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[1993] 2 C.F. 337

T-1112-92

Sonny Dass (requérant)

c.

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Dass c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Rothstein—Winnipeg, 27 janvier; Ottawa, 25 février 1993.

Citoyenneté et Immigration Statut au Canada Résidents permanents Le ministère de l’Immigration ne peut refuser de poursuivre l’instruction de la demande de résidence permanente dans le cas où le demandeur a été déclaré coupable d’infractions criminelles après la promulgation du décret l’autorisant à faire sa demande pendant qu’il se trouvait au Canada Le Ministère peut engager la procédure de renvoi en application de l’art. 27(1)d) de la Loi sur l’immigration.

Le requérant, citoyen de Trinité-Tobago, arrive au Canada en décembre 1988 en qualité de visiteur et épouse une Canadienne en mars 1989. En avril, afin de pouvoir faire sa demande de résidence permanente pendant qu’il séjourne au Canada, il invoque les raisons d’ordre humanitaire pour demander à être exempté de l’application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration. En mai 1989, un rapport est soumis au gouverneur en conseil pour recommander l’accueil de sa demande, avec la mention : [traduction] « Remplit apparemment les conditions. Nous recommandons de lui accorder le droit d’établissement ».

En novembre 1989, le requérant est inculpé sous quatre chefs d’accusation par suite d’actes de violence dans une dispute conjugale. Le ministère de l’Immigration en est informé en mars 1990. Le décret lui accordant la dispense est promulgué en avril 1990. Le requérant est déclaré coupable de tous les quatre chefs d’accusation en mars 1991. En janvier 1992, le Ministère l’informe qu’« il nous est impossible de poursuivre l’instruction de votre demande ».

Il s’agit en l’espèce d’une demande introduite en application de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, en ordonnance de certiorari pour infirmer cette décision, et en ordonnance de mandamus pour contraindre le ministre à délivrer les documents nécessaires attestant que le requérant a résidence permanente au Canada.

Jugement : la Cour accueille la requête en certiorari et rendra une ordonnance de mandamus pour contraindre l’intimé à instruire la demande de droit d’établissement et de résidence permanente pendant que le requérant se trouve au Canada.

La solution du litige est centrée sur le fait que les déclarations de culpabilité étaient postérieures au décret. Les mots « Remplit apparemment les conditions. Nous recommandons de lui accorder le droit d’établissement » ne signifient pas que le Ministère laisse pendante la question de savoir si le demandeur remplit les conditions prévues à la Loi, et ce afin d’être en mesure de prendre en compte les événements subséquents. Il n’y a aucune preuve que les renseignements motivant la recommandation relative au décret fussent inexacts. Une fois que les fonctionnaires responsables du Ministère ont affirmé que le demandeur a rempli toutes les conditions prévues à la Loi sur l’immigration et qu’un décret a été pris, l’intéressé acquiert le droit d’établissement ainsi que le statut de résident permanent peu importe les événements subséquents, par exemple le retrait du parrainage de sa femme, bien que ce parrainage fût une condition de la demande donnant lieu au décret. Il ne s’agissait pas d’inexactitudes dans les faits antérieurs ou dans les présomptions relatives à un état de choses qui existait au moment où le Ministère faisait sa recommandation et sa demande de décret, et sur lesquels il s’est fondé pour faire cette recommandation.

Il se peut qu’en d’autres circonstances, le Ministère, dans sa demande de décret, puisse laisser de côté pour solution ultérieure, la question de savoir si le demandeur satisfait ou non aux conditions prévues à la Loi sur l’immigration. Ce serait alors au gouverneur en conseil de décider s’il y a lieu ou non de prendre ce décret.

La décision en l’espèce ne doit pas être interprétée comme signifiant l’approbation des infractions criminelles commises par le requérant. Lorsqu’un résident permanent est jugé coupable d’un crime grave, il est loisible au Ministère d’engager la procédure prévue à l’alinéa 27(1)d) de la Loi sur l’immigration, qui pourrait aboutir à son renvoi hors du pays.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 264.1(1)a) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 38), 267(1).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 9(1), 27 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4), 83(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

Règlement de dispense du visaImmigration no 7, 1990, DORS/90-252.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Sivacilar c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1984), 57 N.R. 57 (C.A.F.); Dawson c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1988), 21 F.T.R. 212; 6 Imm. L.R. (2d) 37 (C.F. 1re inst.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Ferrerya c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1992), 56 F.T.R. 270 (C.F. 1re inst.); John v. Minister of Employment and Immigration, T-2463-89, jugement en date du 10-4-90, le juge Addy, C.F. 1re inst., non publié.

DEMANDE, introduite en application de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, en ordonnance de certiorari et ordonnance de mandamus (1) pour infirmer la décision d’un agent d’immigration de ne pas poursuivre l’instruction de la demande de résidence permanente par suite de condamnations pénales postérieures à la promulgation du décret autorisant le requérant à faire cette demande pendant qu’il séjournait au Canada, et (2) pour forcer la délivrance des documents nécessaires. Demande accueillie.

AVOCATS :

David Matas pour le requérant.

Brian H. Hay pour l’intimé.

PROCUREURS :

David Matas, Winnipeg, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Rothstein : La Cour est saisie en l’espèce d’une demande introduite en application de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)] et par laquelle le requérant conclut à ce qui suit :

1.         Ordonnance de certiorari pour infirmer la décision, signée par le conseiller d’immigration I. Pawlosky, du Centre d’immigration du Canada à Winnipeg, de ne pas donner suite à la demande de droit d’établissement du requérant Sonny Dass, laquelle décision était communiquée à ce dernier par lettre en date du 2 janvier 1992;

2.         Ordonnance de mandamus pour contraindre l’intimé, savoir le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, à délivrer les documents nécessaires attestant que le requérant a résidence permanente au Canada.

CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS

Le 6 décembre 1988

M. Dass, citoyen de Trinité-Tobago, arrive au Canada en qualité de visiteur.

Le 31 mars 1989

M. Dass épouse Violet Rosaline Wiesner à Winnipeg.

Le 9 avril 1989

M. Dass invoque les raisons d’ordre humanitaire pour demander à être exempté de l’application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Cette exemption lui permettrait de demander la résidence permanente pendant qu’il séjourne au Canada. Selon la procédure normale, l’intéressé doit faire la demande avant d’entrer au Canada.

Le 18 mai 1989

Sandra Luhowy du Centre d’immigration du Canada à Winnipeg écrit à M. Dass pour l’informer que le Bureau d’immigration de Winnipeg avait conclu qu’il y avait des raisons d’ordre humanitaire pour demander au gouverneur en conseil de lui accorder la résidence permanente pendant qu’il séjourne au Canada.

Le 25 mai 1989

Mme Luhowy soumet au gouverneur en conseil un rapport indiquant que M. Dass demande [traduction] « l’instruction de son dossier dans le cadre du programme des conjoints ». La formule de demande porte également l’observation suivante : [traduction] « Remplit apparemment les conditions. Nous recommandons de lui accorder le droit d’établissement ».

Le 20 juillet 1989

Mme Luhowy envoie à Trinité-Tobago le message télex suivant :

[traduction] « Demande de résidence permanente au Canada de l’intéressé a été approuvée dans le cadre du programme des conjoints. Prière de faire passer visite médicale à deux enfants célibataires à la Trinité et de nous en communiquer les résultats … »

Le 11 novembre 1989

Par suite d’une dispute conjugale ce jour même, M. Dass fait l’objet des inculpations suivantes :

a)         Chef d’accusation 1—agression armée, paragraphe 267(1) du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46].

b)         Chef d’accusation 2—possession d’arme dans un dessein dangereux à la paix publique, article 87 du Code criminel.

c)         Chefs d’accusation 3 et 4—deux chefs de menaces de mort, alinéa 264.1(1)a) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 38] du Code criminel.

Le 6 mars 1990

Mme Luhowy est mise au courant de ces inculpations; on lui apprend aussi (manifestement à tort) que les deux premières ont été suspendues. Priée de dire si le mariage est intact, Violet Dass répond que le couple demeure ensemble et qu’elle veut continuer à parrainer la demande de M. Dass.

Le 26 avril 1990

Le décret C.P. 1990-748 [Règlement de dispense du visaImmigration No 7, 1990, DORS/90-252] est promulgué qui dispense M. Dass (entre autres) de l’application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration.

Le 20 mars 1991

M. Dass est déclaré coupable de tous les quatre chefs d’accusation visés au Code criminel.

Le 10 septembre 1991

I. K. Pawlosky, conseiller d’immigration, rédige un rapport conformément à l’article 27 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4] de la Loi sur l’immigration et le soumet au sous-ministre de l’Emploi et de l’Immigration.

Le 24 septembre 1991

Le conseiller d’immigration Pawlosky écrit au directeur régional de l’immigration pour le Manitoba pour demander la permission de délivrer un permis ministériel à M. Dass, afin que celui-ci puisse demeurer au Canada jusqu’à ce qu’il soit en mesure de demander la réhabilitation.

Le 17 décembre 1991

Le directeur, Recherche et traitement des cas, ministère de l’Emploi et de l’Immigration, écrit au directeur régional de l’Immigration pour le Manitoba, pour lui dire qu’il s’oppose à la délivrance d’un permis ministériel.

Le 30 décembre 1991

Le sous-ministre de l’Emploi et de l’Immigration ordonne la tenue d’une enquête en application du paragraphe 27(3) de la Loi sur l’immigration.

Le 2 janvier 1992

Le conseiller d’immigration Pawlosky écrit à M. Dass pour l’informer que la délivrance d’un permis ministériel n’a pas été approuvée, qu’« il nous est impossible de poursuivre l’instruction de votre demande », qu’un ordre d’enquête a été signé et que M. Dass sera informé de la date et de l’heure où il doit comparaître à l’enquête.

ANALYSE

L’avocat du requérant soutient que celui-ci a droit à l’autorisation d’établissement; que le gouverneur en conseil a pris le décret C.P. 1990-748 après que le ministre eut été mis au courant de l’inculpation de M. Dass et qu’en conséquence, il faut délivrer l’autorisation d’établissement; qu’il n’est pas loisible au ministre d’engager la procédure pour révoquer le droit d’établissement de M. Dass en raison de sa condamnation subséquente parce que le décret a été pris alors que l’inculpation était connue; et enfin, subsidiairement, que même si le ministre entend renvoyer M. Dass hors du Canada, celui-ci a droit à la procédure réservée aux résidents permanents.

L’avocat de l’intimé soutient de son côté que la prise du décret ne confère à M. Dass ni le droit d’établissement ni le statut de résident permanent, par ce motif que l’agent du ministère de l’Emploi et de l’Immigration qui en faisait la demande au gouverneur en conseil a seulement écrit sur la formule de demande : « Remplit apparemment les conditions » [non souligné dans le texte] et qu’il était loisible au Ministère de refuser, malgré le décret, de poursuivre l’instruction de la demande de résidence permanente de M. Dass.

L’avocat du requérant cite l’arrêt Sivacilar c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1984), 57 N.R. 57 (C.A.F.), où le juge Hugessen, J.C.A., a conclu en ces termes, à la page 59 :

Comme je l’ai indiqué, le document soumis au gouverneur en conseil pour demander une autorisation spéciale contient, à deux endroits distincts, l’affirmation officielle, approuvée par un agent d’immigration supérieur, que toutes les conditions de la Loi ont été remplies. Dans ce document, il est demandé l’autorisation d’admettre le requérant malgré le paragraphe 9(1). Le décret en conseil C.P. 1983-2469 une fois adopté, le requérant est devenu une personne ayant droit d’entrer au Canada et d’y demeurer. Il avait acquis le droit d’être reçu et il ne restait aucune formalité à remplir pour lui octroyer le droit d’établissement. Le fait que, par la suite, sa femme ait prétendu retirer son parrainage n’affectait aucunement ce droit.

Par ces motifs, j’accueillerais donc la demande et j’annulerais l’avis d’interdiction de séjour émis au requérant.

Dans Dawson c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1988), 21 F.T.R. 212 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum, après avoir cité le passage ci-dessus de l’arrêt Sivacilar et rappelé que dans cette cause, les responsables de l’immigration avaient constaté que « toutes les autres conditions avaient été remplies », a rendu la décision suivante en page 224 :

Je conclus donc que le requérant, Alphonsus Liguori Dawson, avait déjà acquis le droit d’obtenir la résidence permanente au Canada à titre d’immigrant reçu au moment où le décret du gouverneur en conseil a été publié. J’estime que le fait que sa femme ait prétendu retirer son parrainage n’affecte aucunement ce droit. J’ordonne à l’intimé, le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, de traiter la demande déposée par le requérant et de lui accorder la résidence permanente au Canada.

La Cour interdit donc à l’intimé d’enjoindre au requérant de quitter le Canada le 21 août 1988, date fixée pour son renvoi.

Ces deux précédents semblent poser pour principe qu’une fois que les fonctionnaires responsables du ministère de l’Emploi et de l’Immigration ont affirmé que le demandeur a rempli toutes les conditions prévues à la Loi sur l’immigration et qu’un décret a été pris, comme le décret C.P. 1990-748 en l’espèce, l’intéressé acquiert le droit d’établissement ainsi que le statut de résident permanent peu importe les événements subséquents, par exemple le retrait du parrainage de sa femme, bien que ce parrainage fût une condition de la demande donnant lieu au décret.

L’avocat de l’intimé invoque deux décisions de cette Cour. Dans John v. Minister of Employment and Immigration, numéro du greffe T-2463-89, en date du 10 avril 1990, non publié, le juge Addy a prononcé en ces termes :

[traduction] La demande de dispense spéciale du visa et d’autorisation de demeurer au Canada du 23 juillet 1987 jusqu’au 22 juillet 1988, laquelle a été accueillie par le gouverneur en conseil, ne porte pas, à l’opposé des cas semblables, la mention par les autorités de l’immigration que les conditions prévues à la Loi et au règlement d’application sont remplies. Au contraire, la mention qui y figure indique que le demandeur semble avoir rempli ces conditions.

En faisant sa demande de résidence permanente le 20 avril 1987, le requérant a faussement déclaré qu’il n’avait jamais été déclaré coupable d’un crime et, ce qui est plus important encore, qu’il n’avait jamais fait l’objet d’une mesure d’expulsion du Canada, alors qu’en fait, il avait été condamné pour possession de marijuana et expulsé de force à la Trinité en octobre 1980 par suite d’une mesure d’expulsion prise à son égard. Il n’a jamais bénéficié de l’autorisation de retour visée au paragraphe 55(1) (le paragraphe 57(1) ancien).

Il n’y a pas lieu pour la Cour d’interdire aux autorités de l’immigration de tenir une enquête conformément à leur obligation légale.

La requête est rejetée avec dépens.

Dans Ferrerya c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1992), 56 F.T.R. 270 (C.F. 1re inst.), décision rendue par Madame le juge Reed le 8 septembre 1992, un décret fut pris pour dispenser le requérant des conditions prévues au paragraphe 9(1) de la Loi sur l’immigration, parce que sa demande était parrainée par sa femme. Les collaborateurs du ministre se sont aperçus par la suite que le requérant avait contracté mariage « principalement dans le but d’obtenir la résidence permanente au Canada à titre de membre de la catégorie de la famille plutôt qu’avec l’intention de cohabiter en permanence avec [son] épouse » et qu’il n’était donc « pas admissible au parrainage » (pages 271 et 272). En page 273, Madame le juge Reed a fait cette observation :

D’après ce que j’ai pu comprendre, le ministère de l’Immigration a changé sa pratique à cet égard consécutivement aux décisions Sivacilar et Dawson. En effet, plutôt que de prendre une décision au fond sur une demande en tenant pour acquis qu’une exemption serait accordée en vertu du paragraphe 9(1), on a adopté une pratique suivant laquelle on indiquait seulement que le requérant satisferait peut-être aux exigences de la Loi.

Or, en l’espèce, aucune décision n’a été prise au fond sur la demande du requérant avant que l’exemption ne lui soit accordée en vertu du paragraphe 9(1). Je ne puis en conséquence conclure que cette exemption conférait au requérant le droit au statut de résident permanent.

Les décisions John et Ferrerya, supra, semblent poser pour principe que si, en soumettant la recommandation et la demande de décret, le ministère de l’Emploi et de l’Immigration n’a pas définitivement conclu que le requérant remplit toutes les conditions prévues à la Loi sur l’immigration pour le droit d’établissement et le statut de résident permanent et que, par la suite, le Ministère s’aperçoive que cette recommandation était basée sur des fausses déclarations du requérant, ou que les faits sur lesquels il s’est fondé ne sont pas véridiques, la prise du décret ne confère ni le droit d’établissement ni le statut de résident permanent.

En l’espèce, la recommandation faite par le Ministère qu’un décret soit pris pour exempter M. Dass des conditions du paragraphe 9(1) porte cette mention : « Remplit apparemment les conditions. Nous recommandons de lui accorder le droit d’établissement ». Le décret a été pris par la suite, fondé de toute évidence sur la demande et la recommandation du Ministère où figure cette mention.

Je n’ai aucun mal à conclure que par les mots « Remplit apparemment les conditions », le Ministère s’est réservé le droit de vérifier l’exactitude des renseignements fournis par le demandeur, ou pour vérifier l’authenticité du mariage avant de confirmer définitivement que toutes les conditions sont remplies. Dans John, supra, il a été jugé que le requérant avait fait des fausses déclarations sur ses condamnations criminelles et son expulsion antérieures. Dans Ferrerya, supra, il a été jugé après enquête qu’il n’y avait pas de mariage authentique. Il s’agissait d’inexactitudes dans les faits antérieurs ou dans les présomptions relatives à un état de choses qui existait au moment où le Ministère faisait sa recommandation et sa demande de décret, et sur lesquels il s’est fondé pour faire cette recommandation.

Je ne pense cependant pas que les mots « Remplit apparemment les conditions. Nous recommandons de lui accorder le droit d’établissement » signifient que le Ministère laisse pendante la question de savoir si le demandeur remplit les conditions prévues à la Loi, et ce afin d’être en mesure de prendre en compte les événements subséquents.

En l’espèce, il n’y a aucune preuve que les renseignements motivant la recommandation relative au décret étaient inexacts[i]. En fait, c’est la condamnation subséquente de M. Dass qui a poussé le Ministère à refuser de poursuivre l’instruction de sa demande de droit d’établissement et de résidence permanente. À mon avis, la condamnation subséquente de M. Dass rappelle le retrait du parrainage par l’épouse dans les causes Sivacilar et Dawson, supra. Tout comme il a été jugé que le retrait du parrainage n’affectait pas le droit à l’autorisation d’établissement dans ces cas, j’estime en l’espèce que les condamnations subséquentes ne devaient avoir aucun effet sur la délivrance de l’autorisation d’établissement ou sur l’instruction de la demande de résidence permanente.

Je suis parvenu à cette conclusion à la lumière de la formulation expresse du décret en l’espèce. Il se peut qu’en d’autres circonstances, le Ministère, dans sa demande de décret, puisse laisser de côté pour solution ultérieure, la question de savoir si le demandeur satisfait ou non aux conditions prévues à la Loi sur l’immigration. Qu’il faille ou non prendre un décret sur la foi d’une recommandation non concluante de ce genre, c’est au gouverneur en conseil de décider.

En conséquence, je conclus que le Ministère a effectivement constaté que M. Dass satisfaisait aux conditions prévues à la Loi, et que l’octroi du droit d’établissement a été recommandé. Dès la promulgation du décret C.P. 1990-748, il a acquis le droit de demeurer au Canada. Il a acquis le droit d’être immigrant reçu et il ne restait plus rien à faire pour ce qui était de lui octroyer le droit d’établissement.

Pour cette raison, j’estime que le refus du Ministère de poursuivre l’instruction de sa demande de droit d’établissement et de résidence permanente n’était compatible ni avec sa conclusion antérieure que le demandeur remplissait apparemment les conditions requises ni avec la promulgation du décret.

Je ne prends pas à la légère le fait que M. Dass a été déclaré coupable d’une infraction grave au Code criminel et que cette infraction était un crime de violence au foyer. Selon les preuves produites, l’une des infractions dont M. Dass a été déclaré coupable est prévue au paragraphe 267(1) du Code criminel, comme suit :

267. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :

a) porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme;

b) inflige des lésions corporelles au plaignant.

Ce qui est en jeu en l’espèce, c’est la régularité procédurale en matière de documentation et de procédures relatives aux demandes de droit d’établissement et de résidence permanente. En prononçant sur cette affaire, je n’approuverai ni les agissements de M. Dass ni ne fermerai les yeux sur ses condamnations. Mon ordonnance n’aura pas pour effet de donner à M. Dass le droit de demeurer indéfiniment dans ce pays comme si ses condamnations criminelles n’avaient jamais eu lieu. Dans le cas du résident permanent jugé coupable d’un crime grave comme celui que punit le paragraphe 267(1) du Code criminel, il est loisible au Ministère d’engager la procédure prévue à l’alinéa 27(1)d) de la Loi sur l’immigration, laquelle procédure pourrait aboutir à l’expulsion de M. Dass du Canada à un moment donné à l’avenir.

La Cour accueille la requête en certiorari en infirmant la décision de ne pas donner suite à la demande de résidence permanente de M. Dass, et rendra une ordonnance de mandamus pour contraindre l’intimé à instruire la demande de droit d’établissement et de résidence permanente de M. Dass, pendant que celui-ci se trouve au Canada. Le requérant aura droit à ses dépens.

À la clôture de l’argumentation en l’espèce, les avocats ont porté à mon attention le nouveau paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration, qui est entré en vigueur le 1er février 1993 [TR/93-16]. En voici le texte :

83. (1) Le jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rendu sur une demande de contrôle judiciaire relative à une décision ou ordonnance rendue, une mesure prise ou toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d’application—règlements ou règles—ne peut être porté en appel devant la Cour d’appel fédérale que si la Section de première instance certifie dans son jugement que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

Les avocats de part et d’autre estiment que cette décision pourrait poser une question grave de portée générale. Étant donné que l’affaire fut entendue le 27 janvier 1993 après quoi le jugement a été réservé, ils pensaient que le paragraphe 83(1) pouvait entrer en vigueur le 1er février 1993 et que pour qu’un appel soit possible, le juge de la Section de première instance qui rend la décision aurait à certifier et à énoncer la question à soumettre à Cour d’appel fédérale. Cependant, le 1er février 1993, le juge en chef de cette Cour a donné la directive suivante au sujet de l’affaire en instance et de cinq autres :

DIRECTIVE No 20

CONFORMÉMENT À l’article 118 de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49 (la « Loi »), et parce que j’estime dans l’intérêt de l’administration de la justice d’agir ainsi,

J’ORDONNE QUE :

1. les demandes de contrôle judiciaire énumérées à l’annexe ci-jointe, laquelle fait partie de la présente directive, qui ont toutes été formées devant la Section de première instance conformément à l’article 82.1 de la Loi sur l’immigration, dans sa version à la date de l’entrée en vigueur de l’article 73 de la Loi, et à l’égard desquelles une date d’audition avait été fixée à cette date, soient soustraites à l’application de l’article 117 de la Loi;

2. ces demandes soient instruites par la Section de première instance de la même façon que les demandes de contrôle judiciaire formées en vertu de l’article 82.1 de la Loi sur l’immigration, comme si l’article 73 de la Loi n’avait pas été adopté;

3. les Règles de la Cour fédérale, la pratique et les procédures de la Section de première instance s’appliquent à ces demandes de contrôle judiciaire.

L’article 73 du chapitre 49 met en vigueur le paragraphe 83(1) de la Loi sur l’immigration. Par application de la directive no 20, le paragraphe 83(1) est considéré comme n’ayant pas été adopté à l’égard de l’affaire en instance.

Puisque le paragraphe 83(1) ne s’applique pas, il et loisible aux avocats de part et d’autre de prendre les dispositions que l’un ou l’autre estime nécessaires.



[i] Une note de service interne du Ministère, en date du 6 mars 1990, indique que les chefs d’accusation les plus graves contre M. Dass ont été suspendus alors qu’en fin de compte, il a été déclaré coupable de tous les quatre chefs, y compris les plus graves. Cependant, rien dans les documents versés au dossier n’indique de quelle façon ce renseignement a été communiqué au Ministère ou si celui-ci, eût-il reçu les renseignements exacts, aurait pris des mesures pour arrêter la promulgation du décret.

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