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[1993] 2 C.F. 659

A-945-91

Réjean A. Éthier (appelant) (requérant)

c.

Le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada et la Commission de la fonction publique (intimés) (intimés)

Répertorié : Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC) (C.A.)

Cour d’appel, juges Hugessen, Stone et Décary, J.C.A.—Ottawa, 26 février 1993.

PreuveAppel de la décision du juge des requêtes de rejeter l’affidavit supplémentaire de l’appelant et les pièces qui y sont jointes pour le motif qu’il s’agit de ouï-direLe droit en matière de ouï-dire a été modifié par deux récentes décisions de la CSCL’admission de la preuve par ouï-dire est désormais fondée sur la fiabilité et la nécessitéLe critère de la fiabilité est respectéIl est fort probable que les déclarants aient dit la vérité puisque l’appelant a produit les documents à l’appui de sa causeIl est satisfait au critère de la nécessité, les intimés ayant, par l’entremise de leur avocat, bloqué tout moyen régulier d’accès aux documentsL’affidavit supplémentaire était la façon la plus pratique et commode de produire les documentsAppel accueilli, nouvelle audience ordonnée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 332.1(6) (édictée par DORS/90-846, art. 10).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS SUIVIES :

R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531; (1990), 59 C.C.C. (3d) 92; 79 C.R. (3d) 1; 113 N.R. 53; 41 O.A.C. 353; R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915; (1992), 94 D.L.R. (4th) 590; 75 C.C.C. (3d) 257; 15 C.R. (4th) 133; 139 N.R. 323; 55 O.A.C. 321.

APPEL d’une décision du juge des requêtes ([1992] 1 C.F. 109; (1991), 45 F.T.R. 310 (1re inst.)), de rejeter l’affidavit supplémentaire de l’appelant et les pièces qui y sont jointes pour le motif qu’il s’agit de ouï-dire. Appel accueilli.

AVOCATS :

Charles T. Hackland et Patricia Brethour pour l’appelant (requérant).

Geoffrey S. Lester pour les intimés (intimés).

PROCUREURS :

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour l’appelant (requérant).

Le sous-procureur général du Canada, pour les intimés (intimés).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés à l’audience par

Le juge Hugessen, J.C.A. : Nous sommes tous d’avis que le juge des requêtes [[1992] 1 C.F. 109] a commis une erreur en rejetant l’affidavit supplémentaire de l’appelant assermenté le 29 avril 1991 et les pièces qui y sont jointes pour le motif qu’il s’agissait de ouï-dire. À la décharge du juge des requêtes, disons tout de suite qu’il n’avait pas été mis au courant de l’arrêt alors récent de la Cour suprême du Canada, R. c. Khan[1]. Évidemment, l’arrêt subséquent R. c. Smith[2] de la Cour suprême n’avait même pas été rendu au moment où le jugement contesté l’a été.

À notre avis, ces deux arrêts ont clarifié et simplifié radicalement le droit canadien en matière de ouï-dire. Comme le juge en chef Lamer l’a dit dans l’arrêt Smith, ils ont « annoncé la fin de l’ancienne conception, fondée sur des catégories d’exceptions, de l’admission de la preuve par ouï-dire. L’admission de la preuve par ouï-dire est désormais fondée sur des principes, dont les principaux sont la fiabilité de la preuve et sa nécessité. » (À la page 933.)

En l’espèce, l’appelant cherchait à produire des documents obtenus auprès de la Commission de la fonction publique, l’un des intimés, à la suite d’une demande soumise en vertu de la Loi sur l’accès à l’information[3]. Le refus général de l’avocat de l’intimée de produire ces documents au cours des étapes préliminaires à l’audience devant la Section de première instance n’est pas sans importance. Les documents, regroupés en deux catégories, sont des notes au dossier et des notes de service relatives à une enquête menée par la Commission de la fonction publique à la demande de l’appelant (pièce A), et des documents officiels rédigés à la même époque par la Commission ou la Gendarmerie royale du Canada (pièce B). Les documents des deux catégories portent directement soit sur la décision de tenir un concours public afin de pourvoir pour une période indéterminée le poste alors détenu par l’appelant pour une durée déterminée, soit sur le concours même. C’est, évidemment, sur ces questions même que portaient les procédures intentées en vertu de l’article 18 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7] devant la Section de première instance.

À notre avis, compte tenu des circonstances de l’espèce, les documents en question respectent le premier critère de la fiabilité. Certes, nous ne nous prononçons pas sur le poids qu’ils devraient avoir à cette étape-ci, mais, à première vue, nous croyons que la façon dont ils ont été produits est telle qu’ils « écartent considérablement la possibilité que le déclarant ait menti ou commis une erreur »[4]. Ces documents, qui émanent des intimés, ont été rédigés au cours d’une enquête interne menée relativement à de présumées irrégularités dans le processus de nomination. Dans la mesure où l’appelant les a produits à l’appui de sa cause, il est pour ainsi dire inconcevable que les différents déclarants aient menti. Quant au risque d’une erreur, même s’il est toujours présent, rien dans les circonstances ne pourrait nous amener à croire qu’il est réaliste, en l’espèce, du moins en rapport avec la question préliminaire de l’admissibilité, d’affirmer que les déclarants ont commis une erreur.

De même, dans les circonstances, il ne peut y avoir de doute sérieux sur le critère de la nécessité. Par l’entremise de leur avocat, les intimés avaient bloqué tout moyen régulier d’accès aux documents. Même à partir du moment où ces derniers ont été obtenus grâce à une procédure instruite en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, il n’était guère réaliste de s’attendre à ce que le procureur de l’appelant aborde les différents déclarants en vue d’obtenir leurs affidavits, en présumant qu’il aurait pu le faire sans manquer gravement à l’éthique professionnelle. L’affidavit supplémentaire était certainement la façon la plus pratique et commode de produire les documents sans compromettre les droits des intimés de répondre ou d’expliquer s’ils le désiraient.

En première instance, les intimés se sont également opposés à la production de l’affidavit supplémentaire en invoquant l’interdiction prévue à la Règle 332.1(6) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (édictée par DORS/90-846, art. 10)][5]. Le juge des requêtes ne s’est pas prononcé sur cette question dans les motifs de son jugement, et l’avocat des intimés a reconnu à l’audition de l’appel que la décision portant sur la recevabilité de la preuve pourrait et devrait trancher la question de savoir si l’on devrait exercer un pouvoir discrétionnaire et permettre le dépôt de l’affidavit supplémentaire.

Compte tenu de notre conclusion sur l’admissibilité de l’affidavit supplémentaire, nous ne croyons pas opportun d’examiner les autres motifs invoqués par l’appelant. L’ensemble de la preuve sur lequel le juge des requêtes s’est fondé n’est plus le même. Nous nous sommes sérieusement demandés s’il fallait maintenant nous prononcer, à sa place, sur le bien-fondé de la demande présentée en vertu de l’article 18 et nous avons conclu qu’il n’était pas opportun de le faire. Le juge des requêtes était manifestement d’avis que les conclusions qu’il pouvait tirer des documents de l’appelant n’étaient pas suffisamment convaincantes pour réfuter, dans son esprit, les affirmations contenues dans les affidavits des intimés selon lesquels aucune irrégularité n’avait été commise. Les documents qui, selon nous, ont été exclus à tort, sont manifestement de nature à permettre d’autres déductions semblables, et nous sommes absolument incapables de dire si leur effet cumulatif aurait permis de modifier la conclusion du juge. Une nouvelle audience doit donc être tenue.

L’appel sera accueilli, l’ordonnance rendue le 6 août 1991 par la Section de première instance sera annulée et la tenue d’une nouvelle audience sera ordonnée. L’appelant aura droit à ses dépens de l’appel; l’adjudication des dépens des deux audiences en première instance sera laissée à la discrétion du juge des requêtes.



[1] [1990] 2 R.C.S. 531.

[2] [1992] 2 R.C.S. 915

[3] L.R.C. (1985), ch. A-1.

[4] Smith, précité, à la p. 933.

[5] Règle 332.1

(6) La partie qui a contre-interrogé l’auteur d'un affidavit ne peut par la suite déposer un affidavit dans le cadre de la requête, sauf avec le consentement de toutes les parties adverses à la requête, ou si la Cour ne l’y autorise.

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