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[1993] 1 C.F. 116

T-1346-92

La Commission ontarienne de la commercialisation du poulet (requérante)

c.

L’Office canadien de commercialisation des poulets (intimé)

Répertorié : Ontario (Commission de la commercialisation du poulet) c. Canada (Office de commercialisation des poulets) (1re inst.)

Section de première instance, juge McGillis—Toronto, 18 et 19 août; Ottawa, 14 octobre 1992.

Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Demande d’annulation de la demande de contrôle judiciaire de l’évaluation des dommages-intérêts prédéterminés — L’Office canadien de commercialisation des poulets a été créé par proclamation conformément à la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme — Un accord fédéral-provincial contrôle la production et la commercialisation des poulets au Canada — La modification de l’accord impose aux offices provinciaux de payer des dommages-intérêts prédéterminés s’ils excèdent leur allocation et prévoit le règlement définitif des différends par le Conseil national de commercialisation des produits de ferme — L’Office a imposé à la Commission ontarienne de verser des dommages-intérêts prédéterminés — La Cour a compétence pour étudier de nouveau l’évaluation des dommages-intérêts — L’Office n’a que les pouvoirs qui lui sont expressément conférés par une loi ou la proclamation — L’accord visant l’évaluation des dommages excédait les pouvoirs conférés par le Parlement — L’accord entre les gouvernements fédéral et provincial n’est pas exécutoire à titre de contrat privé — L’Office a agi conformément à l’accord autorisé par la Loi, prétendant exercer une compétence prévue par une loi fédérale — La demande de contrôle judiciaire sans qu’il y ait eu d’abord appel auprès du Conseil n’est pas prématurée — L’accord ne peut empêcher la Cour d’effectuer un contrôle judiciaire sur une question de compétence.

Agriculture — L’Office canadien de commercialisation des poulets a été créé par proclamation conformément à la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme — Dommages-intérêts prédéterminés pour la surproduction de poulets imposés à la Commission ontarienne de la commercialisation du poulet conformément à la modification de l’accord fédéral-provincial — L’Office doit s’en tenir aux pouvoirs qui lui sont expressément conférés par la Loi — La détermination des dommages-intérêts prédéterminés excède la compétence de l’Office.

Il s’agit d’une demande d’annulation de la demande de contrôle judiciaire de la Commission ontarienne de la commercialisation du poulet au motif soit que la Cour n’a pas compétence soit que la demande est prématurée. L’Office canadien de commercialisation des poulets a été créé par proclamation conformément à la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, qui lui confère divers pouvoirs lui permettant de remplir ses fonctions, mais pas celui d’évaluer des dommages-intérêts prédéterminés. Il a été créé pour promouvoir l’efficacité dans le secteur de la production du poulet au Canada. À cette fin, il a conclu en 1978 un accord fédéral-provincial, qui a été modifié en 1984, pour prévoir que chaque office provincial de commercialisation veillerait à ce que la quantité totale de poulets produite dans la province et commercialisée n’excède pas son allocation annuelle, sous peine de verser à l’Office canadien des dommages-intérêts prédéterminés. La modification prévoyait aussi que le Conseil national de commercialisation des produits de ferme réglerait de façon finale tout différend au sujet des dommages-intérêts prédéterminés. En 1991, l’Office canadien a imposé à la Commission ontarienne des dommages-intérêts prédéterminés. Celle-ci n’a pas interjeté appel auprès du Conseil, mais a plutôt présenté une demande de contrôle judiciaire auprès de cette Cour. L’Office canadien a soutenu que cette Cour n’avait pas compétence pour contrôler son évaluation faite conformément aux dispositions de l’accord fédéral-provincial, un contrat privé, et non dans l’exercice de pouvoirs prévus par une loi fédérale. De plus, la disposition de l’accord prévoyant le règlement définitif des différends portant sur la détermination des dommages-intérêts prédéterminés imposait à la Commission ontarienne l’obligation d’interjeter appel et d’obtenir du Conseil une décision à l’égard de la détermination des dommages-intérêts prédéterminés avant de solliciter le contrôle judiciaire de la Cour fédérale. La Commission ontarienne a soutenu que la Cour avait compétence en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. L’Office canadien est un organisme fédéral créé par le Parlement; il exerce une compétence qui lui est conférée par une loi fédérale, et il ne peut excéder les limites de ces pouvoirs. Pour ce qui est du caractère prématuré de la demande, la disposition de l’accord prévoyant le règlement des différends ne peut pas faire échec à la compétence de la Cour, en particulier lorsqu’une erreur de compétence est alléguée. Les questions litigieuses consistaient à savoir si l’Office canadien, en évaluant les dommages-intérêts prédéterminés payables par la Commission ontarienne, exerçait ou était censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale, et si la demande de contrôle judiciaire était prématurée, la Commission ontarienne n’ayant pas encore interjeté appel contre l’évaluation auprès du Conseil.

Jugement : la demande est rejetée.

L’imposition de dommages-intérêts prédéterminés en vertu des dispositions de l’accord fédéral-provincial excédait les pouvoirs conférés à l’Office par la Loi ou la proclamation et pouvait faire l’objet d’un contrôle par cette Cour. L’Office canadien, de par sa nature créé par une loi et par une proclamation, peut uniquement exercer les pouvoirs qui lui sont expressément conférés par la Loi ou par la proclamation. En acceptant d’imposer des dommages-intérêts prédéterminés aux offices provinciaux de commercialisation, l’Office canadien a étendu ses pouvoirs au-delà de ceux qui lui avaient été conférés par le législateur.

De plus, l’accord négocié par les gouvernements fédéral et provincial conformément aux dispositions d’une loi n’est pas un contrat privé ordinaire mais un accord entre gouvernements. Pareil accord n’est pas exécutoire à titre de contrat privé. L’accord a été négocié conformément à l’article 31 de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme. Les parties ont reconnu son fondement législatif dans l’énoncé et l’accord lui-même fait à maintes reprises mention d’un pouvoir législatif. On ne peut donc pas le qualifier de contrat privé de façon à faire échec à la compétence de la Cour. En outre, l’Office canadien a agi conformément au nouvel accord fédéral-provincial autorisé par la Loi. Il était censé exercer une compétence prévue par une loi fédérale, de sorte que cette Cour a compétence pour connaître de la demande de contrôle judiciaire contestée.

La demande de contrôle judiciaire n’est pas prématurée. La modification apportée à l’article 9 de l’accord fédéral-provincial prévoit que le Conseil doit régler de façon définitive la question de la « détermination » des dommages-intérêts. En d’autres termes, le Conseil doit déterminer s’il est opportun d’imposer des dommages-intérêts prédéterminés en l’occurrence. Rien à l’article 9 n’est réputé faire échec à la compétence que possède la Cour de réviser le pouvoir de l’Office canadien d’imposer des dommages-intérêts prédéterminés. Même s’il était réputé le faire, l’article 9 ne pourrait pas empêcher la Cour d’effectuer un contrôle judiciaire sur une question de compétence.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Accord fédéral-provincial visant la création d’un système global de commercialisation du poulet au Canada, art. 2, 3, 4, 5, 9.

Loi sur la commercialisation des produits agricoles, L.R.O. 1990, ch. F.9, art. 16.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18.1 (mod., idem, art. 5).

Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, S.C. 1970-71-72, ch. 65 (aujourd’hui L.R.C. (1985, ch. F-4), art. 16(1), 17(1),(2), 22, 31, 36, 37.

Proclamation visant l’Office canadien de commercialisation des poulets, DORS/79-158, annexe, art. 6(3), 11 (mod. par DORS/91-139, art. 7), 12 (mod., idem, art. 8).

Règlement canadien sur le contingentement de la commercialisation des poulets, DORS/79-559.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS CITÉES :

Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; (1991), 83 D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 58 B.C.L.R. (2d) 1; 127 N.R. 161; Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; 127 D.L.R. (3d) 1; 38 N.R. 541.

DOCTRINE

Wade, Sir William. Administrative Law, 6th ed., Oxford : Clarendon Press, 1988.

DEMANDE d’annulation, pour manque de compétence de la Cour ou parce que la demande est prématurée, d’une demande de contrôle judiciaire de l’imposition de dommages-intérêts prédéterminés. Demande rejetée.

AVOCATS :

Morris Manning, c.r. et Theresa R. Simone, pour la requérante.

François Lemieux et Martha A. Healey pour l’intimé.

PROCUREURS :

Manning & Simone, Toronto, pour la Commission ontarienne de la commercialisation du poulet.

Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour l’Office canadien de commercialisation des poulets.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge McGillis : La Commission ontarienne de la commercialisation du poulet (la Commission ontarienne) a présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)] en vue de l’obtention de brefs de certiorari et de prohibition ainsi que d’une injonction contre l’Office canadien de commercialisation des poulets (l’Office canadien). L’Office canadien a ensuite demandé l’annulation de la requête présentée par la Commission ontarienne pour le motif que la Cour n’avait pas compétence ou, subsidiairement, que la demande présentée à la Cour était prématurée. À la date fixée pour la présentation des requêtes, seule la demande de l’Office canadien concernant la compétence de la Cour a été plaidée.

LES FAITS

La Commission ontarienne a été créée en vertu de la Loi sur la commercialisation des produits agricoles, L.R.O. 1990, ch. F.9, pour gérer la production et la commercialisation des poulets en Ontario. L’Office canadien a été créé par proclamation [Proclamation visant l’Office canadien de commercialisation des poulets, DORS/79-158], en 1978, conformément à la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, S.C. 1970-71-72, ch. 65, maintenant L.R.C. (1985), ch. F-4, pour promouvoir la production et la commercialisation du poulet au Canada, de façon à en accroître l’efficacité et la compétitivité.

En 1978, un accord fédéral-provincial [Accord fédéral-provincial visant la création d’un système global de commercialisation du poulet au Canada] créant un système global de commercialisation du poulet au Canada a été signé par le ministre fédéral de l’Agriculture, par ses homologues provinciaux, par les commissions fédérale et provinciales à fonction de contrôle et par les offices provinciaux de commercialisation, à l’exception de l’Alberta dans tous les cas. La proclamation créant l’Office canadien a été jointe à titre d’annexe « A » à l’accord, que la Commission ontarienne avait signé. L’accord contenait, entre autres choses, diverses dispositions en matière de contrôle et d’application, lesquelles limitaient la quantité totale de poulets devant être produite en vue de la vente et vendue dans les provinces signataires conformément à des allocations provinciales.

En 1984, l’accord fédéral-provincial a été modifié de façon à prévoir, entre autres choses, que chaque office provincial de commercialisation veillerait à ce que la quantité totale de poulets produite dans la province et commercialisée sur le marché intraprovincial, interprovincial ou international n’excède pas l’allocation annuelle déterminée de temps en temps par les règlements de contingentement de l’Office canadien [Règlement canadien sur le contingentement de la commercialisation des poulets, DORS/79-559]. En outre, si l’office provincial de commercialisation excédait son allocation annuelle, il devait payer à l’Office canadien des dommages-intérêts prédéterminés de la façon prescrite, de temps en temps, dans sa résolution concernant les dommages-intérêts prédéterminés. Le Conseil national de commercialisation des produits de ferme (le Conseil) réglerait d’une façon définitive tout différend au sujet des dommages-intérêts prédéterminés. Le montant établi à titre de dommages-intérêts prédéterminés par l’Office canadien ou par le Conseil, en appel, constituerait une créance de l’Office.

Avant 1990, l’Office canadien calculait les dommages-intérêts prédéterminés pour la surproduction de poulets sur une base annuelle. En 1990, un nouveau système de pénalités périodiques a été introduit dans la résolution concernant les dommages-intérêts prédéterminés et l’Office canadien a évalué à 928 321 $ les dommages-intérêts prédéterminés payables par la Commission ontarienne. Cette dernière a interjeté appel de la cotisation de 1990 devant le Conseil et a soutenu, entre autres choses, que l’Office canadien n’avait pas compétence pour imposer des pénalités périodiques ou pécuniaires. Le Conseil a rejeté l’argument invoqué par la Commission ontarienne au sujet de la compétence et, après avoir examiné les arguments de fond, a rejeté l’appel. La Commission ontarienne a payé la cotisation de 1990 telle que confirmée en appel.

En 1991, l’Office canadien a appliqué la résolution concernant les dommages-intérêts prédéterminés et a évalué à 1 713 172 $ les dommages-intérêts prédéterminés dus par la Commission ontarienne.

La Commission ontarienne n’a pas interjeté appel de cette cotisation devant le Conseil, mais a plutôt présenté une demande de contrôle judiciaire devant cette Cour.

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

Il s’agit de savoir :

i) si l’Office canadien, en évaluant les dommages-intérêts prédéterminés payables par la Commission ontarienne, exerçait ou était censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale;

ii) si la demande présentée par la Commission ontarienne est prématurée.

POSITION DE L’OFFICE CANADIEN

L’avocat de l’Office canadien soutient que cette Cour n’a pas compétence pour connaître de la demande de la Commission ontarienne pour le motif que son client a évalué les dommages-intérêts prédéterminés conformément aux dispositions de l’accord fédéral-provincial et non au moyen de l’exercice réel ou réputé de compétences ou de pouvoirs prévus par une loi fédérale. L’accord fédéral-provincial qui est intervenu entre l’Office canadien et divers offices provinciaux de commercialisation, et notamment la Commission ontarienne, est un contrat privé qui n’a rien à voir avec la loi d’habilitation, avec les règlements ou avec la proclamation. De fait, l’Office canadien n’a pas le pouvoir légal d’évaluer les dommages-intérêts prédéterminés et un office provincial ne pourrait être tenu de payer pareils dommages-intérêts que s’il était partie à l’accord. En outre, les parties à l’accord, et notamment la Commission ontarienne, ont convenu que le Conseil est l’organisme qui doit en dernier ressort régler les différends concernant la détermination des dommages-intérêts. Par conséquent, les parties à l’accord ont établi un code contractuel complet en vue de l’évaluation des dommages-intérêts prédéterminés et du règlement des différends. Étant donné que la Commission ontarienne n’a pas interjeté appel de sa cotisation devant le Conseil, la demande qu’elle a présentée devant la Cour est prématurée.

L’avocat a concédé que l’Office canadien est assujetti au contrôle judiciaire de cette Cour lorsqu’il exerce un pouvoir de réglementation. En outre, cette Cour aurait compétence pour réviser les actions de l’Office canadien en vertu de certaines dispositions de l’accord fédéral-provincial. Toutefois, la Cour n’a pas compétence à l’égard de la résolution concernant les dommages-intérêts prédéterminés et seule la cour supérieure d’une province possède la compétence voulue pour réviser les actions de l’Office canadien en vertu de cette partie de l’accord.

POSITION DE LA COMMISSION ONTARIENNE

L’avocat de la Commission ontarienne soutient que la Cour a compétence, conformément à l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, pour accorder la réparation demandée dans l’avis de requête introductif d’instance. L’Office canadien est un organisme fédéral créé par le législateur, et il exerce ou est censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale. Il ne peut pas agir en dehors des limites de ses attributions restreintes sans outrepasser sa compétence. En outre, il ne peut pas exercer des pouvoirs qui sont censés lui avoir été conférés sur consentement ou d’un commun accord, mais il n’est plutôt habilité à exercer que les pouvoirs qui lui sont conférés par le législateur. Puisque, en vertu de sa loi d’habilitation, des règlements ou de la proclamation, l’Office canadien ne possède aucun pouvoir lui permettant d’imposer des dommages-intérêts prédéterminés, ses actions, lorsqu’il est réputé imposer pareils dommages-intérêts en vertu des dispositions de l’accord fédéral-provincial, sont révisables par cette Cour. La Loi elle-même prévoit que les personnes qui enfreignent ses dispositions peuvent être assujetties à des pénalités et n’habilite pas l’Office canadien à conclure une entente concernant les pénalités, les dommages ou l’exécution. Lorsqu’il est réputé agir en vertu de l’accord fédéral-provincial, l’Office canadien n’est pas exempté du contrôle judiciaire exercé par cette Cour. En vertu de sa loi d’habilitation, il peut conclure un accord fédéral-provincial, mais la loi prévoit que ces accords ne seront conclus qu’afin de permettre à l’Office d’exercer les fonctions ordinairement réservées aux régies provinciales en matière de commerce intraprovincial. L’accord fédéral-provincial ne peut pas à proprement parler être considéré comme un contrat privé. De fait, les énoncés et les dispositions de l’accord reconnaissent l’existence et la nécessité d’un fondement législatif et réglementaire approprié pour autoriser ses dispositions. Si la position de l’Office canadien était adoptée, cela permettrait à un organisme fédéral d’étendre sa compétence sur consentement et lui permettrait également de se soustraire au contrôle exercé par cette Cour en alléguant que ses actions, dans un cas particulier, n’ont aucun fondement législatif.

Quant à l’argument concernant le caractère prématuré, la Commission ontarienne n’a pas agi prématurément en présentant sa demande devant la Cour plutôt qu’en interjetant appel de l’évaluation des dommages-intérêts prédéterminés devant le Conseil. L’existence d’une disposition, dans l’accord, voulant que le Conseil règle d’une façon définitive la question de la détermination des dommages-intérêts ne peut pas faire échec à la compétence de la Cour, en particulier lorsqu’une erreur de compétence est alléguée. En outre, le Conseil a signé l’accord et, à deux reprises, en 1986 et en 1991, il a décidé que la résolution concernant les dommages-intérêts prédéterminés avait un fondement légal. Il n’est pas opportun de demander à un signataire de l’accord qui, à deux reprises, a statué sur la validité de la résolution, de trancher de nouveau l’affaire.

LE PROJET LÉGISLATIF

L’avocat a concédé que l’Office canadien n’a aucun pouvoir légal d’imposer des dommages-intérêts prédéterminés, mais il faut néanmoins passer en revue certains aspects de projet législatif afin de déterminer si la Cour a compétence dans cette affaire.

La Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferm (la Loi) prévoit la création du Conseil et autorise la création d’offices nationaux de commercialisation des produits agricoles.

La Partie II de la Loi contient des dispositions concernant la création d’offices et leur composition ainsi que leur mission et pouvoirs. Le paragraphe 16(1) de la Loi permet au gouverneur en conseil de créer, par proclamation, un office de commercialisation compétent pour des produits agricoles dans certaines circonstances précises. Conformément aux dispositions énoncées au paragraphe 17(1) de la Loi, la proclamation précise les pouvoirs légaux prévus à l’article 22 qui ne sont pas conférés à l’office et énonce les modalités des plans de commercialisation que l’office est habilité à mettre en œuvre. Le paragraphe 17(2) de la Loi prévoit qu’une proclamation peut être modifiée par le gouverneur en conseil au moyen d’une autre proclamation qui peut, entre autres choses, conférer à un office les pouvoirs énumérés à l’article 22 qui lui étaient refusés au moment de sa création, modifier les modalités d’un plan de commercialisation qu’un office est habilité à mettre en œuvre ou lui retirer l’un des pouvoirs énumérés à l’article 22.

Le paragraphe 22(1) de la Loi établit les pouvoirs de l’office et permet à celui-ci, sous réserve de la proclamation initiale ou de toute proclamation ultérieure modifiant ses pouvoirs, de se livrer à diverses activités. Par exemple, aux alinéas 22(1)b), f), g) et j) de la Loi respectivement, l’office peut exécuter le plan de commercialisation, prendre les ordonnances et règlements nécessaires à l’exécution du plan de commercialisation et prendre une ordonnance concernant le recouvrement et la remise des frais de licence, taxes ou prélèvements prévus dans le plan de commercialisation. En vertu de l’alinéa 22(1)n) de la Loi, l’office peut prendre toute autre mesure qu’il estime utile pour la réalisation de sa mission dans le cadre de la Loi.

La note marginale de l’article 31 de la Partie III de la Loi, qui est intitulée « Dispositions générales », est libellée « accords fédéro-provinciaux ». L’article 31 de la Loi permet au ministre de l’Agriculture, au nom du gouvernement fédéral, de conclure avec une province un accord sur l’exercice par un office, pour le compte de la province, de fonctions relatives au commerce intraprovincial ainsi que sur toutes questions s’y rapportant dont les parties peuvent convenir. Le paragraphe 22(2) de la Loi permet alors à l’office, au nom d’une province, d’exercer, en matière de commerce intraprovincial, toute fonction spécifiée dans pareil accord.

La Partie III de la Loi contient également des dispositions sur le recouvrement des dettes dues à un office ainsi que sur les infractions et peines. Ainsi, l’article 36 de la Loi prévoit que les frais de licence, prélèvements et taxes impayés établis aux termes d’un plan de commercialisation constituent des créances de l’office et l’article 37 crée des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, notamment dans le cas d’une contravention à une disposition de la Loi ou à un plan de commercialisation.

Conformément au paragraphe 16(1) de la Loi, le gouverneur en conseil a créé l’Office canadien, par proclamation. Cette proclamation contient une annexe qui, entre autres choses, énonce les modalités d’un plan de commercialisation et donne mandat à l’Office canadien d’instituer, par ordonnance ou règlement, un contingentement pour les provinces. Diverses dispositions de l’annexe confèrent à l’Office canadien des pouvoirs d’application et de contrôle. Ainsi, aux termes du paragraphe 6(3) ainsi que des articles 11 [mod. par DORS/91-139, art. 7] et 12 [mod., idem, art. 8] de l’annexe respectivement, l’Office peut réduire ou refuser d’attribuer le quota d’un producteur qui a produit et commercialisé une quantité de poulets excédant son quota antérieur, mettre en place un régime d’attribution de licences, imposer, par ordonnance ou règlement, des prélèvements et taxes et veiller à leur recouvrement. Afin de déterminer si des modifications sont requises pour permettre à l’Office de réaliser sa mission, l’Office est tenu, conformément au paragraphe 15(1) de l’annexe, de se réunir et de réviser, au moins une fois l’an, les modalités du plan de commercialisation figurant à l’annexe ainsi que les ordonnances et règlements pris en vertu de la Loi en vue de la mise en œuvre du plan.

L’accord fédéral-provincial a été conclu en 1978 en vertu de l’article 31 de la Loi; comme le montre l’énoncé, il était fondé sur ce que les parties possédaient le pouvoir législatif nécessaire pour créer et exploiter un système global de commercialisation du poulet. L’importance accordée au pouvoir législatif se manifeste partout dans l’accord fédéral-provincial. Par exemple, sous la rubrique « Ministres de l’Agriculture », figurant à l’article 2 de l’accord, les ministres fédéral et provinciaux ont convenu de demander au gouverneur en conseil, aux lieutenants-gouverneurs en conseil et aux offices provinciaux de commercialisation d’exercer tous les pouvoirs législatifs nécessaires pour créer et exploiter le système sans entrave d’ordre juridique. À l’article 3 de l’accord, ils ont également convenu de permettre et d’ordonner à l’Office canadien et aux offices provinciaux de déléguer les pouvoirs nécessaires afin de mettre en œuvre les plans de commercialisation joints à l’accord, et notamment la proclamation figurant à l’annexe A. À l’article 4 de l’accord, le Conseil et les offices provinciaux de commercialisation, en leurs qualités d’organismes de contrôle, se sont engagés à établir les plans de commercialisation, les ordonnances ou les règlements nécessaires à l’exécution de l’accord, et notamment l’approbation des règlements ou ordonnances de leurs offices de commercialisation respectifs ou de l’Office canadien. De même, les offices de commercialisation ont convenu, au paragraphe 5(1), de devenir parties aux plans de commercialisation et de prendre les règlements ou ordonnances nécessaires dans l’exercice de leurs propres fonctions ou des pouvoirs qui leur sont délégués en vue de l’exécution de l’accord.

En 1984, l’accord fédéral-provincial a été modifié de façon à renforcer le contrôle et la mise en œuvre du système global de commercialisation du poulet, à permettre la réalisation de certaines autres fins et à prévoir l’imposition de dommages-intérêts prédéterminés par l’Office canadien. À cet égard, les parties ont convenu d’abroger la disposition sur les quotas figurant au paragraphe 5(2) de l’accord fédéral-provincial et l’ont remplacée par l’alinéa 5(2)a), qui prévoyait que chaque office provincial de commercialisation verserait des dommages-intérêts prédéterminés à l’Office canadien pour toute quantité commercialisée excédant l’allocation provinciale annuelle au taux et de la manière prescrits par l’Office dans sa résolution concernant la procédure à suivre à l’égard des dommages-intérêts prédéterminés. En outre, les offices de commercialisation ont convenu avec l’Office canadien, au nouvel alinéa 5(2)(b), qu’étant donné que l’Office acceptait la modification, tout montant établi à titre de dommages-intérêts prédéterminés constituerait une créance de l’Office. Si la dette n’était pas payée dans le délai prescrit dans la résolution concernant la procédure à suivre à l’égard des dommages-intérêts prédéterminés ou à la suite d’un appel devant le Conseil, le montant en souffrance pourrait être recouvré par l’Office devant un tribunal compétent. De plus, l’article 9 de l’accord a été révoqué et remplacé par une nouvelle disposition prévoyant, entre autres choses, que le Conseil règlerait d’une façon définitive la détermination des dommages-intérêts. Selon l’article 3 de la Partie II de l’accord modifié, le Conseil et les organismes de surveillance s’engageaient à apporter des modifications aux plans de commercialisation et à prendre les règlements ou ordonnances nécessaires à l’application des modifications apportées à l’accord.

À la suite de la modification de l’accord fédéral-provincial, l’Office canadien a adopté une résolution déterminant le taux et les modalités de paiement des dommages-intérêts prédéterminés ainsi que les réductions subséquentes de la production. Le fond de cette résolution a été modifié de temps en temps par l’Office canadien.

EXAMEN

i)          Compétence de la Cour fédérale du Canada

La question de la compétence que possède cette Cour pour connaître de la demande de contrôle judiciaire qui a été présentée par la Commission ontarienne comporte la détermination de la question de savoir si, en évaluant les dommages-intérêts prédéterminés payables par la Commission ontarienne, l’Office canadien exerçait ou était censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale au sens de l’article 2 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1] de la Loi sur la Cour fédérale.

L’examen du projet législatif créant l’Office canadien et le système global de commercialisation du poulet révèle qu’un système fondé sur la loi et minutieusement réglementé a été mis en œuvre pour contrôler la production et la commercialisation du poulet au Canada. Pour promouvoir l’efficacité dans le secteur de la production du poulet, on a créé l’Office canadien, par une proclamation du gouverneur en conseil, conformément à l’article 16 de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme (la Loi). La Loi et la proclamation conféraient à celui-ci divers pouvoirs lui permettant d’assumer ses fonctions.

La Loi et la proclamation ne conféraient pas à l’Office canadien le pouvoir d’imposer des dommages-intérêts prédéterminés à un office provincial de commercialisation, mais en 1984 celui-ci a néanmoins signé l’accord fédéral-provincial modifié, selon lequel les parties étaient réputées obliger les offices provinciaux de commercialisation à payer des dommages-intérêts prédéterminés. Aux termes du nouvel accord et de la résolution concernant les dommages-intérêts prédéterminés, l’Office canadien a par la suite évalué les dommages-intérêts payables par la Commission ontarienne. Il faut donc déterminer si cette évaluation des dommages-intérêts prédéterminés équivaut à l’exercice réel ou réputé d’une compétence ou de pouvoirs conférés à l’Office canadien par une loi fédérale.

L’avocat de l’Office canadien a concédé que son client est assujetti au contrôle judiciaire dans l’exercice de ses pouvoirs de réglementation. Il a en outre concédé que cette Cour aurait compétence pour réviser les actions de l’Office canadien en vertu de certaines dispositions de l’accord fédéral-provincial. Toutefois, il cherche à éviter le contrôle judiciaire des actions de l’Office canadien, qui a imposé des dommages-intérêts prédéterminés à la Commission ontarienne, en qualifiant de contrat privé l’accord fédéral-provincial, ou du moins la partie de l’accord concernant les dommages-intérêts prédéterminés.

L’argument invoqué par l’Office canadien est initialement fondé sur la supposition qu’un organisme fédéral, dont les pouvoirs sont définis par une loi et par une proclamation, peut négocier et conclure un marché privé de façon à étendre ses pouvoirs au-delà de ceux qui lui sont conférés par le législateur. Je ne souscris pas à cette thèse. Comme Sir William Wade l’a affirmé dans l’ouvrage intitulé Administrative Law (Oxford : Clarendon Press, 1988, à la page 264), une règle fondamentale veut qu’[traduction] « aucun abandon de droits et aucun consentement ou marché privé ne peut donner à une autorité publique plus de pouvoirs que ceux qu’il possède légitimement ». L’Office canadien qui, par sa nature même, a été créé par une loi et par une proclamation, peut uniquement exercer les pouvoirs qui lui sont expressément conférés par la Loi ou par la proclamation. En concluant un accord en vue de l’évaluation des dommages-intérêts prédéterminés payables par les offices provinciaux de commercialisation, l’Office canadien a étendu ses pouvoirs au-delà de ceux qui lui avaient été conférés par le législateur. Par conséquent, l’exercice réputé d’une compétence ou de pouvoirs, lorsqu’il impose des dommages-intérêts prédéterminés aux termes de l’accord fédéral-provincial, outrepasse les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi ou par la proclamation et, pour ce seul motif, est révisable par cette Cour.

L’argument invoqué par l’Office canadien est en outre fondé sur la supposition qu’un accord fédéral-provincial négocié conformément aux dispositions d’une loi peut être qualifié de contrat privé. Toutefois, cette thèse n’est pas soutenable en droit. Un accord négocié par les gouvernements fédéral et provinciaux conformément aux dispositions d’une loi n’est pas un contrat privé ordinaire, mais plutôt un accord entre gouvernements. Pareil accord n’est pas exécutoire à titre de contrat privé. (Voir Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, aux pages 553-554 et 565.) L’accord fédéral-provincial en question en l’espèce a été négocié conformément à l’article 31 de la Loi. Les parties à l’accord ont reconnu son fondement législatif dans l’énoncé et l’accord lui-même fait à maintes reprises mention d’un pouvoir législatif. On ne peut pas à proprement parler le qualifier de contrat privé, de façon à faire échec à la compétence de cette Cour. En outre, l’Office canadien a agi conformément au nouvel accord fédéral-provincial autorisé par la Loi. Par conséquent, il exerçait ou était censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale, de sorte que cette Cour a compétence pour connaître de la demande de contrôle judiciaire présentée par la Commission ontarienne.

ii)         Caractère prématuré de la demande

Selon la modification apportée à l’article 9 de l’accord fédéral-provincial, le Conseil est l’organisme chargé de régler d’une façon définitive la question de la détermination des dommages-intérêts. L’avocat de l’Office canadien soutient que cette disposition exige que la Commission ontarienne interjette appel devant le Conseil et obtienne une décision au sujet de l’évaluation des dommages-intérêts prédéterminés de 1991 avant de présenter sa demande de contrôle judiciaire devant cette Cour. Je ne puis retenir cet argument non plus, compte tenu de l’interprétation claire de la disposition ou de la jurisprudence.

L’interprétation claire de l’article 9 du nouvel accord fédéral-provincial révèle que le Conseil doit régler, d’une façon définitive, la « détermination » des dommages-intérêts. En d’autres termes, le Conseil doit déterminer s’il est opportun d’imposer des dommages-intérêts prédéterminés en l’occurrence. Il n’y a rien à l’article 9 qui est réputé faire échec à la compétence que possède la Cour de réviser le pouvoir de l’Office canadien d’imposer des dommages-intérêts prédéterminés. De fait, même si l’article 9 du nouvel accord fédéral-provincial était réputé le faire, il ne pourrait pas empêcher la Cour d’effectuer un contrôle judiciaire sur une question de compétence. (Voir Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220.) Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire présentée par la Commission ontarienne n’est pas prématurée.

DÉCISION

La demande que l’Office canadien a présentée en vue de faire annuler la requête de la Commission ontarienne est rejetée et les dépens sont adjugés à la Commission ontarienne.

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