit des fonctionnaires de la Couronne, sur celui de la bande.

Je ne suis pas prêt non plus à retenir l’argument des appelants selon lequel il faut considérer que la Couronne a violé son obligation fiduciaire du seul fait que toutes les exigences légales concernant la cession des terres de réserve énoncées à l’article 51 de la Loi des Indiens n’ont pas été satisfaites. Il est vrai que l’exigence prévue au paragraphe 51(3), à savoir que le fait que la bande a consenti à la cession lors d’une assemblée spéciale convoquée à cette fin doit être attesté sous serment par le fonctionnaire que le surintendant général a autorisé à assister à l’assemblée et « par l’un des chefs ou des anciens qui y a assisté », n’a pas strictement été satisfaite, mais je ne donne pas à cette irrégularité l’effet proposé par les appelants. Je reconnais que la position que le juge de première instance a prise, soit que l’exigence prévue au paragraphe 51(3) a suffisamment été remplie et que, de toute façon, il s’agit d’une disposition supplétive et non impérative, n’est pas totalement satisfaisante; en effet, même s’il s’agit d’une disposition supplétive seulement, on pourrait considérer l’omission de respecter l’exigence comme violant une obligation de prudence ou de diligence. Or, ma position est différente.

L’argument des appelants n’est pas que la cession serait nulle; ils ne sollicitent plus un jugement déclaratoire à cet effet. Ils soutiennent qu’en soi, le défaut dont l’attestation est entachée, quelle qu’en soit la raison et indépendamment des faits qui se sont réellement produits, montre qu’une obligation fiduciaire a été violée, ce qui a fait naître en leur faveur le droit d’être indemnisés au moyen de dommages-intérêts, ces derniers devant être calculés comme si aucune cession n’avait eu lieu. C’est un argument qui ne me semble pas être défendable sur le plan juridique. À mon sens, il n’est pas possible de conclure à la violation d’une obligation découlant du rapport fiduciaire du seul fait qu’il existe une irrégularité sans tenir compte des circonstances qui y ont donné lieu. Et surtout, l’indemnité à laquelle pareille violation donnerait lieu devrait être versée à la victime et se rapporter uniquement à une perte qui, même si elle n’était pas prévue, était directement attribuable à la violation.

2. Les appelants allèguent qu’après la cession, la Couronne, en disposant des terres cédées, comme elle l’a fait, a violé son obligation fiduciaire envers la bande à trois reprises et de trois façons. Premièrement, les appelants soutiennent que le ministre des Mines et des Ressources (le ministre) et ses fonctionnaires au ministère des Affaires indiennes (le MAI) auraient dû envisager la possibilité de louer les terres au lieu de recourir à une vente pure et simple. Deuxièmement, les appelants soutiennent qu’au moment de la vente au DTAC, le MAI aurait non seulement dû exiger un prix plus élevé proportionné à la valeur des terres (comme le juge de première instance l’a conclu), mais qu’il aurait aussi dû conserver les droits miniers. Enfin, les appelants maintiennent que le DTAC lui-même aurait dû conserver les droits miniers lorsqu’il passait un contrat avec un ancien combattant.

Les remarques que je ferai au sujet des deux premières allégations seront brèves étant donné qu’elles se rapportent surtout à des questions de fait et, ici encore, je ne vois pas pourquoi je devrais modifier les conclusions de fait tirées par le juge de première instance.

À l’appui de la première allégation, les appelants soutiennent que puisque la cession était effectuée [traduction] « aux fins de la vente ou de la location », et non uniquement aux fins de la vente, les droits directs de la bande sur les terres n’ont pas complètement été éteints, de sorte que le MAI était tenu de se demander s’il n’était pas avantageux pour la bande de remettre à plus tard une vente pure et simple et de conserver pendant un certain temps ce droit qui leur restait. Ma réponse comporte deux aspects. D’une part, il ne me semble pas qu’une cession [traduction] « aux fins de la vente ou de la location » ait pour effet de laisser intact le droit de la bande sur les terres; l’étendue de la renonciation que laisse supposer la cession est fonction des possibilités les plus exhaustives envisagées. La délimitation des possibilités sert simplement à donner plus de latitude à la Couronne. D’autre part, aucun élément de preuve ne laisse entendre qu’au moment du transfert, il aurait été préférable de louer les terres plutôt que de les vendre; au contraire, la preuve indiquait qu’il fallait sans délai se procurer de l’argent pour acheter d’autres terres destinées à remplacer celles de la réserve.

À l’appui de la deuxième allégation, les appelants soutiennent que même si une personne raisonnable n’attribuait aucune valeur aux droits miniers au moment du transfert au DTAC, il incombait néanmoins au ministre et aux fonctionnaires du MAI de conserver ces droits, car telle était la pratique des propriétaires fonciers dans l’Ouest et de la Couronne elle-même à cette époque. Si pareille pratique avait été établie, l’allégation serait grave, mais à mon avis telle n’est pas la preuve. En ce qui concerne les propriétaires fonciers privés, les appelants citent la déposition d’un certain Axford, expert en géologie de la Couronne : toutefois, pendant le contre-interrogatoire (transcription, vol. 29, aux pages 3760 et 3761), le témoin a simplement affirmé que les propriétaires fonciers conservaient parfois les droits miniers. Quant à la pratique suivie par la Couronne, M. Leask, fonctionnaire au MAI, a témoigné que les droits miniers auraient uniquement été conservés si l’on avait su qu’ils pouvaient avoir une certaine valeur et que, dans ce cas-ci, des travaux de prospection avaient été effectués en 1940 et n’avaient donné aucun résultat. À mon avis, le juge de première instance à eu raison de juger de la conduite des fonctionnaires compte tenu du contexte existant au moment de la vente, et de ne pas tenir compte du fait que plusieurs années après, il s’est avéré que la prospection effectuée en 1940 était erronée, puisque du pétrole a été découvert.

La troisième allégation soulève au départ une question de droit difficile. Elle est fondée sur la supposition que l’obligation fiduciaire envers la bande relativement aux terres cédées est demeurée intacte après le transfert et a été transmise au DTAC lorsque celui-ci a pris possession des terres. Selon les appelants, la chose est attribuable au fait que le transfert ne met aucunement fin au titre légal de la Couronne, le Directeur lui-même étant mandataire de la Couronne.

Le juge de première instance a rejeté cette allégation pour le motif qu’en vertu de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, le Directeur était une corporation constituée d’une seule personne physique[43] et qu’il a pris possession des terres et les a détenues en cette qualité, aux seules fins énoncées dans la Loi. J’irais encore plus loin.

L’obligation fiduciaire qui existe à l’égard des terres cédées ne me semble pas résulter directement du droit de propriété de la Couronne. En effet, la Couronne est propriétaire des terres avant et après la cession. L’obligation fiduciaire résulte du fait que les Indiens ont accepté que le droit exclusif spécial qu’ils ont sur leurs terres soit pour ainsi dire « converti » en argent, le produit d’une vente ou d’un bail. L’obligation fiduciaire existe à l’égard des terres jusqu’à ce que la « conversion » soit complétée; par la suite, elle se rapporte au produit. À mon avis, pareille « conversion » se produit dès que les terres sont payées au complet; il importe peu que ce paiement résulte d’une aliénation en faveur d’un tiers ou d’un transfert à un organisme gouvernemental séparé et distinct. Seul le ministre des Mines et des Ressources (et maintenant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) est chargé de veiller à ce que la Couronne s’acquitte de son obligation envers les Indiens, et lui seul a le droit de détenir les terres cédées, ou le produit de la vente, à l’usage et au profit des Indiens. Il serait ridicule et contradictoire de dire que, dans le cas d’un transfert contre valeur à un autre ministère gouvernemental, le droit des Indiens viserait à la fois les terres et le produit.

Je souscris donc à l’avis du juge de première instance et de mon collègue, soit que le DTAC n’aurait pas pu violer une obligation fiduciaire envers les Indiens pour la simple raison qu’il n’avait aucune obligation de ce genre.

3. J’en arrive maintenant à la dernière question, celle de la prescription. Cette question demeure pertinente, compte tenu de la conclusion tirée par le juge de première instance, laquelle nous refusons de modifier, à savoir que la Couronne a violé son obligation fiduciaire lorsqu’elle a transféré les terres au DTAC en 1948 à un prix inférieur à la valeur marchande des terres.

Il est incontestable que les règles de droit pertinentes sont celles qui existent en Colombie-Britannique puisque la cause d’action se rapporte à des terres situées dans cette province, lesquelles ont été transférées au DTAC par des lettres patentes datées du 30 mars 1948 et enregistrées au bureau d’enregistrement des droits immobiliers de la Colombie-Britannique. L’article 39 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, (qui était, au moment où la Section de première instance a rendu jugement, le paragraphe 38(1), S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10) ne laisse planer aucun doute à cet égard. Il est ainsi libellé :

39. (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour dont le fait générateur est survenu dans cette province.

(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province.

Il s’agit de savoir quelle Limitation Act s’applique. En effet, en Colombie-Britannique, la première loi en matière de prescription, qui date de 1911 [Statute of Limitations, R.S.B.C. 1911, ch. 145] a été reprise, avec des modifications mineures, en 1924 [Statute of Limitations, R.S.B.C. 1924, ch. 145], 1936 [Statute of Limitations, R.S.B.C. 1936, ch. 159] et 1948 [Statute of Limitations, R.S.B.C. 1948, ch. 191], et a été remplacée par une loi tout à fait nouvelle en 1975 [Limitations Act, S.B.C. 1975, ch. 37]. Les dispositions des lois de 1924 et de 1948 qui sont pertinentes en l’espèce sont identiques, mais elles ont été révisées au complet par la Loi de 1975[44]. Il faut donc absolument déterminer quelle loi s’applique.

Les appelants soutiennent que seule la loi de 1948 peut s’appliquer puisque c’était la loi qui était en vigueur au moment où la Loi sur la Cour fédérale a été adoptée; l’intimée répond que l’article 39 doit être interprété comme incorporant non seulement les lois provinciales qui étaient en vigueur dans les provinces en 1971, mais aussi les lois provinciales qui existent de temps en temps, de sorte que la loi de 1975 doit également être incorporée.

Dans ses motifs, mon collègue le juge Stone étudie à fond cette question initiale; il examine la jurisprudence et, en particulier, deux décisions de la Cour de l’Échiquier du Canada dans lesquelles il était question de la disposition en vigueur avant l’adoption du paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour de l’Échiquier [S.R.C. 1927, ch. 34] (Zakrzewski, Peter v. The King, [1944] R.C.É. 163 et Parmenter, Leonard A. v. The Queen, [1956-1960] R.C.É. 66). Compte tenu de ces arrêts, le juge Stone souscrit à l’avis du juge de première instance, à savoir que le législateur n’avait pas l’intention d’appliquer l’article 39 uniquement aux lois provinciales « en vigueur » à la date où la Loi sur la Cour fédérale a pris effet.

Je souscris à cette position; de plus, il me semble que toute autre position irait à l’encontre de l’objet unique de la disposition, soit de rendre applicables aux procédures engagées devant la Cour fédérale les règles de droit en matière de prescription qui s’appliqueraient si les procédures étaient engagées devant la cour provinciale, condition évidente dans tous les cas de compétence concurrente, qui comprennent maintenant, conformément au nouvel article 17 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3], « les cas de demande de réparation contre la Couronne ». Par conséquent, je ne doute aucunement que la Limitations Act de 1975 de la Colombie-Britannique est incorporée par renvoi.

Cette conclusion est-elle décisive lorsqu’il s’agit de déterminer si l’action est prescrite? Je le crois.

En premier lieu, la Loi de 1975 contient une disposition qui donne à la nouvelle législation un effet rétroactif clair, établissant ainsi que l’action n’est plus régie par la loi qui était en vigueur lorsque les faits générateurs se sont produits. L’article 14 est en partie ainsi libellé :

[traduction] 14. (1) Aucune disposition de la présente loi ne fait renaître une cause d’action prescrite au moment de son entrée en vigueur.

(2) Sous réserve des paragraphes (1) et (3), la présente loi s’applique aux actions qui ont pris naissance avant son entrée en vigueur.

(3) Si, en ce qui concerne une cause d’action qui a pris naissance avant que la présente loi n’entre en vigueur, le délai de prescription prévu par la présente loi est plus court que celui qui s’appliquait auparavant à la cause d’action et s’il expire dans les deux années qui suivent la date de son entrée en vigueur, le délai de prescription qui s’applique à cette cause d’action est le plus court des délais suivants :

a) deux ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, ou

b) le délai de prescription qui s’appliquait auparavant à la cause d’action.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a examiné la question de l’application rétroactive de la Loi de 1975 dans l’arrêt Bera v. Marr (1986), 27 D.L.R. (4th) 161, où les faits générateurs sur lesquels l’action était fondée s’étaient produits en 1974, et a conclu que l’article 14 était suffisamment clair pour l’emporter sur la présomption habituelle voulant qu’une loi ne soit pas interprétée de façon à influer sur des droits préexistants.

En second lieu, la Loi contient également une disposition établissant un délai de prescription final de 30 ans, qui s’applique à toute cause d’action et ne peut pas être prorogé, pour quelque raison que ce soit, de sorte que les allégations que les appelants ont faites au sujet de l’incapacité et de la fraude en equity et leur recours à la règle de la possibilité de découvrir le préjudice subi (allégations qui ont été rejetées par le juge de première instance, compte tenu des faits) ne sont pas pertinentes. Cette disposition est l’article 8, qui doit être interprété avec les articles 6 et 7. Dans ses motifs, le juge Stone reproduit ces trois longues dispositions et cite le jugement prononcé par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Wittman (Guardian Ad Litem) v. Emmott (1991), 77 D.L.R. (4th) 77, qui fait autorité en ce qui concerne leur interprétation.

Par conséquent, je souscris à l’avis de mon collègue, à savoir que, bien que les appelants aient pu démontrer l’existence d’une certaine responsabilité de la part de l’intimée, l’action qu’ils ont intentée est prescrite et peut uniquement être rejetée.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. : Il s’agit d’un appel et d’un appel incident contre le jugement que la Section de première instance a prononcé le 4 novembre 1987[45]. Les questions qui se posent en l’espèce découlent de la cession de la réserve indienne 172 (R.I. 172) à la Couronne fédérale le 22 septembre 1945, conformément à la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, ainsi que de la vente et du transfert de cette réserve par la Couronne fédérale, le 30 mars 1948, au Directeur des terres destinées aux anciens combattants (DTAC) désigné en vertu de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, S.C. 1942-43, ch. 33.

L’action, qui a été intentée au moyen d’une déclaration déposée devant la Section de première instance le 19 septembre 1978, a été rejetée avec dépens.

Dans cet appel, il s’agit principalement de savoir : (1) si la Couronne avait une obligation fiduciaire envers les appelants avant la cession de la R.I. 172; (2) si les droits miniers afférents à la réserve étaient inclus dans la cession de 1945; (3) si la Couronne a violé les obligations fiduciaires qu’elle avait après la cession relativement à la vente de la R.I. 172 et à la cession des droits miniers y afférents; et (4) si la demande fondée sur la violation de ces obligations est prescrite. Le savant juge de première instance a statué contre les appelants sur toutes ces questions, sauf qu’il a conclu que l’intimée avait violé l’obligation fiduciaire qui lui incombait après la cession relativement à la somme qu’elle avait reçue au moment de la vente des terres cédées au DTAC. La conclusion selon laquelle la Couronne était tenue de chercher à obtenir un meilleur prix fait l’objet de l’appel incident.

LES FAITS

J’examinerai d’abord les faits pertinents que le juge de première instance a constatés et je ferai mention de certains éléments de preuve versés au dossier de première instance.

Les appelants, Joseph Apsassin, en sa qualité de chef de la bande indienne de la rivière Blueberry, et Jerry Attachie, en sa qualité de chef de la bande indienne de la rivière Doig, agissant en leur nom et au nom de tous les membres de leurs bandes indiennes respectives ainsi qu’au nom de tous les descendants encore vivants de la bande indienne des Castors, ont intenté cette action devant la Section de première instance. Les membres de ces bandes faisaient tous initialement partie d’une seule bande, qu’on appelait la bande des Castors de Fort Saint John (la « bande »), en Colombie-Britannique. De 1962 à 1977, cette bande a pris le nom de bande de Fort Saint John. En 1977, la bande a été divisée en deux, pour former la bande indienne de la rivière Blueberry et la bande indienne de la rivière Doig. La majorité des membres de ces bandes sont connus sous le nom de Dunne-za ou Castors, et parlent le castor, et les autres font partie de l’ethnie crie et parlent le cri. On les appelle collectivement les « Cri-Dunne-za ».

Les ancêtres de ces deux bandes ont habité et occupé leur territoire traditionnel, dans la région de la rivière de la Paix, au nord de Fort Saint John, pendant plusieurs siècles. À la fin des années 1890, la Couronne fédérale a entrepris de conclure des traités, lorsque les colons et mineurs se sont installés dans la région de la rivière de la Paix. Une commission des traités a été établie. Les représentants de la Commission ont rencontré la bande et, le 30 mai 1900, cette dernière a conclu avec la Couronne un traité connu sous le nom de Traité no 8. Aux termes de ce traité, la bande cédait le territoire traditionnel à Sa Majesté, et la Couronne promettait de son côté qu’au fur et à mesure que la colonisation par des blancs rendrait la chose nécessaire, elle établirait des terres de réserve pour la bande jusqu’à concurrence d’un mille carré pour chaque famille de cinq personnes.

En 1913, la bande a choisi une réserve de 28 milles carrés, soit au total 18 168 acres, parmi les terres de la Couronne fédérale dans ce qu’on appelle la parcelle de la rivière de la Paix. Par le décret C.P. 819 en date du 11 avril 1916[46], ces terres ont été mises de côté pour former la R.I. 172. Cette réserve était située à peu près à six milles au nord de ce qui est maintenant la municipalité de Saint John, à dix milles au nord de la rivière de la Paix et à peu près à 30 milles à l’ouest de la frontière de l’Alberta. Voici une description de la R.I. 172 datant de 1944 :

[traduction] DESCRIPTION DE LA RÉSERVE. Elle est composée de terrains accidentés d’une superficie de 28 milles carrés, à six milles au nord du village de Fort Saint John. Les deux tiers au moins de la réserve conviennent à l’agriculture et contiennent les meilleures terres agricoles de la région. Environ la moitié de ces terres forment une prairie découverte; le reste est parsemé çà et là de peupliers. La moitié ouest est divisée en deux par le ruisseau Montney, qui coule à peu près en direction nord-sud. Les berges de ce ruisseau sont trop escarpées pour pouvoir être labourées, mais ce sont de bons pâturages. C’est la seule partie de la réserve qui est incultivable; selon mes estimations, elle représente le tiers de la superficie totale de la réserve, ce qui est trop élevé. Le pâturage est de bonne qualité et permet de « préparer » le bétail pour le marché. L’eau est peu abondante, sauf au début de l’été lorsque quelques marécages sont remplis. Le ruisseau Montney, à l’ouest, et le ruisseau Whiskey (qui est plus petit), au coin nord-est, sont les seuls cours d’eau réguliers. Un chemin public (qui est une route provinciale) permet d’accéder à la réserve à partir de Fort Saint John; il la divise à peu près en deux du nord au sud. À l’ouest, une bonne route reliant Fort Saint John à des villages situés au nord borne la réserve. À l’est, une route plus ou moins carrossable reliant Fort Saint John à des villages situés au nord-est borne également la réserve. La voie d’accès la plus rapprochée reliant la route de l’Alaska à la réserve est située à Fort Saint John, à six milles au sud[47].

Pendant plusieurs siècles, les Cri-Dunne-za ont exclusivement vécu de chasse, de pêche et de cueillette de fruits sauvages. Avant 1940, ils avaient ajouté le piégeage à leurs moyens de subsistance; le piégeage est devenu le principal moyen d’obtenir des blancs du crédit, des marchandises ainsi que d’autres biens nécessaires et objets de luxe. Ces gens étaient essentiellement nomades, mais ils se rencontraient habituellement en groupe, comme le juge de première instance l’a conclu, à la page 42, « pendant quelques semaines dans un lieu de rassemblement estival où ils se reposaient, se rendaient visite, échangeaient des connaissances, s’amusaient, participaient à diverses activités et, en général, profitaient de divers échanges sociaux ». Même dans les années 1940, aucune véritable structure gouvernementale n’était en place et personne n’était chargé de légiférer chez les Cri-Dunne-za. Étant donné qu’ils n’étaient pas autorisés à élire leur chef et leur conseil en vertu de la Loi des Indiens, ils avaient désigné un chef et un sous-chef. Pendant la période pertinente, ces fonctions étaient exercées par le chef Succona et par Joseph Apsassin. Jusqu’en 1954, le chef et le sous-chef étaient nommés à vie, mais ils pouvaient être destitués et remplacés si l’on jugeait qu’ils ne remplissaient plus leurs tâches avec sagesse ou efficacité.

Les Cri-Dunne-za se mêlaient très peu à la société blanche. À la page 43, le juge de première instance décrit l’étendue de ces contacts et la capacité des Indiens d’administrer leurs affaires au point de vue financier :

Dans les années 1940, les Cri-Dunne-za se mêlaient très peu à la société blanche même si des colons blancs se déplaçaient graduellement vers le nord et que leurs contacts avec des trappeurs blancs et quelques fermiers blancs s’installant dans la région devenaient un peu plus fréquents. Ils maintenaient le contact avec le ministère des Affaires indiennes par l’intermédiaire de l’agent des Indiens dont le bureau était situé à Fort Saint John. Pendant l’année, l’agent des Indiens leur rendait visite à l’occasion et il les rencontrait lorsqu’ils venaient à Fort Saint John pour vendre leurs fourrures et au moment de la conclusion de traités, chaque fois que des sommes étaient payables en vertu d’un traité.

Il semble presque indubitable que, dans les années 1940, les Cri-Dunne-za n’avaient pas les compétences nécessaires pour s’occuper de planification financière ou de l’établissement d’un budget ni, en général, d’administrer financièrement leurs affaires. Aucune véritable structure gouvernementale n’était en place et personne n’était chargé de légiférer. Ils n’avaient pas non plus la capacité d’organiser ou de diriger, avec plus ou moins de succès, des activités ou entreprises autres que la pêche, la chasse et le piégeage. Il semble qu’on pourrait qualifier d’instinctives ou de spontanées plutôt que de volontairement planifiées un bon nombre de leurs décisions relatives à ces activités. Le témoin Johnson-Watson a déclaré dans sa déposition que, même pendant les années 1975 à 1978 lorsqu’il était directeur régional du bureau régional de Fort Saint John, il a constaté que les Cri-Dunne-za étaient fort peu compétents pour administrer leurs affaires financières, qu’ils n’étaient pas de bons fermiers et qu’ils dépendaient encore dans une large mesure des conseils et avis du personnel du Ministère. La plupart des autres bandes indiennes étaient sensiblement plus avancées dans ces domaines. Leur société était individualiste, chaque membre ayant à compter l’un sur l’autre et ayant peu l’esprit de compétition[48].

Jusque dans les années 1950, aucun des membres de la bande ne fréquentait l’école et fort peu de membres parlaient l’anglais. Dans un sondage effectué en 1963, on rangeait tous les membres adultes de la bande qui avaient plus de 30 ans dans la catégorie « analphabète » et on indiquait que très peu de membres âgés de moins de trente ans avaient terminé plus d’une deuxième année[49].

Trois événements majeurs concernant la R.I. 172 et la bande se sont produits pendant les années 1940. Le 9 juillet 1940, la bande a cédé à la Couronne les droits pétroliers, gaziers et miniers afférents à la R.I. 172 (« la cession de 1940 »). Le chef Succona, Joseph Apsassin et trois conseillers ont signé l’acte de cession, au nom de la bande, en y apposant un « X ». Aux termes de la cession de 1940, la bande

[traduction] … [a cédé] au Roi, [son] maître souverain, ainsi qu’à ses héritiers et successeurs, les droits au pétrole et au gaz naturel ainsi que les droits miniers et [a renoncé] à ces droits … [50]

relativement aux terres de la réserve. La clause de l’habendum et les conditions de cet acte de cession sont ainsi libellées :

[traduction] Sa Majesté le Roi, ainsi que ses héritiers et successeurs, détiennent et possèdent ces terres en fiducie aux fins de leur cession à bail à une ou plusieurs personnes et selon les conditions que le gouvernement du Canada peut juger les plus appropriées pour assurer notre bien-être et celui de notre peuple.

Et à condition que toutes les sommes reçues par suite de la cession à bail des droits pétroliers, gaziers et miniers y afférents soient portées à notre crédit et que l’intérêt y afférent nous soit versé de la manière habituelle. [C’est moi qui souligne.]

Cette cession a été acceptée par le gouverneur en conseil le 19 novembre 1941, par le décret C.P. 8939.

Lors de l’assemblée de la bande qui a eu lieu le 22 septembre 1945[51], laquelle fait l’objet d’une controverse, les membres de la bande ont consenti à céder la R.I. 172 à la Couronne. L’acte de cession de 1945, sur lequel le chef Succona, Joseph Apsassin et deux conseillers ont apposé un « X » au nom de la bande, est daté du 22 septembre 1945 (la cession de 1945)[52]. Cette cession a été acceptée par le gouverneur en conseil le 16 octobre 1945 au moyen du décret C.P. 6506. Aux termes de l’acte de cession, la bande a [traduction] « [cédé] au Roi, [son] maître souverain, ainsi qu’à ses héritiers et successeurs, tous les biens-fonds et bâtiments … dont la réserve indienne 172 de Saint John est composée, et y a renoncé, pour toujours ». La clause de l’habendum et les conditions de cet acte sont ainsi libellées :

[traduction] Sa Majesté le Roi, ainsi que ses héritiers et successeurs, détiennent et possèdent ces terres pour toujours, en fiducie aux fins … de vendre ou de louer … les dites terres à une ou plusieurs personnes et selon les conditions que le gouvernement du Canada peut juger les plus appropriées pour assurer notre bien-être et celui de notre peuple.

Et à condition que toutes les sommes reçues par suite de la vente ou de la cession à bail …, soient portées à notre crédit de la manière habituelle[53]. [C’est moi qui souligne.]

Par les lettres patentes du 30 mars 1948[54], Sa Majesté le Roi a vendu et transféré les terres cédées au DTAC pour la somme de 70 000 $. Les lettres patentes disent ceci :

[traduction] CONSIDÉRANT que les terres ci-après décrites font partie de celles qui ont été mises de côté pour l’usage de la bande indienne des Castors de Saint John

ET CONSIDÉRANT que nous avons jugé bon d’autoriser la vente et l’aliénation des terres ci-après mentionnées, pour que le produit puisse être affecté au profit et au bénéfice desdits Indiens, conformément aux instructions que nous donnerons de temps en temps, ET CONSIDÉRANT que le Directeur des terres destinées aux anciens combattants s’est engagé envers le ministre des Mines et des Ressources, dûment autorisé par nous en cette qualité, à acheter, pour la somme de soixante-dix mille dollars (70 000 $) en monnaie légale du Canada, les biens-fonds et bâtiments ci-après mentionnés et décrits, dont la Couronne est saisie.

Au moyen de la clause de concession, la Couronne a [traduction] « transporté, vendu, aliéné et transféré audit Directeur des terres destinées aux anciens combattants, ainsi qu’à ses successeurs et ayants droit, pour toujours » :

[traduction] … toute la parcelle sise dans la réserve indienne 172 de Saint John (Colombie-Britannique), dans le Dominion du Canada,

La description légale des terres est suivie par la clause de l’habendum, qui est ainsi libellée :

[traduction] Le Directeur des terres destinées aux anciens combattants, ainsi que ses successeurs et ayants droit, détiennent et possèdent pour toujours la dite parcelle, qui est par les présentes transférée, sous réserve du libre usage et de la jouissance des eaux navigables situées sur la dite parcelle ainsi transférée, tel que susdit, ainsi que du droit de passage y afférent, en notre faveur ainsi qu’en faveur de nos héritiers et successeurs.

Les circonstances dans lesquelles l’assemblée de 1945 relative à la cession a eu lieu ont une importance particulière. Le juge de première instance a conclu que les membres de la bande qui étaient présents à cette assemblée ont donné « librement leur consentement éclairé au projet de cession ». Cette conclusion est l’une de plusieurs conclusions que le juge a tirées aux pages 64 à 67. L’assemblée était présidée par J. L. Grew, qui avait reçu une formation de superviseur des fourrures pour la Direction des affaires indiennes, et avait été envoyé par l’administration centrale, à Ottawa, pour verser à la bande les sommes prévues par le traité pendant l’été 1945. Joseph Galibois, agent des Indiens de Fort Saint John, et E. E. Peterson, négociant local qui tenait un magasin à proximité, au nord de Rose Prairie, l’accompagnaient. Des interprètes pour chaque groupe linguistique de la bande étaient également présents. Plusieurs témoins qui ont assisté à l’assemblée ont fait une déposition devant une commission rogatoire (au moyen d’un enregistrement magnétoscopique) ou en personne à l’instruction, et notamment MM. Grew et Galibois. La déposition de la plupart de ces témoins a été rejetée.

Le juge de première instance a examiné la valeur de toutes ces dépositions et a fait des remarques à leur sujet avant d’en arriver à un certain nombre de conclusions importantes. La déposition de M. Grew a été jugée peu valable parce qu’il était âgé et avait perdu la mémoire, alors que celle de M. Galibois a été retenue, bien que ses souvenirs fussent de toute évidence confus relativement aux événements qui s’étaient produits après l’assemblée. Le juge de première instance a été particulièrement impressionné par la déposition de Thomas F. Roach, ancien agent de la GRC et témoin indépendant qui accompagnait M. Grew lorsque ce dernier a versé aux membres de la bande les sommes prévues par le traité, en juillet 1945, moment auquel on a demandé aux Indiens s’ils voulaient céder la R.I. 172. La déposition de J. D. Williams, garde-chasse, lui a également été utile. M. Williams a déclaré qu’il avait assisté à une assemblée avec MM. Grew et Peterson ainsi qu’avec plusieurs Indiens, au début du mois de septembre 1945, assemblée au cours de laquelle il a été question d’autres terres de réserve. Le juge de première instance a estimé que cette preuve indiquait que, bien avant l’assemblée, les Indiens étaient au courant de la possibilité que la R.I. 172 soit cédée. Il avait également devant lui divers éléments de preuve documentaire qui avaient été établis peu de temps avant ou après l’assemblée. Ces documents comprenaient notamment le compte rendu de M. Grew, en date du 24 septembre 1945, et la lettre antérieure du 8 août 1945, dans laquelle ce dernier rendait compte d’une discussion qu’il avait eue avec la bande à l’assemblée relative au traité qui avait eu lieu en juillet de cette année-là.

À cause de leur importance, les conclusions du juge de première instance au sujet de cet aspect de l’affaire méritent d’être reproduites au complet [aux pages 66 et 67] :

Bref, en ce qui concerne le consentement éclairé, j’émets les conclusions de fait suivantes :

1. Les demandeurs savaient depuis longtemps qu’une cession absolue de la R.I. 172 était envisagée;

2. Ils en avaient discuté auparavant au moins à trois reprises à l’occasion d’assemblées officielles tenues en présence de représentants du Ministère;

3. Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, il serait absurde de conclure que les Indiens n’auraient pas débattu la question entre eux à de nombreuses occasions et de façon informelle au sein des groupes familiaux et des groupes de chasse;

4. À l’assemblée de la cession elle-même, la question avait fait l’objet d’un débat complet. Les Indiens en avaient discuté entre eux et avec les représentants du Ministère avant la signature de l’acte de cession;

5. M. Grew, M. Gallibois [sic] ni M. Peterson n’ont semblé avoir essayé d’influencer les demandeurs soit avant, soit pendant l’assemblée de la cession. Au contraire, la question semble avoir été résolue de façon très consciencieuse par les représentants du Ministère concernés;

6. M. Grew avait expliqué aux Indiens toutes les conséquences d’une cession;

7. Même s’ils n’ont pas saisi exactement la nature du droit, en common law, qu’ils cédaient, ils en étaient probablement incapables, ils ont bel et bien compris, dans les faits, que par la cession ils renonçaient pour toujours à tous leurs droits sur la R.I. 172 en échange de l’argent qui serait versé à leur crédit après la vente de la réserve, et d’autres terrains situés près de leurs sentiers de piégeage qui seraient achetés avec le produit de la vente;

8. Lesdits terrains avaient déjà été choisis par les Indiens, après mûre réflexion.

J’en conclus que tous les membres de sexe masculin de la bande qui assistaient à l’assemblée de cession, et non pas seulement la majorité d’entre eux, ont donné librement leur consentement éclairé au projet de cession. À tour de rôle, ils ont exprimé oralement leur accord suivant la liste des votants jointe à l’acte de cession. Des éléments de preuve, que j’accepte, montrent que seul figurait sur la liste des votants le nom des Indiens de la bande de Fort Saint John qui avaient le droit de voter[55].

Certains éléments de preuve, que le juge de première instance n’a pas examinés, ont été présentés relativement aux politiques contemporaines de la Couronne concernant les Indiens du Canada et les terres de réserve. Il faut citer certains éléments de preuve sur lesquels on s’est appuyé dans l’argumentation, car les appelants accordent beaucoup d’importance à ces politiques. M. J. E. Chamberlain, témoin cité pour le compte des appelants, a témoigné au sujet des politiques de la Couronne en ce qui concerne la proclamation de la souveraineté par la Couronne britannique sur les territoires traditionnels des Indiens du Canada, la conclusion de traités avec la Couronne, en vertu desquels ces territoires étaient cédés à la Couronne en vue de la colonisation, la mise de côté d’une partie des territoires cédés pour fournir des terres réservées aux Indiens, et la protection de ces terres contre l’aliénation sauf par cession à la Couronne elle-même. Le témoin a également déclaré que, pendant la période allant des années 1920 aux années 1950, deux principes, soit la protection et l’avancement, inspiraient les fonctionnaires responsables des Affaires indiennes. Conformément à ces principes, la Couronne a accepté de protéger les Indiens du Canada, qui étaient considérés en droit comme des mineurs, contre les actes de gens sans scrupules et contre leur propre sottise, et d’assurer au peuple indien l’autosuffisance tant sur le plan social qu’économique. Les décisions du gouvernement devaient être prises au mieux des intérêts du peuple indien et les fonctionnaires du gouvernement étaient considérés comme les meilleurs juges de cet intérêt.

Le rôle des terres de réserve relativement à ces politiques a été expliqué par D. J. Allan, surintendant des réserves et des fidéicommis au sein de la Direction des affaires indiennes, devant le Comité spécial de la restauration et du rétablissement de la Chambre des communes, le 18 mai 1944, lorsqu’il a déclaré ceci :

[traduction] Les réserves indiennes n’étaient pas censées assurer l’entretien de la collectivité indienne; c’était un lieu où les Indiens devaient vivre et, à notre avis, ces derniers doivent s’en aller bien loin de leurs réserves pour gagner leur vie[56].

Le rapport annuel de 1945 du ministre à la Chambre des communes montre la politique générale de la Couronne à l’égard de la vente ou de la location des terres de réserve :

[traduction] Le Ministère s’est opposé avec véhémence à l’aliénation au moyen de la vente des terres dont les Indiens auront vraisemblablement besoin au cours des années à venir. Les terres superflues dont on n’a pas immédiatement besoin font l’objet de contrats de bail et permettent de gagner des revenus considérables[57].

Le 20 juin 1946, R. A. Hoey, directeur des Affaires indiennes au ministère des Mines et des Ressources, a parlé comme suit de la politique existante envers les Indiens de la R.I. 172 :

[traduction] Ces gens seront probablement des chasseurs et des trappeurs pendant de nombreuses générations et le Ministère a l’intention de les aider dans leurs activités de piégeage en introduisant des méthodes de conservation qui se sont avérées si avantageuses pour les trappeurs indiens du nord du Québec et de l’Ontario. En conclusion, je dois dire que la politique actuelle du Ministère n’est pas de tenter de faire des Indiens des agriculteurs, et ce, qu’ils soient ou non naturellement enclins ou aptes à ce métier, mais plutôt de les encourager et de les aider selon leurs capacités héréditaires, qui, dans ce cas-ci, en font sans aucun doute des trappeurs[58].

Une autre politique semble avoir prévalu pendant les années 1940. Lorsque le ministère responsable des Indiens du Canada apprenait que les terres d’une réserve contenaient réellement ou vraisemblablement des minéraux et que ceux-ci avaient une certaine valeur, il réservait les droits sur ces minéraux au moment du transfert de ces terres.

Aucune tentative précise pour vendre la R.I. 172 n’a été faite avant le mois de juin 1944, lorsque la British Empire Service League de Fort Saint John a transmis au ministre des Mines et des Ressources une résolution dans laquelle elle demandait que la réserve soit mise à la disposition des soldats qui revenaient de la guerre pour qu’ils puissent s’y établir et qu’on installe les Indiens plus loin. Le 11 juillet 1944, le député fédéral local a écrit à cette association et lui a fait savoir qu’il avait lui aussi soulevé la question auprès du bureau du ministre. On a demandé à M. H. W. McGill, qui était à l’époque directeur des Affaires indiennes au sein du ministère, de rédiger une réponse à l’intention du député fédéral local. Il a écrit qu’il s’opposait personnellement à la vente de la R.I. 172 et à la proposition de M. Allan, à savoir que 10 240 acres pourraient être mis à la disposition du DTAC si l’on pouvait convaincre les Indiens de le faire. De l’avis de M. McGill, les Indiens devraient à l’avenir changer de moyens de subsistance et compter sur les ressources de la réserve. Il a recommandé qu’on dise à l’association que la bande n’avait pas intérêt, à ce moment-là ou à l’avenir, à aliéner la réserve en totalité ou en partie, et que cela irait à l’encontre de la politique générale du ministère. M. McGill a pris sa retraite en décembre 1944 et M. Hoey l’a remplacé.

La Couronne semble s’être constamment opposée à la vente de la R.I. 172, en totalité ou en partie, jusqu’à l’été 1944, lorsqu’elle a décidé de sonder la bande sur la possibilité de vendre les terres de la réserve. Lors d’une assemblée de la bande qui a eu lieu le 19 juillet 1944, l’agent des Indiens, M. H. A. W. Brown, a conclu que la bande était prête à consentir à une vente au comptant au gouvernement du Canada à certaines conditions. En rendant compte de cette assemblée à la Direction des affaires indiennes, à Ottawa, par une lettre datée du 21 juillet 1944, M. Brown a déclaré ceci :

[traduction] À l’assemblée relative au traité qui a été tenue ici le 19 de ce mois, j’ai discuté de la question de la vente de la réserve avec les Indiens de la bande de Fort Saint John; ils se sont tous engagés à consentir à une vente en espèces en faveur du gouvernement, pour une somme dont le produit leur rapporterait un intérêt annuel de 50 $ par part. Cependant, à l’heure actuelle, ils ne veulent pas envisager une vente aux enchères à des personnes autres que le gouvernement car ils savent bien que les progrès qui seront fort probablement faits en ce qui concerne les chemins de fer et la colonisation rapide des terres voisines augmenteront considérablement la valeur de la réserve avec le temps. Ils ont proposé qu’en plus de leur verser une somme en espèces pour la vente de la réserve, on leur cède une autre parcelle ailleurs, pas nécessairement à des fins agricoles, mais pour qu’ils puissent avoir un « intérêt » foncier dans un territoire qu’ils pourraient considérer comme leur « patrie »[59].

Toutefois, il ressort d’une note de service en date du 4 juin 1945, de M. Allan à M. Grew, que la bande n’était pas prête à se départir de la réserve. M. Allan a écrit ceci :

[traduction] Les Indiens ont refusé une cession aux fins de la vente ou de la location. Ce sont leurs terres; la décision qu’ils ont prise au sujet de la cession est définitive et il n’y a rien que nous puissions faire à ce sujet. Les terres ne pourront donc pas être vendues tant que les Indiens ne changeront pas d’idée et le Ministère ne peut pas légitimement exercer des pressions sur eux, puisqu’il s’agit d’une décision à laquelle ils doivent arriver librement et sans pressions de la part du Ministère[60].

Après avoir versé à la bande les sommes prévues par le traité, lors d’une assemblée tenue plus tôt cet été-là, M. Grew a rendu compte à M. Allan, le 8 août 1945, relativement à [traduction] « la proposition concernant la vente ou la location de la réserve no 172 ». Dans ce compte rendu, M. Grew a déclaré que le chef, les conseillers et les autres membres de la bande avaient [traduction] « tous dit qu’ils étaient prêts à céder les terres aux fins de la vente ou de la location à condition qu’on leur fournisse ailleurs des terres sur lesquelles ils pourraient construire des habitations, cultiver des jardins et faire pousser du foin pour nourrir leurs chevaux pendant l’hiver »[61] et que les Indiens croyaient avoir déjà signifié leur volonté à deux reprises.

Par une note de service en date du 11 août 1945, adressée à M. Grew, qui était alors à Edmonton, M. Hoey a fait remarquer qu’on avait [traduction] « besoin de la R.I. 172 en vue de la colonisation ordinaire » et qu’il était [traduction] « difficile et embarrassant » de détenir les terres alors qu’elles n’étaient pas utilisées. Il a en outre fait remarquer que la bande [traduction] « était déjà installée plus ou moins en permanence en quatre groupes » à l’extérieur de la réserve et a laissé entendre qu’[traduction] « elle aurait besoin, du moins pour ses besoins immédiats seulement, de suffisamment de terres pour des maisons et, peut-être, pour des jardins, des fourragères et des pâturages ». Il a également laissé entendre que la Direction [traduction] « pourrait commencer à chaque point en choisissant et en achetant les terrains actuellement occupés par la bande, puis ajouter d’autres terres au moyen d’un achat, lorsqu’elle commencerait à toucher le produit de la vente de la réserve no 172 et au fur et à mesure que la bande en aura besoin ». Il a donné à M. Grew les instructions suivantes :

[traduction] Dans l’intervalle, nous croyons que vous devriez retourner immédiatement à Fort Saint John avant que les Indiens se rendent à leurs terres de piégeage; vous devriez examiner minutieusement les quatre terrains, en apportant avec vous les meilleures cartes que vous pouvez obtenir, et indiquer sur les cartes les limites approximatives des nouveaux terrains qui sont actuellement occupés par les Indiens ou qui favorisent leur avancement. Selon nous, dans chaque cas, le secteur choisi ne devrait pas avoir une superficie de plus de dix acres par famille, plus les fourragères et champs communs dont ils ont actuellement besoin. Nous n’avons pas à envisager un avenir éloigné car nous pouvons acheter d’autres terres destinées à satisfaire pleinement à leurs besoins à l’aide du produit de la vente de la réserve 172, une fois que les sommes commenceront à être recouvrées. À cette fin, nous vous envoyons une cession générale de la réserve 172 aux fins de la vente ou de la location, et nous vous autorisons à convoquer une assemblée de la bande en vue de la tenue d’un vote au sujet de ladite cession. Selon la liste des paiements de l’an dernier, la population actuelle de la bande est de 122 habitants et, de ce nombre, 30 membres sont admissibles à voter. Par conséquent, si vous pouvez obtenir un vote affirmatif à cet égard de la part d’au moins 16 membres de sexe masculin ayant atteint l’âge de vingt et un ans, la cession sera valide.

La cession sera inconditionnelle, aux fins de la vente ou de la location, et vous pouvez expliquer aux membres, lorsqu’ils seront rassemblés, que le plein produit de la vente, sans aucune déduction sauf les frais d’arpentage nécessaires, sera porté à leur crédit dans un compte en fidéicommis, l’intérêt y afférent devant servir à assurer leur bien-être. Une fois que la réserve sera vendue ou louée, elle devrait permettre de réaliser des sommes suffisantes pour assurer le confort et la subsistance des membres âgés et indigents et verser à chaque famille une somme en espèces de 50 $ à 100 $ l’an, ce qui représente pour la bande un revenu annuel d’environ 5 000 $, ce montant devant augmenter au fur et à mesure que les terres sont aliénées ou louées à profit. Bien sûr, cela ne peut pas arriver immédiatement, mais c’est un résultat auquel on peut s’attendre d’ici trois à cinq ans.

Vous devriez également expliquer que le Ministère entend payer les terres que les Indiens obtiendront ailleurs à l’aide du produit de la vente de la réserve 172; cela étant, et puisque les Indiens paieront eux-mêmes ces terres, ils ne devraient avant tout pas choisir des terres d’une superficie plus grande que celle qui est suffisante pour satisfaire à leurs besoins immédiats. Il ne devrait pas être difficile d’ajouter des terres, lorsque l’argent sera disponible, pour satisfaire à leurs besoins futurs.

Vous pourriez également expliquer à la bande qu’une fois que les nouvelles terres auront été choisies, il faudra les arpenter pour en fixer les limites et il faudra procéder à l’arpentage presque immédiatement afin d’obtenir les descriptions appropriées aux fins du transfert à ce Ministère, en leur nom, par la province[62].

À peu près à la même époque, il semble que le ministre fédéral responsable des Indiens, l’honorable J. Allison Glen, cherchait des moyens de mettre la R.I. 172 à la disposition des colons blancs. Dans une lettre du 13 août 1945 au Minister of Lands de la Colombie-Britannique, le ministre a reconnu que [traduction] « depuis la Grande Guerre, des pressions ont à maintes reprises été exercées sur le Ministère pour que la réserve soit en totalité ou en partie mise à la disposition des colons blancs aux fins de l’agriculture » et que les événements récents avaient réduit les Indiens [traduction] « à dépendre de la charité froide des gouvernements »[63]. Il avait ceci à dire au sujet des pressions auxquelles il était assujetti à l’égard de la R.I. 172 :

[traduction] Au cours des derniers mois, la question s’est de nouveau posée, non seulement parce que, compte tenu des prix fixes et des bonnes récoltes, les agriculteurs ont fait de bonnes affaires, mais aussi en bonne partie à cause de la nécessité de fournir de bonnes terres qui conviennent aux soldats qui reviennent de la guerre. La question de savoir si nous pouvons convaincre les Indiens de céder cette réserve, en totalité ou en partie, et si nous devons tenter de le faire, dépendra largement des autres genres de dispositions qui pourront être prises à leur égard et qui garantiront leur subsistance. Étant donné que la bande a toujours vécu de chasse et de piégeage, nous pouvons probablement chercher une solution en ce sens[64].

Le ministre a également laissé entendre que la province pourrait fournir, dans les régions où la bande se livrait au piégeage, d’autres étendues de terres [traduction] « d’une superficie suffisante pour qu’ils puissent se loger et avoir des fourragères et des pâturages communs pour leurs chevaux de trait » et [traduction] « des droits exclusifs de piégeage sur une étendue de terre suffisante pour assurer leur entretien ». Vers la fin de la lettre, le ministre a ajouté ceci :

[traduction] Si vous pouviez faire ces concessions, nous pourrions, croyons-nous, obtenir la cession aux fins de la vente ou de la location de la réserve ou d’une bonne partie de la réserve, pour que les colons blancs et les soldats qui reviennent de la guerre puissent utiliser ces terres. À notre avis, les dispositions proposées seraient avantageuses tant pour l’homme blanc que pour les Indiens et répondraient dans une certaine mesure aux critiques qui ont été faites, à savoir que cette administration empêchera l’utilisation de bonnes terres agricoles pendant deux générations peut-être, et ce, tant que les propriétaires indiens n’auront pas reçu une formation suffisante pour devenir de bons agriculteurs et de bons pâtres.

Ce bureau sait bien que les terres de cette qualité sont rares. Nous sommes également au courant des pressions exercées sur les deux gouvernements pour qu’ils mettent ces terres à la disposition des colons blancs. À notre avis, avant qu’on puisse à bon droit demander aux Indiens de renoncer à ces terres, il faut avoir quelque chose à leur offrir en plus de l’argent qu’ils recevraient par suite de la vente. Du travail a déjà été effectué à cette fin, mais nous ne pouvons pas aller de l’avant sans votre coopération et nous croyons franchement ici que vous et vos gens avez intérêt à examiner d’un bon œil notre proposition[65] Le Minister of Lands de la Colombie-Britannique a souscrit à l’idée selon laquelle la R.I. 172 devait être mise à la disposition des colons ordinaires et a assuré M. Glen de sa coopération. (Pièce 323, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, à la p. 482). .

L’intimée soutient que les questions suivantes ont eu une importance primordiale et ont influé sur la décision de la bande de céder la R.I. 172 : les vœux que les Indiens ont eux-mêmes exprimés par le consentement qu’ils ont donné à l’assemblée relative à la cession; le fait qu’ils n’utilisaient presque pas la R.I. 172; le fait qu’ils étaient intéressés à maintenir la force de leur société en poursuivant leurs activités traditionnelles de chasse et de piégeage et en habitant à l’écart de la société blanche. Il semble que la Couronne a pu acquérir des groupes de sentiers de piégeage enregistrés de façon à former un territoire exclusif de piégeage pour la bande au nord de la R.I. 172. Cela a mené M. Grew à déclarer ceci, en août 1945 :

[traduction] Les Indiens ne l’utiliseront probablement jamais pour se livrer eux-mêmes à l’agriculture car ce sont essentiellement des trappeurs et ils ont maintenant à leur disposition des sentiers de piégeage enregistrés dans un territoire de fourrures probablement bon[66].

M. Grew estimait que le territoire de fourrures dans lequel ces sentiers de piégeage étaient situés était [traduction] « probablement aussi bon que n’importe quel autre territoire au Canada »[67]. La preuve montre que la bande utilisait fort peu la R.I. 172 avant la cession. La bande se rassemblait là quelques semaines pendant l’été pour recevoir les sommes prévues par le traité et pour se réunir. Les membres de la bande ont continué comme par le passé à vivre dans des secteurs dispersés de la brousse, au nord de la R.I. 172, où ils faisaient la chasse et le piégeage. Le tableau suivant a été brossé par C. P. Schmidt, inspecteur des agences indiennes, Inspections de l’Alberta, le 29 octobre 1943 :

[traduction] Depuis 18 ans, personne n’habite en permanence dans la réserve de Fort Saint John. Les vieux ne veulent pas s’y établir; ils refusent de revenir et d’habiter dans la réserve pendant l’hiver, car ils disent qu’elle est trop éloignée de leurs territoires de chasse et de piégeage. Les jeunes suivent les conseils des anciens, de sorte que la réserve est abandonnée, sauf en été, pendant environ deux semaines, au moment où les sommes prévues par le traité sont payées, lorsque quatre groupes distincts campent près de l’eau[68].

Plus tard, le 26 août 1944, M. Brown a déclaré ceci :

[traduction] Cette bande n’utilise pas la réserve 172. Ce sont des chasseurs et des trappeurs qui vivent dans la brousse et qui sont dispersés dans une région ayant une superficie d’environ 100 milles par 50 milles[69].

EXAMEN

La validité de la cession de 1940 n’est pas en litige. Les appelants soutiennent qu’avant la cession de 1945, la Couronne avait une obligation fiduciaire en vertu de laquelle elle était tenue de conseiller à la bande de ne pas céder ses droits sur la R.I. 172 et que cette obligation a été violée; la Couronne ne s’est pas strictement conformée à l’une des formalités de la Loi des Indiens en ce qui concerne la cession de la R.I. 172 et a donc violé une obligation fiduciaire; la Couronne a violé ses obligations fiduciaires en vendant la R.I. 172 au lieu de la louer et en omettant de réserver les droits miniers si, de fait, ces droits pouvaient être inclus dans la cession de 1945. Les appelants soutiennent également que les obligations fiduciaires de la Couronne n’ont pas été éteintes par le transfert de la R.I. 172 au DTAC le 30 mars 1948, mais ont continué à exister tant que les diverses parcelles de la R.I. 172 n’ont pas finalement été cédées aux acheteurs individuels, et en outre que leurs demandes ne sont pas prescrites. Les appelants ne sollicitent pas la remise de la R.I. 172, mais réclament une indemnité fondée sur la violation des obligations fiduciaires.

J’examinerai maintenant les questions qui sont soulevées dans l’appel et dans l’appel incident.

Violation des obligations fiduciaires

Avant la cession de 1945

Les appelants soutiennent que la cession de 1945 n’était pas valide parce que, avant la cession, la Couronne avait violé une obligation fiduciaire qu’elle avait envers les Indiens en omettant de les informer qu’ils n’avaient pas intérêt à céder la R.I. 172. Ils ajoutent que la chose est particulièrement vraie étant donné que la cession de la R.I. 172 visait essentiellement à procurer des avantages à la Couronne ou aux cessionnaires ultimes de ces terres et non aux Indiens, à long terme. Le fond de l’argument des appelants est que le juge de première instance s’est posé la mauvaise question en déterminant si les Indiens qui étaient présents à l’assemblée relative à la cession qui avait eu lieu le 22 septembre 1945 avaient librement consenti, en toute connaissance de cause, à la cession de la R.I. 172, et que cela l’a amené à conclure à tort que la Couronne avait exécuté l’obligation, quelle qu’elle soit, qu’elle avait envers les Indiens. Les appelants soutiennent en outre que la cession de 1945 n’était pas valide parce que la Couronne avait violé une obligation fiduciaire particulière qui lui incombait avant la cession en omettant de se conformer à toutes les formalités relatives à la cession de la R.I. 172 qui étaient imposées par l’article 51 de la Loi des Indiens. De toute façon, les appelants soutiennent que les droits miniers qui ont été cédés en 1940 n’ont pas été transmis à la Couronne au moment de la cession de 1945.

Se fondant sur l’arrêt Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335, les appelants affirment qu’une obligation fiduciaire peut être imposée à la Couronne avant la cession des terres d’une réserve pour les mêmes raisons qu’une obligation peut être imposée après la cession. Le juge de première instance ne partageait pas cet avis. Selon lui [à la page 45], le passage suivant du jugement prononcé par le juge Dickson (tel était alors son titre), à la page 382, signifie que « le rapport fiduciaire spécial naît lorsqu’il y a cession » :

… mais il est également vrai, comme nous allons le constater plus loin, que ce droit, lorsqu’il est cédé, a pour effet d’imposer à Sa Majesté l’obligation de fiduciaire particulière d’utiliser les terres au profit des Indiens qui les ont cédées. Ces deux aspects du titre indien vont de pair, car, en stipulant que le droit des Indiens ne peut être aliéné qu’à elle-même, Sa Majesté voulait au départ être mieux en mesure de représenter les Indiens dans les négociations avec des tiers. Le droit des Indiens se distingue donc surtout par son inaliénabilité générale et par le fait que Sa Majesté est tenue d’administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu’il y a eu cession de ce droit. Toute description du titre indien qui va plus loin que ces deux éléments est superflue et risque d’induire en erreur.

À la page 46, il a exprimé l’avis qu’à part les obligations prévues par le traité, « la Couronne n’est tenue par aucune obligation ou rapport fiduciaire spécial en ce qui concerne les terres des réserves avant qu’elles ne soient cédées » et que l’obligation de la Couronne était un peu moins lourde que celle d’un fiduciaire. Il a décrit cette obligation moindre de la façon suivante, à la page 47 :

Toutefois, je m’empresse d’ajouter que chaque fois que des conseils sont demandés ou qu’ils sont offerts, qu’ils aient été sollicités ou non, ou lorsqu’une action est intentée, la Couronne est tenue de faire preuve d’une prudence raisonnable en offrant ces conseils aux Indiens ou en intentant une action en leur nom. La question de savoir si la Couronne a fait preuve de prudence ou de diligence raisonnable dépendra évidemment de toutes les circonstances de l’affaire; parmi ces circonstances, il faut bien sûr inclure l’inconscience, l’ignorance, le manque de compréhension, de subtilité, d’ingéniosité ou de ressources de la part des Indiens, dont on peut raisonnablement s’attendre que la Couronne soit au courant. Étant donné qu’il s’agit d’une telle situation en l’espèce, la Couronne est tenue d’une lourde obligation dont la violation permettra l’utilisation des recours en equity et de ceux prévus dans la loi[70].

À mon avis, comme la Cour l’a reconnu dans Guerin, précité, avant qu’une obligation fiduciaire puisse être imposée, il faut d’abord montrer que pendant la période pertinente il existait un rapport fiduciaire entre la Couronne et les Indiens. Un certain nombre de décisions récentes de la Cour suprême du Canada jettent la lumière sur la nature du rapport entre la Couronne et les Indiens. Je prends comme point de départ la décision rendue dans Guerin. La question en litige dans cette affaire-là portait sur les dispositions du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, qui est ainsi libellé :

18. (1) Sauf les dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l’usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté; et, sauf la présente loi et les stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l’usage et au profit de la bande.

Après que la bande eut cédé une partie des terres de la réserve en vue de la location à un club de golf, les terres ont finalement été louées à des conditions moins favorables que celles qui avaient été approuvées à l’assemblée relative à la cession. La Cour suprême du Canada a conclu qu’en n’agissant pas conformément à cette approbation, la Couronne avait violé une obligation fiduciaire qu’elle avait envers les Indiens. À la page 376, le juge Dickson a déclaré que « la nature du titre des Indiens et les modalités prévues par la Loi relativement à l’aliénation de leurs terres imposent à Sa Majesté une obligation d’equity, exécutoire en justice, d’utiliser ces terres au profit des Indiens ». Il a ensuite expliqué la nature du rapport existant entre la Couronne et les Indiens, à la page 376 :

Le rapport fiduciaire entre Sa Majesté et les Indiens découle du concept du titre aborigène, autochtone ou indien. Cependant, le fait que les bandes indiennes possèdent un certain droit sur des terres n’engendre pas en soi un rapport fiduciaire entre les Indiens et Sa Majesté. Pour conclure que Sa Majesté est fiduciaire, il faut aussi que le droit des Indiens sur les terres soit inaliénable, sauf dans le cas d’une cession à Sa Majesté.

L’exigence d’une cession et la responsabilité qui en découle ont pour effet d’imposer à Sa Majesté une obligation de fiduciaire distincte envers les Indiens. [C’est moi qui souligne.]

L’arrêt Guerin a été examiné par cette Cour dans Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3, où le juge Heald, J.C.A., à la page 12, et le juge Urie, J.C.A., à la page 48, ont signalé que la décision rendue dans Guerin devait être considérée dans son contexte factuel, soit la cession d’un droit par les Indiens à des conditions qui avaient été approuvées à l’assemblée relative à la cession. De plus, la conclusion tirée par le juge Mahoney (tel était alors son titre) en première instance [(1981), 125 D.L.R. (3d) 513], à savoir que la Couronne avait une obligation fiduciaire, n’avait pas été contestée en appel. Cette affaire portait sur l’expropriation par la Couronne, pour les besoins d’un aéroport, de deux parcelles faisant partie d’une réserve, la seconde expropriation ayant été suivie par une cession officielle. Au nom de la majorité, le juge Urie, J.C.A., a conclu que la Couronne n’avait pas violé son obligation fiduciaire. D’autre part, le juge Heald, J.C.A., a dit ceci, à la page 12, au sujet de la question de savoir si l’arrêt Guerin empêchait de conclure à l’existence d’un rapport fiduciaire avant la cession des terres de la réserve :

Toutefois, je ne crois pas que les déclarations que le juge Dickson a formulées au sujet du rapport de fiduciaire existant entre la Couronne et les Indiens puissent être interprétées comme faisant autorité à l’appui de la proposition générale que le rapport de fiduciaire n’existe que si les Indiens ont cédé leurs terres à la Couronne.

Les appelants tentent de montrer que le rapport fiduciaire à l’existence duquel il a été conclu dans Guerin, précité, avait été clarifié et élargi dans une série d’arrêts récents de la Cour suprême du Canada portant sur les droits autochtones. J’indiquerai les passages sur lesquels on s’est le plus appuyé dans l’argumentation. Dans Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654, la Couronne a fait observer, à la page 677, que dans Guerin, il avait été « reconnu que la Couronne assume envers les Indiens une obligation de fiduciaire à l’égard des terres qu’elle détient pour eux ». Dans Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322, le juge Wilson a déclaré ceci, au nom de la Cour, à la page 335 :

L’obligation à laquelle est tenue la Couronne en l’espèce découle de la nature même du titre aborigène. L’affirmation la plus récente de cette Cour que le droit des Indiens sur leurs terres est de nature sui generis se trouve dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654. Tel que souligné dans l’arrêt Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, l’obligation qu’a la Couronne à l’égard des terres détenues pour les Indiens est reconnue au par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, bien qu’elle ne soit pas créée par ce paragraphe. La Couronne doit détenir les terres formant la réserve no 12 pour l’usage et le profit de l’une des bandes. La question est de savoir laquelle.

Dans Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, à la page 108, le juge en chef Dickson a de nouveau fait remarquer le caractère unique en son genre du droit des Indiens sur leurs terres. Au nom de la majorité, le juge La Forest a fait observer ceci, à la page 130 :

D’après le dossier historique, il n’y a aucun doute que les peuples autochtones ont reconnu la souveraineté ultime de la Couronne britannique et ont accepté de céder leurs terres traditionnelles pourvu que la Couronne les protège par la suite dans leur possession et usage des terres qui leur étaient réservées … [C’est moi qui souligne.]

Enfin, dans R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, la Cour suprême a examiné les droits qui étaient reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. À la page 1108, le juge en chef Dickson et le juge La Forest, au nom de la Cour, ont fait remarquer que dans l’arrêt Guerin, « [l]a nature sui generis du titre indien de même que les pouvoirs et la responsabilité historiques de Sa Majesté constituent la source de cette obligation de fiduciaire ». Ils ont ajouté ceci :

À notre avis, l’arrêt Guerin, conjugué avec l’arrêt R. v. Taylor and Williams (1981), 34 O.R. (2d) 360, justifie un principe directeur général d’interprétation du par. 35(1), savoir, le gouvernement a la responsabilité d’agir en qualité de fiduciaire à l’égard des peuples autochtones. Les rapports entre le gouvernement et les autochtones sont de nature fiduciaire plutôt que contradictoire et la reconnaissance et la confirmation contemporaines des droits ancestraux doivent être définies en fonction de ces rapports historiques. [C’est moi qui souligne.]

Je souscris à l’argument de l’intimée que dans aucun de ces arrêts postérieurs à l’arrêt Guerin la Cour suprême du Canada n’a eu à examiner carrément la question de savoir s’il existe un rapport fiduciaire entre la Couronne et les Indiens avant la cession des terres d’une réserve. Si le passage du jugement prononcé par le juge Dickson dans Guerin, précité, sur lequel le juge de première instance s’est appuyé, devait faire autorité lorsqu’il s’agit pour les tribunaux de les appliquer au rapport entre la Couronne et les Indiens, je devrais conclure qu’un rapport ou une obligation fiduciaires n’auraient pas pu prendre naissance avant la cession de la R.I. 172. Toutefois, je ferais remarquer que ce passage semble expressément viser la question de l’obligation plutôt que celle du rapport, car le juge Dickson a déclaré qu’au moment de la cession, il naît une « obligation de fiduciaire particulière d’utiliser les terres au profit des Indiens qui les ont cédées », laquelle lie la Couronne. Il a soulevé le même point, à la page 385, lorsqu’il a déclaré que « cela fait naître une obligation de fiduciaire qui impose des limites à la manière dont Sa Majesté peut exercer son pouvoir discrétionnaire en utilisant les terres pour le compte des Indiens » après qu’«une bande indienne cède son droit à Sa Majesté ». Il est également possible de soutenir que certaines des remarques figurant dans les décisions subséquentes de la Cour suprême du Canada que j’ai citées peuvent laisser entendre que le rapport fiduciaire, établi sur les deux piliers du titre aborigène, autochtone ou indien, et de l’inaliénabilité de ce titre sauf par cession en faveur de la Couronne, existe également pendant la période qui précède la cession. Comme le juge La Forest l’a souligné dans Mitchell, précité, dans le passage susmentionné, les Indiens ont cédé leurs territoires traditionnels à condition « que la Couronne les protège par la suite dans leur possession et usage des terres qui leur étaient réservées » et, comme ce juge et le juge en chef Dickson l’ont déclaré dans Sparrow, précité, « le gouvernement a la responsabilité d’agir en qualité de fiduciaire à l’égard des peuples autochtones ».

Les appelants soutiennent que d’autres décisions de la Cour suprême du Canada portant sur divers rapports ou obligations fiduciaires peuvent nous aider à trancher la question. Ces décisions ont été examinées par cette Cour dans M.(K.) c. M.(H)[71]. Cet arrêt portait sur une action délictuelle ainsi qu’en equity fondée sur la violation d’une obligation fiduciaire, laquelle avait été présentée par une fille contre son père par suite des actes incestueux que celui-ci avait commis pendant qu’elle était encore enfant. Le fondement de l’action en equity a été examiné par le juge La Forest, au nom de la Cour, aux pages 59 à 69[72]. À la page 62[73], le juge a cité une série de décisions rendues par la Cour pendant la dernière décennie, lesquelles établissaient un « principe fiduciaire » qui pouvait être « appliqué au moyen d’une méthode bien définie ». Il s’est fondé sur les grands principes mentionnés par le juge Dickson dans Guerin, précité, à la page 384, sur le point de vue exprimé par le juge Wilson, dissidente, dans Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, et sur l’examen effectué dans Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574.

Dans Frame, précité, le juge Wilson a déclaré ceci, à la page 136 :

Les rapports dans lesquels une obligation fiduciaire a été imposée semblent posséder trois caractéristiques générales :

(1) le fiduciaire peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire.

(2) le fiduciaire peut unilatéralement exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire.

(3) le bénéficiaire est particulièrement vulnérable ou à la merci du fiduciaire qui détient le pouvoir discrétionnaire.

Ce point de vue a expressément été approuvé dans Lac Minerals, précité, par le juge Sopinka, à la page 599, et par le juge La Forest, à la page 646. Le juge McLachlin l’a également signalé dans Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S. 534, aux pages 543 et 544. Dans Lac Minerals, le juge Sopinka a souligné l’importance de la vulnérabilité, parmi les trois caractéristiques que le juge Wilson avait mentionnées dans Frame, lorsqu’il a déclaré ceci, aux pages 599 et 600 :

Toutefois la seule caractéristique jugée indispensable à l’existence de rapports fiduciaires—la plus pertinente en l’espèce—est celle de la dépendance ou de la vulnérabilité. À ce propos, je souscris à l’avis exprimé par le juge Dawson dans l’affaire Hospital Products Ltd. v. United States Surgical Corp., précitée, à la p. 488 :

[traduction] Cependant, sous-jacente à tous les cas d’obligation fiduciaire est la notion que, de par la nature des rapports eux-mêmes, l’une des parties se trouve désavantagée ou vulnérable et, pour cette raison, fait confiance à l’autre partie et doit bénéficier en conséquence de la protection de l’equity qui fait appel à la conscience de cette autre partie …

La nécessité de cet élément fondamental dans des rapports fiduciaires est soulignée dans la déclaration du professeur Weinrib, citée dans l’affaire Guerin, précitée, à la p. 384 :

[traduction] « … la marque distinctive d’un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l’une d’elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire de l’autre ».

Dans le même ordre d’idées, le professeur Ong dans « Fiduciaries : Identification and Remedies » (1986), 8 U. of Tasm. L. Rev. 311, suggère que l’élément qui fait naître tous les rapports fiduciaires et qui leur est commun est [traduction] « le fait que le bénéficiaire dépend implicitement du fiduciaire ». Cet état de dépendance amène l’equity à soumettre le fiduciaire à ses strictes normes de conduite.

Voir également Hodgkinson v. Simms, [1992] 4 W.W.R. 330 (C.A.C.-B.).

Dans M.(K.), précité, le juge La Forest a affirmé à la page 63[74] « qu’il existe, dans certains cas, des obligations fiduciaires même en l’absence d’un engagement unilatéral du fiduciaire ». Il a ensuite signalé l’amélioration du processus permettant de découvrir les rapports fiduciaires qu’il avait proposée dans Lac Minerals, précité, où il avait mentionné trois sens que pouvait avoir le mot « fiduciaire », le premier étant celui que lui donnait le juge Wilson dans Frame. À la page 65[75], il a cité un passage du jugement qu’il avait prononcé dans Lac Minerals [à la page 646], au sujet du premier sens, compte tenu de ce que le juge Wilson avait dit à cet égard :

La question litigieuse était de savoir si un certain type de rapports, à savoir ceux qui existent entre le parent qui a la garde de l’enfant et l’autre parent, formait une catégorie analogue à celle des rapports entre les administrateurs et la société, les avocats et leurs clients, les fiduciaires et les bénéficiaires, les mandataires et leurs mandants, ces rapports donnant lieu à des obligations fiduciaires. L’accent porte sur la définition des rapports dont les tribunaux diront, en raison de leur fin inhérente ou de ce qui serait leurs particularités factuelles ou juridiques, qu’ils imposent à l’une des parties l’obligation fiduciaire d’agir ou de s’abstenir d’agir d’une certaine façon.

À mon avis, ces arrêts étayent l’existence d’un rapport fiduciaire entre la Couronne et les Indiens avant la cession de 1945, comme un rapport a été reconnu une fois que la cession est effectuée. Le droit que possédaient les Indiens sur la R.I. 172 ne pouvait pas être aliéné, sauf par cession à la Couronne, qui avait le pouvoir et la responsabilité en vertu de la Loi des Indiens, de gérer et d’administrer ces terres et de protéger les Indiens qui les possédaient et les utilisaient[76]. À cause de sa situation, la Couronne a pu entamer la procédure officielle de cession à un moment où l’on exerçait des pressions pour qu’elle mette la R.I. 172 à la disposition des colons blancs. Les Indiens étaient essentiellement des trappeurs illettrés ou peu instruits qui n’étaient pas versés en affaires et qui, à mon avis, dépendaient énormément de la Couronne dans la gestion de leurs biens, et principalement du droit qu’ils possédaient sur la R.I. 172. Ils étaient donc, à mon avis, dans une situation fort vulnérable par rapport à la Couronne.

À supposer qu’un rapport fiduciaire eût existé avant la cession de la R.I. 172, et je suis porté à croire que c’était le cas, il reste à savoir si la Couronne a violé une obligation que lui imposait ce rapport. Dans M.(K.), précité, le juge La Forest a examiné la nature de cette obligation. À la page 65[77], il a cité la déclaration suivante qu’il avait faite dans Lac Minerals [aux pages 646 et 647] :

La nature particulière de cette obligation peut varier selon les rapports concernés, bien que, sommairement, on puisse dire qu’il s’agit de l’obligation de loyauté, qui comprendra le plus souvent l’obligation d’éviter les conflits de devoirs ou d’intérêts et celle de ne pas faire de profits aux dépens du bénéficiaire. La présomption qu’il existe une obligation fiduciaire dans le cadre de tels rapports n’est pas irréfutable, mais elle est très forte. De plus, ce ne sont pas tous les droits découlant de rapports présentant des caractéristiques fiduciaires qui justifient une demande pour manquement à une obligation fiduciaire.

La prétention qu’il y a manquement à une obligation fiduciaire ne peut se fonder que sur le manquement aux obligations particulières qui découlent des rapports dits fiduciaires.

Il a ensuite ajouté dans M.(K.), aux pages 65 et 66[78] :

Dans Lac Minerals, j’ai fait ressortir, ce qui se dégage également de l’arrêt Frame c. Smith, que l’obligation fiduciaire dans un cas donné ne découle pas, pour l’essentiel, d’une liste immuable de devoirs rattachés à une catégorie de rapports. En d’autres termes, le devoir n’est pas déterminé par analogie avec des types « établis » d’obligation fiduciaire. La nature de l’obligation varie plutôt en fonction du contexte factuel des rapports dans lesquels elle naît. J’ai récemment eu l’occasion d’aborder de nouveau cette question dans le contexte de la relation médecin-patient dans l’arrêt McInerney c. MacDonald, [1992] 2 R.C.S. 138, où j’ai affirmé à la p. 149 :

En qualifiant de « fiduciaire » la relation entre le médecin et son patient, je ne voudrais pas qu’on s’imagine qu’un ensemble immuable de règles et de principes s’appliquent dans tous les cas ou à toutes les obligations découlant de cette relation. Comme je l’ai fait remarquer dans l’arrêt Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S. 534, les relations et les obligations fiduciaires ne sont pas toutes les mêmes; elles sont tributaires des exigences de la situation. Une relation peut être qualifiée à juste titre de « fiduciaire » à certaines fins, mais non à d’autres.

En l’espèce, le juge de première instance, qui n’était pas prêt à considérer la Couronne comme un fiduciaire avant la cession, a décrit le degré de prudence et de diligence dont le fiduciaire doit faire preuve en s’occupant de l’objet de son obligation, lorsqu’il a déclaré ceci, à la page 48 :

Le critère applicable est un critère objectif : la bonne foi et une conscience tranquille ne suffiront pas. Il existe une autre similitude avec une fiducie : lorsqu’un fiduciaire possède un droit quelconque relativement à l’objet d’une fiducie, il lui incombe de prouver que tous les droits présents et futurs du bénéficiaire sont protégés et qu’il leur accorde priorité absolue, et qu’il s’occupe de l’objet de la fiducie pour l’avantage du bénéficiaire et à l’exclusion de son propre droit dans la mesure où il peut y avoir un conflit entre ceux-ci. En l’espèce, une obligation semblable incombe à la Couronne en ce qui concerne l’obligation d’equity à laquelle elle est tenue à l’égard des demandeurs[79].

Si, comme je l’ai dit, un rapport fiduciaire existait entre la Couronne et les Indiens avant la cession de la R.I. 172, je crois que ce rapport pouvait imposer une obligation à la Couronne. L’obligation, semble-t-il, était de conseiller les Indiens au sujet de la question de savoir s’ils avaient intérêt à céder la R.I. 172 aux fins de la vente ou de la location, puisque la Couronne elle-même demandait la cession de la réserve de façon à mettre les terres à la disposition des anciens combattants pour qu’ils puissent s’y établir. Il semblerait étrange que la Couronne puisse laisser les Indiens céder le droit qu’ils possédaient sur leur principal bien si elle estimait ou devait estimer que ceux-ci n’avaient pas intérêt à le faire à long terme, et que cela allait à l’encontre de leurs intérêts. À mon avis, la Couronne, en sa qualité de fiduciaire, était tenue de faire passer les intérêts des Indiens avant les siens lorsqu’il s’agissait de céder les terres de la réserve.

Cette obligation a-t-elle été violée? Je conclus qu’un obstacle important nous empêche de conclure qu’elle l’a été. J’ai déjà cité les conclusions que le juge de première instance a tirées aux pages 66 et 67. Il a conclu, en se fondant sur la preuve, que le représentant de la Couronne à l’assemblée relative à la cession, M. Grew, avait « expliqué aux Indiens toutes les conséquences d’une cession », que les Indiens avaient compris que « par la cession ils renonçaient pour toujours à tous leurs droits sur la R.I. 172 » et qu’ils avaient donné « librement leur consentement éclairé au projet de cession ». Ces conclusions, dont les deux premières ne sont pas contestées, ne devraient pas être modifiées. Bien qu’ils aient été tenus de le faire, les appelants n’ont pas pu montrer que le juge de première instance avait commis une « erreur manifeste ou dominante » dans son appréciation des faits : Stein et autres c. Le navire « Kathy K » et autres, [1976] 2 R.C.S. 802, et décisions subséquentes[80]. Compte tenu des conclusions tirées par le juge de première instance, je me vois obligé de conclure que la bande a été mise au courant des conséquences de la cession de la R.I. 172 avant de donner son consentement et qu’elle a approuvé la cession malgré les conseils qui lui avaient été donnés. Cela étant, j’estime qu’aucune violation de l’obligation fiduciaire n’a été établie à cet égard.

Les appelants avancent l’argument que la Couronne a violé une obligation fiduciaire précise en omettant de se conformer à une exigence légale concernant la cession des terres de réserve. Les formalités à observer sont énoncées à l’article 51 de la Loi des Indiens et en particulier au paragraphe 51(3). L’article 51 est ainsi libellé :

51. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle cession ou rétrocession d’une réserve ou d’une partie de réserve à l’usage d’une bande, ou d’un Indien en particulier, n’est valide ni obligatoire, à moins que la cession ou rétrocession ne soit ratifiée par la majorité des hommes de la bande qui ont vingt et un ans révolus, et ce à une assemblée ou à un conseil de la bande convoqué pour en délibérer conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d’un fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur en son conseil ou par le surintendant général à y assister.

2. Nul Indien ne peut voter ni assister à ce conseil, à moins de résider habituellement dans ou près la réserve en question, ou d’y avoir un intérêt.

3. Le fait que la cession ou rétrocession a été consentie par la bande, à ce conseil ou à cette assemblée, doit être attesté sous serment par le surintendant général ou par le fonctionnaire qu’il a autorisé à assister à ce conseil ou à cette assemblée, et par l’un des chefs ou des anciens qui y a assisté et y a droit de vote, devant toute personne autorisée à faire prêter serment et ayant juridiction dans l’endroit où le serment est prêté.

4. Après que ce consentement a été ainsi attesté, comme susdit, la cession ou rétrocession est soumise au gouverneur en son conseil, pour qu’il l’accepte ou la refuse.

L’appréciation de l’argument des appelants exige qu’on relate brièvement les faits sur lesquels il est fondé. Le 22 septembre 1945, après que l’assemblée relative à la cession eut pris fin, M. Grew s’est présenté devant un certain J. S. Young, juge de paix de la région. À ce moment-là, M. Young a signé un document comme si celui-ci avait été établi sous serment par M. Grew, par le chef Succona et par Joe Apsassin, bien qu’aucun d’entre eux n’eût apposé sa signature. Ce document et la preuve contenue dans le compte rendu de M. Grew, en date du 24 septembre 1945, à la Direction des affaires indiennes a été examiné par le juge de première instance. Ce dernier estimait que le paragraphe 51(3) n’exigeait pas expressément qu’un affidavit soit soumis, mais uniquement que le consentement relatif à la cession « soit attesté sous serment », ce que M. Young avait fait. Il estimait également que les formalités du paragraphe 51(3) avaient été « suffisamment respectées » et que, de toute façon, les dispositions de ce paragraphe étaient simplement supplétives, et non impératives. Avec égards, je ne puis souscrire à l’avis que le document signé par M. Young satisfaisait aux exigences précises du paragraphe 51(3). Le consentement donné par la bande à l’assemblée relative à la cession devait être établi sous serment par M. Grew, soit le fonctionnaire que le surintendant général avait autorisé à assister à l’assemblée, et « par l’un des chefs ou des anciens qui y a assisté et y a droit de vote ». La déclaration de M. Young, à savoir que M. Grew, le chef Succona et M. Apsassin avaient comparu devant lui et avaient fait sous serment les déclarations qui leur étaient attribuées dans ce document, ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 51(3). Bref, aucune de ces trois personnes n’« a attesté sous serment » le consentement, comme elles étaient tenues de le faire.

Il reste à savoir si cette formalité devait strictement être observée pour que la cession soit valide. La Loi prévoit que la cession « doit » être attestée sous serment. L’expression « doit » figurant dans une loi est réputée impérative, mais la loi peut elle-même indiquer que l’omission de s’acquitter de l’obligation y afférente n’annule pas l’action par ailleurs autorisée. En pareil cas, les dispositions sont considérées comme simplement supplétives. En l’espèce, on a laissé entendre que les dispositions de l’article 51 visent à protéger les Indiens et que [traduction] « la Couronne était tenue de procéder conformément à cette disposition » : Bande indienne de Lower Kootenay c. Canada (1991), 42 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.), à la page 284.

L’opinion exprimée par le juge de première instance, à savoir que l’expression « doit » figurant au paragraphe 51(3) est supplétive, est fondée sur la règle que le Conseil privé a énoncée dans Montreal Street Railway Company v. Normandin, [1917] A.C. 170, aux pages 174 et 175 :

[traduction] Il est nécessaire d’examiner les principes adoptés pour l’interprétation des lois de ce genre et la jurisprudence, dans la mesure où il y en a, sur le point particulier soulevé ici. On s’est souvent demandé si les dispositions d’une loi étaient supplétives ou impératives dans ce pays; on a répondu qu’aucune règle générale ne pouvait être énoncée et qu’il fallait considérer chaque cas d’espèce que visait la loi. On trouvera la jurisprudence sur le sujet rassemblée dans Maxwell on Statutes, 5e éd., aux p. 596 et suivantes. Lorsque les dispositions d’une loi concernent l’exercice d’une fonction publique et que juger nuls et non avenus des actes exécutés en ignorance de cette obligation causerait des inconvénients généralisés sérieux, ou encore une injustice à des individus n’ayant aucun contrôle sur les responsables de cette fonction, tout en ne favorisant pas l’objet principal recherché par le législateur, il a été d’usage de statuer que ces dispositions n’étaient que supplétives et que cette ignorance, quoique condamnable, n’invalidait pas ces actes.

Le juge a en outre fait remarquer que l’arrêt Montreal Street Railway avait été suivi par la Section de première instance dans Melville (City of) c. Le procureur général du Canada, [1982] 2 C.F. 3, et par cette Cour dans Chambre de commerce de Jasper Park c. Gouverneur général en conseil, [1983] 2 C.F. 98. À la page 71, le juge de première instance a conclu ceci :

L’examen de l’objet de la Loi montre qu’une décision invalidant la cession pour la seule raison que les formalités prescrites par le paragraphe 51(3) n’ont pas été respectées ne favoriserait certainement pas la réalisation du principal objectif de la législation lorsque toutes les exigences essentielles ont été remplies. Il se pourrait fort bien que des personnes n’ayant aucune autorité sur ceux qui sont chargés de prouver l’observation des formalités prescrites subissent de ce fait de graves inconvénients ou fassent l’objet d’une injustice. Contrairement au paragraphe (1) qui porte qu’en cas d’inobservation de ces dispositions, la cession n’est ni valide ni obligatoire, le paragraphe 51(3) n’envisage pas les conséquences du non-respect de ses exigences. Je conclus donc que les dispositions du paragraphe 51(3) sont simplement supplétives, et non impératives[81].

L’effet de l’inobservation des dispositions impératives d’une loi a fait l’objet d’un certain nombre de décisions subséquentes[82].

En contestant l’opinion exprimée par le juge de première instance, les appelants s’appuient sur Ramia (Edward), Ltd. v. African Woods, Ltd., [1960] 1 All E.R. 627 (P.C.). Dans cette-affaire-là, une formalité légale n’avait pas été observée au moment de l’acquisition de terres tribales situées en Afrique de l’Ouest; en effet, une [traduction] « concession » par des chefs aborigènes [traduction] « [devait] être signée par les parties intéressées en présence du fonctionnaire régional en chef ou d’un mandataire du gouvernement », qui [traduction] « [devait] certifier que cette partie [avait] dûment signé la concession ». À la page 630, le Conseil privé a fait sienne l’opinion exprimée par Sir Henley Coussey, de la West African Court of Appeal :

[traduction] … les mots affirmatifs sont absolus, explicites et péremptoires, et lorsqu’une ordonnance ne prévoit qu’une façon de réaliser son objet, une série de formalités à observer, les dispositions réglementaires … prescrites sont essentielles et impératives.

De même, il est soutenu que le paragraphe 51(3) énonce [traduction] « une série de formalités » en vue de la réalisation de l’objet de l’article 51, et que le fait que la Couronne ne s’est pas strictement conformée à chacune de ces formalités a entraîné la violation de son obligation fiduciaire et l’invalidité de la cession de 1945.

À mon avis, cette question doit être tranchée selon le contexte légal. Je souscris à l’avis du juge de première instance que, dans les circonstances, l’observation stricte de la formalité particulière prévue au paragraphe 51(3) n’est pas essentielle à la validité de la cession. Le début de l’article 51 prévoit que « nulle cession ou rétrocession … n’est valide ni obligatoire » à moins qu’elle ne soit ratifiée par la majorité des hommes de la bande qui ont l’âge fixé, à une assemblée tenue en présence du représentant de la Couronne. Il semble donc que l’objet principal de l’article 51 était de veiller à ce qu’aucune cession ne puisse être effectuée sans le consentement préalable des Indiens concernés. Le paragraphe 51(2), qui se rapporte au droit de vote, est pertinent et doit également être observé pour que le consentement soit efficace. Le paragraphe 51(3) ne vise pas en soi la validité de la cession et semble prévoir une formalité qui doit être observée une fois que le consentement a été donné, laquelle vise à montrer que celui-ci a dûment été donné. Le paragraphe 51(4), qui prévoit que les documents relatifs à la cession sont soumis au gouverneur en conseil pour qu’il accepte ou refuse la cession « [a]près que ce consentement a été ainsi attesté », peut laisser entendre qu’aucune acceptation n’est possible à moins que l’attestation prévue au paragraphe 51(3) ne figure parmi les documents relatifs à la cession. Comme je l’ai dit, l’objet principal de l’article 51 est énoncé au début de la disposition, c’est-à-dire que les terres d’une réserve ne peuvent pas être cédées à moins que la cession n’ait au préalable été ratifiée de la manière prescrite. Je souscris respectueusement à l’avis du juge de première instance que la formalité en question, bien qu’elle soit énoncée de façon impérative, devrait être considérée comme supplétive. D’autres éléments de preuve ont établi à la satisfaction du juge de première instance que le consentement requis avait été donné à l’assemblée relative à la cession, en présence du représentant de la Couronne. Je conclus donc que la Couronne n’a pas violé une obligation fiduciaire en omettant d’observer la formalité prévue par la Loi des Indiens.

Après la cession de 1945

Les appelants soutiennent que, à supposer que la cession de 1945 soit valide, la Couronne avait, après la cession, une obligation fiduciaire qui la liait selon les conditions de la cession elle-même. Comme nous l’avons vu, ces conditions obligeaient la Couronne à détenir les terres cédées en fiducie « aux fins de la vente ou de la location ». Il est soutenu que dans ce genre de cession, le droit de la bande sur les terres n’était pas complètement éteint comme il l’aurait été si la cession avait été absolue : Smith c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 554. Il a été jugé que la cession de terres d’une réserve [traduction] « en fiducie aux fins de leur cession à bail » n’éteignait pas le droit réversif des Indiens : Surrey (Corpn.) v. Peace Arch Enterprises Ltd. and Surfside Recreations Ltd. (1970), 74 W.W.R. 380 (C.A.C.-B.). Selon les appelants, ce point de vue juridique donne lieu aux arguments suivants.

La position des appelants est que, pendant la période postérieure à la cession, la Couronne, en sa qualité de fiduciaire, était tenue de déterminer si la bande avait intérêt à louer la R.I. 172 plutôt qu’à la vendre purement et simplement. À cet égard, j’estime que, bien que l’acte de cession eût stipulé que les terres devaient être détenues par la Couronne en fiducie [traduction] « aux fins de la vente ou de la location », la Couronne ne pouvait omettre de tenir compte des vœux que la bande avait elle-même exprimés à l’assemblée relative à la cession. La bande souhaitait qu’après la cession, les terres soient vendues et que le produit serve à l’acquisition d’autres terrains, à l’entretien des membres âgés et indigents et à la remise d’un montant fixe en espèces à chaque famille. Puisque telles étaient les conditions de l’aliénation approuvée par la bande à l’assemblée relative à la cession, je ne puis dire que la Couronne a violé une obligation fiduciaire en vendant les terres plutôt qu’en les louant.

Les appelants soutiennent que la Couronne ne s’est pas acquittée de ses obligations fiduciaires après la cession de la R.I. 172, puisqu’elle a permis que les droits miniers afférents aux terres de la réserve soient transférés au DTAC, le 30 mars 1948, et a en outre transféré ces droits sans aucune contrepartie additionnelle quant au prix d’achat payé. Ces arguments laissent supposer que les droits miniers ont été transmis à la Couronne au moment de la cession de 1945. Avant d’examiner ces questions, je dois d’abord me prononcer sur l’argument préliminaire selon lequel les droits miniers n’ont pas été transmis à la Couronne. L’existence de minéraux dans la R.I. 172 n’était apparemment pas connue en 1945 et, comme nous le verrons, le juge de première instance a conclu, en se fondant sur la preuve, que l’intimée n’aurait pas raisonnablement pu prévoir, en 1948 ou auparavant, que les droits miniers éventuels auraient une valeur réelle. Cette preuve comprenait le témoignage des experts des deux parties et visait à montrer l’existence éventuelle de minéraux et la valeur des droits miniers. Ce n’est qu’en 1976 que du pétrole a été découvert dans la R.I. 172, dans une poche anormale entre des couches de roche.

Les appelants affirment que les droits miniers afférents à la R.I. 172 n’ont pas été transmis en vertu de la cession de 1945 parce qu’ils avaient déjà été cédés [traduction] « en fiducie aux fins de leur cession à bail » au moment de la cession de 1940. Cet argument est d’abord fondé sur le libellé de l’article 54 de la Loi des Indiens et sur les définitions des expressions « réserve » et « terres indiennes » ou « terres des Indiens » figurant aux alinéas 2h) et 2l) de la Loi respectivement. Ces dispositions sont ainsi libellées :

2. En la présente loi, à moins que le contexte ne s’y oppose, l’expression

h) « réserve » signifie toute étendue de terre mise à part, par traité ou autrement, pour l’usage ou le profit d’une bande particulière d’Indiens ou concédée à cette bande, et dont le titre légal est attribué à la Couronne, et qui fait encore partie de la réserve et n’a pas été rétrocédée à la Couronne, et comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux, les métaux et autres choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l’intérieur du sol;

l) « terres indiennes », « terres des Indiens » signifie toute réserve ou partie de réserve qui a été cédée à la Couronne;

54. Les terres des Indiens qui sont des réserves ou des parties de réserves rétrocédées, ou à rétrocéder, à Sa Majesté sont réputées possédées aux mêmes fins que par le passé; et elles sont administrées, affermées et vendues selon que le gouverneur en son conseil le prescrit, sauf les conditions de la rétrocession et les dispositions de la présente Partie.

Les appelants avancent que l’interprétation qu’il convient de donner à ces dispositions est la suivante : au moment de la cession, une réserve ou une partie de réserve est régie par l’article 54; les terres cédées sont des « terres indiennes », par opposition à une « réserve » ou à une partie de réserve; étant donné que la Loi des Indiens ne contient aucune disposition prévoyant la cession des « terres indiennes », une fois que ces terres sont cédées, elles ne peuvent plus être « cédées » par la suite. Les appelants s’appuient également sur l’opinion suivante que le juge Taschereau a exprimée dans St. Ann’s Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211, à la page 215 :

[traduction] Une cession a pour effet de faire d’une réserve ou d’une partie de réserve des « terres indiennes », expression définie à l’alinéa 2k) de la Loi des Indiens comme « toute réserve ou partie de réserve qui a été cédée à la Couronne ».

Il est à noter qu’en exprimant cette opinion, le juge examinait l’application de la Loi à la location d’une île qui avait fait partie d’une réserve jusqu’au moment de sa cession, et qu’il n’a pas laissé entendre que les minéraux contenus dans une réserve devaient être considérés comme des « terres indiennes ». En l’espèce, le juge de première instance a rejeté l’interprétation que les appelants ont donnée à l’article 54 ainsi qu’aux alinéas 2h) et 2l) lorsqu’il a déclaré ceci, à la page 56 :

En outre, la Loi prévoit qu’une réserve est une étendue de territoire qu’elle définit comme suit : « étendue de terre mise à part … et comprend les arbres, le bois … les minéraux, les métaux et autres choses de valeur ». Cela signifie simplement que les terres de la réserve comprennent ces objets et non qu’un droit tel qu’une tenure à bail sur l’un quelconque de ces objets constitue une réserve[83].

Selon moi, cette interprétation n’est pas déraisonnable, étant donné que l’expression « réserve », telle que définie, signifie toute étendue de terre mise à part et que cette définition comprend les diverses choses expressément mentionnées, la même chose s’appliquant aux terres, comme pour souligner ou clarifier qu’elles sont visées par le début de la définition. Toutefois, si je commets une erreur à ce sujet, il existe, à mon avis, une autre raison permettant de conclure que les droits miniers étaient effectivement inclus dans le cession de 1945.

Les appelants affirment que les droits miniers afférents à la R.I. 172 ne pouvaient pas être cédés à la Couronne [traduction] « aux fins de la vente ou de la location », en vertu de la cession de 1945, parce que ces droits avaient été cédés à la Couronne [traduction] « aux fins de leur cession à bail » en vertu de la cession de 1940. Afin de céder ces mêmes droits, disent-ils, il aurait fallu que la bande tienne un vote pour annuler la cession de 1940 et que le gouverneur en conseil accepte l’annulation. Puisque ces mesures n’ont pas été prises avant la cession de 1945, les droits miniers ne pouvaient pas être inclus dans cette cession et ils n’ont donc pas été transmis à la Couronne par suite de cette cession. Le fait que la Loi ne prévoit pas l’annulation d’une cession antérieure importe peu, car la Couronne avait un mécanisme administratif[84] analogue à celui qui était utilisé dans le cas d’une cession, selon lequel une cession pouvait être annulée et l’annulation acceptée par le gouverneur en conseil. On dit que pareille procédure montre l’interprétation qu’il convient de donner à la Loi.

J’ai de la difficulté à retenir cet argument car il semble aller à l’encontre de l’intention que les Indiens ont apparemment manifestée en consentant à la cession de tous leurs droits sur la réserve ainsi qu’au libellé de la clause de concession figurant dans l’acte de cession de 1945, consentement à l’existence duquel il a été conclu à l’instruction. En se fondant sur la preuve, le juge de première instance a conclu que par la cession de 1945, les Indiens « renonçaient pour toujours à tous leurs droits sur la R.I. 172 ». L’acte de cession de 1945 lui-même semble corroborer cette conclusion car, comme il en a ci-dessus été fait mention, par la clause de concession, la bande a « [cédé] … tous les biens-fonds et bâtiments … dont la réserve indienne 172 de Saint John est composée, et y [a renoncé], pour toujours » (c’est moi qui souligne). Les terres qui faisaient l’objet de la cession étaient donc désignées comme étant la « réserve », et il semblerait raisonnable que ce mot ait été utilisé dans le sens légal énoncé à l’alinéa 2h) et ait donc compris « les minéraux, les métaux et autres choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l’intérieur du sol » plutôt que les droits du superficie seulement. J’ajouterais que rien dans le dossier ne laisse entendre qu’en 1945, la bande voulait que les droits miniers continuent à être assujettis aux conditions de la cession de 1940. Je ne trouve non plus dans le dossier rien qui laisse entendre que des tiers continuaient à posséder des droits découlant de la cession de 1940 comme, par exemple, les licences ou permis d’exploration concernant les minéraux dans la réserve. Il me semble que l’effet général de la cession de 1945 était essentiellement le même que celui auquel on aurait pu en arriver en annulant d’abord la cession de 1940 avec le consentement des Indiens, le gouverneur en conseil acceptant ensuite cette annulation. Selon la conclusion tirée par le juge de première instance, les Indiens ont consenti à la cession des droits qu’ils possédaient sur la R.I. 172; leur consentement se manifestait dans le libellé de l’acte officiel de cession et la cession a par la suite été acceptée par le gouverneur en conseil.

Un autre argument avancé par les appelants est que la conclusion tirée par le juge de première instance, soit que les droits miniers ont été transmis en vertu de la cession de 1945, va à l’encontre du principe bien établi de common law selon lequel une fois que les droits d’exploitation du sous-sol sont séparés des autres droits, ils ne peuvent pas être inclus dans une cession subséquente du bien-fonds. Dans Berkheiser v. Berkheiser and Glaister, [1957] R.C.S. 387, le juge Kellock a déclaré ceci à la page 395 :

[traduction] Le propriétaire du bien-fonds peut passablement à bon droit transférer ainsi les minéraux que contient le bien-fonds, de sorte qu’il existe par la suite deux domaines en fief distincts, l’un se rapportant aux minéraux transférés et l’autre à ce qui est conservé.

Dans Lonsdale (Earl of) v. Lowther, [1900] 2 Ch. 687, le juge Farwell a déclaré ceci, à la page 697 :

[traduction] La personne qui a déjà transmis le bien ne peut par la suite le céder, que ce soit dans le même acte ou dans un acte subséquent, parce qu’il n’existe aucun objet sur lequel la cession peut porter.

Je ne suis pas convaincu que ces arrêts s’appliquent en l’espèce. Comme je l’ai laissé entendre, l’acte de cession de 1945 dit en termes généraux que les bandes ont cédé pour toujours à Sa Majesté tous les biens-fonds et bâtiments situés dans la réserve. J’ai déjà indiqué que je souscrivais à l’avis du juge de première instance, pour les motifs qu’il a exprimés, à savoir qu’en 1945, la bande avait l’intention de céder et a cédé tous les droits qu’elle possédait sur la R.I. 172 et notamment le droit réversif que lui laissait la cession de 1940.

Je passe maintenant à l’examen de la question de savoir si la Couronne a violé une obligation fiduciaire en disposant des droits miniers comme elle l’a fait. Les appelants soutiennent qu’elle l’a fait de deux façons distinctes. Ils disent que la Couronne était tenue de réserver ces droits dans les lettres patentes du 30 mars 1948, lorsque la R.I. 172 a été transférée au DTAC et que, de toute façon, elle aurait dû obtenir une contrepartie pécuniaire à l’égard des droits miniers qui étaient compris dans ce transfert. Ils signalent certains éléments de preuve qui indiquent qu’en 1949, le directeur des Affaires indiennes, M. Allan, s’était initialement demandé si les droits miniers afférents à la R.I. 172 avaient été conservés lorsque les terres de la réserve ont été transférées au DTAC. De plus, selon certaines conjectures figurant dans le dossier, le transfert des droits miniers au moyen de ce transfert aurait été effectué par inadvertance plutôt qu’à dessein[85].

Quant au premier point, les appelants soutiennent qu’au moment du transfert du 30 mars 1948, il arrivait souvent que les gouvernements conservent les droits miniers et que les propriétaires en franche tenure de l’Ouest du Canada fassent la même chose. À mon avis, la seconde assertion n’est pas étayée par la preuve. Étant donné que le bien-fondé de la première assertion est contesté, la Cour a donné aux parties la possibilité de déposer des observations supplémentaires après l’audience. Les observations qui ont été déposées sont fondées presque exclusivement sur l’effet des diverses lois provinciales et fédérales. Dans ces observations, les appelants s’appuient sur la Lands Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1924, ch. 131, qui est demeurée en vigueur jusqu’en 1951. Les articles 119 et 120 de cette Loi sont ainsi libellés :

[traduction] 119. Aucune concession de la Couronne concernant des terres dont le titre a été acquis après le 27 février 1899 n’a pour effet de transférer les droits au charbon ou au pétrole pouvant y être découvert et toutes les concessions de la Couronne concernant pareilles terres contiennent une réserve expresse, en faveur de la Couronne, à l’égard du charbon et du pétrole qui y est découvert.

120. Aucune concession de la Couronne concernant des terres dont le titre a été acquis après le 1er mars 1913, n’a pour effet de transférer les droits au gaz naturel pouvant y être découvert, et toutes les concessions de la Couronne concernant pareilles terres contiennent une réserve expresse, en faveur de la Couronne, à l’égard du gaz naturel qui y est découvert, et sont faites à l’aide du formulaire no 11 de l’annexe.

La loi fédérale sur laquelle les appelants s’appuient est la Loi des terres fédérales, S.R.C. 1927, ch. 113. L’article 8 de cette Loi est ainsi libellé :

8. Les terres mentionnées et décrites à l’article trente-quatre de la présente loi, ou soustraites à l’opération de la présente loi, ou aliénées ne sont pas susceptibles d’être inscrites ni prises comme homesteads, mais les autres terres arables arpentées et inoccupées peuvent être l’objet d’une inscription. Toutefois, nulle inscription de homestead ne confère le droit sur le sel, la houille, le pétrole, le gaz naturel, l’or, l’argent, le cuivre, le fer ou les autres minéraux que contient ou recouvre le fonds qui fait l’objet de l’inscription, non plus qu’aucun droit de propriété ou intérêt, à titre exclusif ou autre, ni aucun droit ou privilège exclusifs, à l’égard d’un lac, d’une rivière, d’une source, d’un cours d’eau ou autre volume d’eau qui se trouve dans les limites du fonds faisant l’objet de l’inscription, ou qui borde ou traverse ce fonds.

Cette Loi s’appliquait aux « terres fédérales » situées dans diverses provinces et dans les territoires ainsi que dans la région de la rivière de la Paix, en Colombie-Britannique.

Dans ses observations supplémentaires, l’intimée affirme que l’article 8 de la Loi des terres fédérales est plus ou moins pertinent. En effet, cette disposition se rapporte à l’inscription des terres fédérales par les homesteaders et prévoit que l’inscription à elle seule ne confère pas de droits miniers. Elle ne s’applique pas aux terres de réserve qui, en vertu de l’alinéa 74a) de la Loi, ont été soustraites à l’application de la Loi par le gouverneur en conseil. Le décret du 11 avril 1916, par lequel la R.I. 172 était mise de côté, soustrayait expressément les terres de cette réserve « de l’application de la Loi des terres fédérales ». L’intimée compare la façon dont les cessionnaires sont traités en vertu de la Loi d’établissement des soldats, 1919, S.C. 1919, ch. 71, à celle dont les cessionnaires le sont en vertu de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants. L’article 57 de la première Loi réserve « toutes les mines et tous les minéraux », alors que la dernière ne contient aucune disposition similaire. De fait, l’alinéa 2b) de la Loi de 1942 définissait les expressions « terre » ou « bien-fonds » de façon à comprendre « les terres fédérales … concédées ou non concédées, … et tous droits ou intérêts dans ou sur une terre ou des terres … ou qui en proviennent ». L’intimée s’appuie également sur l’article 3 de la Loi des concessions de terres publiques, S.R.C. 1927, ch. 114, qui montrerait, selon elle, qu’une transmission de « terres publiques » équivaut à une transmission en toute propriété ou en propriété équivalente. Toutefois, puisque cette disposition s’appliquait uniquement aux concessions de terres publiques dans les provinces et territoires mentionnés et puisque cela n’incluait pas la Colombie-Britannique, je ne peux voir comment cette loi peut être directement pertinente.

À mon avis, ces diverses dispositions législatives provinciales et fédérales donnent une description hétéroclite de la pratique suivie par les gouvernements lorsqu’il s’agit de réserver les droits miniers sur les terres de la Couronne. La Land Act de la Colombie-Britannique qui était en vigueur en 1948 [R.S.B.C. 1948, ch. 175] prévoyait que, dans les concessions de la Couronne, ces droits étaient réservés. Au palier fédéral, l’effet de l’article 8 de la Loi des terres fédérales était de réserver les droits miniers sur les terres de la Couronne dès que les homesteaders inscrivaient ces terres, mais cette Loi ne s’appliquait pas à la R.I. 172 parce que cette dernière avait été soustraite à son application en 1916. D’autre part, la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants ne prévoyait pas que les droits miniers étaient réservés. On n’a attiré l’attention de la Cour sur aucune loi fédérale concernant la conservation des droits miniers afférents aux terres de réserve, que ce soit avant ou après la cession de la réserve. Si je comprends bien la preuve, la politique de la Couronne fédérale, à ce moment-là, était de conserver les droits miniers uniquement si l’on savait que ces terres contenaient, ou pouvaient contenir, des minéraux et que ceux-ci avaient de la valeur. Le juge de première instance avait cette preuve à sa disposition et en a probablement tenu compte en tirant les conclusions que j’ai déjà citées. Il me semble que, dans ces conditions, l’application de cette politique n’a pas entraîné la violation d’une obligation fiduciaire.

Le juge de première instance a également parlé de la valeur éventuelle des droits miniers sur laquelle le second argument des appelants est fondé. Il a examiné la déposition de D. W. Axford, expert cité par l’intimée, qui, avec l’expert des appelants, a témoigné au sujet de l’existence possible de minéraux dans la R.I. 172, au moment pertinent, et au sujet de la valeur éventuelle des droits miniers. Le témoignage de M. Axford l’a de toute évidence fortement impressionné car il a conclu ceci [à la page 184 F.T.R.] :

Le témoin a été longuement et minutieusement contre-interrogé; je retiens entièrement les conclusions qu’il a tirées au sujet de la valeur économique de la R.I. 172, à savoir que les droits miniers n’avaient aucune valeur ou que leur valeur était minime ou très faible et que telle aurait été l’opinion générale à ce moment-là. Aucun particulier ni aucun groupe ne manifestait de l’intérêt et les droits au minerai hydrocarboné ailleurs au Canada avaient très peu de valeur. Même en Alberta, les minéraux étaient offerts avec la propriété sans qu’il soit tenu compte des droits miniers. Le témoin a donné plusieurs exemples frappants à ce sujet et a déclaré que cela s’appliquait généralement, même en 1960. Il a dit que les droits miniers afférents à la R.I. 172, même après 1960, avaient une valeur minime, jusqu’à ce que du pétrole soit, de fait, découvert dans le piège hydrographique[86].

À la page 49 C.F., le juge a tiré la conclusion suivante :

J’estime que, si on tient compte du rapport fiduciaire liant alors Sa Majesté la Reine aux demandeurs, on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’aucun des fonctionnaires, préposés ou mandataires de cette dernière, exerçant toute la prudence et l’attention voulues dans l’exécution de ses obligations fiduciaires, ait pu prévoir à quelque moment que ce soit, en 1948 ou avant, que les droits miniers éventuels afférents à la R.I. 172 auraient une valeur réelle ou qu’il y aurait un avantage raisonnablement prévisible à conserver ces droits[87].

Cette conclusion appuie fortement la position de l’intimée, à savoir que les droits miniers éventuels avaient une valeur minimale. Je ne suis donc pas convaincu que la Couronne ait violé une obligation fiduciaire à cet égard.

Les appelants soutiennent que la Couronne ne peut pas être libérée si facilement de ses obligations fiduciaires. Selon eux, la conclusion et les résultats juridiques en découlant sont deux choses différentes. En sa qualité de fiduciaire, la Couronne a assumé des obligations de la nature d’une fiducie en vertu desquelles elle était tenue de disposer des terres cédées comme une personne prudente le ferait dans la gestion de ses propres affaires : Fales et autres c. Canada Permanent Trust Co., [1977] 2 R.C.S. 302. Ils soutiennent qu’il importe peu que la Couronne n’ait pas raisonnablement pu prévoir la présence de minéraux précieux dans la R.I. 172 parce que ce critère de négligence ne s’applique pas à une obligation fiduciaire. Dans Canson Enterprises, précité, le juge McLachlin, qui a exprimé un avis concordant, a souligné ceci, à la page 553 :

… il n’appartient pas non plus au fiduciaire qui a assumé la responsabilité particulière de la fiducie de dire que la perte n’aurait pas pu être raisonnablement prévue. C’est là un principe logique. Dans le cas de la négligence, nous voulons protéger une liberté raisonnable d’action du défendeur et il est possible de juger du caractère raisonnable de son action par les conséquences qui sont prévisibles. Dans le cas d’un manquement à une obligation fiduciaire, comme dans le cas du dol, nous n’avons pas à examiner les conséquences pour juger du caractère raisonnable des actions. Un manquement à une obligation fiduciaire est un méfait en soi, indépendamment de la question de savoir si une perte est prévisible.

Il semble que cette affaire portait uniquement sur la question de savoir dans quelle mesure un procureur était tenu d’indemniser son client parce qu’il avait violé une obligation fiduciaire en omettant de révéler un fait pertinent au moment de l’achat d’une terre par ce dernier. La violation de l’obligation n’était pas elle-même en litige devant la Cour suprême du Canada.

Les appelants cherchent à démontrer que même après le transfert de la R.I. 172 au DTAC, le 30 mars 1948, la Couronne a continué à être assujettie à une obligation fiduciaire parce que les terres en question ont continué à lui être dévolues. En effet, ils soutiennent que la Couronne a effectué une transaction intéressée puisqu’elle avait à la fois vendu et acheté la R.I. 172. Les appelants disent que le transfert entraînait uniquement un changement de gestion et d’administration, semblable à un transfert d’un ministère ou d’une direction du gouvernement à un autre, puisque la Couronne est indivisible. Comme l’a dit le juge Newcombe dans Reference re Saskatchewan Natural Resources, [1931] R.C.S. 263, à la page 275 :

[traduction] Il n’y a qu’une seule Couronne, et les terres qui lui appartiennent lui sont dévolues et le demeurent, en dépit du fait que leur administration et leur utilisation par le bénéficiaire, approuvée par les autorités compétentes, peuvent être régies selon l’avis des divers ministres chargés du service approprié.

Voir également Attorney-General of Canada v. Higbie, [1945] R.C.S. 385. Dans ces conditions, le transfert n’a pas éteint l’obligation fiduciaire. Les appelants disent également que le transfert de 1948 n’a pas influé sur le rapport fiduciaire existant entre la Couronne et les Indiens parce qu’il a été effectué en faveur d’un mandataire de Sa Majesté. À cet égard, ils signalent le paragraphe 5(1) de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, qui est ainsi libellé :

5. (1) Aux fins d’acquérir, de détenir, transporter et transférer et de convenir de transporter, d’acquérir ou de transférer l’un des biens que la présente loi l’autorise à acquérir, détenir, transporter, transférer ou convenir de transporter ou de transférer, mais pour ces fins seulement, le Directeur est une corporation constituée d’une seule personne physique; lui et ses successeurs auront une succession perpétuelle et, à ce titre, il est le mandataire de Sa Majesté du droit du Canada.

Les appelants allèguent donc qu’en vertu de la Loi, le DTCA était une corporation constituée d’une seule personne physique, mais qu’en vertu de cette disposition, il était « mandataire » de la Couronne. Ils soutiennent également qu’aux termes du paragraphe 5(2), les transferts émanant du DTAC devaient être considérés comme des concessions de la Couronne parce qu’ils constituaient [traduction] « des nouveaux titres aux terres transférées » et avaient le même effet [traduction] « que les octrois par la Couronne de terres domaniales non concédées antérieurement ». Enfin, ils soutiennent qu’étant donné que le paragraphe 5(6) de la Loi confère à la Couronne une immunité contre l’imposition locale des terres détenues par le DTAC, cela indique encore une fois que le Directeur doit être considéré comme émanant de la Couronne et que, bien qu’il soit une « corporation constituée d’une seule personne physique » en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi, il est, conformément au paragraphe 3(1), « responsable envers le ministre seulement » qui a la responsabilité générale d’appliquer la Loi.

Le juge de première instance a rejeté toutes ces prétentions. Ce faisant, il a déclaré ceci, aux pages 77 et 78 :

La Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants (S.R.C. 1970, ch. V-4) dispose que le Directeur est une corporation constituée d’une seule personne physique jouissant d’une succession perpétuelle et habilité à détenir et à transférer les biens « que la présente loi l’autorise à acquérir, détenir, transporter, transférer ou convenir de transporter et de transférer, mais pour ces fins seulement » … (paragraphe 5(1)) et « Tous les biens acquis pour l’un des objets de la présente loi sont dévolus au Directeur en sa qualité de corporation constituée d’une seule personne physique » (paragraphe 5(4), ancien paragraphe 5(3)). Le Directeur obtient les terres en vertu d’une cession de la propriété absolue consentie par la Couronne comme toute autre personne ou société[88].

Je souscris respectueusement à l’avis qu’après que la R.I. 172 a été dévolue au DTAC, elle n’était plus assujettie à l’obligation fiduciaire de la Couronne relativement à la sous-évaluation des terres et à la diminution de prix qui en a résulté. Il s’agit strictement de savoir si le Directeur s’est vu imposer l’obligation fiduciaire de la Couronne compte tenu du cadre légal dans lequel il a acquis, détenu et transféré les terres en sa qualité de corporation constituée d’une seule personne physique. Il ne s’agit pas d’un cas où Sa Majesté a transféré des terres à elle-même. Il ne s’agit pas non plus d’un simple transfert entre ministères. En l’espèce, le Directeur a acquis les terres à la suite de négociations, et le titre y afférent lui a été dévolu, en sa qualité de corporation constituée d’une seule personne physique, apparemment sans qu’il ait été avisé de l’existence d’une obligation fiduciaire. Comme le paragraphe 5(1) le montre clairement, il est vrai qu’en acquérant, détenant et transportant les terres, le DTAC, en sa qualité de corporation constituée d’une seule personne physique, a agi à titre de mandataire de Sa Majesté, mais uniquement à l’égard des choses qu’il était expressément autorisé à faire en vertu de la disposition. Je n’interprète pas cette disposition comme lui conférant la capacité ou le pouvoir d’agir à titre de mandataire de Sa Majesté à quelque autre fin. Comme le prévoit le paragraphe 5(6), les transferts aux anciens combattants et à d’autres personnes avaient le même effet que les concessions de la Couronne, mais ils ne constituaient pas en soi des concessions de la Couronne. Je ne puis souscrire à l’avis selon lequel la Couronne a continué à avoir une obligation fiduciaire après le transfert de la R.I. 172 au DTAC.

Les appelants soutiennent subsidiairement que toute obligation fiduciaire incombant à la Couronne a été transmise au DTAC parce que celui-ci était au courant de l’existence de pareille obligation et de sa violation. À l’appui de cet argument, ils invoquent l’arrêt Fonthill Lbr. Ltd. v. Bk. Montreal, [1959] O.R. 451 (C.A.), dans lequel le juge Schroeder, J.C.A. a déclaré ceci, au nom de la Cour, à la page 467 :

[traduction] Il est bien établi que si A détient un bien à titre de fiduciaire, par exemple en sa qualité de fiduciaire ou de mandataire, et si B obtient de A un transfert du bien en sachant fort bien que A viole son obligation en effectuant le transfert, B détient le bien « en vertu de l’obligation fiduciaire qui lui a été transmise de rendre compte du bien » au cestui que trust ou au mandant : John V. Dodwell & Co., [1918] A.C. 563 à la p. 569.

Il m’est difficile de retenir l’argument des appelants, à savoir que le DTAC était au courant de l’obligation fiduciaire simplement parce que, dès 1942, la R.I. 172 faisait partie des terres qu’il envisageait d’utiliser aux fins de l’établissement des soldats. De toute évidence, en 1948, le DTAC savait qu’il acquérait la R.I. 172. Selon moi, il n’est pas prouvé que le Directeur ait eu connaissance de la violation de l’obligation fiduciaire résultant de la vente des terres à un prix inférieur à leur valeur marchande. La preuve semble clairement montrer que le prix de vente de la R.I. 172 a été fixé à la suite de longues négociations, et représentait un compromis aux yeux du Directeur.

Les appelants vont encore plus loin. Ils maintiennent que toute obligation fiduciaire incombant au DTAC n’a été définitivement éteinte qu’au moment où ce dernier a transféré tous ses droits sur les terres, y compris les droits miniers, aux anciens combattants individuels. Si je comprends bien, cet argument influe sur la question de la prescription. Du mois de mai 1952 au mois d’avril 1977, les terres dont la R.I. 172 était composée ont été transférées à des acheteurs individuels. Auparavant, elles avaient été vendues en vertu de conventions de vente individuelles, conclues entre le mois de septembre 1948 et le mois d’avril 1956. En vertu de l’article 10 de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, l’ancien combattant qui détenait ou occupait des terres qui lui avaient été vendues par le DTAC était simplement un tenancier à volonté « jusqu’à ce que le Directeur lui accorde ou transfère la terre » et, en vertu de l’article 11, le titre restait « entre les mains du Directeur jusqu’au paiement entier du prix de vente et des autres frais ». Les appelants allèguent que tant que ces derniers événements ne se produisaient pas, le DTAC continuait à détenir un droit de propriété absolu sur la R.I. 172. Si, contrairement à l’avis que j’ai déjà exprimé, j’acceptais que l’obligation fiduciaire de la Couronne à l’égard de la R.I. 172 eût été transmise au DTAC, ce dernier serait demeuré assujetti à cette obligation tant que la propriété absolue des terres n’était pas définitivement transférée aux cessionnaires individuels.

Avant de conclure mon examen au sujet de la question de savoir si une obligation fiduciaire a été violée, je dois parler de l’appel incident. Le juge de première instance a conclu que la Couronne avait violé une obligation fiduciaire en convenant que le prix d’achat serait de 70 000 $, au moment de la vente de la R.I. 172 au DTAC, le 30 mars 1948, sans enquêter sur la possibilité d’obtenir un meilleur prix. Il suffit ici de citer le passage suivant du jugement de première instance. À la page 76, le juge dit ceci :

La suffisance du prix de vente pose par conséquent un véritable problème, il ne s’agit pas d’une question théorique. Il incombait à la défenderesse de convaincre la Cour qu’elle ne pouvait raisonnablement s’attendre à obtenir un meilleur prix. Aucune preuve n’a été présentée pour établir que d’autres offres avaient été recherchées ni pour montrer que des efforts avaient été faits pour obtenir un meilleur prix ailleurs. Comme la défenderesse ne s’est pas acquittée du fardeau d’établir qu’un prix équitable avait en réalité été obtenu en mars 1948, je conclus qu’elle a manqué sur ce point à ses obligations de fiduciaire à l’égard des demandeurs[89].

Je souscris entièrement à cet avis.

Prescription

Après avoir conclu que la Couronne avait violé une obligation fiduciaire à l’égard du prix d’achat qu’elle avait touché lorsque les terres de la réserve ont été transférées au DTAC, le juge de première instance s’est demandé si la demande des appelants à cet égard était prescrite. À son avis, la demande était prescrite en vertu du paragraphe 8(1) de la Limitations Act, S.B.C. 1975, ch. 37 (maintenant [Limitation Act] R.S.B.C. 1979, ch. 236).

L’application des règles de droit provinciales relatives à la prescription aux procédures engagées devant la Cour est prévue au paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10. Cette disposition est ainsi libellée :

38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur entre sujets dans une province s’appliquent à toute procédure devant la Cour relativement à une cause d’action qui prend naissance dans cette province et une procédure devant la Cour relativement à une cause d’action qui prend naissance ailleurs que dans une province doit être engagée au plus tard six ans après que la cause d’action a pris naissance.

En appliquant la Limitations Act de 1975, le juge de première instance s’est appuyé sur la décision rendue par cette Cour dans Kruger, précité. Toutefois, dans cette affaire-là, la question n’a pas été directement soulevée dans l’argumentation, bien que le juge Heald, J.C.A., se soit demandé si la demande était prescrite en application du Statute of Limitations, R.S.B.C. 1936, ch. 159, et de la Limitations Act de 1975. Dans une remarque incidente, le juge Urie, J.C.A., a conclu que l’action aurait de toute façon été rejetée parce qu’elle était prescrite, en vertu des dispositions du paragraphe 3(4) de cette dernière loi. En l’espèce, les appelants prétendent que la loi qui a été incorporée par renvoi n’était pas la Limitations Act de 1975, mais le Statute of Limitations, R.S.B.C. 1948, ch. 191, en vigueur au moment où la Loi sur la Cour fédérale a pris effet. Il semble que la loi de 1948 n’incluait pas de dispositions semblables à celles qui étaient contenues dans le paragraphe 8(1) de la loi de 1975. Elle ne parlait pas non plus expressément d’une demande d’indemnité fondée sur la violation d’une obligation fiduciaire.

Les parties s’appuient sur plusieurs arrêts en ce qui concerne la question de savoir laquelle de ces deux lois de la Colombie-Britannique a été incorporée par renvoi conformément au paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale. L’arrêt Mainwaring v. Mainwaring (1942), 57 B.C.R. 390 (C.A.) portait sur la question de savoir si l’expression [traduction] « loi de l’Angleterre » employée dans une ordonnance des règles de pratique de la Cour suprême de la Colombie-Britannique avait l’effet d’incorporer cette loi telle qu’elle existait à la date où l’ordonnance avait été prise ou de temps en temps. Aux pages 395 et 396, le juge en chef de la Colombie-Britannique McDonald a déclaré ceci :

[traduction] On s’est demandé si l’expression « la loi de l’Angleterre » signifie la loi en vigueur à la date où l’ordonnance LXXA a pris effet, ou la loi existant de temps en temps. Dans O’Leary v. O’Leary, [1923] 1 W.W.R. 501; diverses opinions ont été exprimées, mais je ne crois pas qu’il existe un doute véritable à ce sujet. Des lois adoptées de la même façon par renvoi ont souvent donné lieu à des décisions, et elles ont toujours été interprétées comme n’ayant pas un effet ambulatoire, mais comme ayant plutôt l’effet d’incorporer la loi extrinsèque à la date où la Loi est interprétée, les modifications apportées par la suite à la loi incorporée n’influant pas sur elles : voir, par ex., Reg. v. Inhabitants of Merionethshire (1844), 6 Q.B. 343; The Queen v. Smith (1873), L.R. 8 Q.B. 146; Clarke v. Bradlaugh (1881), 8 Q.B.D. 63, à la p. 69; Kilgour v. London Street R.W. (1914), 30 O.L.R. 603, à la p. 606. L’effet de pareille loi est le suivant : c’est comme si la loi extrinsèque mentionnée figurait en toute lettres dans la Loi : In re Wood’s Estate (1886), 31 Ch. D. 607, à la p. 615.

Il a été jugé que ce point de vue s’applique lorsqu’une loi fédérale impose une responsabilité à la Couronne fédérale, mais que la question de la responsabilité doit être tranchée conformément aux lois provinciales. Ainsi, dans Gauthier v. The King (1918), 56 R.C.S. 176, en faisant des remarques au sujet de l’arrêt The King v. Armstrong (1908), 40 R.C.S. 229, le juge en chef Fitzpatrick a déclaré ceci, à la page 180 :

[traduction] Il s’agissait d’une affaire fondée sur l’alinéa 16c) de la « Loi sur la Cour de l’Échiquier », en vertu de laquelle une responsabilité particulière était pour la première fois imposée à la Couronne, mais comme je l’ai dit, le même principe doit s’appliquer dans tous les cas et la responsabilité dans chaque cas doit être déterminée conformément aux lois en vigueur dans la province au moment où la Couronne est pour la première fois devenue responsable à l’égard du fait générateur sur lequel l’action est foncée. En d’autres termes, le législateur local ne peut pas par la suite modifier la responsabilité de la Couronne fédérale ou, de toute façon, il ne peut pas lui imposer une responsabilité plus lourde.

Dans R. v. Glibbery, [1963] 1 O.R. 232 (C.A.), il s’agissait de savoir si [traduction] « les lois de la province » qui s’appliquaient en vertu d’un règlement provincial incorporaient les lois en vigueur à la date où le règlement avait été pris ou à la date où ces lois étaient de temps en temps modifiées. En concluant que la dernière solution était la bonne, le juge McGillivray, J.C.A., a déclaré ceci, au nom de la Cour, à la page 236 :

[traduction] Si les lois renvoyaient ainsi à celles de 1952, l’observation du règlement exigerait qu’un automobiliste qui entre sur la propriété fédérale ait un véhicule muni d’un équipement conforme aux normes de 1952 et que son permis satisfasse aux exigences de cette année-là. Pareille interprétation irait à l’encontre de l’effort évident que le législateur a fait pour imposer des lois uniformes, afin d’éviter la confusion et les inconvénients qui, autrement, se produiraient. De toute évidence, ce règlement est destiné à rendre applicables aux procédures fondées sur la Government Property Traffic Act les parties de la Highway Traffic Act existant de temps en temps qui ne vont pas à l’encontre du Règlement lui-même.

Ainsi, il semble que l’intention du législateur, manifestée par la loi incorporant l’autre loi, peut aider les tribunaux à déterminer le moment où une loi est incorporée par renvoi.

Deux décisions de la Cour de l’Échiquier du Canada laissent peut-être entendre que l’intention du législateur, aux articles 31 et 32 de la Loi de la Cour de l’Échiquier [S.R.C. 1927, ch. 34], qui étaient en vigueur avant que le paragraphe 38(1) n’eût pris effet, était d’incorporer la loi provinciale en vigueur de temps en temps en matière de prescription : Zakrzewski, Peter v. The King, [1944] R.C.É. 163; Parmenter, Leonard A. v. The Queen, [1956-1960] R.C.É. 66. Les dispositions pertinentes de la Loi de la Cour de l’Échiquier examinées dans ces affaires-là étaient à peu près identiques quant à la forme à celles du paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale. La Cour a également tenu compte de l’article 8 de la Loi des pétitions de droit, S.R.C. 1927, ch. 158, qui permettait à la Couronne de soulever dans le « mémoire de la défense … toute défense en droit ou en équité dont il aurait pu être excipé si la procédure avait été une action ou une poursuite intentée devant une cour de juridiction compétente pour connaître des différends entre particuliers ». Dans Zakrzewski, aux pages 169 et 170, le juge Thorson a dit ceci :

[traduction] Il est clair, me semble-t-il, que le législateur avait l’intention, au moyen de l’article 8 de la Loi des pétitions de droit et de l’article 32 de la Loi de la Cour de l’Échiquier, de mettre la Couronne dans la même situation que celle dans laquelle un particulier se trouverait dans le cas d’une poursuite ou d’une action entre particuliers, lorsqu’il s’agit de se défendre contre une pétition de droit. Je ne puis interpréter ces deux dispositions comme indiquant une autre intention et je dois juger que les lois provinciales en matière de prescription, qui sont mentionnées à l’article 32 de la Loi de la Cour de l’Échiquier et dont la Couronne peut se prévaloir dans une pétition de droit sont les lois de la province dans laquelle la cause d’action a pris naissance qui sont en vigueur au moment où la Couronne doit se défendre.

Les appelants soutiennent que ces deux décisions étaient erronées, mais je n’en suis pas convaincu. Ces décisions portaient sur l’interprétation de dispositions légales à peu près identiques à celles du paragraphe 38(1). Toutefois, j’estime qu’elles peuvent être distinguées strictement pour le motif qu’elles étaient fondées sur le libellé de l’article 31 ou de l’article 32 de la Loi de la Cour de l’Échiquier, et de l’article 8 de la Loi des pétitions de droit.

D’autre part, le paragraphe 38(1) parle d’une manière générale des « règles de droit … en vigueur ». Ces mots ont une portée passablement générale. Il me semble qu’étant donné que le but évident de cette disposition était de prévoir le régime qui s’appliquerait aux procédures futures devant la Cour en matière de prescription, le législateur avait l’intention d’incorporer les règles de droit provinciales relatives à la prescription qui étaient en vigueur de temps en temps. Si l’on retenait le point de vue contraire, le paragraphe 38(1) ne s’appliquerait qu’aux lois provinciales qui étaient « en vigueur » à la date où la Loi sur la Cour fédérale a pris effet. Cela rendrait peut-être également la disposition désuète dès le début, de sorte qu’elle devrait constamment être adoptée de nouveau pour suivre les modifications apportées aux règles de droit provinciales relatives à la prescription. L’inclusion de l’expression [traduction] « de temps en temps » aurait sans doute eu l’effet que cette expression comporte, mais à mon avis, le libellé du paragraphe 38(1) n’empêche pas pareil effet.

La Limitations Act de 1975 est entrée en vigueur le 1er juillet 1975; en vertu du paragraphe 14(2), elle s’applique, à quelques exceptions près, [traduction] « aux actions qui ont pris naissance » avant cette date. Voici les dispositions pertinentes de cette Loi [modifié avec changements suivants, par R.S.B.C. 1979, ch. 236] :

3.

[traduction] (4) Toute autre action non expressément prévue par la présente loi ou par une autre loi doit être intentée dans les six ans à compter de la date à laquelle le droit de le faire a pris naissance.

6. (1) Le délai de prescription fixé par la présente loi à l’égard d’une action

a) fondée sur la fraude ou la violation frauduleuse d’une obligation fiduciaire à laquelle le fiduciaire était partie ou dont il avait connaissance, ou

b) visant au recouvrement de biens détenus en fiducie, ou du produit y afférent, qui sont en la possession du fiduciaire, ou que le fiduciaire a déjà reçus et détournés à son propre usage,

est interrompu et ne commence à courir qu’au moment où le bénéficiaire a pleinement connaissance de la fraude, de la violation frauduleuse de l’obligation fiduciaire, du détournement ou de tout autre acte du fiduciaire sur lequel l’action est fondée.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), il incombe au fiduciaire de prouver que le délai a commencé à courir de façon à empêcher l’introduction de l’action.

(3) Le délai de prescription fixé par la présente loi à l’égard d’une action concernant

a) une lésion corporelle;

b) un dommage causé à un bien;

c) une négligence professionnelle;

d) une fraude ou une tromperie;

e) des faits importants se rapportant à la cause d’action qui ont délibérément été dissimulés;

f) une réparation des conséquences d’une erreur;

g) la Family Compensation Act; ou

h) la violation d’une obligation fiduciaire non prévue au paragraphe (1)

est interrompu et ne commence à courir qu’au moment où le demandeur connaît l’identité du défendeur et où les faits qu’il est en mesure de connaître sont tels qu’une personne raisonnable, connaissant ces faits et ayant reçu les conseils appropriés qu’une personne raisonnable aurait demandé à leur égard, estimerait qu’ils montrent

i) qu’une action fondée sur la cause d’action aurait, si ce n’était de l’expiration du délai de prescription, des chances de succès raisonnables, et

j) que la personne qui est en mesure de connaître les faits devrait, dans son propre intérêt et compte tenu des circonstances, être capable d’intenter une action.

8. (1) Sous réserve du paragraphe 3(3), mais nonobstant la confirmation faite en application de l’article 5, ou l’interruption ou la suspension du délai en vertu des articles 6 et 7 ainsi que du paragraphe 12, aucune action à laquelle s’applique la présente loi ne doit être intentée après l’expiration d’un délai de trente ans à compter de la date à laquelle le droit de le faire a pris naissance, ou si l’action, fondée sur la négligence, est intentée contre un hôpital, défini à l’article 1 ou 25 de la Hospital Act, ou contre un employé d’un hôpital agissant dans l’exercice de ses fonctions, ou que l’action est intentée contre un médecin pour négligence ou faute professionnelle, après l’expiration d’un délai de six ans à compter de la date à laquelle le droit de le faire a pris naissance.

14. (1) Aucune disposition de la présente loi ne fait renaître une cause d’action prescrite le 1er juillet 1975.

(2) Sous réserve des paragraphes (1) et (3), la présente loi s’applique aux actions qui ont pris naissance avant le 1er juillet 1975.

(3) Si, en ce qui concerne une cause d’action qui a pris naissance avant que la présente loi n’entre en vigueur, le délai de prescription prévu par la présente loi est plus court que celui qui s’appliquait auparavant à la cause d’action et expire au plus tard le 1er juillet 1977, le délai de prescription qui s’applique à cette cause d’action est le plus court des délais suivants :

a) deux ans à compter du 1er juillet 1975, ou

b) le délai de prescription qui s’appliquait auparavant à la cause d’action.

Le paragraphe 3(4), qui s’applique à [traduction] « toute autre action » semble contenir la seule disposition prévoyant le droit d’intenter une action fondée sur la violation d’une obligation fiduciaire. Étant donné que la R.I. 172 a été vendue le 30 mars 1948, le droit qu’avaient les appelants d’intenter une action aurait été éteint exactement six ans plus tard, à moins que le délai dans lequel l’action pouvait être intentée ait été interrompu. L’alinéa 6(1)a) de la Limitations Act de 1975 prévoit l’interruption du délai de prescription dans le cas d’une action fondée sur [traduction] « la fraude ou la violation frauduleuse d’une obligation fiduciaire à laquelle le fiduciaire était partie ou dont il avait connaissance ». En vertu des alinéas 6(3)d) et e), le délai est interrompu dans certains cas et notamment dans le cas d’une action concernant [traduction] « une fraude ou une tromperie » ou [traduction] « des faits importants se rapportant à la cause d’action qui ont délibérément été dissimulés ».

Les appelants soutiennent que le délai de prescription prévu au paragraphe 3(4) a été interrompu en l’espèce parce que, bien que le savant juge de première instance ait conclu qu’il y avait eu manquement « non frauduleux » à l’obligation légale, la « fraude » et la « dissimulation » comprennent la fraude d’equity au sens où l’entendait le juge Dickson, dans l’arrêt Guerin, précité, à la page 390 :

Il est bien établi qu’en cas de dissimulation frauduleuse de l’existence d’une cause d’action, le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où le demandeur découvre la fraude, ou du moment où, en faisant preuve de diligence raisonnable, il aurait dû la découvrir. Il n’est pas nécessaire que la dissimulation frauduleuse requise pour interrompre ou suspendre l’application de la loi constitue une tromperie ou une fraude de common law. Il suffit qu’il y ait fraude d’equity qui est définie, dans la décision Kitchen v. Royal Air Force Association, [1958] 1 W.L.R. 563, comme [traduction] « une conduite qui, compte tenu de la relation spéciale qui existe entre les parties concernées, est fort peu scrupuleuse de la part de l’une envers l’autre ». Je partage l’avis du juge de première instance selon lequel la conduite de la direction des Affaires indiennes à l’égard de la bande équivaut à une fraude d’equity. Même si les fonctionnaires de la Direction n’ont pas agi de façon malhonnête ou blâmable en cachant à la bande les conditions du bail, j’estime néanmoins que leur conduite a été peu scrupuleuse, compte tenu du rapport fiduciaire qui existe entre la Direction et la bande.

Les appelants disent que la Couronne a commis une fraude d’equity en omettant de leur fournir tous les renseignements concernant la cession de 1945 qu’ils avaient demandés en 1948 et qu’on avait demandé en leur nom en 1970. Ils ont soutenu qu’ils n’ont eu connaissance de leurs droits qu’au moment où le nouveau directeur régional de l’agence indienne de Fort Saint John a été désigné en 1975, après quoi, en 1977, ils ont demandé conseil à un avocat avec l’aide du directeur régional. Les appelants se fondent sur cet argument pour affirmer que l’action a été intentée dans les délais.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a récemment appliqué les dispositions de la Limitations Act de 1975 dans deux affaires de faute professionnelle commise par un médecin : Bera v. Marr (1986), 27 D.L.R. (4th) 161; Wittman (Guardian Ad Litem) v. Emmott (1991), 77 D.L.R. (4th) 77. Dans Wittman, le juge d’appel Wallace, au nom de la Cour, a appliqué le paragraphe 8(1), à la page 85, et a fait siennes les remarques suivantes que le juge Esson, J.C.A. avait faites dans l’arrêt Bera, précité, à la page 86 :

[traduction] On peut invoquer d’importants motifs d’ordre public pour ne pas donner à l’expression date à laquelle le droit d’intenter une action a pris naissance un sens différent de celui que la Limitation Act lui confère. Ce serait porter atteinte à un régime législatif équilibré. Les articles 6 et 8 ont à l’évidence été conçus pour être appliqués en même temps que le par. 3(1) afin d’une part, de prévoir un recours contre l’injustice pouvant résulter de la méconnaissance de certains faits et d’autre part, de fournir une protection raisonnable contre les demandes périmées. Tous ces objectifs reposent sur l’expression « droit de l’intenter », soit la date de la naissance de la cause d’action indépendamment de la connaissance des faits. Si cette prémisse est modifiée, l’art. 6 sera plus difficile à appliquer et l’art. 8 cessera de fournir une protection réelle contre les demandes périmées.

En l’espèce, le juge de première instance s’est appuyé, en particulier, sur l’arrêt Bera, précité, lorsqu’il a conclu que le droit d’action des appelants était prescrit, en vertu du paragraphe 8(1), car ce droit avait pris naissance plus de 30 ans plus tôt [traduction] « nonobstant l’interruption ou la suspension du délai en vertu des articles 6 et 7 … ». Je conclus moi aussi que le droit d’action que possèdent les appelants par suite de la violation d’une obligation fiduciaire était prescrit le 30 mars 1978, conformément au paragraphe 8(1) de la Limitations Act de 1975.

Les appelants soutiennent que les dispositions concernant la prescription ne devraient pas avoir un effet rétrospectif. À moins que pareil effet ne soit prévu par une disposition expresse ou nécessairement implicite, les lois concernant la prescription ne doivent pas s’appliquer rétrospectivement lorsque cela entraverait ou supprimerait un droit qu’une partie à un litige a déjà acquis. Ainsi, une nouvelle loi n’influe aucunement sur un moyen de défense qui peut être invoqué en vertu de la loi antérieure : Martin c. Perrie, [1986] 1 R.C.S. 41. Voir également Angus c. Sun Alliance compagnie d’assurance, [1988] 2 R.C.S. 256, juge La Forest, à la page 266. Il m’est difficile de retenir l’argument des appelants parce que le paragraphe 14(2) de la Limitations Act prévoit expressément que la loi doit avoir un effet rétrospectif. À mon avis, la demande est donc prescrite, en vertu du paragraphe 8(1).

En conclusion, je dois dire un mot au sujet de la portée possible de l’arrêt M.(K.), précité, sur cet aspect de l’appel. Dans cette affaire-là, le juge La Forest a parlé passablement en détail de l’élaboration par les tribunaux des règles de la possibilité raisonnable de découverte du préjudice subi et de la dissimulation frauduleuse. Dans cette affaire-là, le défendeur alléguait que l’action délictuelle était prescrite compte tenu du délai prévu à l’alinéa 45(1)j) de la Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1980, ch. 240. Toutefois, cette Loi ne prévoyait aucun délai de prescription à l’égard d’une action fondée sur la violation d’une obligation fiduciaire. À la page 69[90], le juge La Forest a fait remarquer que la Loi sur la prescription des actions de l’Ontario demeurait l’une des rares lois sur la prescription qui « [n’était] pas applicable à l’ensemble des actions civiles ». Il a mentionné des dispositions figurant dans d’autres lois sur la prescription qui « visent généralement les actions en common law et en equity » et, entre autres, il a cité le paragraphe 3(4) de la Limitations Act de la Colombie-Britannique de 1975. À la page 46[91], il a fait remarquer que la loi de la Colombie-Britannique était « fort différente » de celle de l’Ontario et il a dit que l’article 6 créait un « critère légal de la possibilité raisonnable de découvrir le préjudice subi ». Comme l’a souligné le juge de première instance en l’espèce, à la page 84, une autre différence est que la loi de la Colombie-Britannique prévoit également, au paragraphe 8(1) « ce qu’on appelle une prescription finale ».

Bref, il me semble que la Limitations Act de 1975 s’applique à une demande fondée sur la violation d’une obligation fiduciaire et que le délai de prescription de six ans prévu au paragraphe 3(4) peut être plus long si les circonstances sont telles qu’elles sont visées par l’article 6, mais que le délai ne peut en aucun cas dépasser le délai de prescription de 30 ans énoncé au paragraphe 8(1).

DISPOSITIF

Je rejetterais l’appel et l’appel incident, avec dépens.



[1] La décision du juge de première instance est publiée [1988] 3 C.F. 20 (1re inst.) (abrégée); sub nom. Bande indienne de la rivière Blueberry et bande indienne de la rivière Doig c. Canada (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) et autre (1987), 14 F.T.R. 161.

[2] Voir, par ex., la lettre datée du 18 mars 1915 de D. F. Robertson, arpenteur, au sous-secrétaire adjoint des Affaires indiennes (dossier conjoint, appendice, vol. 1, à la p. 43).

[3] Voir, par ex., le dossier conjoint, appendice, vol. 1, à la p. 17.

[4] Voir, par ex., la déposition de l’appelant Jerry Attachie (transcription de la preuve présentée à l’instruction, vol. 6, à la p. 812); la déposition de Mme T. Cheekyass (transcription de la preuve présentée à l’instruction, vol. 14, aux p. 1701 à 1705); et le rapport d’expert de H. Brody (dossier conjoint, appendice, vol. 11, aux p. 1470 à 1473).

[5] Voir, par ex., la correspondance de 1917 et 1918, entre la Great War Veterans’ Association of Canada et le sous-ministre adjoint des Affaires indiennes (dossier conjoint, appendice, vol. 1, aux p. 46 à 49)

[6] Voir la lettre datée du 22 janvier 1920 du sous-ministre adjoint des Affaires indiennes au sous-ministre de l’Intérieur (dossier conjoint, appendice, vol. 1, à la p. 64) et la correspondance des mois de novembre et décembre 1918, entre l’honorable Arthur Meighen, ministre de l’Intérieur, et le sous-ministre adjoint des Affaires indiennes (dossier conjoint, appendice, vol. 1, aux p. 50 à 59).

[7] Voir la lettre datée du 6 juin 1935, de M. Christianson, inspecteur des agences indiennes, à M. H. A. W. Brown, agent des Indiens, Fort Saint John (dossier conjoint, appendice, vol. 2, à la p. 199).

[8] Une copie de la demande figure dans le dossier conjoint, appendice, vol. 2, à la p. 248.

[9] Voir la transcription de la preuve présentée à l’instruction, vol. 13, à la p. 1634.

[10] Voir, par ex., divers rapports des inspecteurs des Indiens (dossier conjoint, appendice, vol. 3, aux p. 316 à 352).

[11] Voir la transcription de la preuve présentée à l’instruction, vol. 18, à la p. 2481.

[12] Rapport d’expert de M. J. E. Chamberlain, dossier conjoint, appendice, vol. 13, à la p. 1716.

[13] Dossier conjoint, appendice, vol. 10, à la p. 1312.

[14] Dossier conjoint, appendice, vol. 10, à la p. 1318.

[15] L’art. 8 de la Loi sur le ministère des Affaires des anciens combattants, S.C. 1944-45, ch. 19, prévoyait que le ministre des Affaires des anciens combattants nouvellement constitué remplaçait le ministre autrefois responsable de l’application d’un certain nombre de lois, dont la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants [S.C. 1942-43, ch. 33]. En novembre 1945, la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants a expressément été modifiée de la même façon par S.C. 1945, ch. 34, art. 1.

[16] Voir, par ex., la lettre du 29 novembre 1946 du DTAC au DAI (dossier conjoint, appendice, vol. 5, à la p. 638) et la réponse datée du 7 décembre 1946 (dossier conjoint, appendice, vol. 5, à la p. 643).

[17] Dossier conjoint, appendice, vol. 6, à la p. 671.

[18] Voir le dossier conjoint, appendice, vol. 18, aux p. 2360 et 2361.

[19] Voir la lettre du 28 juin 1949 de la Peace River Natural Gas Company au directeur des Affaires indiennes (dossier conjoint, appendice, vol. 6, à la p. 736).

[20] Voir la lettre du 3 août 1949 de D. J. Allan, surintendant des réserves et des fidéicommis, à J. E. Galibois, agent des Indiens, Fort Saint John (dossier conjoint, appendice, vol. 6, à la p. 741).

[21] En 1961, par exemple, un procureur du ministère des Affaires des anciens combattants a écrit qu’il [traduction] « [s’était] toujours demandé » comment le DTAC avait acquis les droits miniers afférents à la R.I. 172. Selon la réponse officielle, c’était parce que, au moment où la R.I. 172 avait été [traduction] « vendue » au DTAC, les droits miniers n’avaient pas expressément été réservés. On croyait que la chose avait peut-être été faite [traduction] « par inadvertance ». Voir le dossier conjoint, appendice, vol. 8, aux p. 1042 et 1043.

[22] L’idée est beaucoup plus ancienne. Coke a écrit ceci : [traduction] « [T]outes les terres à l’intérieur de ce royaume émanaient initialement de la Couronne et, par conséquent, le Roi est maître souverain, ou maître suprême, d’une façon directe ou indirecte, de toutes les parcelles à l’intérieur du royaume » (Institutes on the Laws of England, vol. 1, 65.a).

[23] Strictement parlant, l’affaire portait sur l’interprétation de la Proclamation royale de 1763 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 1], qui ne s’applique pas aux Autochtones dans ce qui est maintenant l’Ouest du Canada. Néanmoins, la description générale du titre autochtone demeure pertinente.

[24] Lord Watson a reçu sa formation au sein du barreau écossais.

[25] En droit romain, l’usufruit est le droit d’utiliser le bien d’une autre personne et d’en jouir sans pour autant avoir le droit de changer la nature de celui-ci. Voir The Oxford Companion to Law (Oxford : Clarendon Press, 1980), à la p. 1268.

[26] Cependant, je m’empresse d’ajouter que, même dans les anciens arrêts, le droit autochtone n’était pas aussi imprécis ou fragile que des mots comme [traduction] « personnel », [traduction] « de la nature d’un usufruit » et [traduction] « simple charge » pourraient le laisser entendre. Dans la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’affaire St. Catherines Milling (sub nom. St. Catharines Milling and Lumber Co.) v. The Queen (1887), 13 S.C.R. 577, à la p. 608, le juge Strong (tel était alors son titre) a décrit la nature du droit comme suit :

[traduction] Ce titre, même s’il n’est peut-être pas possible d’en donner une définition juridique exacte, suffisait néanmoins à protéger les Indiens en ce qui concerne l’utilisation et la jouissance absolue de leurs terres, même si, en même temps, ceux-ci ne pouvaient pas les aliéner validement autrement qu’en faveur de la Couronne elle-même, qui détenait le titre suprême, en conformité du droit anglais en matière de propriété immobilière.

* S.R.C. 1927, ch. 98.

[27] S.R.C. 1927, ch. 98.

[28] Dans St. Catharine’s Milling, il a été conclu que les Indiens avaient conservé leurs droits de pêche à la suite d’une cession par ailleurs complète. Voir le jugement prononcé par le juge Rand dans St. Ann’s Fishing Club, précité, à la p. 219.

[29] Transcription de la preuve présentée à l’instruction, vol. 21, aux p. 3037 à 3041.

[30] L’art. 15 de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1927, ch. 1, était ainsi libellé :

Toute loi, de même que chacune de ses prescriptions et dispositions, est censée réparatrice, soit qu’elle ait pour but immédiat d’ordonner l’accomplissement de certaine chose que le Parlement considère d’intérêt public, ou d’empêcher ou de châtier l’accomplissement d’une chose qu’il juge contraire à cet intérêt. Par conséquent, l’interprétation à lui donner doit être franche, large et libérale, et la plus propre à assurer la réalisation de l’objet de la loi et de ses dispositions et prescriptions, selon leur sens, intention et esprit véritables. [Soulignements ajoutés.]

[31] Bacon’s Abridgement, Prerogative. Voir également Halsbury’s Laws of England (4e éd.), vol. 9, « Constitutional Law », par. 943.

[32] Theodore v. Duncan, [1919] A.C. 696 (P.C.), à la p. 706, vicomte Haldane. Voir également Maritime Bank of Canada (Liquidators of) v. Receiver-General of New Brunswick, [1892] A.C. 437 (P.C.) et Regina v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, Ex parte Indian Association of Alberta, [1982] Q.B. 892 (C.A.).

[33] Voir Halsbury’s Laws of England (4e éd.) vol. 9, « Constitutional Law », par. 931.

[34] Dans Metropolitan Asylum District v. Hill (1881), 6 App. Cas. 193 (H.L.), lord Blackburn a dit ceci à la p. 208 :

[traduction] Il est clair qu’il incombe à ceux qui cherchent à établir que le législateur avait l’intention de supprimer les droits privés des particuliers de montrer que cette intention est indiquée d’une façon expresse ou nécessairement implicite.

[35] Il pourrait être opportun de dire quelques mots au sujet de l’historique législatif de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants. Cette loi a initialement été adoptée en 1942 (S.C. 1942-43, ch. 33). En l’espèce, il est particulièrement intéressant de noter deux modifications subséquentes, bien qu’elles soient toutes les deux postérieures à la cession et qu’elles n’aient donc aucune application quant au fond. Dans S.C. 1950, ch. 51, art. 6, une disposition qui, dans la révision de 1952 des lois d’intérêt public et général, figurait à titre de paragraphe 5(2) [S.R.C. 1952, ch. 280], a été ajoutée. Cette disposition était ainsi libellée :

5.

(2) Des actions, poursuites ou autres procédures judiciaires concernant un droit acquis ou une obligation contractée par le Directeur pour le compte de Sa Majesté … peuvent être intentées ou engagées par ou contre le Directeur au nom de ce dernier, devant toute cour qui aurait juridiction si le Directeur n’était pas mandataire de Sa Majesté.

De même, dans S.C. 1980-81-82-83, ch. 78, art. 1, le nouveau par. 5(8) a été ajouté :

5.

(8) Toute terre dévolue au Directeur à laquelle s’applique une ordonnance ou un jugement d’une cour visé à l’article 37 [qui dit que les lois concernant les privilèges du constructeur et le partage des biens familiaux ne s’étendent pas aux terres dont le Directeur détient encore le titre] est déclarée, pour l’application de cet article, détenue par le Directeur en sa qualité de corporation constituée d’une seule personne physique et non comme mandataire de Sa Majesté du chef du Canada.

[36] Ainsi, la Treasury Solicitor Act, 1876, (R.-U.) 39 & 40 Vict., ch. 18, art. 1, prévoyait ceci :

[traduction] 1. La personne qui occupe la charge de Solicitor for the Affairs of Her Majesty’s Treasury (laquelle est désignée, dans cette loi, sous le nom de Treasury Solicitor) est une corporation constituée d’une seule personne physique appelée Solicitor for the Affairs of Her Majesty’s Treasury et, sous ce nom, elle a une succession perpétuelle et a la capacité d’acquérir et de détenir des biens-fonds, des titres d’État, des actions d’une société ouverte … d’engager des poursuites et d’être assujettie à des poursuites, d’apposer son sceau officiel sur des actes … et d’accomplir tous les autres actes nécessaires ou opportuns en vue de l’exécution des devoirs de la charge.

[37] L’art. 1A de la Ministers of the Crown (Transfer of Functions) Act, 1946, (R.-U.) 9 & 10 Geo. VI, ch. 31, édicté par la Ministers of the Crown Act, 1974 (R.-U.), 1974, ch. 21, ann. 2, art. 1 prévoit ceci :

[traduction] 1A.—(1) Sa Majesté peut, relativement à tout changement apporté aux ministères relevant de la charge du Secretary of State … prendre les dispositions accessoires, corrélatives et supplémentaires qu’il est nécessaire ou opportun de prendre relativement au changement, et notamment des dispositions—

a) en vue de constituer un secrétaire d’État en une corporation constituée d’une seule personne physique.

[38] Les dispositions de l’art. 5 ont été numérotées de nouveau (voir la note 35 ci-dessus), mais je cite les numéros qui existaient au moment du transfert de 1948.

[39] Entick v. Carrington (également connu sous le nom The Case of Seizure of Papers) (1765), 19 St. Tr. 1029 (K.B.), à la p. 1068; 95 E.R. 807. Voir également Halsbury’s Laws of England (4e éd.), vol. 8, « Constitutional Law », par. 805.

[40] Voir ci-dessus, note 35.

[41] R.S.B.C. 1979, ch. 236 [qui n’a pas modifié de façon importante les dispositions applicables de la Limitations Act de 1975].

[42] [1988] 3 C.F. 20 (1re inst.), à la p. 46.

[43] L’art. 5(1) est plus particulièrement ainsi libellé :

5. (1) Aux fins d’acquérir, de détenir, transporter et transférer et de convenir de transporter, d’acquérir ou de transférer l’un des biens que la présente loi l’autorise à acquérir, détenir, transporter, transférer ou convenir de transporter ou de transférer, mais pour ces fins seulement, le Directeur est une corporation constituée d’une seule personne physique; lui et ses successeurs auront une succession perpétuelle et, à ce titre, il est le mandataire de Sa Majesté du chef du Canada.

[44] En fait, la Loi de 1975 a de nouveau été modifiée en 1979 [Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236], mais étant donné qu’à ce moment-là, l’action ici en cause avait déjà été intentée, cela ne devrait pas nous concerner.

[45] Un abrégé des motifs du jugement est publié sous l’intitulé Apsassin c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1988] 3 C.F. 20, et le texte complet est publié sous l’intitulé Bande indienne de la rivière Blueberry et bande indienne de la rivière Doig c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) et autre (1988), 14 F.T.R. 161.

[46] Pièce 12, dossier conjoint, appendice 1, vol. 1, aux p. 44 et 45.

[47] Pièce 254, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, aux p. 409 et 410.

[48] Motifs du jugement, dossier conjoint, vol. 2, aux p. 104 et 105.

[49] Pièce 852, dossier conjoint, appendice 1, vol. 9, à la p. 1047.

[50] Pièce 177, dossier conjoint, appendice 1, vol. 3, à la p. 265.

[51] Dans ses motifs, le juge de première instance dit que cette assemblée a eu lieu le 22 septembre 1945, alors que dans le compte rendu où il transmettait les documents relatifs à la cession à l’administration centrale, à Ottawa, J. L. Grew (qui présidait l’assemblée), a indiqué la date comme étant [traduction] « le samedi, 21 septembre ». (Pièce 294, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, à la p. 485.)

[52] Pièce 295, dossier conjoint, appendice 1, vol. 5, aux p. 506 et 507.

[53] Ibid., à la p. 507.

[54] Pièce 506 (non versée au dossier conjoint).

[55] Motifs du jugement, dossier conjoint, vol. 2, aux p. 171 et 172.

[56] Pièce 246, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, à la p. 401.

[57] Pièce 894, dossier conjoint, appendice 1, vol. 10, à la p. 1318.

[58] Pièce 383, dossier conjoint, appendice 1, vol. 5, à la p. 600.

[59] Pièce 254, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, à la p. 409.

[60] Pièce 278, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, à la p. 440.

[61] Pièce 283, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, à la p. 447.

[62] Pièce 287, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, aux p. 472 et 473.

[63] Pièce 289, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, à la p. 478. M. Glen était ministre des Mines et des Ressources, mais en vertu de la loi fédérale, il était également responsable des Affaires indiennes au sein du gouvernement du Canada. (Loi du ministère des Mines et des ressources, S.C. 1936, ch. 33, art. 5). Par suite de l’adoption de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, le ministre des Mines et des Ressources est devenu responsable des Affaires des anciens combattants. Le ministre a continué à exercer ces deux fonctions jusqu’au 21 octobre 1944, date à laquelle le ministère des Affaires des anciens combattants a été établi par suite de la promulgation de la Loi sur le ministère des Affaires des anciens combattants, S.C. 1944-45, ch. 19. L’art. 8(1) de cette loi transférait au ministre des Affaires des anciens combattants les fonctions autrefois assumées par le ministre des Mines et des Ressources à l’égard des anciens combattants.

[64] Ibid., à la p. 479.

[65] Ibid., à la p. 480.

[66] Pièce 283, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, à la p. 450.

[67] Pièce 284, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, à la p. 455.

[68] Pièce 235, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, à la p. 385. Toutefois, M. Schmidt a également donné l’avertissement suivant, en ce qui concerne la possibilité que les Indiens aient un jour besoin de la R.I. 172 pour s’y installer en permanence :

[traduction] Les contacts qu’ils ont eus avec les blancs pour lesquels ils travaillent ainsi que la construction de la route de l’Alaska leur a fait voir le mode de vie moderne; je crois donc que leurs contacts très étroits avec les blancs leur feront changer d’idée et qu’ils voudront s’installer en permanence dans la réserve.

[69] Pièce 244, dossier conjoint, appendice 1, vol. 4, à la p. 397. Le directeur des Affaires indiennes a réagi ainsi à la fin du compte rendu de M. Brown : [traduction] « En temps et lieu les jeunes gens utiliseront les terres de la réserve ».

[70] Motifs du jugement, dossier conjoint, vol. 2, à la p. 111.

[71] [1992] 3 R.C.S. 6.

[72] Ibid.

[73] Ibid.

[74] Ibid.

[75] Ibid.

[76] L’art. 4 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, prévoyait que :

4. Le ministre de l’Intérieur, ou le chef de tout autre ministère désigné à cet effet par le gouverneur en son conseil, est le surintendant général des affaires indiennes, et, à ce titre, gère et administre les terres et propriétés indiennes en Canada.

Dans Guerin, précité, à la p. 349, le juge Wilson a fait remarquer que l’art. 18(1) de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, constituait en soi « la reconnaissance … qu’il incombe à Sa Majesté de protéger » le droit des bandes indiennes sur leurs réserves. Ces remarques laissaient présager celles que le juge La Forest a faites dans Mitchell, précité, à la p. 130.

[77] Précité, note 71.

[78] Ibid.

[79] Motifs du jugement, dossier conjoint, vol. 2, à la p. 112.

[80] Voir, par ex., Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2 R.C.S. 694; Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2; Klimashewski c. Succession Klimashewski, [1987] 2 R.C.S. 754; N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247; Fletcher c. Société d’assurance publique du Manitoba, [1990] 3 R.C.S. 191; Sunrise Co. c. Lake Winnipeg (Le), [1991] 1 R.C.S. 3; Ontario (Procureur général) c. Bear Island Foundation, [1991] 2 R.C.S. 570; Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351.

[81] Motifs du jugement, dossier conjoint, vol. 2, aux p. 178 et 179.

[82] Voir : Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton c. Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada (1986), 86 CLLC 14,053 (C.A.F.); Cyanamid Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (no du greffe : A-294-92, jugement rendu le 23 octobre 1992); McCain Foods Ltd. c. Canada (l’Office national des transports), [1993] 1 C.F. 583 (C.A.).

[83] Motifs du jugement, dossier conjoint, vol. 2, à la p. 139.

[84] Voir la déposition de Joe Leask, transcription, vol. 21, à la p. 3026, lignes 9 à 27, p. 3037, ligne 22 à la p. 3041, ligne 9.

[85] Pièce 848, dossier conjoint, appendice 1, vol. 8, à la p. 1043.

[86] Motifs du jugement, dossier conjoint, vol. 2, à la p. 125.

[87] Ibid., à la p. 126.

[88] Motifs du jugement, dossier conjoint, vol. 2, aux p. 187 et 188.

[89] Motifs du jugement, dossier conjoint, vol. 2, à la p. 186.

[90] Précité, note 71.

[91] Ibid.

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