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[1993] 3 C.F 370

92-T-1362

Ramdeo Ramoutar (requérant)

c.

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié: Ramoutar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1re  inst.)

Section de première instance, juge Rothstein—Winnipeg, 25 mai; Ottawa, 9 juin 1993.

Citoyenneté et immigration — Pratique en matière d’immigration — Demande d’annulation du refus de déférer un cas au gouverneur en conseil en vue d’obtenir une dispense de l’obligation de demander, à l’étranger, le statut de résident permanent ou d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement — En entretenant des doutes raisonnables au sujet de l’authenticité du mariage du requérant avec une citoyenne canadienne, l’agent d’immigration exigeait une preuve au-delà du doute raisonnable — Dans les procédures de nature civile, la norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités — Le Ministère ne peut, par une politique, changer la norme de preuve exigée — Il y a eu déni d’équité procédurale car on a refusé de faire référence aux renseignements contradictoires fournis par le requérant, et ce dernier n’a pas eu l’occasion d’éclaircir les doutes soulevés — La question de savoir si le critère du doute raisonnable, en ce qui concerne l’authenticité d’un mariage, est compatible avec une application convenable de raisons d’ordre humanitaire a été certifiée en vue d’une décision de la C.A.F., même si cette question n’était pas déterminante — La C.A.F. n’est pas tenue de trancher uniquement la question certifiée — Elle peut, dans les limites de sa compétence, examiner tous les aspects de l’appel dont elle est saisie.

Il s’agissait d’une demande visant à faire annuler la décision de ne pas déférer le cas du requérant au gouverneur en conseil en vue d’obtenir, pour des raisons d’ordre humanitaire, une dispense de l’obligation prévue au paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration de demander, à l’étranger, le statut de résident permanent ou d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement. Selon la lettre de refus, l’authenticité du mariage du requérant avec une citoyenne canadienne suscitait un doute raisonnable, et le requérant avait fourni à la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié des renseignements contredisant ceux donnés à des conseillers de l’Immigration. Les points en litige étaient les suivants: si l’intimé avait appliqué la mauvaise norme de preuve, c’est-à-dire la preuve au-delà du doute raisonnable, plutôt que la preuve selon la prépondérance des probabilités; s’il y avait eu déni d’équité procédurale parce que le requérant n’avait jamais eu l’occasion de prendre connaissance des présumées contradictions afin de pouvoir les éclaircir; si l’affaire était sans objet parce que le requérant avait déjà été expulsé.

Le ministre a demandé que la Cour d’appel fédérale certifie pour fins de décision la question de savoir si, en ce qui avait trait à l’authenticité d’un mariage, le critère du doute raisonnable énoncé dans la politique d’immigration était compatible avec une application convenable des raisons d’ordre humanitaire, ainsi qu’il est prévu au paragraphe 114(2) de la Loi.

Jugement: la demande doit être accueillie.

La démarche suivie par les agents d’immigration implique que le requérant aurait dû les convaincre, au-delà du doute raisonnable, de l’authenticité de son mariage. Il s’agit là d’une erreur de droit. Les procédures engagées en vertu du paragraphe 114(2) sont de nature civile et, de ce fait, la norme de preuve qu’il convenait d’appliquer était celle de la prépondérance des probabilités. Les agents d’immigration se conformaient aux lignes directrices du Ministère. Ce n’est pas parce que le Ministère a formulé une politique que cela confère à cette dernière le statut d’une loi. Le ministère ne peut, par le truchement d’une politique, exiger que, dans une affaire de nature civile, la norme de preuve soit la preuve au-delà du doute raisonnable.

Il y a eu déni d’équité procédurale. Le requérant avait le droit de savoir quels étaient les doutes qu’avaient les agents d’immigration; cela lui aurait permis d’en prendre connaissance et, si possible, de les éclaircir.

L’affaire n’était pas sans objet. Une décision fort préjudiciable figurait maintenant dans le dossier d’immigration du requérant, et elle pouvait porter préjudice au requérant dans toute action qu’il serait susceptible d’intenter ultérieurement. Le requérant jouit toujours de droits en vertu de la Loi sur l’immigration, et il ne faudrait pas qu’une décision, prise par suite de l’application de la mauvaise norme de preuve et sans que le requérant bénéficie de l’équité procédurale, ait une incidence négative sur ses droits. Même en supposant que l’affaire soit sans objet, la relation d’opposition entre les parties subsiste. La décision qui fait l’objet d’un appel, si elle est maintenue, aura des conséquences secondaires pour le requérant.

La question proposée a été certifiée même s’il n’était pas déterminant que la Cour d’appel fédérale tranche uniquement la question proposée par l’intimé, à cause de la conclusion additionnelle de l’existence d’un déni d’équité procédurale. Lorsque la Cour d’appel fédérale doit étudier une affaire, elle n’est pas tenue de trancher seulement la question certifiée; elle peut, dans les limites de sa compétence, examiner tous les aspects de l’appel dont elle est saisie.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 9(1), 83(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19), 114(2).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES:

Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; (1989), 57 D.L.R. (4th) 231; [1989] 3 W.W.R. 97; 75 Sask. R. 82; 47 C.C.C. (3d) 1; 33 C.P.C. (2d) 105; 38 C.R.R. 232; 92 N.R. 110; Brooks, Robert Philip (1970), 1 A.I.A. 145 (C.A.I.); Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC 14,181; 23 N.R. 410; Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.); Re K. (H.) (an infant), [1967] 1 All E.R. 226 (Q.B.).

DOCTRINE

Wydrzynski, Christopher J. Canadian Immigration Law and Procedure. Aurora, Ontario: Canada Law Book, 1983.

DEMANDE de contrôle judiciaire concernant la décision de ne pas déférer le cas du requérant au gouverneur en conseil en vue d’obtenir, pour des raisons d’ordre humanitaire, une dispense de l’obligation prévue au paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration de solliciter, à l’étranger, le statut de résident permanent ou d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement. Demande accueillie.

AVOCATS:

David Matas pour le requérant.

Gerald L. Chartier pour l’intimé.

PROCUREURS:

David Matas, Winnipeg (Manitoba), pour le requérant

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Rothstein: Par cette demande de contrôle judiciaire le requérant cherche à faire annuler une décision qu’a rendue M. Gilles Bibeau le 17 août 1992, pour le compte du directeur adjoint du Centre d’Immigration Canada à Winnipeg. M. Bibeau a décidé de ne pas déférer le cas du requérant au gouverneur en conseil en vue d’obtenir, pour des raisons d’ordre humanitaire, une dispense de l’obligation prévue au paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 de solliciter, à l’étranger, le statut d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement ou de résident permanent.

Le requérant a été frappé d’une mesure d’expulsion le 3 août 1990. Un appel de cette mesure, interjeté devant la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, a été rejeté le 15 avril 1991.

Le requérant a demandé, en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration, une dispense de l’obligation de solliciter, à l’étranger, le statut d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement. Cette demande a été refusée le 17 août 1992, et le requérant a été expulsé le 1er octobre suivant.

La décision de rejeter la demande de dispense présentée en vertu du paragraphe 114(2) et datée du 17 août 1992 a été communiquée au requérant dans une lettre du Centre d’Immigration Canada à Winnipeg, dont le texte est le suivant:

[traduction] La présente fait suite à la demande que vous avez présentée en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration en vue de l’octroi, par le gouverneur en conseil, d’une dispense d’application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration pour des raisons d’ordre humanitaire.

Après avoir soigneusement étudié les circonstances particulières de votre demande il a été déterminé qu’il n’est pas justifié de déférer votre cas au gouverneur en conseil pour des raisons d’intérêt public ou d’ordre humanitaire. Vous n’avez pas établi que le fait de vous contraindre à quitter le Canada vous occasionnerait des difficultés imméritées ou disproportionnées, pas plus que vous n’avez établi que votre présence au Canada serait favorable à l’intérêt national. La décision repose sur les motifs suivants:

1. L’authenticité de votre mariage semble raisonnablement douteuse car celui-ci a été conclu après que vous avez épuisé toutes les voies d’appel contre la mesure de renvoi prise à votre égard.

2. La Commission a tenu compte du bien-être de votre épouse et de votre enfant, et n’a trouvé aucune preuve qu’il serait impossible à votre épouse de subvenir à ses propres besoins et à ceux de l’enfant pendant que vous présenteriez votre demande de l’étranger. Votre épouse a, à Winnipeg, au moins un frère et une sœur et des parents vers lesquels elle peut se tourner en cas de besoin. Si elle le désire, elle peut aussi retourner avec vous à la Trinité et être avec vous pendant que l’on traite votre demande.

3. Comme vous le savez peut-être, nos agents des visas à Port of Spain ont interrogé votre épouse précédente; à la suite de l’entrevue, ils se sont dits eux aussi que vous vous êtes peut-être remarié dans l’unique but de contourner les dispositions de la Loi sur l’immigration et du règlement y afférent.

4. Vous êtes entré la première fois au Canada en faisant de fausses indications et vous avez continué d’en faire en fournissant à la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié des renseignements qui contredisent ce que vous avez déclaré à nos conseillers en immigration, lors des entrevues que vous avez eues à ce bureau.

La mesure de renvoi prise contre vous le 3 août 1990 sera exécutée aussi tôt que possible. Vous pourrez poursuivre votre demande de résidence permanente en communiquant avec l’ambassade du Canada à Port of Spain, une fois que vous vous trouverez dans ce pays.

Je regrette que cette décision ne puisse être plus favorable.

Le requérant a soulevé un certain nombre de motifs de contrôle judiciaire, dont les suivants:

1. En déterminant si le mariage du requérant avec une citoyenne canadienne était authentique, l’intimé a appliqué la mauvaise norme de preuve: la preuve au-delà du doute raisonnable, plutôt que la preuve selon la prépondérance des probabilités.

2. L’intimé a jugé que le requérant avait fourni des renseignements contradictoires, mais ce dernier n’a jamais été confronté auxdites contradictions de manière à pouvoir les examiner et les expliquer.

En ce qui concerne le premier motif, il est dit ce qui suit dans la décision datée du 17 août 1992:

[traduction] L’authenticité de votre mariage semble raisonnablement douteuse …

M. Barry Pike, l’un des agents d’immigration qui a mené l’enquête sur le requérant, déclare ce qui suit dans une note de service adressée à M. Rocky Gushuliak, surveillant des admissions à Winnipeg, en date du 13 juillet 1992:

[traduction] Après un examen attentif et bienveillant de ce cas, je crois qu’il est raisonnable de douter de l’authenticité du mariage actuel du sujet.

Dans une note jointe à la note de service datée du 13 juillet 1992, M. M. A. Colvin, surveillant par intérim, déclare ceci:

[traduction] Je souscris à cette recommandation. Je suis d’avis que l’authenticité de ce mariage suscite un doute raisonnable.

Les agents d’immigration semblent avoir eu un doute raisonnable au sujet de l’authenticité du mariage du requérant avec une citoyenne canadienne; c’est-à-dire que ce dernier s’est marié dans le but de contourner les dispositions de la Loi sur l’immigration et du règlement [Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172] y afférent. Il me semble qu’il ressort clairement de l’approche qu’ils ont suivie que le requérant aurait dû les convaincre, au-delà du doute raisonnable, de l’authenticité de son mariage avec une citoyenne canadienne.

Les procédures introduites en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration sont de nature civile et, de ce fait, la norme de preuve qu’il convient d’appliquer pour examiner la preuve de l’authenticité du mariage du requérant avec une citoyenne canadienne est la norme de la prépondérance des probabilités—celle qui s’applique dans une procédure au civil. Il s’agit là, bien sûr, d’une norme moins stricte pour le requérant que celle de la preuve au-delà du doute raisonnable.

Selon l’avocat de l’intimé, la politique relative à l’évaluation de l’authenticité d’un mariage est énoncée dans des lignes directrices qui sont fournies aux agents d’immigration. Le passage suivant est tiré de ces lignes directrices:

[traduction] Il appartient au client, le conjoint en l’occurrence, de convaincre l’agent d’immigration que le mariage est authentique. Étant donné que les cas de cette nature n’ont pas trait à une demande de résidence permanente mais simplement à une demande visant à obtenir qu’une demande de résidence permanente soit traitée au Canada, il suffit, pour refuser d’exercer le pouvoir discrétionnaire accordé, que les agents aient un doute raisonnable quant à l’authenticité du mariage. Une preuve absolue n’est pas nécessaire …

L’avocat de l’intimé a exprimé l’avis qu’étant donné que les agents d’immigration en l’espèce se conformaient à la politique ou aux lignes directrices établies du Ministère de l’Immigration, on ne pouvait révoquer en doute avec succès leur démarche. Cependant, ce n’est pas parce que les hautes instances du Ministère de l’Immigration ont formulé une politique que cela donne à cette dernière le statut d’une loi. Le Ministère ne peut, par le truchement d’une politique, exiger que la norme de preuve en matière civile soit la preuve au-delà du doute raisonnable.

Je suis bien convaincu qu’en évaluant l’authenticité du mariage du requérant avec une citoyenne canadienne en s’appuyant sur le fait qu’il fallait prouver cette authenticité au-delà du doute raisonnable, l’intimé a commis une erreur en droit.

Quant à savoir si le requérant avait le droit d’être mis au courant des doutes des agents d’immigration, de manière à pouvoir les examiner et, dans la mesure du possible, les éclaircir, l’avocat de l’intimé, avec beaucoup de sérieux selon moi, a reconnu que cette exigence était une question d’équité procédurale. Ce point a paru peu contesté. Le droit en la matière a été exprimé à maintes reprises:

À mon avis, on aurait dû dire à l’appelant pourquoi on avait mis fin à son emploi et lui permettre de se défendre, oralement ou par écrit au choix du comité. Il me semble que le comité lui-même voudrait s’assurer qu’il n’a commis aucune erreur quant aux faits ou circonstances qui ont déterminé sa décision. [Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, à la page 328.]

[traduction] La règle fondamentale est la suivante: lorsqu’une personne peut être l’objet d’une peine ou d’une pénalité, s’exposer à des poursuites ou à une action, se voir privée de moyens de redressement ou de recours, ou être touchée négativement, d’une certaine façon, par l’enquête et le rapport, il convient de dire à cette personne ce qui lui est reproché et de lui donner la possibilité raisonnable d’y répondre. [Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.), à la page 19.]

[traduction] Un agent d’immigration, même s’il n’agit pas en une qualité judiciaire ou quasi judiciaire, doit, en tout état de cause, donner à l’immigrant la possibilité de le convaincre des points énoncés dans la disposition et, à cette fin, faire part à l’immigrant de son impression première, de manière à ce que ce dernier puisse lui montrer qu’il a tort. Selon moi, il ne s’agit pas d’une question d’agir ou d’être tenu d’agir judiciairement, mais d’être tenu d’agir équitablement. [Re K. (H.) (an infant), [1967] 1 All E.R. 226 (Q.B.), à la page 231.]

Dans la présente affaire, le requérant a déclaré qu’on ne lui a pas donné l’occasion de prendre connaissance des renseignements contradictoires qui préoccupaient les agents d’immigration. L’intimé n’a pas contesté cette déclaration. Je suis convaincu qu’il y a eu déni d’équité procédurale.

Durant sa plaidoirie orale, l’avocat de l’intimé a fait valoir que toute l’affaire était sans objet, car le requérant avait maintenant été expulsé du Canada. Cependant, l’avocat a retiré cet argument après la plaidoirie orale.

L’absence d’objet soulève des questions qui peuvent aller au-delà de l’intérêt direct des parties dans un litige. Le juge Sopinka, dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, a analysé assez longuement la question. Un tribunal qui décide qu’une affaire est sans objet peut encore exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher l’affaire en question. Le juge Sopinka a signalé à cet égard trois principes directeurs, mais la liste n’est pas censée être exhaustive: 1) malgré la disparition d’un différend non réglé, subsiste-t-il entre les parties une relation d’opposition? 2) est-il justifié de dépenser des ressources judiciaires? 3) en l’absence de conflit, une décision de la Cour s’immisce-t-elle dans les fonctions du pouvoir législatif du gouvernement?

À cause de ces deux dernières questions, je crois qu’il est souhaitable (mais pas absolument nécessaire, peut-être), vu que la question a été soulevée, que je traite brièvement de la question de l’absence d’objet. Je ferais remarquer, tout d’abord, qu’à l’étape de l’autorisation de la présente action, l’avocat de l’intimé a invoqué l’argument de l’absence d’objet. Lorsqu’une partie fait valoir, à l’étape de l’autorisation, qu’un point est sans objet, mais que l’autorisation demandée est quand même donnée, je croyais initialement que la question avait été réglée, à condition toutefois que les circonstances ne changent pas entre l’octroi de l’autorisation et l’audition du contrôle judiciaire. Cependant, comme l’on ne fournit habituellement pas de motifs au stade de l’autorisation, il est impossible de dire avec certitude si le juge qui a donné l’autorisation rejetait ou non l’argument de l’absence d’objet ou décidait simplement que le requérant avait soulevé une question relativement défendable qui justifiait la tenue d’un contrôle judiciaire, stade auquel il serait possible d’examiner l’argument de l’absence d’objet. Pour cette raison, je ne crois pas qu’il me soit possible d’exclure la question de l’absence d’objet à l’étape du contrôle judiciaire de l’action.

Dans la présente affaire, une décision qui porte gravement préjudice au requérant figure maintenant dans le dossier d’immigration de ce dernier. Cette décision pourrait avoir un effet négatif sur le requérant dans toute action qu’il pourrait vouloir intenter ultérieurement sous le régime des lois d’immigration du Canada. Par exemple, si le requérant désire présenter de la façon ordinaire, depuis la Trinité, une demande d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement, l’agent d’immigration qui se trouve au bureau des visas à la Trinité sera vraisemblablement au courant de la décision rendue le 17 août 1992. Il se peut fort bien que cette décision ait une incidence sur le succès de la demande du requérant. Dans ces circonstances, une décision fondée sur la mauvaise norme de preuve, et rendue sans faire bénéficier le requérant de l’équité procédurale, serait susceptible de porter préjudice au requérant à l’avenir.

L’avocat du requérant a fait valoir que rien n’empêchait son client de solliciter de nouveau une dispense d’application des exigences du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration afin de pouvoir présenter, au Canada, une demande de statut d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement. Aucune disposition de la Loi sur l’immigration ne semble empêcher expressément une personne expulsée de présenter plus tard une demande de dispense d’application des dispositions du paragraphe 9(1). Bien que la thèse de l’avocat m’apparaisse compliquée et est peut-être peu pratique, il ne m’appartient pas d’échafauder des hypothèses sur les circonstances exactes qui pourraient donner lieu à une telle demande. L’expulsion d’une personne du Canada—une mesure qui a des conséquences négatives pour la personne en question—n’éfface pas tous les droits que peut lui conférer la Loi sur l’immigration. Il ne faudrait pas qu’une décision, prise à la suite de l’application de la mauvaise norme de preuve et sans faire bénéficier le requérant de l’équité procédurale, ait une incidence négative sur ces droits. Je conclus donc que cette affaire n’est pas sans objet.

Même si l’affaire était sans objet, j’exercerais le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré pour la trancher. La relation d’opposition entre les parties subsiste. La décision qui fait l’objet d’un appel, si elle est maintenue, aura des conséquences secondaires pour le requérant. Et nous n’avons pas affaire en l’espèce à un cas où l’on pourrait considérer d’une manière raisonnable qu’une décision de la présente Cour s’immisce dans les fonctions du pouvoir législatif du gouvernement.

En conséquence, je serais d’avis d’annuler la décision datée du 17 août 1992 de M. Gilles Bibeau, et de déférer l’affaire à un agent différent pour qu’il réexamine la demande du requérant d’être dispensé de l’application des dispositions du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration. Je n’envisage pas que le requérant doive être ramené à cette fin au Canada. Le réexamen peut se faire au moyen d’observations écrites, de fac-similés ou d’autres communications, sans qu’il faille que le requérant soit présent.

L’avocat de l’intimé a demandé, en vertu du paragraphe 83(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19] de la Loi sur l’immigration, que j’envisage de certifier la question suivante à soumettre à la décision de la Cour d’appel fédérale:

[traduction] En ce qui concerne l’authenticité d’un mariage, le critère du doute raisonnable énoncé dans la politique d’immigration est-il compatible avec une application convenable de raisons d’ordre humanitaire, ainsi qu’il est dit au paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration?

À mon sens, il est essentiellement demandé par cette question si la preuve au-delà du doute raisonnable est la norme de preuve qui convient pour évaluer l’authenticité d’un mariage aux fins du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration. Bien qu’il soit bien clair à mon sens que la preuve au-delà du doute raisonnable n’est pas la norme qui s’applique dans les affaires d’immigration—voir, par exemple, la décision Brooks, Robert Philip (1970), 1 A.I.A. 145 (C.A.I.), à la page 176, et Wydrzynski, Canadian Immigration Law and Procedure, 1983, à la page 263—les avocats de l’une ou l’autre partie n’ont fait mention d’aucune jurisprudence de la Cour d’appel fédérale sur la question proposée.

Il ne serait pas déterminant en l’espèce que la Cour d’appel fédérale tranche uniquement la question proposée en faveur de l’intimé parce que j’ai conclu de plus à un déni d’équité procédurale, un point au sujet duquel on ne m’a pas demandé de certifier une question. Au départ, il m’apparaissait que le processus envisagé par le paragraphe 83(1) de la Loi sur l’immigration supposait qu’il serait demandé à la Cour d’appel fédérale d’examiner une question seulement lorsque la réponse à cette dernière aurait un effet concret, et qu’on ne lui demanderait pas de se pencher sur une question d’intérêt purement théorique. Réflexion faite, cependant, il me semble que lorsque la Cour d’appel fédérale doit examiner une affaire, elle n’est pas tenue de trancher uniquement la question certifiée. Elle peut, dans les limites de sa compétence, examiner tous les aspects de l’appel dont elle a été saisie. Il m’est donc impossible d’être parfaitement convaincu que l’appel serait théorique. Dans les circonstances, je certifierais la question que l’avocat de l’intimé propose.

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