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[1993] 3 C.F. 575

T-2419-92

Betty MacNeill (requérante)

c.

Procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : MacNeill c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Muldoon—Ottawa, 28 avril et 3 juin 1993.

Droits de la personne — Demande visant l’annulation d’une décision d’un Comité d’appel de la CFP confirmant la recommandation de renvoi formulée par l’administrateur général — La requérante a été frappée d’une incapacité physique dans l’exercice de ses fonctions — Le comité, pour trancher l’appel fondé sur l’art. 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, est tenu d’appliquer les dispositions de la LCDP en matière d’emploi — La législation protégeant les droits de la personne revêt une valeur fondamentale et c’est elle qui doit s’appliquer en cas de conflit avec d’autres dispositions précises — Examen de la jurisprudence touchant la discrimination par suite d’un effet préjudiciable dans le contexte d’une EPJ — L’administrateur général est tenu d’essayer, de bonne foi, de composer avec l’employée et de l’aider à conserver son emploi.

Fonction publique — Fin d’emploi — Un comité d’appel de la CFP a confirmé la recommandation formulée par l’administrateur général de renvoyer la requérante pour inaptitude à remplir ses fonctions — Pour trancher l’appel fondé sur l’art. 31 de la LEFP, le Comité est tenu d’appliquer les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne en matière d’emploi — L’employeur a l’obligation de composer avec l’employée et de l’aider à conserver son emploi en cas d’incapacité attribuable au travail — Le Comité a refusé d’examiner, au regard de la LCDP, la manière dont l’employée avait été traitée.

Il s’agit d’une demande visant l’annulation de la décision d’un Comité d’appel de la Commission de la fonction publique confirmant, en vertu de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, la recommandation de l’administrateur général tendant au renvoi de la requérante pour inaptitude à remplir ses fonctions. La requérante s’est blessée dans l’exercice de ses fonctions de CR-03 (commis au soutien des paiements). Devant le Comité d’appel, la requérante a fait valoir que son employeur avait refusé de la maintenir dans son emploi à cause de sa déficience. Elle a fait valoir, à l’audition de cette demande, qu’en rejetant ses arguments invoquant la discrimination, le Comité n’avait pas tenu compte des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) en matière d’emploi, demandant que l’affaire soit renvoyée au Comité pour nouvel examen. Il s’agissait de savoir si le Comité d’appel était tenu d’appliquer ces dispositions et si, dans l’affirmative, il l’avait effectivement fait en l’espèce.

Jugement : la demande doit être accueillie.

À l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, le législateur a prévu un mécanisme permettant soit de donner suite à la recommandation de l’administrateur général visant la rétrogradation ou le renvoi de l’employé, soit de la rejeter. Ces deux possibilités dépendent de l’avis de l’administrateur général reprochant à un employé soit qu’il est incompétent à l’égard des exigences de son poste soit qu’il est incapable de remplir ses fonctions. La requérante a reconnu qu’elle était incapable de remplir ses fonctions. Mais la LCDP a pour objet, ainsi que le précise son article 2, de compléter la législation canadienne en donnant effet au principe selon lequel tous les individus ont droit à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment de considérations fondées sur certains motifs interdits de discrimination. La Loi sur l’emploi dans la fonction publique est une loi du Canada ainsi complétée afin de donner effet à l’ »objet » énoncé à l’article 2 de la LCDP. La Cour suprême du Canada a décidé qu’une loi sur les droits de la personne est une loi fondamentale d’application générale et que, en cas de conflit avec une autre loi particulière, cette législation doit prévaloir. Vu l’état de la jurisprudence et le texte de l’article 2 de la Loi, l’ensemble des services de l’État, sauf dérogation législative expresse, doivent, dans leur fonctionnement, se conformer aux dispositions du texte régissant les droits de la personne. Un comité d’appel de la fonction publique, en tranchant un appel conformément à l’article 31 de la LEFP, est tenu de faire application des dispositions de la LCDP relatives à l’emploi.

En appliquant l’article 7 de la LCDP, il fallait conclure que cela constituait une pratique discriminatoire que de refuser, par des moyens directs et indirects, de continuer à employer la requérante ou, en cours d’emploi, de la défavoriser du fait de son incapacité. Cependant, l’article 15 de la Loi comporte une exception voulant qu’il n’y ait pas discrimination illégale si l’exclusion ou l’expulsion décidée par l’employeur est fondée sur une exigence professionnelle justifiée (EPJ). La Cour suprême du Canada a admis le concept « de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable » (à distinguer de la discrimination directe), qui se produit lorsqu’un employeur adopte, pour des raisons d’affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s’applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d’employés. Il y a obligation d’accommodement, malgré l’existence d’une EPJ, en cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. En l’espèce, la capacité physique de remplir les fonctions de CR-03 est une EPJ. La requérante n’étant pas physiquement en mesure de faire ce travail, l’administrateur général avait l’obligation, au regard de la LCDP, d’essayer de bonne foi de s’accommoder des besoins de la requérante et de l’aider à conserver un emploi, sous peine de contravention à l’article 7 de la LCDP. Avant qu’un employé soit renvoyé à cause d’une déficience en rapport avec son emploi, un comité d’appel doit s’assurer que l’employeur a fait tous les efforts raisonnables en vue de lui conserver un emploi. En l’espèce, le Comité refusa d’examiner, dans le cadre des dispositions de la LCDP, la manière dont l’employeur avait traité la requérante.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. 1977, ch. C-12.

Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L-1, art. 82(1)b), 84(1)g).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 1, 2, 3(1), 4, 7, 15a), 66(1).

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 25 (mod. par TR-84-102, art. 2).

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 31(1), (2), (3), (4), (5).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 67.

The Saskatchewan Human Rights Code, S.S. 1979, ch. S-24.1.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS SUIVIES :

Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, [1982] 2 R.C.S. 145; (1982), 137 D.L.R. (3d) 219; [1983] 1 W.W.R. 137; 39 B.C.L.R. 145; 82 CLLC 17,014; [1992] I.L.R. 1-1555; 43 N.R. 168; Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150; (1985), 21 D.L.R. (4th) 1; [1985] 6 W.W.R. 166; 38 Man. R. (2d) 1; 15 Admin. L.R. 177; 8 C.C.E.L. 105; 85 CLLC 17,020; 61 N.R. 241; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 8 C.H.R.R. D/4326; 87 CLLC 17,025; 75 N.R. 303; Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 7 C.H.R.R. D/3102; 86 CLLC 17,002; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561; (1985), 23 D.L.R. (4th) 481; 17 Admin. L.R. 111; 9 C.C.E.L. 135; 86 CLLC 17,003; 63 N.R. 185; Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; (1990), 111 A.R. 241; 72 D.L.R. (4th) 417; [1990] 6 W.W.R. 193; 76 Alta. L.R. (2d) 97; 12 C.H.R.R. D/417; 90 CLLC 17,025; 113 N.R. 161; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; [1992] 6 W.W.R. 193; (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 145; 13 B.C.A.C. 245; 141 N.R. 185.

DÉCISION APPLIQUÉE :

Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24; (1988), 53 D.L.R. (4th) 29; 23 C.C.E.L. 15; 9 C.H.R.R. D/5359; 88 CLLC 17,024; 88 N.R. 150 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Commission canadienne des droits de la personne, [1983] 2 C.F. 531; (1983), 147 D.L.R. (3d) 312; 4 C.H.R.R. D/1404; 48 N.R. 81 (C.A.); Central Alberta Dairy Pool v. Human Rights Commission (Alta) (1986), 73 A.R. 57; 29 D.L.R. (4th) 154; [1986] 5 W.W.R. 35; 45 Alta. L.R. (2d) 325; 8 C.H.R.R. D/3639; 87 CLLC 17,001 (C.B.R.); Central Alberta Dairy Pool v. Alberta (Human Rights Commission) (1988), 56 D.L.R. (4th) 192; [1989] 1 W.W.R. 78; 62 Alta. L.R. (2d) 207 (C.A.); Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; (1988), 53 D.L.R. (4th) 609; 10 C.H.R.R. D/5515; 88 CLLC 17,031; Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Saskatoon (Ville), [1989] 2 R.C.S. 1297; (1989), 65 D.L.R. (4th) 481; [1990] 1 W.W.R. 481; 81 Sask. R. 263; C.E.B. & P.G.R. 8092; 11 C.H.R.R. D/204; 90 CLLC 17,001; 45 C.R.R. 363.

DÉCISIONS CITÉES :

Clare c. Canada (Procureur général) (1993), 100 D.L.R. (4th) 400; 93 CLLC 14,025; 149 N.R. 303 (C.A.F.); Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 644; (1974), 51 D.L.R. (3d) 470; 6 N.R. 287 (C.A.); Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; (1982), 132 D.L.R. (3d) 14; 82 CLLC 17,005; 40 N.R. 159; Air Canada c. Carson, [1985] 1 C.F. 209; (1985), 18 D.L.R. (4th) 72; 6 C.H.R.R. D/2848; 57 N.R. 221 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Beaulieu, (A-687-91), juge Marceau, J.C.A., jugement en date du 25-2-93, C.A.F., encore inédit.

DOCTRINE

Oxford English Dictionary, vol. VII, 2nd ed., Oxford : Clarendon Press, 1989.

Petit Larousse illustré, Paris : Librairie Larousse, 1984.

DEMANDE d’annulation d’une décision d’un comité d’appel de la Commission de la fonction publique ((1992), 12 ABD 279) confirmant la recommandation de renvoi formulée par l’administrateur général à l’encontre de la requérante, au motif que celle-ci était incapable de remplir ses fonctions. Demande accueillie.

AVOCATS :

Andrew J. Raven et David Yazbeck pour la requérante.

Dogan D. Akman et Hélène Laurendeau pour l’intimé.

PROCUREURS :

Raven, Jewitt & Allen, Ottawa, pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Muldoon : Les avocats des deux parties reconnaissent que cette affaire pose la question sous un jour nouveau. Il s’agit de savoir si un Comité d’appel de la fonction publique, en tranchant un appel fondé sur l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (la Loi) est tenu d’appliquer les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP) et si, dans l’affirmative, le Comité les a correctement appliquées en l’espèce [(1992), 12 DCA 279].

Même sous sa forme la plus simple, la question a des ramifications qui, pour ne pas être directement en cause ici, n’en sont pas moins incontournables. Si un comité est effectivement tenu d’appliquer lesdites dispositions, l’administrateur général d’un ministère et la Commission de la fonction publique, notamment, sont, eux aussi, tenus d’appliquer, dans le domaine fédéral, les dispositions de la LCDP touchant les pratiques en matière d’emploi. La Cour examinera les questions évoquées au premier paragraphe de ces motifs. De toute évidence, l’examen des ramifications de la LCDP s’impose également.

Les faits en cause n’ont rien d’exceptionnel. Il s’agit, au contraire, de faits relativement simples et reconnus, pour l’essentiel, par les deux parties. La requérante (qui était l’appelante devant M. R. Vaison —lequel, ne donnant que la première initiale de son nom, ne permet pas de savoir à quel sexe il appartient —constituait à lui seul le Comité d’appel de la fonction publique) (le Comité), s’est blessée, en avril 1989, dans l’exercice de ses fonctions de commis au soutien des paiements (CR-03) au ministère des Anciens combattants à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard). Dans son rapport d’accident à la Commission des accidents du travail (CAT) de cette province (dossier produit par l’intimé, volume 1, cote D, page 00045), la requérante ne précise pas quel jour d’avril 1989, mais déclare s’être fait une entorse au cou, au haut du dos, à l’épaule et au côté. Sur ce formulaire rempli le 9 septembre 1989, elle précise que [traduction] « les deux fois, mon bras s’est engourdi ». D’après ce formulaire, c’est en « avril et août 1989 » qu’elle a fait part de cette douloureuse déficience à son employeur.

Les parties ne s’opposent pas sur la question de savoir si cette incapacité empêche effectivement la requérante d’accomplir les tâches de son emploi. Aussi, la requérante ne cherche pas à convaincre la Cour de faire droit à son appel. Quant au redressement revendiqué, à l’audience du 28 avril 1993 l’avocat de la requérante a fait porter sa demande sur un point qui, certes, figurait dans l’avis de requête introductif d’instance déposé le 2 octobre 1992, mais à titre accessoire. Maintenant, la requérante demande simplement à la Cour d’annuler la décision et d’ordonner le renvoi de son appel devant le Comité composé de M. Vaison pour nouvel examen, l’appel devant être tranché à la lumière des dispositions de la LCDP en matière d’emploi, c’est-à-dire, essentiellement, l’article 2 (déficience), le paragraphe 3(1) (déficience), l’alinéa 7a) (s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait … de refuser … de continuer d’employer) et, bien sûr, l’alinéa 15a) (ne constituent pas des actes discriminatoires les expulsions qui découlent d’exigences professionnelles justifiées (EPJ). Le redressement réclamé en l’espèce est plus concisément exposé à la page 284 du volume II du dossier de la requérante.

[traduction] ORDONNANCE DEMANDÉE

34. La requérante demande en toute déférence à la Cour d’accueillir sa requête, d’annuler la décision rendue par le Comité d’appel de la Commission de la fonction publique le 1er septembre 1992 et de renvoyer l’affaire devant le Comité d’appel avec l’obligation de préciser dans quelle mesure le renvoi de la requérante n’aurait pas entraîné une violation des droits que la Loi canadienne sur les droits de la personne lui reconnaît.

Il conviendrait peut-être, dans le passage cité, d’ajouter, après le mot « droits », les mots « si violation il y a ».

Il semble utile de reproduire ici les dispositions pertinentes des textes législatifs en cause. Voici ce que prévoit l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique :

31. (1) L’administrateur général qui juge un fonctionnaire incompétent dans l’exercice des fonctions de son poste ou incapable de remplir ces fonctions peut recommander à la Commission soit le renvoi de ce fonctionnaire, soit sa rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur. Dans les deux cas, il en avise par écrit le fonctionnaire.

(2) Dans le délai imparti par la Commission après réception de l’avis mentionné au paragraphe (1), le fonctionnaire peut faire appel de la recommandation de l’administrateur général devant un comité chargé par la Commission de faire une enquête, au cours de laquelle les parties, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre.

(3) Après notification de la décision du comité, la Commission, en fonction de cette dernière :

a) avertit l’administrateur général qu’il ne sera pas donné suite à sa recommandation;

b) rétrograde ou renvoie le fonctionnaire.

(4) En l’absence d’appel, la Commission peut prendre, à l’égard de la recommandation, toute mesure qu’elle estime opportune.

(5) La Commission peut renvoyer un fonctionnaire en application d’une recommandation fondée sur le présent article; le fonctionnaire perd dès lors sa qualité de fonctionnaire.

On constate que dans cette loi relative à la fonction publique, le législateur a prévu un mécanisme permettant soit de donner suite à la recommandation de l’administrateur général visant la rétrogradation ou le renvoi d’un employé, soit de la rejeter. Seules ces deux possibilités sont prévues au paragraphe 31(1) ainsi qu’aux alinéas 31(3)a) et b), fondés sur l’hypothèse qu’il est donné suite à l’avis de l’administrateur général reprochant à un employé soit qu’il est incompétent eu égard aux exigences de son poste soit qu’il est incapable de remplir ses fonctions. Il existe peut-être, comme l’indiquent le Oxford English Dictionary, 2nd ed., Clarendon Press, Oxford, 1989 et le Petit Larousse Illustré 1984, Librairie Larousse, Paris, un certain chevauchement du sens des mots « incompétent » et « incapable », mais il semble qu’en substance, le mot « incompétent » s’applique plutôt à un défaut d’aptitude ou de connaissance, le mot « incapable » semblant plutôt s’appliquer à une déficience physique et (ou) mentale. Ce point de vue semble d’ailleurs être partagé par le juge Robertson qui, au nom de la Section d’appel, a rendu le jugement dans l’affaire Clare c. Canada (Procureur général) (1993), 100 D.L.R. (4th) 400 (C.A.F.), à la page 409. Rappelons qu’en l’occurrence la requérante admet être physiquement (on pourrait ajouter « neurologiquement ») incapable de remplir les fonctions de son poste de CR-03. Dans l’optique des personnes chargées d’administrer la Loi, ainsi que dans celle du procureur général, cette admission, ou conclusion, devrait, à proprement parler, mettre un terme à l’affaire en justifiant le renvoi de la requérante, renvoi qui a été effectivement décidé. Ainsi, selon l’interprétation de la Loi retenue par l’intimé, toute aide ou tout secours accordé à la requérante par l’employeur afin de la soulager, serait à titre tout à fait bénévole. L’avocat de l’intimé a ainsi fait valoir que [traduction] « la fonction publique n’est pas une nounou et les fonctionnaires ne sont pas des zounes ».

Il n’y a pas lieu ici de distinguer les blessures ou incapacités encourues dans l’exercice des fonctions des incapacités ou blessures subies lors d’activités récréatives, si ce n’est que, pour les premières, la CAT est appelée à intervenir. C’est, en l’espèce, du fait de son travail que la requérante a subi une blessure, ou des blessures entraînant son incapacité. Or, maintenant, on la met à la porte.

Mais, que prévoient les dispositions de la LCDP applicables ici? Les voici, précédées du préambule de la Loi :

Loi visant à compléter la législation canadienne en matière de discrimination

TITRE ABRÉGÉ

1. Loi canadienne sur les droits de la personne.

OBJET

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur …

PARTIE 1

MOTIFS DE DISTINCTION ILLICITE

Dispositions générales

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

4. Les actes discriminatoires prévus aux articles 5 à 14 peuvent faire l’objet d’une plainte en vertu de la Partie III et toute personne reconnue coupable de ces actes peut faire l’objet des ordonnances prévues aux articles 53 et 54.

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

15. Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées; [Soulignement ajouté.]

Il est clair que l’article 4 ne limite pas le champ d’application des mesures prévues aux articles 5 à 14 de la LCDP, aux plaintes formulées en vertu de la Partie III. L’inverse irait d’ailleurs à l’encontre de l’objet même de la LCDP, qui est « de compléter la législation canadienne en donnant effet … au principe » [soulignement ajouté] énoncé à l’article 2 de la LCDP. Au contraire, l’article 4 fixe un des moyens, mais ce n’est pas le seul, de donner effet aux dispositions de cette loi.

Il est manifeste que la Loi sur l’emploi dans la fonction publique fait partie intégrante de la législation canadienne et il en va de même de son article 31 et des paragraphes qui s’y rattachent. Dans ces conditions, comment cette loi échapperait-elle à l’action de la LCDP et à la claire intention du législateur? Il s’agit, en fait, d’une loi qui justement a été « complétée » afin de donner effet à l’« objet » énoncé à l’article 2 de la LCDP. Il y a onze ans, l’actuel juge en chef du Canada en est arrivé à la même conclusion dans l’arrêt, auquel a souscrit le juge McIntyre, Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, [1982] 2 R.C.S. 145. Voici ses propos, rapportés aux pages 157 et 158 du recueil :

Le Human Rights Code of British Columbia

Lorsque l’objet d’une loi est décrit comme l’énoncé complet des « droits » des gens qui vivent sur un territoire donné, il n’y a pas de doute, selon moi, que ces gens ont, par l’entremise de leur législateur, clairement indiqué qu’ils considèrent que cette loi et les valeurs qu’elle tend à promouvoir et à protéger, sont, hormis les dispositions constitutionnelles, plus importantes que toutes les autres. En conséquence à moins que le législateur ne se soit exprimé autrement en termes clairs et exprès dans le Code ou dans toute autre loi, il a voulu que le Code ait préséance sur toutes les autres lois lorsqu’il y a conflit.

En conséquence, la maxime juridique generalia specialibus non derogant ne peut s’appliquer à un tel code. En réalité, si le Human Rights Code entre en conflit avec des « lois particulières et spécifiques », il ne faut pas le considérer comme n’importe quelle autre loi d’application générale, il faut le reconnaître pour ce qu’il est, c’est-à-dire une loi fondamentale.

De plus, puisqu’il s’agit de droit public et de droit fondamental, personne ne peut, par contrat, à moins que la loi ne l’y autorise expressément, convenir d’en écarter l’application et se soustraire ainsi à son champ de protection.

Donc, tout en étant d’accord avec mon collègue le juge Ritchie que « les deux dispositions législatives en cause peuvent coexister puisqu’il n’y a pas d’incompatibilité directe entre elles », j’ajouterai que, eût-il eu incompatibilité, le Code eût dû prévaloir. Je ne vois nulle part dans les lois de la Colombie-Britannique que l’art. 5 des clauses légales énoncées dans l’article 208 de l’Insurance Act, R.S.B.C. 1960, chap. 197, et modifications, doit recevoir une application spéciale en vertu du Human Rights Code.

Et voici ce qu’au nom d’une Cour suprême unanime, le juge McIntyre a déclaré dans l’arrêt Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150, à la page 156 :

Quoi qu’il en soit, je partage l’avis du juge en chef Monnin lorsqu’il dit :

[traduction] Une loi sur les droits de la personne est une loi d’application générale d’intérêt public et fondamentale. S’il y a conflit entre cette loi fondamentale et une autre loi particulière, à moins qu’une exception ne soit créée, la loi sur les droits de la personne doit prévaloir.

Cela est conforme au point de vue exprimé par le juge Lamer dans l’arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145. Une loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions d’intérêt général. Elle n’est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu’elle ne peut pas être modifiée, révisée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d’une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l’abroger, ou encore de créer des exceptions à ses dispositions. Adopter et appliquer une théorie quelconque d’abrogation implicite d’une loi de ce genre au moyen d’un texte législatif ultérieur équivaudrait à la dépouiller de sa nature spéciale et à protéger fort inadéquatement les droits qu’elle proclame. En l’espèce, on ne peut pas dire que l’art. 50 de la refonte de 1980 est une indication suffisamment explicite de l’intention du législateur de créer une exception aux dispositions du par. 6(1) de The Human Rights Act.

On peut également citer, à cet égard, l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, dont le jugement a été rédigé par le juge La Forest au nom d’une Cour suprême pratiquement unanime. Aux pages 89 et 90 du recueil, il cite Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, [1982] 2 R.C.S. 145, aux pages 157 et 158 et Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536 et, dans l’arrêt Robichaud, il accorde à la LCDP la même prééminence qu’antérieurement reconnue aux lois provinciales sur les droits de la personne :

Suivant son art. 2, la Loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet au principe selon lequel tous ont droit à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment de motifs de distinction illicites dont ceux fondés sur le sexe. Comme le juge McIntyre l’a expliqué récemment, au nom de la Cour, dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, on doit interpréter la Loi de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui la sous-tendent. Il s’agit là d’une tâche qui devrait être abordée non pas parcimonieusement mais d’une manière qui tienne compte de la nature spéciale d’une telle loi dont le juge McIntyre a dit qu’elle « n’est pas vraiment de nature constitutionnelle »; voir également Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink , [1982] 2 R.C.S. 145, le juge Lamer, aux pp. 157 et 158. Bien sûr, ce que laisse entendre cette expression n’est pas que la loi en cause est en quelque sorte enchâssée dans la Constitution, mais plutôt qu’elle exprime certains objectifs fondamentaux de notre société. Plus récemment encore, dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (l’arrêt Action Travail des Femmes), [1987] 1 R.C.S. 1114, le juge en chef Dickson a souligné la nécessité de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits énoncés dans ladite loi, conformément à la Loi d’interprétation qui exige que les lois soient interprétées de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets.

Ce thème a été repris, à la Section d’appel de la Cour, par le juge Mahoney qui, au nom d’une cour unanime, a déclaré dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24, à la page 31 :

La règle applicable à l’incompatibilité d’une loi sur les droits de la personne avec une autre loi semble être qu’une mesure législative postérieure à une loi sur les droits de la personne et incompatible avec quelque disposition de cette dernière ne doit s’interpréter comme abrogeant cette disposition que si elle déclare clairement y apporter une exception; par contre, la législation sur les droits de la personne postérieure à une autre mesure législative avec laquelle elle est incompatible abroge de façon implicite cette dernière.

L’avocat de l’intimé soutient néanmoins que le simple fait d’invoquer les droits de la personne n’oblige pas le Comité de suivre sur ce terrain. Il estime, en ce qui concerne le comité prévu à l’article 31, que les dispositions de la LCDP ne sont pas pertinentes. Je crois, pour ma part, qu’elles sont entièrement pertinentes dans toute la mesure où la LCDP « lie Sa Majesté du chef du Canada » (article 66), et dans la mesure où cette loi est évoquée dans la jurisprudence à laquelle nous nous référons et que nous citons plus haut. D’ailleurs, la seule exception à cet égard est prévue à l’article 67 par rapport à la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5] et c’est sans doute parce que cette loi (ainsi que l’article 25 [mod. par TR-84-102, art. 2] de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]) vise à entériner une distinction fondée sur la race. On ne saurait donc affirmer que la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, y compris le comité d’appel prévu en son article 31, puisse fonctionner sans tenir compte des prescriptions de la LCDP.

L’avocat de la requérante ayant reconnu qu’à l’époque où l’administrateur général a formulé sa recommandation, sa cliente était incapable de remplir les fonctions de son poste de CR-03, il n’y a pas lieu de s’arrêter à l’arrêt Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 644 (C.A.) invoqué en l’espèce par l’intimé, et notamment les pages 646 et 647. L’avocat de la requérante a en effet borné ses revendications initiales.

Vu l’état de la jurisprudence, il n’y a aucun doute que, sauf dérogation législative expresse, et les prescriptions de l’article 2 de la LCDP, l’ensemble des services de l’État doivent, dans leur fonctionnement, se conformer au principe, à l’objet et aux dispositions précises du texte régissant les droits de la personne. Comme à tout un chacun, il incombe aux administrateurs généraux de respecter les dispositions de la LCDP. L’affaire qui nous intéresse n’a pas sa source au sein du Comité : son point de départ est l’action de l’administrateur général, action qui a été portée devant le Comité pour examen. Les fonctionnaires ont droit, en cours d’emploi, à un traitement et à des conditions de travail conformes au principe clair, à l’objet énoncé et aux dispositions précises de la LCDP. Par une argumentation qui n’est pas négligeable, l’avocat de l’intimé fait valoir, entre autres, que les deux lois se situent sur des plans différents, chacune étant dans un « compartiment étanche » (selon une expression de la Cour), mais cette thèse ne me paraît guère fondée.

La réponse qu’il convient d’apporter à la première des deux questions évoquées au paragraphe un de ces motifs est la suivante : oui, en tranchant un appel conformément à l’article 31 de la Loi, un comité d’appel de la fonction publique est effectivement tenu de faire application des dispositions de la LCDP relatives à l’emploi.

Il s’agit ensuite de dire si, en l’occurrence, le Comité a correctement appliqué ces dispositions, si tant est, bien sûr, qu’il les ait appliquées. Pour assurer l’application des dispositions de la LCDP, le Comité doit à la fois suivre les dispositions de la loi et se conformer à la jurisprudence à laquelle elles ont donné lieu.

Sur le simple plan de la loi, il est clair que le handicap, l’incapacité physique/neurologique qui empêche la requérante de remplir ses fonctions de CR-03, constitue une « déficience » au sens de l’article 2 et du paragraphe 3(1) de la LCDP. Ainsi, aux termes de l’article 7, cela constitue une pratique discriminatoire que de, par des moyens directs ou indirects, refuser … de continuer à employer la requérante, ou, en cours d’emploi, de la défavoriser du fait de sa déficience. Rappelons, comme nous l’avons noté plus haut, que l’article 15 comporte une exception voulant qu’il n’y ait pas discrimination illégale si l’intimé parvient à établir que l’exclusion ou l’expulsion (c’est-à-dire le « renvoi ») qui frappe la requérante dans son emploi est fondée sur une exigence professionnelle justifiée.

L’article 15 a lui-même eu l’occasion d’être interprété par les tribunaux. Ainsi, l’exigence professionnelle justifiée, ou EPJ, revêt une réalité plus complexe que ne donnerait à penser la simplicité trompeuse de cette expression. L’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, est mentionné dans l’extrait que nous avons cité du jugement rendu par le juge La Forest dans l’affaire Robichaud. Dans l’arrêt O’Malley, le jugement de la Cour suprême du Canada a été rédigé par le juge McIntyre qui, précisant la définition de ce qu’on entend par « discrimination par suite d’un effet préjudiciable », établit un lien, au moins indirect, entre ce concept et l’EPJ. Relevant que le simple exercice d’une discrimination directe et délibérée peut permettre de conclure à l’existence d’un mobile ou d’une intention, le juge McIntyre explique, aux pages 549 et 550 que :

Il serait extrêmement difficile dans la plupart des cas de prouver le mobile et il serait facile de camoufler ce mobile en formulant des règles qui, tout en imposant des normes d’égalité, créeraient, comme dans l’affaire Griggs v. Duke Power Co., 401 U.S. 424 (1971), des injustices et de la discrimination en traitant également ceux qui sont inégaux (Dennis v. United States, 339 U.S. 162 (1950), à la p. 184). De plus, comme j’ai tenté de le démontrer, nous avons ici affaire aux conséquences d’une conduite plutôt qu’à la punition d’une mauvaise conduite. En d’autres termes, nous sommes saisis essentiellement de voies de recours civiles. La preuve de l’intention, une exigence nécessaire dans notre façon d’aborder une loi criminelle et punitive, ne devrait pas être un facteur déterminant dans l’interprétation d’une loi sur les droits de la personne qui vise à éliminer la discrimination. Je suis d’avis que les tribunaux d’instance inférieure ont eu tort de conclure que l’intention d’établir une distinction constitue un élément de preuve nécessaire.

L’idée de considérer comme discriminatoires un règlement et des règles qui ne sont pas discriminatoires à première vue, mais qui ont un effet discriminatoire, parfois appelé discrimination par suite d’un effet préjudiciable, est d’origine américaine et, dit-on habituellement, a fait son apparition dans l’affaire Duke Power, précitée, de la Cour suprême des États-Unis … Il n’y avait, dans la loi pertinente, la Civil Rights Act of 1964 (Title VII, 78 Stat. 255, s. 703(a)(1)), 42 USCS § 2000e-2(a)(1), aucune disposition exigeant une telle interprétation.

Dans l’arrêt O’Malley c. Simpsons-Sears, le juge McIntyre a relevé [à la page 550] que, malgré « l’absence d’appui législatif explicite en Ontario que les présidents de commissions d’enquête ont introduit le concept » du principe de l’effet préjudiciable, et il a cité quelques cas, ajoutant qu’il en existait plusieurs autres. À la page 551, il élabore une explication claire de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable :

On doit faire la distinction entre ce que je qualifierais de discrimination directe et ce qu’on a déjà désigné comme le concept de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable en matière d’emploi. À cet égard, il y a discrimination directe lorsqu’un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, « Ici, on n’embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir ». En l’espèce, il est évident que personne ne conteste que la discrimination directe de cette nature contrevient à la Loi. D’autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu’un employeur adopte, pour des raisons d’affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s’applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d’employés en ce qu’elle leur impose, en raison d’une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d’employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés. Essentiellement pour les mêmes raisons qui sous-tendent la conclusion que l’intention d’établir une distinction n’est pas un élément nécessaire de la discrimination proscrite par le Code, je suis d’avis que cette Cour peut considérer que la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, décrite dans les présents motifs, contrevient au Code. Une condition d’emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d’affaires, également applicable à tous ceux qu’elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d’une manière différente par rapport à d’autres personnes auxquelles elle peut s’appliquer.

Puis, à la page 552, le juge McIntyre établit un lien oblique entre la discrimination par suite d’un effet préjudiciable et le « moyen de défense fondé sur l’exigence professionnelle réelle ». Voici le raisonnement qu’il tient :

Lorsqu’on conclut qu’il y a discrimination en matière d’emploi, fondée sur la croyance d’une personne, cette personne a-t-elle automatiquement droit aux redressements prévus par le Code ontarien des droits de la personne? L’un des arguments soumis à cette Cour et aux tribunaux d’instance inférieure reposait sur le fait que le Code, même s’il interdit la discrimination fondée sur la croyance, ne contient aucune réserve ou clause justificative protégeant l’employeur. On trouve une réserve de ce genre au par. 4(6) relativement aux cas de discrimination fondée sur l’âge, le sexe ou l’état matrimonial—le moyen de défense fondé sur l’exigence professionnelle réelle. Cette omission, a-t-on dit, crée un vide dans le Code et c’est sur elle que l’on s’est appuyé pour prétendre que seule la discrimination volontaire était interdite car, sans une telle protection, celui qui ferait innocemment de la discrimination serait sans défense. Tout en rejetant cet argument dans la mesure où il sert à limiter l’application du Code à la discrimination volontaire, je n’accepte pas d’autre part la thèse selon laquelle, dès qu’on démontre l’existence de discrimination religieuse par suite d’un effet préjudiciable, le droit à un redressement est automatique.

Par la voix du juge McIntyre, la Cour a néanmoins conclu à l’existence, chez l’employeur, d’une obligation de s’accommoder d’un employé, si tant est que cela n’impose pas à l’employeur une contrainte excessive et cela, malgré l’absence de toute disposition législative expresse en ce sens. En dernière analyse, les mesures raisonnables que doit prendre l’employeur peuvent cesser là où commence la contrainte excessive, mais, dans ce cas-là, que faire? Voici, à la page 555 du recueil, la conclusion du juge McIntyre dans l’affaire O’Malley, conclusion applicable, bien sûr, aux cas analogues :

Cependant, lorsque ces mesures ne permettent pas d’atteindre complètement le but souhaité, le plaignant, en l’absence de concessions de sa propre part, comme l’acceptation en l’espèce d’un emploi à temps partiel, doit sacrifier soit ses principes religieux, soit son emploi.

L’avocat de l’intimé soutient avec force et cohérence que, dans la mesure où il est établi qu’un requérant n’est pas à même—par incompétence ou incapacité—de remplir ses fonctions, c’est-à-dire qu’il n’est pas à même de remplir les fonctions qui constituent une exigence professionnelle normale, la question est réglée en ce qui concerne l’article 15 de la LCDP puisqu’aux termes de l’alinéa 15a) les « exclusions, expulsions, suspensions » ne constituent pas, dans ce cas, une pratique discriminatoire. Il me semble curieux que la LCDP n’utilise pas, en matière de licenciement, le mot qu’on trouve aux paragraphes 31(1) et (5) de la Loi, c’est-à-dire « renvoi »; mais il est certain que les trois mots utilisés à l’alinéa 15a) de la LCDP comprennent également le sens du mot « renvoi » dans l’expression « renvoyer un fonctionnaire ».

Le jour où fut rendu public le jugement O’Malley, c’est-à-dire le 17 décembre 1985, la Cour suprême du Canada rendait aussi public son jugement dans l’affaire Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561. Dans ce cas-ci, le juge McIntyre a rédigé le jugement au nom de ce qu’on pourrait appeler une majorité « étagée » et, tout en se rangeant à la décision du juge McIntyre et à ses motifs, Madame le juge Wilson et le juge Beetz ont aussi exposé leurs propres motifs. Dans cette affaire, l’appelant, Un Sikh employé de la Compagnie de chemins de fer intimée, invoquait des motifs religieux pour refuser de porter, à la place de son turban, le casque de sécurité dont l’employeur imposait le port à tous les électriciens d’entretien, conformément à l’alinéa 82(1)b) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L-1 et au règlement fondé sur son alinéa 84(1)g). L’intimée (parfois désignée ici sous la forme « CN ») avait imposé le port du casque quelque quatre ans et demi après que Bhinder eut été engagé par CN à Toronto en tant qu’électricien chargé de l’entretien des équipements. Le tribunal des droits de la personne a décidé que le CN s’était livré à une pratique discriminatoire, mais la Section d’appel de cette Cour [[1983] 2 C.F. 531] (le juge Le Dain étant dissident) n’étant pas d’accord, la question fut renvoyée au tribunal pour être de nouveau tranchée selon la prémisse que le port obligatoire du casque de sécurité, imposé par CN à ses employés au cours de leur travail dans la gare de triage, ne constituait pas une pratique discriminatoire.

La Cour suprême s’est prononcée dans l’affaire Bhinder, son jugement étant publié dans [1985] 2 R.C.S. 561. Le juge McIntyre a rédigé le jugement au nom de la majorité (le juge en chef Dickson et le juge Lamer étant dissidents) et on lit, aux pages 589 et 590 du recueil :

Le tribunal [des droits de la personne] a été d’avis qu’il fallait donner une interprétation libérale aux dispositions interdisant la discrimination et une interprétation étroite aux exceptions. Même si cela est exact, il faut néanmoins noter que, lorsqu’il s’applique, l’al. 14a) dit en des termes on ne peut plus clairs et précis que, lorsqu’il est démontré qu’il s’agit d’une exigence professionnelle normale, il ne s’agit pas d’un acte discriminatoire. Conclure alors que ce qui constituerait par ailleurs une exigence professionnelle normale ne peut s’appliquer à un employé, en raison des caractéristiques spéciales de cet employé, revient non pas à donner une interprétation étroite à l’al. 14a), mais tout simplement à ne tenir aucun compte de ce qu’il dit clairement. Appliquer une exigence professionnelle normale à chaque individu avec des résultats variables, selon les différences personnelles, c’est la dépouiller de sa nature d’exigence professionnelle et faire perdre tout leur sens aux dispositions claires de l’al. 14a). À mon avis, le tribunal a commis une erreur de droit quand, après avoir constaté l’existence d’une exigence professionnelle normale, il a exempté l’appelant de son application.

Il s’ensuit que je ne suis pas d’accord avec la Cour d’appel à la majorité lorsqu’elle conclut que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne vise que la discrimination volontaire. Je suis d’avis, pour les motifs qui précèdent, que la Loi vise également la discrimination involontaire et la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Cependant, je suis d’accord avec la Cour d’appel à la majorité pour dire que la commission a commis une erreur de droit en statuant sur la question de l’exigence professionnelle normale et sur l’application de l’al. 14a). Je rejette donc le pourvoi et renvoie l’affaire au tribunal pour qu’il statue sur celle-ci conformément aux présents motifs.

Je ne puis cependant terminer sans mentionner l’affaire O’Malley. Dans des circonstances à toutes fins identiques à celle de l’espèce, Mme O’Malley a obtenu protection contre la discrimination religieuse dont elle se plaignait et Bhinder ne l’a pas obtenue. La différence entre ces deux cas résulte de la différence entre les deux lois. Le Code ontarien des droits de la personne en vigueur dans l’affaire O’Malley interdisait la discrimination fondée sur la religion, mais ne comportait aucune exception d’exigence professionnelle normale au profit de l’employeur. La Loi canadienne sur les droits de la personne comporte une interdiction similaire, mais son al. 14a) énonce de façon on ne peut plus claire le moyen de défense fondé sur l’exigence professionnelle normale. Comme je viens de le dire, aucune méthode d’interprétation ne peut permettre de contourner les termes irréductibles de l’al. 14a) et le pourvoi de Bhinder doit en conséquence échouer. Il s’ensuit aussi qu’il n’y a pas lieu en l’espèce de prendre en considération l’obligation d’accommodement dont il est question dans l’affaire O’Malley et qu’invoquent les appelants. Il y a obligation d’accommodement dans des cas où, comme l’affaire O’Malley, il y a discrimination religieuse par suite d’un effet préjudiciable et où il n’y a aucun moyen de défense fondé sur une exigence professionnelle normale. L’obligation d’accommodement est l’obligation, imposée à l’employeur, de prendre des mesures raisonnables, sans que cela ne cause une contrainte excessive, pour composer avec les pratiques religieuses de l’employé qui est victime de discrimination en raison d’une règle ou condition de travail. Le moyen de défense fondé sur l’exigence professionnelle normale, énoncé à l’al. 14a), ne laisse aucune place à une obligation de ce genre car il ressort clairement de cet alinéa que, lorsqu’il existe une exigence professionnelle normale, il n’y a pas d’acte discriminatoire. Selon sa formulation dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, le moyen de défense fondé sur l’exigence professionnelle normale, lorsqu’il est établi, exclut toute obligation d’accommodement.

L’arrêt Bhinder semblait donner une interprétation claire et simple, voire littérale, de la LCDP, mais, moins de cinq ans plus tard, une petite majorité (4 à 3) de la Cour suprême du Canada commença à repenser certains des aspects plus complexes de la question, y compris ce qu’il convient d’entendre par EPJ. Il s’agit de l’arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489. La question est exposée de manière concise par Madame le juge Wilson s’exprimant au nom de la majorité de la Cour. Ainsi, à la page 494 du recueil :

La principale question dans le présent pourvoi est de savoir si une règle particulière concernant la présence au travail imposée par l’employeur intimé à un employé est une exigence professionnelle normale (« EPN ») au sens de la Individual’s Rights Protection Act de l’Alberta, R.S.A. 1980, ch. I-2 (« la Loi »). Dans l’éventualité où notre Cour répondrait par la négative, les parties nous demandent de déterminer si l’intimée pourrait se défendre d’une accusation de discrimination religieuse en démontrant qu’elle a tenu compte de la situation de l’employé dans la mesure où elle n’en subissait pas de contraintes excessives.

Dans cette affaire, les fêtes religieuses observées par le plaignant coïncidaient avec des journées de travail très chargées dans la laiterie de l’employeur. Ayant estimé que la présence au travail, conformément à l’emploi du temps fixé par l’employeur, était une QPJ (ce qui est la même chose qu’une EPJ), le juge du Banc de la Reine [(1986), 73 A.R. 57] (invoquant les motifs du juge McIntyre dans l’arrêt Bhinder) a conclu que l’employeur n’était tenu à aucune obligation d’accommodement, ajoutant que l’employeur avait même composé, dans les limites du raisonnable, avec les obligations religieuses de son employé. Selon le juge du Banc de la Reine, l’employé avait, lui, manqué d’accommoder les besoins raisonnables de son employeur, [à la page 60] [traduction] « n’ayant pas effectué, auprès du représentant de son église, les démarches complètes et actives qui lui auraient permis de voir s’il n’y aurait pas moyen de trouver une solution satisfaisante ». Le juge s’est fondé sur les témoignages d’un autre fidèle de cette église, qui avait témoigné [à la page 60] que [traduction] « si l’obligation de travailler les jours de fête religieuse se prolonge, l’intéressé devra finir par trouver un autre travail qui lui permettra d’observer les fêtes religieuses ». D’après lui, cela valait pour le plaignant. C’est ce que, mutatis mutandis, le procureur général fait valoir en l’espèce. Dans l’affaire Dairy Pool, la Cour d’appel de l’Alberta [(1988), 56 D.L.R. (4th) 192] s’est presque entièrement rangée à l’avis de la Cour du Banc de la Reine.

Notant [à la page 502] « qu’[u]n examen des arrêts pertinents donne toutefois à penser qu’ils pourraient ne pas être totalement compatibles », Madame le juge Wilson procède, dans l’arrêt Alberta Dairy Pool , à une analyse des arrêts Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, O’Malley (précité) et Bhinder (précité également). Dans Alberta Dairy Pool, elle se penche de près sur l’opinion dissidente du juge Dickson, juge en chef à l’époque, et du juge Lamer, actuellement juge en chef. On trouve ainsi, à la page 509 :

Le juge en chef Dickson a mis en fait l’accent sur le caractère « normal » : il a jugé qu’une exigence professionnelle ne pouvait être « normale » que dans la mesure où l’employeur avait rempli son obligation d’accommodement à l’égard des employés sur qui l’exigence pouvait avoir un effet préjudiciable. L’objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, a-t-il souligné, est de prévenir la discrimination et la seule façon d’y parvenir dans le cas de la discrimination résultant d’un effet préjudiciable est d’incorporer à l’EPN une obligation d’accommodement. Voici un extrait de ses motifs à la p. 571 :

L’expression « exigence professionnelle » signifie que l’exigence doit manifestement être liée à l’activité professionnelle à laquelle le plaignant s’adonne. Cependant, dès qu’il est établi qu’une exigence est « professionnelle », il doit aussi être démontré qu’elle est « normale ». Une exigence en apparence discriminatoire à l’égard d’un individu, même si elle est en fait d’ordre « professionnel » n’est pas normale pour les fins de l’al. 14a) si son application à l’individu n’est pas raisonnablement nécessaire, en ce sens qu’il en résulterait une contrainte excessive pour l’employeur si on permettait de faire exception ou de substituer quelque chose à cette exigence dans le cas de cet individu. En bref, s’il est vrai que l’expression « exigence professionnelle » désigne une exigence évidente de l’emploi dans son ensemble, le qualificatif « normale », requiert de l’employeur qu’il justifie l’imposition d’une exigence professionnelle à un individu particulier lorsqu’elle a des effets discriminatoires sur celui-ci.

Le juge en chef Dickson n’a vu aucun conflit entre son interprétation de l’EPN dans cette affaire et le jugement de notre Cour dans Etobicoke. Il s’est référé au passage de cet arrêt (cité précédemment) où le juge McIntyre décrit une EPN comme se rapportant objectivement et étant « raisonnablement nécessaire » à l’exécution du travail.

Plus loin, aux pages 512 et 513 de l’arrêt Dairy Pool, Madame le juge Wilson déclare :

J’estime, avec le recul, que la majorité de cette Cour s’est peut-être trompée en concluant que la règle du casque de sécurité était une EPN. Ce n’est pas que je sois en désaccord avec le critère énoncé dans l’arrêt Etobicoke ou que j’accepte la thèse des dissidents selon laquelle l’accommodement est une composante essentielle de l’EPN. L’opinion que j’exprime se fonde sur deux autres raisons.

En premier lieu, la règle n’était pas, pour reprendre les termes utilisés dans Etobicoke, « raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général ». Le tribunal a conclu que, dans les faits, le refus de M. Bhinder de porter un casque de sécurité n’influerait pas sur sa capacité de travailler comme électricien d’entretien, ni ne constituerait une menace pour la sécurité de ses compagnons de travail ou du public en général. Il a certes admis que le fait de ne pas porter le casque de sécurité accroissait le risque que courait M. Bhinder lui-même, mais très légèrement. Vu ces conclusions de fait du tribunal, il est à mon avis difficile d’appuyer la conclusion de la majorité de cette Cour que la règle du casque de sécurité était raisonnablement nécessaire pour assurer la sécurité de M. Bhinder, de ses compagnons de travail et du public en général.

La deuxième raison qui me porte à remettre en question la justesse de l’arrêt Bhinder tient au postulat sous-jacent à l’opinion de la majorité comme à celle de la minorité, savoir que le moyen de défense de l’EPN s’applique dans les cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. À la réflexion, j’estime qu’il est possible que nous ayons commis une erreur en ne procédant pas à un examen critique de ce postulat. Comme le juge McIntyre le fait observer dans l’arrêt O’Malley, le critère de l’EPN de l’arrêt Etobicoke a été formulé dans le contexte d’un cas de discrimination directe fondée sur l’âge. En matière d’emploi, la discrimination directe consiste essentiellement à formuler une règle qui fait une généralisation quant à l’aptitude d’une personne à remplir un poste selon son appartenance à un groupe dont les membres partagent un attribut personnel commun, tel l’âge, le sexe, la religion, etc. L’idéal que visent les lois sur les droits de la personne est justement de faire en sorte que chacun reçoive un traitement égal en tant qu’individu, eu égard à ces attributs. Par conséquent, la justification d’une règle révélant un stéréotype de groupe dépend ou bien de la validité de la généralisation ou bien de l’impossibilité d’évaluer chaque cas individuellement, ou des deux.

Plus loin, aux pages 516 et 517, Madame le juge Wilson ajoute :

Pour ces motifs, je suis d’avis que l’arrêt Bhinder est bien fondé lorsqu’il énonce que l’accommodement n’est pas un élément du critère de l’EPN et qu’une fois démontrée l’existence d’une EPN, l’employeur n’a pas d’obligation d’accommodement. En revanche, cet arrêt est mal fondé dans la mesure où il applique ce principe à un cas de discrimination indirecte. Il en résulte finalement que, lorsqu’une règle crée une discrimination directe, elle ne peut être justifiée que par une exception légale équivalente à une EPN, c’est-à-dire un moyen de défense qui envisage la règle dans sa totalité. (Je souligne au passage que les codes des droits de la personne au Canada contiennent tous une disposition d’exception fondée sur l’EPN.) Par contre, lorsqu’une règle crée une discrimination par suite d’un effet préjudiciable, il convient de confirmer la validité de cette règle dans son application générale et de se demander si l’employeur aurait pu composer avec l’employé lésé sans subir des contraintes excessives.

La manière dont ont été formulés ces critères assurera un flot ininterrompu de procès tant il semble que, dans chaque cas, le tribunal doit constater l’existence d’une EPJ et vérifier s’il y a eu discrimination par suite d’un effet préjudiciable, s’il y a eu tentative d’accommodement et si cet effort d’accommodement a atteint le point de la contrainte excessive, ce qui est toujours question d’appréciation. La Cour suprême a élaboré un régime beaucoup plus complexe, mais plus juste aussi peut-être, que celui qui résultait des règles édictées par le législateur telles qu’interprétées par le juge McIntyre dans l’arrêt Bhinder. C’est ce qui ressort du passage de l’arrêt Alberta Dairy Pool où, aux pages 517 et suivantes du recueil, Madame le juge Wilson se réfère à une affaire québécoise Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279. Cette affaire portait sur les clauses anti-népotisme prévues dans la politique d’emploi de la municipalité. Étaient ainsi inadmissibles aux emplois municipaux le conjoint et autres membres de la famille des employés à plein temps ou des conseillers municipaux. On opposait ces clauses aux dispositions de la Charte [Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. 1977, ch. C-12] québécoise interdisant toute discrimination fondée sur l’« état civil ». Dans l’arrêt Brossard, le juge Beetz a décidé que la règle anti-népotisme fixée par l’employeur était formulée de manière trop générale, Madame le juge Wilson convenant que cette règle ne constituait pas une EPJ car, au lieu de cette interdiction générale, la logique aurait dicté une solution moins radicale, plus raisonnable. C’est aussi, selon elle, la solution proposée et retenue par la Cour suprême dans l’arrêt Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Saskatoon (Ville), [1989] 2 R.C.S. 1297 (dit l’arrêt des Pompiers de Saskatoon).

En cause dans l’affaire des Pompiers de Saskatoon était l’âge de la retraite obligatoire prévu dans la convention collective signée par la ville et le syndicat, et reprise dans le règlement municipal. Le chef Craig avait porté plainte devant la Commission provinciale des droits de la personne, estimant qu’en l’obligeant à prendre sa retraite à 60 ans, on allait à l’encontre des dispositions du Code [The Saskatchewan Human Rights Code, S.S. 1979, ch. S-24.1] interdisant la discrimination fondée sur l’âge et ajoutant que cette discrimination ne se justifiait pas en tant que [traduction] « exigence professionnelle raisonnable telle que prévue au paragraphe 16(7) du Code ». Dans cette affaire, on se demandait quelles étaient les probabilités qu’après l’âge de 60 ans une déficience physique empêche quelqu’un d’exercer le métier de pompier, et s’il n’y aurait pas un test qui permettrait de trancher cette question. En l’occurrence, l’avocat de la requérante admet que Mme MacNeill souffre d’une déficience physique—qu’elle est, au sens premier de ce terme, incapable—qui touche à l’exercice de ses fonctions. Sans doute a-t-elle passé des tests, contrairement à ce qui s’était passé dans l’affaire des Pompiers de Saskatoon où c’était justement un des points en litige. Cet arrêt cite d’ailleurs l’affaire Air Canada c. Carson, [1985] 1 C.F. 209 (C.A.) où la remarque de bon sens du juge Mahoney, estimant qu’une mesure individuelle vaut mieux qu’une interdiction générale, est citée avec approbation comme indiquant « la voie à suivre ».

Sans doute la « voie à suivre » est-elle encore plus clairement indiquée dans le jugement de la Cour suprême, rédigé par le juge Sopinka, dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970. Dans cette affaire, comme dans les affaires O’Malley, Bhinder et Alberta Dairy Pool, il s’agissait de plaintes ayant trait à la religion de l’employé qui, dans l’affaire Renaud, était l’adventisme du septième jour. Au premier paragraphe de l’arrêt Renaud, aux pages 975 et 976 du recueil, le juge Sopinka déclare que :

Il s’agit, en l’espèce, de définir l’étendue et la nature de l’obligation qui incombe à un employeur de composer avec les croyances religieuses des employés, et de déterminer si, et dans quelle mesure, cette obligation incombe également à un syndicat. Bien que cette obligation ait été reconnue et analysée dans la mesure où elle concerne généralement les employeurs (Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, aux pp. 552 à 556, et Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, aux pp. 520 à 529), les tribunaux n’ont guère étudié la question soulevée par l’existence d’une convention collective et d’un syndicat accrédité. Le syndicat est-il coupable de discrimination si, en refusant d’assouplir les dispositions d’une convention collective, il gêne la tentative de l’employeur de s’entendre avec un employé? L’employeur doit-il agir unilatéralement en pareilles circonstances? Ce sont là des questions qui ont de graves répercussions sur le milieu de travail d’employés syndiqués.

Pour l’affaire qui retient ici notre attention, l’arrêt Renaud est important parce que la Cour suprême y confirme, dans les affaires de discrimination résultant d’un effet préjudiciable, le principe d’une obligation d’accommodement, et cela malgré l’existence d’une exigence professionnelle normale. Ainsi, tant que cela n’entraîne pas de contraintes excessives, l’employeur est tenu de prendre toute mesure raisonnable en vue de s’accommoder des besoins religieux de l’employé. Dans cet arrêt, la Cour a décidé que les notions de « raisonnable » et de « contrainte excessive » sont simplement deux manières différentes d’exprimer un même concept.

La plainte de M. Renaud a été tranchée par un « membre désigné », nommé par la Commission des droits de la personne de la Colombie-Britannique qui entreprit une enquête sur l’obligation de travailler le vendredi soir, comme le prévoyait la convention collective en vigueur à l’époque. Voici les passages qui nous intéressent directement ici, tels qu’ils se trouvent aux pages 981 et 982 du recueil :

Devant les tribunaux d’instance inférieure, les intimés [SCFP, section 523 et autres] ont obtenu gain de cause dans des procédures par voie de certiorari fondées sur des allégations d’erreurs de droit apparentes à la lecture du dossier. Par conséquent, le pourvoi doit être accueilli si les tribunaux d’instance inférieure ont eu tort de conclure que le membre désigné avait commis une erreur de droit. Le premier motif pour lequel l’autorisation a été accordée porte sur le fondement des décisions des tribunaux d’instance inférieure. Le juge Dohm et la Cour d’appel ont décidé que le membre désigné a commis une erreur en concluant, contrairement à l’arrêt Bhinder, à l’existence d’une obligation d’accommodement, malgré la présence d’une EPN. Ces décisions ont été rendues sans que l’on bénéficie des motifs de notre Cour dans l’arrêt Central Alberta Dairy Pool, précité, où tant les juges formant la majorité que ceux formant la minorité ont conclu que, dans les affaires de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, l’obligation d’accommodement existe nonobstant la présence d’une EPN. Les juges formant la majorité se sont exprimés ainsi à la p. 517 :

… lorsqu’une règle crée une discrimination par suite d’un effet préjudiciable, il convient de confirmer la validité de cette règle dans son application générale et de se demander si l’employeur aurait pu composer avec l’employé lésé sans subir des contraintes excessives.

Dans mon jugement minoritaire, j’ai indiqué ceci à la p. 528 :

L’employeur qui veut se prévaloir d’une règle générale ayant pour effet d’établir une discrimination fondée sur la religion doit démontrer qu’il a considéré les répercussions de cette règle sur les pratiques religieuses de ceux à qui elle s’applique, et qu’il n’existait aucune solution raisonnable qui ne lui aurait imposé des contraintes excessives.

L’employeur intimé a admis devant notre Cour qu’en dépit de l’existence d’une EPN, l’employeur avait une obligation d’accommodement.

En raison de ce qui précède, nous ne sommes saisis que des questions reliées au deuxième motif.

Plus loin, à la page 989 de l’arrêt Renaud, le juge Sopinka ajoute :

L’obligation d’accommodement est devenue un moyen de limiter la responsabilité d’un employeur dont on a conclu qu’il a involontairement fait preuve de discrimination en adoptant de bonne foi une règle de travail. Elle a permis à l’employeur de justifier une discrimination par suite d’un effet préjudiciable et d’éviter ainsi une responsabilité absolue pour des conséquences non voulues. L’article 8 de la Loi, à l’instar de bien d’autres codes régissant les droits de la personne, interdit de faire preuve de discrimination envers une personne relativement à son emploi ou aux modalités de son emploi, sans établir de distinction entre la discrimination directe et la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Les deux sont interdites. De plus, quiconque fait preuve de discrimination s’expose aux peines que la Loi prévoit. Par définition, le syndicat est une personne (art. 1) [de la Human Rights Act de la Colombie-Britannique S.B.C. 1984, ch. 22]. En conséquence, le syndicat qui est à l’origine de l’effet discriminatoire ou qui y contribue encourt une responsabilité. Pour éviter une responsabilité absolue, le syndicat doit posséder le même droit qu’un employeur de justifier la discrimination. Pour ce faire, il doit s’acquitter de son obligation d’accommodement.

Dans un passage précédent de ses motifs (à la page 982), le juge Sopinka établit un lien entre l’obligation d’accommodement et les croyances et pratiques religieuses des employés, ainsi qu’il en était dans l’affaire O’Malley et aussi dans l’affaire Renaud, mais lorsque, à la page 981, il cite les opinions majoritaires et minoritaires exprimées dans l’arrêt Central Alberta Dairy Pool, on constate que le jugement de la majorité de la Cour ne limite pas l’obligation d’accommodement aux seules croyances et pratiques religieuses des employés. D’après l’opinion majoritaire, cette obligation est plus large que cela et comprend, ainsi qu’il en était dans l’arrêt Etobicoke, l’âge de la retraite prévu pour les employés.

En ce qui nous concerne ici, le problème auquel fait face la requérante n’a trait ni à son âge ni à sa religion mais à une incapacité physique. L’avocat de l’intimé a présenté des arguments assez forts pour soutenir que la question de l’incapacité due à l’âge peut être tranchée par des tests individuels, les problèmes liés aux fêtes religieuses peuvent être réglés en modifiant l’emploi du temps des travailleurs, mais qu’en l’espèce, la requérante a subi des tests physiques et elle admet ne pas du tout pouvoir remplir les fonctions de CR-03. Citant l’arrêt Canada (Procureur général) c. Beaulieu (A-687-91) en date du 25 février 1993 [encore inédit], dont le jugement a été rédigé par le juge Marceau au nom d’une Section d’appel unanime, l’avocat de l’intimé fait valoir que la requérante est arrivée à la fin de sa carrière au sein de la fonction publique. Selon une jurisprudence antérieure, le Comité, dont la requérante tente de faire annuler la décision, n’avait pas compétence pour écarter la recommandation de l’administrateur général tendant à son renvoi, en y substituant sa propre recommandation de rétrogradation qu’autorise le paragraphe 31(1) de la Loi. Les deux formes que pouvait revêtir la recommandation de l’administrateur général semblent tout à fait conformes à la souplesse des mesures d’accommodement prescrites par la Cour suprême du Canada dans les récents arrêts cités plus haut.

On semble avoir oublié, cependant, qu’aux termes de la Partie IV de cette loi même—en son paragraphe 66(1)la LCDP « lie Sa Majesté du chef du Canada ». Cette loi lie donc les préposés, employés et administrateurs généraux de Sa Majesté pour tout ce qui est des droits et responsabilités en matière d’emploi, domaine abordé aussi bien par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique que par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La Cour estime que les capacités physiques qui permettent de remplir certaines fonctions—il s’agira, par exemple, pour l’employé chargé de l’entretien des lignes électriques, de pouvoir grimper à un poteau d’électricité sans avoir le vertige—constituent une EPJ. C’est le bon sens qui le veut. Ainsi, la capacité physique de remplir les fonctions de CR-03 est une EPJ et, en l’espèce, la requérante n’est pas physiquement en mesure de faire ce travail. Son employeur a-t-il l’obligation de s’accommoder de la situation? D’après l’interprétation que la Cour suprême a donnée des dispositions de la LCDP, dispositions qui s’imposent à l’employeur de la requérante, ce dernier est effectivement tenu de composer avec Mme MacNeill. Puisqu’en l’espèce, la question des droits de la personne n’est pas invoquée dans le cadre de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5] et que la question du racisme ne se pose pas, rien ne fait obstacle à l’accommodement qu’autorise le paragraphe 31(1) de la Loi touchant l’emploi dans la fonction publique.

Dans la mesure où l’administrateur général est, en toute circonstance, tenu au respect des dispositions de la LCDP, il a, d’après la Cour suprême, l’obligation d’essayer de bonne foi de s’accommoder des besoins de la requérante et de l’aider à conserver un emploi et cela, sous peine de contravention à l’article 7 de la LCDP. D’ailleurs, étant donné que la LCDP lie tous ceux qui exercent, en matière d’emploi, des pouvoirs impartis par la Loiy compris le pouvoir d’adjudication accordé à « un comité chargé par la Commission [de la fonction publique] de faire une enquête, au cours de laquelle les parties, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre », ainsi que le prévoit le paragraphe 31(2) de la Loi, l’article 7 de la LCDP régit toutes ces activités des préposés de la Couronne. Peut-être que les EPJ de l’article 15 leur auraient permis d’échapper à cette obligation d’accommodement si la Cour suprême n’avait pas donné à cette loi une interprétation qui va au-delà de la clarté littérale de l’arrêt Bhinder.

Étant donné que l’administrateur général est lié par les prescriptions de l’article 7 de la LCDP en matière d’emploi et que, d’après l’interprétation de la haute cour, les EPJ prévues à l’article 15 ne soustraient pas l’administrateur général à l’obligation au moins de rechercher l’accommodement qu’autorise le paragraphe 31(1) de la Loi, il y a là motif d’« appel de la recommandation de l’administrateur général » (paragraphe 31(2)) tendant au renvoi de l’employé, à moins que l’on constate que l’administrateur général a respecté l’obligation qui lui incombait en vertu de la LCDP. La Loi confère à l’employé le droit de faire appel de la recommandation de renvoi formulée par l’administrateur général et ce droit comprend le droit de faire appel de la violation, par l’administrateur général, des dispositions de la LCDP en matière d’emploi, telles qu’interprétées par la Cour suprême. Ces dispositions de la LCDP lient officiellement l’administrateur général, préposé de Sa Majesté. Il y aurait donc lieu d’accueillir un appel fondé sur une telle violation.

En l’espèce, le Comité d’appel de la fonction publique ne reconnaissait aucune obligation d’entendre l’appel fondé sur le fait que l’administrateur général avait—refusant même d’en entrevoir la possibilité—agi illégalement en se soustrayant à l’obligation que lui imposait la LCDP. Le Comité a rappelé et examiné les antécédents de la requérante, s’arrêtant toutefois là où aurait commencé l’examen, dans le cadre des dispositions de la LCDP, de la manière dont l’employeur avait traité son employée. L’employeur a fait certains gestes pouvant passer pour des mesures d’accommodement, mais le Comité n’a pas accepté de trancher la question au regard des dispositions de la LCDP.

Un certain Mike MacDonald de l’Alliance de la fonction publique du Canada a représenté la requérante devant le Comité d’appel de la fonction publique, le 21 juillet 1992 [(1992), 12 DCA 279]. Il est mentionné dans les passages qui suivent, passages dans lesquels le Comité tente d’écarter les dispositions de la LCDP. Les deux parties ont reproduit les 48 pages [22 pages dans le recueil DCA] de la décision du Comité. À la page 17, sous la rubrique Allégations de l’appelante, le Comité rappelle que [aux pages 287 à 292] :

Madame MacNeill [la requérante] a demandé à plusieurs reprises d’être mutée à un autre poste comportant des fonctions moins exigeantes physiquement, qu’elle serait davantage en mesure de remplir. Selon M. MacDonald, au lieu de répondre à la demande de l’appelante, le ministère a tout simplement refusé de garder l’employée et ce, précisément et uniquement à cause de son incapacité physique. Dans cet ordre d’idées, le représentant de l’appelante a alors présenté deux allégations constituant le fondement de son argumentation à l’appui de l’appel interjeté par Mme MacNeill.

Il a prétendu, en premier lieu, que le ministère avait exercé contre l’appelante une discrimination fondée sur l’incapacité physique, une forme de discrimination formellement interdite par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il a soutenu, en second lieu, que le ministère avait agi de mauvaise foi en recommandant le renvoi de l’appelante et, ce faisant, avait omis d’appliquer les directives juridiques énoncées dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et les nombreuses décisions rendues par des tribunaux et des cours dans le cadre de cette Loi. Le représentant de l’appelante a ensuite présenté des preuves à l’appui de ces deux allégations.

En résumé, M. MacDonald a soutenu que le comité d’appel n’avait pas d’autre choix que d’intervenir en faveur de Mme MacNeill en se prononçant contre la recommandation visant son renvoi. [p. 292]

Réponse du Ministère

Il n’y avait absolument aucun élément de discrimination dans la décision du ministère de recommander le renvoi de l’appelante pour incapacité de remplir les fonctions du poste. Cette décision reposait uniquement sur le fait (non contesté) que Mme MacNeill était et est toujours incapable de remplir toutes les fonctions de son poste de commis au soutien des paiements. [p. 292]

Les arguments de chacune des parties furent passés au crible [aux pages 300 et 301] :

Un des piliers de l’argumentation du représentant de l’appelante est son assertion selon laquelle il faut considérer que certains articles de la Loi canadienne sur les droits de la personne l’emportent ou empiètent en quelque sorte sur les dispositions de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, et en particulier sur l’article 31 de cette Loi. Après réflexion, je ne peux me ranger à cette opinion.

Je tiens à faire remarquer, pour commencer, qu’aucun des jugements cités à l’appui de cette assertion ne porte sur l’article 31 (ou sur une autre disposition) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Dans les causes où une cour a été appelée à se prononcer sur l’article 31 (la plupart des affaires pertinentes ont été citées par l’une ou l’autre des parties), rien de ce qui a été dit dans les jugements ne m’incite à adhérer au raisonnement de M. MacDonald. Il ne fait aucun doute selon moi que la Loi canadienne sur les droits de la personne est d’une nature spéciale et a une portée plus grande que les lois ordinaires. Cependant, ce point ne suffit pas en soi pour que je décide de modifier, de la manière qui m’a été suggérée, mon interprétation de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, interprétation généralement connue.

De plus, et de toute façon, je ne peux conclure, en me basant sur la preuve détaillée qui m’a été présentée, que le ministère a agi de mauvaise foi ou a fait preuve de discrimination envers l’appelante (au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne) en concluant que Mme MacNeill était et demeure incapable de remplir les fonctions de son poste. Il me semble qu’aucune accusation de discrimination, en ce qui concerne précisément la recommandation visant le renvoi de l’appelante, ne résisterait à un examen minutieux, puisque le représentant de l’appelante et Mme MacNeill elle-même sont d’accord avec le ministère sur le fond de la question : Mme MacNeill est, de toute évidence, incapable de remplir les fonctions du poste auquel elle a été nommée et à l’égard duquel son renvoi pour incapacité a été recommandé.

Par conséquent, je ne peux considérer que la recommandation en cause peut être qualifiée de discriminatoire, eu égard à la décision que le ministère est en droit de prendre conformément à l’article 31. Il me semble qu’une recommandation faite en application de cet article ne peut être perçue comme étant discriminatoire lorsque toutes les parties ont clairement convenu que Mme MacNeill est incapable de remplir les fonctions de son poste, surtout si on considère que la Loi sur l’emploi dans la fonction publique prévoit essentiellement que les nominations et les promotions doivent se faire selon le principe du mérite. [p. 300]

Cela nous amène au second pilier de l’argumentation complexe de M. MacDonald, c’est-à-dire que Mme MacNeill aurait été victime de discrimination au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je dois préciser que l’examen de cette question n’est pas de mon ressort. Il est possible, et M. MacDonald semble en être convaincu, qu’une ou plusieurs des mesures prises par le ministère aient constitué une forme de discrimination. Y a-t-il eu en fait discrimination? Ce n’est pas à moi d’en juger puisque cette question ne relève pas de ma compétence. Une avenue possible est peut-être celle qui semble avoir été explorée dans la décision Boucher, rendue par le Tribunal des droits de la personne, que M. MacDonald a portée à mon attention. Il va sans dire que je ne peux prédire ce que ce tribunal aurait dit face à l’ensemble de la preuve présentée ici, mais je fais mention de cette affaire dans le but de laisser entendre à l’appelante que d’autres recours s’offrent à elle.

Par conséquent, il est évident que je ne partage pas l’opinion de M. MacDonald selon laquelle un comité d’appel doit intervenir face à ce qu’il voudrait que je perçoive comme un acte discriminatoire dans l’application de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Même s’il est permis de croire que la Loi canadienne sur les droits de la personne se distingue des lois ordinaires, à mon humble avis, cette distinction n’implique pas qu’il faille rejeter une recommandation faite en application de l’article 31—recommandation appuyée sur des faits sur lesquels toutes les parties semblent s’entendre—simplement parce qu’il est concevable que certains aspects du comportement du ministère puissent être assimilés à des actes discriminatoires, au sens où on pourrait l’entendre dans une action intentée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne . [p. 301]

Le Comité d’appel a une fonction d’examen aussi bien vis-à-vis de la conduite de l’administrateur général ayant abouti à la recommandation de renvoi visant la requérante que de la recommandation elle-même, afin de vérifier si une recommandation conforme à la loi a suivi des comportements, eux aussi, conformes à la loi. Si le membre du Comité avait tenu compte de la preuve de ce qui semblerait constituer, de la part de l’administrateur général, un certain effort en vue d’accommoder les fonctions du poste à l’incapacité physique de la requérante, ainsi que le prévoit les dispositions de la LCDP, il est probable que la Cour rejetterait la requête. Mais le Comité a refusé de faire cela même qu’à juste titre lui demandait la requérante. C’est ce refus qui constitue une erreur justifiant examen.

L’intimé semble considérer que la Loi et la LCDP existent et fonctionnent chacune dans son compartiment hermétique, un peu comme deux solitudes. Ce qui relie nettement leurs deux existences et leur fonctionnement, c’est que ceux qui assurent l’administration de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et qui exercent les fonctions qui y sont inscrites sont liés, comme leur royal protecteur, par les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne et en particulier par les dispositions en matière d’emploi. La conduite de l’administrateur général est ainsi soumise à l’examen du Comité qui, en cela, doit tenir compte des dispositions touchant l’emploi et des prescriptions de la LCDP telles qu’elles ont été interprétées par les tribunaux. Il n’est pas nécessaire pour cela de mener deux enquêtes distinctes. Le droit n’est d’ailleurs pas favorable à la multiplication des procédures car cela n’entraîne souvent que confusion, augmentation des frais et allongement excessif des procédures.

Un requérant visé par la décision d’un administrateur général, décision conforme en même temps aux obligations et règles en vigueur et aux dispositions de la LCDP en matière d’emploi, ne pourrait guère espérer obtenir gain de cause en interjetant appel devant un comité aux termes de l’article 31 de la Loi. D’abord, l’élément principal d’une telle affaire serait le respect, par l’administrateur général, des dispositions de la LCDP en matière d’emploi—dispositions qui, liant Sa Majesté, lient aussi l’administrateur général. Voilà un élément important sur lequel un comité d’appel ne pourrait guère éviter de se pencher. C’est peut-être là une fonction que les comités d’appel choisissent d’éviter, préférant s’en tenir à des décisions simples, pratiques et nettes, mais ces comités ne peuvent guère passer outre au fait que le paragraphe 66(1) de la LCDP lie la Couronne. Avant donc qu’un employé soit renvoyé à cause d’une déficience en rapport avec son emploi, un comité d’appel doit s’assurer que l’employeur a fait tous les efforts raisonnables en vue de lui conserver un emploi. L’avocat de la requérante n’a formulé aucune critique à l’égard de la manière dont le Comité était constitué.

Le problème que soulève cette affaire remonte aux arrêts Bhinder et Alberta Dairy Pool (précités). Les membres d’une religion minoritaire et les personnes âgées de plus de 60 ans ne sont pas nécessairement incapables de remplir les fonctions de leur emploi. Ils seront à même d’exercer les fonctions prévues si l’on modifie l’emploi du temps ou s’ils subissent avec succès les tests physiques qu’on peut leur faire passer. Dans le cas présent, la requérante, Mme MacNeill, n’est pas en mesure de remplir ses fonctions. Mais le fait de lui imposer une description de poste qui n’est pas manifestement discriminatoire, ou l’exécution de certaines tâches physiques essentielles qui ne le sont pas non plus, doit clairement être considéré comme une EPJ en même temps qu’il faut y voir une discrimination par suite d’un effet préjudiciable, selon la définition reconnue. Il ne s’agit donc pas de conclure ici à l’existence d’une discrimination par suite d’un effet préjudiciable concomitant à l’existence d’une EPJ. En l’espèce, c’est l’EPJ qui constitue elle-même une discrimination par suite d’un effet préjudiciable selon la définition qu’en donne la Cour suprême du Canada. Cela étant, la Cour va élargir le champ de la Loi et de la LCDP afin de tenir compte du droit qu’a la requérante de voir sa cause tranchée par un comité d’appel de la fonction publique puisque, selon l’interprétation de la Cour suprême du Canada, la LCDP s’applique à son administrateur général.

Pour l’ensemble de ces motifs, et bien que la Cour hésite à appliquer des prescriptions entièrement jurisprudentielles que le législateur n’avait pas inscrites dans la LCDP, la décision du Comité, en date du 1er septembre 1992, est annulée et l’affaire est renvoyée au même comité pour nouvel examen afin d’être tranchée dans un sens conforme à ces motifs et à l’obligation, dégagée par la Cour suprême, d’examiner les efforts d’accommodement entrepris par l’employeur au regard des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne en matière d’emploi. Le Comité devra vérifier si, et dans quelle mesure, la recommandation de renvoi formulée par l’administrateur général était contraire aux droits que la LCDP reconnaît à la requérante, et rendre une décision qui soit à la fois juste et conforme aux faits et aux conclusions qui en découlent.

La Cour tient à reconnaître la haute tenue des plaidoiries des avocats des deux parties.

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