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[1993] 2 C.F. 651

A-190-93

Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta (appelante) (intimée projetée)

c.

Friends of the Oldman River Society (intimée) (requérante)

et

Le ministre de l’Environnement, L’hon. Jean Charest, le ministre des Transports, L’hon. Jean Corbeil, le ministre des Pêches et Océans, L’hon. John Crosbie, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, L’Hon. Thomas Siddon (intimés) (intimés)

Répertorié : Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre de l’Environnement) (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Pratte et Décary, J.C.A.—Ottawa, 6 avril 1993.

Compétence de la Cour fédéraleSection de première instanceAvec le consentement des autres parties, la Couronne provinciale a demandé d’être jointe à titre d’intimée à l’action fondée sur l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédéraleLe juge de première instance a conclu que seul un « office fédéral » peut être nommé à titre d’intimé dans une demande fondée sur l’art. 18L’art. 18 décrit simplement les domaines de compétence de la CourIl ne prévoit pas qui devrait être partie à une instance devant la CourLe juge de première instance a commis une erreur en présumant que la réparation prévue à l’art. 18 est demandée contre tous les intimés dans une demande fondée sur l’art. 18Il a également commis une erreur en statuant que la Cour fédérale n’a pas compétence sur la Couronne provincialeRègle de l’immunité de la Couronne, selon laquelle la Reine ne peut être poursuivie devant ses tribunaux.

CouronnePrérogativesLa Couronne provinciale directement visée par la demande fondée sur l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale peut être constituée intimée lorsque toutes les parties y consententSelon la Règle de l’immunité de la Couronne, il n’est pas interdit de poursuivre la Reine devant ses tribunaux, mais de le faire sans qu’elle y consente.

Il s’agit d’une demande d’un jugement sur consentement accueillant l’appel formé contre une ordonnance en vertu de laquelle la Reine du chef de l’Alberta était constituée intimée, mais à certaines conditions. Bien que toutes les parties aient consenti à la demande de l’appelante d’être jointe à titre d’intimée dans une demande fondée sur l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, le juge de première instance a conclu que les décisions antérieures, qui permettent la jonction à titre d’intimées de personnes contre lesquelles le requérant ne demande aucune réparation, mais dont l’intérêt serait directement atteint par l’ordonnance demandée, sont erronées puisqu’elles négligent le paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale, qui limite la compétence de la Cour, dans le cadre d’une instance de contrôle judiciaire, à accorder une réparation contre un « office fédéral ». Le juge de première instance a conclu que, par conséquent, seul un « office fédéral » peut être nommé à titre d’intimé dans une demande visant à obtenir la réparation prévue à l’article 18. Il a également conclu que la Cour fédérale n’a pas compétence sur la Couronne provinciale puisque la Loi sur la Cour fédérale n’a pas abrogé la règle traditionnelle suivant laquelle la Couronne provinciale ne peut être poursuivie devant ses tribunaux.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Le paragraphe 18(1) décrit simplement les domaines de compétence de la Cour. Il ne prévoit pas qui devrait être partie à une instance devant la Cour. Le juge de première instance a commis une erreur en présumant que la réparation prévue au paragraphe 18(1) est nécessairement demandée contre tous ceux qui sont nommés à titre d’intimés dans une demande fondée sur l’article 18.

Selon la règle de l’« immunité de la Couronne », il n’est pas interdit d’intenter une action contre la Reine devant ses tribunaux, mais plutôt de le faire sans qu’elle y consente.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4).

Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22, art. 5.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1212.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Adidas (Can.) Ltd. c. Skoro Enterprises Ltd., [1971] C.F. 382; (1971), 12 C.P.R. (2d) 67 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Union Oil Company c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. v; (1976), 72 D.L.R. (3d) 82; 16 N.R. 425.

DÉCISIONS CITÉES :

Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18; (1990), 68 D.L.R. (4th) 375; [1991] 1 W.W.R. 352; 76 Alta. L.R. (2d) 289; 5 C.E.L.R. (N.S.) 1; 108 N.R. 241 (C.A.); Edmonton Friends of the North Environmental Society c. Canada (Ministre de la Diversification de l’économie de l’Ouest canadien), [1991] 1 C.F. 416; (1990), 73 D.L.R. (4th) 653; [1991] 2 W.W.R. 577; 78 Alta. L.R. (2d) 97; 47 Admin. L.R. 265; 114 N.R. 153 (C.A.); Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1991] 1 C.F. 641; (1990), 6 C.E.L.R. (N.S.) 89; 41 F.T.R. 318; 121 N.R. 385 (C.A.); Tetzlaff c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 2 C.F. 215; (1991), 4 Admin. L.R. (2d) 11; 134 N.R. 57 (C.A.); Tetzlaff c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1991] 2 C.F. 212; (1991), 47 Admin. L.R. 275; 40 F.T.R. 104 (T.D.); Tetzlaff c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1991] 2 C.F. 206; (1991), 47 Admin. L.R. 286; 40 F.T.R. 112 (1re inst.).

APPEL contre une ordonnance (T-101-93, le juge Muldoon, ordonnance en date du 19-2-93, C.F. 1re inst., encore inédite) joignant Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta à titre d’intimée dans une demande fondée sur l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, mais à certaines conditions, bien que toutes les parties aient consenti à la jonction. Appel accueilli.

PROCUREURS :

Milner Fenerty, Edmonton, pour l’appelante (intimée projetée).

Wilson, Danderfer, Banno & Mitchell, Vancouver, pour l’intimée (requérante) Friends of the Oldman River Society.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés (intimés), le ministre de l’Environnement, L’hon. Jean Charest, le ministre des Transports, L’hon. Jean Corbeil, le ministre des Pêches et Océans, L’hon. John Crosbie, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, L’hon. Thomas Siddon.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Pratte, J.C.A. : En vertu de la Règle 1212 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663][1], l’appelante demande que son appel soit accueilli conformément aux avis de consentement signés pour le compte de tous les intimés.

Une demande de cette nature est habituellement accueillie comme il se doit dans un jugement non motivé. Mais l’affaire qui nous occupe n’est pas habituelle puisque le juge de première instance [T-101-93, le juge Muldoon, ordonnance en date du 19-2-93, encore inédite] s’est dit d’avis qu’en dépit des décisions contraires de cette Cour, il ne pouvait rendre l’ordonnance demandée par l’appelante sans outrepasser sa compétence.

Il faut, pour comprendre la difficulté, apporter quelques explications.

Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta (Alberta) est propriétaire du barrage de la rivière Oldman relativement auquel la Friends of the Oldman River Society (FORS) a introduit en première instance une demande fondée sur l’article 18 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4]. Cette demande vise quatre intimés, soit le ministre de l’Environnement, le ministre des Transports, le ministre des Pêches et Océans et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. La FORS désire ainsi obtenir une ordonnance, qui s’apparente à un mandamus, enjoignant aux intimés de donner suite à certaines recommandations données par la Commission d’évaluation conformément au Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467.

Si l’Alberta n’est pas partie à cette instance, elle a toutefois un intérêt dans son issue. En effet, conformément au paragraphe 5(1) de la Loi sur la protection des eaux navigables[2], elle a demandé au ministre des Transports d’approuver la construction du barrage sur la rivière Oldman, et une ordonnance faisant droit à la demande de mandamus de la FORS obligerait en fait le ministre des Transports à assortir son approbation de modalités. Pour ce motif, l’Alberta a demandé à la Section de première instance d’être jointe à titre d’intimée à la demande fondée sur l’article 18 de façon à pouvoir s’y opposer et, par la suite, à interjeter appel du jugement l’accueillant. La FORS et les quatre ministres intimés dans les procédures de mandamus ont acquiescé à la demande de l’Alberta.

Le juge de première instance se trouvait dans une situation gênante. Effectivement, toutes les parties ont consenti à la demande présentée par l’Alberta et, à plusieurs reprises dans des affaires semblables[3], cette Cour a indiqué qu’une telle demande devait être accueillie. D’autre part, le juge s’est dit d’avis que les décisions antérieures de la Cour à cet égard étaient erronées et qu’il ne pouvait pas, sans outrepasser sa compétence, accueillir la demande de l’Alberta. Il a aplani la difficulté en accueillant la demande tout en l’assortissant de modalités auxquelles l’Alberta refuse de se plier. D’où le présent appel et la présente requête.

Dès 1971, dans Adidas (note 3), cette Cour a décidé que lorsqu’une ordonnance qui s’apparente à un mandamus est demandée en vertu de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale contre un « office fédéral », la personne qui n’est pas visée par la demande, mais dont l’intérêt serait directement atteint si la Cour y faisait droit, peut être constituée intimée aux procédures de mandamus afin de pouvoir former un appel contre l’ordonnance l’accueillant.

Si je comprends bien les motifs du juge de première instance en l’espèce et ceux qu’il a prononcés dans l’arrêt Tetzlaff[4], la décision de cette Cour dans l’affaire Adidas devrait être écartée pour deux motifs : d’une part, parce qu’elle « semble avoir été tranchée per incuriam » et, d’autre part, parce que, quoi qu’il en soit, elle ne s’applique pas à un cas comme la présente affaire, où la personne qui demande à être jointe à titre de partie à l’instance est la Couronne du chef d’une province.

On peut soutenir que la décision dans l’affaire Adidas est erronée si on est d’avis que, dans une procédure de mandamus, seule la partie visée par l’ordonnance demandée devrait être nommée à titre d’intimée. Or, c’est précisément l’opinion que la Cour a répudiée au nom de la justice. Si je ne m’abuse, le juge de première instance ne conteste pas cette opinion. Toutefois, à son avis, la décision dans l’affaire Adidas était erronée puisque la Cour y aurait négligé le paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Ce paragraphe énonce clairement que, dans le cadre d’une instance de contrôle judiciaire, la compétence de la Cour se limite à accorder une réparation contre un « office fédéral ». Il s’ensuit, selon le juge, que seul un « office fédéral » peut être nommé à titre d’intimé dans une demande visant à obtenir la réparation prévue à l’article 18.

Cette conclusion est inexacte. Le paragraphe 18(1) figure au nombre de plusieurs dispositions qui décrivent les domaines de compétence de la Cour. Il s’agit là de son seul objectif. En effet, le paragraphe 18(1) ne prévoit pas qui devrait être partie à une instance devant la Cour. Par exemple, il est évident que seules les décisions des offices fédéraux peuvent être contrôlées par la Section de première instance en vertu du paragraphe 18(1); or, il est également évident que celui qui présente une demande de contrôle judiciaire relativement à une telle décision devra y nommer à titre d’intimée, bien qu’elle ne soit pas un « office fédéral », la personne en faveur de laquelle la décision a été rendue. À mon avis, l’erreur du juge de première instance réside dans le fait qu’il présume que la réparation prévue au paragraphe 18(1) est nécessairement demandée de tous ceux qui sont nommés à titre d’intimés dans une demande fondée sur l’article 18. Ce n’est pas le cas.

Le juge de première instance a hésité à suivre la jurisprudence de la Cour également pour le motif que, dans le cas qui nous occupe, la personne qui demande à être jointe à titre d’intimée à la demande de mandamus est Sa Majesté du chef de l’Alberta. Selon le juge, la Reine du chef d’une province ne peut être constituée intimée à une telle demande puisque la Cour fédérale n’a pas compétence lorsque la Reine agit en cette qualité[5], la Loi sur la Cour fédérale n’ayant pas supprimé la règle traditionnelle selon laquelle la Reine du chef d’une province ne peut être poursuivie devant ses tribunaux.

Cette opinion me paraît erronée pour deux raisons. D’une part, selon la règle traditionnelle, quelquefois appelée succinctement « immunité de la Couronne », il n’est pas interdit d’intenter une action contre la Reine devant ses tribunaux, mais plutôt de le faire sans qu’elle y consente. Cette règle ne peut donc être opposée à Sa Majesté si elle estime dans son intérêt de demander une ordonnance la constituant intimée dans une demande de mandamus. D’autre part, par son raisonnement, le juge présume encore une fois que la réparation prévue à l’article 18 est nécessairement demandée de tous les intimés à une demande fondée sur l’article 18. Il s’agit là, je le répète, d’une présomption inexacte.

En conséquence, contrairement aux opinions exprimées par le juge de première instance, l’ordonnance demandée par l’appelante relève de la compétence de la Cour et, compte tenu du consentement de toutes les autres parties, elle devait être rendue.

Je suis donc d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler la décision faisant l’objet de l’appel, d’accueillir la demande de l’appelante visant à être jointe à titre d’intimée à la demande présentée par la FORS en vertu de l’article 18 et d’ordonner que l’intitulé de la cause dans les procédures fondées sur l’article 18 soit modifié en conséquence par l’ajout, à la fin, des mots suivants :

« 

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ALBERTA,

intimée mise en cause ».

Le juge en chef Isaac : Je souscris à ces motifs.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] La Règle 1212 est ainsi libellée :

Règle 1212. Un intimé peut consentir à ce que le jugement porté en appel soit infirmé ou modifié en donnant à l’appelant un avis indiquant qu’il consent à ce que le jugement soit infirmé ou modifié de la manière y indiquée, et la Cour doit ensuite, à la demande de l’appelant, rendre jugement en conformité de l’avis à condition que ledit jugement en soit un qui puisse être prononcé du consentement mutuel des parties.

[2] L.R.C. (1985), ch. N-22 :

5. (1) Il est interdit de construire ou de placer un ouvrage dans des eaux navigables ou sur, sous, au-dessus ou à travers de telles eaux à moins que :

a) préalablement au début des travaux, l’ouvrage, ainsi que son emplacement et ses plans, n’aient été approuvés par le ministre selon les modalités qu’il juge à propos;

b) la construction de l’ouvrage ne soit commencée dans les six mois et terminée dans les trois ans qui suivent l’approbation visée à l’alinéa a) ou dans le délai supplémentaire que peut fixer le ministre;

c) la construction, l’emplacement ou l’entretien de l’ouvrage ne soit conforme aux plans, aux règlements et aux modalités que renferme l’approbation visée à l’alinéa a).

[3] Adidas (Can.) Ltd. c. Skoro Enterprises Ltd., [1971] C.F. 382 (C.A.); Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18 (C.A.); Edmonton Friends of the North Environmental Society c. Canada (Ministre de la Diversification de l’économie de l’Ouest canadien), [1991] 1 C.F. 416 (C.A.); Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1991] 1 C.F. 641 (C.A.), à la p. 649, renvoi en bas de page no 10; Tetzlaff c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 2 C.F. 215 (C.A.).

[4] Tetzlaff c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1991] 2 C.F. 212 (1re inst.) et Tetzlaff c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1991] 2 C.F. 206 (1re inst.).

[5] À l’appui de cette prétention, le juge des requêtes a invoqué la décision de la Cour suprême du Canada dans Union Oil Company c. La Reine (1976), 72 D.L.R. (3d) 82; [1976] 2 R.C.S. v. Dans cette affaire, Union Oil réclamait une somme d’argent à la Colombie-Britannique. Deux questions étaient soulevées, soit celle de savoir si une demande présentée par Union Oil contre la Reine du chef de la Colombie-Britannique relevait de la compétence de la Cour fédérale, et si la Couronne provinciale pouvait, sans y consentir, être poursuivie en Cour fédérale. Dans sa décision, la Cour suprême s’est expressément abstenue de se prononcer sur la deuxième question. Elle a rejeté le pourvoi formé par Union Oil pour la seule raison que « l’appelante n’a réussi à faire valoir aucun motif justifiant la compétence de la Cour fédérale vis-à-vis de la Couronne du chef de la province de la Colombie-Britannique » avant d’ajouter qu’« [i]l n’est donc pas nécessaire que la Cour statue sur cette immunité de la Couronne ». Cette décision ne fait par conséquent autorité qu’à l’égard de la prétention selon laquelle la Cour n’avait pas la compétence pour connaître de la réclamation qu’Union Oil faisait valoir dans cette affaire. Elle n’est pas pertinente quant à notre analyse.

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