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[1993] 2 C.F. 553

T-940-89

Canastrand Industries Ltd. (demanderesse)

c.

Le navire « Lara S », sa cargaison et ses propriétaires Armadaores Lara S.A., Lucky Star Shipping S.A. et Kimberly Navigation Company Limited faisant affaire sous la raison sociale de Kimberly Line Byzantine Maritime Corp. et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Lara S » et Kim-Sail Ltd. (défendeurs)

Répertorié : Canastrand Industries Ltd. c. Lara S (Le) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Toronto, 2 novembre 1992; Ottawa, 11 février 1993.

Droit maritime — Transport de marchandises — Contrats — Action en dommages-intérêts relativement aux avaries causées à une cargaison de ficelle agricole chargée au Brésil et devant être déchargée à Toronto et aux États-Unis — L’avarie n’a pas été le fait d’un péril de la mer, un emballage insuffisant ou de toute autre cause — Demanderesse propriétaire de la cargaison constatée dans les connaissements à l’arrivée à Toronto — Cargaison présumée n’avoir pas été livrée dans le bon état et le conditionnement apparents constatés dans les connaissements — L’acheteur de marchandises a le droit de se fier à un connaissement net.

Conflit des loisDes termes contractuels stipulaient deux régimes juridiques différentsLe contrat constaté par le connaissement doit être interprété conformément au droit américain qui en régit l’exécutionConnaissement soumis à la Carriage of Goods by Sea Act américaineLa note d’embarquement et les connaissements constituaient essentiellement un seul contratLa stipulation relative au choix du droit applicable dans la formule intégrale de connaissement du transporteur devrait l’emporterIl n’y avait aucune distinction entre les défenderesses Kim-Sail et Kim-Nav au plan de leurs activités commercialesToutes deux responsables comme transporteurs en vertu des connaissementsExamen de la jurisprudence canadienne et américaine quant à la responsabilité du propriétaire de navireDroit canadien applicable, le droit étranger à appliquer n’étant pas prouvéPropriétaire du navire responsable comme transporteur en vertu des Règles de La Haye.

Responsabilité délictuelleNégligenceLes transporteurs étaient-ils responsables au plan délictuel pour avoir fait preuve de négligence au moment de l’arrimage?La jurisprudence anglaise n’a pas été suivieExamen de la jurisprudence canadienne relativement à la perte purement économiqueDéfendeur responsable des dommages prévisibles causés au demandeur.

PratiquePlaidoiriesModificationsDéclaration amendée sans autorisation en vertu de la Règle 421(1) après l’expiration du délai de prescription d’un anModifications correctives permises en vertu de la Règle 421(1), après l’expiration d’un délai de prescription, sauf si elles substituent une nouvelle partie à l’ancienne, ajoutent une nouvelle partie ou créent une nouvelle cause d’actionLa modification qui a permis d’ajouter Kim-Nav ne constituait pas la substitution d’une nouvelle partie à l’ancienne après l’expiration du délai de prescriptionKim-Sail et Kim-Nav n’ont subi aucun préjudice à la suite des modifications qui ont permis de clarifier l’identité des défendeurs.

Dommages-intérêtsCompensatoiresUne indemnité était demandée pour les balles légèrement endommagées, sérieusement endommagées et pour les manquantsIl convenait de calculer l’indemnité en soustrayant la valeur marchande avariée à destination de la valeur marchande saine à destinationL’indemnité n’a été accordée que pour les balles sérieusement endommagées et les manquants, y compris les frais de tri, de manutention et d’évaluation.

Il s’agit d’une action en dommages-intérêts relativement à des avaries causées à une cargaison de ficelle agricole transportée par le navire du défendeur du Brésil et devant être déchargée à Toronto et Milwaukee. Les connaissements, qui étaient « nets », accusaient réception de la cargaison et stipulaient que celle-ci était apparemment en bon état. La formule intégrale du connaissement du transporteur renfermait différentes clauses, c’est-à-dire la clause paramount, le droit applicable et la clause de prépondérance. Pendant le voyage, le navire a essuyé une tempête, du 21 au 23 avril 1988, mais cette tempête n’avait rien d’exceptionnel et un temps pareil était prévisible dans cette région, à cette époque-là de l’année. Lorsque le Lara S est arrivé à Toronto, on a découvert qu’une partie de la cargaison avait été sérieusement endommagée. Les principales questions étaient : 1) Quelle avait été la cause de l’avarie? Plus précisément, l’avarie résultait-elle d’un emballage insuffisant? 2) Certains des défendeurs étaient-ils des « transporteurs » visés par les connaissements? Dans l’affirmative, lesquels? 3) Le propriétaire du navire pouvait-il être tenu responsable au plan délictuel? 4) Les défenderesses Kimberly Navigation Company Limited (Kim-Nav) et Kim-Sail Ltd. (Kim-Sail) pouvaient-elles opposer la prescription extinctive? 5) Quelle était la valeur du préjudice subi par la demanderesse?

Jugement : l’action doit être accueillie en partie.

1) D’après un grand principe de preuve en matière de demande d’indemnité pour perte ou avarie de marchandises, le transporteur est présumé responsable de la perte ou de l’avarie des marchandises reçues en bon état lorsqu’elles sont constatées manquantes ou débarquées en mauvais état. En l’espèce, la demanderesse a prouvé qu’elle était propriétaire de la cargaison lorsque celle-ci est arrivée à Toronto, et que la cargaison n’avait pas été livrée dans le bon état et le conditionnement apparents constatés dans les connaissements. Lorsqu’un acheteur de marchandises obtient un connaissement net, on présume, en l’absence d’une preuve contraire, qu’il s’y est fié. Une fois que le demandeur a établi une apparence de droit quant à la responsabilité pour la perte ou le dommage causé à la cargaison, le transporteur peut déplacer le fardeau de la preuve en établissant un des moyens d’exonération soulevés pendant le débat, c’est-à-dire les périls de la mer, l’insuffisance d’emballage et toute autre cause. Comme le montrait clairement l’aveu au sujet de la tempête essuyée par le Lara S pendant son voyage, l’avarie subie par la cargaison n’a pas été causée par un « péril de la mer ». D’après la preuve, l’utilisation de palettes constituait la façon habituelle et courante d’emballer ce type de cargaison, et cette dernière avait été bien arrimée selon les règles de l’art. Les défendeurs n’ont pas prouvé que l’avarie avait été causée par une insuffisance d’emballage.

2) En l’espèce, des termes contractuels stipulaient deux régimes juridiques différents. D’une part, la formule intégrale de connaissement du transporteur prévoyait : « le contrat constaté par le présent connaissement doit être interprété conformément au droit américain qui en régit l’exécution »; la formule abrégée de connaissement ajoutait : « le présent connaissement produira tous ses effets sous réserve des dispositions de la Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis … » D’autre part, la note d’embarquement « Conline » prévoyait que les « Règles de La Haye … édictées dans le pays d’expédition » s’appliquent au contrat, mais si ces Règles n’ont pas été adoptées dans le pays d’expédition, la loi qui les édicte dans le pays de destination s’applique. Par conséquent, le droit du pays de destination, c’est-à-dire le droit canadien, s’appliquerait, puisque le Brésil n’a pas adopté les Règles de La Haye. Lorsque différentes interprétations sont données à des dispositions contradictoires, il faut donner la priorité à celle qui a été adoptée la dernière. Puisque les connaissements Kim-Nav ont été émis postérieurement à la note d’embarquement et à la charte-partie, la stipulation relative au choix du droit applicable dans la formule intégrale de connaissement de Kim-Nav doit l’emporter. Afin de déterminer si, en droit américain, Kim-Sail, en tant qu’affréteur, serait déclaré responsable comme transporteur, il devait être signalé qu’il n’y avait aucune distinction entre Kim-Sail et Kim-Nav au plan de leurs activités commerciales. Les deux compagnies étaient très intimement liées, ayant les mêmes dirigeants, administrateurs et actionnaires. Kim-Sail était, en réalité, le transporteur, et ne faisait qu’employer les connaissements de Kim-Nav par souci de commodité. Elles étaient associées dans une coentreprise ou une société, et étaient donc responsables toutes les deux comme transporteurs en vertu des connaissements.

Sous le régime du droit canadien, le propriétaire du navire serait responsable en tant que transporteur, puisque le navire ne faisait pas l’objet d’un affrètement coque nue et que les connaissements avaient été signés au nom du capitaine. Le transport des marchandises constitue une coentreprise de propriétaires et d’affréteurs qui devraient, par conséquent, être tenus solidairement responsables comme transporteurs. Le capitaine, qui surveille l’arrimage et assume la responsabilité du voyage, est tenu, tout comme son employeur, le propriétaire du navire, solidairement responsable, avec l’affréteur, des avaries qui découlent d’un arrimage inadéquat. L’exposé du droit américain qu’a fait l’expert des défendeurs, en ce qui a trait à la responsabilité du propriétaire du navire, n’était ni objectif ni complet. Le droit étranger à appliquer n’a pas été prouvé et, par conséquent, le droit canadien s’applique. Dans ces conditions, le propriétaire du navire était responsable comme transporteur en vertu des Règles de La Haye.

3) La jurisprudence anglaise citée par l’avocat des défendeurs était contraire aux grands principes juridiques en matière de négligence : savoir, l’on est responsable du préjudice causé à un demandeur dans la mesure où il était raisonnable de prévoir que ce dernier subirait un préjudice à la suite de l’acte de négligence. Les tribunaux canadiens et anglais avaient aussi une opinion divergente en ce qui concerne les demandes portant sur une perte purement économique. La Cour suprême du Canada a indiqué, dans un arrêt récent, que les tribunaux canadiens n’adoptent pas l’approche restrictive des tribunaux anglais. Lorsqu’il s’agit d’indemniser la perte purement économique, il doit exister un lien entre le comportement du défendeur et la perte subie par le demandeur, lien qui fait qu’il est juste que le défendeur indemnise le demandeur. En se fondant sur ce principe, le recours de la demanderesse fondé sur la négligence devrait être accueilli, puisqu’un défendeur est responsable des dommages prévisibles causés à un demandeur.

4) Une modification faite conformément à la Règle 421(1), après l’expiration d’un délai de prescription, ne peut être contestée, à moins que la modification n’ait eu pour effet de substituer une nouvelle partie à l’ancienne. De simples modifications correctives peuvent être faites conformément à la Règle 421(1), même après l’expiration d’un délai de prescription, pourvu que cette modification n’ait pas pour effet de substituer une nouvelle partie à l’ancienne, d’ajouter une nouvelle partie ou de créer une nouvelle cause d’action. La modification qui a permis d’ajouter Kim-Nav ne constituait pas la substitution d’une nouvelle partie à l’ancienne après l’expiration du délai de prescription, mais avait simplement pour objet de clarifier l’identité de la défenderesse. Kim-Sail et Kim-Nav n’ont subi aucun préjudice à la suite des modifications qui ont permis de clarifier l’identité des défendeurs. La disposition en matière de prescription des Règles de La Haye n’empêchait pas d’identifier Kim-Sail comme défenderesse en juin 1991, conformément aux Règles 424 et 425. Selon cette disposition, il y a décharge de responsabilité « à moins qu’une action ne soit intentée » dans l’année. Or, l’action a été intentée contre « Kimberly Line » dans ce délai.

5) La demanderesse n’a pas fourni une preuve suffisamment solide pour être indemnisée du préjudice subi relativement aux balles de ficelle légèrement endommagées. Cependant, 3 429 balles ont été sérieusement endommagées, et il y avait lieu d’indemniser la demanderesse pour les frais de tri, de manutention et de transport, y compris les frais d’évaluation. Il convenait d’évaluer les dommages en soustrayant la valeur marchande avariée à destination de la valeur marchande saine à destination. En ce qui a trait aux manquants allégués, attribuables au fait que certaines balles n’auraient pas été livrées, il y avait de bonnes raisons de s’attendre à ce que l’avarie qui s’était produite dans la cale du navire donnât lieu à des manquants. Il n’est pas indiqué de soustraire de l’indemnité demandée pour l’avarie une somme proportionnelle au titre d’avaries « courantes » ou « prévues ». La règle générale dans les affaires intéressant le transport des marchandises veut que les intérêts adjugés courent à partir de la date de l’arrivée des marchandises. Il appartient au juge chargé de l’instruction de décider s’il y a lieu d’adjuger des intérêts, de décider à partir de quelle date ils courent et comment ils seront composés, le cas échéant. Le fait d’adjuger des intérêts composés relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour et cette pratique est tout à fait conforme aux usages du commerce.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Carriage of Goods by Sea Act, 46 U.S.C. § 1300 (1988).

Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer, Hambourg, 31 mars 1978 (« Règles de Hambourg »).

Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement et Protocole de signature, Bruxelles, 25 août 1924 (« Règles de La Haye »), art. 3, par. 6.

Limitation Act, 1975 (R.-U.), 1975, ch. 54.

Protocole portant modification de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, Bruxelles, 25 août 1924 (Bruxelles, 23 février 1968) (« Règles de Visby »).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 421(1), 422, 424, 425.

United Kingdom Limitation Act, 1939 (R.-U.), 2 & 3 Geo. 6, ch. 21.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Paterson SS Ltd. v. Aluminum Co. of Can., [1951] S.C.R. 852; [1952] 1 D.L.R. 241; Aris Steamship Co. Inc. c. Associated Metals & Minerals Corporation, [1980] 2 R.C.S. 322; (1980), 110 D.L.R. (3d) 1; 31 N.R. 584; conf. [1978] C.F. 710 (C.A.); London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagle International Ltd., [1992] 3 R.C.S. 299; Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1990] 3 C.F. 114; (1990), 65 D.L.R. (4th) 321; 3 C.C.L.T. (2d) 229; 104 N.R. 321 (C.A.); Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1992] 1 R.C.S. 1021; Redpath Industries Ltd. c. Cisco (Le), [1992] 3 C.F. 428 (1re inst.).

DÉCISIONS NON SUIVIES :

Margarine Union G.m.b.H. v. Cambay Prince Steamship Co. Ltd., [1969] 1 Q.B. 219; Leigh and Sillavan Ltd. v. Aliakmon Shipping Co. Ltd., [1986] A.C. 785 (H.L.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Yeramex Intern. v. S. S. Tendo (Two Cases), 595 F. 2d 943 (4th Cir. 1979); Wirth Limited c. Le Atlantic Skou, [1974] 1 C.F. 39 (1re inst.); Ladouceur c. Howarth, [1974] R.C.S. 1111; (1973), 41 D.L.R. (3d) 416; Leesona Corpn. c. Consolidated Textile Mills Ltd. et autre, [1978] 2 R.C.S. 2; (1977), 82 D.L.R. (3d) 56; 35 C.P.R. (2d) 254; 18 N.R. 29; Aries Tanker Corporation v. Total Transport Ltd. (The Aries), [1977] 1 Lloyd’s Rep. 334 (H.L.); Jay Bola, The, [1992] 2 Lloyd’s Rep. 62 (Q.B.); Leni, The, [1992] 2 Lloyd’s Rep. 48 (Q.B.); Liff v. Peasly, [1980] 1 W.L.R. 781 (C.A.); Ketteman v. Hansel Properties Ltd., [1987] A.C. 189 (H.L.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Kruger Inc. c. Baltic Shipping Co. (1989), 57 D.L.R. (4th) 498 (C.A.F.); Cormorant-Bulk Carriers Inc. c. Canficorp (Overseas Projects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66 (C.A.F.); Mahroos v. S/S Tatiana L., 1988 AMC 757 (S.D.N.Y. 1986); Dempsey Associates v. S.S. Sea Star, 461 F. 2d 1009 (2d Cir. 1972); Associated Metals & Minerals Corp. v. S.S. Portoria, 484 F. 2d 460 (5th Cir. 1973); Tube Products of India v. Steamship Rio Grande, 334 F. Supp. 1039 (S.D.N.Y. 1971); United Nations Children’s Fund v. S.S. Nordstren, 251 F. Supp. 833 (S.D.N.Y. 1965); Unisor Steel Corporation v. Dordrecht, 1981 AMC 2630, (S.D.N.Y. 1981); Poznan, The, 276 F. 418 (S.D.N.Y. 1921); Tubacex, Inc. v. M/V Capetan Georgis II, 1986 AMC 2283 (S.D.N.Y. 1986); Joo Seng Hong Kong Co., Ltd. v. S.S. Unibulkfir, 483 F. Supp. 43 (S.D.N.Y. 1979); Pacific Employers Ins. Co. v. M/V Gloria, 767 F. 2d 229 (5th Cir. 1985); Recovery Services International v. S/S Tatiana L., 1988 AMC 788 (S.D.N.Y. 1986); Buerger and another v. New York Life Assurance Co. (1927), 96 L.J.K.B. 930 (A.C.); Caltex Oil (Australia) Pty. Ltd. v. The Dredge « Willemstad » (1976), 136 C.L.R. 529 (Aust. H.C.); St. Lawrence Construction Limited c. Federal Commerce and Navigation Company Limited, [1985] 1 C.F. 767; (1985), 32 C.C.L.T. 19; 12 C.L.R. 42; 56 N.R. 174 (C.A.); Triangle Steel & Supply Co. v. Korean United Lines Inc. (1985), 63 B.C.L.R. 66; 32 C.C.L.T. 105 (S.C.); Canastrand Industries Ltd. et autre. c. Navire Lara S et autres (1991), 48 F.T.R. 188 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Silver v. Ocean Steamship Co., Ltd., [1930] 1 K.B. 416 (C.A.); Bruck Mills Ltd. c. Black Sea Steamship Co., [1973] C.F. 387 (1re inst.); Kerlew, The, 43 F. 2d 732 (New York 1924); Kirno Hill Corp. v. Holt, 618 F. 2d 982 (2d Cir. 1980); Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562 (H.L.); Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465 (H.L.); Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.); Schiffahrt & Kohlen G.m.b.H. v. Chelsea Maritime Ltd., [1982] 1 Q.B. 481; Ismail c. Le Golden Med, [1981] 2 C.F. 610 (1re inst.); Canadian General Electric Co. Ltd. c. Pickford & Black Ltd., [1972] R.C.S. 52; (1971), 20 D.L.R. (3d) 432; Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd. (1989), 97 N.R. 384 (C.A.F.); Ontario Bus Industries Inc. c. Federal Calumet (Le), [1992] 1 C.F. 245; (1991), 47 F.T.R. 149 (1re inst.).

DOCTRINE

Carver, Thomas Gilbert. Carver’s Carriage by Sea, 13th ed. by Raoul Colinvaux. London : Stevens, 1982.

Friedman, G.H.L. Sale of Goods in Canada, 3rd ed. Toronto : Carswell, 1986.

Schoenbaum, Thomas J. Admiralty and Maritime Law. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1987.

Scrutton on Charterparties and Bills of Lading, 17th ed. by W. L. McNair. London : Sweet & Maxwell, 1964.

Tetley, William. Marine Cargo Claims, 3rd ed. Montréal : Les Éditions Yvon Blais Inc., 1988.

ACTION en dommages-intérêts relativement aux avaries causées à une cargaison de ficelle agricole transportée par mer. Action accueillie en partie.

AVOCATS :

Christopher J. Giaschi pour le demandeur.

Richard L. Desgagnés pour les défendeurs.

PROCUREURS :

McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour le demandeur.

Ogilvy Renault, Montréal, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Reed : La demanderesse poursuit les défendeurs pour les avaries causées à une cargaison de 22 880 balles de ficelle transportées à bord du navire Lara S. Voici les principales questions en litige : (1) Quelle a été la cause de l’avarie? Plus précisément, l’avarie résulte-t-elle d’un emballage insuffisant? (2) Certains des défendeurs sont-ils des « transporteurs » visés par les connaissements? Dans l’affirmative, lesquels? (3) Le propriétaire du navire peut-il être tenu responsable au plan délictuel? (4) Les défenderesses Kimberly Navigation Company Limited (« Kim-Nav ») et Kim-Sail Ltd. (« Kim-Sail ») peuvent-elles opposer la prescription extinctive? (5) Quelle est la valeur du préjudice subi par la demanderesse?

HISTORIQUE DU LITIGE

a) La demanderesse et les connaissements

La demanderesse a acheté de Fibrasa-Fiaçáo Brasileria de Sisal S.A. (« Fibrasa », le chargeur) une certaine quantité de ficelle agricole. Il s’agissait d’une vente C.F. 180 jours, payable au moyen de deux traites bancaires. La ficelle a été chargée à bord du Lara S à Cabedelo (Brésil), en même temps que des envois semblables de ficelle adressés à d’autres acheteurs. Le chargement de la ficelle a eu lieu du 2 au 12 avril 1988. Le Lara S devait décharger une partie de la ficelle à Toronto et le reste à Milwaukee. Puisque la ficelle adressée à la demanderesse devait être déchargée à Toronto, elle a été chargée en dernier, c’est-à-dire du 8 au 12 avril 1988.

L’envoi adressé à la demanderesse a été constaté dans des connaissements numérotés de 1 à 6 et datés du 11 avril 1988. Ces connaissements ont été émis [traduction] « à l’ordre du chargeur, endossés en blanc ». Aux termes des connaissements, la demanderesse était la personne à aviser à l’arrivée de la cargaison. Les connaissements accusaient réception de la cargaison et stipulaient que celle-ci était apparemment en bon état. Il s’agissait de connaissements « nets ». La raison sociale KIMBERLY LINE est imprimée au recto des connaissements en gros caractères, en tête. La signature suivante figure au bas du document :

KIMBERLY LINE

AG ULTRAMAR EXPORT LTDA.—

Par                                       (signature illisible)                            : Agent

Pour le Capitaine

La raison sociale Kimberly Navigation Company Limited, Nassau, Bahamas (Kim-Nav) est imprimée au verso des connaissements. Il y a aussi un avis selon lequel Kersten Shipping Agency, Inc. (« Kersten Shipping »), 71 Broadway, New York, est l’agent général de Kim-Nav. Au verso des connaissements, il est également mentionné que les conditions stipulées dans la formule intégrale de connaissement du transporteur sont réputées faire partie des connaissements :

[traduction] 1. Il est entendu que la réception, la garde, le transport, la livraison et le transbordement des marchandises sont assujettis aux conditions stipulées au recto et au verso du présent connaissement et dans la formule intégrale de connaissement du transporteur employée pour le présent service, y compris les clauses qui y sont actuellement estampillées ou endossées, laquelle formule est réputée faire partie du présent connaissement qui régit les relations, quelles qu’elles soient entre le chargeur, le consignataire, le transporteur et le navire, dans toute éventualité, en quelque lieu et à quelque moment qu’elle se produise, que le transporteur agisse en cette qualité ou en qualité de dépositaire, notamment en cas de déroutement ou de détournement des marchandises. Le transporteur n’est pas réputé avoir renoncé aux conditions du présent connaissement, sauf par écrit, signé par un mandataire dûment autorisé. Sur demande, on peut se procurer du transporteur des exemplaires de sa formule intégrale de connaissement et des clauses qui y sont actuellement estampillées ou endossées. On peut prendre connaissance de ces documents aux bureaux du transporteur ou aux bureaux de ses mandataires.

2. Le présent connaissement produira tous ses effets sous réserve des dispositions de la Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis, adoptée le 16 avril 1936 et des conditions de la formule intégrale de connaissement susmentionnée.

La formule intégrale de connaissement renferme les clauses suivantes :

[traduction]   1 (Clause paramount) Le présent connaissement produira tous ses effets sous réserve des dispositions de la Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis d’Amérique, adoptée le 14 avril 1936, sous le titre 46 du United States Code, de toutes les lois qui y suppléent ou qui la modifient, et de toutes les lois semblables d’autres pays dans la mesure où elles peuvent s’appliquer. Ces dispositions sont réputées incorporées au présent connaissement. Le navire et le transporteur jouissent de tous les droits et exonérations énoncés dans ces lois.

Dans la mesure où le transporteur engage sa responsabilité de quelque façon que ce soit et sous réserve de toute stipulation contraire dans le présent connaissement, les dispositions des lois susmentionnées régissent les rapports réciproques entre le navire et le transporteur, d’une part, et le chargeur, le consignataire et le propriétaire des marchandises, d’autre part, avant l’embarquement des marchandises, après leur débarquement et tant qu’elles sont sous la garde véritable du transporteur. Le transporteur n’est pas responsable, en quelque qualité que ce soit, pour tout retard, non-livraison ou mauvaise livraison, perte ou avarie des marchandises qui surviennent pendant que celles-ci ne sont pas sous sa garde véritable.

Le navire et le transporteur jouissent de toutes les limitations ou exonérations de responsabilité prévues aux articles 4381 à 4386 et à l’article 4389 de la codification des lois des États-Unis et ses modifications, et aux autres dispositions des lois des États-Unis ou de tout autre pays dont les lois s’appliquent.

Le présent connaissement n’est pas réputé être un contrat liant personnellement le transporteur ou donner lieu à un tel contrat.

Rien dans le présent connaissement ne doit être interprété comme une renonciation, par le navire ou le transporteur, à un droit ou à une exonération, ou comme un accroissement de leurs responsabilités ou obligations en vertu de ces lois. En cas d’incompatibilité entre l’une des stipulations du présent connaissement et ces lois, cette stipulation est nulle mais seulement dans la mesure où elle est incompatible.

Si le navire n’appartient pas à la présente compagnie (comme ce peut être le cas malgré toute stipulation contraire) ou ne lui est pas affrété coque nue, le présent connaissement constitue un contrat ne liant que le propriétaire ou l’affréteur coque nue, selon le cas, à titre de mandant, ce contrat étant conclu par l’intermédiaire de la présente compagnie qui n’agit qu’à titre de mandataire et dont la responsabilité personnelle ne peut en aucun cas être engagée. Toutefois, s’il était jugé qu’un tiers, autre que le propriétaire ou l’affréteur coque nue, était le transporteur ou le dépositaire des marchandises, ce tiers pourrait se prévaloir de toutes les limitations et exonérations de responsabilité prévues par la loi, ou stipulées dans le présent connaissement.

35  (Droit applicable) Sous réserve de toute stipulation contraire, le contrat constaté par le présent connaissement doit être interprété conformément au droit américain qui en régit l’exécution.

37  (Clause de prépondérance) Le présent connaissement a prépondérance sur tous les accords ou les engagements relatifs au fret conclus pour le transport des marchandises. Le chargeur ou le porteur du connaissement accepte toutes les modalités et les conditions qui y sont stipulées—qu’elles soient écrites, dactylographiées, estampillées ou imprimées—et il reconnaît être lié par le connaissement comme s’il l’avait signé lui-même, malgré toute coutume ou privilège local ou contraire. [Soulignement ajouté.]

Les originaux des formules abrégées de connaissement ont apparemment été perdus. Les duplicata des connaissements numérotés de 2 à 6 ont été mis en preuve. Ces duplicata proviennent des dossiers de la demanderesse. Des photocopies des connaissements originaux numérotés de 2 à 6 sont également en preuve. Les photocopies des originaux et les duplicata montrent que les connaissements ont été endossés par Fibrasa.

Le 11 avril 1988, Fibrasa a envoyé un message par télécopieur à la demanderesse l’informant des quantités et du type de ficelle expédiée pour que la demanderesse puisse faire assurer la cargaison. Le 12 avril 1988, le Lara S a quitté Cabedelo (Brésil). Il est arrivé à Toronto le 29 avril 1988. Avant l’arrivée du navire, les copropriétaires de la compagnie demanderesse, Judith et Cameron Hoyle, se sont rendus à leur banque pour y examiner les connaissements originaux qui y avaient été envoyés. Ils ont signé des traites bancaires pour le paiement de la cargaison constatée par ces connaissements. Les connaissements originaux ont ensuite été envoyés au courtier en douanes de la demanderesse qui a dédouané la cargaison et a remis les connaissements aux agents portuaires de Kimberly Line à Toronto, Redburn Inc. D’après l’exposé conjoint des faits, Redburn Inc. était l’agent portuaire de la défenderesse Kim-Sail. La demanderesse a pris livraison de la cargaison après son dédouanement.

b) Le voyage et l’avarie subie par la cargaison

Pendant le voyage, le Lara S a essuyé une tempête du 21 au 23 avril 1988. Le navire a changé de cap pour que la cargaison ne subisse pas d’avaries. La tempête n’avait rien d’exceptionnel. Toutes les parties reconnaissent qu’un temps pareil était prévisible dans cette région, à cette époque-là de l’année. Le 23 avril, les cales du Lara S ont été vérifiées et l’on a découvert qu’une partie de la cargaison s’était déplacée et avait subi des avaries. Dans un télex en date du 24 avril 1988, le capitaine a informé Kersten Shipping des avaries. Le navire est arrivé à Toronto le 29 avril 1988. En ouvrant les cales, on a découvert qu’une partie de la cargaison avait été sérieusement endommagée. Dans une lettre en date du 2 mai 1988, les commissaires du havre de Toronto ont informé les agents portuaires de Kim-Sail (Redburn Inc.) qu’une partie de la cargaison avait été reçue en mauvais état. Un employé de la commission du havre de Toronto a informé la demanderesse de l’avarie. Le 3 mai 1988, une évaluation conjointe de l’avarie subie par les cargaisons appartenant à la demanderesse et à des tiers a été entreprise.

c) Modalités d’expédition

La cargaison de ficelle agricole a été expédiée selon les modalités suivantes. Agencia Ultramar Exp. Ltda. (« Agencia Ultramar »), une agence du Brésil, a téléphoné à M. Gardner, de Kersten Shipping, pour l’informer qu’une cargaison de ficelle agricole était prête à être expédiée. Ce n’était pas la première fois que ces parties prenaient des dispositions pour l’expédition d’une cargaison de ficelle agricole. Kersten Shipping avait agi comme agent pour des expéditions de ficelle agricole par des chargeurs du Brésil depuis sept ou huit ans. Dans son témoignage, M. Sondheim a affirmé qu’Agencia Ultramar était l’agent général de la défenderesse Kim-Sail.

Le 11 mars 1988, M. Gardner, en sa qualité d’employé de Kersten Shipping, a établi une note d’embarquement pour la cargaison. Dans ce document, « Kimberly Line » était nommée transporteur. La mention [traduction] « AN » (à nommer) a été inscrite dans l’espace prévu pour le nom du navire. La note d’embarquement a été établie sur le formulaire normalisé connu sous le nom de « CONLINEBOOKING », employé à de telles fins. Comme je la comprends, une note d’embarquement « Conline » renferme des conditions rédigées et approuvées par la Conférence Baltique et Maritime Internationale. Dans la note d’embarquement, à la case intitulée [traduction] « signature (transporteur) », on a dactylographié la mention [traduction] « KERSTEN SHIPPING AGENCY, INC., pour les propriétaires, en sa qualité de courtier seulement ». Le texte suivant figure au recto de cette note d’embarquement :

[traduction] Il est entendu que le présent contrat sera exécuté sous réserve des conditions stipulées aux pages 1 et 2 des présentes, lesquelles conditions prévaudront sur toute entente antérieure. Ces conditions seront à leur tour assujetties (sauf en ce qui concerne le faux fret et les surestaries) aux conditions du connaissement, lesquelles figurent, au long ou en abrégé, au verso des présentes.

Les clauses suivantes sont stipulées au verso :

[traduction] TEXTE INTÉGRAL DES CONDITIONS QUI FIGURENT DANS LA FORMULE DE CONNAISSEMENT DU TRANSPORTEUR

1. Définition.

Dans le présent connaissement, l’expression « marchand » est réputée comprendre le chargeur, le réceptionnaire, le consignataire, le porteur du connaissement et le propriétaire de la cargaison.

2. Clause paramount générale.

Les Règles de La Haye prévues dans la Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, faite à Bruxelles le 25 août 1924, édictées dans le pays d’expédition, s’appliquent au présent contrat. Si ces Règles n’ont pas été adoptées dans le pays d’expédition, la loi qui les édicte dans le pays de destination s’appliquera. Les conditions de la Convention susmentionnée s’appliquent à l’égard d’expéditions auxquelles aucune loi semblable ne s’applique obligatoirement.

Opérations commerciales assujetties aux Règles de La Haye-Visby.

Dans le cas des opérations commerciales obligatoirement assujetties à la Convention internationale de Bruxelles de 1924, modifiée par le Protocole signé à Bruxelles le 23 février 1968—les Règles de La Haye-Visby—, les dispositions des lois applicables sont réputées avoir été stipulées dans le présent connaissement. Le transporteur se prévaut de toutes les réserves possibles prévues dans ces lois relativement à la période qui précède le chargement, à celle qui suit le chargement et à celle pendant laquelle les marchandises sont sous l’autorité d’un autre transporteur; le transporteur se prévaut également des réserves relatives aux marchandises en pontée et aux animaux vivants.

17. Identité du transporteur.

Le contrat constaté par le présent connaissement est conclu entre le marchand et le propriétaire du navire nommé aux présentes (ou son substitut). Il est donc entendu que le propriétaire du navire est seul responsable de toute avarie ou perte causée par une violation ou une inexécution des obligations découlant du contrat de transport, que cette violation ou inexécution ait un rapport ou non avec la navigabilité du navire. S’il était jugé, malgré ce qui précède, qu’un tiers était le transporteur ou le dépositaire des marchandises expédiées sous le présent connaissement, ce tiers pourra se prévaloir de toutes les limitations et exonérations de responsabilité prévues par la loi ou stipulées dans le présent connaissement.

En outre, vu que la compagnie ou les agents maritimes qui ont signé le présent connaissement pour le capitaine et en son nom ne sont pas eux-mêmes parties au contrat, il est entendu qu’ils n’engagent nullement leur responsabilité en vertu du contrat de transport, que ce soit à titre de transporteur, ou de dépositaire des marchandises.

Le 17 mars 1988, la défenderesse Kim-Sail a conclu un affrètement à temps avec Armadaores Lara S.A., la propriétaire du Lara S pour l’affrètement de ce navire. Aux termes de cet affrètement, le Lara S devait être remis à l’affréteur à Cabedelo (Brésil) pour [traduction] « un voyage par affrètement à temps en faisant escale dans des ports sûrs … dans quelque ordre que ce soit, en passant par le Brésil et les Grands Lacs ». Voici quelques-unes des conditions stipulées dans l’affrètement à temps :

[traduction] Le navire devra être mis à la disposition des affréteurs … en prenant possession du navire, les affréteurs ne déchargent pas les propriétaires de leurs obligations en vertu du présent affrètement ….

7. Seront mis à la disposition des affréteurs, toute la cale du navire, ses ponts, s’il y a chargement en pontée—étant entendu que les affréteurs assument les risques et les frais liés à un tel chargement, les endroits habituellement utilisés pour le chargement de marchandises (sans dépasser ce que le navire peut raisonnablement transporter) et un local pour le subrécargue, s’il y a lieu. Toutefois, un espace suffisant est réservé aux officiers, à l’équipage, au gréement, aux apparaux, aux meubles, aux vivres, aux approvisionnements et au combustible du navire.

8. Le capitaine effectuera tous ses voyages avec la plus grande célérité et donnera l’assistance coutumière avec l’équipage du navire et les bateaux. Le capitaine, même s’il est nommé par les propriétaires, sera sous les ordres des affréteurs pour toute question d’emploi ou de mandat; les affréteurs sont tenus de charger, d’arrimer, de décharger et de pointer la cargaison à leurs frais—et de l’attacher au besoin, sous la surveillance du capitaine qui signe sur présentation les connaissements relatifs aux chargements effectués, conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur.

9. Si les affréteurs ont des raisons d’être mécontents de la conduite du capitaine, des officiers ou des mécaniciens, les propriétaires doivent enquêter sur les faits signalés dès qu’ils en sont prévenus et décident des mutations nécessaires.

10. Les affréteurs peuvent nommer un subrécargue qui demeurera à bord du navire et verra à ce que les voyages soient effectués avec la plus grande célérité. Les propriétaires doivent pourvoir à son logement, sans frais, et lui fournir les mêmes repas que ceux du capitaine moyennant la somme de 7,50 $ par jour, payable par les affréteurs. Les propriétaires sont tenus d’approvisionner les pilotes et les douaniers; ils doivent également approvisionner, à la demande des affréteurs ou de leurs mandataires, les pointeurs, le contremaître du débardeur et toute autre personne, moyennant la somme de 4,00 $ par repas payable par les affréteurs dans tous les cas.

24. Il est également entendu que la présente charte-partie est assujettie aux dispositions de la loi adoptée par le Congrès des États-Unis, le 13 février 1893, intitulée « An Act relating to Navigation of Vessels, etc. », notamment aux dispositions de cette loi en matière d’irresponsabilité, pour tout ce qui a trait aux marchandises expédiées vers les États-Unis d’Amérique ou depuis ce pays en vertu de la présente charte-partie.

26. Rien dans le présent contrat ne doit être interprété comme un transfert de la gestion nautique du navire aux affréteurs à temps. Les propriétaires sont tenus de payer l’assurance et répondent de la navigabilité du navire, du fait des pilotes et des remorqueurs, de l’équipage et de toute autre chose, de la même manière que s’ils exploitaient le navire en leur nom personnel.

Les clauses suivantes ont été ajoutées au contrat d’affrètement :

[traduction] 35. …

b) Les connaissements émis conformément à la présente charte-partie doivent renfermer la nouvelle clause « Jason », la nouvelle clause « Both-to-Blame Collision », une clause paramount pour les États-Unis, une clause paramount pour le Canada et, pour les autres pays, la clause paramount établie en 1958 par la Chambre internationale de la marine marchande pour les affrètements au voyage, lesquelles clauses sont annexées aux présentes.

50. Les affréteurs peuvent utiliser au besoin leur formule de connaissement ou le connaissement de la charte-partie [sic]. Les affréteurs ou leurs représentants sont autorisés à signer le connaissement pour le capitaine et en son nom, conformément aux reçus de bord et aux reçus du pointeur.

Les clauses paramount pour les États-Unis et le Canada—ainsi que les autres clauses mentionnées à la clause 35—étaient annexées au contrat :

[traduction] CLAUSE PARAMOUNT POUR LES ÉTATS-UNIS

Le présent connaissement produira tous ses effets sous réserve des dispositions de la Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis, adoptée le 16 avril 1936, lesquelles sont réputées incorporées au présent connaissement. Rien dans le présent connaissement ne doit être interprété comme une renonciation, par le transporteur, à un droit ou à une exonération, ou comme un accroissement de ses responsabilités ou obligations en vertu de cette loi. En cas d’incompatibilité entre l’une des stipulations du présent connaissement et cette loi, cette stipulation est nulle mais seulement dans la mesure où elle est incompatible.

CLAUSE PARAMOUNT POUR LE CANADA

Le présent connaissement, dans la mesure où il se rapporte au transport de marchandises par eau, produira tous ses effets sous réserve des dispositions de la Loi du transport des marchandises par eau, (1936), édictée par le Parlement du Canada, lesquelles sont réputées incorporées au présent connaissement. Rien dans le présent connaissement ne doit être interprété comme une renonciation, par le transporteur, à un droit ou à une exonération, ou comme un accroissement de ses responsabilités ou obligations en vertu de cette loi. En cas d’incompatibilité entre l’une des stipulations du présent connaissement et cette loi, cette stipulation est nulle mais seulement dans la mesure où elle est incompatible.

La charte-partie a été signée par [traduction] « KERSTEN SHIPPING AGENCY, INC., pour les affréteurs, en sa qualité de courtier seulement ».

Le 23 mars 1988, Kersten Shipping a envoyé par télex des instructions au capitaine du Lara S au nom de Kim-Sail. Ce télex informait le capitaine que de l’espace avait été retenu à bord de son navire pour le transport d’environ 7 153 tonnes métriques de ficelle agricole. Le télex renfermait également le passage suivant :

[traduction] — CARGAISON À TRANSPORTER SOUS UNE NOTE D’EMBARQUEMENT CONLINEBOOKING FAITE À WHITE PLAINS (NY) LE 11-3-88, AVEC LES CHARGEURS SUIVANTS :

CISALCIA. INDUSTRIAL DO SISAL,

FIBRASAFIACAO BRASILEIRA DE SISAL S.A.,

COSIBRACOMPANHIA SISAL DO BRAZIL,

BRASCORDABRAZIL CORDAS S.A.

— LE REPRÉSENTANT DE KIM-SAIL, M. R. NEISE, SE RENDRA À CABEDELO ET AIDERA AU CHARGEMENT. VEUILLEZ LE TRAITER AVEC TOUS LES ÉGARDS.

d) Rapports entre Kersten Shipping et les défenderesses Kim-Nav et Kim-Sail

Kim-Sail, Kim-Nav et Kersten Shipping ont des actionnaires, des administrateurs, des dirigeants et des employés communs. Kim-Sail, constituée dans les îles Grand Cayman, a quatre administrateurs : H. Sondheim, T. Kersten, P. Gardner et O. L. Tanton. Ses dirigeants sont H. Sondheim, T. Kersten et P. Gardner. Au cours de l’interrogatoire préalable, la demanderesse a été informée que Kim-Nav, constituée aux Bahamas, avait cinq administrateurs : H. Sondheim, T. Kersten, P. Gardner, M. Faxon et B. Gardner. Ses trois dirigeants étaient H. Sondheim, T. Kersten et P. Gardner. À l’instruction, M. Sondheim a affirmé que ces renseignements étaient inexacts et que P. Gardner n’avait aucune part dans Kim-Nav, mais que l’épouse de ce dernier, B. Gardner, était administratrice, dirigeante et actionnaire de cette compagnie. H. Sondheim, T. Kersten et P. Gardner sont tous administrateurs et dirigeants de Kersten Shipping. Kim-Sail a trois actionnaires. Kim-Nav en a peut-être de six à dix. Il suffit de noter que H. Sondheim, T. Kersten et les Gardner contrôlent les trois compagnies (Kim-Sail, Kim-Nav et Kersten Shipping) et qu’ils en sont les principaux actionnaires.

Kersten Shipping agit comme agent de gestion pour Kim-Sail et Kim-Nav. Les trois compagnies occupent les mêmes bureaux. Interrogé à savoir pourquoi Kim-Sail avait affrété le Lara S, alors que les connaissements de Kim-Nav avaient été utilisés, M. Sondheim a répondu qu’il y avait une entente verbale entre Kim-Sail et Kim-Nav par laquelle Kim-Sail affrétait les navires et Kim-Nav enregistrait la cargaison puis la remettait à Kim-Sail moyennant une commission. Il a également attesté que Kim-Nav avait permis à Kim-Sail d’employer ses connaissements, en l’espèce, parce que Kim-Nav avait déposé un tarif (qui comprenait notamment des renseignements sur les taux de fret demandés et les marchandises transportées) auprès de la Federal Maritime Commission des États-Unis alors que Kim-Sail ne l’avait pas fait. Puisqu’une bonne partie de la cargaison en cause devait être déchargée à Milwaukee, le transporteur devait se conformer à la loi américaine, et il fallait avoir déposé un tarif auprès de la Federal Maritime Commission avant de pouvoir décharger la cargaison aux États-Unis.

À l’interrogatoire préalable, M. Sondheim a affirmé que, généralement, Kim-Sail transportait de 90 à 95 p. 100 des cargaisons enregistrées par Kim-Nav. En réponse à des engagements et après avoir consulté d’autres personnes, il a affirmé que ce pourcentage était de 80 à 85 p. 100. En contre-interrogatoire, il a affirmé que Kim-Nav avait peut-être confié des cargaisons à un autre transporteur une ou deux fois. En ré-interrogatoire, il a affirmé que lorsqu’il avait répondu de la sorte, il songeait à l’époque actuelle plutôt qu’à la période de 1967 à 1971, par exemple. Dans son témoignage que j’accepte, M. Sondheim a affirmé que « Kimberly Line » était un nom commercial utilisé à la fois par Kim-Sail et Kim-Nav. Il est également utilisé par quelques autres compagnies Kimberly, bien que M. Sondheim fût plutôt incertain quant au statut de certaines d’entre elles et quant à savoir si certaines avaient cessé d’exister du fait qu’elles étaient devenues inactives. Kim-Nav elle-même a cessé son exploitation. Kimberly Navigation Company Limited, une autre compagnie Kimberly ayant la même raison sociale que Kim-Nav, mais constituée dans les îles Grand Cayman, exploite maintenant l’entreprise de Kim-Nav. Kimberly Navigation Company Limited (Grand Cayman) a été constituée en 1974.

e) Modifications des actes de procédure

Le 28 avril 1989, presqu’un an après la livraison de la cargaison en cause, une déclaration a été déposée dans la présente action. Kimberly Line y était nommée comme défenderesse. Le paragraphe 3 de cette déclaration était libellé ainsi :

[traduction] La défenderesse, Kimberley [sic] Line, dont l’adresse est actuellement inconnue des demanderesses était, à toutes les époques en cause, l’affréteur du navire à moteur « Lara S ».

Le 14 juillet 1989, la déclaration a été modifiée pour constituer défenderesse « Kimberly Navigation Company Limited faisant affaire sous la raison sociale de Kimberly Line ». Cette modification a été apportée conformément à la Règle 421(1) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] sans ordonnance de la Cour et avant la signification de la déclaration.

Le 14 juin 1991, M. le juge MacKay a rendu une ordonnance constituant Kim-Sail codéfenderesse. Il convient de citer un passage de ses motifs [(1991), 48 F.T.R. 188, aux pages 190 et 191] :

1. Au moment où l’action a été introduite en avril 1989, les demanderesses ne connaissaient pas, et ne pouvaient raisonnablement connaître, l’existence de Kim-Sail Ltd. ou sa participation. Tous les documents qu’elles avaient alors en leur possession indiquaient que Kimberly Line, ou Kimberly Navigation Company Limited, au nom desquelles les connaissements avaient été établis, étaient responsables, avec les propriétaires du navire, du transport des marchandises. Lorsqu’elles ont appris, en août ou en septembre 1990, l’existence de Kim-Sail et son statut d’affréteur à temps, le délai de prescription, s’il s’applique, était déjà expiré.

2. En cet état de la cause, les circonstances de l’affaire sont que les faits essentiels qu’ont invoqués les défendeurs plaidants dans leur défense n’ont pas été articulés et qu’on leur a depuis ordonné de fournir des détails plus amples et plus précis. Ils n’ont pas encore précisé aux demanderesses les modalités de la formule intégrale de connaissement en vertu desquelles les marchandises ont été transportées. Dans ces circonstances, il n’y a, en cet état de la cause, aucun élément de preuve établissant clairement que le délai de prescription qu’invoquent les défendeurs en vertu du règlement de la Haye est manifestement applicable. S’il s’avère qu’il est applicable, on peut s’attendre à ce que Kim-Sail Ltd. l’invoque en défense mais, en cet état de la cause, la possibilité que ce moyen de défense soit soulevé ne devrait pas empêcher la Cour de constituer l’affréteur codéfendeur.

3. Le fait de constituer Kim-Sail Ltd. codéfenderesse ne lui causera pas de préjudice en ce qu’elle ne pourra être prise au dépourvu, grâce aux liens qu’elle entretient avec la défenderesse Kimberly Navigation Company Limited, et que les moyens de défense qu’elle pourrait invoquer ne seront pas déclarés irrecevables.

4. La constitution de Kim-Sail à titre de codéfenderesse n’implique pas une nouvelle cause d’action, mais peut plutôt aider la Cour à déterminer la responsabilité finale ou la responsabilité solidaire pour les dommages pour le cas où les demanderesses réussiraient à établir la cause d’action introduite par leur demande déposée en avril 1989.

5. À cette étape-ci, étant donné que l’affréteur à temps Kim-Sail semblerait avoir une responsabilité à titre de transporteur public des marchandises, la preuve pourrait avoir une incidence sur cette responsabilité ou la définir, notamment à la suite du dépôt d’un exemplaire lisible de la formule intégrale de connaissement.

6. Il faut reconnaître que les demanderesses ont tardé à demander la constitution de Kim-Sail Ltd. comme partie : leur requête a été rédigée environ trois ans après la livraison des marchandises et neuf mois après que le statut d’affréteur de Kim-Sail Ltd. eut été porté à l’attention des demanderesses. On pourra ultérieurement tenir compte de ce retard pour évaluer les dépens entre parties si l’on réussit à démontrer qu’il a entraîné une augmentation de dépenses. Mais cela ne cause pas à Kim-Sail Ltd. un préjudice qui empêcherait de constituer la compagnie codéfenderesse à cette étape-ci.

f) Emballage de la cargaison

La ficelle a été arrimée sous forme de bobines. La longueur de ficelle enroulée autour de chaque bobine variait selon l’épaisseur de la ficelle. Les bobines de ficelle étaient emballées, deux par deux, dans des sacs de papier plastifié, constituant ainsi des balles. Les balles étaient ensuite empilées sur une plate-forme de bois (palette). Selon leur grosseur, quarante ou cinquante balles étaient empilées sur une palette. Elles étaient attachées ensemble avec des sangles de plastique, et l’unité était emballée sous pellicule plastique. Le tout était attaché à la palette par de la corde. L’unité « palettisée » pouvait ainsi être levée au moyen de chariots élévateurs à fourche. Les plates-formes de bois (palettes) étaient conçues pour servir pendant un seul voyage. Elles n’étaient pas réutilisables. D’après la preuve, il s’agissait de la façon habituelle et courante d’emballer ce type de cargaison. Pendant le chargement de la cargaison, cinq des palettes expédiées par Fibrasa et sept des palettes expédiées par un autre chargeur se sont brisées et ont dû être palettisées de nouveau.

Le capitaine du Lara S n’avait jamais transporté de cargaison de ficelle agricole, bien qu’il eût souvent transporté divers types de cargaisons palettisées. Au début du chargement du Lara S à Cabedelo, il a aperçu quelques-unes des unités palettisées sur le quai et il s’est dit inquiet de la solidité de la base de bois et de la stabilité de l’unité. Dans son témoignage, il a affirmé avoir tiré une sangle de plastique et avoir constaté qu’elle était lâche. La cargaison que le capitaine avait lui-même inspectée n’était pas celle de la demanderesse.

Conformément à la charte-partie, les affréteurs ont chargé et arrimé la cargaison, à leurs frais, sous la surveillance du capitaine. Les affréteurs ont embauché des débardeurs qui se sont occupés du chargement. Le capitaine et ses officiers ont surveillé le chargement du navire, et le capitaine a fini par inscrire la mention suivante sur chacun des reçus de bord se rapportant à la cargaison de la demanderesse :

[traduction] Qualité du contenu inconnue. De l’avis du transporteur, l’emballage de ces marchandises est insuffisant. Tous les droits et les exonérations dont peut se prévaloir le transporteur en cas de perte ou d’avarie des marchandises causée par la nature ou la qualité de cet emballage et de la qualité de leur contenu [sic]. Ni les affréteurs, ni le navire ne sont responsables des avaries subies par la cargaison en raison de sangles trop lâches ou de palettes de bois trop fragiles.

Le capitaine a rédigé des mentions semblables sur les reçus de bord établis pour tous les autres chargements de ficelle, sauf pour neuf connaissements (670 unités palettisées). Environ 8 000 unités palettisées ont été chargées.

À la demande du représentant de Kim-Sail, M. Neise, le capitaine avait autorisé Agencia Ultramar à signer les connaissements. Cette autorisation est rédigée en ces termes :

[traduction] AGENCIA ULTRAMAR EXP. LTDA., JOAO PRESSOA/PARAIBA-BRÉSIL—M. F. REIS LISBOA NETO est autorisé à signer les connaissements au nom du capitaine du MV « LARA S » BATTANT PAVILLON GREC pour la cargaison chargée au port de CABEDELO à destination de TORONTO/MILWAUKEE.

Tous les connaissements doivent être signés conformément aux modalités, conditions et exceptions prévues dans l’accord principal intervenu entre les propriétaires et les affréteurs et aux reçus de bord, y compris les exclusions et les exceptions qui y sont notées. [C’est moi qui souligne.]

Comme nous l’avons vu, les connaissements signés par Agencia Ultramar ne renfermaient pas les mentions qui avaient été inscrites sur les reçus de bord. Des connaissements nets ont été émis.

L’APPARENCE DE DROIT DE LA DEMANDERESSE

Le droit qui régit le recours que la demanderesse peut intenter contre le transporteur est énoncé, entre autres, dans l’ouvrage de Tetley, Marine Cargo Claims, 3e éd., aux pages 133 et 134 :

[traduction] En matière de preuve, trois grands principes demeurent constants dans la jurisprudence relative aux Règles de La Haye et à celles de La Haye-Visby. Ces principes ne sont pas toujours expressément énoncés. Cependant, ils sont appliqués dans toutes les demandes d’indemnité pour perte ou avarie de marchandises lorsque le demandeur a bien intenté son action et lorsque le transporteur s’est bien défendu. . .

1) Premier principe de preuve

Le premier principe de preuve, en matière de demande d’indemnité pour perte ou avarie de marchandises, veut que le transporteur soit présumé responsable de la perte ou de l’avarie des marchandises reçues en bon état lorsqu’elles sont constatées manquantes ou débarquées en mauvais état.

Le transporteur qui a reçu les marchandises en bon état aux termes d’un connaissement net et qui a reçu des bordereaux comme quoi les marchandises ont été livrées en mauvais état est présumé responsable de la perte ou de l’avarie. Cette présomption peut être réfutée, de sorte qu’il incombe au transporteur de réfuter l’apparence de droit du demandeur par une preuve suffisante. [Les renvois ont été omis.]

La demanderesse a également invoqué l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kruger Inc. c. Baltic Shipping Co. (1989), 57 D.L.R. (4th) 498, à la page 502 :

… le juge de première instance, s’inspirant particulièrement des décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Charles Goodfellow Lumber Sales Ltd. c. Verreault (1970), 17 D.L.R. (3d) 56, [1971] R.C.S. 522 et Federal Commerce & Navigation Co. Ltd. v. Eisenerz G.m.b.H. (1972), 31 D.L.R. (3d) 209, [1974] R.C.S. 1225, [1975] 1 Lloyd’s Rep. 105 sub nom. Le « Oak Hill », a recouru aux étapes suivantes en ce qui a trait à la charge de la preuve :

(1) Au départ, les propriétaires de la cargaison n’ont qu’à établir leur droit dans la cargaison, le fait qu’elle n’a pas été livrée dans le même bon état et conditionnement apparents dans lequel elle a été embarquée et la valeur de la cargaison perdue ou endommagée. Si le transporteur n’oppose aucune défense, les demanderesses auront gain de cause.

En l’espèce, la demanderesse a prouvé qu’elle était propriétaire de la cargaison et que celle-ci n’avait pas été livrée dans le même bon état et conditionnement apparents constatés dans les connaissements.

Selon l’avocat des défendeurs, la demanderesse n’a pas prouvé qu’elle était propriétaire de la cargaison lorsque celle-ci a été livrée à Toronto parce que, selon lui, la demanderesse n’a pas prouvé que Fibrasa avait endossé les connaissements avant que la cargaison n’arrive à Toronto. Comme nous l’avons vu, les connaissements originaux qui avaient été remis à l’agent portuaire de Kim-Sail n’ont pas été trouvés. Les copies des connaissements et les duplicata montrent qu’ils ont effectivement été endossés par Fibrasa. L’avocat des défendeurs prétend qu’ils n’ont été endossés que quelque temps après la livraison de la cargaison à Toronto. L’avocat de la demanderesse prétend qu’ils ont été endossés au Brésil avant d’avoir été envoyés à la banque de la demanderesse pour signaler que le paiement de la demanderesse devait être fait.

Il est vrai que la demanderesse ne peut pas prouver exactement à quel moment l’endossement a eu lieu. Cependant, d’après la preuve des circonstances de l’opération, je suis convaincue que l’endossement s’est produit avant que la cargaison ne soit arrivée à Toronto. Avant l’arrivée de la cargaison, on a fourni à la demanderesse des duplicata qui avaient été endossés. M. et Mme Hoyle se sont rendus à leur banque avant l’arrivée de la cargaison; ils ont vérifié les originaux et payé les sommes dues par traite bancaire. Les originaux ont ensuite été envoyés aux agents en douanes de la demanderesse pour faciliter le dédouanement de la cargaison. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que la demanderesse était propriétaire de la cargaison constatée dans les connaissements lorsque la cargaison est arrivée à Toronto.

L’avocat des défendeurs plaide que la demanderesse ne peut pas opposer la fin de non-recevoir créée par les connaissements nets, en l’absence de preuve que la demanderesse s’y est fiée. À mon avis, il semble clairement établi en droit que lorsqu’un acheteur de marchandises obtient un connaissement net, on présume, en l’absence d’une preuve contraire, qu’il s’y est fié (voir l’arrêt Silver v. Ocean Steamship Co., Ld., [1930] 1 K.B. 416 (C.A.), aux pages 428 et 441.) En outre, Judith Hoyle a attesté que, lorsqu’elle avait vérifié les connaissements avant de signer les traites bancaires, elle avait notamment vérifié si la ficelle était en bon état.

CAUSE DE L’AVARIE

Laissant de côté pour l’instant les questions ayant trait à la valeur de la perte et à l’identité du transporteur ou des transporteurs, il convient d’examiner, à cette étape, le fardeau qui incombe au transporteur une fois que le demandeur a établi une apparence de droit. Voici la suite du passage précité de l’arrêt Kruger Inc. de la Cour d’appel fédérale [à la page 502] :

(2) Le transporteur peut alors reporter le fardeau de la preuve sur les demanderesses en établissant que la perte ou le dommage résulte de l’un des périls exclus à l’articles IV des Règles de la Haye.

(3) Les propriétaires de la cargaison doivent alors établir que le transporteur a été négligent ou à la fois que le navire était dans un état d’innavigabilité et que la perte tient à cet état d’innavigabilité.

Dans l’ouvrage de Tetley, Marine Cargo Claims, il est affirmé ce qui suit, à la page 143 :

[traduction] 2) Ce que le transporteur doit prouver :

Le transporteur doit alors prouver les trois éléments suivants :

a) La cause de la perte.

b) La diligence raisonnable pour rendre le navire navigable au début du voyage, relativement à la perte.

c) L’un des moyens d’exonération suivants :

(i)   une erreur dans la navigation ou dans la conduite du navire;

(ii)  un incendie;

(iii)  des périls de la mer et autres moyens semblables, c’est-à-dire les « cas fortuits », les faits de guerre, les faits d’ennemis publics, la contrainte de prince, la quarantaine, les grèves, les émeutes, et les sauvetages;

(iv) des actes ou des omissions du chargeur;

(v)  un vice propre à la marchandise;

(vi) une insuffisance d’emballage;

(vii) des vices cachés;

(viii)  toute autre cause. [Les renvois ont été omis.]

Les moyens d’exonération suivants ont été soulevés pendant le débat : (iii) les périls de la mer, (vi) l’insuffisance d’emballage, et (viii) toute autre cause. Comme le montre clairement l’aveu au sujet de la tempête essuyée par le Lara S pendant son voyage, les défendeurs ne plaident pas sérieusement que l’avarie subie par la cargaison a été causée par un « péril de la mer »[1].

L’avocat des défendeurs soutient que l’avarie a été causée par une insuffisance d’emballage. Selon lui, je devrais conclure en ce sens en m’appuyant notamment sur le témoignage de M. Gardner qui a affirmé que l’insuffisance d’emballage avait été signalée à l’égard d’autres cargaisons de ficelle agricole emballées de la même manière. Au soutien de sa thèse, l’avocat des défendeurs invoque également le témoignage du capitaine qui a affirmé que la cargaison avait été bien arrimée et qu’elle avait été solidement fixée. En outre, l’avocat des défendeurs m’invite à retenir le témoignage de l’expert cité par la demanderesse, lequel s’est dit d’accord avec certains principes qui lui ont été soumis en contre-interrogatoire sur la bonne façon d’emballer en affirmant, par exemple, qu’une unité emballée devait constituer un bloc solide. L’avocat des défendeurs me demande de conclure, à partir de photographies prises de la cargaison endommagée, que l’avarie a été causée par un défaut d’emballage.

M. Gardner ne m’a pas semblé être un témoin digne de foi et je ne m’appuierai pas sur son témoignage. De toute manière, même si quelqu’un s’était dit inquiet de la manière dont une cargaison antérieure avait été emballée, cela ne permet pas de conclure que la cargaison en cause souffrait d’un vice semblable. En effet, il se peut que les défectuosités dont on se serait prétendument plaint précédemment aient été corrigées.

Dans son témoignage, le capitaine a affirmé que la cargaison avait été arrimée selon les règles de l’art. M. Gaudette, un spécialiste de l’évaluation des avaries causées aux cargaisons a attesté qu’à son avis, l’avarie à la cargaison était attribuable à un ripage de la cargaison. Il est arrivé à cette conclusion en se fondant sur la nature de l’avarie et sur les renseignements selon lesquels l’avarie s’était produite principalement dans deux cales. Il a attesté qu’à son avis, l’emballage paraissait satisfaisant; tous les envois transportés à bord du navire avaient été emballés de la même façon; si l’avarie avait été attribuable à l’emballage, elle n’aurait pas eu lieu dans une partie aussi restreinte du navire. Même si elles avaient été insuffisamment emballées, des palettes bien arrimées n’auraient pas subi l’avarie qu’il a constatée.

M. Desroches dirigeait les débardeurs qui ont déchargé la cargaison. Il a attesté que les avaries graves étaient localisées, surtout dans les cales 1 et 2 de l’entrepont. Comme nous l’avons vu, tous les envois transportés à bord du navire étaient emballés de la même manière. Je conviens tout à fait que l’on aurait pu s’attendre à des dommages aux marchandises placées ailleurs sur le navire, s’il s’agissait d’un problème d’emballage.

En outre, l’avocat de la demanderesse m’invite à tirer une conclusion défavorable du fait que deux évaluateurs, M. Luther et M. Digby, n’ont pas été cités comme témoins par les défendeurs. Ces deux hommes ont participé aux évaluations de l’avarie de la cargaison peu de temps après le déchargement de celle-ci. L’évaluation effectuée par M. Luther a été faite pour le compte des propriétaires du navire. Celle qu’a effectuée M. Digby était une évaluation conjointe faite avec M. Gaudette qui agissait pour les assureurs de la demanderesse, tandis que M. Digby agissait pour les assureurs de Kimberly Line.

Je suis d’accord qu’il y a lieu de tirer une conclusion défavorable du fait que M. Luther et M. Digby n’ont pas été cités comme témoins. En outre, j’accepte le témoignage d’opinion de M. Gaudette quant à la cause de l’avarie subie par la cargaison. Je conclus que les défendeurs n’ont pas prouvé que l’avarie a été causée par une insuffisance d’emballage.

Les défendeurs n’ont pas sérieusement fait valoir l’argument selon lequel l’avarie aurait pu être attribuable à « toute autre cause ».

Selon l’avocat de la demanderesse, même si l’emballage avait été insuffisant pour une grande partie, le capitaine du Lara S a fait preuve de négligence en chargeant plus de 7 000 unités palettisées (presque toute la cargaison), alors qu’il les jugeait insuffisamment emballées. L’avocat de la demanderesse a cité le jugement Bruck Mills Ltd. c. Black Sea Steamship Co., [1973] C.F. 387 (1re inst.) au soutien de la thèse selon laquelle le fait de charger et d’arrimer une cargaison jugée insuffisamment emballée, sans prendre de précautions spéciales pour l’arrimage, constitue un acte de négligence. L’avocat de la demanderesse a plaidé que ce fait empêcherait les transporteurs d’invoquer le moyen fondé sur l’insuffisance d’emballage et qu’en outre, il constitue en soi un mauvais arrimage[2]. Vu la conclusion à laquelle je suis arrivée quant au défaut des défendeurs d’avoir prouvé que l’avarie était attribuable à l’insuffisance d’emballage, il ne m’est pas nécessaire de me prononcer sur la question de savoir si l’arrimage de la presque totalité d’une cargaison jugée insuffisamment emballée constitue un acte de négligence. Je note qu’aucune preuve ne tendait à établir que l’avarie subie par la cargaison de la demanderesse avait été causée par un mauvais emballage des cargaisons appartenant à des tiers.

LE OU LES TRANSPORTEURS

a) Choix du droit applicable

Il est avéré que le droit qui régit un contrat est celui du ressort ayant le lien le plus important avec le contrat. C’est aussi une règle de droit bien établie que les parties peuvent choisir le droit qui régira un contrat par une stipulation expresse. La difficulté en l’espèce vient du fait que des termes contractuels stipulent deux régimes juridiques différents.

Il ressort clairement des clauses stipulées dans les divers documents précités que la formule intégrale de connaissement de Kim-Nav prévoit expressément que [traduction] « le contrat constaté par le présent connaissement doit être interprété conformément au droit américain qui en régit l’exécution ». Cette stipulation est incorporée à la formule abrégée de connaissement par les dispositions expresses de cette dernière. En outre, la formule abrégée de connaissement prévoit que [traduction] « le présent connaissement produira tous ses effets sous réserve des dispositions de la Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis » (Soulignement ajouté.)

Cependant, le connaissement qui fait partie de la note d’embarquement Conline prévoit que : les [traduction] « Règles de La Haye … édictées dans le pays d’expédition » s’appliquent au contrat, mais si ces Règles n’ont pas été adoptées dans le pays d’expédition, [traduction] « la loi qui les édicte dans le pays de destination s’applique ». Aucune preuve ne permet de conclure que le Brésil a adopté les Règles de La Haye [Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement et Protocole de signature, Bruxelles, 25 août 1924]. Par conséquent, en vertu de la note d’embarquement Conline, le droit du pays de destination, c’est-à-dire le droit canadien, s’appliquerait.

L’avocat de la demanderesse plaide que les conditions stipulées dans les formules intégrales de connaissement de Kim-Nav ne constituent qu’une partie du contrat de transport. Selon lui, les conditions stipulées dans la note d’embarquement s’appliquent également. Il a invoqué l’arrêt Cormorant-Bulk Carriers Inc. c. Canficorp (Overseas Projects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66, de la Cour d’appel fédérale, où il est affirmé ce qui suit, aux pages 73 à 75 :

L’avocat de l’appelante est d’avis que le contrat de transport était constitué par le connaissement seulement. Il prétend que le bordereau de fret ne faisait pas partie du contrat, mais constituait plutôt un contrat de services distinct en vertu duquel l’intimée acceptait simplement de trouver de l’espace à bord du navire pour le transport des marchandises jusqu’à leur destination. Il soutient, par conséquent, que comme l’intimée n’était pas partie au contrat de transport, elle n’a pas donné de contrepartie valable à la convention d’indemnité. Il faut examiner ces affirmations en tenant compte des circonstances examinées plus haut.

L’expression « contrat de transport » n’est pas définie comme étant le contrat contenu dans un connaissement mais plutôt comme le contrat « constaté par » un connaissement. Cette définition est conforme aux dispositions de l’article 4 de la Loi [Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970, ch. C-15] qui prévoit qu’un connaissement qui est exécutoire sous réserve des Règles « contient ou prouve » le contrat. Cela laisse entendre qu’on peut considérer que le connaissement ne contient qu’une preuve prima facie des conditions du contrat de transport. À mon avis, cela semble conforme à l’opinion énoncée par le juge Goddard dans l’arrêt The Ardennes ([1951] 1 K.B. 55. Voir également Grace Plastics Ltd. c. Le « BERND WESCH II », [1971] C.F. 273, à la p. 278), où il a dit (aux p. 59 et 60) :

[traduction] « Il est, à mon sens, bien établi qu’un connaissement ne constitue pas par lui-même le contrat liant l’armateur et l’expéditeur, bien que, selon certains arrêts, il puisse avoir une grande force probante quant aux conditions de ce contrat : voir le jugement de lord Bramwell dans l’affaire Sewell v. Burdick (1884), 10 App. Cas. 74, à la page 105, et l’arrêt Crooks & Co. v. Allan (1879), 5 Q.B.D. 38. Le contrat est préexistant à la signature du connaissement; ce dernier n’est signé que par une seule des parties, et remis par elle à l’expéditeur, généralement après le chargement des marchandises sur le navire. »

L’avocat de l’appelante a cherché à établir une distinction avec cet arrêt au motif qu’il portait sur une réclamation des dommages causés par le déroutement d’un navire en violation d’une promesse verbale faite avant l’émission du connaissement. Le connaissement accordait la liberté de dévier de l’itinéraire fixé. Je ne crois pas que cette différence quant aux faits est suffisante pour soustraire l’espèce à l’application du principe examiné par lord Goddard. À mon avis, étant donné les circonstances de l’espèce, il faudrait examiner les deux documents pour déterminer ce qui constituait le contrat de transport et les parties qui y ont souscrit. Cela serait conforme à la méthode d’approche adoptée par le juge Lynskey dans l’affaire Hiram Walker & Sons Ltd. v. Dover Navigation Company Ltd., and Another (1949), 83 Lloyd’s 84; il a dit (à la p. 90) :

Selon moi, le bordereau de fret et le connaissement représentaient essentiellement un seul contrat …

En outre, il est expressément stipulé à la clause 35 de la charte-partie que les connaissements émis conformément à celle-ci doivent renfermer une « clause paramount pour les États-Unis » et une « clause paramount pour le Canada ». Cette stipulation semble vouloir dire qu’en ce qui concerne les marchandises transportées vers les États-Unis et le Canada, les clauses paramount appropriées doivent être incorporées respectivement aux connaissements pertinents.

Selon l’avocat de la demanderesse, puisque la confusion quant au choix du droit applicable découle du fait que les défenderesses Kim-Sail et Kim-Nav ont établi une multiplicité de documents, la difficulté d’interprétation devrait être tranchée contre elles et en faveur de la demanderesse. Par conséquent, il plaide que le droit canadien devrait s’appliquer.

Il y a trois interprétations possibles des dispositions contradictoires : (1) les conditions stipulées dans la formule intégrale de connaissement de Kim-Nav l’emportent; (2) les conditions stipulées dans la note d’embarquement Conline, étayées par les dispositions de la charte-partie, l’emportent; (3) puisque les diverses dispositions expresses sont contradictoires, il y a lieu d’en faire totalement abstraction et de déterminer le droit applicable selon la règle ordinaire qui exige l’application du droit du ressort ayant le lien le plus important avec le contrat.

J’accepte que la note d’embarquement et les connaissements « représentent essentiellement un seul contrat ». Cependant, je ne suis pas convaincue que la condition expresse stipulée dans la note d’embarquement doive l’emporter, même si elle est étayée par les conditions de la charte-partie. J’estime devoir donner effet à la « clause de prépondérance » portant le numéro 37, stipulée dans la formule intégrale de connaissement de Kim-Nav : [traduction] « le présent connaissement a prépondérance sur tous les accords … pour le transport des marchandises ». Lorsqu’il s’agit d’interpréter des dispositions écrites contradictoires, comme c’est le cas en l’espèce, j’estime qu’il est important de donner la priorité à celle qui a été adoptée la dernière. Les connaissements Kim-Nav ont été émis postérieurement à la note d’embarquement et à la charte-partie. En outre, ce sont ces connaissements qui ont effectivement été émis et sur lesquels l’action de la demanderesse est fondée. Par conséquent, à mon avis, la stipulation relative au choix du droit applicable dans la formule intégrale de connaissement de Kim-Nav doit l’emporter.

Selon l’avocat de la demanderesse, il ne faut pas donner effet à la clause comprise dans la formule intégrale de connaissement parce qu’une stipulation relative au choix du droit applicable est trop importante pour être cachée dans la formule intégrale. À la page 229 de son ouvrage Marine Cargo Claims, le professeur Tetley note qu’il y a des limites aux possibilités qu’ont les transporteurs d’invoquer les conditions d’une formule intégrale de connaissement, lorsque celles-ci sont incorporées par renvoi dans une formule abrégée de connaissement, et lorsque c’est ce dernier document qui a été émis dans les faits. Dans le texte, l’auteur se demande si les clauses spéciales qui se trouvent uniquement dans la formule intégrale, comme les clauses compromissoires ou les clauses attributrices de compétence seraient effectives. Selon lui, de telles clauses seraient sans effet, vu que leur existence n’aurait pas fait l’objet d’un avis suffisant. L’avocat de la demanderesse plaide que la clause relative au choix du droit applicable, stipulée dans la formule intégrale de connaissement, est de cette nature.

Je ne puis accepter cette thèse. L’avis selon lequel le droit des États-Unis doit s’appliquer ne se trouve pas exclusivement dans la formule intégrale. L’une des conditions stipulées dans la formule abrégée de connaissement prévoit expressément que ce connaissement [traduction] « produira tous ses effets sous réserve des dispositions de la Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis, adoptée le 16 avril 1936 ». À mon sens, cette clause vise également la jurisprudence américaine relative à l’interprétation de cette loi. Par conséquent, je crois que les formules abrégées de connaissement avisaient que le droit américain devait s’appliquer et que son incorporation en tant que condition contractuelle ne dépendait pas uniquement de la formule intégrale de connaissement.

Bien entendu, en vertu des grands principes relatifs à l’application du droit étranger, ce droit doit être prouvé comme n’importe quel fait et en l’absence d’une telle preuve, le droit étranger sera réputé identique au droit interne. En outre, la preuve d’expert relative au droit étranger, comme toute preuve sous forme d’opinion, n’est utile que si les hypothèses sur lesquelles elle est fondée coïncident avec les conclusions de fait auxquelles le tribunal est arrivé dans l’affaire à laquelle l’opinion se rapporte. Les défendeurs ont présenté une preuve d’expert relativement à deux aspects du droit américain. L’un a trait à la responsabilité de Kim-Sail. L’autre a trait à la responsabilité des propriétaires du Lara S.

b) Kim-Nav et Kim-Sail

Me DeOrchis a été cité comme témoin expert relativement au droit américain. Il a attesté qu’en droit américain, Kim-Sail, en tant qu’affréteur, ne serait pas déclaré responsable comme transporteur sous le régime de la COGSA (Carriage of Goods by Sea Act) [46 U.S.C. 1300 (1988)]. L’opinion de Me DeOrchis était fondée sur l’hypothèse que Kim-Sail était l’affréteur du Lara S et que Kim-Nav, et non Kim-Sail, avait émis les connaissements. Me DeOrchis a invoqué les arrêts Associated Metals & Minerals Corp. v. S.S. Portoria, 484 F. 2d 460 (5th Cir. 1973) et Kirno Hill Corp. v. Holt, 618 F. 2d 982 (2d Cir. 1980). Il a affirmé qu’[traduction] « il incomberait à la demanderesse de prouver que le présumé transporteur sous le régime de la COGSA, savoir Kim-Sail, était partie au contrat de connaissement intervenu avec la demanderesse ». Selon lui, le fait que Kim-Sail et Kim-Nav avaient les mêmes actionnaires et administrateurs n’aurait aucune importance puisqu’il s’agissait d’entités juridiques distinctes. Selon lui, il incomberait à la demanderesse de [traduction] « faire abstraction de la personnalité morale » et de démontrer que les deux compagnies n’en formaient qu’une en réalité.

L’opinion de Me DeOrchis en ce qui a trait à la responsabilité de Kim-Sail n’est valable que si les faits nous amènent à conclure que Kim-Sail n’avait aucune responsabilité comme transporteur relativement à l’émission des connaissements. D’après la preuve, il est clair que cette conclusion ne peut être tirée. Il y a une preuve selon laquelle Agencia Ultramar était l’agent général de Kim-Sail au Brésil, que cette agence obtient des cargaisons en tant que courtier et qu’elle tente de les obtenir pour Kimberly Line. Le subrécargue de Kim-Sail, M. Neise, a demandé au capitaine de déléguer à Agencia Ultramar le pouvoir de signer les connaissements. Il n’y a aucune preuve selon laquelle Agencia Ultramar agissait pour le compte de Kim-Nav lorsqu’elle a signé le connaissements. La preuve indique que Kim-Nav a « autorisé » Kim-Sail à utiliser ses connaissements, en l’espèce, par souci de commodité pour les deux compagnies. Le fait que la raison sociale de Kim-Nav figure au verso des connaissements est presque secondaire. Lorsque Agencia Ultramar a signé les connaissements pour Kimberly Line, il est plus probable qu’elle signait pour Kim-Sail plutôt que pour Kim-Nav.

D’après certains éléments de preuve, Redburn Inc. est l’agent portuaire de Kim-Sail à Toronto. Le télex envoyé au capitaine du Lara S le 23 mars 1988 indiquait que Kim-Sail était le transporteur. Kim-Sail était l’affréteur du Lara S et s’acquittait des responsabilités d’un « transporteur. » C’était le subrécargue de Kim-Sail, M. Neise, qui avait été présent au moment du chargement et de l’expédition de la cargaison. L’entente selon laquelle, Kim-Nav aurait enregistré la cargaison et l’aurait remise à Kim-Sail est une entente verbale. Il n’y a aucune preuve selon laquelle Kim-Sail aurait signé un sous-affrètement en faveur de Kim-Nav.

Il n’y a aucune véritable distinction entre Kim-Sail et Kim-Nav au plan de leurs activités commerciales. Les deux compagnies et Kersten Shipping sont très intimement liées. Elles ont les mêmes dirigeants, administrateurs et actionnaires. Les mêmes actionnaires contrôlent les deux compagnies. Toutes les activités commerciales des deux compagnies Kimberly sont effectuées par Kersten Shipping et, en fait, en grande partie par M. Gardner. Bien que les deux compagnies puissent être des entités juridiques distinctes, aux yeux des tiers, il est en fait impossible de les distinguer l’une de l’autre.

De ces faits, nous pouvons conclure que Kim-Sail était, en réalité, le transporteur et qu’elle ne faisait qu’employer les connaissements de Kim-Nav par souci de commodité. Au plus, la participation de Kim-Nav devrait être caractérisée comme une forme de coentreprise ou de société avec Kim-Sail. À mon avis, lorsque Agencia Ultramar a signé les connaissements pour Kimberly Line, si elle ne le faisait pas pour Kim-Sail seule, elle le faisait pour Kim-Sail et Kim-Nav conjointement. Ainsi, même si les connaissements ne mentionnent pas Kim-Sail expressément, la demanderesse a prouvé que cette dernière était effectivement une partie contractante. Les faits ne correspondent pas aux hypothèses sur lesquelles Me DeOrchis a fondé son opinion. Il ne s’agit pas d’un cas où il y a lieu de « faire abstraction de la personnalité morale ». Il s’agit d’un cas où, à tout le moins, Kim-Sail et Kim-Nav se sont associées dans une coentreprise ou une société. À mon avis, elles sont donc responsables toutes les deux comme transporteurs en vertu des connaissements.

c) Les propriétaires du navire

(i) droit canadien

Si le droit canadien s’applique, il semble clair que, puisque le Lara S ne faisait pas l’objet d’un affrètement coque nue et que les connaissements ont été signés au nom du capitaine, le propriétaire du navire serait responsable en tant que transporteur : voir les arrêts Paterson SS Ltd. v. Aluminum Co. of Can., [1951] R.C.S. 852; Aris Steamships Co. Inc. c. Associated Metals& Minerals Corporation, [1980] 2 R.C.S. 322 (C.A.). Dans l’arrêt Aris, on trouve le passage suivant à la page 325 :

Dans son action, la demanderesse réclame des dommages-intérêts à cause du retard qui serait survenu dans l’expédition et la livraison d’une cargaison de fonte en gueuses chargée à bord du navire Evie W, propriété d’Aris qui avait conclu un contrat de charte-partie à temps avec Worldwide. Le dernier paragraphe de ce contrat se lit comme suit :

[traduction] 26. Rien dans le présent contrat ne doit être interprété comme un transfert de la gestion nautique du navire aux affréteurs à temps. Les propriétaires sont tenus de payer l’assurance et répondent de la navigabilité du navire, du fait des pilotes et des remorqueurs, de l’équipage et de toute autre chose, de la même manière que s’ils exploitaient le navire en leur nom personnel.

Il est donc évident aux termes de ce contrat que jamais la propriété du navire n’a été transférée à Worldwide. Comme le veut l’usage, cette charte-partie prévoit que le navire doit être mis à la disposition de Worldwide qui était chargée de lui trouver une cargaison selon les circonstances et les besoins; le propriétaire Aris devait fournir le capitaine et l’équipage, et les connaissements relatifs à la cargaison à expédier devaient être signés par le capitaine au nom du propriétaire. La clause 8 de la charte-partie définit le rôle du capitaine en ces termes :

[traduction] 8. Le capitaine effectuera tous ses voyages avec la plus grande célérité et donnera l’assistance coutumière avec l’équipage du navire et les bateaux. Le capitaine, même s’il est nommé par les propriétaires, sera sous les ordres des affréteurs pour toute question d’emploi ou de mandat; les affréteurs sont tenus de charger, d’arrimer et de décharger la cargaison à leurs frais, sous la surveillance du capitaine qui signe sur présentation les connaissements relatifs aux chargements effectués conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur. Le tout sans limiter la portée de la présente charte-partie. [Soulignement ajouté.]

Les clauses 8 et 26 qui ont été traitées dans l’arrêt Aris sont identiques aux clauses 8 et 26 de la charte-partie en l’espèce. Dans l’arrêt Aris, la Cour a poursuivi en ces termes aux pages 328 et 329 :

Le juge de première instance était d’avis qu’il n’existait aucun lien contractuel entre Aris et la demanderesse relativement à la livraison de la cargaison et que les connaissements avaient été signés par le capitaine en sa qualité de mandataire de l’affréteur. À l’instar du juge en chef Jackett et pour les motifs qu’il expose, je ne peux souscrire à cette proposition. Par ailleurs, je suis porté à croire que le capitaine et l’affréteur agissaient en leur qualité de mandataires du propriétaire dans l’exécution du contrat constaté par le connaissement.

J’adopte le passage suivant tiré des motifs de jugement du juge en chef Jackett qui renferme, à mon avis, une évaluation exacte des relations entre les parties [Associated Metals & Minerals Corp. c. L’Evie W, [1978] 2 C.F. 710 aux pages 717 et 718 :

Je vais examiner sur le fond le présent appel. Il s’agit, à mon avis, de déterminer si, en l’espèce, le savant juge de première instance a fait erreur en concluant que le contrat de transport de l’appelante n’a pas été un contrat conclu avec l’intimée en tant que propriétaire et exploitante du navire dont le capitaine, préposé de ladite propriétaire, a signé les connaissements concernant le transport des marchandises de l’appelante, conformément aux arrangements complexes régissant les contrats avec les affréteurs pour le transport des marchandises par mer. Je ne vois pas en quoi les circonstances de l’espèce diffèrent de celles prises en considération par la Cour suprême du Canada dans Paterson Steamships Ltd. c. Aluminum Co. of Canada Ltd., [1951] R.C.S. 852 ni pourquoi je devrais en venir à une autre conclusion que celle de la Cour suprême dans l’arrêt précité. À défaut de différence pertinente, je suis d’avis que le savant juge de première instance a fait erreur en concluant que l’appelante n’a pas conclu de contrat de transport avec l’intimée.

La charte-partie examinée dans l’affaire Paterson était de fait virtuellement identique à celle en litige ici; après avoir cité certaines de ses clauses, le juge Rand poursuit, à la p. 854 :

[traduction] Aux termes d’une charte-partie de cette nature et en l’absence d’un engagement de la part de l’affréteur, le propriétaire demeure le transporteur à l’égard de l’expéditeur et, quand il délivre des connaissements, le capitaine agit en tant que mandataire du propriétaire. [Soulignement ajouté.]

Dans son ouvrage Marine Cargo Claims, 3e éd., 1988, aux pages 233 à 245, le professeur Tetley examine la question de savoir qui est un transporteur sous le régime des Règles de La Haye ou des Règles de La Haye-Visby [Protocole portant modification de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement signée à Bruxelles, le 25 août 1924 (Bruxelles 23 février 1968)][3]. Il affirme ce qui suit aux pages 235 et 236 :

[traduction] Traditionnellement, le transporteur était la personne qui contractait avec le chargeur pour transporter les marchandises. Il faut maintenant se demander si le transporteur doit également avoir contracté avec le chargeur sous le régime des Règles de La Haye ou des Règles de La Haye-Visby. La réponse est que l’émetteur du connaissement contracte à la fois en son propre nom et au nom de tiers ayant des responsabilités sous le régime des Règles de La Haye. Autrement dit, le transporteur contractant contracte à deux titres : pour son propre compte et comme mandataire. Par conséquent, l’affréteur qui émet le connaissement contracte également pour tout autre affréteur et pour le propriétaire du navire auxquels les Règles imposent des responsabilités.

Le connaissement est généralement signé par le capitaine ou en son nom et un tel connaissement lie normalement le propriétaire du navire pour lequel agit le capitaine. La seule exception semble être le cas où le capitaine est directement à l’emploi d’un affréteur coque nue.

Lorsqu’un affréteur à temps ou au voyage signe comme mandataire du capitaine, le propriétaire demeure lié parce que le capitaine est l’employé, ou en fait, le préposé ou le mandataire du propriétaire. Ceci semble vrai même lorsque la raison sociale de l’affréteur figure à l’en-tête du connaissement, comme l’a jugé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Paterson SS. Ltd. v. Aluminum Co. Cette position a également été adoptée par le juge Brandon dans l’arrêt The Berkshire et par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt The Evie W.

Dans les affaires Paterson SS. Ltd. et The Berkshire, et probablement dans l’affaire The Evie W., le propriétaire savait que l’affréteur avait l’habitude d’émettre des connaissements du capitaine rédigés sur des formules de connaissement de l’affréteur. En fait, il s’agit d’une pratique courante dans le monde maritime, si bien qu’il est rare que le propriétaire n’en soit pas informé. [Les renvois ont été omis, soulignements ajoutés.]

L’auteur affirme ce qui suit à la page 242 :

[traduction] Généralement, l’action peut être intentée contre le propriétaire et l’affréteur. Dans l’arrêt The Quarrington Court, le tribunal a jugé qu’un connaissement émis par un affréteur sur sa propre formule et signé par l’agent de l’affréteur pour le capitaine, conformément à l’autorisation écrite du capitaine, liait à la fois le propriétaire du navire et l’affréteur. Dans d’autres jugements, l’affréteur a été tenu responsable au plan contractuel et le propriétaire du navire, responsable au plan délictuel.

Le transport de marchandises constitue effectivement une coentreprise de propriétaires et d’affréteurs (sauf dans le cas d’un affrètement coque nue), si bien qu’ils devraient être tenus solidairement responsables comme transporteurs. [Les renvois ont été omis, soulignement ajouté.]

Il semble tout à fait logique de tenir à la fois le propriétaire du navire et l’affréteur responsables en tant que transporteurs en vertu d’un affrètement comme celui qui a été conclu en l’espèce. Le capitaine connaît le navire et les particularités dont il faut tenir compte au moment de l’arrimage. Il surveille cet arrimage. Il assume la responsabilité du voyage et on peut présumer qu’il connaît les conditions météorologiques auxquelles on pourrait normalement s’attendre. Dans un tel cas, il semble tout à fait juste de tenir le capitaine et, par conséquent, son employeur, le propriétaire du navire, solidairement responsables avec l’affréteur des avaries qui découlent d’un arrimage inadéquat.

ii) preuve du droit américain

Me DeOrchis a attesté qu’en droit américain, l’affrètement d’un navire était considéré comme un contrat intervenu entre l’affréteur et le propriétaire du navire, alors que le contrat de transport de marchandises était conclu entre le chargeur et le transporteur. Il a affirmé qu’il s’agissait de deux contrats distincts et indépendants. Pour la forme, Me DeOrchis a demandé pourquoi le propriétaire du navire devrait être déclaré responsable des avaries subies par la cargaison, puisque son profit provenait du contrat de louage du navire, et non pas du contrat de transport de la cargaison. Me DeOrchis a attesté qu’en droit américain, un propriétaire de navire ne serait pas tenu responsable dans un cas comme l’espèce, à moins que le demandeur ne puisse prouver que le capitaine a signé les connaissements au nom du propriétaire du navire. Au soutien de son opinion, Me DeOrchis a invoqué les arrêts Yeramex Intern. v. S. S. Tendo (Two Cases), 595 F. 2d 943 (4th Cir. 1979); Mahroos v. S/S Tatiana L., 1988 AMC 757 (S.D.N.Y. 1986); Dempsey Associates v. S. S. Sea Star, 461 F. 2d 1009 (2d Cir. 1972); Associated Metals & Minerals Corp. v. S. S. Portoria, 484 F. 2d 460 (5th Cir. 1973); Tube Products of India v. Steamships Rio Grande, 334 F. Supp. 1039 (S.D.N.Y. 1971); United Nations Childrens Fund v. S. S. Nordstern, 251 F. Supp. 833 (S.D.N.Y. 1965); Unisor Steel Corporation v. M.V. Dordrecht, 1981 AMC 2630 (S.D.N.Y. 1981) et Poznan, The, 276 F. 418 (S.D.N.Y. 1921) et l’ouvrage Scrutton on Charterparties and Bills of Lading, 17e éd. 1964, à la page 51. Me DeOrchis a attesté qu’en vertu du droit américain applicable, vu les faits en l’espèce, tels qu’il les comprenait, le propriétaire du navire ne serait pas tenu responsable en tant que transporteur sous le régime de la COGSA.

Nous examinerons deux aspects du témoignage de Me DeOrchis relativement à la responsabilité du propriétaire du navire : ses affirmations sur l’état du droit américain et son opinion quant aux conclusions qui résultent de l’application de ces principes juridiques aux faits en l’espèce[4]

En contre-interrogatoire, Me DeOrchis a reconnu qu’il y avait deux écoles de pensée aux États-Unis. L’une de ces écoles préconisait sa propre théorie. Selon la deuxième école, il fallait, autant que possible, tenir responsables en tant que transporteurs tous ceux qui avaient quelque chose à voir avec le transport de la cargaison. Il a reconnu qu’un énoncé exact du droit américain applicable se trouvait dans l’arrêt Tubacex, Inc. v. M/V Capetan Georgis II, 1986 AMC 2283 (S.D.N.Y. 1986), à la page 2284 :

[traduction] Généralement, lorsqu’un connaissement est signé par l’affréteur ou par son agent « pour le capitaine » avec l’autorisation du propriétaire du navire, le propriétaire du navire est lié par le connaissement, et il est assujetti aux dispositions de la COGSA. Voir l’arrêt Pacific Employers Ins. Co. v. M/V Gloria, 767 F. 2d 229 (5 Cir. 1985).

Me DeOrchis a reconnu que le commentaire suivant, tiré de l’ouvrage de T. Y. Schoenbaum, Admiralty and Maritime Law (1987), à la page 311 était exact :

[traduction] Certains tribunaux appliquent les principes juridiques en matière de mandat, y compris la notion de pouvoir implicite ou apparent, pour savoir si le connaissement a été signé au nom du propriétaire ou au nom de l’affréteur. Parmi les facteurs pertinents dont ils tiennent compte, il y a le type d’affrètement, l’identité du signataire du connaissement, l’identité de celui dont on a utilisé les formules de connaissement et l’identité de celui qui a autorisé l’émission du connaissement. [Les renvois ont été omis.]

Cependant, il était en désaccord avec l’affirmation suivante :

[traduction] Toutefois, les règles techniques du droit en matière de mandat ne sont pas toujours strictement suivies et la tendance moderne est d’assimiler au transporteur toutes les parties—y compris le propriétaire et les affréteurs—qui ont participé à l’opération de transport.

Il a affirmé que ce principe se rapportait aux Règles de Hambourg [Convention de 1978 des Nations-Unies sur le transport de marchandises par mer, Hambourg, 31 mars 1978] que n’a signés, jusqu’à maintenant, aucun État maritime important. Or, le texte de Schoenbaum ne renferme aucun renvoi à ces Règles et, de fait, la phrase qui précède immédiatement ce passage comporte un renvoi à la décision Joo Seng Hong Kong Co., Ltd. v. S.S. Unibulkfir, 483 F. Supp. 43 (S.D.N.Y. 1979), aux p. 46 et 47 :

[traduction] Même s’il est difficile de dégager des principes uniformes de la jurisprudence actuelle, deux choses peuvent être affirmées avec une certaine certitude. Premièrement, il arrive fréquemment que plusieurs parties soient tenues responsables envers un chargeur en vertu d’un connaissement assujetti à la COGSA. Voir, par exemple, les arrêts Gans S. S. Line v. Wilhelmsen, 275 F. 254 (2d Cir.), cert. refusé, Barber& Co. v. Wilhelmsen, 257 U.S. 655, 42 S.CT. 97, 66 L.Ed. 419 (1921) (propriétaire, affréteur à temps et affréteur au voyage); Aljassim v. S. S. South Star, 323 F.Supp. 918 (S.D.N.Y. 1971) (propriétaire et affréteur à temps). Il peut donc évidemment y avoir plus d’un transporteur sous le régime de la COGSA pour une expédition donnée. Deuxièmement, les tribunaux n’ont pas hésité à tenir responsables des affréteurs ou des propriétaires qui n’avaient pas signé de connaissement et qui ne pouvaient nullement être considérés comme ayant, à proprement parler, émis le connaissement. Ce faisant, les tribunaux cherchent habituellement à trouver une preuve qui lie la partie au connaissement en cause.

Dans de tels jugements, les tribunaux cherchent à justifier leur décision de faire assumer la responsabilité d’un transporteur sous le régime de COGSA en s’appuyant sur une preuve particulière de « contrat de transport » entre l’affréteur ou le propriétaire et le chargeur en cause. Cependant, il existe de solides arguments fondés sur le texte de la loi qui permettent de traiter, sauf situation exceptionnelle, tous les propriétaires et affréteurs qui ont participé au transport des marchandises en cause comme des transporteurs sous le régime de la COGSA, lesquels peuvent être tenus responsables envers les chargeurs en vertu du connaissement. Comme nous l’avons vu, le texte de la COGSA elle-même permet de donner une interprétation large à l’expression « transporteur ». La loi semble avoir été délibérément rédigée de façon à ne pas limiter l’expression à une partie au connaissement ou au contrat de transport. 46 U.S.C. 1301(a). L’article relatif à la responsabilité, en particulier, semble suffisamment large pour englober toutes sortes de parties différentes ayant participé à l’expédition et à la manutention des marchandises. Voir 46 U.S.C. 1302. L’affréteur d’un navire semble certainement être compris dans cette expression légale qui semble aussi avoir exactement le même sens que le mot « transporteur » dans la langue courante.

En pratique, le fait de traiter tous les affréteurs et les propriétaires comme des transporteurs serait conforme au but visé par la COGSA, soit de rectifier le déséquilibre qu’il y a, aux yeux du Congrès, entre le pouvoir de négociation des transporteurs et celui des chargeurs, voir, par exemple, Standard Electrica, S.A. v. Hamburg Sudamerikanische, 375 F. 2d 943 (2d Cir.) cert. refusé, 389 U.S. 831, 88 S.Ct. 97, 19 L.Ed. 2d 89 (1957). Une telle approche permettrait aux demandeurs d’une indemnité pour perte ou avarie de marchandises d’intenter une poursuite fondée sur la COGSA contre tous ceux qui ont participé de plus près « au chargement, à la manutention et à l’arrimage », etc. des marchandises transportées par mer. Cette approche éliminerait également les litiges préliminaires opposant les parties sur l’identité du ou des transporteurs sous le régime de COGSA et favoriserait une jurisprudence plus uniforme. Enfin, une définition large de l’expression « transporteur » sous le régime de la COGSA ne rendra pas automatiquement responsables les affréteurs ou les propriétaires. Comme les tribunaux l’ont déjà reconnu, voir, par exemple, l’arrêt Gans S. S. Line v. Wilhelmsen, précité, la question de savoir quelles parties sont des transporteurs sous le régime de la COGSA revient surtout à se demander qui peut être poursuivi par les chargeurs en vertu du connaissement. La question ultime de la responsabilité et du partage de la perte entre ceux que le tribunal a considérés comme des transporteurs est une question distincte qui dépendra dans chaque cas des rôles respectifs de chacun et des actes posés par les divers défendeurs à l’action.… [Soulignement ajouté, le renvoi a été omis.]

Après avoir examiné le cas de l’affrètement coque nue, Schoenbaum ajoute ce qui suit aux pages 311 et 312 de son ouvrage :

[traduction] Dans le cas plus fréquent d’une charte-partie à temps ou au voyage, où le propriétaire conserve la possession et le contrôle du navire, le propriétaire du navire, règle générale, sera le transporteur sous le régime de la COGSA. Cependant, lorsque les faits montrent que le connaissement a été émis avec l’autorisation de l’affréteur, celui-ci pourra être le transporteur et le propriétaire du navire pourra éviter d’être tenu personnellement responsable.

Dans plusieurs cas, les voies hiérarchiques ne sont pas claires, par exemple, lorsqu’un connaissement est signé par l’affréteur « pour le capitaine ». Pour savoir qui est le transporteur, le tribunal doit examiner le pouvoir de l’affréteur de signer au nom du capitaine et le pouvoir du capitaine de lier le propriétaire du navire. Un contrat de transport avec un propriétaire peut être conclu, soit directement entre les parties, soit en vertu du pouvoir de l’affréteur de lier le propriétaire en signant des connaissements « pour le capitaine ». Généralement, lorsque l’affréteur ou son agent signent « pour le capitaine », le propriétaire du navire est lié en tant que transporteur sous le régime de la COGSA. Cependant, s’il est démontré que le document a été signé « pour le capitaine » sans l’autorisation du propriétaire du navire, ce dernier n’est pas personnellement lié et il ne devient pas un transporteur sous le régime de la COGSA du fait que l’affréteur a signé. [Les renvois ont été omis.]

Après avoir commenté le jugement Joo Seng, Schoenbaum poursuit en ces termes, à la page 313 de son ouvrage :

[traduction] Cette dernière solution [c’est-à-dire traiter tous les propriétaires et les affréteurs en cause comme des transporteurs pouvant engager leur responsabilité] est manifestement correcte. La question de l’identité du transporteur se pose principalement à l’étape préliminaire lorsqu’il s’agit de décider qui peut être poursuivi par les chargeurs en vertu du connaissement. Les principes régissant le mandat ne permettent pas de résoudre la question à cette étape. Les rapports entre les parties sont confus et le connaissement a sans doute été émis sans qu’il y ait eu de négociations importantes entre le chargeur et d’autres parties. La théorie selon laquelle toutes les parties ayant participé au transport des marchandises sont des transporteurs sous le régime de la COGSA élimine les litiges préliminaires sur la question de l’identité du transporteur. Toutes les parties intéressées peuvent ainsi être présentes devant le tribunal qui peut évaluer le partage ultime de la responsabilité pour la perte. [Les renvois ont été omis.]

J’aborde maintenant la jurisprudence invoquée par Me DeOrchis au soutien de son opinion et celle qui lui a été mentionnée en contre-interrogatoire. Afin d’évaluer l’opinion de Me DeOrchis, il est utile de rappeler les conditions particulières de la charte-partie en cause. Nous les reproduisons de nouveau ci-dessous, par souci de commodité :

[traduction] 8. Le capitaine effectuera tous ses voyages avec la plus grande célérité et donnera l’assistance coutumière avec l’équipage du navire et les bateaux. Le capitaine, même s’il est nommé par les propriétaires, sera sous les ordres des affréteurs pour toute question d’emploi ou de mandat; les affréteurs sont tenus de charger, d’arrimer, de décharger et de pointer la cargaison à leurs frais—et l’attacher si nécessaire, sous la surveillance du capitaine qui signe sur présentation les connaissements relatifs aux chargements effectués, conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur.

26. Rien dans le présent contrat ne doit être interprété comme un transfert de la gestion nautique du navire aux affréteurs à temps. Les propriétaires sont tenus de payer l’assurance et répondent de la navigabilité du navire, du fait des pilotes et des remorqueurs, de l’équipage et de toute autre chose, de la même manière que s’ils exploitaient le navire en leur nom personnel.

50. Les affréteurs peuvent utiliser au besoin leur formule de connaissement ou le connaissement de la charte-partie [sic]. Les affréteurs ou leurs représentants sont autorisés à signer le connaissement pour le capitaine et en son nom conformément aux reçus de bord et aux reçus du pointeur. [Soulignement ajouté.]

Les clauses 8 et 26 font partie de la formule imprimée de charte-partie avec quelques ajouts mineurs dactylographiés dans les interlignes. La clause 50 a été ajoutée à la dactylo dans la formule de contrat normalisée.

Parmi les jugements américains sur lesquels Me DeOrchis s’est fondé pour en arriver à son opinion, quelques décisions intéressent des chartes-parties ayant une clause semblable à la clause 8 précitée. On ne saurait dire si ces chartes-parties comprenaient également une clause comparable à la clause 26. Aucune ne paraît contenir une clause semblable à la clause 50. En outre, des distinctions peuvent certainement être faites entre certaines de ces affaires et l’espèce.

Dans le jugement Poznan, le tribunal a statué que le propriétaire n’était pas responsable comme transporteur visé par les connaissements, même si le capitaine en avait effectivement signé quelques-uns, vu que la clause imprimée dans la charte-partie selon laquelle le capitaine devait signer les connaissements avait été biffée. Cependant, les propriétaires du navire ont été jugés responsables au plan délictuel.

Dans les affaires Nordstern et Rio Grande, le capitaine n’avait pas signé les connaissements dans les faits, même si la charte-partie prévoyait qu’il devait les signer [traduction] « sur présentation ». Les chartes-parties en cause dans ces deux affaires avaient été rédigées sur des formules de la New York Produce Exchange et comportaient une clause 8 semblable à celle qui a été stipulée en l’espèce. Dans l’affaire Rio Grande, l’affréteur avait signé les connaissements [traduction] « pour le capitaine » sans toutefois avoir été autorisé à le faire par le propriétaire.

Le jugement Sea Star semble surtout intéresser le partage des dommages-intérêts entre le propriétaire et l’affréteur, plutôt que la question de la responsabilité du propriétaire du navire à l’égard du propriétaire de la cargaison. Les conditions de la charte-partie dans l’affaire Portoria ne sont pas clairement énoncées, bien qu’il y eût un sous-affréteur au voyage; aucune preuve ne tendait à établir que le propriétaire avait donné au sous-affréteur au voyage le pouvoir de signer des connaissements. Ceux-ci avaient été signés [traduction] « avec l’autorisation du capitaine ». Une distinction très nette peut être faite entre l’affaire Yeramex et l’espèce. Me DeOrchis occupait dans ce dossier.

L’affaire Yeramex [à la page 947] faisait intervenir un facteur important qui a été mentionné dans l’ouvrage de Schoenbaum. En effet, une des conditions de la charte-partie en cause prévoyait expressément ce qui suit :

[traduction] 57. Les affréteurs doivent indemniser les propriétaires de toutes les conséquences qui découlent du fait que le capitaine ou l’agent a signé des connaissements conformément aux directives des affréteurs ou qu’il a obéi à des ordres ou à des directives des affréteurs à cet égard. Les propriétaires ne sont pas responsables s’il y a des manquants, des mélanges.… Les affréteurs sont chargés d’arrimer toute la cargaison dans le conteneur, et ils sont responsables en cas de perte ou d’avarie du navire, des conteneurs ou de la cargaison, attribuable à l’arrimage ou au déchargement effectué de façon négligente ou contraire aux conditions de la présente charte-partie.

Le tribunal a statué que l’affréteur n’avait donc pas le pouvoir de lier les propriétaires du navire. Me DeOrchis a refusé de reconnaître que cette clause avait joué un rôle crucial dans le jugement Yeramex. Il faut admettre qu’il peut sembler illogique d’invoquer une clause d’indemnité pour dégager le propriétaire du navire de toute responsabilité envers le transporteur : en effet, une clause d’indemnité stipulée en faveur des propriétaires semblerait indiquer que ces derniers avaient engagé une responsabilité qui devait faire l’objet d’une indemnisation. Néanmoins, il est clair que la clause a joué un rôle important dans la décision de la Cour.

Dans son témoignage, Me DeOrchis a également invoqué le jugement Mahroos v. S/S Tatiana L., 1988 AMC 757 (S.D.N.Y. 1986). Il a cité ce jugement au soutien de la thèse selon laquelle, en règle générale, le propriétaire d’un navire n’est pas personnellement responsable en vertu d’un connaissement émis par un affréteur lorsque le connaissement n’indique pas le nom du propriétaire et lorsqu’il n’est pas signé par le capitaine ou pour lui. Dans son opinion écrite, Me DeOrchis n’a pas mentionné les jugements Tubacex, Inc. v. M/V Capetan Georgis II, précité, Joo Seng Hong Kong Co., Ltd., précité, Pacific Employers Ins. Co. v. M/V Gloria, 767 F. 2d 229 (5th Cir. 1985) ou Recovery Services International v. S/S Tatiana L., 1988 A.M.C. 788 (S.D.N.Y. 1986). Vu ces omissions, on peut se demander à quel point cette opinion est complète. Dans l’affaire Tubacex, le propriétaire du navire avait invoqué les jugements Yeramex, Sea Star et Nordstern. Il a refusé de radier l’action intentée contre le propriétaire du navire. Il a statué que ces jugements voulaient simplement dire que le propriétaire n’était pas responsable lorsque l’affréteur n’avait pas le pouvoir de signer pour le capitaine. Dans le jugement Joo Seng, à la page 46, le tribunal a affirmé que le texte de la COGSA militait fortement en faveur de l’interprétation selon laquelle, sauf situations exceptionnelles, le propriétaire et l’affréteur sont responsables en tant que transporteurs envers les chargeurs. Dans un renvoi, le tribunal a mentionné l’affaire Yeramex et l’a décrite comme étant l’une de ces situations exceptionnelles :

[traduction] Une telle situation pourrait se produire, par exemple, lorsque, dans une charte-partie, une partie assume expressément le rôle exclusif de transporteur et la charte-partie est intégrée par renvoi dans le connaissement. Voir, par exemple, Yeramex International v. S. S. Tendo, 595 F. 2d 943, 945 (4th Cir. 1979).

Dans l’affaire Gloria, les connaissements avaient été signés par l’agent des affréteurs avec l’autorisation du capitaine en vertu d’une charte-partie dont les conditions étaient semblables à celles en l’espèce. Les clauses 8 des deux chartes-parties sont pratiquement identiques. En outre, le tribunal a jugé pertinente la clause additionnelle suivante [à la page 237] :

[traduction] Clause additionnelle 37. Si les affréteurs ou leurs agents l’exigent, le capitaine autorise les affréteurs ou leurs agents à signer les connaissements en son nom conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur sous réserve de la présente charte-partie.

Dans cette affaire, le tribunal a jugé le propriétaire responsable en tant que transporteur sous le régime de la COGSA. Me DeOrchis s’est dit d’accord avec le jugement Gloria, mais il estimait que la clause additionnelle 37 dans cette affaire était différente de la clause 50 de la charte-partie en l’espèce :

[traduction] 50. Les affréteurs peuvent utiliser au besoin leur formule de connaissement ou le connaissement de la charte-partie [sic]. Les affréteurs ou leurs représentants sont autorisés à signer le connaissement pour le capitaine et en son nom conformément aux reçus de bord et aux reçus du pointeur.

De prime abord, la clause 50 ne me semble pas très différente de la clause 37.

Voici les passages pertinents du jugement Gloria [aux pages 237 et 238] :

[traduction] Dans sa déposition, le capitaine du GLORIA a attesté « avoir donné à Rogers Terminal un engagement comme quoi ils devaient signer les connaissements ». Les appelants n’ont présenté aucune preuve contradictoire. L’espèce est donc différente des affaires invoquées par les appelants, dans lesquelles il n’y avait aucune preuve permettant de conclure que le capitaine avait autorisé l’affréteur ou son agent à signer en son nom. Voir Demsey & Associates v. S.S. SEA STAR, 461 F. 2d 1009, 1012 à 1015 (2d Cir. 1972); Thyssen Steel Corp. v. S.S. ADONIS, 364 F. Supp. 1332, 1335 (S.D.N.Y. 1973); United Nations Children’s Fund v. S/S NORDSTERN, 251 F. Supp. 833, 838 (S.D.N.Y. 1965).

… La charte-partie conclue entre Aquarius [le propriétaire du navire] et TMM [l’affréteur] renfermait les stipulations suivantes :

8. Le capitaine effectuera tous ses voyages avec la plus grande célérité et donnera l’assistance coutumière avec l’équipage du navire et les bateaux. Le capitaine, même s’il est nommé par les propriétaires, sera sous les ordres des affréteurs pour toute question d’emploi ou de mandat; les affréteurs sont tenus de charger, d’arrimer et de décharger la cargaison à leurs frais, sous la surveillance du capitaine qui signe sur présentation les connaissements relatifs aux chargements effectués conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur.

Clause additionnelle 37. Si les affréteurs ou leurs agents l’exigent, le capitaine autorise les affréteurs ou leurs agents à signer les connaissements en son nom conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur sous réserve de la présente charte-partie.

Nous jugeons que la clause additionnelle 37 de la charte-partie donnait au capitaine le pouvoir d’autoriser l’agent de TMM à signer les connaissements, liant Aquarius par le fait même. Une distinction peut être faite avec le jugement invoqué par les appelants, Yeramex International v. S.S. Tendo, 595 F. 2d 943 (4th Cir. 1979). Dans l’affaire Yeramex, la charte-partie conclue entre le propriétaire du navire et l’affréteur à temps renfermait une disposition identique à la clause 8 précitée. Elle renfermait également une disposition qui prévoyait, en partie : « les affréteurs doivent indemniser les propriétaires de toutes les conséquences qui découlent du fait que le capitaine ou les agents ont signé des connaissements conformément aux directives des affréteurs ou qu’ils ont obéi à des ordres ou à des directives des affréteurs à cet égard » Id. à la p. 947. Dans l’affaire Yeramex, le tribunal a jugé qu’aux termes de la charte-partie, l’affréteur assumait la responsabilité exclusive pour ce qui était de la manutention de la cargaison et de l’émission des connaissements.…

… La charte-partie Aquarius-TMM ne renfermait aucune disposition qui obligeait TMM à indemniser Aquarius de toutes les conséquences qui découlaient du fait que le capitaine ou les agents avaient signé le connaissement. En outre, la clause additionnelle 37 de la charte-partie renferme une autorisation expresse qui ne se trouvait pas dans la charte-partie de l’affaire Yeramex. Les conclusions de la cour du district selon lesquelles TMM était autorisée à lier Aquarius par les conditions du connaissement et selon lesquelles Aquarius était un transporteur sous le régime du COGSA ne sont pas manifestement erronées. [Soulignement ajouté.]

Comme nous l’avons vu, Me DeOrchis n’a pas invoqué cette décision au soutien de son opinion. Il n’a pas non plus invoqué le jugement Recovery Services International v. S/S Tatiana L., 1988 AMC 788 (S.D.N.Y. 1986) à la page 791 :

[traduction] La règle prévoit clairement que si le capitaine du navire signe un connaissement, le propriétaire du navire sera jugé personnellement responsable envers le consignataire de la cargaison. Le propriétaire sera également jugé personnellement responsable si lui-même ou le capitaine autorise un affréteur à temps à signer des connaissements et si l’affréteur à temps signe en tant que représentant.

Cette décision portait également sur une clause relative à l’identité du transporteur, aux termes de laquelle le propriétaire du navire était réputé être le seul transporteur, et l’affréteur était dégagé de toute responsabilité découlant de cette qualité. Le tribunal a jugé qu’une telle clause était sans effet entre le propriétaire de la cargaison et l’affréteur [à la page 792] :

[traduction] Dans ces décisions, les tribunaux ont essentiellement suivi le raisonnement suivant : l’affréteur à temps est l’auteur du connaissement, et il ne peut unilatéralement rejeter sa responsabilité sur le propriétaire.

Cependant, dans le jugement Recovery Services, le tribunal a affirmé que la clause pouvait avoir un certain effet entre le propriétaire du navire et le chargeur [aux pages 792 et 793] :

[traduction] … la situation est différente en l’espèce puisque c’est le chargeur, et non l’affréteur à temps, qui tente de se prévaloir de la clause. Puisque le chargeur n’est pas celui qui a stipulé la clause relative à l’identité du transporteur dans le connaissement, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas s’en prévaloir. Les défendeurs n’ont cité aucun jugement qui invaliderait une telle clause dans un cas comme celui-ci et la Cour n’en connaît pas non plus.

En l’espèce, le connaissement du transporteur faisant partie de la note d’embarquement Conline renferme une clause comparable en matière d’identité du transporteur (voir plus haut, à la page 7). Selon Me DeOrchis, le jugement Recovery Services n’est pas pertinent car il s’agissait d’une décision interlocutoire (jugement sommaire) et le juge tentait d’inciter les parties à en arriver à un règlement. À mon sens, ces distinctions n’ont pas l’importance qu’allègue Me DeOrchis. Me DeOrchis a lui-même invoqué, au soutien de son opinion, des jugements interlocutoires ou sommaires.

L’avocat de la demanderesse a interrogé Me DeOrchis sur le droit américain relatif aux clauses stipulant l’identité du transporteur. L’avocat des défendeurs s’est opposé à ces questions, arguant qu’elles dépassaient le cadre de l’opinion que les défendeurs avaient chargé Me DeOrchis de donner. Selon l’avocat des défendeurs, la demanderesse aurait dû citer son propre expert pour qu’il donne son opinion, si nécessaire. J’ai permis l’interrogatoire sous réserve de son admissibilité. Réflexion faite, j’estime que ces questions pouvaient être posées à ce témoin. À mon avis, il ne devrait pas être loisible à une partie de mettre sélectivement en preuve les éléments de droit étranger qui favorisent sa thèse tout en faisant abstraction de ceux qui lui sont défavorables.

En résumé, donc, je ne suis pas convaincue que Me DeOrchis ait fait un exposé objectif ou complet du droit américain applicable. En outre, l’opinion de Me DeOrchis pose un problème qui a été mentionné précédemment. En effet, cette opinion part de l’hypothèse selon laquelle le signataire des connaissements était étranger à la charte-partie. Me DeOrchis a donc présumé que ce signataire n’exerçait aucun pouvoir découlant de la charte-partie lorsqu’il a signé. Voici la question sur laquelle Me DeOrchis avait été appelé à donner son opinion :

[traduction] A. Vu le pouvoir limité que les propriétaires avaient accordé aux affréteurs dans la charte-partie et la lettre d’autorisation du capitaine, les propriétaires seraient-ils réputés transporteurs sous le régime de la COGSA américaine et donc responsables du préjudice que la demanderesse allègue avoir subi étant donné que (i) les connaissements ont été émis sans réserve, sans mention des remarques faites par le capitaine dans les reçus de bord et que (ii) les connaissements ont été émis par Kimberly Navigation Company Limited (« Kimberly Navigation ») et non par l’affréteur, Kim-Sail, Ltd. (« Kim-Sail »)?

L’opinion de Me DeOrchis se lit ainsi :

[traduction] En l’espèce, intéressant le LARA S, il y aurait encore moins de chances que les propriétaires soient tenus responsables, puisque les connaissements n’ont pas été émis par l’affréteur, Kim-Sail, ou signés en son nom. En fait, les connaissements ont été émis sur une formule de Kimberly Navigation et signés au nom de cette dernière, un tiers qui n’avait absolument rien à voir avec la charte-partie applicable signée par le propriétaire du navire. Le capitaine n’a pas accordé le moindre pouvoir à Kimberly Navigation. La charte-partie stipulait expressément que les connaissements devaient être émis par les affréteurs (clause 50). Seuls les affréteurs étaient autorisés à signer les connaissements, et ce, uniquement en conformité avec les reçus de bord (clause 50). La raison sociale du propriétaire ne figure nulle part sur le connaissement de Kimberly Navigation.

Comme nous l’avons vu, un tel avis est fondé sur des hypothèses qui ne concordent pas avec les conclusions de fait auxquelles nous sommes arrivés. Premièrement, l’affréteur, Kim-Sail, était une partie contractante au connaissement. Deuxièmement, à cause de son accord de coentreprise ou de société avec Kim-Sail, Kim-Nav n’était pas complètement étrangère à la charte-partie signée par le propriétaire du navire. En outre, lorsque le capitaine a autorisé Agencia Ultramar, l’agent général de Kim-Sail, à signer les connaissements, il agissait conformément à une charte-partie qui ne stipulait pas que seul l’affréteur pouvait signer les connaissements. Contrairement à l’interprétation proposée par Me DeOrchis, la clause 50 ne stipule pas d’exclusivité. Enfin, puisqu’il n’a pas été prouvé que l’avarie en cause résultait d’un emballage insuffisant, le défaut d’avoir inscrit, sur les connaissements, les réserves qui figuraient sur les reçus de bord n’est pas pertinent pour déterminer la responsabilité. Même si c’était le cas, j’estime que le droit ne permet pas à un mandant d’invoquer, en défense, l’absence de pouvoir lorsqu’une avarie découle du défaut de son mandataire d’avoir agi conformément au pouvoir accordé dans un cas comme celui-ci. Aux yeux du tiers chargeur, le mandataire avait clairement un pouvoir apparent.

(iii) conclusion

L’avocat de la demanderesse soutient que la Cour a le droit d’examiner la jurisprudence admise en preuve pendant l’interrogatoire et le contre-interrogatoire de Me DeOrchis et de tirer ses propres conclusions sur le droit étranger plutôt que de s’en tenir à évaluer la fiabilité de la preuve de Me DeOrchis. L’avocat de la demanderesse a invoqué l’arrêt Buerger and another v. New York Life Assurance Co. (1927), 96 L.J.K.B. 930 (C.A.). À la page 941 de cet arrêt, la Cour d’appel a affirmé que lorsqu’il y avait preuve contradictoire quant au droit américain, le tribunal examinera plus volontiers les lois et la jurisprudence pour en tirer ses propres conclusions puisque les textes et la jurisprudence lui sont familiers. Selon l’avocat de la demanderesse, cette Cour ne devrait pas hésiter à tirer ses propres conclusions quant à l’effet du droit américain pertinent, surtout dans un cas où la loi à interpréter est une convention internationale adoptée par les États-Unis (les Règles de La Haye). Il fait valoir qu’une telle situation est tout à fait différente, par exemple, d’un cas où la Cour serait appelée à appliquer le droit russe.

Il n’y a aucun doute qu’il est plus facile de vérifier la fiabilité d’un avis sur le droit étranger lorsque les textes pertinents sont rédigés dans une langue que l’on comprend et lorsqu’il se rapporte à un système juridique avec lequel on est familier. Par ailleurs, je ne suis pas convaincue de pouvoir tirer une conclusion indépendante sur le contenu du droit étranger et appliquer ce droit, tel que je l’interprète, aux faits en l’espèce. Je ne suis pas disposée à accepter l’opinion de Me DeOrchis. Cependant, je n’ai pas entendu deux experts me donner des opinions contradictoires sur le droit étranger. Je ne peux donc pas choisir entre deux opinions. Par conséquent, puisque je n’accepte pas l’avis sur le droit étranger qui m’a été présenté, j’estime que le droit étranger à appliquer n’a pas été prouvé et j’appliquerai donc le droit canadien.

Comme je l’ai déjà mentionné, il n’y a aucun doute, à mon avis, qu’en droit canadien, le propriétaire du navire est responsable, dans un cas comme celui-ci, comme transporteur en vertu des Règles de La Haye. Je crois utile de citer ce long passage tiré des motifs de l’arrêt Paterson, de la Cour suprême, aux pages 853 à 855 :

[traduction] Les clauses habituelles d’une charte-partie de cette nature ont été stipulées. Une somme donnée devait être payée mensuellement au propriétaire; le capitaine devait effectuer les voyages avec célérité : quoique nommé par le propriétaire, il devait être sous les ordres des affréteurs pour toute question d’emploi ou de mandat; ces derniers étaient tenus de charger, d’arrimer et de décharger la cargaison à leurs frais, sous la surveillance du capitaine qui devait signer sur présentation les connaissements relatifs au chargement effectué conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur. Le propriétaire devait payer pour toutes les provisions et acquitter les salaires du capitaine et de l’équipage; il devait maintenir le navire en bon état au point de vue de la coque et de la machine. En vertu de la clause 26, rien dans la charte-partie ne devait être interprété comme un transfert de la gestion nautique du navire et le propriétaire était tenu de payer l’assurance et devait répondre de la navigabilité du navire, du fait de l’équipage et de toute autre chose, de la même manière que s’il exploitait le navire en son nom personnel.

Aux termes d’une charte-partie de cette nature et en l’absence d’un engagement de la part de l’affréteur, le propriétaire demeure le transporteur à l’égard du chargeur et, quand il délivre des connaissements, le capitaine agit en tant que mandataire du propriétaire

À mon avis, il est trop tard pour mettre en doute les obligations de l’affréteur à temps ou de son mandataire ou de celui du navire quant à la cargaison. L’affréteur achète le privilège de se servir de l’espace destiné au transport sur le navire; il est la seule personne intéressée à fournir une cargaison; et le capitaine est tenu de signer les connaissements qu’on lui présente, car il doit présumer qu’ils sont conformes aux termes de la charte-partie. Les nécessités d’ordre pratique nées de cette situation ont depuis longtemps été reconnues par les tribunaux et le pouvoir de l’affréteur de signer au nom du capitaine est depuis longtemps confirmé.

Aux fins du contrat de transport de la cargaison, le capitaine, l’affréteur et le consignataire du navire sont tous des mandataires du propriétaire, agissant au nom du capitaine. Lorsque l’affréteur a le pouvoir de signer pour le capitaine, comme c’était le cas en l’espèce, il me semble incontestable qu’il puisse nommer un mandataire et agir par l’intermédiaire de celui-ci…

Dans l’affaire Kuntsford v. Filmanns, la Cour d’appel et la Chambre des lords ont toutes les deux confirmé la décision du juge Channel selon laquelle l’affréteur, conformément à la clause qui obligeait le capitaine à signer les connaissements sur présentation, pouvait signer à la place de ce dernier en tant que représentant du propriétaire. On a signalé que l’identité de la personne qui s’était engagée à transporter les marchandises pour le chargeur était une question de fait, mais qu’en règle générale, aux termes d’un affrètement à temps, c’était le capitaine qui s’engageait au nom du propriétaire. La Cour d’appel était du même avis dans l’arrêt Limerick v. Coker. Dans cette affaire, les affréteurs exploitaient leur propre compagnie maritime et avaient employé une de leurs propres formules de connaissement; cependant, ils l’avaient signée au nom du capitaine.

Dans l’affaire Urleston v. Weir, les affréteurs avaient signé les connaissements et avaient prétendu être les parties au contrat; cependant, le tribunal leur a donné tort. Un jugement semblable a été rendu dans l’affaire SS. Iristo, Middleton v. Ocean Dom. S.S. Co. Dans l’arrêt Baumwall v. Furness, les propos de lord Herschell aux p. 17 et 18 vont dans le même sens.

Enfin, dans l’arrêt Larrinaja v. The King, aux p. 254 et 255, lord Wright analyse les mots « d’emploi ou de mandat » qui figurent dans la présente charte-partie et qui, selon lui, se rapportent au navire : l’expression « emploi » s’entend de l’emploi du navire aux fins pour lesquelles les affréteurs veulent l’utiliser; l’expression « mandat » intéresse un autre aspect de l’exploitation du navire. Normalement, c’est le propriétaire du navire qui décide quelle firme ou personne agira comme son consignataire dans chaque port d’escale pendant la durée de la charte-partie. Par cette clause, ce choix revient aux affréteurs. Il s’agit d’une question importante à cause des nombreuses fonctions et responsabilités que pourra imposer le droit commercial au consignataire du navire ».

L’on ne peut pas sérieusement mettre en doute que Sproston’s Limited ait été autorisée par les affréteurs à signer les connaissements comme elle l’a fait. En réalité, l’argument invoqué pour nier son pouvoir est que, ni le propriétaire ni le capitaine n’avait participé à sa nomination; cependant, cet argument ne tient pas compte du fait que le propriétaire a autorisé les affréteurs à signer et que ces derniers, à leur tour, peuvent le faire par l’intermédiaire de mandataires. [Les renvois ont été omis, soulignements ajoutés.]

Je conclus que le propriétaire du navire, Armadaores Lara S.A. est un transporteur visé par les connaissements.

LES PROPRIÉTAIRES DU NAVIRE SONT-ILS RESPONSABLES SUR LE PLAN DÉLICTUEL?

L’avocat de la demanderesse plaide que, même si les propriétaires du navire n’étaient pas responsables comme transporteurs en vertu du connaissement, ils seraient néanmoins responsables sur le plan délictuel pour avoir fait preuve de négligence au moment de l’arrimage.

L’avocat des défendeurs plaide l’irrecevabilité de toute demande éventuelle pour négligence, vu que la demanderesse n’a pas pu prouver que les connaissements avaient été endossés avant le 23 avril 1988. À cet égard, il a cité le jugement Margarine Union G.m.b.H. v. Cambay Prince Steamship Co. Ltd., [1969] 1 Q.B. 219 (le Wear Breeze) et l’arrêt Leigh and Sillavan Ltd. v. Aliakmon Shipping Co. Ltd., [1986] A.C. 785 (H.L.).

La conclusion à laquelle les tribunaux sont arrivés dans ces affaires est certainement contraire à ce que je considère comme les grands principes juridiques en matière de négligence : savoir, l’on est responsable du préjudice causé à un demandeur dans la mesure où il était raisonnable de prévoir que ce dernier subirait un préjudice à la suite de l’acte de négligence. Dans le cas de l’arrimage négligent d’une cargaison, il ne pourrait y avoir un lien plus étroit que celui qui existe entre l’auteur de la faute et le propriétaire de la cargaison, qu’il s’agisse du propriétaire au moment où le navire a été chargé ou lorsque le navire arrive à destination.

Une lecture attentive du jugement Wear Breeze révèle que le tribunal, pour arriver à sa conclusion, s’était appuyé sur de la jurisprudence antérieure aux arrêts Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562 (H.L.) et Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465 (H.L.). Deuxièmement, le tribunal a accepté que la perte en cause était ce que l’on a fini par appeler une « perte purement économique » ou un « préjudice purement financier ». Je ne suis pas convaincue que la perte en l’espèce doive être caractérisée ainsi. La perte pour laquelle on demande un dédommagement a découlé d’un dommage matériel direct causé aux marchandises.

Dans l’arrêt Aliakmon, rendu postérieurement, le jugement Wear Breeze a été confirmé au motif qu’il existait un grand principe juridique selon lequel le demandeur qui voulait intenter un recours pour dommage ou perte causé à un bien devait, au moment où s’est produit la perte ou le dommage, avoir sur le bien un droit de propriété reconnu en common law ou acquis par possession. Un droit de propriété éventuel ne suffisait pas. Je remarque que la Haute Cour de l’Australie a fait les commentaires suivants au sujet de ce raisonnement (quoique à l’égard de la perte économique) dans l’arrêt Caltex Oil (Australia) Pty. Ltd. v. The Dredge « Willemstad » (1976), 136 C.L.R. 529, aux pages 568 et 569 :

[traduction] En n’exigeant plus, comme condition préalable à un recours en dommages-intérêts pour négligence, que des personnes ou des biens aient subi un préjudice physique ou un dommage, selon le cas, on perd sans doute, par le fait même, l’assurance que les dommages susceptibles d’une indemnisation seront limités, grâce à cette condition, à ce qui résulte directement de l’acte délictuel. Cette situation risque de donner lieu « à une responsabilité pour un montant indéterminé pour un temps indéterminé à l’égard d’une catégorie indéterminée » comme l’a dit le juge en chef Cardozo dans l’arrêt Ultramares Corporation v. Touche (81). Cependant, il est excessif de se prémunir contre ce risque en refusant de réparer une perte économique qui ne découle pas directement d’un préjudice physique ou d’un dommage matériel. Cette condition a pour effet d’accorder une importance particulière à un tel préjudice physique ou dommage matériel, une importance qui ne s’explique ni sur le plan logique, ni sur le plan de l’expérience commune. Il n’y a aucune raison de lui accorder une telle importance particulière, si ce n’est que parce qu’il tend à établir un lien suffisamment étroit entre le délit et le dommage donnant lieu à l’indemnité. Il n’y a aucune autre raison d’en faire un élément nécessaire d’un recours en dommages-intérêts pour négligence.

En plus d’être arbitraire, une telle règle présente également l’inconvénient de ne pas tenir compte de la gravité de la négligence de l’auteur du délit du fait qu’elle exclut la perte économique non liée…

La règle d’exclusion suggérée se distingue par l’importance accordée au fait que le demandeur ait, sur le bien qui a subi le dommage matériel, un droit de propriété ou un droit fondé sur la possession. Un tel droit suffira à permettre la réparation des pertes économiques qui résultent du délit, mais en l’absence d’un tel droit, ces pertes ne pourront être réparées quand bien même elles seraient en tous points identiques par ailleurs. Vu qu’à l’origine, il n’était absolument pas nécessaire, dans une action intentée pour délit de négligence, d’établir un droit de propriété sur le bien ou un droit fondé sur la possession, les dommages subis étant le critère de responsabilité, il est curieux que dans ce domaine du délit de négligence, le droit de propriété semble toujours constituer une condition préalable à l’indemnisation pour une perte économique. Le risque et le droit de propriété vont généralement de pair mais, lorsque ce n’est pas le cas, il ne semble ni juste, ni opportun de nier à celui qui assume le risque le droit d’être indemnisé pour la perte économique qu’il a subie à la suite du dommage causé au bien appartenant à un tiers, de sorte qu’une telle perte économique ne sera pas réparée simplement à cause de cette distinction entre le risque et le droit de propriété. [Le renvoi a été omis.]

Dans l’arrêt Aliakmon, la Chambre des lords a mentionné l’arrêt Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.). Le tribunal a fait mention de l’analyse en deux étapes énoncée dans l’arrêt Anns : existe-t-il un lien suffisamment étroit donnant lieu à une obligation de diligence et, malgré une conclusion positive à cet égard, existe-t-il des considérations qui amènent à conclure qu’une limite devrait être imposée à la portée de l’obligation? Le tribunal a affirmé que ce processus en deux étapes n’était pas une méthode d’analyse qui devait nécessairement être adoptée dans une situation où, selon de nombreux jugements, il n’existait aucune obligation de diligence. Toutefois, le tribunal, en rejetant l’action du demandeur, a attaché beaucoup d’importance au fait que dans le commerce, un propriétaire de navire accepte généralement de transporter des marchandises en étant raisonnablement certain que quiconque en deviendra propriétaire sera assujetti au contrat stipulé dans le connaissement qui sera régi par les Règles de La Haye. Par conséquent, pour une question de principe, le tribunal a décidé d’entériner le jugement Wear Breeze. Ce raisonnement n’est pas tout à fait satisfaisant puisque si, par exemple, la propriété de la cargaison n’avait pas été transférée pendant le voyage et le chargeur était toujours demeuré le propriétaire de la cargaison, rien ne l’empêchait d’intenter un recours délictuel en dépit des limitations prévues dans les Règles de La Haye[5]. De la même manière, si la demanderesse en l’espèce avait pu prouver que l’endossement et la remise des connaissements avaient eu lieu avant le 23 avril 1988, le recours délictuel de la demanderesse serait recevable.

Dans l’arrêt Aliakmon, le tribunal a décidé qui pouvait intenter un recours délictuel (le propriétaire du bien au moment où la cause d’action est née), mais il a invoqué, au soutien de sa décision, une politique qui devrait empêcher tout recours délictuel. Dans les affaires Aliakmon et Wear Breeze, le tribunal devait se demander non pas si le propriétaire du navire pouvait faire l’objet d’une poursuite délictuelle mais qui pouvait intenter cette poursuite. On trouve des commentaires sur les poursuites délictuelles dans l’ouvrage de Tetley, Marine Cargo Claims, aux pages 208 à 211. Voir également, dans cet ouvrage, le renvoi no 1 à la page 149 et les pages 229 à 231.

On ne sait pas encore si la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada suivront la jurisprudence britannique. Je crois utile de m’appuyer sur certains arrêts canadiens qui ont porté sur des demandes en matière de perte purement économique. Dans son ouvrage Sale of Goods in Canada, 3e éd., le professeur Fridman affirme ce qui suit, à la page 443 :

[traduction] Les tribunaux canadiens et anglais ont des opinions divergentes sur la question de savoir si l’acheteur qui n’est ni propriétaire, ni possesseur peut intenter une poursuite pour négligence contre le transporteur des marchandises dont la négligence a pu entraîner un dommage aux marchandises.

Et à la page 444 :

[traduction] Les tribunaux canadiens semblent plus enclins à retenir la responsabilité pour perte économique que les tribunaux anglais, une attitude qui a été exprimée dans d’autres contextes. Par conséquent, au Canada, la portée de la responsabilité des tiers envers le non-propriétaire qui est en voie d’acquérir un droit de propriété sur les marchandises qu’il achète semblerait être beaucoup plus large qu’en Angleterre.

Dans l’arrêt St. Lawrence Construction Limited c. Federal Commerce and Navigation Company Limited, [1985] 1 C.F. 767, à la page 786, la Cour d’appel fédérale a cité en l’approuvant l’arrêt Schiffahrt & Kohlen G.m.b.H. v. Chelsea Maritime Ltd., [1982] 1 Q.B. 481, qui, selon elle, énonçait le principe suivant :

… il a été jugé que l’acheteur de marchandises pouvait agir en responsabilité délictuelle contre le transporteur bien qu’il n’ait pas été propriétaire des marchandises au moment du dommage.

En outre, dans le jugement Triangle Steel & Supply Co. v. Korean United Lines Inc. (1985), 63 B.C.L.R. 66, M. le juge Murray, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a expressément refusé de suivre le jugement The Wear Breeze et l’arrêt Aliakmon de la Cour d’appel anglaise.

Un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagle International Ltd., [1992] 3 R.C.S. 299, indique également que les tribunaux canadiens n’adoptent pas l’approche restrictive des tribunaux anglais. À la page 408, M. le juge Iacobucci a affirmé ce qui suit, au nom de la majorité :

Notre droit relatif à la négligence s’est depuis longtemps écarté de la méthode fondée sur l’appartenance à une catégorie dans le cas d’obligations de diligence. Il est désormais bien établi que la question de savoir s’il existe une obligation de diligence dépend des circonstances de chaque cas et non de catégories préétablies et de règles générales applicables à la question de savoir qui a et qui n’a pas l’obligation de faire preuve de diligence raisonnable.

Dans l’arrêt Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1990] 3 C.F. 114, la Cour d’appel fédérale a statué dans une affaire qui intéressait une collision entre un chaland et un pont de chemin de fer. La demanderesse n’était pas la propriétaire du pont mais une utilisatrice qui a dû engager des frais supplémentaires parce qu’elle devait dérouter ses trains jusqu’à ce que le pont soit réparé. M. le juge MacGuigan, J.C.A. avec l’appui de M. le juge Heald, J.C.A. a écrit ce qui suit à la page 147 :

L’« incertitude » de la doctrine et de la jurisprudence anglaises dont parle lord Bridge dans l’arrêt D. & F. Estates est, à mon avis, maintenant grandement manifeste, mais je crois qu’il est néanmoins possible de risquer certaines conclusions générales. Premièrement, il y a en Angleterre une préférence marquée pour le maintien de la règle d’exclusion, tout particulièrement dans les causes, comme celles qui concernent la responsabilité quant aux produits, dans lesquelles une demande d’indemnisation en matière délictuelle peut être considérée comme un moyen de contourner les limites de la responsabilité contractuelle (lord Brandon dans les arrêts Junior Books et Leigh and Sillavan, lord Bridge dans l’arrêt D. & F. Estates). Deuxièmement, on reconnaît néanmoins qu’il y a, tout au moins, des cas exceptionnels où la règle ne s’applique pas. L’arrêt Junior Books n’a pas été écarté, et on n’a pas trouvé à redire au sujet de la décision rendue dans l’arrêt Caltex. La règle ne peut donc pas être considérée comme absolue. Troisièmement, dans ces cas exceptionnels où la responsabilité est permise, on trouvera des facteurs de proximité inhabituelle quelque peu analogues à ceux qui, en vertu de la première des propositions de lord Wilberforce, établissent le critère fondamental de l’obligation elle-même (Hedley Byrne, Caltex, Junior Books).

Il a poursuivi en ces termes, aux pages 162 et 163 :

Ce sur quoi les tribunaux ont insisté à plusieurs reprises depuis Hedley Byrne pour ce qui concerne la responsabilité, c’est qu’il doit y avoir un lien spécial ou suffisamment étroit entre le demandeur et le défendeur : … Je crois que les arrêts indiquent donc, sans que ce soit de façon patente, qu’il doit exister un lien suffisamment étroit, en plus du principe général de prévisibilité raisonnable, pour qu’il y ait responsabilité en cas de préjudice purement financier.

Cet arrêt a été porté en appel devant la Cour suprême du Canada, [1992] 1 R.C.S. 1021. Dans ses motifs, Madame le juge McLachlin a exposé l’approche qu’il faut suivre lorsqu’il s’agit de la réparation d’une perte purement économique. Elle a affirmé ce qui suit, à la page 1150 :

Il ressort de ce qui précède qu’il y a lieu de confirmer la façon progressive d’aborder le problème de la détermination des limites de l’indemnisation de la perte purement économique, que notre Cour a adoptée dans l’arrêt Kamloops. Lorsque prennent naissance de nouvelles catégories d’actions, le tribunal devrait examiner la question d’abord du point de vue doctrinal de l’obligation et du lien étroit, ainsi que du point de vue pratique des objets poursuivis et des dangers liés à l’extension de l’indemnisation recherchée.

Elle a noté ce qui suit en ce qui a trait à la notion du lien étroit, à la page 1152 :

On peut formuler le problème ainsi : avant que le droit n’impose une responsabilité, il doit exister un lien entre le comportement du défendeur et la perte subie par le demandeur qui fait qu’il est juste que le défendeur indemnise le demandeur. En matière contractuelle, il y a le lien contractuel. En matière fiduciaire, c’est l’obligation fiduciaire qui établit le lien nécessaire. En matière délictuelle, la notion équivalente est le lien étroit. Le lien étroit peut revêtir diverses formes—qu’il s’agisse de proximité physique, circonstancielle, causale ou présumée—qui servent à identifier les catégories d’affaires dans lesquelles il existe une responsabilité.

Sous cet angle, la notion du lien étroit peut être considérée comme une expression générale qui vise un certain nombre de circonstances disparates dans lesquelles le rapport existant entre les parties est si étroit qu’il est juste et raisonnable de permettre l’indemnisation en matière délictuelle. La complexité et la diversité des circonstances dans lesquelles la responsabilité délictuelle peut prendre naissance ne permettent pas d’identifier un critère unique qui puisse servir de marque universelle de la responsabilité. On trouvera le sens de « lien étroit » en examinant plutôt les circonstances dans lesquelles on a conclu à son existence et en déterminant si l’affaire en cause est semblable au point de justifier une conclusion similaire.

En l’absence de jurisprudence contraire de la Cour d’appel fédérale ou de la Cour suprême du Canada, j’appliquerais le raisonnement précédent en l’espèce et j’accueillerais le recours de la demanderesse fondé sur la négligence. Je vois d’un mauvais œil une règle qui assujettirait un droit de poursuite à la condition qu’un demandeur, dans un cas comme celui-ci, puisse prouver qu’il était devenu le propriétaire des marchandises avant la naissance de la cause d’action. Cette demande devrait peut-être être assujettie aux exonérations et aux moyens de défense comparables à ceux qui sont énoncés dans les Règles de La Haye. On s’attend à ce qu’un défendeur soit responsable pour les dommages prévisibles causés à un demandeur. Je ne vois pas pourquoi une limite ne devrait pas être imposée à l’indemnité qui peut être versée à un demandeur, comme le porteur d’un connaissement, dans une poursuite contre le propriétaire d’un navire, selon le critère de la « responsabilité prévisible ». En fait, en l’espèce, le montant des dommages-intérêts demandé dans le recours délictuel contre le propriétaire du navire n’est pas supérieur à ce qui pouvait être obtenu en vertu des connaissements. Comme nous l’avons vu, je n’ai pas été convaincue qu’une action en négligence était irrecevable.

DÉFENSES FONDÉES SUR LA PRESCRIPTION

Comme nous l’avons déjà mentionné, la déclaration, à l’origine, constituait défenderesse la firme « Kimberly Line » et indiquait que son adresse était inconnue. Après l’expiration du délai de prescription d’un an, mais avant la signification de la déclaration, celle-ci a été modifiée de manière à constituer défenderesse « Kimberly Navigation Company Limited faisant affaire sous la raison sociale de Kimberly Line ». Cette modification a été apportée conformément à la Règle 421(1) des Règles de la Cour fédérale sans l’autorisation de la Cour. La Règle 421(1) dispose :

Règle 421. (1) Une partie peut, sans permission, amender n’importe laquelle de ses plaidoiries à tout moment avant que l’autre partie n’y ait répondu.

L’avocat des défendeurs prétend que cette modification aurait dû être demandée conformément aux Règles 424 et 425 :

Règle 424. Lorsque permission de faire un amendement mentionné à la Règle 425, 426 ou 427 est demandée à la Cour après l’expiration de tout délai de prescription applicable mais qui courait à la date du début de l’action, la Cour pourra néanmoins, accorder cette permission dans les circonstances mentionnées dans la Règle applicable s’il semble juste de le faire.

Règle 425. Un amendement aux fins de corriger le nom d’une partie peut être permis en vertu de la Règle 424, même s’il est allégué que l’amendement aura pour effet de substituer une nouvelle partie à l’ancienne, pourvu que la Cour soit convaincue que l’erreur dont la correction est demandée était véritablement une erreur et n’était ni de nature à tromper ni susceptible d’engendrer un doute raisonnable sur l’identité de la partie qui avait l’intention de poursuivre, ou, selon le cas, qu’on avait l’intention de poursuivre.

L’argument de l’avocat des défendeurs à cet égard est fondé sur le jugement Wirth Limited c. Le Atlantic Skou, [1974] 1 C.F. 39 (1re inst.). Je ne suis pas certaine que cette décision aide les défendeurs. Elle énonce simplement que lorsqu’une partie est correctement identifiée dans la déclaration proprement dite, une erreur de transcription peut être modifiée, sans permission, conformément à la Règle 421(1) et la Règle 425 ne s’applique pas. Reste à savoir ce qui se produit lorsqu’un délai de prescription s’est écoulé sans qu’une nouvelle partie ait été ajoutée. La Règle 425 est assez difficile à interpréter puisqu’elle vise une situation où « il est allégué » que la modification aura pour effet de substituer une nouvelle partie à l’ancienne. Il est certain que la demanderesse n’a jamais allégué qu’une nouvelle partie était substituée à l’ancienne. Par conséquent, de son point de vue, la bonne marche à suivre était de s’appuyer sur la Règle 421(1).

À mon avis, dans un cas comme celui-ci, une modification faite conformément à la Règle 421, après l’expiration d’un délai de prescription, ne peut être contestée à moins que la modification n’ait eu pour effet de réellement substituer une nouvelle partie à l’ancienne. Je ne vois pas pourquoi de simples modifications correctives ne pourraient pas être faites conformément à la Règle 421(1), même après l’expiration d’un délai de prescription, pourvu que cette modification n’ait pas pour effet de substituer une nouvelle partie à l’ancienne, d’ajouter une nouvelle partie ou de créer une nouvelle cause d’action. La Règle 422 permet à une partie intéressée de s’adresser à la Cour dans les deux semaines de la signification pour contester la modification et, même si elle ne le fait pas, elle peut, plus tard, soulever la validité de la modification : voir la décision Ismail c. Le Golden Med, [1981] 2 C.F. 610 (1re inst.).

La dénomination « Kimberly Line » était employée comme raison sociale. Cette raison sociale figurait au recto des connaissements; ceux-ci étaient signés sous cette raison sociale. La note d’embarquement a été établie sous cette raison sociale. Ne constitue pas la substitution d’une partie à une autre le fait d’avoir désigné la défenderesse comme « Kimberly Navigation Company Limited faisant affaire sous la raison sociale de Kimberly Line » au lieu de « Kimberly Line ». Il ne s’agit pas d’un cas semblable aux affaires Ladouceur c. Howarth, [1974] R.C.S. 1111 ou Leesona Corpn. c. Consolidated Textiles Mills Ltd. et autre, [1978] 2 R.C.S. 2. Dans ces affaires, il y avait deux entités juridiques distinctes et l’une avait été désignée à la place de l’autre. La modification par laquelle Kim-Nav a été désignée comme la défenderesse avait simplement pour objet de clarifier l’identité de cette dernière. Je ne saurais conclure que la modification qui a permis d’ajouter Kim-Nav constituait la substitution d’une nouvelle partie à l’ancienne après l’expiration du délai de prescription.

Comme nous l’avons vu, la modification qui a eu pour effet d’ajouter Kim-Sail a eu lieu longtemps après la signification de la déclaration, si bien qu’elle a été faite conformément aux Règles 424 et 425. Les défendeurs plaident que cette modification ne peut être faite en vertu de ces Règles. En effet, selon eux, la disposition applicable en matière de prescription sous le régime des Règles de La Haye a pour effet d’éteindre la responsabilité du défendeur et non pas simplement de suspendre le droit d’action d’un demandeur. La partie pertinente de cette disposition en matière de prescription se lit ainsi [article 3, paragraphe 6] :

En tout cas le transporteur et le navire seront déchargés de toute responsabilité pour pertes ou dommages à moins qu’une action ne soit intentée dans l’année de la délivrance des marchandises ou de la date à laquelle elles eussent dû être délivrées.

La Chambre des lords a interprété cette disposition dans l’arrêt Aries Tanker Corporation v. Total Transport Ltd. (The Aries), [1977] 1 Lloyd’s Rep. 334. Le tribunal a noté que cette disposition avait non seulement pour effet de rendre irrecevable le recours d’un demandeur mais qu’elle emportait l’extinction du droit d’action. Des jugements semblables ont été rendus dans les affaires Jay Bola, The, [1992] 2 Lloyd’s Rep. 62 (Q.B.) et Leni, The, [1992] 2 Lloyd’s Rep. 48 (Q.B.). L’avocat des défendeurs invoque également les arrêts Liff v. Peasley, [1980] 1 W.L.R. 781 (C.A.) et Ketteman v. Hansel Properties Ltd., [1987] A.C. 189 (H.L.). Dans ces deux arrêts, il était question de la jonction d’une partie après l’expiration d’un délai de prescription. Ils portent sur ce que l’on appelle la [traduction] « théorie de la rétroactivité » (relation back theory). Selon cette théorie, le défendeur supplémentaire qui est joint à une action est réputé avoir été partie à l’action depuis la date d’introduction de celle-ci : la mise en cause a un effet rétroactif à cette date. Bien entendu, cette jurisprudence portait sur la United Kingdom Limitation Act, 1939 [(R.-U.), 2 & 3 Geo. 6, ch. 21] modifiée par la Limitation Act 1975 [(R.-U.), 1975, ch. 54] et leur application eu égard aux Règles de la Cour suprême. La théorie de la rétroactivité a été désavouée. Les tribunaux ont noté qu’elle était particulièrement inopportune lorsqu’un délai de prescription était expiré puisqu’elle privait le défendeur d’un moyen de défense dont il aurait pu se prévaloir par ailleurs.

Je dois commenter un aspect de l’espèce que je trouve plutôt étrange. Les défendeurs ont fait valoir que la version américaine des dispositions des Règles de La Haye en matière de prescription (la COGSA) était applicable. (À mon sens, cette version est identique à la version « canadienne » ou « britannique »). Par ailleurs, les défendeurs ont invoqué de la jurisprudence britannique pour l’interprétation de cette disposition sans invoquer le moindre arrêt américain.

De toute manière, je note d’abord que Kim-Sail et Kim-Nav n’ont subi aucun préjudice à la suite des modifications qui ont permis de clarifier l’identité des défendeurs. Kim-Sail et Kim-Nav avaient toutes les deux connaissance, avant l’arrivée du navire à Toronto, de l’avarie qu’avait subie la cargaison. Dans un télex en date du 24 avril 1988, le capitaine du navire a informé Kersten Shipping de l’avarie. Les défendeurs ont nommé un expert pour évaluer la gravité de l’avarie après l’arrivée du navire. (Cet évaluateur n’a pas été cité comme témoin). M. Sondheim a admis qu’il avait probablement reçu la lettre, datée du 2 mai 1988, dans laquelle la Commission du havre de Toronto rendait compte de l’avarie : en effet, Redburn Inc. était une bonne agence. Judith Hoyle a attesté qu’elle avait informé Redburn Inc. de l’action de la demanderesse dans des lettres datées du 30 mai et du 8 novembre 1988. Tout porte à croire que Redburn Inc. aurait communiqué ces renseignements à ses commettants.

Deuxièmement, M. Sondheim a attesté que si on lui avait montré la première déclaration dans laquelle Kimberly Line était constituée défenderesse, il aurait compris qu’il s’agissait de Kim-Sail puisque la déclaration faisait mention de l’affréteur du navire. On lui a également montré la déclaration modifiée et il a attesté qu’elle semblait être dirigée contre Kimberly Navigation seulement. Toutefois, en contre-interrogatoire, il a admis que la mention de l’affréteur dans la déclaration modifiée indiquait que Kim-Sail était la défenderesse visée.

Les trois arrêts susmentionnés (The Aries, The Jay Bola et The Leni) représentent la seule jurisprudence qui a été portée à ma connaissance relativement à la disposition des Règles de La Haye en matière de prescription. Aucun de ces arrêts ne porte sur des faits semblables à ceux en l’espèce. À mon avis, la disposition en matière de prescription n’empêchait pas d’identifier Kim-Sail comme défenderesse en juin 1991, conformément aux Règles 424 et 425 des Règles de la Cour fédérale. Comme nous l’avons vu, il ne s’agit pas d’un cas où de nouvelles parties avaient été ajoutées ou substituées à d’anciennes parties. Les modifications ont été apportées pour clarifier l’identité des défendeurs désignés sous la rubrique « Kimberly Line », dans le contexte de leurs rapports avec la demanderesse, procédure rendue nécessaire par la manière complexe dont les défendeurs exploitaient leur entreprise. Il serait injuste de permettre aux défendeurs de s’appuyer sur une situation qu’ils ont eux-mêmes créée pour éviter d’être poursuivis. En vertu de la disposition pertinente des Règles de La Haye, il y a décharge de responsabilité « à moins qu’une action ne soit intentée » dans l’année [article 3, paragraphe 6]. Or, l’action a été intentée contre « Kimberly Line » dans ce délai. Compte tenu des circonstances de l’espèce, j’estime que cela permet de conclure qu’une demande a été introduite contre Kim-Nav et Kim-Sail dans le délai voulu.

Il y a lieu d’examiner une dernière question relativement à l’identité des défendeurs. Peu de temps avant l’instruction, l’avocat des défendeurs a appris qu’il existait deux compagnies appelées Kimberly Navigation Company Limited : l’une avait été fondée aux Bahamas et l’autre avait été constituée dans les îles Grand Cayman. Le 27 octobre 1992, les défendeurs ont donc déposé une défense modifiée dans laquelle ils ont affirmé qu’aucun contrat n’était intervenu entre la demanderesse et Kimberly Navigation Company Limited (Grand Cayman) et que les connaissements avaient été émis par la compagnie des Bahamas. L’adresse de la compagnie des Bahamas figure au verso du connaissement de Kimberly Line. Comme nous l’avons vu, la compagnie des Bahamas est maintenant inactive. Son entreprise est maintenant exploitée par la compagnie des îles Grand Cayman. À l’instruction, l’avocat de la demanderesse a soutenu que, même s’il n’avait pas dirigé l’action contre la compagnie des îles Grand Cayman, par une modification expresse de la déclaration, cela n’avait aucune importance et il avait néanmoins le droit d’obtenir jugement contre cette compagnie.

Parce que l’instruction a pris beaucoup plus de temps que prévu, la Cour a autorisé l’avocat de la demanderesse à répondre par écrit aux arguments des défendeurs. L’avocat des défendeurs a soutenu que dans sa réponse, l’avocat de la demanderesse avait abordé certaines questions qui dépassaient ce qui était admissible à titre de contre-preuve. Je suis d’accord avec cette opinion relativement à une question seulement : celle de savoir si le rapport qui existait entre les deux compagnies Kim-Nav justifiait de faire abstraction de la personnalité morale. Dans son plaidoyer principal, l’avocat de la demanderesse n’a pas abordé cette question. Il a admis qu’il serait indiqué de permettre à l’avocat des défendeurs de répondre à cet argument. J’ai examiné ces arguments. Je ne vois pas en quoi il est pertinent que M. Sondheim, au cours de son interrogatoire préalable, se soit trompé quant à l’adresse de Kim-Nav et que la demanderesse ait été induite en erreur par ce renseignement. Je ne me rappelle pas qu’il y ait eu suffisamment d’éléments de preuve présentés qui m’autorisent à appliquer la théorie permettant de faire abstraction de la personnalité morale.

LE MONTANT DES DOMMAGES

La demanderesse veut être indemnisée pour les balles qui ont été légèrement endommagées, les balles qui ont été sérieusement endommagées et pour les manquants (c’est-à-dire les balles qui n’ont pas été livrées).

Après l’arrivée de la cargaison, les balles ont été classées en deux catégories : celles qui étaient légèrement endommagées et celles qui étaient sérieusement endommagées. L’assureur de la demanderesse a suggéré à cette dernière d’envoyer les balles légèrement endommagées à ses clients et d’attendre que ceux-ci se plaignent ou formulent des objections. En cas de plainte, on s’attendait à ce que la demanderesse dût réduire de vingt pour cent le prix demandé à ses clients. Par exemple, les balles de ficelle dont l’emballage avait été taché ou déchiré, ce qui rendait la marchandise moins attrayante pour l’acheteur éventuel, étaient considérées comme légèrement endommagées. On a conseillé à la demanderesse de garder une preuve des rabais effectivement accordés. La demanderesse n’a produit aucune preuve à cet effet. Pour prouver la perte qu’elle allègue avoir subie du fait que certaines balles avaient été légèrement endommagées, la demanderesse a invoqué le rapport de M. Gaudette où il est mentionné que 6 141 balles avaient été légèrement endommagées. Elle invoque également le fait que M. Digby, l’évaluateur des défendeurs, ne s’était pas opposé aux estimations initiales quant à la quantité des balles endommagées et à leur moins-value, exprimée en pourcentage. Pour arriver au chiffre de 6 141 balles, M. Gaudette s’était appuyé sur les chiffres que lui avait donnés la demanderesse mais pour lesquels cette dernière ne peut fournir aucune preuve concrète. En ce qui a trait au préjudice que la demanderesse allègue avoir subi du fait que certaines balles ont été légèrement endommagées, je ne suis pas convaincue que la demanderesse ait fourni une preuve suffisamment solide pour lui permettre d’être indemnisée à cet égard.

En ce qui a trait aux balles sérieusement endommagées, la demanderesse les a déplacées (avec certaines balles qui n’avaient été que légèrement endommagées, comme on a pu le constater par la suite) de l’entrepôt de la Commission du havre à l’entrepôt Intercontinental. Les balles ont été déplacées pour permettre à la demanderesse de connaître plus rapidement le nombre d’unités qui avaient en fait été légèrement endommagées et le nombre d’unités qui avaient été sérieusement endommagées. L’avocat des défendeurs se demande si toutes les balles endommagées qui ont été déplacées à l’entrepôt Intercontinental et qui ont été comptées aux fins de la présente action provenaient du Lara S. Il prétend que certaines de ces marchandises ont pu provenir d’autres expéditions antérieures. Il note également que les récépissés de livraison entre les entrepôts sont incomplets. J’accepte le témoignage de Judith Hoyle quant au nombre de balles qui ont été sérieusement endommagées. Elle a attesté avoir personnellement compté les balles sérieusement endommagées. M. Gaudette a affirmé qu’il n’avait pas personnellement compté les balles mais qu’il avait vu les unités palettisées de nouveau dans l’entrepôt Intercontinental et qu’il avait compté les palettes. Il avait été surpris de constater qu’il n’y en avait pas un plus grand nombre. J’accepte que la demanderesse a subi un préjudice du fait que 3 429 balles ont été sérieusement endommagées et qu’il y a lieu de l’indemniser pour les frais de tri, de manutention et de transport qu’elle réclame, y compris les frais d’évaluation.

Il est avéré que la valeur marchande saine à destination des marchandises était de 20 $ la balle. Les 3 429 balles sérieusement endommagées ont été vendues à la récupération. Parmi le petit nombre d’offres d’achat reçues, la plus élevée se chiffrait à moins de 13 000 $ pour les balles. La demanderesse a acheté les balles de son assureur moyennant 5 $ la balle. Elle réclame une indemnité de 15 $ la balle (c’est-à-dire la valeur marchande saine à destination des marchandises moins leur valeur marchande avariée à destination).

La demanderesse a expédié les balles en Alberta. Sur les 3 429 balles, la demanderesse en a envoyé 2 100, un an ou deux plus tard, à un marchand qui les a vendues pour environ 12 $ la balle. Sur ce nombre, environ 300 balles ont été retournées à la demanderesse parce qu’elles étaient totalement inutilisables. Sur les 1 329 balles qui restaient, la demanderesse en a vendu plusieurs elle-même pour environ 8 $ la balle. Ces ventes ont eu lieu un an ou deux après l’arrivée des balles à Toronto à une époque où le prix de la ficelle avait augmenté. La demanderesse a payé environ 2 $ la balle pour expédier les marchandises en Alberta en plus de payer, initialement, environ cinq cents la balle par mois pour l’entreposage. Ce chiffre a augmenté par la suite pour atteindre environ sept cents la balle par mois.

Selon l’avocat des défendeurs, les dommages-intérêts devraient être évalués en fonction du prix auquel la demanderesse a vendu la marchandise sur le marché libre et non pas en fonction de la formule qui consiste à soustraire la valeur marchande avariée à destination de la valeur marchande saine à destination. M. le juge Rouleau a tranché cette question dans le jugement Redpath Industries Ltd. c. Cisco (Le), [1992] 3 C.F. 428 (1re inst.). Pour des motifs semblables à ceux qu’a donnés M. le juge Rouleau, j’estime qu’il convient de calculer l’indemnité en soustrayant la valeur marchande avariée à destination de la valeur marchande saine à destination.

L’avocat des défendeurs soutient que la demanderesse a eu tort de ne pas avoir accepté une offre de réemballer la ficelle moyennant des frais de 1,46 $ la balle. Il allègue qu’en rejetant cette offre, la demanderesse n’a pas minimisé son préjudice. J’accepte l’explication de Judith Hoyle selon laquelle il n’était pas pratique d’accepter cette offre puisque les balles devaient être triées manuellement par quelqu’un qui pouvait faire la distinction entre ce qui avait été sérieusement endommagé et ce qui ne l’avait pas été. En outre, cette solution n’était pas économique parce que les frais de manutention à l’entrepôt, et les frais de transport devaient être ajoutés aux frais de réemballage.

En ce qui a trait aux manquants allégués, attribuables au fait que certaines marchandises n’auraient pas été livrées, l’avocat des défendeurs soutient que les manquants n’ont pas été prouvés avec suffisamment de certitude. Selon lui, certaines des marchandises ont pu avoir disparu après leur livraison à l’entrepôt de la Commission du havre de Toronto ou pendant le transport entre les entrepôts. L’avarie qui s’est produite dans la cale du navire a fait en sorte que certaines palettes ont été renversées et des balles s’en sont détachées. Il y avait des balles non arrimées dans la cale. Les débardeurs ont donc dû décharger certaines balles manuellement et en palettiser d’autres de nouveau. Puisque dans plusieurs cas, l’emballage était soit déchiré, soit inexistant, les balles appartenant à différents consignataires se trouvaient pêle-mêle. Certaines balles sont demeurées pêle-mêle dans l’entrepôt parce qu’il était impossible d’en connaître le propriétaire. Je suis convaincue qu’il y avait de bonnes raisons de s’attendre à ce que l’avarie qui s’est produite dans la cale du navire donnât lieu à des manquants et que c’est effectivement cette avarie qui a causé les manquants allégués par la demanderesse. J’accepte le témoignage de Judith Hoyle selon lequel elle a calculé les manquants par un comptage de marchandises et j’accepte son comptage comme exact. En outre, je note que M. Gaudette a attesté qu’une balle de ficelle à lier n’était pas une marchandise sujette au chapardage. J’accepte qu’il manquait 261 balles et qu’il y a lieu d’accorder 20 $ par balle à titre d’indemnité sous ce chef.

L’avocat des défendeurs note que M. Desroches a attesté que pour la plupart des cargaisons palettisées, il était courant de constater, à l’arrivée, qu’une ou deux palettes sur cent se soient renversées. Les défendeurs me demandent donc de soustraire de l’indemnité demandée pour l’avarie de la cargaison une somme proportionnelle au titre de ce que l’on pourrait appeler les avaries « courantes » ou « prévues ». À mon sens, il n’est pas indiqué de le faire. Je ne suis pas convaincue que ces avaries courantes ou prévues constituent autre chose que des dommages légers. Je ne suis donc pas convaincue qu’il faille soustraire quelque montant que ce soit à ce chapitre de l’indemnité payable à la demanderesse.

La demanderesse demande que lui soient payés, à compter du 1er mai 1988, des intérêts au taux de 11 p. cent, le taux préférentiel convenu, sur le montant accordé pour le préjudice direct qu’elle a subi du fait que certaines balles ont été sérieusement endommagées et du fait qu’il y a eu des manquants, et que ces intérêts courent à partir du 1er mai 1989 sur les montants accordés pour les autres pertes (c’est-à-dire celles qui résultent des frais de tri et de manutention et des frais d’évaluation), le tout composé deux fois par année.

La règle générale dans des affaires intéressant le transport des marchandises veut que les intérêts adjugés courent à partir de la date de l’arrivée des marchandises; voir Canadian General Electric Co. Ltd. c. Pickford & Black Ltd., [1972] R.C.S. 52. Il appartient au juge chargé de l’instruction de décider s’il y a lieu d’adjuger des intérêts, de décider à partir de quelle date ils courent et comment ils seront composés, le cas échéant; voir Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd. Corp. (1989), 97 N.R. 384 (C.A.F.) et le jugement Ontario Bus Industries Inc. c. Federal Calumet (Le), [1992] 1 C.F. 245 (1re inst.).

Selon l’avocat des défendeurs, les intérêts ne devraient courir qu’à partir d’août 1990, c’est-à-dire, selon lui, la date à laquelle les défendeurs ont été informés pour la première fois du montant réclamé par la demanderesse. En outre, l’avocat des défendeurs soutient que les tribunaux n’adjugent des intérêts composés que dans des cas exceptionnels. À mon avis, ces principes ne sont pas applicables en matière maritime. Les intérêts sont payés à partir de la date de l’avarie ou à partir de la date de l’arrivée de la cargaison. Le fait d’adjuger des intérêts composés relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour et cette pratique est tout à fait conforme aux usages commerciaux ordinaires. À mon avis, il convient de calculer ainsi les intérêts en l’espèce.

CONCLUSION

Les défendeurs sont condamnés solidairement à verser à la demanderesse des dommages-intérêts, d’après les calculs suivants :

3 429 balles à 15 $ la balle

51 435,00 $

   261 balles à 20 $ la balle

  5 220,00 $

56 655,00 $

frais de tri et de manutention

  4 343,82 $

frais d’évaluation

  2 512,50 $

  6 856,32 $

La somme de 56 655 $ portera des intérêts au taux de 11 p. 100, composé deux fois l’an, à compter du 1er mai 1988; la somme de 6 856,32 $ portera intérêt à 11 p. 100, composé deux fois l’an, à compter du 1er mai 1989.

À la demande des avocats, la Cour adjugera les dépens après avoir entendu les parties à ce sujet.



[1] [traduction] La question de savoir si une tempête constitue un péril dépend de l’intensité de la tempête et des conditions climatiques auxquelles on pourrait normalement s’attendre dans la région géographique en cause, à cette époque-là de l’année … Un péril de la mer peut être défini comme une force ou un événement catastrophique inattendu dans la région en cause, à cette époque-là de l’année et contre lequel on ne pouvait pas raisonnablement se prémunir. Tetley, Marine Cargo Claims, 3e éd. aux p. 431 et 432.

[2] L’avocat de la demanderesse a également cité les arrêts Silver v. Ocean Steamship Co., Ld., [1930] 1 K.B. 416 (C.A.) et Kerlew, The, 43 F. 2d 732 (New York 1924).

[3] Voir également Carver’s Carriage by Sea, vol. 1, 13e éd., 1982, à la p. 704.

[4] Il est intéressant de noter que le passage suivant se trouve parmi les extraits que m’ont cités les avocats aux p. 236 et 237 de l’ouvrage de Tetley, Marine Cargo Claims, 3e éd., 1988 :

[traduction] Dans l’affaire The Sea Star, des connaissements « du capitaine » nets à bord avaient été émis par l’affréteur en échange d’une lettre d’indemnité sans l’autorisation du propriétaire. Le tribunal du second circuit a jugé qu’un recours personnel pour perte ou avarie de marchandises ne pouvait pas être intenté contre le propriétaire du navire, mais qu’un recours réel pouvait être intenté contre le navire une fois que sa cargaison avait été chargée à bord. Le tribunal du cinquième circuit est arrivé à la même conclusion dans l’arrêt Assoc. Metals & Minerals Corp. v. S. S. Portoria, où une action réelle avait été intentée contre le navire et une action personnelle, contre les propriétaires du navire. Le tribunal a rejeté l’action réelle parce que le bref en cause n’avait pas été signifié et parce que le navire n’avait pas été saisi, sans qu’il y ait eu de dispense à cet égard. L’action personnelle contre le propriétaire du navire a également été rejetée parce qu’il n’avait pas pu être établi que celui-ci avait été partie au contrat de connaissement. Parce que le propriétaire du navire n’avait pas effectivement autorisé l’affréteur au voyage à signer les connaissements en son nom, il n’y avait aucun contrat entre le propriétaire du navire et les chargeurs. L’action personnelle a donc été rejetée. Les tribunaux américains semblent avoir de la difficulté à admettre le principe selon lequel le propriétaire qui assume des responsabilités sous le régime des Règles de La Haye est un véritable transporteur et ne peut éluder cette responsabilité, vu le caractère impératif du paragraphe 3(8). [Les renvois ont été omis.]

Ce renvoi n’est pas cité comme preuve du droit étranger mais simplement à titre de commentaire intéressant par un auteur canadien.

[5] Ceci n’est plus vrai en vertu des Règles de Visby. L’article III de ce protocole ajoute la disposition suivante (art. 4 bis) à la Convention de La Haye :

1. Les exonérations et limitations prévues par la présente Convention sont applicables à toute action contre le transporteur en réparation de pertes ou dommages à des marchandises faisant l’objet d’un contrat de transport, que l’action soit fondée sur la responsabilité contractuelle ou sur une responsabilité extra-contractuelle.

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