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[1993] 2 C.F. 199

IMM-1212-93

Sukhjinder Singh Bal, Kanwar Harpinderdeep Singh Bal, Kanwar Balram Singh Bal (requérants)

c.

Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié: Bal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Noël—Vancouver, 5 et 7 avril 1993.

Citoyenneté et immigrationContrôle judiciaireCompétence de la Cour fédéraleQuestion de savoir si la Cour a compétence pour suspendre une mesure de renvoi en attendant l’issue de la demande d’autorisation d’introduire des procédures de contrôle judiciaire contre le refus de permettre aux intéressés de demander le droit d’établissement à partir du Canada, en l’absence de contestation de la validité de la mesure de renvoiJurisprudence contradictoire de la Cour fédérale sur le sujetLorsque la question de la compétence reste sans réponse et qu’il est dans l’intérêt de la justice que la réparation soit accordée, le doute doit être tranché en faveur de la partie qui demande la réparation.

Compétence de la Cour fédéraleSection de première instanceQuestion de savoir si la Cour a compétence pour suspendre une mesure de renvoi en attendant l’issue de la demande d’autorisation d’introduire des procédures de contrôle judiciaire contre le refus de permettre aux intéressés de demander le droit d’établissement à partir du Canada, en l’absence de contestation de la validité de la mesure de renvoiJurisprudence contradictoire de la Section de première instance de la Cour fédérale sur le sujet, question non encore tranchée par la Section d’appelLorsque la question de la compétence pour accorder la réparation reste sans réponse et qu’il est dans l’intérêt de la justice que la réparation soit accordée, le doute doit être tranché en faveur de la partie qui demande la réparation.

Deux des requérants sont des enfants indiens, âgés de 10 et 16 ans, qui ont été adoptés au Canada, en novembre 1992, par le troisième requérant, leur oncle naturel, un citoyen canadien. Une mesure d’expulsion conditionnelle a été prise contre les enfants en juillet 1992 parce qu’ils sont entrés au Canada de façon frauduleuse et irrégulière. Après la délivrance de l’ordonnance d’adoption en novembre 1992, l’oncle a parrainé la demande visant le traitement, à partir du Canada, de la demande de résidence permanente des enfants, pour des raisons d’ordre humanitaire. La demande a été rejetée et les requérants ont été avisés que les enfants seraient renvoyés et expulsés en avril 1993. La Cour était saisie d’une requête visant la suspension provisoire de la mesure d’expulsion en attendant l’issue de la demande d’autorisation d’en appeler du refus de permettre aux enfants de demander le droit d’établissement à partir du Canada. Ceci soulevait la question de savoir si la Cour fédérale a compétence pour suspendre l’exécution d’une mesure d’expulsion dont la validité n’est pas contestée. La jurisprudence de la Section de première instance de la Cour fédérale est contradictoire sur ce sujet.

Jugement: la requête doit être accueillie.

Les nombreux efforts pour joindre les parents naturels des enfants et les autres membres de leur famille en Inde ont été vains. Il ne se trouverait donc personne pour accueillir les enfants et en prendre soin en Inde s’ils étaient expulsés.

Si la Cour a compétence pour le faire, elle devrait suspendre l’exécution de la mesure d’expulsion puisqu’il y a respect du critère tripartite (préjudice irréparable, prépondérance des inconvénients et question sérieuse à trancher) énoncé par la Cour d’appel dans l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration).

Lorsqu’il subsiste un doute quant à la compétence de la Cour pour accorder une réparation, et qu’il semblerait dans l’intérêt de la justice de l’accorder, on devrait trancher le doute en faveur de la partie qui demande la réparation. On doit présumer que les juges de la Section de première instance qui se sont reconnus compétents pour accorder la suspension avaient raison, tant que la Cour d’appel n’aura pas décidé autrement.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 114(2).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE:

Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123; 86 N.R. 302 (C.A.F.).

DÉCISIONS CITÉES:

Ali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 92-T-1647, juge Strayer, ordonnance en date du 17-11-92, C.F. 1re inst., encore inédite; Paul c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 93-T-86, juge Noël, ordonnance en date du 29-1-93, C.F. 1re inst., encore inédite; Seegobin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 93-T-48, juge Noël, ordonnance en date du 29-1-93, C.F. 1re inst., encore inédite; Petit c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), IMM-352-93, juge Reed, ordonnance en date du 28-2-93, C.F. 1re inst., encore inédite; Hamilton c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 1 C.F. 3; (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 255; 36 F.T.R. 167 (1re inst.); Khan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 92-T-1311, juge MacKay, ordonnance en date du 6-11-92, C.F. 1re inst., encore inédite; Hosein c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 17 Imm. L.R. (2d) 125 (C.F. 1re inst.).

REQUÊTE visant la suspension provisoire de deux mesures de renvoi, dont la validité n’est pas contestée, en attendant l’issue d’une demande d’autorisation d’en appeler du refus de permettre aux requérants de demander le droit d’établissement à partir du Canada. La requête est accueillie.

AVOCATS:

Darryl W. Larson pour les requérants.

Wayne Garnons-Williams pour l’intimé.

PROCUREURS:

Larson, Zutter, Vancouver, pour les requérants.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Noël: La seule ordonnance susceptible d’être contestée dans le cadre de la demande d’autorisation de solliciter un contrôle judiciaire est la décision par laquelle un agent d’immigration refusait d’accorder un traitement spécial pour des raisons d’ordre humanitaire. Les requérants sollicitent la suspension d’une mesure de renvoi en attendant l’issue de cette demande. Cela soulève une question qui a fait l’objet de décisions contradictoires quant à la compétence de cette Cour pour suspendre l’exécution d’une mesure de renvoi dont la validité n’est pas contestée.

Les requérants, Kanwar Harpinderdeep Singh Bal et Kanwar Balram Singh Bal (ci-après appelés « les enfants ») sont âgés de 10 et 16 ans. Le requérant Sukhjinder Singh Bal est leur oncle paternel naturel, et il est aussi leur père adoptif en vertu d’une ordonnance d’adoption rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique le 25 novembre 1992. Il est citoyen canadien, il réside au Canada depuis 1972, et il est le père naturel de trois enfants.

La preuve sous forme d’affidavit expose que les enfants, citoyens de l’Inde, ont été amenés au Canada il y a environ trois ans par leur oncle. Ce dernier les a amenés au Canada parce que des membres de la All Sikh Student Federation ont exigé de l’argent de leur père et menacé les enfants de mort. Lors de leur entrée au Canada, la citoyenneté des enfants n’a pas été révélée, et l’agent d’immigration a cru à tort qu’ils étaient les enfants de leur oncle. Peu après, l’oncle a déclaré la présence des enfants au Canada au bureau de l’immigration à Nanaïmo (Colombie-Britannique). Des avis d’enquête ont été délivrés, alléguant que les enfants étaient entrés au Canada de façon frauduleuse ou irrégulière.

L’allégation voulant que les enfants soient entrés au Canada de façon frauduleuse a tout d’abord été rejetée à la suite d’une enquête en matière d’immigration, tenue le 10 mai 1991. Le ministre en a appelé de cette décision, qui a été infirmée par la Section d’appel de l’immigration. En conséquence, une mesure d’expulsion conditionnelle a été prise contre les enfants, le 10 juillet 1992. Le 8 octobre 1992, la Cour d’appel fédérale a rejeté une demande d’autorisation d’interjeter appel contre cette décision.

Alors que ces procédures se déroulaient, l’oncle a aussi présenté, au nom des enfants, une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Elle a initialement été accueillie. L’arbitre et le membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ont conclu au minimum de fondement de la revendication, et ils ont renvoyé l’affaire au second palier d’audience. Toutefois, la Section du statut de réfugié a conclu, dans une décision rendue le 23 avril 1992, que les enfants n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Le 25 juin 1992, la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel contre cette décision.

L’oncle a alors demandé à la Cour suprême de la Colombie-Britannique une ordonnance d’adoption. Dans son affidavit, l’oncle déclare qu’il a présenté cette requête [traduction] « dans l’espoir que je pourrais les garder à l’abri au Canada comme mes fils ». L’ordonnance d’adoption a été rendue le 25 novembre 1992.

L’oncle a ensuite parrainé une demande sollicitant le traitement de la demande de résidence permanente des enfants à partir du Canada, en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], invoquant des raisons d’ordre humanitaire.

Cette requête a été rejetée sans motifs. Par lettre en date du 11 mars 1993, les requérants ont été avisés que les enfants seraient renvoyés et expulsés à New Delhi le matin du 6 avril 1993.

L’affidavit dit ce qui suit:

1) L’oncle a tenté sans succès à plusieurs reprises de joindre les « parents naturels » des enfants. On croit qu’ils se cachent des extrémistes sikhs, et on ne sait pas où ils se trouvent.

2) Les membres de la famille des garçons ont tous quitté leur village d’origine en raison des menaces des extrémistes sikhs; l’oncle a été incapable d’entrer en contact avec des parents des enfants.

3) S’ils sont expulsés, il ne se trouvera personne en Inde pour accueillir les garçons et en prendre soin.

La requête dont je suis saisi vise la suspension provisoire de la mesure d’expulsion, en attendant l’issue de la demande d’autorisation d’en appeler du refus de l’intimé de permettre aux enfants de solliciter le droit d’établissement à partir du Canada. Elle a été entendue d’urgence le 5 avril 1993. L’avocat de l’intimé s’est engagé à ne pas exécuter la mesure d’expulsion en attendant l’issue de cette demande.

Il s’agit d’une situation où cette Cour, si elle a compétence pour le faire, devrait suspendre la mesure d’expulsion puisqu’il y a clairement respect du critère tripartite énoncé par la Cour d’appel dans l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123.

Il est évident qu’il pourrait y avoir préjudice irréparable si les enfants étaient expulsés alors qu’aucune mesure n’a été prise pour leur garde et leurs soins à leur arrivée à New Delhi.

Quant à la prépondérance des inconvénients, il est évident qu’elle favorise les requérants. Le bouleversement possible de la vie des enfants s’ils sont expulsés dans les circonstances décrites plus haut ne peut se mesurer, alors que le préjudice causé à l’intimé et au public par le sursis de l’exécution de la mesure d’expulsion, tout en étant considérable, ne saurait toutefois l’emporter sur les conséquences, pour les enfants, de l’exécution de la mesure en question. De plus, les enfants sont dans ce pays depuis quelque trois années. Le temps supplémentaire qui s’écoulerait jusqu’au règlement de la demande d’autorisation serait minime en comparaison.

Finalement, il ressort des documents peu nombreux qui m’ont été soumis que la demande d’autorisation soulève une question sérieuse. Selon le mémoire rédigé par l’agent d’immigration qui a fait la recommandation défavorable, il semble qu’elle ait fondé sa décision essentiellement sur deux motifs, à savoir:

1) Les enfants ont participé volontiers à la combine de leur père et de leur oncle pour les amener au Canada;

2) Le dossier permet de croire qu’il peut s’agir d’une adoption de pure commodité.

Pour ce qui est du premier motif, je crois qu’il se pose une question sérieuse, celle de savoir si la [traduction] « conscience coupable » des enfants, âgés de 7 et 13 ans à l’époque de leur entrée au Canada, peut régulièrement être prise en considération. Quant au second motif, on doit se demander sérieusement si l’ordonnance officielle d’adoption rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique peut être considérée comme étant une mesure de convenance, alors que les parents adoptifs ont la garde des enfants et sont responsables de leurs soins depuis plus de trois ans, et que l’ordonnance d’adoption ne fait que consacrer une relation parentale préexistante. Finalement, contrairement aux lignes directrices exposées au paragraphe 15 2.11(5) du Guide de l’immigration, il semble que l’agent d’immigration ait oublié de tenir compte de l’intérêt des enfants en parvenant à sa décision.

J’ai déjà statué, ainsi que d’autres, que cette Cour n’a pas la compétence nécessaire pour prononcer le sursis dans les circonstances de l’espèce[1]. Toutefois, d’autres juges de cette Cour ont exprimé l’opinion contraire[2]. Il subsiste évidemment un certain doute sur la compétence qu’a cette Cour de surseoir à l’exécution d’une mesure d’expulsion dont la validité n’est pas contestée. Si je le pouvais, j’ordonnerais le sursis de l’exécution de la mesure d’expulsion en attendant que la Cour d’appel se prononce sur la question de la compétence. Je le ferais parce que, si j’ai le droit d’accorder un sursis, il devrait clairement s’exercer en l’espèce, et il serait dans l’intérêt de la justice de maintenir le statu quo en attendant que soit réglée la question. Toutefois, j’ai été incapable de trouver dans la procédure le moyen de soumettre, en l’espèce, la question à la Cour d’appel; il se peut, de fait, qu’elle échappe entièrement à la compétence de cette dernière.

Dans ces circonstances, il appartient aux membres de cette Cour de s’assurer de l’existence d’une certaine uniformité dans le traitement des questions fondamentales ressortissant à la compétence de cette Cour. Lorsqu’il subsiste un doute quant à la compétence de la Cour d’accorder une réparation, et qu’il semblerait dans l’intérêt de la justice de l’accorder, j’estime que l’on devrait trancher le doute en faveur de la partie qui demande la réparation. Le contraire priverait cette dernière d’une réparation dans l’hypothèse nécessaire que ceux qui se sont reconnus compétents pour l’accorder avaient tort. Je crois que l’on doive faire l’hypothèse contraire tant que la Cour d’appel n’aura pas décidé autrement, le cas échéant.

Je vais par conséquent surseoir à l’exécution des mesures d’expulsion prises contre les enfants en attendant l’issue de leur demande d’autorisation et, si celle-ci est accueillie, jusqu’à l’issue définitive de leur demande de contrôle judiciaire.



[1] Ali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (encore inédite, ordonnance en date du 17 novembre 92, 92-T-1647); Paul c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (encore inédite, ordonnance en date du 29 janvier 93, 93-T-86); Seegobin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (encore inédite, ordonnance en date du 29 janvier 93, 93-T-48).

[2] Petit c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (encore inédite, ordonnance en date du 28 février 93, IMM-352-93); Hosein c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 17 Imm. L.R. (2d) 125 (C.F. 1re inst.); Hamilton c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 1 C.F. 3 (1re inst.); Khan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (encore inédite, ordonnance en date du 6 novembre 92, 92-T-1311).

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