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[1993] 2 C.F. 138

A-69-91

Association canadienne de télévision par câbleThe Canadian Cable Television Association (appelante)

c.

Commission du droit d’auteur, Société de droits d’exécution du Canada Ltée et Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada Limitée (intimées)

Répertorié : Assoc. canadienne de télévision par câble c. Canada (Commission du droit d’auteur) (C.A.)

Cour d’appel, juges Heald, Desjardins et Létourneau, J.C.A.Toronto, 7, 8, 9 et 10 décembre 1992; Ottawa, 5 janvier 1993.

Droit d’auteurAppel d’une décision de la Section de première instance rejetant une demande visant à interdire à la Commission du droit d’auteur d’adopter un tarif en application de l’art. 67 de la Loi sur le droit d’auteurL’appelante transmet des « services autres que de radiodiffusion » aux abonnésElle ne communique pas au public des œuvres musicales par télécommunication au sens de l’art. 3(1)f) de la Loi, modifié — « Droit d’auteur » désigne le droit exclusif de communiquer au public une œuvre musicale, littéraire, dramatique ou artistique par télécommunication suivant l’art. 3(1)f)L’appelante exécute en public des œuvres musicales en vertu de l’art. 3(1)La définition des mots « représentation », « exécution » ou « audition » à l’art. 2 comprend toute reproduction sonoreSens de l’expression « en public » — L’appelante autorise l’exécution d’œuvres musicales.

TélécommunicationsL’appelante transmet aux abonnés des services « autres que de radiodiffusion » — Il n’y a pas communication au public d’œuvres musicales par télécommunication au sens de l’art. 3(1)f) de la Loi, tel que modifiéLa transmission de services autres que de radiodiffusion, pour ce qui est des œuvres musicales, constitue une exécution en publicDistinction faite avec la décision de la CSC dans l’affaire CAPACL’exécution d’œuvres musicales est autorisée par l’appelante.

Il s’agit d’un appel interjeté contre la décision par laquelle la Section de première instance rejetait la demande visant à interdire à la Commission du droit d’auteur de procéder à l’adoption du tarif no 17 proposé par les intimées en application de l’article 67 de la Loi sur le droit d’auteur. Ce tarif exigeait que le « transmetteur » de « services autres que de radiodiffusion » à ses abonnés verse une redevance pour « une licence autorisant l’exécution ou la communication » d’une œuvre à l’égard de laquelle les associations intimées sont « habilitées à accorder une licence ». L’appelante transmet à ses abonnés des « services autres que de radiodiffusion », soit ceux dont le point d’origine n’est pas une station ordinaire de télévision (tels les services « Much Music »), par la transmission de signaux électriques en circuit fermé. Les questions litigieuses consistaient à savoir 1) si l’appelante communique au public des œuvres musicales, 2) si elle exécute des œuvres musicales en public et 3) si elle autorise l’exécution de telles œuvres.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

1) Dans le cas d’une œuvre musicale, littéraire, dramatique ou artistique, « droit d’auteur » désigne également, suivant l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur, le droit exclusif de communiquer l’œuvre au public par télécommunication. L’argument des intimées voulant que les expressions « œuvre musicale », définie à l’article 2 de la Loi, et « composition musicale » puissent être employées indifféremment, va à l’encontre des règles les plus élémentaires de la rédaction et de l’interprétation législatives. Les définitions existent pour des raisons de commodité et afin de rendre le texte législatif plus précis. Elles visent à faciliter la rédaction législative et non à rendre confuse l’interprétation des lois. La définition de « toute œuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique originale » à l’article 2 de la Loi montre clairement que l’« œuvre musicale » ne renvoie pas à une « composition musicale avec ou sans paroles » ni ne comprend celle-ci, puisque le législateur y oppose les deux notions l’une à l’autre. La Loi sur le droit d’auteur a été modifiée au moins à trois reprises depuis le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Composers, Authors and Publishers Assoc. of Canada Limited v. CTV Television Network Limited et al. (CAPAC) et le législateur n’a jamais remis en cause l’interprétation que celle-ci avait donnée à l’expression « œuvre musicale ». Comme la définition des expressions « œuvre musicale » et « représentation », « exécution » et « audition » est demeurée inchangée, l’alinéa 3(1)f) de la Loi aurait dû être modifié de manière à englober la « communication de l’exécution d’une œuvre musicale » pour que les actes de l’appelante soient visés. La Cour suprême a refusé de procéder à la modification de la Loi, et la Cour est liée par cette décision.

2) La définition de « représentation », « exécution » ou « audition » à l’article 2 englobe toute reproduction sonore; elle ne vise pas les ondes acoustiques par opposition aux ondes électromagnétiques ou l’inverse. L’expression « y compris » n’est généralement pas limitative, et elle ne saurait certainement pas restreindre l’intention du législateur de régir tous les types de reproduction sonore. Quant à savoir si la transmission de l’appelante équivaut à une exécution en public, des arrêts canadiens portent que ni la radiodiffusion ni la télédiffusion n’équivalent à une exécution en public lorsqu’elles sont captées dans des demeures privées. L’opinion contraire exprimée par les tribunaux britanniques, indiens et australiens est préférable. Elle est compatible avec notre Loi et avec le sens courant de l’expression « en public », c.-à-d. de manière ouverte, sans dissimulation et au su de tous. De plus, elle représente une appréciation plus réaliste des effets de l’essor technologique. La transmission par l’appelante de services autres que de radiodiffusion à ses nombreux abonnés, pour ce qui est des œuvres musicales, constitue une exécution en public au sens du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur.

3) C’est à bon droit que le juge de première instance a conclu que la situation de l’appelante est différente de celle du réseau CTV dans l’affaire CAPAC. CTV transmettait sa programmation à des stations affiliées qui radiodiffusaient les œuvres musicales en public, alors que ACTC transmet directement au public. L’appelante fait plus que simplement faciliter l’exécution publique qui contrevient à la Loi sur le droit d’auteur, elle est l’exécutant véritable par l’intermédiaire d’un mandataire qui, en dernier lieu, allume le téléviseur. Si l’abonné est l’ultime responsable de la réalisation de l’exécution publique et, par conséquent, de la violation du droit d’auteur, il faut conclure, suivant le sens littéral du terme « autorisation », que l’appelante autorise ses clients à faire en sorte que l’exécution se matérialise.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Accord de libre-échange, L.C. 1988, ch. 65, Annexe, Partie A, art. 2006.

Convention de Rome sur le droit d’auteur, 1928, L.R.C., (1985), ch. C-42, Annexe III, art. 11 (bis).

Copyright Act, 1911 [1 & 2 Geo. 5, ch. 46].

Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange CanadaÉtats-Unis, Projet de loi C-2, première lecture, art. 61, 62.

Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange CanadaÉtats-Unis, L.C. 1988, ch. 65, art. 61, 62, 63, 64, 65.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 35(1).

Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur et apportant les modifications connexes et corrélatives, L.C. 1988, ch. 15, art. 1.

Loi sur le droit d’auteur, S.R.C., 1952, ch. 55, art. 3(1)f).

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 2 (édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 61), 3(1)f) (mod., idem, art. 62), 5, 28, 66.52 (édicté, idem, art. 64), 67 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, art. 12), 70.61 (édicté, idem, art. 65).

Loi sur les topographies de circuits intégrés, L.C. 1990, ch. 37, art. 33.

JURISPRUDENCE

DÉCISION SUIVIE :

Composers, Authors and Publishers Assoc. of Canada Limited v. CTV Television Network Limited et al., [1968] R.C.S. 676; (1968), 68 D.L.R. (2d) 98; 55 C.P.R. 132; 38 Fox Pat. C. 108 (relativement au fait que l’appelante ne communique pas au public des œuvres musicales par télécommunication).

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Messager v. British Broadcasting Co., [1927] 2 K.B. 543; Garware Plastics and Polyester Ltd. v. M/S Tele-link A.I.R. 1989 Bombay 331; Chappell& Co. Ltd. v. Associated Radio Co. of Australia Ltd., [1925] V.L.R. 350 (S.C.); Mellor v. Australian Broadcasting Commission, [1940] 2 All E.R. 20 (P.C.).

DÉCISION NON SUIVIE :

Canadian Admiral Corpn. Ltd. v. Rediffusion, Inc., [1954] R.C.É. 382; (1954), 20 C.P.R. 75; 14 Fox. Pat. C. 114.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Composers, Authors and Publishers Assoc. of Canada Limited v. CTV Television Network Limited et al., [1968] R.C.S. 676; (1968), 68 D.L.R. (2d) 98; 55 C.P.R. 132; 38 Fox. Pat. C. 108 (en ce qui concerne la transmission par l’appelante d’œuvres musicales directement au public).

DÉCISION CITÉE :

Réseau de Télévision CTV Ltée c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] 2 C.F. 115 (C.A.).

DOCTRINE

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville : Les Éditions Yvon Blais Inc., 1990.

Tremblay, Richard et al. Guide de rédaction législative, Montréal : Société québécoise d’information juridique, 1984.

APPEL d’une décision de la Section de première instance ((1991) 34 C.P.R. (3d) 521; 41 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.)) rejetant une demande visant à interdire à la Commission du droit d’auteur de procéder à l’adoption du tarif no 17 proposé par les intimées en application de l’article 67 de la Loi sur le droit d’auteur. Appel rejeté.

AVOCATS :

Michael K. Eisen et Stephen G. Rawson pour l’appelante.

Mario Bouchard pour la Commission du droit d’auteur, intimée.

Y. A. George Hynna, C. Paul Spurgeon et Gilles Marc Daigle pour la Société de droits d’exécution du Canada Ltée et l’Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada Limitée, intimées.

PROCUREURS :

Morris/Rose/Ledgett, Toronto, pour l’appelante.

Services juridiques, Commission du droit d’auteur, Ottawa, pour la Commission du droit d’auteur, intimée.

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour la Société de droits d’exécution du Canada Ltée et l’Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada Limitée, intimées.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Létourneau, J.C.A. : L’Association canadienne de télévision par câble (l’« ACTC ») interjette appel, en l’espèce, du jugement de première instance [(1991), 34 C.P.R. (3d) 521] qui a rejeté la demande visant à empêcher, de la part de la Commission du droit d’auteur, toute autre démarche ayant trait au tarif no 17 proposé par les associations intimées, la SDE et la CAPAC, en application de l’article 67 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, art. 12].

Les faits

L’entreprise appelante regroupe quelque six cent dix-neuf câblodistributeurs et exploitants de systèmes de câblodistribution au Canada. Selon ses statuts, son mandat est de promouvoir les intérêts de ses membres et de concilier ces intérêts avec ceux des abonnés du service de télévision par câble et ceux du public en général. Elle est titulaire d’une licence à titre d’entreprise de distribution.

La Société de droits d’exécution du Canada Ltée (la « SDE ») et l’Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada Limitée (la « CAPAC »), dont les activités ont trait aux droits d’exécution, sont en voie de fusionner. Elles possèdent et gèrent les droits d’exécution relatifs à diverses œuvres musicales au Canada. Elles octroient des licences autorisant l’exécution de ces œuvres au Canada et perçoivent les redevances, puis les versent, conformément au projet de tarif homologué par la Commission du droit d’auteur.

Conformément aux projets de tarifs déposés par les associations intimées, la Commission du droit d’auteur a publié le projet de tarif no 17 dans la Gazette du Canada le 30 septembre 1989 [123 Gazette du Canada, Partie 1, supplément (30 septembre 1989)]. Le tarif no 17 prévoit que le « transmetteur » de « services autres que de radiodiffusion » verse une redevance pour « une licence autorisant l’exécution ou la communication par télécommunication » d’une œuvre à l’égard de laquelle les associations en cause sont « habilitée[s] à accorder une licence ».

Les « services autres que de radiodiffusion » sont ceux dont le point d’origine n’est pas une station ordinaire de télévision, tels les services spécialisés que sont « Much Music » et « Arts and Entertainment ». L’ACTC offre de tels services à ses abonnés par la transmission de signaux électriques en circuit fermé. Il y aurait au Canada sept millions d’abonnés à la télévision par câble, quatre-vingt-dix-sept pour cent des abonnements étant de type résidentiel et six millions trois cent mille des abonnés faisant affaires avec un membre de l’ACTC. Les autres abonnements sont de nature commerciale et sont souscrits, par exemple, par des propriétaires d’immeubles locatifs, des établissements hôteliers, des hôpitaux, des maisons d’enseignement, des restaurants et des bars.

Après avoir reçu, de la part de l’ACTC, une opposition au projet de tarif, la Commission du droit d’auteur a tenu une conférence préparatoire à l’audience le 23 mai 1990. D’entrée de jeu, l’ACTC a prétendu que le tarif no 17 ne pouvait s’appliquer aux systèmes de télévision par câble vu que leurs transmissions ne comportaient aucune des activités visées à l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur [mod., idem, art. 2; L.C. 1988, ch. 65, art. 62], puisqu’elles ne constituaient pas des exécutions publiques d’œuvres musicales non plus que des communications au public d’œuvres musicales. Partant, l’ACTC a fait connaître son intention de présenter une demande en vue d’obtenir un bref de prohibition. La Commission a rétorqué que, en l’absence d’une décision judiciaire à l’effet contraire, elle entendait poursuivre son examen. Le 14 juin 1990, l’ACTC a obtenu une ordonnance de la Cour fédérale enjoignant à la Commission de surseoir à l’examen du tarif no 17 jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue dans cette affaire. Le 16 janvier 1991, le juge de première instance a, en fin de compte, rejeté la demande visant à obtenir un bref de prohibition.

Questions de droit substantiel

Le présent appel soulève trois questions concernant l’application de l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur à la transmission, par l’appelante, d’œuvres musicales à ses abonnés. En effet, la Cour doit déterminer si l’appelante, l’ACTC, communique des œuvres musicales au public, si elle exécute des œuvres musicales en public et si elle autorise l’exécution de telles œuvres. Ce sont de telles activités qui, selon l’appelante, emporteraient l’application du tarif no 17, lequel fait l’objet de la demande visant à obtenir un bref de prohibition.

L’appelante, l’ACTC, communique-t-elle au public des œuvres musicales par télécommunication au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur

À l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur, « droit d’auteur » désigne, en gros, le droit exclusif de produire, de reproduire ou de publier une œuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque, ou le droit exclusif de l’exécuter ou de la représenter en public. Dans le cas d’une œuvre musicale, littéraire, dramatique ou artistique, l’expression désigne également, suivant l’alinéa 3(1)f ), le droit exclusif de la communiquer au public par télécommunication.

Se fondant sur l’alinéa 3(1)f), les intimées prétendent que l’appelante, lorsqu’elle transmet des services autres que de radiodiffusion à ses abonnés, communique au public des œuvres musicales par télécommunication au sens de cette disposition et, par conséquent, qu’elle est tenue de leur verser une redevance. L’appelante s’appuie pour sa part sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Composers, Authors and Publishers Assoc. of Canada Limited v. CTV Television Network Limited et al.[1] [CAPAC] qui, selon elle, a tranché la question en sa faveur et s’applique en l’espèce.

Afin de bien saisir l’argumentation de chacune des parties ainsi que la portée de l’arrêt de la Cour suprême du Canada, voici le texte de certaines définitions :

Loi sur le droit d’auteur

[L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 2 (édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 61), 3(1)f) (mod., idem, art. 62)]

2. ...

« toute œuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique originale » S’entend de toutes les productions originales du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression, telles que les livres, brochures et autres écrits, les conférences, les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales, les œuvres ou compositions musicales avec ou sans paroles , les illustrations, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture ou aux sciences.

« œuvre musicale » Toute combinaison de mélodie et d’harmonie, ou l’une ou l’autre, imprimée, manuscrite, ou d’autre façon produite ou reproduite graphiquement.

...

« représentation », « exécution » ou « audition » Toute reproduction sonore d’une œuvre ou toute représentation visuelle de l’action dramatique qui est tracée dans une œuvre, y compris la représentation à l’aide de quelque instrument mécanique ou par transmission radiophonique.

...

« télécommunication » vise toute transmission de signes, signaux, écrits, images, sons ou renseignements de toute nature par fil, radio, procédé visuel ou optique, ou autre système électromagnétique.

...

3. (1) Pour l’application de la présente loi, « droit d’auteur » s’entend du droit exclusif de produire ou de reproduire une œuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque, d’exécuter ou de représenter ou, s’il s’agit d’une conférence, de débiter, en public, et si l’œuvre n’est pas publiée, de publier l’œuvre ou une partie importante de celle-ci; ce droit s’entend, en outre, du droit exclusif :

...

f) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de transmettre cette œuvre au moyen de la radiophonie.

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique. [Modification apportée en 1988 [L.C. 1988, ch. 65, art. 62]]. [C’est moi qui souligne.]

Convention de Rome sur le droit d’auteur 1928

[L.R.C. (1985), ch. C-42, annexe III]

Article 11 (bis)

(1) Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser la communication de leurs œuvres au public par la radiodiffusion.

Dans l’arrêt CAPAC, le juge Pigeon, s’exprimant au nom de la Cour suprême et interprétant littéralement la Loi sur le droit d’auteur [S.R.C. 1952, ch. 55], tire les conclusions suivantes :

1. Vu la définition d’« œuvre musicale » et de « représentation », « exécution » ou « audition », CTV, en transmettant sa programmation de divertissement à ses stations affiliées, soit en expédiant une copie de la bande magnétoscopique, soit en ayant recours au câble ou aux ondes hertziennes, n’a pas communiqué une « œuvre musicale » au sens de la Loi, c.-à-d. une reproduction graphique de mélodie et d’harmonie. Elle a plutôt communiqué « une exécution de l’œuvre » et non l’« œuvre »[2].

2. L’alinéa 3(1)f) s’inspire du paragraphe 1 de l’Article 11 (bis) de la Convention de Rome sur le droit d’auteur 1928[3].

3. Contrairement à la Loi sur le droit d’auteur du Canada, la Convention de Rome ne définit pas le mot « œuvre » et, lorsque celui-ci y est employé à l’égard d’une œuvre musicale, il désigne à juste titre la composition comme telle, et non sa représentation graphique comme dans la Loi[4].

4. Le mot « communication » ne désigne habituellement pas l’ »exécution », mais dans la Convention de Rome, il pourrait englober celle-ci tout comme d’autres genres de représentation applicables à d’autres types d’œuvres artistiques ou littéraires qui ne sont pas « exécutées »[5].

5. L’alinéa 3(1)f) ne dit pas « transmettre l’exécution de cette œuvre au moyen de la radiophonie », mais bien « transmettre cette œuvre au moyen de la radiophonie » et, vu la définition légale de l’expression « œuvre musicale » ainsi que des mots « représentation », « exécution » et « audition », l’ajout du terme « exécution » dans le texte législatif constitue un écart très important du libellé[6].

6. Pour que l’alinéa 3(1)f) ait la portée et le sens que l’appelante lui attribue, les mots « représentation », « exécution » et « audition » devraient être ajoutés à l’alinéa 3(1)f) et les mots « en public » supprimés de l’article 3, puisque l’exécution d’une œuvre musicale n’est pas visée par la définition du droit d’auteur lorsqu’elle n’a pas lieu en public[7].

Pour établir une distinction avec l’arrêt CAPAC, les intimées soutiennent maintenant que la définition d’« œuvre musicale » que prévoit la Loi sur le droit d’auteur renvoie non seulement à la reproduction graphique d’une mélodie et d’une harmonie, mais aussi, suivant le sens premier, à la composition comme telle. Leur interprétation extensive s’appuie sur la définition de « toute œuvre musicale originale » prévue à l’article 2 et employée à l’article 5 de la Loi, laquelle mentionne à la fois les œuvres ou compositions musicales avec ou sans paroles. Elles concluent que les expressions « œuvre musicale » et « composition musicale » sont donc employées et employables indifféremment.

Pour en arriver à une telle conclusion, il faut, en pratique, faire abstraction du libellé des définitions prévues à l’article 2 de la Loi ou procéder à une sorte de croisement de ces définitions. Dans l’un ou l’autre des cas, une telle démarche va à l’encontre des règles les plus élémentaires de la rédaction et de l’interprétation législatives. Les définitions existent pour des raisons de commodité et afin de rendre le texte législatif plus précis. Elles visent à faciliter la rédaction législative et non à rendre confuse l’interprétation des lois[8]. La portée d’une définition ne peut être modifiée en faisant abstraction de son libellé, en totalité ou en partie, ou en y intégrant des mots ou des notions qui appartiennent à une autre définition. Le libellé des définitions n’est tout simplement pas interchangeable, et les croisements ne peuvent que créer de la confusion.

Bien que cela suffise en soi pour réfuter l’argumentation des intimées, on observera par ailleurs, dans la définition de « toute œuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique originale », que l’œuvre musicale ne renvoie manifestement pas à une « composition musicale avec ou sans paroles » ni ne comprend celle-ci, puisque le législateur y oppose les deux notions l’une à l’autre. Il est dans l’ordre des choses que le législateur ait procédé ainsi, étant donné que l’article 5, qui reprend l’expression « toute œuvre originale », protège de manière générale le droit d’auteur afférent à toute œuvre originale. En ce qui concerne la musique, il convient d’englober également toute composition originale, et non seulement l’œuvre musicale, laquelle, selon l’article 2, s’entend strictement de toute combinaison de mélodie et d’harmonie imprimée, manuscrite, ou produite ou reproduite graphiquement.

Il est intéressant de noter que la Loi sur le droit d’auteur a été modifiée au moins à trois reprises[9] depuis le jugement rendu en 1968 par la Cour suprême et que le législateur n’a jamais remis en cause l’interprétation que celle-ci avait donnée à l’expression « œuvre musicale ». Cela est d’autant plus intéressant et significatif que, dans la première série de modifications en 1988, le législateur a jugé opportun de modifier, à l’article 2 de la Loi, la définition des expressions « œuvre d’art architecturale », « œuvre artistique » et « œuvre littéraire » et d’ajouter la définition d’« œuvre chorégraphique », mais qu’il n’a pas touché à la définition d’« œuvre musicale »[10]. Il lui aurait pourtant été tout à fait loisible de le faire en révisant ainsi les définitions. On ne peut que conclure que le législateur était en accord avec l’interprétation que la Cour suprême avait auparavant donnée à l’expression « œuvre musicale » et qui s’appliquait depuis vingt ans lorsque la Loi a été modifiée.

Les intimées insistent beaucoup sur la modification qui a été apportée en 1988 à l’alinéa 3(1)f) par laquelle on a ajouté à la disposition les mots « au public » et substitué à l’expression « au moyen de la radiophonie » celle de « par télécommunication » qui a aussi été définie. Elles soutiennent en effet que cette modification donnait suite à la modification suggérée par la Cour suprême dans CAPAC et que, par conséquent, l’appelante est tenue de verser une redevance pour la transmission d’œuvres musicales à ses abonnés.

Je conviens que l’expression « au public » est plus large qu’« en public » et que l’ajout de ces mots ait pu répondre à l’exigence formulée par le juge Pigeon que l’exécution d’une œuvre musicale ait toujours lieu en public pour que la Loi s’applique[11]. L’expression « au public » qui figure désormais à l’alinéa 3(1)f) de la Loi est également employée à l’article 11(1) (bis) de la Convention de Rome, ce qui satisfait à la condition voulant que l’exécution ait lieu en public.

Or, la modification ne résout pas la question cruciale tranchée par le juge Pigeon, soit le fait que l’alinéa 3(1)f) vise la communication au public d’une œuvre musicale, c.-à-d. la reproduction graphique d’une mélodie et d’une harmonie, alors que ce que l’appelante communique, suivant le libellé de la Loi, n’est pas une « œuvre », mais « l’exécution d’une œuvre »[12] ou la reproduction sonore d’une œuvre. Comme la définition des expressions « œuvre musicale » et « représentation », « exécution » et « audition » n’a pas changé, l’alinéa 3(1)f) aurait dû être modifié de manière à englober la « communication de l’exécution d’une œuvre musicale » pour que les actes de l’appelante soient visés. C’est ce qui ressort de l’extrait suivant du jugement du juge Pigeon se rapportant à l’alinéa 3(1)f) :

[traduction] Cependant, comme nous l’avons déjà signalé, la partie pertinente de la disposition ne se lit pas « de communiquer l’exécution d’une telle œuvre au moyen de la radiophonie » mais « de communiquer une œuvre au moyen de la radiophonie ». Vu les définitions légales des termes « œuvre musicale » et « exécution », l’ajout du terme « exécution » dans le texte législatif constitue un écart très important du libellé[13].

La Cour suprême a refusé de procéder à la modification de la Loi, et la Cour est liée par cette décision.

Je pourrais ajouter que les modifications apportées à l’alinéa 3(1)f) sur lesquelles s’appuient les intimées ont été adoptées aux fins de la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange [L.C. 1988, ch. 65, Annexe, Partie A] en ce qui a trait à la retransmission de signaux locaux ou éloignés porteurs d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique[14]. C’est ce qui ressort des notes explicatives qui accompagnaient le Projet de loi C-2 en première lecture. On y précise en effet que la définition du mot « télécommunication » résulte des modifications apportées à l’alinéa 3(1)f ) et que ces dernières ont été adoptées pour clarifier la notion de communication au public de certaines œuvres et ce, aux fins de la mise en œuvre de l’alinéa 2006(2)a) de l’Accord de libre-échange, lequel a trait à la retransmission au public d’une programmation qui, à l’origine, n’est pas destinée à être captée directement et gratuitement par le grand public[15].

Il est significatif, à mon sens, que les intimées n’aient pu fournir un seul élément de preuve, qu’il s’agisse de discussions ou de débats à la Chambre des communes, au sein des différents comités ou ailleurs, établissant que les modifications apportées à l’alinéa 3(1)f), ainsi que, notamment, aux articles 2, 28, 66.52 [mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 64], 70.61 [mod., idem, art. 65] de la Loi sur le droit d’auteur aux fins de la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange, visaient à renverser la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire CAPAC. Il aurait été inconcevable que le législateur règle une question d’une telle importance de manière aussi indirecte et déguisée.

L’appelante a-t-elle exécuté des œuvres musicales en public au sens du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur?

L’appelante prétend, tout d’abord, qu’elle n’exécute pas d’œuvres musicales étant donné qu’elle ne radiodiffuse pas, comme le prévoit la définition d’« exécution » à l’article 2 de la Loi, la reproduction sonore d’une mélodie ou d’une harmonie. La Loi prévoit en effet que « représentation », « exécution » ou « audition » désigne « [t]oute reproduction sonore d’une œuvre ou toute représentation visuelle de l’action dramatique qui est tracée dans une œuvre, y compris la représentation à l’aide de quelque instrument mécanique ou par transmission radiophonique ». Or, l’appelante estime transmettre des signaux électriques destinés à être captés par les abonnés individuellement. Ces signaux sont des ondes électromagnétiques qui n’ont rien à voir avec les ondes acoustiques ou sonores; ils ne peuvent jamais être entendus pendant leur acheminement à l’abonné. Alors que les ondes acoustiques ou sonores sont produites par la compression de l’air ou grâce à quelque autre support, les ondes électromagnétiques résultent de la modification du champ électrique ou magnétique. Pour reprendre les termes utilisés par l’appelante, un système de câble n’est qu’un support qui permet de transmettre des signaux électriques à l’abonné, et la transmission de services autres que de radiodiffusion à la résidence ou dans les locaux de l’abonné, grâce à un système de télévision par câble, se fait au moyen d’un réseau en circuit fermé, par opposition à la propagation d’ondes radioélectriques dans l’espace.

Je ne crois pas que l’issue de la présente affaire dépende du fait que les ondes transmises à l’abonné sont d’un certain type plutôt que d’un autre. Il est question, à la définition de « représentation », « exécution » ou « audition » qui figure à l’article 2, de reproduction sonore, et non d’ondes acoustiques par opposition à des ondes électromagnétiques, ou vice-versa. Lorsque l’abonné allume son téléviseur et qu’il écoute la musique radiodiffusée ou transmise par l’appelante, il a droit à la reproduction sonore d’une mélodie; il s’agit donc de l’exécution d’une œuvre musicale comme le prévoit la Loi.

En outre, la définition de « représentation », « exécution » ou « audition » englobe « toute » reproduction sonore. Le fait qu’il y soit précisé que cela comprend toute représentation à l’aide de quelque instrument mécanique ou par transmission radiophonique ne limite pas la généralité du mot « toute » et ne restreint certes pas l’application de la définition au type de radiocommunication défini au paragraphe 35(1) de la Loi d’interprétation[16]. L’expression « y compris » n’est généralement pas limitative et, dans le contexte, ne saurait certainement pas restreindre l’intention du législateur de régir tous les types de reproduction sonore. Elle précise simplement que la définition vise également les reproductions sonores obtenues grâce à des moyens technologiques. Les termes « à l’aide de quelque instrument mécanique ou par transmission radiophonique », utilisés dans la définition de « représentation », « exécution » ou « audition », ne font rien de plus que d’apporter des précisions supplémentaires afin d’assurer une plus grande certitude. Cependant, comme c’est souvent le cas en rédaction législative, de telles précisions créent davantage d’ambiguïté que de certitude, surtout lorsque les motifs de leur adoption sont depuis longtemps oubliés. Il semble que le terme « radiocommunication » ait été intégré en 1931 afin d’éviter des poursuites interminables et de faire en sorte que la représentation, l’exécution ou l’audition englobe celle obtenue à l’aide des nouveaux moyens technologiques[17].

L’appelante soutient par ailleurs, dans le cas où la Cour conclurait que ses activités de transmission équivalent à une exécution, que celle-ci n’est pas publique puisque, au Canada, quatre-vingt-dix-sept pour cent des abonnements au service de télévision par câble sont résidentiels et que la transmission est acheminée à la résidence privée de chacun des abonnés.

J’aurais été enclin à croire, à partir du simple bon sens, que lorsque, à partir de sa résidence ou de son bureau, le premier ministre du Canada s’adresse aux citoyens, lesquels se trouvent dans leurs demeures, au moyen de la radio ou de la télévision, son allocution est publique et est exécutée en public. Je n’aurais pas demandé mieux que d’en rester là n’eût été de l’existence de jugements antérieurs contradictoires sur le sujet.

Dans Canadian Admiral Corpn. Ltd. v. Rediffusion, Inc.[18] , le tribunal a statué que ni la radiodiffusion ni la télédiffusion n’équivalaient à une exécution en public lorsqu’elles étaient captées dans des demeures privées. Le juge Cameron y dit ce qui suit :

[traduction] L’avocat de la demanderesse prétend toutefois que même si un tel « visionnement » en privé dans la demeure du propriétaire ne constitue pas une exécution en public, lorsqu’un grand nombre de personnes, dotée chacune d’une station terminale, assurent l’exécution de l’œuvre en utilisant les stations terminales, il s’agit d’une exécution en public. Il soutient que, du point de vue du propriétaire, le fait que de telles exécutions soient nombreuses porte atteinte aux droits du propriétaire de tirer des copies de son œuvre et pourrait lui faire perdre une partie du marché potentiel. Je ne puis partager cet avis. Je ne vois pas comment même un grand nombre d’exécutions privées, du seul fait qu’elles soient nombreuses, pourraient devenir des exécutions publiques. Les caractéristiques de l’auditoire demeurent strictement les mêmes, chacun des téléspectateurs se trouvant dans son foyer, de sorte qu’il ne s’agit pas d’une exécution « en public ». De plus, je crois que la demanderesse, en télédiffusant les films, souhaitait que les émissions de télévision soient regardées par le plus de gens possibles qui étaient à sa portée et qui étaient munis du matériel de réception nécessaire, afin que les téléspectateurs soient informés de son produit. Par conséquent, je ne crois pas que ce qu’a fait la défenderesse, en ce qui concerne les maisons et les appartements privés, ait porté atteinte au marché cible de la demanderesse de quelque manière que ce soit. Selon un témoignage qui n’a pas été contredit, les films, y compris les annonces publicitaires de la demanderesse, étaient télédistribués en bloc.

J’en arrive donc à la conclusion que les exécutions dans les maisons et les appartements des abonnés de la défenderesse n’étaient pas des exécutions « en public »[19].

Avec déférence pour l’avis contraire, je partage plutôt le point de vue exprimé par les tribunaux britanniques[20], indiens[21]. et australiens[22], lequel est compatible avec notre Loi. Ces tribunaux se sont en effet prononcés de manière réaliste quant aux effets de l’essor technologique, et leurs conclusions sont compatibles avec le sens courant de l’expression « en public », c.-à-d. de manière ouverte, sans dissimulation et au su de tous. Dans Messager v. British Broadcasting Co.[23], un opéra avait été présenté à l’intention de quelques amis dans un studio privé, mais il avait été transmis au grand public par radiotéléphonie. Appelé à déterminer s’il s’agissait d’une exécution publique aux fins de la Copyright Act britannique, 1911 [1 & 2 Geo. 5, ch. 46], laquelle renfermait une définition analogue à la nôtre, le juge McCardie a conclu ce qui suit :

[traduction] J’estime toutefois que ce que la partie défenderesse a fait constituait manifestement une exécution publique. Au lieu de rassembler le public dans une grande salle, elle a transmis des signaux tout en sachant que des millions d’auditeurs, dans leurs maisons ou leurs appartements, pouvaient les capter et que la reproduction sonore de l’opéra bénéficierait ainsi d’un auditoire considérable, et c’est d’ailleurs ce qu’elle souhaitait. Conclure qu’il ne s’agit pas là d’une exécution publique par la partie défenderesse serait faire abstraction des éléments essentiels et réels de la question ainsi que de l’objet de la Copyright Act et de l’intention du législateur[24].

Voici ce que dit le juge Cussen, au nom du tribunal, dans Chappell & Co. Ltd. v. Associated Radio Co. of Australia Ltd. :

[traduction] Selon nous, une exécution n’est pas moins publique parce que les auditeurs ne peuvent communiquer entre eux ou ne sont pas rassemblés en une même enceinte, non plus que dans un stade, un parc ou un autre lieu public. Nous ne croyons pas non plus qu’une exécution soit réputée privée du seul fait que chaque auditeur puisse se trouver seul dans l’intimité de son foyer. La radiodiffusion vise à atteindre et, dans les faits, atteint une plus grande partie du public, au moment de la prestation, que tout autre moyen de communication[25].

Cela est encore plus vrai dans le cas de la transmission au moyen de la télévision. Je suis convaincu que la transmission par l’appelante de services autres que de radiodiffusion à ses nombreux abonnés, pour ce qui est des œuvres musicales, constitue une exécution en public au sens du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur.

L’appelante autorise-t-elle l’exécution d’œuvres musicales?

L’appelante soutient qu’elle n’autorise pas, n’approuve pas ni ne favorise l’exécution d’œuvres musicales, mais qu’elle fournit simplement le matériel et les services dont elle sait que l’utilisation par une autre personne emportera la violation du droit d’auteur.

À l’instar du juge de première instance, je suis d’avis que la situation de l’appelante en l’espèce est différente de celle du réseau CTV dans l’affaire CAPAC[26]. Les stations affiliées auxquelles CTV transmettait sa programmation étaient titulaires d’une licence accordée par la CAPAC les autorisant à exécuter les œuvres musicales en public et, par conséquent, à utiliser l’œuvre protégée par le droit d’auteur. De plus, CTV ne transmettait pas sa programmation directement au public. Elle la transmettait à des stations affiliées qui, à leur tour, radiodiffusaient les œuvres musicales à l’intention du public. Dans la présente affaire, l’appelante transmet directement au public et, selon moi, le fait que l’abonné doive allumer le téléviseur ne modifie en rien la nature de la transmission. L’appelante fait plus que simplement faciliter l’exécution publique qui contrevient à la Loi sur le droit d’auteur, elle est l’exécutant véritable par l’intermédiaire d’un mandataire de bonne foi ou avec l’aide d’un tiers qui, en dernier lieu, allume le téléviseur.

Cependant, même si l’abonné est l’ultime responsable de la réalisation de l’exécution publique et, par conséquent, de la violation du droit d’auteur, il ne fait aucun doute, suivant le sens littéral du terme « autorisation » ou suivant l’interprétation qu’on en fait, que l’appelante autorise ses clients à faire en sorte que l’exécution se matérialise[27]. J’estime que le juge de première instance a bien résumé le droit applicable aux actes de l’appelante en disant ce qui suit :

[L]orsqu’une société exploitant un système de télévision par câble fournit à un abonné des signaux électromagnétiques, aux termes d’un contrat qui prévoit clairement que la prestation de la compagnie consiste uniquement à faire produire par le téléviseur de l’abonné, téléviseur relié au câble, des messages sonores et visuels, cette société est censé[e] avoir autorisé cette dernière exécution[28].

Conclusion

Ayant conclu que l’appelante exécute des œuvres musicales en public ou autorise une telle exécution et, par conséquent, que le tarif no 17 est conforme à la loi, je rejetterais l’appel avec dépens.

Le juge Heald, J.C.A. : Je souscris.

Le juge Desjardins, J.C.A. : Je souscris



[1] [1968] R.C.S. 676.

[2] Id., à la p. 680.

[3] Id., à la p. 681.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Id., à la p. 682.

[7] Ibid.

[8] Se reporter au Guide de rédaction législative, ministère de la Justice du Québec, Montréal, SOQUIJ, 1984, aux pp. 12 à 14; P. A. Côté, Interprétation des lois, 2e éd., Les Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1990, à la p. 61.

[9] Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur et apportant les modifications connexes et corrélatives, L.C. 1988, ch. 15; Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange CanadaÉtats-Unis, L.C. 1988, ch. 65, art. 61 et ss.; Loi sur les topographies de circuits intégrés, L.C. 1990, ch. 37, art. 33.

[10] L.C. 1988, ch. 15, art. 1(1),(2),(3).

[11] Se reporter à Composers, Authors and Publishers Assoc. of Canada Limited v. CTV Television Network Limited et al., supra, note 1, aux p. 681 et 682, où le juge Pigeon dit ce qui suit : [traduction] « Il y a lieu de noter que, dans la Convention de Rome, il ressort doublement de l’emploi des termes “au public” et “radiodiffusion” que seules les exécutions ou les communications publiques sont visées. Cela est compatible avec la définition générale de “droit d’auteur” qui, comme le prévoit le paragraphe 3(1) de la Loi, s’applique à toute reproduction d’une œuvre mais, en ce qui concerne l’exécution, seulement à celle qui a lieu “en public”. »

[12] Id., à la p. 680.

[13] Id., à la p. 682.

[14] Se reporter à la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange CanadaÉtats-Unis, L.C. 1988, ch. 65, art. 61 à 65.

[15] Se reporter à la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange CanadaÉtats-Unis, Projet de loi C-2, première lecture, art. 61 et 62.

[16] L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 35(1), dont voici le libellé : « Les définitions qui suivent s’appliquent à tous les textes ... “radiocommunication” ou “radio” Toute transmission, émission ou réception de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de renseignements de toute nature, au moyen d’ondes électromagnétiques de fréquences inférieures à 3 000 GHz transmises dans l’espace sans guide artificiel ».

[17] Se reporter au jugement Messager v. British Broadcasting Co., [1927] 2 K.B. 543, rendu antérieurement, où le tribunal devait déterminer si la reproduction sonore à l’aide de quelque instrument mécanique incluait celle réalisée au moyen de la téléphonie sans fil.

[18] [1954] R.C.É. 382.

[19] Id., à la p. 408.

[20] Messager v. British Broadcasting Co., [1927] 2 K.B. 543.

[21] Garware Plastics and Polyester Ltd. v. M/S Tele-link A.I.R. 1989 Bombay 331

[22] Chappell& Co. Ltd. v. Associated Radio Co. of Australia Ltd, [1925] V.L.R. 350 (S.C.).

[23] Supra, note 20.

[24] Id., aux p. 548 et 549.

[25] Supra, note 22, à la p. 362.

[26] Supra, note 1. Se reporter également à la décision de la Cour dans Réseau de télévision CTV Ltée c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] 2 C.F. 115 (C.A.).

[27] Se reporter à Mellor v. Australian Broadcasting Commission, [1940] 2 All E.R. 20 (P.C.), à la p. 24, où le Vicomte Maugham écrit ce qui suit au nom du Conseil privé : [traduction] « Que l’exécution en studio soit publique ou privée, lorsque les personnes responsables de cette exécution sont également responsables de la radiodiffusion du morceau, il ne fait aucun doute qu’elles ont facilité l’exécution de l’œuvre, en public, par tout auditeur doté d’un haut-parleur et, par conséquent, en mesure d’assurer l’exécution du morceau en public. La situation du radiodiffuseur, en pareil cas, pour ce qui est de la violation, est prévue au paragraphe 1(2) de la Loi. Il suffit d’établir qu’il a « autorisé » l’exécution des œuvres en public, c.-à-d., en général, en prouvant que les auditeurs titulaires d’une licence pouvaient brancher leurs récepteurs ». [C’est moi qui souligne.]

[28] Assoc. canadienne de télévision par câble c. Canada (Commission du droit d’auteur) (1991), 34 C.P.R. (3d) 521, à la p. 541.

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