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[1993] 3 C.F. 607

A-449-92

Jake Friesen (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Friesen c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Linden et Létourneau, J.C.A.—Vancouver, 8 juin; Ottawa, 30 juin 1993.

Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions — Application de l’art. 10(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu à un risque de caractère commercial — Pertes autres que des pertes en capital déclarées relativement à une participation à une spéculation immobilière — Terrain vierge acquis dans un but de revente à profit — Bien détenu à titre de risque de caractère commercial, considéré comme un bien figurant dans un inventaire, même s’il était l’unique bien porté à l’inventaire — Aucune déduction n’est admissible avant l’aliénation du bien.

Le ministre du Revenu national a refusé d’admettre certaines pertes autres que des pertes en capital déclarées par l’appelant relativement à une spéculation immobilière sur un terrain vierge situé à Calgary acquis en 1982.

Le bien a substantiellement diminué de valeur au cours des années suivant immédiatement son acquisition, et le créancier hypothécaire l’a finalement repris. Invoquant le paragraphe 10(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et l’article 1801 du Règlement de l’impôt sur le revenu, l’appelant a déclaré des pertes d’entreprise de 252 954 $ en 1983, et de 25 800 $ en 1984.

La Section de première instance a confirmé, pour deux motifs, la décision du ministre de rejeter les déductions de l’appelant. (1) Lorsqu’une entreprise n’a qu’un élément dans son inventaire, ses profits ou ses pertes d’entreprise ne peuvent être constatés avant l’aliénation de cet élément puisque avant ce moment il n’y a pas de revenu d’entreprise duquel on peut déduire les coûts. (2) Le paragraphe 10(1) ne s’applique pas à une entreprise qui est un risque de caractère commercial puisque cela conduirait à une absurdité.

Il s’agissait d’un appel contre cette décision.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le juge Létourneau, J.C.A. : L’article 10(1) de la Loi ne s’appliquait pas à un risque de caractère commercial. Il ressort clairement de la définition large de l’expression « entreprise ou affaire » au paragraphe 248(1) de la Loi qu’un risque de caractère commercial est une entreprise ou affaire. Refuser à ceux qui ont pris un risque de caractère commercial la possibilité d’évaluer un bien figurant dans un inventaire en vertu de l’article 10 nécessiterait d’interpréter la définition d’entreprise ou affaire comme si les mots « sauf aux fins de l’article 10 » y figuraient, pour lesquels il n’y avait aucune justification en l’espèce. Selon le libellé actuel de la disposition législative, un bien, y compris un terrain vierge, non détenu en tant qu’actif immobilisé mais dans un but de revente et en tant que risque de caractère commercial, peut être qualifié d’inventaire selon le paragraphe 10(1), et il est éventuellement susceptible de dépréciation. La question n’est pas de savoir s’il est susceptible de dépréciation, mais plutôt quand il l’est.

L’article 10 n’est pertinent qu’à l’égard du calcul du revenu d’entreprise et, en vertu de l’article 9 de la Loi, ce calcul vise une période précise et doit se rapporter à l’année d’imposition du contribuable. Pour qu’un bien constitue un élément d’inventaire au cours d’une année d’imposition au cours de laquelle il n’est pas vendu, il doit y avoir calcul du revenu, c.-à-d. des bénéfices ou des pertes provenant de l’entreprise. Dans les affaires où l’entreprise elle-même consiste à acheter et à revendre un terrain comme c’est le cas en l’espèce, il n’y a pas de recettes ou produits, et donc aucune détermination possible de bénéfices ou pertes d’entreprise au sens du paragraphe 9(1), tant et aussi longtemps que le terrain acheté n’a pas été vendu. Le coût ou la valeur du bien en cause ne pouvait être déduit avant son aliénation parce qu’il était le seul élément d’inventaire, et par conséquent les pertes de l’appelant ne pouvaient être déclarées en 1983 et en 1984. Cela était conforme au principe du « rattachement », qui exige que dans le calcul du revenu, il y ait rattachement du revenu et des dépenses faites pour le gagner.

Le juge Marceau, J.C.A. (motifs concordants quant au résultat) : Le paragraphe 10(1) ne s’applique pas à l’espèce. (1) On ne peut avoir recours à l’article 10 qu’« aux fins du calcul du revenu tiré d’une entreprise au cours d’une année d’imposition ». Il n’y a aucun calcul du revenu quand absolument rien pouvant produire un profit ou occasionner une dépense n’a lieu pendant l’année à l’égard de l’entreprise en question. (2) L’article 10 s’applique à l’« inventaire », dont la définition n’a aucun sens lorsque la totalité de l’entreprise réside dans le seul bien en cause. Son application serait absurde puisque nulle part dans la Loi une disposition exige-t-elle que le contribuable, qui a déclaré une perte en raison de la diminution de la valeur marchande d’un bien acquis dans le cadre d’un risque de caractère commercial, paie des impôts à l’égard de l’augmentation de la valeur marchande en question, au cours des années subséquentes jusqu’à ce qu’il vende le bien. L’article 10, dans le cas d’une entreprise, implique nécessairement la réévaluation et la réduction de la valeur de l’inventaire, lorsque l’on se sert de la valeur marchande des biens figurant à l’inventaire dans le calcul du coût des biens vendus année après année, ce qui n’est pas le cas pour un prétendu risque de caractère commercial mettant en cause un bien unique.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 9, 10(1), 248(1) (mod. par S.C. 1979, ch. 5, art. 66; 1988, ch. 55, art. 188(1)).

Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 1801.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Tobias (D) c. La Reine, [1978] CTC 113; (1978), 78 DTC 6028 (C.F. 1re inst.); Bailey (D.R.) c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 2450; (1990), 90 DTC 1321 (C.C.I.); Van Dongen, Q.C. c. La Reine (1990), 90 DTC 6633; 38 F.T.R. 110 (C.F. 1re inst.); Cyprus Anvil Mining Corp. c. Canada, [1990] 1 C.T.C. 153; (1989), 90 DTC 6063; 104 N.R. 299 (C.A.F.); Canada c. Dresden Farm Equipment Ltd., [1989] 1 C.T.C. 99; (1988), 89 DTC 5019; 91 N.R. 325 (C.A.F.); Ministre du Revenu national c. Shofar Investment Corporation, [1980] 1 R.C.S. 350; (1979), 105 D.L.R. (3d) 486; [1979] CTC 433; 79 DTC 5347; 30 N.R. 60; Oryx Realty Corporation c. M.R.N., [1974] CTC 430; (1974), 74 DTC 6352; 4 N.R. 463 (C.A.F.); West Kootenay Power and Light Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 732; (1991), 92 DTC 6023 (C.A.); Neonex International Ltd c. La Reine, [1978] CTC 485; (1978), 78 DTC 6339; 22 N.R. 284 (C.A.F.); Qualico Developments Ltd c. La Reine, [1984] CTC 122; (1984), 84 DTC 6119; 51 N.R. 387 (C.A.F.).

DÉCISION CITÉE :

Minister of National Revenue v. Irwin, [1964] R.C.S. 662; (1964), 46 D.L.R. (2d) 717; [1964] CTC 362; 64 DTC 5227.

APPEL formé contre une décision de la Section de première instance ([1992] 2 C.F. 552) qui confirmait le refus du M.R.N. d’admettre certaines pertes autres que des pertes en capital déclarées par l’appelant relativement à sa participation à une spéculation immobilière. Appel rejeté.

AVOCATS :

Ian Pitfield pour l’appelant.

Robert McMechan et Al Meghji pour l’intimée.

PROCUREURS :

Thorsteinssons, Vancouver, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Marceau, J.C.A. : J’en suis aussi arrivé à la conclusion que cet appel doit être rejeté. Cependant, comme je ne partage pas tout à fait le point de vue de mon collègue le juge Létourneau, J.C.A., je désire donner mes propres motifs. Ils n’ont pas à être fouillés, et je serai bref.

Mon collègue répond par l’affirmative à la question initiale de savoir si le paragraphe 10(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] s’applique au risque de caractère commercial, la question, pour lui, consistant seulement à savoir quand il s’applique. Le raisonnement suivi semble simple. Dès lors que l’on convient que l’achat du bien Styles à des fins de revente était un risque de caractère commercial (ce qui fait de son rendement un revenu tiré d’une entreprise plutôt que des gains en capital), cette opération se trouve donc visée par la définition de l’expression « entreprise ou affaire » au paragraphe 248(1) [mod. par S.C. 1979, ch. 5, art. 66] de la Loi, et puisque le paragraphe 10(1) n’est pas une des dispositions à l’égard de laquelle l’assimilation d’un risque de caractère commercial à une entreprise est exclue, la disposition s’applique.

En toute déférence, je ne suis pas d’accord. À mon avis, la disposition ne s’applique pas, ni dans l’année de l’aliénation, lorsque, de toute façon, il serait, selon moi, trop tard et inutile, ni au cours des années entre l’acquisition et la vente. Je laisse de côté les moyens de l’avocat de l’intimée, fondés sur la proposition selon laquelle l’application de la section serait contraire à l’obligation fondamentale, pour le contribuable, d’utiliser dans le calcul de ses profits et pertes, la méthode donnant de ses revenus l’image la plus exacte et la plus véridique. Je crois plus simplement que le libellé de l’article n’en permet pas l’application dans les circonstances, et je partage le point de vue du juge de première instance [[1992] 2 C.F. 552] selon lequel, si ce n’était pas le cas, l’application de la disposition conduirait à une absurdité.

Pour ce qui est du libellé, je constate, tout d’abord, que l’on ne peut avoir recours à l’article 10 qu’« aux fins du calcul du revenu tiré d’une entreprise au cours d’une année d’imposition ». J’estime qu’il n’y a aucun calcul du revenu quand absolument rien, aucune opération pouvant produire un profit ou occasionner une dépense, n’a lieu pendant l’année à l’égard de l’entreprise en question. La formule mathématique comportant les chiffres zéro proposée par l’avocat n’est que cela : une formule mathématique. Je note, ensuite, que l’article 10 s’applique à l’« inventaire » que l’article 248 de la Loi définit comme étant « la description des biens dont le prix ou la valeur entre dans le calcul du revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise pour une année d’imposition ». Il me semble que cette définition n’a aucun sens lorsque la totalité de l’entreprise réside dans le seul bien en cause.

Quant à l’absurdité que j’évoque, elle découlerait du fait que nulle part dans la Loi une disposition exige-t-elle que le contribuable, qui a déclaré une perte en raison de la diminution de la valeur marchande d’un bien acquis dans le cadre d’un risque de caractère commercial, paie des impôts au cours des années subséquentes jusqu’à ce qu’il vende le bien, à l’égard de l’augmentation de la valeur marchande en question. Seul l’article 9 pourrait être invoqué, en se fondant sur la proposition voulant que le contribuable qui a décidé de faire une déclaration à l’égard de son [traduction] « risque qui se continue dans le temps », doit continuer de le faire chaque année subséquente en dépit des problèmes d’ordre pratique évidents. Il me semble que l’on pourrait difficilement interpréter l’article 9 comme s’il avait implicitement un effet aussi extraordinaire. L’évaluation des inventaires dans une entreprise commerciale découle naturellement de l’exercice de l’entreprise; on ne peut évidemment pas dire la même chose à l’égard d’un risque de caractère commercial concernant un bien unique. En d’autres mots, l’article 10, dans le cas d’une entreprise, implique nécessairement la réévaluation et la réduction de la valeur de l’inventaire, lorsque l’on se sert de la valeur marchande des biens figurant à l’inventaire dans le calcul du coût des biens vendus année après année, ce qui n’est pas le cas pour un prétendu risque de caractère commercial mettant en cause un bien unique.

Conséquemment, comme mon collègue le juge Létourneau, je rejetterais l’appel avec dépens.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Létourneau, J.C.A. :

Les faits et les questions en litige

Il s’agit d’un appel interjeté contre la décision d’un juge de la Section de première instance de cette Cour, par laquelle il confirmait le refus du ministre du Revenu national d’admettre certaines pertes autres que des pertes en capital déclarées par l’appelant relativement à sa participation à une spéculation immobilière sur un bien situé dans la ville de Calgary. Le bien était connu comme étant le [traduction] « bien Styles ».

Les faits ne sont pas contestés. L’appelant fait partie d’un groupe qui a acheté, en janvier 1982, une parcelle de terrain vierge dans la ville de Calgary. Le terrain a été enregistré au nom du Trinity Western College, qui a détenu le bien en qualité de mandataire du groupe.

Le « bien Styles » a été acheté dans un but de revente à profit. Une partie des profits escomptés devait être versée au College à titre de don de charité et à d’autres œuvres de charité, et le reste des profits devait être réparti, de façon proportionnelle, entre les membres du groupe, dont l’appelant.

Malheureusement, le bien a substantiellement diminué de valeur pendant les années ayant suivi son acquisition, et le créancier hypothécaire l’a repris en 1986. En 1983 et en 1984, l’appelant a évalué sa part du bien au montant le moins élevé du coût qu’il a supporté et de la juste valeur marchande du bien, conformément au paragraphe 10(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et de l’article 1801 [Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945] selon son libellé de l’époque, et il a déclaré des pertes d’entreprise pour les années concernées (252 954 $ en 1983 et 25 800 $ en 1984) dans ses déclarations d’impôt. Ce sont ces pertes que le ministre du Revenu national a rejetées. J’ajouterais que la somme réclamée pour 1983 a été jugée erronée, et on a convenu que le bon montant était 197 690 $.

Cet appel soulève la question de savoir si l’article 10 de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui traite de l’évaluation d’un bien figurant dans un inventaire, s’applique à un bien détenu à titre de risque de caractère commercial. Si c’est le cas, on demande de décider quand il pourrait y avoir dépréciation de ce bien. En d’autres termes, on nous demande de décider, à cet égard, si les pertes subies mais non matérialisées, imputables à la diminution de la valeur du bien dont l’appelant était encore propriétaire à l’époque, pouvaient être déduites de son revenu.

La décision contestée en appel

La Section de première instance de cette Cour a confirmé, pour deux motifs, la décision du ministre de rejeter les déductions de l’appelant à l’égard de ses pertes d’entreprise en 1983 et 1984. En gros, le juge de première instance a conclu que lorsqu’une entreprise n’a qu’un élément dans son inventaire, ses profits ou ses pertes d’entreprise ne peuvent être constatés avant l’aliénation de cet élément puisque avant ce moment, il n’y a pas de revenu d’entreprise duquel on peut déduire les coûts. Conséquemment, le paragraphe 10(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui permet de réduire la valeur du bien qualifié d’inventaire, ne s’appliquerait pas et par conséquent, au cours d’une année où le bien n’est pas aliéné, les coûts n’entreraient pas dans le calcul du revenu aux fins de l’impôt de l’année en cause. Il a aussi conclu que le paragraphe 10(1) ne s’applique pas à une entreprise qui est un risque de caractère commercial puisque cela conduirait à une absurdité. Conséquemment, le paragraphe 10(1) ne s’appliquerait que lorsque le revenu d’entreprise découle de l’exploitation d’une entreprise, par opposition à un simple risque de caractère commercial.

Ce sont les deux questions sur lesquelles je vais me pencher, mais dans l’ordre inverse.

Le paragraphe 10(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’applique-t-il à un risque de caractère commercial

L’avocat de l’intimée soutient que le paragraphe 10(1) a été inclus dans la Loi pour donner un statut légal au principe de common law selon lequel seules « les entreprises commerciales ordinaires » peuvent invoquer la règle du montant le moins élevé du coût supporté par le contribuable et de la juste valeur marchande des biens figurant dans un inventaire, et que la disposition susmentionnée ne visait pas à étendre l’application de cette règle aux opérations uniques. Il se peut, comme le laisse entendre l’avocat de l’intimée, que telle était l’intention poursuivie mais, en toute déférence, ce n’est assurément pas ce qui a été fait.

Le paragraphe 248(1) de la Loi définit l’expression « entreprise ou affaire » comme suit :

248. …

« entreprise ou affaire » comprend une profession, un métier, un commerce, une manufacture ou une activité de quelque genre que ce soit et, sauf aux fins de l’alinéa 18(2)(c), comprend un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial mais ne comprend pas une charge ni un emploi. [C’est moi qui souligne.]

Il ressort clairement de cette définition large qu’un risque de caractère commercial est une entreprise ou affaire[1]. L’intimée ne le conteste pas. Ce qu’elle veut, toutefois, c’est interpréter cette définition comme si les mots [traduction] « sauf aux fins de l’article 10 » y figuraient et, par conséquent, ajouter une autre exception à la définition qui aurait pour effet de refuser à ceux qui ont pris un risque de caractère commercial la possibilité d’évaluer un bien figurant dans un inventaire conformément à l’article 10. Nous ne pouvons souscrire à cette prétention, d’autant plus qu’il y a des preuves, tirées de la définition même comme elle était rédigée alors et comme elle a été modifiée en 1988, que le Parlement a exclu le risque de caractère commercial lorsqu’il a jugé bon de le faire[2]. Sauf dans le contexte d’une contestation fondée sur la Charte, le pouvoir discrétionnaire des juges ne leur permet pas de voir dans une disposition ce que les parties ou eux-mêmes souhaiteraient y lire.

Il est vrai que la règle ayant trait à l’inventaire s’explique mieux dans le contexte d’une entreprise commerciale ordinaire se livrant régulièrement à l’achat et à la vente de biens, ce qui rend plus difficile le calcul du coût réel et du prix de vente de chaque bien. La règle se révèle alors la seule méthode valable de calcul des profits tirés des ventes faites au cours de l’année. Tout comme le juge Martland dans l’arrêt Minister of National Revenue v. Irwin[3], je doute que l’on ait besoin d’appliquer la règle en question à une affaire comme la présente dans laquelle il n’existe qu’un bien unique, dont le coût réel et le prix de vente éventuel peuvent être facilement établis. Mais je ne puis conclure que l’application de la règle à un risque de caractère commercial mènerait nécessairement à une absurdité. Le fait que le risque de caractère commercial donne lieu à un moins grand nombre d’opérations que ne le fait une entreprise commerciale ordinaire ne rend pas l’article 10 inopérant à l’égard du premier.

Selon la disposition législative dans son libellé présent, un bien, y compris un terrain vierge, non détenu comme actif immobilisé mais dans un but de revente et en tant que risque de caractère commercial, peut être qualifié d’inventaire selon le paragraphe 10(1), et il est éventuellement susceptible de dépréciation[4]. La question n’est pas de savoir s’il est susceptible de dépréciation mais plutôt quand il l’est.

L’appelant peut-il appliquer le paragraphe 10(1) aux années d’imposition 1983 et 1984

Comme l’a conclu notre Cour dans l’arrêt Cyprus Anvil Mining Corp. c. Canada, l’article 10 de la Loi de l’impôt sur le revenu est une disposition d’application générale qui accorde au contribuable la possibilité de choisir sa méthode d’évaluation d’inventaire sans se référer à une période précise, et le paragraphe 10(1) n’est pas une disposition particulière qui l’emporte sur la disposition générale, l’article 9 en l’occurrence, qui établit les règles générales applicables à la détermination du revenu d’entreprise[5]. Cela signifie donc que l’article 10 n’est pertinent qu’à l’égard du calcul du revenu d’entreprise et, en vertu de l’article 9 de la Loi, ce calcul vise une période précise et doit se rapporter à l’année d’imposition du contribuable.

Il est clair que l’évaluation d’un bien figurant dans un inventaire, autorisée par le paragraphe 10(1) de la Loi, est faite « [a]ux fins du calcul du revenu tiré d’une entreprise ». Selon le paragraphe 9(1) de la Loi, le revenu que le contribuable tire d’une entreprise pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année. De plus, la définition d’« inventaire », au paragraphe 248(1) de la Loi, est aussi rattachée au revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise pour une année d’imposition :

248.

« inventaire » signifie la description des biens dont le prix ou la valeur entre dans le calcul du revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise pour une année d’imposition;

Dans l’arrêt Canada c. Dresden Farm Equipment Ltd., qui traitait de marchandises consignées sur lesquelles le contribuable n’avait aucun droit de propriété[6], le juge Urie, J.C.A., aux motifs duquel ont concouru les deux autres membres du tribunal, a décrit comme suit le rapport entre les paragraphes 9(1), 10(1) et 248(1) :

Tout d’abord, les définitions sont claires : pour être considéré comme « inventaire » pour une année d’imposition donnée, le prix ou la valeur du bien doit entrer dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise pour cette année d’imposition. En vertu du paragraphe 9(1), le revenu tiré d’une entreprise pour une année d’imposition est le bénéfice tiré pour cette année. La citation suivante illustre bien l’importance de l’inclusion de l’« inventaire » dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise pour une année d’imposition; il s’agit d’un extrait de la décision unanime rendue par le juge Martland au nom de la Cour suprême du Canada dans M.R.N. c. Shofar Investment Corporation , [1979] C.T.C. 433 à 435; 79 D.T.C. 5347 à 5348, qui souscrit à l’opinion du juge en chef Jackett de la Cour fédérale :

… Comme le souligne le juge en chef Jackett, l’usage « qui est devenu un principe de droit » dans le calcul du profit d’une entreprise commerciale, veut qu’on déduise du produit total des ventes le coût des ventes , calculé en ajoutant la valeur attribuée aux stocks au début de l’année au coût des acquisitions durant l’année, moins la valeur de l’inventaire à la fin de l’année. (Soulignement ajouté.)

Les paragraphes (2) et (3) de l’art. 14 de la Loi [maintenant les art. 10(1), 9(2)] contiennent des dispositions impératives relativement à l’évaluation des stocks :

14.(2) Aux fins du calcul du revenu, les biens décrits dans un inventaire doivent être évalués à leur prix coûtant pour le contribuable ou à leur juste valeur marchande, selon le moindre des deux, ou de telle autre manière que les règlements peuvent autoriser.

(3) Nonobstant le paragraphe (2), aux fins du calcul du revenu pour une année d’imposition, les biens décrits dans un inventaire au commencement de l’année doivent être évalués au même montant que celui auquel ils l’ont été à l’expiration de l’année précédente, aux fins du calcul du revenu pour cette année précédente.

La valeur des stocks, utilisée pour établir le profit, est calculée sur la base du prix coûtant ou de la valeur marchande, selon le moindre des deux, ou de telle autre manière que les règlements peuvent autoriser. Donc, en vertu du par. 14(2), le coût d’un bien en stock est un facteur pertinent quand il s’agit d’établir la valeur des stocks.

Il est donc clair que pour qu’un bien soit désigné comme un élément de l’inventaire aux fins fiscales, pour une année où il n’a pas été vendu, il doit s’agir d’un bien qui serait inclus dans le calcul du revenu (c’est-à-dire des bénéfices) aux fins fiscales. C’est ce que prévoit la définition du paragraphe 248(1). Le cas échéant, la valeur du bien doit être calculée conformément au paragraphe 10(1), c’est-à-dire le moins élevé du coût supporté par le contribuable ou de sa juste valeur marchande, ou de telle autre manière que les règlements peuvent autoriser, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Dans les circonstances qui nous préoccupent, il ne peut y avoir de « coût » supporté par le contribuable avant que les marchandises consignées ne soient vendues. On ne peut non plus leur attribuer une « valeur » à titre d’élément de l’inventaire aux fins du calcul du revenu imposable du contribuable[7].

Comme il appert de cette décision de notre Cour, un bien constitue un élément d’inventaire au cours d’une année d’imposition parce que son coût ou sa valeur sont pertinents au calcul du revenu d’entreprise pendant cette année-là. Il en est ainsi dans l’année au cours de laquelle le bien est vendu. Un bien peut être qualifié d’élément d’inventaire au cours d’une année d’imposition pendant laquelle il n’est pas vendu s’il entre dans le calcul du revenu tiré de cette entreprise dans l’année en question. Il doit toutefois y avoir calcul du revenu, c’est-à-dire des bénéfices ou des pertes, provenant de l’entreprise.

Dans les affaires où l’entreprise elle-même consiste à acheter et à revendre un terrain comme c’est le cas en l’espèce, il n’y a pas de recettes ou produits, et donc aucune détermination possible de bénéfices ou pertes d’entreprise au sens du paragraphe 9(1), tant et aussi longtemps que le terrain acheté n’a pas été vendu. L’évaluation d’un bien figurant dans un inventaire selon le paragraphe 10(1) devient alors pertinente au calcul des bénéfices, c’est-à-dire du revenu d’entreprise, pour cette année parce qu’elle détermine le coût de la vente. Lorsqu’il y a plus d’une vente et plus d’un bien figurant à l’inventaire, le coût des ventes est « calculé en ajoutant la valeur attribuée aux stocks au début de l’année au coût des acquisitions durant l’année, moins la valeur de l’inventaire à la fin de l’année »[8]. Comme le montrent ces dispositions, la valeur de l’inventaire importe au calcul des bénéfices tirés d’une entreprise, et le coût d’un élément d’inventaire, comme l’a statué la Cour suprême, « peut … modifier le calcul du profit brut de l’entreprise, mais il n’est pas, en soi, déductible du revenu du contribuable.[9] »

Notre Cour a tiré une conclusion semblable dans l’arrêt Oryx Realty Corporation c. M.R.N. lorsqu’elle vérifiait les bénéfices découlant du revenu d’entreprise d’une compagnie immobilière privée. La Cour a conclu qu’avant la vente, le coût du terrain n’était pas déductible parce qu’il n’y avait pas de prix de vente dont on aurait pu le déduire[10].

À mon avis, le juge de première instance a eu raison de conclure que le coût ou la valeur du « bien Styles » ne pouvait être déduit avant son aliénation parce qu’il était le seul élément d’inventaire, et par conséquent que les pertes de l’appelant ne pouvaient être déclarées en 1983 et en 1984. Cela était conforme au principe du « rattachement », qui exige que dans le calcul du revenu, il y ait rattachement du revenu et des dépenses faites pour le gagner[11]. En l’espèce il n’y avait, tout d’abord, aucun revenu d’entreprise et aucune déclaration d’un revenu de ce genre en 1983 et en 1984 que l’on aurait pu rattacher aux pertes déclarées par l’appelant et, deuxièmement, ces pertes subies dans le but de produire plus tard un revenu d’entreprise dans le cadre d’un risque de caractère commercial ne pouvaient se rattacher à un revenu tiré d’une autre source ni en être déduites lorsqu’elles n’avaient pas été engagées pour tirer ce revenu de cette autre source.

Je rejetterais l’appel avec dépens.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] Voir les arrêts Tobias (D) c. La Reine, [1978] CTC 113 (C.F. 1re inst.); Bailey (D.R.) c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 2450 (C.C.I.); Van Dongen, Q.C. c. La Reine (1990), DTC 6633 (C.F. 1re inst.).

[2] La définition a été modifiée en 1988 de façon à y inclure deux autres exceptions (art. 54.2 et art. 10.6(14)f)), mais non pas art. 10 comme le prétend l’intimée. Voir L.C. 1988, ch. 55, art. 188(1).

[3] [1964] R.C.S. 662, aux p. 664 et 665.

[4] Bailey (D.R.) c. M.R.N., précité, note 1; Van Dongen, Q.C. c. La Reine, précité, note 1.

[5] [1990] 1 C.T.C. 153 (C.A.F.), à la p. 158.

[6] [1989] 1 C.T.C. 99 (C.A.F.).

[7] Id., aux p. 105 et 106.

[8] Ministre du Revenu national c. Shofar Investment Corporation, [1980] 1 R.C.S. 350, à la p. 354.

[9] Id., à la p. 355, motifs du juge Martland

[10] [1974] CTC 430 (C.A.F.), à la p. 434.

[11] West Kootenay Power and Light Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 732 (C.A.); Neonex International Ltd c. La Reine, [1978] CTC 485 (C.A.F.); Qualico Developments Ltd c. La Reine, [1984] CTC 122 (C.A.F.).

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