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[1993] 3 C.F. 199

T-2448-90

The Canadian Association of Regulated Importers, Parkview Poultry Ltd., Bertmar Poultry Ltd., George Tsisenpoulos, Henry Neufeld, Zigmond Tibay, Henry Kikkert, Eva Szasz Peterffy, Paul Dinga, C & A Poultry Ltd., Zoltan Varga, Jake Drost, George Drost, Joe Drost, Melican Farms Ltd., Joe Speck, Marinus Kikkert, Checkerboard Hatchery, Brampton Chick Hatching Co. Ltd., Zoltan Koesis, Roe Poultry Ltd., Gabe Koesis, Henry Fois (requérants)

c.

Procureur général du Canada, Office canadien de commercialisation des oeufs d’incubation de poulet à chair, Fédération canadienne des couvoirs (intimés)

Répertorié : Canadian Assn. of Regulated Importers c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Toronto, 29 janvier; Ottawa, 1er avril 1993.

Contrôle judiciaireBrefs de prérogativeCertiorariDemande d’annulation de la répartition des contingents d’importation pour les œufs d’incubation et les poussinsRépartition en fonction de la part de marché et non des importations antérieuresCertains couvoirs indirectement avisés du système envisagé, défaut d’avis aux producteurs de poulet de chair qui faisaient de l’importationLes exigences de l’équité varient en fonction de la nature de la décision contrôléeLe ministre exerçait un pouvoir légal qui lui avait été déléguéPrincipe implicite selon lequel le législateur voulait que les pouvoirs légaux exercés le soient conformément à des règles d’équité du droit administratif, qui comprenaient l’obligation d’aviser les personnes touchées et de leur donner l’occasion de faire des commentairesLa position établie sur le marché et la viabilité économique fondée sur cette position constituent un intérêt suffisant pour fonder une demande de contrôle judiciaireIl n’est pas difficile de donner un avisDécision appliquée comme étant une décision obligatoireFondée sur des considérations non pertinentesLa sous-délégation n’est pas illégale.

Commerce extérieurLe ministre du Commerce extérieur a décidé de répartir les contingents d’importation pour les oeufs d’incubation et les poussins en fonction de la part de marché et non des importations antérieuresL’art. 5(1)b) de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation prévoit le contrôle de l’importation pour « appuyer une mesure d’application de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme » — Le nouveau système visait principalement la nouvelle répartition du profitPas une fin pour laquelle le ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire en application de l’art. 8(1) de la Loi sur les licences d’exportation et d’importationLe secrétaire d’État a fait sienne la décision du ministre du Commerce extérieurCe n’était pas une sous-délégation illégale de pouvoir.

Il s’agissait d’une demande d’annulation de la décision du ministre du Commerce extérieur et de son adoption par le secrétaire d’État aux Affaires extérieures en vue de la répartition des contingents d’importation pour les oeufs d’incubation et les poussins entre les couvoirs partout au Canada en fonction de la part de marché et non pas des importations antérieures. La part de marché s’entend du pourcentage du total de la production canadienne d’oeufs d’incubation et de poussins produits par un couvoir donné. Les requérants ont aussi demandé une ordonnance enjoignant au secrétaire d’État aux Affaires extérieures de leur donner l’occasion d’être entendus et de présenter leurs points de vue sur tout plan de distribution de contingents avant son adoption, ainsi qu’une ordonnance provisoire enjoignant au ministre d’attribuer des contingents pour les oeufs d’incubation et les poussins aux particuliers qui ont importé des oeufs et des poussins par le passé. Les motifs de la contestation étaient que les règles de la justice naturelle n’avaient pas été respectées du fait que les requérants n’avaient pas eu de véritable occasion de présenter des observations relativement au plan de répartition avant qu’une décision n’ait été prise à cet égard; que le ministre avait tenu compte de considérations étrangères à la question avant de prendre sa décision et que le ministre qui avait pris la décision n’était pas celui qui avait le pouvoir de le faire en vertu de la Loi.

Certains des couvoirs avaient été indirectement avisés du système de répartition envisagé, mais le ministre n’avait pas donné d’avis officiel et n’avait pas sollicité d’observations. Les producteurs de poulets de chair qui faisaient de l’importation n’avaient reçu aucun avis.

L’alinéa 5(1)b) de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation prévoit que l’importation de produits peut être contrôlée pour « appuyer une mesure d’application de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme ». Selon l’avocat des requérants, un système de répartition des contingents devrait pareillement servir à cette fin.

Le paragraphe 8(1) de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation prévoit que « le ministre » peut délivrer une licence pour l’importation de marchandises qui figurent sur la liste des marchandises d’importation contrôlés sous réserve des « autres conditions prévues dans la licence ou les règlements ». Le secrétaire d’État aux Affaires extérieures était le ministre chargé de l’application de ce paragraphe et a délivré les licences, mais le ministre du Commerce extérieur a d’abord décidé comment le contingent serait attribué. L’article 4 de la Loi organique de 1983 , dispose que le ministre du Commerce extérieur est nommé pour assister le secrétaire d’État aux Affaires extérieures dans l’exercice de ses attributions en matière de commerce extérieur. L’article 6 dispose qu’un ministre nommé en application de l’article 4 exerce ses attributions avec l’accord du ministre.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Lorsqu’il a décidé comment répartir le contingent d’importation le ministre exerçait un pouvoir légal qui lui avait été délégué. Cela a causé un préjudice économique considérable aux requérants et à d’autres. Il existait un principe implicite selon lequel le législateur voulait que les pouvoirs légaux exercés en l’espèce soient exercés conformément aux règles d’équité du droit administratif, qui comprenaient l’obligation d’aviser les requérants de ce qui était proposé et de leur donner l’occasion de faire des commentaires à ce sujet. Il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’un « droit » pour pouvoir présenter une demande de contrôle judiciaire. Il suffit que le requérant puisse démontrer l’existence d’un « intérêt » qui justifie sa demande de contrôle judiciaire. Dans certains cas, l’intérêt peut seulement être [traduction] « une expectative légitime ». Les requérants n’avaient peut-être pas un « droit d’importer », mais pendant de nombreuses années, ils importaient dans un marché non réglementé. Ils avaient établi une position sur le marché et une viabilité économique fondée sur l’importation. Ils avaient établi un intérêt suffisant pour fonder une demande de contrôle de la décision du ministre relativement à la répartition des contingents d’importation. Il n’aurait pas été difficile de donner aux personnes touchées par la décision en matière de répartition l’occasion de présenter leurs commentaires. Le nombre des personnes touchées était petit et elles étaient connues. Bien qu’un avis personnel et individuel n’avait pas à être donné à chaque personne touchée, il fallait donner un avis général quelconque, peut-être par la voie des journaux, et fournir l’occasion de présenter des observations avant de prendre une décision. Les décisions de principe ne sont pas nécessairement à l’abri du contrôle judiciaire. Il importe plutôt d’évaluer les effets de la décision. La décision a été traitée comme si elle établissait des règles en vertu desquelles des licences pourraient être strictement délivrées, comme ce fut le cas. Il ne s’agissait pas de lignes directrices administratives d’application interne. La décision a été appliquée comme une décision obligatoire en ce qui a trait à la délivrance de licences. Il ne restait au fonctionnaire qui agissait au nom du ministre aucun pouvoir discrétionnaire qui lui permettait de déroger au système de répartition des contingents précisé dans l’avis aux importateurs. Il ressort clairement des réponses du ministre aux observations après l’ajout des oeufs d’incubation et des poussins à la liste des marchandises d’importation contrôlées que sa décision était arrêtée. Ces réponses étaient formulées de manière à justifier la décision.

La décision du ministre était fondée sur des considérations non pertinentes. Le système adopté pour la répartition des contingents a eu un effet déstabilisateur sur le marché. Il n’était pas évident que les ministres avaient été informés du fait que le marché du produit fini, c’est-à-dire les poulets de chair, était lui-même un marché fermé, de l’effet sur la concentration des marchés, ou des effets perturbateurs que le système aurait vraisemblablement sur le marché. Il y avait une preuve selon laquelle le système de répartition avait pour but de priver de profit un petit nombre de producteurs de poulets qui exploitaient leurs entreprises en Ontario et des couvoirs qui dépendaient des importations, et de transférer aux couvoirs en général cet avantage qui découlait des importations. Le nouveau système visait principalement la nouvelle répartition du profit. Il ne s’agissait pas d’une fin pour laquelle le ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 8(1) de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation.

Même si le ministre du Commerce extérieur a pu prendre la décision en cause, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures l’avait entérinée. Le secrétaire d’État a fait sienne la décision du ministre du Commerce extérieur. Ce processus n’était pas une sous-délégation illégale de pouvoir.

Une ordonnance provisoire pour que le contingent soit réparti entre les importateurs coutumiers n’était peut-être plus raisonnable du fait que certains changements dans la répartition avaient déjà eu lieu. Le fait de ne pas accorder une ordonnance provisoire semblait priver les requérants d’un redressement auquel ils avaient droit, c’est-à-dire d’être maintenus dans la situation où ils étaient avant la décision qui avait été contestée avec succès, tant qu’une décision valable n’avait pas été prise. Par conséquent, une ordonnance provisoire enjoignait au ministre de ne pas diminuer davantage les contingents dont jouissaient les importateurs coutumiers, sous réserve d’une révision dont cette ordonnance pouvait faire l’objet après les arguments des parties relativement à l’aspect pratique d’une ordonnance provisoire rendue aux conditions demandées par les requérants.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 24(2).

Loi organique de 1983, S.C. 1980-81-82-83, ch. 167, art. 4, 5, 6.

Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. (1985), ch. E-19, art. 5(1)b), 8(1).

Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, L.R.C. (1985), ch. F-4.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC 14,181; 23 N.R. 410; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Schmidt v. Secretary of State for Home Affairs, [1969] 2 Ch. 149 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; conf. Maple Lodge Farms Ltd. c. R., [1981] 1 C.F. 500; (1980), 114 D.L.R. (3d) 634; 42 N.R. 312 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Regina v. Liverpool Corpn., Ex parte Liverpool Taxi Fleet Operators’ Association, [1972] 2 Q.B. 299 (C.A.); Canadian Assn. of Regulated Importers c. Canada (Procureur général), [1992] 2 C.F. 130; (1991), 87 D.L.R. (4th) 730; 135 N.R. 217 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, [1985] A.C. 374 (H.L.); Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.).

DOCTRINE

Oliver, Dawn. « Is the Ultra Vires Rule the Basis of Judicial Review? », [1987] Pub. L. 543.

Reid, Robert F. et Hillel, David, Administrative Law and Practice, 2e éd., Toronto : Butterworths, 1978.

Wade, E. C. S. et A. W. Bradley, Constitutional and Administrative Law, 10e éd., Longman Inc., New York, 1985.

Walker, Clive. « Review of the Prerogative : The Remaining Issues », [1987] Pub. L. 62.

DEMANDE d’annulation de la décision du ministre du Commerce extérieur et de son adoption par le secrétaire d’État aux Affaires extérieures en vue de la répartition des contingents d’importation pour les oeufs d’incubation et les poussins entre les couvoirs en fonction de leur part de marché et non pas de leurs importations antérieures. Demande accueillie.

AVOCATS :

Paul. J. Stott et John T. Pepall pour les requérants.

P. Christopher Parke pour le procureur général du Canada, intimé.

François Lemieux pour l’Office canadien de commercialisation des oeufs d’incubation de poulet à chair et la Fédération canadienne des couvoirs, intimés.

PROCUREURS :

Abraham, Duggan, Hoppe, Niman, Stott, Toronto, pour les requérants.

Le sous-procureur général du Canada, pour le procureur général du Canada, intimé.

Osler, Hoskin and Harcourt, Ottawa, pour l’Office canadien de commercialisation des oeufs d’incubation de poulet à chair et la Fédération canadienne des couvoirs, intimés.

NOTE DE L’ARRÊTISTE

Le directeur général a décidé que les motifs de l’ordonnance de quarante-deux pages rendus par Madame le juge Reed devraient être publiés sous forme abrégée. Les quelque vingt pages omises figuraient sous la rubrique « Aperçus de certains faits pertinents et du cadre législatif ». Une note de l’arrêtiste en présente l’essentiel sous forme condensée.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Reed : Les requérants contestent une décision par laquelle le ministre du Commerce extérieur a réparti entre des couvoirs partout au Canada des contingents d’importation pour les oeufs d’incubation et les poussins, en fonction de la part du marché plutôt qu’entre les importateurs coutumiers, y compris les requérants, en fonction de leurs importations antérieures. À cet égard, la part du marché s’entend du pourcentage d’oeufs d’incubation et de poussins produits par un couvoir donné et mis sur le marché de production de poulets de chair par rapport au nombre total d’oeufs d’incubation et de poussins produits au Canada et mis sur ce marché. Les requérants demandent une ordonnance annulant la décision sur la répartition des contingents d’importation.

Les requérants demandent une ordonnance de la nature d’un mandamus enjoignant au ministre d’attribuer (du moins temporairement) des contingents pour les oeufs d’incubation et les poussins aux particuliers qui ont importé des oeufs et des poussins par le passé. Les requérants demandent une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de leur donner l’occasion d’être entendus et de présenter leurs points de vue sur tout plan éventuel de distribution de contingents d’importation pour les oeufs d’incubation et les poussins et ce, avant la mise en œuvre d’un tel plan.

Les requérants contestent la décision du ministre du Commerce extérieur sur la répartition des contingents d’importation pour les motifs suivants : (1) les règles de la justice naturelle n’ont pas été respectées du fait que les requérants n’ont pas eu de véritable occasion de présenter des observations relativement au plan de répartition avant qu’une décision n’ait été prise à cet égard; (2) le ministre a tenu compte de considérations étrangères à la question avant de prendre sa décision; (3) le ministre qui a pris la décision n’était pas celui qui avait le pouvoir de le faire en vertu de la Loi [Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, L.R.C. (1985), ch. F-4].

La Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme prévoit la création d’un Conseil national de commercialisation des produits de ferme qui peut recommander au ministre d’établir des offices de commercialisation pour les produits de ferme. Des audiences publiques doivent être tenues avant de faire une telle recommandation. La Loi prévoit aussi que le gouverneur en conseil peut créer des offices de commercialisation par proclamation.

En 1983, les membres du secteur d’activités qui ne faisaient pas d’importation s’inquiétaient de l’importation d’oeufs d’incubation et de poussins. C’est en octobre, cette année-là, que l’Association canadienne des producteurs d’oeufs d’incubation de poulet de chair a proposé au Conseil d’établir un office de commercialisation des oeufs d’incubation. Après la tenue d’audiences publiques, le Conseil a recommandé au gouverneur en conseil l’établissement d’un tel office. L’Office canadien de commercialisation des oeufs d’incubation de poulet de chair (OCCOIPC) a été établi, par proclamation, à la fin de 1986. Il avait le pouvoir d’établir un système de contingentement. Les pouvoirs de l’Office ne visaient que la commercialisation aux fins du commerce interprovincial et du commerce d’exportation. Puisque d’après la Constitution, le commerce intraprovincial relève de la compétence des provinces, il était impossible d’établir un plan global qui réglemente les contingents sans la collaboration de celles-ci. Lorsque l’OCCOIPC a été établi à l’origine, seules trois provinces étaient signataires. Deux provinces s’y sont ensuite ajoutées, et quatre-vingt-dix pour cent de la production canadienne d’oeufs d’incubation était donc couverte. L’OCCOIPC n’a pas le pouvoir de réglementer les importations car celles-ci sont contrôlées sous le régime de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. (1985), ch. E-19. Cette Loi prévoit que le gouverneur en conseil peut dresser la liste des marchandises d’importation contrôlée et que le ministre peut délivrer à tout résident du Canada une licence pour l’importation de marchandises figurant sur la liste des marchandises d’importation contrôlée. La Loi définit le « ministre » comme « le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada chargé par le gouverneur en conseil de l’application de la présente loi ». À l’époque en cause, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures, le très hon. Joe Clark, était le ministre habilité.

En 1987, l’OCCOIPC a demandé au ministre de l’Agriculture d’inscrire les oeufs d’incubation de poulet de chair et les poussins sur la liste des marchandises d’importation contrôlée. Une interdiction globale des importations ne pouvait pas être imposée puisque cela aurait été contraire au GATT. De plus, le marché canadien avait toujours fait appel aux importations pour répondre à la demande lorsque les couvoirs canadiens n’y parvenaient pas. L’OCCOIPC recommandait que la part provinciale de l’ensemble des importations soit répartie entre les importateurs coutumiers en fonction de leurs importations antérieures, puis redistribuée plus tard. De cette manière, les contingents d’oeufs et de poussins auraient été répartis entre les couvoirs d’une province en fonction de leurs parts respectives du marché provincial. Ainsi, tous les intéressés du secteur d’activités savaient que les oeufs d’incubation et les poussins risquaient d’être ajoutés à la liste des marchandises d’importation contrôlée, et le gouvernement était prié d’établir rapidement des contrôles des importations pour empêcher certains importateurs d’augmenter leurs chiffres d’importations de poussins et d’oeufs en prévision des mesures de contrôle. Le gouvernement n’a toutefois pas agi rapidement, et il semble clair qu’un certain nombre de producteurs de poulets aient fait exactement ce qui avait été prévu.

Dans une réunion tenue au ministère des Affaires extérieures à Ottawa en 1989, des représentants du gouvernement fédéral ont mis de l’avant une proposition selon laquelle, pendant la première année, le contingent serait réparti en fonction des importations antérieures. Au cours des années subséquentes, le contingent leur serait toutefois retiré graduellement pour être réparti entre des couvoirs, en fonction du pourcentage du marché national détenu par chacun. L’Office et la Fédération canadienne des couvoirs disposaient d’une semaine pour donner leurs commentaires sur cette proposition. L’OCCOIPC a répondu que la proposition aurait probablement pour effet de miner ses efforts pour répartir les contingents entre les provinces. La Fédération a répondu que le délai alloué était nettement insuffisant pour en discuter avec ses membres. Les producteurs de poulet de chair qui faisaient de l’importation n’avaient pas été avisés du système envisagé de répartition du contingent d’importation.

Quelques mois plus tard, les oeufs d’incubation et les poussins ont été ajoutés à la liste des marchandises d’importation contrôlée, et les importateurs ont été informés que des contingents seraient fixés en fonction du niveau moyen des importations annuelles d’un requérant donné de 1984 à 1988. Cependant, dans chacune des années subséquentes, le contingent qui pouvait être attribué aux importateurs coutumiers diminuerait de 25 % par année, et ce qui serait ainsi récupéré serait réparti entre les couvoirs inscrits sous le régime de la loi fédérale partout au pays, en fonction de leur part du marché national. Il a été proposé aux exploitants qui se sont plaints au ministre du fait que le régime de répartition des contingents les obligerait à fermer leurs portes soit d’acheter des exploitations agricoles qui possédaient déjà des couvoirs en exploitation, soit d’acheter des contingents d’importation de couvoirs de Colombie-Britannique à qui un contingent avait été attribué sans qu’ils en aient besoin.

Justice naturelle—Occasion d’être entendu

Les requérants admettent que certains des couvoirs avaient été indirectement avisés du système de répartition envisagé. La Fédération canadienne des couvoirs avait avisé ses associations membres et il est clair que certains de ces renseignements ont fini par être transmis aux couvoirs. Au moins deux couvoirs, requérants en l’espèce, ont eu connaissance de la proposition et ont envoyé, de leur propre initiative, des observations au ministre. Cependant, le ministre n’a pas donné d’avis officiel et n’a pas sollicité d’observations.

Je crois que d’aucuns admettent que les producteurs de poulet de chair qui faisaient de l’importation n’ont même pas reçu cet avis indirect. En effet, même si la Commission ontarienne de la commercialisation du poulet avait été consultée (et il n’y a aucune preuve à cet effet), cet organisme, dont la plupart des membres faisaient concurrence aux producteurs de poulet de chair qui importaient des poussins, n’avait aucun intérêt à avertir les producteurs importateurs ou à les représenter. Cet organisme ne voyait pas les activités d’importation d’un bon œil.

L’avocat des requérants plaide qu’en vertu des principes de la justice naturelle (l’équité), ceux qui sont dans la situation des requérants auraient dû se voir offrir l’occasion d’être entendus avant qu’une décision d’adopter un système de répartition n’ait été prise. Cette décision a eu pour effet de transférer à leurs concurrents les avantages économiques qu’eux-mêmes avaient et risquait d’en obliger au moins quelques-uns à fermer leurs portes. Selon l’avocat des requérants, l’on ne s’acquitte pas de l’obligation d’agir équitablement en ne consultant que ceux qui bénéficieront de la décision proposée.

L’avocat des intimés fait valoir les arguments suivants : (1) la décision prise par le ministre n’en était pas une qui oblige de consulter les divers individus qui risquent d’être touchés; en effet, la décision est de nature législative et non de nature administrative ou judiciaire; qui plus est, il n’est pas pratique de s’attendre à ce que tous ceux qui risquent d’être touchés soient consultés; (2) de toute façon, l’avis aux importateurs n’était pas une décision; il s’agissait d’une ligne directrice et, comme telle, elle pouvait être changée en tout temps; l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Governement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, de la Cour suprême, est invoqué au soutien de cette caractérisation de l’avis; (3) même si un avis suffisant n’avait pas été donné avant le 8 mai 1989, lorsque l’avis aux importateurs a été donné, tout vice à ce chapitre était une question pratique qui a été corrigée, vu que les intéressés ont eu l’occasion voulue, après cette date, de présenter des observations au ministre et de faire examiner les positions avant que les contingents ne soient retirés des importateurs coutumiers et répartis entre les couvoirs à l’échelle nationale proportionnellement à leur part du marché national.

Depuis les arrêts tels que Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, il est dorénavant moins important de faire la distinction entre les décisions administratives, d’une part, et les décisions judiciaires ou quasi judiciaires, d’autre part. Les tribunaux ont cessé de classer les décisions par catégories étanches désignées selon la fonction exercée, ce qui avait pour effet d’accorder des droits au contrôle judiciaire ou à l’équité à certains et non à d’autres. Ce qu’il faut maintenant se demander, indépendamment de la classification de la fonction, est si les exigences de l’équité ont été remplies relativement au processus décisionnel en cause. Ces exigences varieront en fonction de la nature de la décision contrôlée.

Même avant l’arrêt Nicholson, la classification des décisions selon la fonction exercée, comme facteur déterminant en droit administratif, a été beaucoup critiquée. Le passage suivant est tiré d’un ouvrage de Reid et David, Administrative Law and Practice (2e éd., 1978), à la page 118 :

[traduction] La méthode habituelle pour répondre aux questions qui se posent—par exemple de savoir si l’intéressé a le droit d’être avisé, le droit d’être entendu, ou le droit de contre-interroger—est de classifier la fonction exercée, laquelle sera à son tour un facteur déterminant pour résoudre la question posée. Cette méthode en deux volets est insatisfaisante parce qu’elle interpose un système de classification artificiel et inutile entre la question et la réponse voulue. Elle oblige à soupeser la pertinence et le poids des divers critères employés dans cette branche du droit afin de classifier la fonction plutôt que pour répondre à la question en litige.

Comme nous l’avons noté, ce texte a été rédigé en 1978, si bien qu’il y est abondamment question de la classification des fonctions administratives, judiciaires ou quasi judiciaires et législatives. Néanmoins, la critique de l’auteur sur l’approche traditionnelle, en droit administratif, qui consiste à s’appuyer sur une classification de la fonction, pour savoir si les règles de la justice naturelle ou de l’équité s’appliquent, est pertinente.

Dans un récent article de D. Oliver, « Is the Ultra Vires Rule the Basis of Judicial Review? », [1987] Pub. L. 543, on trouve le commentaire suivant [aux pages 543 à 545] :

[traduction] [Les] règles de fond qui sont appliquées lorsqu’il y a exercice d’une compétence de surveillance pourraient être groupées sous la rubrique « principes d’une bonne administration ». Elles comprennent l’exigence de l’« équité » sous différentes formes et elles interdisent l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, la délégation de celui-ci, l’abus de pouvoir, les actes arbitraires ou déraisonnables, la mauvaise foi, la violation de normes morales acceptées et ainsi de suite. Autrement dit, elles exigent la légalité, la rationalité, la rectitude procédurale et peut-être la proportionnalité.

Cela veut dire qu’une autorité sera considérée comme outrepassant ses pouvoirs si, pendant qu’elle fait ou décide quelque chose qui relève de sa compétence au sens strict ou étroit, elle agit de façon irrégulière ou « déraisonnable » de diverses façons, notamment en ne tenant pas compte des règles de la justice naturelle, en agissant de façon inéquitable, en tenant compte de considérations étrangères à la question, en faisant abstraction de considérations pertinentes, en agissant de mauvaise foi, en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire, en tentant d’augmenter les impôts, en empêchant le libre exercice des libertés individuelles, et ainsi de suite.

Le second volet de la règle de l’ultra vires repose sur l’interprétation du texte qui accorde le pouvoir : le législateur, ou l’« auteur » du pouvoir dont jouit l’autorité est présumé ne pas avoir voulu que celle-ci agisse en violation de ces principes de bonne administration. Cette présomption est réfutable, en théorie du moins, en ce sens que si, mais seulement si, le texte qui accorde le pouvoir vise manifestement à ce que ces principes ne s’appliquent pas, les tribunaux accorderont priorité aux termes de la loi ou au texte en cause. Cependant, il ressort de la jurisprudence en matière de clauses d’exclusion que les tribunaux sont très réticents à faire en sorte que la loi l’emporte sur ces principes. [Les renvois ont été omis.]

Dans leur ouvrage Constitutional and Administrative Law, (10e éd., 1985), à la page 594, Wade et Bradley décrivent en ces termes le principe sous-jacent au contrôle judiciaire :

[traduction] Malgré la souveraineté du Parlement, les tribunaux imposent aux autorités publiques, en vertu de la common law, des normes de conduite légale et l’on peut prétendre que le pouvoir d’imposer ces normes est un principe constitutionnel fondamental.

Vu que la distinction entre les décisions administratives et les décisions quasi judiciaires n’a plus cours, l’on s’attendrait à ce que pareillement, la distinction entre les décisions qualifiées de « législatives » et les décisions administratives ou quasi judiciaires disparaisse aussi. Les intimés invoquent l’arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, pour faire valoir que tel n’est pas le cas. Cependant, cet arrêt doit être lu à la lumière de la jurisprudence subséquente, notamment l’arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441. Dans cet arrêt, la Cour suprême a jugé que les décisions prises dans l’exercice de la prérogative royale étaient assujetties au contrôle judiciaire. Au Royaume-Uni, une approche semblable, quoique moins audacieuse[1] est suivie : voir l’arrêt Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, [1985] A.C. 374 (H.L.). Je crois qu’il faut se demander si, dans l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi, l’auteur de la décision a agi équitablement en donnant préalablement à ceux qui seront touchés par la décision une véritable occasion de présenter des observations.

Auparavant, une décision était qualifiée de législative si elle énonçait les règles générales qui s’appliquaient à un grand nombre de personnes. Ce genre de décision s’opposait aux décisions qui intéressaient un individu en particulier. En l’espèce, la décision contestée établit des règles qui régissent une très petite partie de la population. Je ne suis pas convaincue que même d’après la jurisprudence qui précédait l’arrêt Nicholson, où la classification selon la fonction exercée était une considération primordiale, la décision prise en l’espèce eût été qualifiée de législative. Je note, par exemple, que dans l’arrêt Regina v. Liverpool Corpn., Ex parte Liverpool Taxi Fleet Operators’ Association, [1972] 2 Q.B. 299 (C.A.), le tribunal a jugé qu’une décision générale qui touchait 300 chauffeurs de taxi était sujette au contrôle judiciaire. Dans cet arrêt, le tribunal s’est surtout intéressé au fait que des déclarations avaient été faites voulant qu’une décision ne serait pas prise tant que les chauffeurs de taxi touchés n’auraient pas eu l’occasion d’être entendus (la théorie de « l’expectative raisonnable »). Toutefois, le tribunal n’a pas refusé de contrôler la décision en la qualifiant de décision législative ou de décision de principe.

En l’espèce, je crois qu’il suffit d’affirmer que le ministre exerçait un pouvoir légal qui lui avait été délégué lorsqu’il a décidé comment répartir le contingent d’importation. Bien que la décision prise ait pu être générale, elle ne l’était que pour une petite partie de la population et elle était d’application très particulière. La décision a eu pour effet de causer un préjudice économique considérable aux requérants et à d’autres. Il existe sûrement un principe implicite selon lequel le législateur voulait que les pouvoirs légaux exercés en l’espèce soient exercés conformément aux règles d’équité du droit administratif. Ces règles comprennent sûrement l’obligation d’aviser les requérants de ce qui est proposé et de leur donner l’occasion (une véritable occasion) de faire des commentaires à ce sujet. Or, cette obligation envers les requérants n’a pas été remplie.

En l’espèce, les parties ont débattu de la nature du « droit » des requérants. Les requérants ont cité les commentaires de M. le juge Le Dain dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. R., [1981] 1 C.F. 500 (C.A.), à la page 509, où le juge a parlé d’un « droit général d’importer ». On ne m’a cité aucun jugement ou texte de doctrine qui traite du droit général d’importer. Par ailleurs, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de qualifier l’intérêt des requérants de « droit » pour qu’ils se voient accorder une occasion de faire des commentaires et de présenter des observations relativement au système de contingentement particulier que l’on adoptait avant qu’il ne soit imposé. D’après mon interprétation de la jurisprudence actuelle, il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’un « droit » pour pouvoir présenter une demande de contrôle judiciaire. Il suffit que le requérant puisse démontrer l’existence d’un « intérêt » qui justifie l’introduction d’une demande de contrôle judiciaire. En fait, dans certains cas, cet intérêt peut simplement être [traduction] « une expectative légitime ». Dans l’arrêt Schmidt v. Secretary of State for Home Affairs, [1969] 2 Ch. 149 (C.A.), à la page 170, le tribunal a affirmé qu’une personne avait le droit d’être entendue devant un [traduction] « organisme administratif … s’il avait un droit ou un intérêt quelconque, ou, j’ajouterais, quelque expectative légitime dont il ne serait pas juste de le priver sans avoir entendu ce qu’il avait à dire ».

En l’espèce, les requérants n’avaient peut-être pas un « droit d’importer ». Cependant, pendant plusieurs années, ils importaient dans un marché non réglementé. Ils avaient établi une position sur le marché et une viabilité économique fondée sur l’importation. Il n’y a aucun doute qu’ils ont établi un intérêt suffisant pour fonder une demande de contrôle de la décision prise par le ministre relativement à la répartition des contingents d’importation.

Passons maintenant à l’argument voulant qu’il n’était pas pratique de donner aux personnes touchées par la décision en matière de répartition l’occasion de présenter leurs commentaires avant son adoption. Dans son affidavit, M. Drohomereski affirme que les importateurs coutumiers d’oeufs d’incubation représentaient de 8 à 10 couvoirs, environ, sur un total d’environ 65 à l’échelle du pays et que les importateurs coutumiers de poussins représentaient un petit nombre des producteurs de poulets du Sud de l’Ontario. L’avocat des requérants conteste l’exactitude de ces affirmations. Il fait remarquer que d’après la preuve, il y avait un plus grand nombre de couvoirs importateurs (soit 39 sur un total de 47 à 50) et d’après mon interprétation de la preuve, il y avait environ 32 (peut-être 45) producteurs de poulets qui importaient des poussins. De toute façon, il est clair que même si tous les producteurs de poussins, à la fois ceux qui faisaient de l’importation et ceux qui n’en faisaient pas, et tous les couvoirs avaient eu l’occasion de faire des commentaires, le nombre de personnes touchées était petit. Ces personnes étaient connues. Il n’aurait pas été difficile de les aviser et de leur donner l’occasion de faire des recommandations.

Selon une règle de droit bien établie, les exigences de l’équité dépendent de plusieurs facteurs, y compris le type de décision rendue. Je ne veux pas dire qu’en l’espèce, un avis personnel et individuel aurait dû être donné à chacune des personnes touchées. Cependant, il fallait sûrement donner un avis général quelconque, peut-être par la voie des journaux, et fournir une occasion de présenter des observations avant de prendre une décision. Je note que même les organisations cadres représentantes, qui ont pourtant été consultées, se sont plaintes d’avoir reçu un avis insuffisant pour leur permettre de bien examiner la proposition. (L’avocat des requérants note que ces organisations cadres appuient maintenant le plan puisqu’elles ont découvert à quel point le nouveau système leur était favorable.) Je dirai simplement qu’en vertu des règles de l’équité, les personnes touchées par la décision, particulièrement celles qui allaient se voir priver d’un profit au détriment de leurs concurrents auraient au moins dû recevoir un avis général de ce qui était envisagé et une occasion d’y répondre et de formuler leurs commentaires à ce sujet avant que la décision ne soit prise.

J’aborde maintenant l’argument selon lequel l’avis aux importateurs du 8 mai 1989 était uniquement une décision de principe, si bien qu’aucun avis n’était nécessaire. Cette caractérisation s’appuie en grande partie sur l’arrêt Maple Lodge Farms, de la Cour suprême. Je note d’abord que l’arrêt Maple Lodge Farms portait sur un aspect particulier de la répartition des contingents d’importation, un aspect qui n’est pas en cause en l’espèce. Cet arrêt portait sur la délivrance de licences d’importation supplémentaires. Aux termes de la directive, ces licences seraient émises (normally be issued) si le produit que l’on cherchait à importer n’était pas disponible au pays. Dans cette affaire, les producteurs de poulets avaient tenté d’importer des poulets vivants (un produit distinct du poulet éviscéré, selon la classification usuelle). La licence a été refusée parce que, même s’il était impossible de se procurer des poulets vivants au pays, une importante quantité de poulets éviscérés était disponible.

Je ne suis pas convaincue que l’arrêt Maple Lodge Farms s’applique aux faits en l’espèce. Comme je l’ai mentionné, cet arrêt intéressait la délivrance de licences d’importation supplémentaires à l’égard desquelles le ministre avait clairement un pouvoir discrétionnaire de décision. Ce pouvoir discrétionnaire était prévu dans le texte même de l’avis. Celui-ci indiquait que si certaines conditions étaient remplies, de telles licences seraient émises (normally issued). Par ailleurs, je ne suis pas convaincue que le fait de qualifier une décision de « décision de principe » la mette nécessairement à l’abri du contrôle judiciaire; voir, par exemple, l’arrêt Regina v. Liverpool Corpn., précité. Pour les mêmes motifs que je juge inutile de qualifier la décision de « législative » en l’espèce, je ne crois pas non plus qu’il soit utile de qualifier une décision de « décision de principe ». Il importe plutôt d’évaluer les effets que produit réellement la décision. En l’espèce, la décision n’a pas été traitée comme une décision qui accordait au ministre un pouvoir discrétionnaire résiduel, quoiqu’il ne soit pas contesté qu’il aurait pu modifier la décision. La décision a été traitée comme si elle établissait des règles en vertu desquelles des licences pourraient être strictement délivrées, comme ce fut le cas. Il ne s’agissait pas de lignes directrices administratives d’application interne. Après que l’avis aux importateurs eut été donné, les conditions qu’il établissait pour la délivrance de licences étaient automatiquement suivies. La décision était appliquée comme une décision obligatoire en ce qui a trait à la délivrance de licences. Il ne restait au fonctionnaire qui agissait au nom du ministre aucun pouvoir discrétionnaire qui lui permettait de déroger au système de répartition des contingents précisé dans l’avis. La décision a causé un préjudice économique considérable aux requérants.

Pour ce qui est du dernier argument selon lequel la possibilité d’écrire au ministre après le 9 mai 1989 constituait un avis et une occasion véritable d’être entendu, cette question est facile à trancher. Il ressort clairement des réponses du ministre aux observations qui lui ont été envoyées après le 8 mai 1989 que sa décision était arrêtée. Ces réponses sont formulées de manière à justifier la décision qui avait été prise. Elles ne témoignent d’aucune ouverture d’esprit à de nouvelles observations. Je ne saurais conclure que la faculté qu’avait, en théorie, le ministre de changer d’idée après le 8 mai 1989 signifiait que les lettres qui lui avaient été envoyées après cette date constituaient un processus qui permettait de véritablement faire valoir un point de vue.

Les requérants ont le droit d’obtenir une ordonnance annulant la décision en cause et exigeant que toute décision éventuelle soit prise dans un contexte qui respecte les règles de l’équité en donnant à ceux qui sont touchés par la décision l’occasion de faire valoir leur point de vue sur le système proposé de répartition.

Justice naturelle—Considérations étrangères à la question

L’avocat des requérants soutient que le ministre, pour prendre sa décision, aurait tenu compte de considérations étrangères à la question, voire qu’il aurait fondé sa décision sur de telles considérations et qu’il n’aurait pas tenu compte de facteurs pertinents. À cet égard, il invoque l’arrêt Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.). L’alinéa 5(1)b) de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation [L.R.C. (1985), ch. E-19] prévoit que l’importation de produits peut être contrôlée pour « appuyer une mesure d’application de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme ». Selon l’avocat des requérants, un système de répartition des contingents devrait pareillement servir à cette fin. Il note qu’en l’espèce, le système de répartition n’appuyait pas le système de commercialisation des poussins et des oeufs adopté conformément à la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme . Il a eu exactement l’effet contraire. Il a accordé des contingents à des couvoirs qui n’en avaient pas besoin et qui n’avaient jamais fait appel à des importations. Il a attribué des contingents à des couvoirs dans des provinces où l’importation de poussins et d’oeufs d’incubation avait toujours été minime, voire inexistante. Il a privé de contingents des producteurs de poulets et des couvoirs qui avaient eu l’habitude d’importer, les privant de leur source d’approvisionnement. Le régime en vertu duquel les contrats d’approvisionnement sont conclus deux ans à l’avance reflète la durée du cycle biologique d’un troupeau élevé pour la production d’oeufs d’incubation. Ainsi, lorsque l’approvisionnement sous forme d’importations a été éliminé, il ne pouvait pas être immédiatement remplacé par l’approvisionnement de source canadienne.

Il n’y a absolument aucune preuve qui démontre comment le système de contingents adopté appuierait la gestion nationale ou interprovinciale de l’approvisionnement en oeufs d’incubation et en poussins. Catherine McKinley, première vice-présidente de la Fédération canadienne des couvoirs, a été contre-interrogée sur son affidavit relativement aux effets des importations sur le marché canadien. On lui a demandé de donner des exemples précis où des contrats octroyés aux couvoirs avaient été annulés à la dernière minute parce que des acheteurs avaient décidé de s’approvisionner plutôt auprès d’importateurs. Elle ne pouvait citer un seul exemple. L’avocat des requérants a posé la question suivante[2] :

[traduction] Q. Ainsi, la première phrase du paragraphe 12 est essentiellement fausse? « Lorsque d’importantes quantités de poussins sont importées des États-Unis, les producteurs de poulets … annulent leurs commandes auprès des … couvoirs »

Elle a répondu :

[traduction] R. C’est exact.

Pareillement, elle n’a pas pu donner d’exemple où un producteur de poulets aurait reporté une commande auprès d’un couvoir parce que d’importantes quantités de poussins avaient été importées des États-Unis[3].

[traduction] Q. Maintenant, les couvoirs sont liés par contrat avec leurs éleveurs, n’est-ce pas?

R.   Avec le producteur d’oeufs d’incubation?

Q.  Oui.

R.   Oui.

Q.  Est-ce que les couvoirs annulaient leur achat d’oeufs canadiens? Est-ce qu’ils annulaient leurs contrats?

R.   En Ontario, ils concluent un contrat de deux ans.

Q.  Par conséquent, Madame, il reste le paragraphe douze :

« Dans ce cas, les couvoirs réduisent ou annulent leurs achats d’oeufs d’incubation canadiens, ce qui laisse le producteur d’oeufs d’incubation avec un excédent d’oeufs. »

En fait, aucun couvoir n’a annulé ses achats d’oeufs d’incubation excédentaires lorsque d’importantes quantités de poussins ont été importées des États-Unis, n’est-ce pas?

R.   En employant l’expression « dans ce cas », je voulais dire que les producteurs qui importent des poussins ne s’approvisionnent pas auprès des producteurs canadiens …

Dans son affidavit, Mme McKinley a affirmé que l’augmentation des importations par un nombre relativement petit d’importateurs perturbait l’écoulement ordonné de poussins sur le marché, [traduction] « ce phénomène est appelé « engorgement » dans le secteur ». En contre-interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé d’expliquer comment ce phénomène se produisait, elle a affirmé ce qui suit[4] :

[traduction] Vous avez absolument raison de dire qu’elles ne sont pas la cause du problème et qu’elles ne sont d’aucune façon la seule source du problème … l’engorgement pose un problème pour tout le secteur.

Q.  N’est-il pas vrai que le véritable problème, dans ce cas, vient du fait que ces 32 producteurs de poulets étaient des clients des couvoirs et qu’ils s’approvisionnent maintenant directement auprès des fournisseurs chez lesquels les couvoirs eux-mêmes s’approvisionnaient pour obtenir des poussins? Ne serait-ce pas justement le problème? Ils ont contourné les couvoirs canadiens et s’approvisionnent maintenant directement auprès des couvoirs américains pour les poussins?

R.   C’est essentiellement —

R.   Je ne sais pas pour ma part comment ces 34 importateurs ont appris à le faire.

Dans son affidavit, Mme McKinley allègue également que le fait de laisser les contingents d’importation aux importateurs coutumiers permettrait aux titulaires de contingents d’importation d’éliminer les couvoirs n’ayant pas de contingent à cause du prix inférieur des importations. En contre-interrogatoire, elle a admis qu’aucun couvoir n’avait dû fermer ses portes. Elle n’a pas pu expliquer comment cela pouvait se produire dans les faits, vu que la quantité des importations était contrôlée et que la quantité du produit fini (les poulets de chair) était également contrôlée par le contingent et le prix[5].

L’avocat des requérants note que le ministre, dans sa lettre du 11 juillet 1989 à l’Association des importateurs canadiens, répond aux craintes soulevées par rapport au système de répartition mis en place. Selon le ministre, puisque le système serait établi graduellement, [traduction] « une nouvelle configuration des échanges aurait le temps de se développer ». L’avocat des requérants soutient que la création d’une nouvelle configuration des échanges n’est pas l’une des fins pour lesquelles le ministre a le droit d’exercer son pouvoir.

En l’espèce, il est quelque peu difficile de connaître exactement les considérations dont le ministre a tenu compte, et sur lesquelles il s’est fondé, pour prendre sa décision. Le gouvernement a refusé de divulguer les documents dont les ministres ont effectivement tenu compte. Les requérants avaient demandé la production de ces documents. Les intimés ont invoqué un privilège au motif qu’il s’agissait de renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine. Dans l’arrêt Canadian Assn. of Regulated Importers c. Canada (Procureur général), [1992] 2 C.F. 130 (C.A.), il a été jugé que la Cour ne pouvait exiger la production de ces documents. L’autorisation d’en appeler a été refusée par la Cour suprême, [1992] 2 R.C.S. v. Dans ses motifs au soutient de cet arrêt, M. le juge Hugessen a affirmé ce qui suit aux pages 135 à 140 :

… que l’État invoque l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada (L.R.C. (1985), ch. C-5), dans les circonstances de la présente espèce m’inquiète beaucoup. Pour comprendre cette inquiétude, il est nécessaire d’avoir à l’esprit le texte des articles 37, 38 et 39, tous trois réunis sous l’intitulé « Divulgation de renseignements administratifs » :

Comme on peut le voir, il y a dans ce texte un ordre ascendant de catégories protégées. La première de ces catégories, sur laquelle porte l’article 37, couvre le privilège de non-divulgation pour des raisons d’« intérêt public » en général. La disposition exige que la personne qui s’oppose à la divulgation des renseignements en question précise le type d’intérêt public qui serait en danger; elle soumet ensuite cette opposition à l’examen d’un tribunal afin qu’il soit déterminé si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation des renseignements, un élément qui est à la base de notre système de justice, ont préséance sur les raisons d’intérêt public sur lesquelles repose l’opposition. La décision doit être prise par une cour supérieure et elle est susceptible d’appel devant la cour compétente et, après autorisation, devant la Cour suprême du Canada.

L’article 38 traite des situations où le législateur a jugé clairement que des raisons d’intérêt public supérieures s’opposent à la divulgation des renseignements. Cet article s’applique lorsque l’opposition repose sur le motif que la divulgation pourrait être préjudiciable aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. Seul le juge en chef de la Cour fédérale, ou un juge désigné par ce dernier, peut trancher la question …

Enfin, à l’article 39, le législateur a décrété un privilège absolu pour ce que l’on appelle les renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Le simple fait de s’opposer à la divulgation de tels renseignements en produisant le certificat requis empêche non seulement de divulguer les renseignements demandés mais aussi d’examiner si les intérêts protégés ont préséance ou non sur les intérêts de l’administration de la justice. En fait, l’article nie implicitement qu’il puisse exister un intérêt opposé quelconque. Aucun juge, de quelque cour que ce soit, ne peut mettre en doute l’ordonnance d’un ministre de la Couronne ou du greffier du Conseil privé, indépendamment de l’importance du document protégé ou de l’utilité de ce dernier pour ce qui est du règlement d’une question soumise à la Cour.

Dans l’affaire qui nous occupe ici, nous avons quelques indices sur la nature des documents dont on s’oppose à la divulgation. Il s’agit de documents que des hauts fonctionnaires ont adressés au ministre responsable au sujet de l’exercice proposé de son pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation (L.R.C. (1985), ch. E-19).

Toutefois, c’est l’article 39 qui a été invoqué. La seule justification possible de cette mesure semble résider dans la circonstance tout à fait fortuite que le ministère des Affaires extérieures est structuré de façon telle que deux ministres étaient théoriquement chargés de prendre la décision applicable. D’après la documentation fournie, il semble évident que c’est en fait le ministre du Commerce extérieur qui a pris la décision, mais celle-ci exigeait l’assentiment du secrétaire d’État aux Affaires extérieures. Seule cette circonstance fortuite pourrait être invoquée afin de faire tomber les documents sous le coup des alinéas d) et e) du paragraphe 39(2), ainsi que l’a attesté le greffier du Conseil privé.

Dans les circonstances, nous ne pouvons bien sûr que supposer, à partir des quelques bribes d’information disponibles, quelle était la véritable nature des documents dont on s’opposait à la divulgation. Cependant, si les documents correspondent comme je le crois à la description que j’en ai faite, je considère que cette affaire constitue un abus flagrant du pouvoir exécutif, mais que, malheureusement, le législateur a clairement envisagé de mettre hors de portée d’un examen judiciaire.

Selon l’avocat des requérants, parce que les ministres ont refusé de divulguer des renseignements pertinents, en s’appuyant sur un point de droit formaliste (savoir, que le document a été transmis à deux ministres, plutôt qu’à un seul), pour invoquer un privilège absolu, il y a lieu de tirer des conclusions défavorables à l’égard du ministre. L’avocat des requérants prétend qu’à tout le moins, il incombe au ministre de prouver qu’il n’avait tenu compte que de considérations pertinentes.

Comme je l’ai noté, il n’y a aucune preuve qui démontre en quoi le système de répartition aurait été conçu pour appuyer un programme national de gestion des approvisionnements, à part quelques affirmations générales à cet effet de groupes intéressés. D’après la preuve objective, le système adopté pour la répartition des contingents a eu un effet déstabilisateur sur les marchés. Il n’est pas évident que le ministre ait tenu compte de facteurs comme la concentration accrue sur le marché qui découlerait du système adopté, le fait que les organisations cadres consultées ont affirmé qu’elles n’avaient pas eu suffisamment de temps pour répondre et que des renseignements leur avaient été communiqués sur l’effet déstabilisateur du plan. Il n’y a aucune preuve selon laquelle le ministre aurait tenu compte de l’étude de la firme Deloitte, Touche, étude sur laquelle l’avocat des requérants s’appuie, comme motif éventuel pour l’adoption du système de répartition qui a été choisi. Dans cette étude, la répartition du contingent en fonction de la part du marché national n’a pas été examinée. En outre, un certain M. Gosselin qui a été contre-interrogé sur l’affidavit qu’il avait déposé, au soutien de la thèse des intimés, a affirmé ne pas avoir lu le rapport et il a demandé pourquoi il lui faudrait le faire[6]. Selon l’avocat des requérants, l’allégation des intimés selon laquelle on avait tenu compte de cette étude pour prendre une décision sur le système de répartition est [traduction] « une histoire à dormir debout », vu qu’il n’y a aucune preuve qu’à l’époque, les fonctionnaires responsables du ministère, ou le ministre, l’aient examinée.

L’avocat des requérants soutient que le système de répartition qui a été choisi avait pour but de transférer aux couvoirs les bénéfices touchés par les importateurs de poussins de poulets de chair. Il fait valoir qu’un système de redistribution du revenu n’est pas une fin visée par la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme. Selon lui, le principal but du système de répartition adopté, voire le seul, était cette nouvelle répartition du profit. Il est utile de citer quelques extraits du contre-interrogatoire de Pierre Gosselin qui était à l’époque directeur général de la Direction générale des relations commerciales spéciales du ministère des Affaires extérieures. L’avocat des requérants l’a sans cesse pressé d’identifier les facteurs dont on a tenu compte avant d’adopter le système de répartition en cause. Voici un extrait de ce contre-interrogatoire[7] :

[traduction] La raison pour laquelle nous avons agi comme nous l’avons fait, comme je vous l’ai dit, nous croyions que ce serait la solution la plus équitable et la moins perturbatrice à un épineux problème de répartition.

Q.236    Q. Visiez-vous notamment à éliminer un avantage économique sur des concurrents?

R.   Oui.

Q.239    Q. Les couvoirs contrôlent maintenant 41 pour cent de la production en Ontario par les propriétaires, et environ le même pourcentage partout au pays? Pourquoi cibler un groupe plutôt qu’un autre?

R.   Bien, je suppose—je ne peux répondre à cette question. Je dis qu’ils considéraient les gens qui élevaient des oeufs d’incubation comme étant distincts de ceux qui exploitaient les couvoirs. Tout ce qu’ils disent ici est que—

Q.  Je ne comprends pas.

R.   Ils disent, n’accordez pas aux éleveurs de poulets le droit d’importer.

Q.310    R. Ce que nous essayions de faire était de s’assurer que l’avantage économique qui pouvait résulter de l’importation soit réparti de manière à ne pas perturber le marché.

Q.  Quelle preuve aviez-vous, en ce qui concerne les oeufs d’incubation, qu’un système fondé sur les antécédents perturberait le marché?

R.   Je suppose que l’on revient aux mêmes vieilles sources, mais nous avions des avis de gens dans le commerce comme quoi cela pouvait se produire. Nous avions nos propres observations—

Q.  Où est cet avis comme quoi le profit aurait un effet perturbateur?

R.   L’importation vous rapporte un profit dès que le prix canadien diffère du prix d’importation. Toute la question de la répartition y est liée implicitement.

Je suis d’accord avec la manière dont l’avocat des requérants a caractérisé la preuve : aucune preuve ne montre en quoi le système de répartition appuie un quelconque programme national de gestion des approvisionnements; il y a une preuve positive selon laquelle ce système était susceptible d’avoir un effet perturbateur sur le marché et qu’il a eu cet effet; on ne sait pas au juste si les ministres ont été informés du fait que le marché du produit fini, c’est-à-dire les poulets de chair, était lui-même un marché fermé; on ne sait pas au juste si les ministres ont été informés de l’effet qu’aurait le système sur la concentration des marchés; on ne sait pas au juste si les ministres ont été informés des effets perturbateurs que le système aurait vraisemblablement sur le marché. Il y a une preuve selon laquelle le système de répartition avait pour but de priver de profit un petit nombre de producteurs de poulets qui exploitaient leurs entreprises en Ontario et des couvoirs qui dépendaient des importations. Il y a une preuve qui montre clairement qu’un des buts, voire le but principal, du système de répartition était de transférer aux couvoirs en général cet avantage qui découlait des importations et de le retirer des producteurs de poulets. En l’espèce, la nouvelle répartition du profit ne découle pas d’un système qui est avant tout conçu pour gérer les approvisionnements. Il faut s’attendre à ce que de tels plans de gestion entraînent toujours une certaine redistribution du profit. Cependant, les faits en l’espèce révèlent que la répartition visait principalement le transfert du profit d’un secteur du marché à un autre. En tant que tel, il ne s’agit pas d’une fin pour laquelle le ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 8(1) de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation. Les requérants ont droit d’obtenir une ordonnance annulant la décision du ministre parce que celle-ci était fondée sur des considérations étrangères à la question. L’ordonnance devra également exiger que toute décision subséquente soit prise en tenant compte uniquement de considérations pertinentes.

Le ministre du Commerce extérieur était-il celui qui pouvait prendre la décision?

Comme nous l’avons noté, le paragraphe 8(1) de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation prévoit que « [l]e ministre » peut délivrer une licence pour l’importation de marchandises qui figurent sur la liste des marchandises d’importation contrôlée sous réserve « des conditions prévues dans la licence ou les règlements ». Il est avéré que le secrétaire d’État aux Affaires extérieures (M. Clark) était le ministre chargé de l’application de ce paragraphe. En outre, il n’y a aucune preuve selon laquelle une personne autre que M. Clark aurait délivré les licences en cause. Cependant, M. Clark n’était pas le ministre qui avait d’abord décidé comment le contingent serait attribué. Il est admis que cette décision a été prise par le ministre du Commerce extérieur (M. Crosbie).

Les articles 4, 5 et 6 de la Loi organique de 1983 [S.C. 1980-81-82-83, ch. 167] disposent :

4. Est nommé par commission sous le grand sceau un ministre du Commerce extérieur, chargé d’assister le ministre dans l’exercice de ses attributions en matière de commerce extérieur.

5. Il peut être nommé par commission sous le grand sceau un ministre des Relations extérieures, chargé d’assister le ministre dans l’exercice de ses attributions en matière de relations internationales.

6. Les ministres nommés en application des articles 4 et 5 exercent leurs attributions avec l’accord du ministre et sont tenus de faire usage des services et installations du ministère des Affaires extérieures.

Le paragraphe 24(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 dispose :

24.

(2) La mention d’un ministre par son titre ou dans le cadre de ses attributions vaut mention :

a) de tout ministre agissant en son nom ou, en cas de vacance de la charge, du ministre investi de sa charge en application d’un décret;

b) de ses successeurs à la charge;

c) du sous-ministre du ministère en cause.

En l’espèce, les intimés plaident que la décision du ministre du Commerce extérieur a été prise dans le contexte de ce cadre législatif et que la décision a été prise avec le concours du secrétaire d’État aux Affaires extérieures. À titre subsidiaire, les intimés soutiennent que le secrétaire d’État aux Affaires extérieures a, à tout le moins, adopté la décision du ministre du Commerce extérieur en délivrant des licences ou en autorisant la délivrance de licences conformément à cette décision.

Je suis convaincue que même si le ministre du Commerce extérieur a pu prendre la décision en cause, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures l’a préalablement approuvée ou, du moins, l’a entériné par la suite. À mon sens, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures a fait sienne la décision qu’avait prise le ministre du Commerce extérieur. Je ne caractériserais pas ce processus comme une sous-délégation illégale de pouvoir.

Redressements

Les requérants demandent une ordonnance de la nature d’un certiorari annulant la décision du ministre du Commerce extérieur et son adoption par le secrétaire d’État aux Affaires extérieures, décision établissant un système de répartition de contingents d’importation par lequel des contingents étaient graduellement accordés à des couvoirs seulement, partout au Canada, en fonction de la part du marché national. Les requérants demandent une ordonnance de la nature d’un mandamus enjoignant au secrétaire d’État aux Affaires extérieures de permettre aux requérants de présenter des observations et des arguments sur tout plan de répartition de contingents avant son adoption.

Les requérants demandent qu’une ordonnance de la nature d’un mandamus soit rendue pour enjoindre au ministre responsable, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures, de délivrer des contingents d’importation d’oeufs d’incubation et de poussins aux particuliers et aux compagnies qui ont importé des oeufs et des poussins par le passé. À mon sens, cette dernière réparation est demandée à titre provisoire jusqu’à ce que la décision du ministre soit rendue conformément à l’ordonnance de mandamus sus- mentionnée.

Je présume en outre que les requérants demandent une ordonnance portant que le ministre, avant de prendre une décision, doive tenir compte uniquement de considérations pertinentes.

Il est clair que les requérants ont droit d’obtenir une ordonnance de la nature d’un certiorari annulant la décision rendue. Il est clair que les requérants ont droit d’obtenir une ordonnance de la nature d’un mandamus enjoignant au ministre de prendre une décision seulement après que les requérants auront eu l’occasion de présenter des observations et en se fondant uniquement sur des considérations pertinentes. Il est plus difficile de donner suite à la demande d’ordonnance provisoire pour que le contingent soit réparti entre les importateurs coutumiers. Bien que cette demande d’ordonnance provisoire ait pu être raisonnable en 1990, je me suis demandée si elle l’était toujours en 1993, alors que certains changements dans la répartition ont déjà eu lieu. Compte tenu des circonstances, la Cour rendra une ordonnance provisoire enjoignant au ministre de ne pas diminuer davantage les contingents dont jouissent les importateurs coutumiers sous réserve d’une révision dont cette ordonnance pourrait faire l’objet, après que j’aurai entendu les arguments des parties relativement à l’aspect pratique d’une ordonnance provisoire rendue aux conditions demandées par les requérants. En un sens, le fait de ne pas accorder aux requérants une ordonnance provisoire comme celle qu’ils demandent semble les priver d’un redressement auquel ils ont droit, c’est-à-dire d’être maintenus dans la situation où ils étaient avant le décision qui a été contestée avec succès, tant qu’une décision valable n’a pas été prise. Par ailleurs, la Cour est préoccupée par l’aspect pratique et par l’effet de l’ordonnance qui pourrait être rendue. Voilà le genre de situation où il serait utile que les parties s’entendent sur une solution.

Conclusion

De toute façon, la Cour rendra une ordonnance, comme l’ont demandé les requérants, annulant la décision du ministre du Commerce extérieur et adoptée par le secrétaire d’État aux Affaires extérieures, c’est-à-dire la décision de répartir un contingent d’importation pour les oeufs d’incubation et les poussins entre les couvoirs seulement, partout au Canada, en fonction de la part du marché national.

La Cour rendra une ordonnance enjoignant au ministre responsable, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures, de prendre une décision relativement au système de répartition de contingents d’importation, seulement après avoir reçu des observations à ce sujet de la part des requérants et en tenant compte seulement de considérations pertinentes.

La Cour rendra une ordonnance provisoire de la nature d’une injonction empêchant le secrétaire d’État aux Affaires extérieures de mettre en œuvre toute réduction supplémentaire du contingent des importateurs coutumiers tant qu’une décision n’a pas été prise conformément à ce qui précède. La délivrance d’une telle ordonnance provisoire est faite sous réserve du droit des requérants de me demander une modification de cette ordonnance provisoire pour qu’elle soit conforme aux conditions de celles qu’ils demandent dans leur requête. Toutefois, il faudra démontrer, dans cette demande, le caractère pratique de l’ordonnance provisoire demandée.



[1] L'article de Walker, « Review of the Prerogative : The Remaining Issues », [1987] Pub. L.62, renferme quelques remarques comparatives.

[2] Dossier des requérants, aux p. 857 et 858.

[3] Ibid, aux p. 862 et 863.

[4] Ibid, à la p. 870 et aux p. 846 et 847.

[5] Ibid, à la p. 920.

[6] Ibid, à la p. 1153, Q. 136.

[7] Dossier des requérants, aux p. 1180 et 1181; 1200 et 1201.

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