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[1993] 1 C.F. 67

T-552-88

La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (requérante-demanderesse)

c.

Norsk Pacific Steamship Company Limited, Norsk Pacific Maritime Services Ltd., Crown Forest Industries Ltd., Fletcher Challenge Ltd., le remorqueur Jervis Crown, le chaland Crown Forest No. 4, Francis MacDonnel, Rivtow Straits Ltd. et R.V.C. Holdings Ltd., faisant affaires sous la raison sociale de Westminster Tug Boats et ladite Westminster Tug Boats, le remorqueur Westminster Chinook et Barry Smith (intimés-défendeurs)

et

Sa Majesté la Reine, Norsk Pacific Steamship Company Limited, Norsk Pacific Maritime Services Ltd., le remorqueur Jervis Crown, Rivtow Straits Ltd. et R.V.C. Holdings Ltd., faisant affaires sous la raison sociale de Westminster Tugboats et lesdits Westminster Tugboats et le Remorqueur Westminster Chinook (tiers mis en cause)

Répertorié : Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co. (1re inst.)

Section de première instance, juge Rouleau—Vancouver, 20 août; Ottawa, 11 septembre 1992.

Pratique — Jugements et ordonnances — Nouvel examen — Demande visant la conversion des cautionnements en espèces et leur consignation à la Cour — À la suite d’un procès portant sur la responsabilité à l’égard des dommages résultant de la collision d’un navire avec un pont de chemin de fer, l’évaluation des dommages a été ordonnée — Bien que la déclaration ait demandé la saisie des navires défendeurs et de leur cautionnement, le juge du procès, à la suite d’une inattention, erreur ou omission, a négligé de traiter de la question — On ne lui en a pas fait part dans le délai prescrit en vertu de la Règle 337 — Le juge du procès est aujourd’hui à la retraite — La demande est rejetée — Examen de décisions justifiant une interprétation stricte de la Règle 337 — La Cour ne peut se pencher de nouveau sur les termes du prononcé en vertu de la Règle 337(5) puisqu’il ne s’agit pas de la « Cour telle qu’elle était constituée au moment du prononcé » — La Règle 337(6) fait mention des « erreurs d’écriture ou omissions accidentelles » — Le juge du procès n’a pas commis une erreur ou omission — L’ordonnance recherchée n’est pas contraire à la Règle 1900 puisqu’elle n’ordonnerait pas une saisie ou saisie-exécution, mais exigerait seulement que des sommes dues en vertu des cautionnements soient consignées à la Cour — Rien ne prouve que les intimés ne peuvent rembourser la somme qui sera plus tard fixée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 337, 1733, 1900.

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Maligne Building Ltd. c. La Reine, [1983] 2 C.F. 301(1reinst.); Steward c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] 3 C.F. 452 (1988), 84 N.R. 240 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Crabbe c. Le ministre des Transports, [1973] C.F. 1091 (C.A.); Polylok Corporation c. Montreal Fast Print (1975) Ltd., [1984] 1 C.F. 713 (1983), 1 C.I.P.R. 113; 76 C.P.R. (2d) 151; 41 C.P.C. 294; 52 N.R. 218 (C.A.); Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd. (1987), 14 C.I.P.R. 17; 16 C.P.R. (3d) 112 (C.A.F.); Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co. (1989), 49 C.C.L.T. 1; 26 F.T.R. 81 (C.F. 1reinst.); conf. par [1990] 3 C.F. 114 (1990), 65 D.L.R. (4th) 321; 3 C.C.L.T. (2d) 229; 104 N.R. 321 (C.A.); conf. par (1992), 137 N.R. 241 (C.S.C.).

DEMANDE visant la conversion de cautionnements en espèces et leur consignation à la Cour. Demande rejetée.

AVOCATS :

David F. McEwen pour la requérante-demanderesse.

Murray Clemens pour l’intimée-défenderesse Norsk Pacific Steamship Company Limited.

PROCUREURS :

McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour la requérante-demanderesse.

Campney& Murphy, Vancouver, pour l’intimée-défenderesse Norsk Pacific Steamship Company Limited.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Rouleau : Dans cette affaire la requérante-demanderesse a sollicité le prononcé d’une ordonnance de saisie du remorqueur Jervis Crown et de fixation de son cautionnement; elle voulait surtout que les cautionnements déposés à titre de garantie soient convertis en espèces et que celles-ci soient immédiatement consignées à la Cour.

L’action en dommages-intérêts de la requérante-demanderesse découle d’une collision survenue en novembre 1987 avec un pont de chemin de fer à New Westminster (Colombie-Britannique). À la suite d’un procès instruit devant Monsieur le juge Addy de la présente Cour, procès qui a duré fort longtemps et porté sur la seule question de la responsabilité, le jugement suivant a été prononcé le 27 avril 1990 :

La demanderesse a droit de toucher des dommages-intérêts qui seront évalués et qui sont la conséquence de la collision survenue avec le Westminster Railway Bridge, exigibles des défenderesses suivantes, à savoir, le Navire « Jervis Crown », North Pacific Steamship Company Limited, Norsk Pacific Maritime Services Ltd., et le capitaine MacDonnel.

L’affaire a été interjetée auprès de la Cour d’appel fédérale et a fait l’objet d’un rejet [[1990] 3 C.F. 114; un autre appel a été formé devant la Cour suprême du Canada qui a rendu sa décision le 30 avril 1992 [[1992] 1 R.C.S. 1021]. Les intimés-défendeurs ont demandé à la Cour suprême du Canada de procéder à une nouvelle révision mais celle-ci a rejeté la demande.

La déclaration de la requérante-demanderesse, initialement déposée dans cette affaire le 25 mars 1988, contenait une demande de réparation sollicitant notamment :

c) la saisie des navires du défendeur et de leur cautionnement;

À la suite d’une inattention, erreur ou omission, le juge du procès a négligé, dans son jugement ainsi que dans ses motifs de jugement, de saisir le navire intimé-défendeur ainsi que le cautionnement déposé. Personne ne lui en a fait part dans le délai prescrit en vertu de la Règle 337 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] ni n’a soulevé la question avant qu’elle m’ait été soumise à Vancouver le 20 août 1992.

La requérante-demanderesse a fait valoir à la Cour que les dommages-intérêts ajoutés aux intérêts accumulés sur les réclamations en instance dépassaient présentement le montant du cautionnement déposé de plus d’un demi-million de dollars. Cette affirmation n’a pas été contestée par les intimés-défendeurs, mais aucun élément de preuve porté à ma connaissance ne confirmait le plein montant des réclamations en instance ni les intérêts accumulés. L’évaluation des dommages-intérêts ne peut être terminée que dans les prochains huit à dix mois et les intérêts continuent de s’accumuler.

La requérante-demanderesse prétend que l’omission de la saisie des cautionnements constitue un oubli de la part du juge Addy; que l’oubli a coûté très cher à la requérante-demanderesse puisqu’elle aura droit, à la fois, à l’intérêt avant et après jugement. Si les cautionnements avaient été confisqués et les sommes d’argent consignées auprès du tribunal, il y aurait eu une accumulation des intérêts qui aurait permis d’aider à compenser le montant auquel la demanderesse et les autres intéressés auront droit. Elle fait donc valoir qu’en vertu de la Règle 337 des Règles de la Cour fédérale, la présente Cour peut procéder à un nouvel examen des termes du prononcé du jugement ou à la correction de toutes les erreurs d’écriture ou omissions accidentelles.

Les intimés-défendeurs font valoir en premier lieu que la Cour n’a pas compétence pour rendre une ordonnance conformément à la Règle 337(5), parce que celle-ci exige qu’une demande de ce genre soit introduite dans les dix jours du prononcé du jugement; ils font valoir ensuite que l’ordonnance ne peut être examinée de nouveau que par la Cour « telle qu’elle est constituée au moment du prononcé ». À l’appui de cet argument, l’avocat des intimés-défendeurs m’a cité la jurisprudence suivante : Maligne Building Ltd c. La Reine, [1983] 2 C.F. 301(1re inst.); Crabbe c. Le ministre des Transports, [1973] C.F. 1091 (C.A.); et Steward c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] 3 C.F. 452(C.A.).

J’ai analysé les décisions susmentionnées et je suis convaincu qu’elles ne correspondent pas tout à fait à la situation à laquelle je fais face présentement, mais qu’elles justifient néanmoins une interprétation stricte de la Règle 337.

Dans l’affaire Maligne Building Ltd., la demande visait le réexamen, par le juge du procès, de la question de la hausse des dépens et on a laissé entendre qu’ils avaient été omis. Le juge du procès, qui avait rejeté l’action avec dépens, a décidé qu’il n’avait pas négligé ou oublié cet aspect et il a rejeté la demande.

Dans l’affaire Steward, la Cour d’appel a refusé de se pencher sur une question d’outrage au tribunal puisque la formation qui entendait la demande était différente de celle qui avait entendu initialement la demande d’outrage au tribunal; la formation qui avait entendu la demande initiale pouvait être convoquée de nouveau si on en faisait la demande. Le juge Addy n’est plus disponible en l’espèce, puisqu’il a pris sa retraite.

L’affaire Crabbe soulevait également une question de dépens, et il a été décidé que pour modifier le prononcé, il aurait fallu soulever la question litigieuse dans le délai imparti de dix jours.

L’avocat des intimés-défendeurs a fait valoir aussi que les motifs du jugement du juge Addy ne sont pas incompatibles avec l’ordonnance; il s’ensuit que la règle ne s’applique pas et que l’ordonnance « paraît complète et détaillée ». À l’appui de cet argument, l’avocat m’a cité l’affaire Polylok Corporation c. Montreal Fast Print (1975) Ltd., [1984] 1 C.F. 713(C.A.). Les faits dans l’affaire Polylok révèlent que le juge du procès a accueilli une demande visant l’interrogatoire préalable du président de la compagnie intimée. Il a été par la suite établi que la personne en question n’était pas disponible et on a demandé au juge des requêtes de réexaminer la question. Il a rendu une nouvelle ordonnance dans laquelle il désignait une autre personne à être interrogée, expliquant que la première personne avait été désignée par inadvertance et qu’il pouvait modifier sa première ordonnance en substituant le nom d’un autre dirigeant. La Cour d’appel a infirmé la décision du juge des requêtes et statué [à la page 720] que :

… [I]l faudrait accorder à … la Règle [337(6)] une portée assez large pour habiliter la Cour à modifier un jugement de façon à le rendre conforme à ce qu’elle voulait dire lorsqu’elle l’a prononcé; toutefois, elle ne doit pas être utilisée pour permettre à un juge de reviser ou d’annuler son jugement ou encore de le modifier pour traduire son changement d’opinion sur ce que le jugement aurait dû être.

L’avocat des intimés-défendeurs me cite également l’affaire Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd. (1987), 14 C.I.P.R. 17 (C.A.F.). Dans cette affaire, la requérante demandait la modification d’un prononcé. La demande a été rejetée puisque la Cour a conclu que rien n’a été « négligé ou omis accidentellement ». La Cour a ajouté qu’il n’y avait « pas de divergence entre les motifs et le prononcé ».

L’avocat des intimés-défendeurs fait valoir que la Règle 1733 ne s’applique pas puisque je n’ai pas à traiter d’un fait survenant après le prononcé d’un jugement; j’accepte cet argument. Pour conclure, il prétend qu’une ordonnance de ce genre serait prématurée puisque le montant des dommages-intérêts n’a pas encore été fixé et que toute tentative en vue de se prévaloir de la Règle 1900 pour saisir le cautionnement équivaudrait en fait à une saisie-exécution. Je ne suis pas d’accord avec cette prétention. L’ordonnance sollicitée ne s’oppose pas à la Règle 1900 puisqu’elle n’ordonnerait pas une saisie ou saisie-exécution, mais exigerait seulement que les sommes d’argent dues en vertu des cautionnements soient consignées à la Cour.

On a fait valoir qu’en l’espèce on ne me demande pas de modifier le jugement mais d’examiner plutôt s’il y a eu ou non erreur d’écriture ou omission. La demanderesse-requérante prétend qu’elle ne demande pas que je modifie le prononcé du jugement du juge Addy pour le rendre conforme à ce que l’on cherchait à obtenir, mais de statuer sur un élément qui a été soulevé sans faire l’objet d’un prononcé.

Il va sans dire que je n’ai pu trouver de jurisprudence sur le point en question. J’ai analysé la Règle 337 et plus particulièrement les alinéas 337(5) et 337(6) qui prévoient :

Règle 337. …

(5) Dans les 10 jours du prononcé d’un jugement en vertu de l’alinéa (2)a), ou dans tel délai prolongé que la Cour pourra accorder, soit avant, soit après l’expiration du délai de 10 jours, l’une ou l’autre des parties pourra présenter à la Cour, telle qu’elle est constituée au moment du prononcé, une requête demandant un nouvel examen des termes du prononcé, mais seulement l’une ou l’autre ou l’une et l’autre des raisons suivantes :

a) le prononcé n’est pas en accord avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour justifier le jugement,

b) on a négligé ou accidentellement omis de traiter d’une question dont on aurait dû traiter.

(6) Dans les jugements, les erreurs de rédaction ou autres erreurs d’écriture ou omissions accidentelles peuvent toujours être corrigées par la Cour sans procéder par voie d’appel.

Il va de soi que l’alinéa 337(5) ne me permettrait pas de procéder à un nouvel examen des termes du prononcé, puisque je ne suis pas la « Cour telle qu’elle est constituée au moment du prononcé ». L’alinéa 337(6) fait mention des erreurs de rédaction ou de celles entraînant des « erreurs d’écriture ou omissions accidentelles » qui peuvent toujours être corrigées par la Cour sans procéder par voie d’appel. Je suis convaincu qu’il ne s’agit pas d’une erreur ou omission attribuable à une erreur de rédaction ou d’écriture.

Il est évident que selon la coutume séculaire en droit maritime, la réparation demandée dans une déclaration, c’est-à-dire la saisie d’un cautionnement, aurait été accordée; à mon avis cependant, il n’est pas évident qu’il s’agissait en l’espèce d’une omission ou d’une erreur du juge du procès mais plutôt d’une omission émanant de l’avocat qui a négligé d’attirer l’attention du juge Addy sur la question.

Je conviens que les intimés-défendeurs ont eu l’usage de leur remorqueur, et qu’en équité j’aurais pu être justifié d’accorder la saisie des cautionnements; à mon avis, l’aspect le plus important de cette demande réside dans le fait qu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour laisser entendre que les intimés-défendeurs ne peuvent ou ne pourront pas être en mesure de rembourser le montant intégral qui sera plus tard fixé ou toute somme excédant le montant de cautionnement déposé.

La présente demande est rejetée. Les dépens sont adjugés aux intimés-défendeurs.

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