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[1993] 2 C.F. 492

A-811-91

Siavash Vatanabadi (requérant)

c.

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Vatanabadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Hugessen, MacGuigan et Létourneau, J.C.A.—Montréal, 1er avril; Ottawa, 8 avril 1993.

Citoyenneté et immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Le requérant, citoyen iranien, s’était vu reconnaître le statut de réfugié et délivrer un titre de voyage international en Suède — Il revendique maintenant le statut de réfugié au sens de la Convention vis-à-vis de l’Iran et de la Suède — L’arbitre et le membre de la section du statut avaient conclu qu’il ne tombait pas sous le coup de l’art. 46.01(1)a) et que sa revendication était recevable par la section du statut — S’étant aperçus qu’ils n’avaient pas fait attention à l’art. 46.01(2), ils ont décidé de revenir sur la question de la recevabilité et de prononcer sur le minimum de fondement de la revendication vis-à-vis de la Suède — Il n’y a pas eu dessaisissement — Il n’y a pas eu « décision » définitive, juste des « conclusions ».

Contrôle judiciaireL’arbitre et le membre de la section du statut avaient conclu que la revendication du requérant était recevable par la section du statutIls sont revenus sur la question de la recevabilité, s’étant aperçus qu’ils n’avaient pas fait attention à une disposition de la LoiIl échet d’examiner s’il y a eu dessaisissementL’argument du requérant pose en principe la division de l’enquête en deux procédures hermétiquement compartimentées qui se suivent l’une l’autreCette manière de voir n’est pas conforme à l’approche prescrite par la Cour suprême du Canada pour ce qui est de la règle du dessaisissement des tribunaux administratifsConsidérations de principe favorisant l’irrévocabilité des procéduresL’application du principe du dessaisissement doit être plus souple vis-à-vis des tribunaux administratifs dont les décisions ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit.

Il y a en l’espèce demande de contrôle judiciaire contre la décision par laquelle un arbitre et un membre de la section du statut (le tribunal) ont conclu que la revendication du statut de réfugié, faite par le requérant, ne justifiait pas d’un minimum de fondement. En 1987, le requérant, qui est citoyen iranien, quitte l’Iran et se voit reconnaître le statut de réfugié en Suède, où il obtient également un titre de voyage international. En janvier 1990, il arrive au Canada et y revendique le statut de réfugié. L’alinéa 46.01(1)a) de la Loi sur l’immigration prévoyait que la revendication du statut de réfugié n’était pas recevable si le demandeur s’était vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par un autre pays, lequel lui a délivré un titre de voyage en cours de validité. Le tribunal conclut que puisque le requérant revendiquait le statut de réfugié vis-à-vis de la Suède tout aussi bien que de l’Iran, il ne tombait pas sous le coup de l’alinéa 46.01(1)a) et était donc recevable à être entendu par la section du statut. Tout de suite après, les dispositions du paragraphe 46.01(2) ont été portées à l’attention du tribunal. Ce texte prévoit que le demandeur est recevable à être entendu par la section du statut s’il craint, avec un minimum de fondement, d’être persécuté dans le pays qui lui a reconnu le statut de réfugié. Le tribunal a décidé de revenir sur la question de la recevabilité et de tenir une enquête pour vérifier si le requérant justifiait d’un minimum de fondement dans sa prétention qu’il craignait d’être persécuté en Suède. En fin de compte, le tribunal a décidé que le requérant ne justifiait pas d’un minimum de fondement et ne satisfaisait pas aux critères de recevabilité. L’alinéa 46(1)b) prévoyait que l’arbitre et le membre de la section du statut déterminaient si la revendication était recevable par la section du statut; l’alinéa 46(1)c) prévoyait qu’en cas de conclusion de recevabilité, ils déterminaient si la revendication avait un minimum de fondement. Le requérant soutient que le tribunal a été dessaisi de l’affaire, et que celui-ci, l’ayant déclaré recevable, n’avait pas le droit de revenir sur la question et était tenu de passer au stade suivant de son enquête, savoir la vérification du minimum de fondement de la revendication vis-à-vis de l’Iran.

Arrêt : la demande doit être rejetée.

Il semble que l’argument du requérant pose en principe la division de l’enquête prévue aux alinéas 46(1)b) et c) en deux procédures hermétiquement compartimentées qui se suivent l’une l’autre. Il n’y a au paragraphe 46(1) aucune prescription de succession dans le temps telle que la connaissent les procès criminels. Le texte de loi signifie catégoriquement que la recevabilité et l’accès à une audition de la section du statut en vertu d’un minimum de fondement font l’objet d’une décision unique. Il ressort de l’article 46.02 que l’arbitre et le membre de la section du statut sont appelés chacun à tirer des « conclusions » au sujet à la fois de la recevabilité et du minimum de fondement, mais que ces conclusions sont incorporées ensuite dans une décision « unique » qui marque la clôture de leur enquête. Le tribunal n’était pas dessaisi et n’avait pas vidé son mandat avant d’avoir rendu sa décision.

La Cour suprême du Canada pose pour principe que la règle générale selon laquelle un tribunal administratif ne peut changer d’avis et revenir sur sa décision définitive est fondée sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures, et non sur la règle applicable aux dispositifs de jugement des tribunaux judiciaires, qui sont susceptibles d’appel proprement dit. L’application de la règle doit donc être plus souple à l’égard des décisions de tribunaux administratifs, qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur un point de droit. Les considérations de principe qui favorisent l’irrévocabilité des procédures exigent que le tribunal, qui a tout juste commencé son enquête, soit à même de redresser une erreur manifeste. Ce serait aller à l’encontre de ces considérations de principe que d’insister sur la poursuite d’une démarche que tous les intéressés savaient irrémédiablement défectueuse. La décision finale du tribunal ne serait susceptible de contrôle judiciaire que sur les points de droit et, comme il était manifeste qu’elle serait entachée d’une erreur de droit si la faute n’était pas immédiatement corrigée, une approche souple et pragmatique exigeait que cette correction se fasse sur-le-champ. Le requérant ne subirait aucun préjudice du fait que le tribunal s’est aperçu de son erreur et a recommencé son enquête.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), 46(1) (mod., idem), 46.01 (édicté, idem, art. 14), 46.02 (édicté, idem).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; (1989), 101 A.R. 321; 62 D.L.R. (4th) 577; [1989] 6 W.W.R. 521; 70 Alta. L.R. (2d) 193; 40 Admin. L.R. 128; 36 C.L.R. 1; 99 N.R. 277.

DEMANDE d’annulation, par ce motif que l’arbitre et le membre de la section du statut étaient dessaisis, de leur décision portant que la revendication du statut de réfugié faite par le requérant ne justifiait pas d’un minimum de fondement. Demande rejetée.

AVOCATS :

Noël Saint-Pierre pour le requérant.

Sylvie Martin pour l’intimé.

PROCUREURS :

Saint-Pierre & Associés, Montréal, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Hugessen, J.C.A. : La législation en matière de réfugiés ayant pour objet de protéger ceux qui ont besoin de cette protection contre la persécution dans leur pays d’origine, il est de règle que la revendication du statut de réfugié ne peut se faire que vis-à-vis du pays de nationalité du demandeur ou, si celui-ci n’a pas de nationalité, de son pays de résidence habituelle. Cette règle s’exprime par la définition de réfugié au sens de la Convention, que donne la Loi sur l’immigration[1] comme suit :

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne veut y retourner;

b) qui n’a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l’application de la Convention par les sections E ou F de l’article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l’annexe de la présente loi. [Non souligné dans le texte.]

Il s’ensuit que la personne qui a trouvé asile dans un autre pays n’est plus admissible à revendiquer à nouveau le statut de réfugié; le « magasinage » de pays en pays n’est pas acceptable. C’est précisément ce que prévoyait l’ancien texte[2] de l’alinéa 46.01(1)a) [édicté, idem, art. 14] :

46.01 (1) La revendication de statut n’est pas recevable si le demandeur se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

a) s’il s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par un autre pays, lequel lui a délivré un titre de voyage en cours de validité aux termes de l’article 28 de la Convention;

Il peut cependant arriver que le demandeur soit de nouveau en proie à la persécution dans le pays où il a trouvé asile. Cette possibilité est prévue dans l’ancien texte du paragraphe 46.01(2) [édicté, idem] :

46.01

(2) L’alinéa (1)a) ne fait pas obstacle à la recevabilité de la revendication si l’arbitre ou le membre de la section du statut estime que le demandeur craint—et cette crainte a un minimum de fondement—d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques dans le pays qui lui a reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention.

Il résulte de cette disposition que sous le régime précédemment en vigueur, si quelqu’un craignait d’être persécuté dans le pays où il avait obtenu le droit d’asile et venait revendiquer le statut de réfugié au Canada, le tribunal chargé de statuer sur la recevabilité de la demande était tenu de tirer une double conclusion sur le minimum de fondement.

Le cadre légal de la fonction du tribunal était défini au paragraphe 46(1) [mod., idem] :

46. (1) Les règles suivantes s’appliquent aux enquêtes ou audiences tenues devant un arbitre et un membre de la section du statut :

a) dans le cas d’une enquête, l’arbitre détermine si le demandeur de statut doit être autorisé à entrer au Canada ou à y demeurer, selon le cas;

b) l’arbitre et le membre déterminent si la revendication est recevable par la section du statut;

c) si au moins l’un des deux conclut à la recevabilité, ils déterminent ensuite si la revendication a un minimum de fondement.

Par l’effet conjugué de l’alinéa 46(1)b) et du paragraphe 46.01(2), le tribunal était requis, pour prononcer sur la recevabilité de la revendication, de vérifier si celle-ci avait un minimum de fondement au regard du pays où le demandeur avait trouvé asile. Par l’effet de l’alinéa 46(1)c), envisagé à la lumière de la définition de réfugié au sens de la Convention et des autres dispositions applicables, le tribunal était également tenu de vérifier si la revendication avait un minimum de fondement vis-à-vis du pays dont le demandeur avait la nationalité. Celui-ci avait donc à franchir ces deux obstacles avant que sa demande ne fût entendue par la section du statut dont l’audience, bien entendu, ne porterait que sur sa crainte d’être persécuté dans son pays d’origine.

Le requérant en l’espèce est une personne soumise à l’application de ces dispositions. Citoyen iranien, il quitte l’Iran en novembre 1987 pour s’établir en Suède où il se voit reconnaître le statut de réfugié et où les autorités lui délivrent un titre de voyage international. En janvier 1990, il arrive au Canada et y revendique le statut de réfugié. À la question no 12 du Formulaire de renseignements personnels : « Dans quel(s) pays craignez-vous d’être persécuté(e)? », il répond : « Suède et Iran » (Dossier de la requête, page 176).

Il est visible qu’à l’audience tenue en application du paragraphe 46(1), l’arbitre et l’agent chargé de présenter le cas se perdaient dans les dispositions applicables auxquelles ils n’avaient manifestement jamais eu affaire auparavant[3]. Cela ressort de la transcription de l’audience :

[traduction] l’arbitre : Monsieur Southward, que pensez-vous de la recevabilité de la revendication de statut de réfugié?

l’agent chargé de présenter le cas : Oui, Monsieur l’arbitre, la Commission conclut que M. Vatnabadi [sic] est recevable à demander le statut de réfugié au sens de la Convention.

l’arbitre : Très bien, Monsieur Yerzy, avez-vous des observations à faire ou des preuves à produire à ce sujet?

l’avocat : Non.

l’arbitre : Monsieur Ng, désirez-vous poser des questions ou faire des observations au sujet de la recevabilité?

le membre de la CISR : J’ai certaines réserves au sujet du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur, vu la réponse à la question 17. Je ne suis pas trop sûr, à cet égard, si la pièce C-3, telle qu’elle est produite, nous n’en avons pas l’original en ce moment.

l’arbitre : Il n’est pas trop sûr si la pièce C-3 …

le membre de la CISR : … est en fait un passeport reconnu par le pays. Nous n’en avons pas l’original en ce moment, je m’en rends compte, et je remarque aussi que d’après la réponse faite par le demandeur à la question 12, il fuit la persécution à la fois en Iran et en Suède.

Et mon point est que si le demandeur a vraiment un passeport délivré par la Suède, il doit avoir le droit d’y retourner.

l’arbitre : Je pense que la préoccupation exprimée par le membre de la Commission est légitime. Et qu’il faut que nous soyons convaincus que le demandeur est recevable à être entendu par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Pour la gouverne de M. Vatnabadi [sic], la disposition de la Loi dont fait état le membre de la Commission est le paragraphe 46.01(1), alinéa a).

Et voici ce qu’il prévoit :

« La revendication de statut n’est pas recevable si le demandeur s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par un autre pays, lequel lui a délivré un titre de voyage en cours de validité aux termes de l’article 28 de la Convention. »

Étant donné que vous avez répondu à la question 17 du FRP qu’on vous a reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention en Suède, et que la page 1 de la pièce C-3 indique : « Titre de voyage, Convention du 28 juillet 1951 », le membre de la Commission et moi-même nous demandons si cet article ne s’applique pas à votre cas.

Mais puisque M. Southward nous a dit que la Commission jugeait la demande recevable, je vais commencer par lui demander comment il en est arrivé à cette conclusion vu cette contradiction manifeste.

l’agent chargé de présenter le cas : Monsieur l’arbitre, la Commission conclut des réponses sur le Formulaire de renseignements personnels et des indications données par l’avocat du demandeur, que M. Vatnabadi [sic] revendique maintenant le statut de réfugié vis-à-vis de la Suède tout aussi bien que de l’Iran.

À mon sens, sa demande est recevable dans ces conditions.

L’agent chargé de présenter le cas s’est entièrement fourvoyé. Voici la suite de la transcription :

[traduction] l’arbitre : Je vois. Nous allons suspendre brièvement l’audience, et je consulterai le membre de la Commission puis au retour, nous ferons officiellement savoir comment nous allons poursuivre l’instruction.

suspension—

—reprise

l’arbitre : Nous reprenons l’enquête avec les mêmes parties présentes.

Le membre de la Commission et moi-même avons discuté de la question et sommes parvenus à une décision au sujet de la recevabilité. Il est clair que si M. Vatnabadi [sic] ne revendiquait pas également le statut de réfugié vis-à-vis de la Suède, je pense que la Commission conclurait à l’irrecevabilité de la demande.

Mais à mon sens, puisque M. Vatnabadi [sic] revendique le statut de réfugié tout aussi bien vis-à-vis de la Suède, il ne tombe pas sous le coup de l’alinéa 46.01(1)a) du fait que ce pays lui a délivré un titre de voyage, un passeport, etc. Puisque le pays qui vous a délivré un titre de voyage ou vous a reconnu le statut de réfugié est aussi celui que vous dites fuir par crainte d’y être persécuté, cela n’affecte pas la recevabilité de votre demande.

Le tribunal a ainsi fait sienne l’erreur commise par l’agent chargé de présenter le cas, erreur à laquelle il donne ensuite effet comme suit :

[traduction] Le membre de la Commission et moi-même en concluons que vous êtes recevable à saisir la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Nous décidons que la demande est recevable à l’audition par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

J’examine maintenant la question de savoir si cette demande a un minimum de fondement. Monsieur Vatnabadi [sic], pour votre gouverne, je rappelle qu’en cet état de la cause, le critère réside dans la question de savoir s’il y a des preuves crédibles et dignes de foi, sur lesquelles la section du statut pourrait se fonder pour conclure que vous êtes un réfugié au sens de la Convention.

C’est à vous qu’il incombe d’en convaincre le membre de la Commission et moi-même. Est-ce que vous comprenez?

l’intéressé : Oui.

l’arbitre : Très bien. Avant que nous n’en venions là, monsieur Southward, pouvez-vous nous dire quelle est la position du ministre sur cette question du minimum de fondement?

l’agent chargé de présenter le cas : Monsieur l’arbitre, en cet état de la cause, la Commission conteste qu’il y ait minimum de fondement.

l’arbitre : Nous serait-il possible d’avoir une brève consultation maintenant pour circonscrire cette question du minimum de fondement. Je demanderai à l’avocat du demandeur de présenter en premier sa plaidoirie. Ce serait cependant utile si nous savions à l’avance si vous allez contester la revendication à la fois pour l’Iran et pour la Suède.

Ou la Suède et l’Iran? Si c’est juste à l’égard de la Suède, cela allégerait d’autant l’audience.

l’agent chargé de présenter le cas : J’estime, monsieur l’arbitre, que le demandeur ayant été reconnu par la Suède comme réfugié au sens de la Convention en provenance de l’Iran, il n’est pas qu’il n’y a pas lieu d’envisager la revendication au regard de l’Iran.

L’agent chargé de présenter le cas se trompe encore sur ce point; si en fait le demandeur est recevable, seul l’Iran, son pays de nationalité, constitue le facteur à prendre en considération pour examiner s’il répond à la définition de réfugié au sens de la Convention. Voici la suite de la transcription :

[traduction] Je pense qu’en cet état de la cause, la question de recevabilité ne se pose que pour sa revendication vis-à-vis de la Suède, et non de l’Iran, puisqu’il a déjà obtenu le statut de réfugié à l’égard de ce dernier pays.

l’arbitre : Mais cette personne revendique le statut de réfugié vis-à-vis de ces deux pays à la fois.

Je vais poser la question à son avocat, revendiquez-vous le statut de réfugié vis-à-vis des deux pays ou juste de la Suède?

l’avocat : Vu l’état du dossier, je dois revendiquer vis-à-vis des deux pays à la fois, parce que je ne sais pas quand cette procédure se terminera, car si elle se prolonge pendant des années, ce qui n’est pas impossible et que je ne saurais prédire, mon client pourrait perdre son statut en Suède et je lui aurais fait une injustice.

Il y a un point que je dois soulever.

l’arbitre : Très bien, vous pouvez …

l’avocat : .… ou plutôt je vous laisserai finir ce que vous avez à dire, mais ma question touche au cœur du problème.

l’arbitre : Ah bon, si ça touche au cœur du problème, nous vous encourageons certainement à soulever ce point, maître.

l’avocat : Examinons les paragraphes 46.01(1) et 46.01(2). Voilà, d’une part, l’alinéa 46.01(1)a) fait qu’il n’est pas recevable puisqu’il est déjà réfugié dans un autre pays. Mais d’autre part, si je comprends bien le paragraphe (2), il est recevable à faire sa demande si de l’avis de l’arbitre ou du membre de la section du statut, il justifie d’un minimum de fondement.

D’après mon interprétation, puisqu’il a été déclaré recevable malgré l’alinéa 46.01(1)a), il semble qu’il y a eu déjà un jugement sur le minimum de fondement, autrement nous n’aurions pu le déclarer recevable.

Je n’ai jamais participé à une instance identique à celle-ci, mais selon le libellé de la disposition, il est recevable si, de l’avis de l’arbitre ou du membre, il justifie d’un minimum de fondement. Il ne peut pas être recevable à moins d’avoir un minimum de fondement. Et puisque nous avons dit qu’il est recevable, sa demande doit avoir un minimum de fondement.

l’arbitre : … Eh bien

l’avocat : … voilà une question tout aussi bien qu’une assertion, mais il faut que je la formule à titre d’argument formel.

L’avocat du requérant a correctement interprété la loi. L’arbitre s’en est aperçu immédiatement :

[traduction] l’arbitre : Eh bien, il semble que le membre de la Commission et moi-même avons commis une erreur pour ne pas avoir fait attention au paragraphe (2) lorsque nous examinions la question de la recevabilité et que nous déclarions votre client recevable du fait qu’il ne tombait pas sous le coup de l’alinéa (1)a).

Dans ce cas, il faut dire que pour cette raison, nous n’avons pas conclu qu’il a un minimum de fondement. Et je conviens avec l’avocat du demandeur, après examen du paragraphe (2), que celui-ci est bien plus applicable en l’espèce que l’alinéa (1)a), puisque vous soutenez que la crainte de persécution dans le pays qui a reconnu à M. Vatnabadi [sic] le statut de réfugié au sens de la Convention a un minimum de fondement.

Puisque nous avons statué sur la question de la recevabilité sans avoir égard à cette disposition, il me faut suspendre l’audience pour décider ce que je dois faire maintenant. (Dossier de la requête, pages 18-21) [Non souligné dans le texte.]

Le tribunal a finalement décidé de revenir sur la question de la recevabilité et de tenir une enquête pour vérifier si le requérant justifiait d’un minimum de fondement dans sa prétention qu’il craignait la persécution en Suède. Après un certain nombre d’ajournements, pour la plupart à la demande du requérant, le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas un minimum de fondement, et le 9 mai 1991, il a rendu sa décision aux termes de laquelle le requérant ne satisfaisait pas aux critères de recevabilité (Dossier de la requête, page 261).

Devant la Cour, le seul motif d’erreur pris par le requérant est fondé sur la règle du dessaisissement (functus officio) : le tribunal, ayant déclaré le requérant recevable, n’avait pas le droit de revenir sur la question et était tenu de passer au stade suivant de son enquête, savoir la vérification du minimum de fondement de la revendication vis-à-vis de l’Iran. Je ne suis pas de cet avis.

En premier lieu, il semble que cet argument pose en principe la division de l’enquête prévue aux alinéas 46(1)b) et c) en deux procédures hermétiquement compartimentées qui se suivent l’une l’autre. Au cours de son argumentation, l’avocat du requérant fait l’analogie avec un procès criminel où le verdict de culpabilité précède nécessairement l’audience sur l’application de la peine, et où celle-ci ne saurait affecter la déclaration de culpabilité qui l’a précédée[4]. Il n’y a cependant dans le texte du paragraphe 46(1) aucune prescription de succession dans le temps telle que la connaissent les procès criminels. Au contraire, il me semble que le texte de loi signifie catégoriquement que la recevabilité et l’accès à une audition de la section du statut en vertu d’un minimum de fondement font l’objet d’une décision unique, encore que celle-ci puisse comporter plusieurs parties. Voici le texte de l’article 46.02 [édicté, idem] :

46.02 (1) S’ils en viennent tous les deux à la conclusion que la revendication n’est pas recevable par la section du statut ou qu’elle n’a pas un minimum de fondement, l’arbitre et le membre de la section du statut prononcent leur décision, motifs à l’appui, le plus tôt possible et en présence du demandeur si les circonstances le permettent. S’il s’agit d’une enquête, l’arbitre prend ensuite, sous réserve du paragraphe 4(2.1), les mesures qui s’imposent aux termes de l’article 32.

(2) Si au moins l’un d’eux conclut à la recevabilité de la revendication, et au moins l’un d’eux conclut que celle-ci a un minimum de fondement, l’arbitre et le membre de la section du statut prononcent leur décision, motifs à l’appui, le plus tôt possible, en présence du demandeur si les circonstances le permettent, et défèrent sans délai le cas à la section du statut, selon les modalités prévues par les règles de la Commission. S’il s’agit d’une enquête, l’arbitre prend ensuite les mesures qui s’imposent aux termes des paragraphes 32(1), (3) ou (4) ou de l’article 32.1. [Non souligné dans le texte.]

Je conclus de cet article, et en particulier de son paragraphe (2), que l’arbitre et le membre de la section du statut sont appelés chacun à tirer des « conclusions » au sujet à la fois de la recevabilité et du minimum de fondement, mais que ces conclusions sont incorporées ensuite dans une « décision » unique qui marque la clôture de leur enquête. Il s’ensuit qu’on ne peut pas dire que le tribunal est dessaisi ou a vidé l’objet de son mandat tant qu’il n’aura pas rendu cette décision. En d’autres termes, la décision du tribunal chargé de l’instruction préliminaire de la revendication peut comporter plusieurs éléments, mais aucun élément ou combinaison d’éléments qui n’accomplisse pas intégralement ce que prescrit la loi ne constitue la décision définitive du tribunal sur la question dont il est saisi. En l’espèce, cette décision définitive n’a été rendue que le 9 mai 1991.

D’ailleurs, il me semble que cette manière de voir est conforme à l’approche prescrite par la Cour suprême du Canada pour ce qui est de la règle du dessaisissement des tribunaux administratifs. Dans Chandler c. Alberta Association of Architects[5], le juge Sopinka, rendant le jugement de la majorité, s’est prononcé en ces termes [aux pages 861 et 862] :

… la reconnaissance du caractère définitif des procédures devant les tribunaux administratifs se justifie par une bonne raison de principe. En règle générale, lorsqu’un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu’il a changé d’avis, parce qu’il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s’il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l’arrêt Paper Machinery Ltd. v. J. O. Ross Engineering Corp., précité.

Le principe du functus officio s’applique dans cette mesure. Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d’une cour de justice dont la décision peut faire l’objet d’un appel en bonne et due forme. C’est pourquoi j’estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel. [Non souligné dans le texte.]

En l’espèce, j’estime que non seulement le tribunal n’était pas parvenu à une décision définitive sur la question dont il était saisi, mais encore que les considérations de principe qui favorisent l’irrévocabilité des procédures, exigeaient que le tribunal, qui a tout juste commencé son enquête, fût à même de redresser une erreur manifeste. Ce serait aller à l’encontre de ces considérations de principe que d’insister sur la poursuite futile d’une démarche que tous les intéressés savaient irrémédiablement défectueuse. La décision finale du tribunal ne serait susceptible de contrôle judiciaire que sur les points de droit et, comme il était manifeste qu’elle serait entachée d’une erreur de droit si la faute n’était pas immédiatement corrigée, une approche souple et pragmatique exigeait que cette correction se fasse sur-le-champ.

Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où le requérant pourrait subir un préjudice du fait que le tribunal s’est aperçu de son erreur et a recommencé son enquête. Rien d’irrévocable n’a été fait par suite de la méprise du tribunal sur les règles de droit applicables et rien ne s’opposait à ce qu’il revienne sur ses pas et recommence. Il aurait commis une injustice s’il ne l’avait pas fait.

Je me prononce pour le rejet de la demande fondée sur l’article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8)].

Le Juge MacGuigan, J.C.A. : Je souscris aux motifs ci-dessus.

Le Juge Létourneau, J.C.A. : Je souscris aux motifs ci-dessus.



[1] L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1)

[2] Le texte de loi a été modifié [L.C. 1992, ch. 49, art. 35, 36, 37] à compter du 1er février 1993.

[3] Le membre de la section du statut semblait sentir que quelque chose n’allait pas; l’avocat du demandeur (qui n’était pas le même que celui qui le représente devant la Cour) voyait parfaitement le lien entre l’art. 46.01(1)a) et l’art. 46.01(2), comme en témoigne son intervention vers la fin du passage cité.

[4] Je ne suis pas sûr de la justesse de l’analogie. Il est certain qu’en cas d’aveu de culpabilité (qui n’est pas la même chose que la déclaration de culpabilité), il ne serait pas déplacé que le juge annule cet aveu à la lumière des renseignements qui ressortent de l’audience sur l’application de la peine. Les exigences de la justice doivent certainement l’emporter sur des considérations purement formalistes fondées sur la règle du dessaisissement.

[5] [1989] 2 R.C.S. 848.

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