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[1993] 2 C.F. 391

T-2922-91

Ken Rubin (requérant)

c.

Greffier du Conseil privé (intimé)

Répertorié : Rubin c. Canada (Greffier du Conseil privé) (1re inst.)

Section de première instance, juge Rothstein—Ottawa, 13 janvier et 2 mars 1993.

Accès à l’information — Demande de révision du refus, fondé sur les art. 35, 16(1)c) de la Loi sur l’accès à l’information, de divulguer les communications échangées entre le BCP et le Commissaire à l’information concernant des plaintes antérieures — Ni l’art. 35 ni l’art. 16(1)c) ne constituent des motifs valables du refus de communication en l’espèce — L’art. 35 s’applique — au cours de l’enquête [menée sur la plainte] — et non après la conclusion de l’enquête du Commissaire — Sens du terme — observations — figurant à l’art. 35 — L’art. 16(1)c) justifie non pas la confidentialité à l’égard du processus d’enquête du Commissaire à l’information mais la confidentialité qui se rapporte aux documents relatifs à des cas particuliers.

Il s’agit d’une demande de révision du refus de divulguer les communications échangées entre le Bureau du Conseil privé (BCP) et le Commissaire à l’information et les notes de service internes concernant les plaintes du requérant au sujet de deux rejets antérieurs des demandes de renseignements sur le traitement des personnes nommées par le gouvernement. La demande a été rejetée en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur l’accès à l’information qui prévoit que « Au cours de l’enquête [menée sur la plainte] … nul n’ayant le droit absolu … lorsqu’une autre personne présente des observations au Commissaire à l’information, … d’en recevoir communication ». En confirmant ce refus, le Commissaire à l’information a fait savoir que l’alinéa 16(1)c) s’appliquait également. Cet alinéa prévoit que le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire au déroulement d’enquêtes licites. Le requérant prétend que l’article 35 ne s’applique pas parce qu’il ne fait pas partie de la section de la Loi qui énumère des motifs précis permettant de refuser de communiquer des renseignements de l’administration fédérale. Il soutient également que dès que le Commissaire a terminé son enquête, l’article 35 n’accorde plus aucune protection. Il est allégué en outre que le terme « observations » ne désigne que les documents effectivement transmis au Commissaire par l’institution fédérale et non les documents internes ou projets de documents qui ont été rédigés avant la rédaction de la version définitive des observations. Il s’oppose également à la « citation inopportune » de l’alinéa 16(1)c), parce qu’il n’a été mis au courant du fait que cet alinéa était invoqué comme moyen subsidiaire pour refuser l’accès demandé que lorsqu’il a reçu la lettre du Commissaire. Il fait valoir que l’institution fédérale nommée dans une demande de communication n’est tenue de se fonder que sur les motifs qu’elle a initialement énoncés dans son avis de refus.

La question se pose de savoir si les articles 35 et 16 prévoient un motif valable pour rejeter la demande de communication.

Jugement : la demande doit être accueillie. Le document doit être communiqué, sauf trois pages se rapportant à la demande de communication antérieure du requérant qui a été rejetée en vertu d’autres dispositions de la Loi.

Ni l’article 35 ni l’alinéa 16(1)c) ne constituent des motifs valables pour refuser la demande de communication. On doit assimiler aux « observations » les documents menant aux observations finalement présentées au Commissaire à l’information. Ce mot est suffisamment large pour comprendre toutes les versions provisoires et tous les documents d’appui qui sont rédigés au sein d’une institution fédérale dans le but de communiquer avec le Commissaire à l’information. Les communications préparées par le Commissaire à l’information à l’intention d’une institution fédérale seraient également visées si elles portaient sur des observations formulées par l’institution fédérale. La plupart des procédures sont régies par les règles de la justice naturelle et de l’équité procédurale. Elles doivent être publiques, et les parties devraient connaître les arguments de l’autre partie afin d’y répondre. Les procédures en matière d’accès à l’information sont différentes, parce qu’elles portent sur la question de savoir si les renseignements qui font l’objet de la procédure devraient ou non être gardés confidentiels. Une discussion ouverte sur l’opportunité de garder ou non les renseignements confidentiels pourrait révéler les renseignements confidentiels. C’est l’une des raisons qui explique l’existence de l’article 35. Une seconde raison se rapporte au rôle du Commissaire à l’information. Un commissaire crédible et efficace devrait avoir un pouvoir de persuasion suffisamment important pour encourager le règlement volontaire des demandes de renseignements qui se trouvent entre les mains de l’administration fédérale. Un aspect important du développement de cette crédibilité et de cette efficacité est le respect de la stricte confidentialité des renseignements qui sont communiqués au Commissaire. L’amélioration du pouvoir de persuasion du Commissaire à l’information s’accorde avec l’objectif qui veut que l’on règle rapidement et à peu de frais les demandes de communication. La divulgation forcée des observations pourrait rendre le rôle du Commissaire à l’information plus formel et diminuer l’efficacité du processus. Cela ne favorise pas l’accès rapide aux renseignements de l’administration fédérale, lequel accès constitue la raison d’être de la Loi. Malgré ces remarques et le fait que le législateur fédéral voulait que le Bureau du Commissaire à l’information soit un médiateur efficient et efficace dans les différends portant sur l’accès aux renseignements de l’administration fédérale, il est clair que l’article 35 s’applique seulement « au cours de l’enquête [menée sur la plainte] », et non après la conclusion de l’enquête. L’interdiction de communication n’est pas limitée aux documents « délicats ».

La confidentialité justifiée par l’alinéa 16(1)c) se rapporte aux documents relatifs à des cas particuliers. L’alinéa 16(1)c) n’est pas une disposition procédurale qui justifie la confidentialité à l’égard du processus d’enquête du Commissaire à l’information. Interpréter ainsi l’alinéa 16(1)c) rendrait superflues la plupart des dispositions de l’article 35.

Trois pages du document demandé semblent renfermer des renseignements confidentiels se rapportant à l’objet de la demande de communication que le requérant a présentée au sujet du traitement des personnes nommées par le gouvernement. Cette question doit d’abord être entendue et tranchée par la Cour. La divulgation de ces pages à la suite de la présente instance entraînerait la communication de certains renseignements qui peuvent faire l’objet de la demande antérieure du requérant sans que cette demande antérieure soit tranchée au fond. On ne devrait pas se servir d’une demande de communication comme moyen détourné pour obtenir la communication de renseignements qui font l’objet d’une autre procédure. Le processus ne devrait pas non plus se solder par l’examen des renseignements dans le cadre de trois audiences distinctes. Les procédures d’accès à l’information qui renferment des demandes de communication d’observations présentées au Commissaire à l’information ne devraient pas, à moins que des circonstances spéciales ne le justifient, être entendues et tranchées avant que ne soit jugée la demande substantielle d’accès à l’origine de l’instance qui se déroule devant le Commissaire à l’information. Cela n’exclut pas la possibilité de combiner la demande initiale et la demande de communication d’observations dans certaines circonstances.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 4, 16(1)(c), 21(1), 35, 36 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187), 41, 61, 62, 64.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

American Airlines, Inc. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1989] 2 C.F. 88; (1988), 54 D.L.R. (4th) 741; 33 Admin. L.R. 229; 23 C.P.R. (3d) 178; 89 N.R. 241 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1992] 1 C.F. 77; (1991), 46 F.T.R. 206 (1re inst.); Davidson c. Canada (Procureur général), [1989] 2 C.F. 341; (1989), 36 Admin. L.R. 251; 47 C.C.C. (3d) 104; 24 C.P.R. (3d) 129; 98 N.R. 126 (C.A.).

DEMANDE de révision du refus, fondé sur le paragraphe 35(2) et l’alinéa 16(1)c) de la Loi sur l’accès à l’information, de divulguer les communications échangées entre le Bureau du Conseil privé et le Commissaire à l’information et les notes de service internes concernant les plaintes formulées par le requérant au sujet de deux rejets antérieurs de demandes de renseignements. Demande accueillie, excepté trois pages se rapportant à la demande antérieure du requérant.

ONT COMPARU :

Ken Rubin pour son propre compte.

AVOCATS :

Barbara McIsaac pour l’intimé.

LE REQUÉRANT POUR SON PROPRE COMPTE :

Ken Rubin, Ottawa.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Rothstein : La présente requête est fondée sur l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la « Loi »). Dans la présente requête, Ken Rubin demande à notre Cour de réviser la décision par laquelle le Bureau du Conseil privé (BCP) a refusé la demande d’accès à l’information qu’il a présentée le 1er novembre 1990 en vue d’obtenir :

[traduction] les documents contenant la correspondance et les communications échangées entre vous-mêmes et le Commissaire à l’information ou votre bureau relativement à la plainte que j’ai déposée au sujet des demandes 108-2/896060 et 108-2/886055 du BCP, ainsi que toute note de service, note d’information et correspondance internes.

Dans sa demande du 1er novembre, M. Rubin mentionne deux demandes antérieures d’accès à l’information. L’une d’entre elles concerne une demande qu’il a déjà présentée (la demande no 896060) et l’autre, celle d’une autre personne, Don Sellar (demande no 886055). Ces demandes antérieures visaient à obtenir des renseignements concernant les échelles et les taux quotidiens de rémunération de personnes nommées par le gouvernement et, plus précisément, le traitement que touchait Allan Gotlieb, le président du Conseil des arts du Canada, aux termes du décret C.P. 1988-2584. Ces deux demandes antérieures d’accès à l’information ont été refusées par le BCP. À la suite de ces refus, M. Rubin et M. Sellar ont déposé une plainte auprès du Bureau du Commissaire à l’information (« le Commissaire »). Ce bureau a conclu que les refus formulés par le BCP étaient bien fondés. Bien qu’il semble que M. Sellar n’ait pas poussé sa demande plus loin, M. Rubin, suivant la procédure énoncée dans la Loi, a entrepris une autre démarche et a déposé devant notre Cour une demande de révision de la décision par laquelle le BCP avait refusé sa demande (no 896060) (la Cour n’a pas encore été saisie de cette demande de révision).

Le 1er novembre 1990, M. Rubin a déposé auprès du BCP une nouvelle demande dans laquelle il a réclamé les communications échangées entre le BCP et le Commissaire au sujet de sa première demande et de celle de M. Sellar.

Par lettre datée du 17 décembre 1990, le BCP a informé M. Rubin que sa demande était refusée en vertu de l’article 35 de la Loi. Sur réception de cette lettre, M. Rubin a déposé une plainte auprès du Commissaire. Le 8 octobre 1991, le Commissaire a écrit à M. Rubin pour l’informer que le Commissaire était d’avis que le refus du BCP, qui reposait sur l’article 35 de la Loi, était bien fondé. Le Commissaire a également précisé que l’alinéa 16(1)c) de la Loi était un [traduction] « moyen approprié » de refuser la communication. La Cour est maintenant saisie d’une demande de révision de cette demande du 1er novembre 1990.

QUESTIONS EN LITIGE

La présente demande de révision soulève deux points litigieux :

a) Peut-on valablement invoquer l’article 35 de la Loi dans le cas qui nous occupe pour refuser une demande de communication?

b) Peut-on valablement invoquer l’article 16 de la Loi dans le cas qui nous occupe pour refuser une demande de communication?

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Voici les dispositions pertinentes de l’article 16 de la Loi :

16. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents :

c) contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites, notamment :

(i) des renseignements relatifs à l’existence ou à la nature d’une enquête déterminée,

(ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle,

(iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d’une enquête;

L’article 35 de la Loi dispose :

35. (1) Les enquêtes menées sur les plaintes par le Commissaire à l’information sont secrètes.

(2) Au cours de l’enquête, les personnes suivantes doivent avoir la possibilité de présenter leurs observations au Commissaire à l’information, nul n’ayant toutefois le droit absolu d’être présent lorsqu’une autre personne présente des observations au Commissaire à l’information, ni d’en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet :

a) la personne qui a déposé la plainte;

b) le responsable de l’institution fédérale concernée;

c) le tiers visé au paragraphe 27(1), si le Commissaire à l’information a l’intention de recommander, en vertu du paragraphe 37(1), la communication d’un document visé au paragraphe 27(1).

THÈSE DES PARTIES

M. Rubin

M. Rubin a soulevé plusieurs points distincts qui, à mon avis, peuvent être résumés par les deux questions en litige dans la présente demande.

L’ARTICLE 35 :

En ce qui concerne l’article 35 de la Loi, M. Rubin fait valoir que le BCP a commis une erreur en invoquant cet article pour justifier son refus de lui communiquer les documents demandés. Il prétend que l’article 35 ne pouvait être utilisé de cette manière parce qu’il ne fait pas partie de la section intitulée « EXCEPTIONS » de la Loi, c’est-à-dire des articles 13 à 26 de la Loi, qui énumèrent des motifs précis qui permettent de refuser de communiquer des renseignements de l’administration fédérale. Dans sa plaidoirie, il a effectivement reconnu que l’article 35 pouvait être invoqué comme motif de refus de communication de documents « délicats ». Il a toutefois ajouté que tout élément d’information « délicat » pouvait également être exempté en vertu de l’une des exceptions spécifiques prévues par la Loi.

En outre, il affirme que l’expression « au cours de l’enquête [menée sur la plainte] » contenue à l’article 35 devait être interprétée de telle manière que dès que le Commissaire a terminé son enquête, toute protection dont bénéficient les observations présentées au cours de cette enquête prend fin. Il soutient aussi que l’on doit interpréter le terme « observations » comme ne désignant que les documents effectivement transmis au Commissaire par l’institution fédérale et non les documents internes ou projets de documents qui ont été rédigés avant la rédaction de la version définitive des observations.

M. Rubin affirme également qu’en acceptant que le BCP a eu raison d’invoquer l’article 35 pour refuser sa demande de communication, le Commissaire faisait volte-face en ce qui concerne la politique suivie jusque là par ce bureau, et que, ce faisant, il entraverait à l’avenir la communication de renseignements de l’administration fédérale. Il a produit une lettre de l’ancienne Commissaire dans laquelle celle-ci, dans un cas où le gouvernement avait invoqué l’article 35 pour s’opposer à la communication, n’avait pas considéré que le BCP avait raison d’invoquer l’article 35 pour refuser une demande de communication d’observations présentées à la Commissaire.

L’ALINÉA 16(1)c) :

M. Rubin s’est concentré sur ce qu’il a appelé la [traduction] « citation inopportune » de l’alinéa 16(1)c) de la Loi. Il s’est dit d’avis que le BCP n’avait pas précisé au départ qu’il invoquait l’alinéa 16(1)c) de la Loi pour s’opposer à la communication. M. Rubin a ajouté qu’il n’avait été mis au courant du fait que cet alinéa était invoqué comme moyen subsidiaire pour refuser la communication des documents demandés que lorsqu’il a reçu la lettre du 8 octobre 1991 dans laquelle le Commissaire a appuyé le BCP dans son refus de communiquer les renseignements demandés.

À l’appui de cette prétention, M. Rubin invoque le jugement X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1992] 1 C.F. 77 (1re inst.) et l’arrêt Davidson c. Canada (Procureur général), [1989] 2 C.F. 341 (C.A.). L’idée maîtresse de ces précédents se trouve dans l’arrêt Davidson, dans lequel, prétend M. Rubin, il a été jugé que l’institution fédérale nommée dans une demande de communication n’est tenue de se fonder que sur les motifs qu’elle a initialement énoncés dans son avis de refus.

M. Rubin soutient en outre que même s’il a raison d’invoquer l’alinéa 16(1)c), le BCP ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il subirait probablement un préjudice si les renseignements étaient divulgués.

LE BCP

L’ARTICLE 35 :

L’avocate du BCP s’est dite d’avis que le libellé de l’article 35 est clair et qu’il énonce que nul n’a le droit absolu de recevoir communication des observations présentées au Commissaire à l’information. Elle a justifié sa prétention de la façon suivante :

[traduction] (i) Il arrive que, dans les observations présentées au Commissaire pour justifier la décision de refuser une demande de communication, les documents dont on demande communication soient cités en détail. La communication d’observations présentées au Commissaire mettrait en échec le refus initial formulé par l’institution fédérale et nierait à celle-ci le droit de protéger la confidentialité jusqu’à ce que la Cour rende une décision sur le refus initial.

(ii) Le rôle du Commissaire est semblable à celui d’un protecteur du citoyen ou d’un médiateur. Pour qu’il puisse effectivement agir à ce titre, il est essentiel que tous fassent preuve de franchise. On ne pourra obtenir cette franchise que si les intéressés sont entièrement assurés que les renseignements fournis au Commissaire demeureront confidentiels.

L’avocate du BCP prétend également que l’expression « au cours de l’enquête [menée sur la plainte] » ne limite pas la période de confidentialité à la seule période au cours de laquelle le Commissaire mène son enquête sur une plainte. La confidentialité des observations présentées au Commissaire à l’information doit plutôt être maintenue de façon permanente.

Quant au terme « observations », l’avocate prétend que doivent y être assimilés tous les éléments d’information que crée l’institution fédérale pour se préparer à répondre au Commissaire, ainsi que les communications envoyées par le Commissaire à l’institution fédérale.

En réponse à la prétention que les exceptions à la communication doivent être justifiées par l’une des dispositions de la partie de la Loi relative aux « EXCEPTIONS », l’avocate du BCP soutient que l’article 35 n’a pas pour objet de protéger des éléments d’information substantiels déterminés, mais de protéger le déroulement de l’enquête du Commissaire. Il n’est donc pas conçu de manière à être invoqué de la même manière que les exceptions précises énoncées aux articles 13 à 26. À l’appui de cette prétention, l’avocate invoque l’article 4 de la Loi, qui dispose que le droit d’accès est accordé « [s]ous réserve des autres dispositions de la présente loi ». L’article 35 de la Loi constitue donc une restriction légitime au droit d’accès aux renseignements de l’administration fédérale.

Pour étayer davantage sa thèse, l’avocate du BCP cite plusieurs articles de la Loi, qui obligent le Commissaire à préserver la confidentialité, par exemple les paragraphes 36(3) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187] et 36(5) et les articles 61, 62 et 64. Elle affirme qu’il ressort de ces dispositions que le législateur fédéral a bien pris soin de s’assurer que les renseignements fournis au Commissaire au cours d’une enquête demeurent confidentiels. Permettre à une personne d’avoir accès aux mêmes éléments d’information par le simple dépôt d’une demande de communication irait à l’encontre des dispositions en question de la Loi.

L’avocate du BCP affirme également que, conformément au rôle traditionnel de protecteur du citoyen, le Commissaire possède des pouvoirs d’enquête extrêmement étendus, mais qu’il n’a qu’un pouvoir de persuasion pour donner effet à ses recommandations. En conséquence, pour être efficace, le Commissaire doit favoriser l’existence d’un climat de confiance, de franchise et de respect entre son bureau et les personnes intéressées. On ne peut obtenir ce type de relation que si le Commissaire peut garantir la confidentialité à tous les intéressés. Une interprétation libérale de l’article 35 s’accorde selon elle avec cet objectif.

L’ALINÉA 16(1)c) :

En réponse à la prétention de M. Rubin suivant laquelle l’alinéa 16(1)c) de la Loi a été invoqué de manière « inopportune », l’avocate du BCP fait valoir que le raisonnement suivi dans l’arrêt Davidson, précité, est que tous les motifs invoqués pour s’opposer à la communication devraient être examinés à fond à toutes les étapes de la procédure (voir page 348). Étant donné que l’alinéa 16(1)c) a été invoqué la première fois en l’espèce comme motif d’exemption par le Commissaire lui-même, la question doit avoir été examinée à fond à l’étape où le Commissaire à l’information était saisi de la question.

Quant à la prétention qu’il n’y a pas de preuve directe démontrant que la communication des observations précises causera probablement un préjudice en l’espèce, l’avocate du BCP affirme que l’alinéa 16(1)c) a été invoqué pour protéger le processus du Commissaire à l’information et que, pour cette raison, il n’est pas nécessaire de justifier la confidentialité en se fondant sur des éléments d’information déterminés contenus dans le document.

ANALYSE

La Loi sur l’accès à l’information a pour objet de créer le droit à la communication des renseignements de l’administration fédérale. Des exceptions sont reconnues mais elles sont limitées et précises. Aux termes de l’article 4, le droit d’accès est accordé « [s]ous réserve des autres dispositions de la présente loi ». Le droit n’est donc pas absolu.

Le paragraphe 35(2) de la Loi commence par les mots suivants :

35. …

(2) Au cours de l’enquête [menée sur la plainte par le Commissaire à l’information], …

Ce paragraphe renferme aussi la disposition suivante :

nul n’ayant toutefois le droit absolu d’être présent lorsqu’une autre personne présente des observations au Commissaire à l’information, ni d’en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet.

Le sens de ces mots ne fait aucun doute : nul n’a de plein droit accès aux observations présentées au Commissaire au cours d’une enquête.

Quant à la prétention de M. Rubin suivant laquelle cet article restreint uniquement l’accès aux documents délicats, l’interdiction de communication n’est restreinte par aucun mot comme le mot « délicat ». Il est manifeste que l’article 35 envisage la situation dans laquelle le Commissaire mène une enquête secrète dans le cadre de laquelle nul n’a le droit de recevoir communication des observations présentées par qui que ce soit.

M. Rubin fait également valoir que le mot « observations » n’englobe pas les documents internes d’une institution fédérale qui peuvent être produits à l’occasion de la préparation d’observations destinées à être présentées au Commissaire à l’information. Il existerait selon lui un droit d’accès à la version provisoire des observations et aux notes de service internes qui contiennent des commentaires sur les observations en question. Cela ne constitue pas selon moi une interprétation raisonnable du mot « observations » dans le contexte de l’article 35, compte tenu également des objectifs de l’article 35. Dans l’arrêt American Airlines, Inc. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1989] 2 C.F. 88 (C.A.), voici ce qu’a déclaré le juge en chef Iacobucci (maintenant juge à la Cour suprême du Canada), au sujet de la détermination de la signification des mots utilisés dans une disposition, à la page 96 :

Pour connaître la signification des mots utilisés dans cette disposition, il y a lieu non seulement d’en vérifier la définition dans le dictionnaire et d’en examiner le contexte, mais également de tenir compte de la nature des questions soulevées dans l’action, ainsi que des objectifs globaux de la loi.

À mon avis, on doit, par déduction nécessaire, assimiler aux « observations » les documents menant aux observations qui sont finalement présentées au Commissaire à l’information. Toute autre interprétation irait à l’encontre de l’objectif visé par l’article 35.

Je suis d’avis que le mot « observations » à l’article 35 est suffisamment large pour comprendre toutes les versions provisoires et documents d’appui qui sont rédigés au sein d’une institution fédérale dans le but de communiquer avec le Commissaire à l’information. Suivant le même raisonnement, les communications préparées par le Commissaire à l’information à l’intention d’une institution fédérale seraient également visées par la restriction à l’accès prévue par l’article 35 si elles portaient sur des observations formulées par l’institution fédérale[1].

Ceci étant dit, il nous reste encore à déterminer si l’article 35 doit être interprété comme limitant l’accès aux observations uniquement au cours de l’enquête menée par le Commissaire à l’information, ou si la restriction se poursuit au-delà de cette période.

L’article 35 est une disposition inusitée. Dans la plupart des procédures, les règles de la justice naturelle ou de l’équité procédurale exigent notamment que la procédure soit publique, que les parties aient le droit de connaître les arguments de l’autre partie, de formuler leurs commentaires au sujet de ceux-ci et d’y répondre. Les procédures en matière d’accès à l’information sont différentes parce qu’elles portent sur la question de savoir si les renseignements qui font l’objet de la procédure devraient ou non être confidentiels. On pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’une discussion ouverte sur l’opportunité de garder ou non les renseignements confidentiels puisse elle-même révéler les renseignements confidentiels. C’est de toute évidence l’une des raisons qui explique l’existence de l’article 35.

Une seconde raison qui explique l’existence de l’article 35 semblerait se rapporter au rôle du Commissaire à l’information. Bien qu’il n’ait pas le pouvoir d’ordonner la communication, un Commissaire crédible et efficace devrait avoir un pouvoir de persuasion suffisamment important pour encourager le règlement volontaire des demandes de renseignements qui se trouvent entre les mains de l’administration fédérale. Dans ce contexte, on doit se rappeler que ces renseignements peuvent être soit des renseignements sur l’administration fédérale, soit des renseignements qui concernent des particuliers ou d’autres personnes et qui se trouvent entre les mains de l’administration fédérale.

Un aspect important du développement de cette crédibilité et de cette efficacité est, à mon avis, le respect de la stricte confidentialité des renseignements qui sont communiqués au Commissaire. D’ailleurs, les dispositions de la Loi qui exigent que le Commissaire à l’information assure de façon permanente la stricte confidentialité des renseignements qui lui sont communiqués appuient cette conclusion. Les intéressés doivent être assurés que le Commissaire à l’information ne divulguera pas les renseignements qui lui sont communiqués.

L’amélioration du pouvoir de persuasion du Commissaire à l’information s’accorde avec l’objectif qui veut que l’on règle rapidement et à peu de frais les demandes de communication. Évidemment, dans le cas où un différend ne pourrait être résolu à l’étape où le Commissaire à l’information est saisi de la question, l’auteur de la plainte peut toujours s’adresser à notre Cour. Cependant, c’est une solution de dernier recours qui ne donnerait probablement pas un résultat aussi satisfaisant qu’un règlement à l’étape de la procédure qui se déroule devant le Commissaire à l’information, à cause du temps et des dépenses supplémentaires que cela supposerait.

La divulgation forcée des observations pourrait fort bien, selon moi, rendre le rôle du Commissaire à l’information plus formel et diminuer en conséquence l’efficacité du processus. Cela ne favorise pas l’accès rapide aux renseignements de l’administration fédérale, lequel accès constitue la raison d’être de la Loi.

Malgré ces remarques et le fait que j’estime que le législateur fédéral voulait que le Bureau du Commissaire à l’information soit un médiateur efficient et efficace dans les différends portant sur l’accès aux renseignements de l’administration fédérale, je ne peux retenir la prétention formulée par l’avocate du BCP en l’espèce.

Le libellé de l’article 35 est clair. L’article 35 ne s’applique qu’« [a]u cours d’une enquête [menée au sujet d’une plainte] ». Il ne renferme aucune disposition expresse ou implicite qui permettrait de penser qu’il s’applique après la clôture d’une enquête menée par le Commissaire. Statuer que l’article 35 est suffisamment large pour exiger la confidentialité même après la conclusion de l’enquête menée par le Commissaire reviendrait à ajouter des mots à l’article en question.

J’estime en outre que la confidentialité justifiée par l’alinéa 16(1)c) se rapporte aux documents relatifs à des cas particuliers. Les sous-alinéas 16(1)c)(i) et (ii) s’appliquent à :

16. (1)c) …

(i) des renseignements relatifs à l’existence ou à la nature d’une enquête déterminée,

(ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle;

Il est manifeste que le législateur voulait que ces dispositions soient invoquées dans le cas d’enquêtes déterminées ou lorsque la communication des renseignements risquerait de permettre de remonter à une source de renseignements confidentielle. De même, l’enquête visée au sous-alinéa 16(1)c)(iii) est, à mon avis, une enquête déterminée dans le cas où la divulgation de renseignements déterminés nuirait au déroulement de cette enquête déterminée.

Je n’interprète pas l’alinéa 16(1)c) comme une disposition procédurale qui justifie la confidentialité à l’égard du processus d’enquête du Commissaire à l’information. Interpréter l’alinéa 16(1)c) comme une exception procédurale qui engloberait tous les cas et qui justifierait la confidentialité dans tous les cas où la communication d’observations est demandée rendrait à toutes fins utiles la plupart des dispositions de l’article 35 superflues.

Si le législateur fédéral avait voulu que les observations présentées au Commissaire à l’information demeurent indéfiniment confidentielles, il aurait pu soustraire les observations en question à l’application de la Loi ou il aurait pu, à l’article 35, interdire la communication des observations pendant ou après la durée de l’enquête menée par le Commissaire. Or, il ne l’a pas fait. Ainsi que je l’ai déjà déclaré, je ne crois pas qu’il me soit loisible d’ajouter ou de retrancher des mots à l’article 35. C’est ce qui arriverait si j’interprétais l’article 35 ou l’alinéa 16(1)c) comme l’avocate du BCP m’exhorte à le faire.

Je conclus que ni l’article 35 ni l’alinéa 16(1)c) de la Loi sur l’accès à l’information ne constituent des motifs valables pour refuser la demande de communication dans le cas qui nous occupe.

J’ai examiné les trente-deux pages du document demandé. Il est constitué de notes de service, de lettres et des pièces jointes à certaines de celles-ci.

Les deux premières pages d’une lettre adressée le 19 septembre 1989 par le Bureau du Commissaire au BCP et la deuxième page d’une note de service rédigée le 5 octobre 1989 par Marc Rochon semblent renfermer des renseignements confidentiels se rapportant à l’objet de la demande de communication que M. Rubin a déjà présentée au sujet du traitement des personnes nommées par le gouvernement. Cette question doit d’abord être entendue et tranchée par notre Cour.

Il ne m’appartient pas, dans le cadre de la présente instance, de statuer sur le fond de la demande que M. Rubin a déjà présentée à notre Cour. Il semble toutefois que si les trois pages que j’ai mentionnées sont divulguées à la suite de la présente instance, certains des renseignements qui peuvent faire l’objet de la demande antérieure de M. Rubin seront communiqués sans que cette demande antérieure ne soit tranchée au fond.

M. Rubin affirme que la divulgation des observations constitue une forme peu dispendieuse de communication préalable concernant une demande antérieure d’information. À mon avis, on ne devrait pas se servir d’une demande de communication d’observations comme moyen détourné pour obtenir la communication de renseignements qui font l’objet d’une autre procédure. Je ne pense pas que le législateur voulait que la procédure prévue par la Loi sur l’accès à l’information soit utilisée d’une telle façon ou dans un tel but. Le processus ne devrait pas non plus se solder par l’examen des renseignements dans le cadre de trois audiences distinctes.

Lorsqu’une demande de communication d’observations présentées au Commissaire à l’information est tranchée avant la demande substantielle qui est à l’origine de l’instance qui se déroule devant le Commissaire, le tribunal qui entend la demande de communication des observations présentées au Commissaire peut être aux prises, comme en l’espèce, avec le problème de devoir examiner des renseignements qui feront l’objet de la décision rendue au fond dans le cadre d’une autre instance.

À mon avis, les procédures d’accès à l’information qui renferment des demandes de communication d’observations présentées au Commissaire à l’information ne devraient pas, à moins que des circonstances spéciales ne le justifient, être entendues et tranchées avant que ne soit jugée la demande substantielle d’accès à l’origine de l’instance qui se déroule devant le Commissaire à l’information. Cela n’exclut évidemment pas la possibilité de combiner la demande initiale et la demande de communication d’observations dans certaines circonstances.

Même si j’ai conclu que le BCP n’était pas justifié en l’espèce de refuser de communiquer le document en invoquant l’article 35 et l’alinéa 16(1)c) de la Loi, je ne me suis pas prononcé sur les autres dispositions de la Loi. Les trois pages que j’ai mentionnées semblent se rapporter à la demande antérieure de renseignements de M. Rubin dont le BCP a refusé la communication en invoquant d’autres dispositions de la Loi. Pour permettre à la demande antérieure de M. Rubin d’être entendue et tranchée par notre Cour, voici comment il sera disposé des trois pages que j’ai mentionnées :

1. Le BCP est autorisé, dans les quatorze (14) jours de la date de la présente décision, à présenter une demande en vue de faire ajouter les trois pages au dossier de la demande substantielle présentée par M. Rubin dans la cause T-2651-90;

2. Dans le cas où le BCP ne déciderait pas de présenter cette requête dans les quatorze (14) jours de la date de la présente décision, les trois pages seront communiquées conformément aux conditions de la présente décision.

En ce qui concerne le reste du dossier, la Cour enjoint au greffier du Conseil privé de le communiquer à M. Rubin. L’application de l’ordonnance est suspendue jusqu’à l’expiration du délai imparti pour interjeter appel, afin que la communication immédiate rende tout appel inutile.



[1] L’art. 21(1) de la Loi vise aussi les versions provisoires et les documents d’appui en question. L’art. 21(1) dispose :

21. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents datés de moins de vingt ans lors de la demande et contenant :

a) des avis ou recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre;

b) des comptes rendus de consultations ou délibérations où sont concernés des cadres ou employés d’une institution fédérale, un ministre ou son personnel;

c) des projets préparés ou des renseignements portant sur des positions envisagées dans le cadre de négociations menées ou à mener par le gouvernement du Canada ou en son nom, ainsi que des renseignements portant sur les considérations qui y sont liées;

d) des projets relatifs à la gestion du personnel ou à l’administration d’une institution fédérale et qui n’ont pas encore été mis en oeuvre.

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