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[2009] 1 R.C.F.                                                             hinton c. canada                                                                                 476

 A-11-08

2008 CAF 215

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)

c.

Alan Hinton et Irina Hinton (intimés)

Répertorié : Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Linden, Nadon et Sexton, J.C.A.—Toronto, 26 mai; Ottawa, 13 juin 2008.

                Compétence de la Cour fédérale — Appel d’une ordonnance de la Cour fédérale accueillant la requête des intimés afin que leur demande de contrôle judiciaire de la décision de l’appelant réclamant la somme de 75 $ à l’intimé en vue du traitement de la demande de parrainage de son épouse en application de l’art. 304 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) soit traitée comme s’il s’agissait d’une action, et que leur action soit autorisée comme recours collectif au nom de toutes les personnes qui ont payé des frais de traitement en vertu du RIPR et des règlements antérieurs pour l’obtention de divers visas d’immigration — Bien que la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c. Grenier précise que la compétence exclusive de la Cour fédérale pour statuer sur les demandes de contrôle judiciaire ne peut être contournée par une contestation indirecte intentée sous forme d’action, Grenier ne précise pas que le règlement d’immigration contesté doit d’abord avoir été invalidé à l’issue d’un contrôle judiciaire avant qu’il soit possible d’intenter un recours collectif — En outre, Grenier ne dit rien au sujet de l’incidence de l’art. 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, qui prévoit que la Cour fédérale a le pouvoir discrétionnaire de convertir une demande de contrôle judiciaire en une action — En donnant une interprétation libérale à l’art. 18.4(2) de façon à tenir compte non seulement des lacunes procédurales mais aussi des lacunes des demandes de contrôle judiciaire en matière de réparation, il peut aussi être invoqué pour présenter une demande de réparation d’ordre financier dans une action « convertie » — En l’espèce, il est trop lourd d’intenter une action distincte en dommages-intérêts — Les conditions pour obtenir l’autorisation d’intenter un recours collectif est un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre d’une requête en vertu de l’art. 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales en vue de « convertir » une demande — Il n’y a aucun problème à procéder à la conversion d’une demande de contrôle judiciaire en action avant qu’une décision définitive ait été rendue sur cette demande — Appel accueilli pour que le recours collectif se limite aux personnes visées par la demande d’autorisation.

                Citoyenneté et Immigration — Contrôle judiciaire — Appel d’une ordonnance de la Cour fédérale accueillant la requête des intimés afin que leur demande de contrôle judiciaire de la décision de l’appelant réclamant la somme de 75 $ à l’intimé en vue du traitement de la demande de parrainage de son épouse en application de l’art. 304 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) soit traitée comme s’il s’agissait d’une action, et que leur action soit autorisée comme recours collectif au nom de toutes les personnes qui ont payé des frais de traitement en vertu du RIPR et des règlements antérieurs pour l’obtention de divers visas d’immigration — Le juge des requêtes a commis une erreur en décidant que le groupe devait inclure les personnes qui ont payé des frais prévus par les règlements, qui n’avaient pas été dûment attaqués par une demande de contrôle judiciaire, parce que l’art. 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) établit clairement qu’une autorisation doit être obtenue à l’égard de toute mesure — Par conséquent, compte tenu du caractère impératif de l’art. 72(1) de la LIPR, la demande d’autorisation ne peut être interprétée de façon à inclure les contestations visant les autres règlements contestés faites par les autres membres du groupe.

                Pratique — Recours collectif — Appel d’une ordonnance de la Cour fédérale accueillant la requête des intimés afin que leur demande de contrôle judiciaire de la décision de l’appelant réclamant la somme de 75 $ à l’intimé en vue du traitement de la demande de parrainage de son épouse en application de l’art. 304 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) soit traitée comme s’il s’agissait d’une action, et que leur action soit autorisée comme recours collectif au nom de toutes les personnes qui ont payé des frais de traitement en vertu du RIPR et des règlements antérieurs pour l’obtention de divers visas d’immigration — Le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en décidant qu’un recours collectif était le meilleur moyen — Des facteurs comme le caractère plus simple de l’ordonnance de réparation, le refus de l’appelant de procéder au moyen d’une cause type et de la notion voulant qu’une conclusion de fait soit plus facilement déterminée par des interrogatoires préalables ont été examinés.

                Il s’agissait de l’appel d’une ordonnance rendue par la Cour fédérale, qui a accueilli la requête présentée par les intimés afin que leur demande de contrôle judiciaire soit traitée comme s’il s’agissait d’une action, et que leur action contre l’appelant soit autorisée comme recours collectif. Au départ, les intimés ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) de la décision par laquelle l’appelant a réclamé la somme de 75 $ à l’intimé en vue du traitement de la demande de parrainage de son épouse. La demande ne contestait que l’article 304 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Lorsqu’ils ont demandé que leur demande soit « convertie », les intimés voulaient que soient visées par le recours collectif envisagé toutes les personnes qui ont payé des frais de traitement en vertu du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et des règlements antérieurs. Ils cherchent à obtenir un remboursement partiel et un jugement déclaratoire au motif que le gouvernement fédéral a tiré un profit du service, ce qui contrevenait à la Loi sur la gestion des finances publiques. Lorsqu’il a rendu l’ordonnance, le juge des requêtes a conclu que la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c. Grenier ne permet pas d’affirmer que le processus de contrôle judiciaire doit être terminé avant qu’une action puisse être intentée, particulièrement au vu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérale. Le juge des requêtes a aussi certifié sept questions graves de portée générale.

                Les questions en litige étaient celles de savoir si 1) devant la Cour fédérale, un recours collectif peut être intenté avant qu’une décision ne soit rendue au sujet de la légalité du règlement d’immigration contesté; 2) dans un recours collectif intenté sous le régime de la LIPR, la demande d’autorisation doit viser tous les membres du groupe; et 3) le recours collectif était le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace la question de la validité juridique des règlements contestés.

                Arrêt : l’appel doit être accueilli en partie.

                1) Bien que l’arrêt Canada c. Grenier ait souligné l’importance de la compétence exclusive de la Cour fédérale pour statuer sur les contestations des décisions des offices fédéraux par voie de contrôle judiciaire et ait établi que cette compétence exclusive ne pouvait être contournée par une contestation indirecte intentée sous forme d’action, il n’a pas indiqué que le règlement d’immigration contesté doit d’abord avoir été invalidé à l’issue d’un contrôle judiciaire avant qu’il soit possible d’intenter un recours collectif. De plus, il n’a pas précisé que lorsqu’une demande de contrôle judiciaire est instruite comme s’il s’agissait d’une action, il n’est pas possible d’y joindre une demande de dommages-intérêts. L’arrêt Grenier permet uniquement d’affirmer que certaines actions civiles contre la Couronne doivent être précédées d’une demande de contrôle judiciaire lorsqu’elles visent essentiellement à contester la légitimité, la validité ou la légalité de la décision de l’office fédéral. Il ne dit rien au sujet de l’incidence du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, qui prévoit qu’un juge de la Cour fédérale peut, s’il estime indiqué, ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action. Lorsqu’on donne une interprétation plus libérale de l’article 18.4 de la Loi, dès qu’une demande de contrôle judiciaire est instruite comme s’il s’agissait d’une action, une demande de réparation d’ordre financier peut être présentée. Le paragraphe 18.4(2) ne doit pas être interprété étroitement, de manière à ce qu’il ne s’applique qu’aux aspects procéduraux d’une action. Il est parfois nécessaire de considérer les lacunes des demandes de contrôle judiciaire en matière de réparation. Règle générale, le fait qu’il n’est pas possible de réclamer des dommages-intérêts ne constitue pas un problème. Cependant, dans des cas comme en l’espèce, il peut s’avérer trop lourd d’intenter une action distincte en dommages-intérêts concurremment ou subséquemment à une demande de contrôle judiciaire. Plutôt que d’essayer de réunir les causes d’action, il devrait être possible, en application du paragraphe 18.4(2) de la Loi, de permettre une action en dommages-intérêts dans une action « convertie » et même d’économiser les ressources judiciaires limitées.

                Les critères pour obtenir l’autorisation d’intenter un recours collectif est un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre d’une requête déposée en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi en vue de « convertir » une demande de contrôle judiciaire en action. Les demandes de conversion et d’autorisation devraient être entendues simultanément. Il n’y a aucun problème à procéder à la conversion avant qu’une décision définitive ait été rendue sur la demande de contrôle judiciaire. Dans les cas comme celui de la présente espèce, bien que tous les éléments de preuve portant sur les deux questions puissent être entendus simultanément, il faut d’abord trancher la question de la légalité avant de répondre à la question de savoir si les membres du groupe ont droit à un remboursement partiel.

                2) Le juge des requêtes a commis une erreur en décidant que le groupe devait inclure les personnes qui ont payé des frais prévus par les règlements contestés, qui n’avaient pas été dûment attaqués par une demande d’autorisation présentée en application du paragraphe 72(1). La demande d’autorisation a été limitée aux intimés, mais il était possible de la « convertir » en recours collectif afin d’englober les personnes touchées par le même règlement puisque la demande d’autorisation sollicitait un jugement déclaratoire portant que le règlement était invalide parce qu’il contrevenait à la Loi sur la gestion des finances publiques. Compte tenu du caractère impératif du paragraphe 72(1) de la LIPR, la demande d’autorisation ne peut être interprétée de façon à inclure les contestations visant les autres règlements contestés faites par les autres membres du groupe défini par le juge des requêtes.

                3) Le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en décidant qu’un recours collectif était le meilleur moyen en raison du caractère plus simple de l’ordonnance de réparation dans l’éventualité où la demande serait accueillie, du refus de l’appelant de procéder au moyen d’une cause type et de la notion voulant qu’une conclusion de fait soit plus facilement déterminée par des interrogatoires préalables. Il n’existait pas de meilleur moyen d’obtenir un remboursement partiel pour les membres du groupe et les demandes individuelles de contrôle judiciaire ne seraient pas possibles en pratique.

                lois et règlements cités

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 19(2) (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 6).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 17 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3; 2002, ch. 8, art. 25), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1(3) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), 18.4(2) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 72 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 74d).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 304.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 299 (mod. par DORS/2006-219, art. 9), 299.1 à 299.42 (édictées par DORS/2002-417, art. 17; abrogées par DORS/2007-301, art. 6), 334.1 à 334.4 (édictées, idem, art. 7).

                jurisprudence citée

décisions appliquées :

Canada c. Grenier, [2006] 2 R.C.F. 287; 2005 CAF 348; Griffith v. Winter (2003), 15 B.C.L.R. (4th) 390; 184 B.C.A.C. 121; 34 C.P.C. (5th) 216; 2003 BCCA 367; Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 531; 2005 CAF 308; Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 181; conf. par (sub nom. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) c. Bande indienne de Shubenacadie) 2002 CAF 255; Noade c. Tribu des Blood, 2002 CFPI 2011.

décisions examinées :

Momi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 2 R.C.F. 291; 2006 CF 738; Radil Bros. Fishing Co. c. Canada (Ministère des Pêches et des Océans), [1998] A.C.F. no 1744 (1re inst.) (QL); Caputo v. Imperial Tobacco Ltd. (2005), 74 O.R. (3d) 728; 250 D.L.R. (4th) 756; 9 C.P.C. (6th) 175; [2005] O.T.C. 160 (C.S.J.); Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347.

décisions citées :

Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; Canada c. Tremblay, [2004] 4 R.C.F. 165; 2004 CAF 172; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2004] 3 R.C.S. xiii; Haig c. Canada, [1992] 3 C.F. 611 (C.A.); conf. par [1993] 2 R.C.S. 995; Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464 (C.A.); Drapeau c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1995] A.C.F. no 536 (C.A.F) (QL); Al-Mhamad c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), 2003 CAF 45; Nanaimo Immigrant Settlement Society v. British Columbia (2001), 149 B.C.A.C. 26; 84 B.C.L.R. (3d) 208; 2001 BCCA 75.

doctrine citée

Branch, Ward K. Class Actions in Canada, feuilles mobiles. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 1996.

                APPEL d’une ordonnance rendue par la Cour fédérale ([2008] 4 R.C.F. 391; 2008 CF 7) qui a accueilli la requête présentée par les intimés afin que leur demande de contrôle judiciaire des frais perçus par l’appelant en application du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et des règlements antérieurs soit traitée comme s’il s’agissait d’une action, et que leur action soit autorisée comme recours collectif. Appel accueilli en partie.

              ont comparu :

Marie-Louise Wcislo et Lorne McClenaghan pour l’appelant.

Lorne Waldman et Gerry A. Cuttler pour les intimés.

              avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Waldman & Associates, Toronto, pour les intimés.

                Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

                Le juge Sexton, J.C.A. :

Introduction

[1] Il s’agit de l’appel d’une ordonnance rendue par le juge Harrington [[2008] 4 R.C.F. 391 (C.F.)] (le juge des requêtes) qui a accueilli la requête présentée par Alan et Irina Hinton (les intimés) afin que leur demande de contrôle judiciaire concernant des frais facturés par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (l’appelant) en vertu du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 et des règlements antérieurs (collectivement, les règlements contestés) soit traitée comme s’il s’agissait d’une action, et que leur action contre l’appelant soit autorisée comme recours collectif. Les intimés souhaitaient intenter un recours collectif au nom de ceux qui ont payé des frais de traitement en vertu des règlements contestés, donc des frais exigés par le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada (CIC), pour l’obtention de divers visas d’immigration. Les intimés cherchent à obtenir un remboursement partiel et un jugement déclaratoire au motif que Sa Majesté la Reine a tiré un profit du service, ce qui rend les règlements contestés contraires à la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11.

[2] En vertu de l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], la Cour fédérale a compétence exclusive pour rendre un jugement déclaratoire, ou pour décerner un bref de certiorari, de mandamus, etc., à l’égard des décisions de tout office fédéral. Conformément à la décision de la Cour dans Canada c. Grenier, [2006] 2 R.C.F. 287 (C.A.F.) (Grenier), ces décisions doivent être contestées par voie de demande de contrôle judiciaire, et non attaquées collatéralement par voie d’action.

[3] Après avoir présenté leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le 14 septembre 2006, les intimés ont demandé, en juin 2007, à ce que leur demande soit « convertie » en action et qu’un recours collectif soit autorisé par le fait même. C’est de cette étape de la procédure qu’il est question en l’espèce.

[4] L’appelant estime que : 1) la demande d’autorisation initiale présentée par les intimés conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), qui ne visait à contester la validité que d’un seul règlement, n’était pas suffisamment large pour englober les personnes touchées par l’un des quelque 40 autres règlements; 2) une action en dommages-intérêts ne pouvait être présentée avant qu’une décision définitive sur la demande de contrôle judiciaire n’ait été rendue; 3) s’agissant de déterminer la validité juridique des règlements contestés, le recours collectif n’était pas le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait collectifs.

[5] Pour les motifs qui suivent, je partage l’avis de l’appelant au sujet du premier argument, mais je suis en désaccord avec lui quant aux deux autres. Par conséquent, j’accueillerais l’appel en partie et limiterais le groupe de demandeurs aux personnes visées par la demande d’autorisation, mais sans porter atteinte au droit des intimés, ou de toute autre personne, de présenter, au nom des autres membres du groupe proposé, une demande d’autorisation de contrôle judiciaire et une demande en vue de faire partie du groupe visé par le recours autorisé, tel que limité par le présent jugement.

Faits

[6] Depuis environ 1986, CIC a facturé des frais de traitement aux personnes qui présentent différentes demandes en application de la LIPR, y compris les demandes de visas de résident temporaire, de travail ou d’étude au Canada, les demandes visant à parrainer des proches vivant à l’étranger et qui désirent émigrer au Canada, et les demandes d’entrée au Canada en tant que résident permanent. Conformément aux règlements contestés, des frais de traitement divers ont été fixés pour chaque type de demande.

[7] Le 30 mai 2003, ou vers cette date, Alan Hinton a présenté une demande visant à parrainer son épouse, qui résidait en Russie, afin qu’elle puisse venir au Canada. Quelques mois après qu’il eut payé les frais de traitement, l’ambassade canadienne à Moscou a informé Irina Hinton qu’elle pouvait venir chercher son visa de résidence permanente. Aucun des intimés n’a dû passer une entrevue d’immigration. Alan Hinton a versé 75 $. Se fondant sur un projet de rapport interne de CIC, obtenu grâce à une requête présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information [L.R.C. (1985), ch. A-1] et portant sur les coûts liés aux services d’immigration, les intimés soutiennent que le « coût à l’unité » des décisions portant sur le parrainage des époux (y compris les enfants) était d’environ la moitié du prix payé par M.  Hinton.

[8] En mars 2005, un recours collectif envisagé, visant notamment les intimés, a été déposé par voie de déclaration contre l’appelant. Par cette action, la validité juridique de quelque 40 frais de traitement actuels (ou anciens) en matière d’immigration, imposés entre 1986 et 2002, était contestée au motif que l’imposition de ces frais contrevenait au paragraphe 19(2) [mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 6] de la Loi sur la gestion des finances publiques [L.R.C. (1985), ch. F-11], selon lequel les frais de traitement facturés par le gouvernement fédéral ne peuvent excéder les coûts supportés pour leur prestation. Le 26 juin 2006, s’appuyant sur Grenier, le juge des requêtes (précisons que le juge Harrington est le juge responsable de la gestion de l’instance pour l’ensemble de la présente procédure et qu’il a ainsi présidé à toutes les étapes de la procédure) a décidé, dans Momi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 2 R.C.F. 291 (C.F.) (Momi), de suspendre l’action afin que l’on puisse y substituer une demande de contrôle judiciaire.

[9] Dans Momi, bien qu’il ait suspendu l’action, le juge des requêtes a formulé de nombreux commentaires au sujet du bien-fondé de l’autorisation, et a conclu ainsi, aux paragraphes 81 et 83 :

                J’ai tenu compte des éléments exposés au paragraphe 299.18(2) des Règles. Les points de droit et de fait collectifs prédominent. Le nombre des membres du groupe qui pourraient avoir un véritable intérêt à contrôler individuel- lement leur propre action est très faible. Présenter une réclamation, qu’elle vise un seul visa ou dix millions de visas, coûtera une fortune. Il est difficile d’imaginer qu’un membre du groupe pourrait souhaiter intenter sa propre action. Les autres voies permettant de résoudre ces demandes sont, à mon avis, moins pratiques et moins efficaces.

[…]

                Je rejette pour le moment la requête en autorisation, mais l’action demeure une instance à gestion spéciale. Il n’y a pas lieu de prendre d’autre mesure avant l’expiration des délais d’appel. Si les demandeurs interjettent appel, il faudrait se demander si la présente action doit être suspendue et, si c’est le cas, pour quel motif. S’ils n’interjettent pas appel, il conviendra d’examiner les modalités de la demande de contrôle judiciaire envisagée dans les présents motifs.

[10]         Plutôt que d’interjeter appel, les intimés ont déposé, le 14 septembre 2006, une demande de contrôle judiciaire conformément au paragraphe 72(1) de la LIPR. La demande portait sur une décision de Citoyenneté et Immigration Canada rendue le 30 mai 2003 ou vers cette date, par laquelle le ministre a réclamé la somme de 75 $ à Alan Hinton, somme qu’Alan Hinton a versée au receveur général du Canada, en vue du traitement de la demande de parrainage de son épouse. Contrairement à Momi, la demande d’autorisation en l’espèce ne visait à contester qu’une seule disposition réglementaire relative à des frais à payer à CIC : l’article 304 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui prévoit que le parrain doit payer une somme de 75 $ afin que CIC examine la demande de parrainage d’un membre de la catégorie du regroupement familial.

[11]         Préoccupée par le fait que la demande d’autorisation avait été présentée après l’expiration du délai prescrit, la Cour a prorogé le délai de présentation de la demande. Le 17 novembre 2006, le juge des requêtes a ordonné que l’instance soit gérée comme une instance à gestion spéciale. Il a finalement accueilli la demande d’autorisation, le 24 avril 2007, et a ordonné la nomination d’un juge responsable de la gestion de l’instance, le 14 mai 2007.

[12]         En juin 2007, les intimés ont demandé à ce que la demande soit « convertie » en action et qu’elle soit autorisée comme recours collectif. Étaient visées par le recours collectif envisagé, toutes les personnes concernées par les règlements contestés, même si la demande d’autorisation ne s’appliquait qu’à une seule disposition réglementaire, à savoir l’article 304 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, actuellement en vigueur.

Dispositions législatives

[13]         La demande des intimés repose essentiellement sur le paragraphe 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, qui prévoit ce qui suit :

                19. […]

                (2) Le prix fixé en vertu du paragraphe (1) ou rajusté conformément à l’article 19.2 ne peut excéder les coûts supportés par Sa Majesté du chef du Canada pour la prestation des services aux bénéficiaires ou usagers, ou à une catégorie de ceux-ci, ou la mise à leur disposition des installations.

[14]         L’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit, en partie, ce qui suit :

                18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

                a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

                b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

[…]

                (3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

[15]         Les pouvoirs de la Cour fédérale en ce qui concerne les demandes de contrôle judiciaire sont énoncés au paragraphe 18.1(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] :

                18.1 […]

                (3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

                a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

                b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

[16]         Par ailleurs, la compétence concurrente, en première instance, de la Cour fédérale dans les cas d’actions contre la Couronne est prévue aux paragraphes 17(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 25] et (2) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3; 2002, ch. 8, art. 25] :

                17. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne.

                (2) Elle a notamment compétence concurrent en première instance, sauf disposition contraire, dans les cas de demande motivés par :

                a) la possession par la Couronne de terres, biens ou sommes d’argent appartenant à autrui;

                b) un contrat conclu par ou pour la Couronne;

                c) un trouble de jouissance dont la Couronne se rend coupable;

                d) une demande en dommages-intérêts formée au titre de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif.

[17]         Le paragraphe 18.4(2) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28] de la Loi sur les Cours fédérales prévoit la « conversion » d’une demande en action :

                18.4 […]

                (2) Elle peut, si elle l’estime indiqué, ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

[18]         Le contrôle judiciaire de toutes les décisions rendues sous le régime de la LIPR est subordonné à l’octroi d’une autorisation, conformément à l’article 72 [art. 72(2)b) (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194)] de la LIPR :

                72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

                (2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

                a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;

                b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale — la Cour — dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;

                c) le délai peut toutefois être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour;

                d) il est statué sur la demande à bref délai et selon la procédure sommaire et, sauf autorisation d’un juge de la Cour, sans comparution en personne;

                e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.

[19]                      La règle 299 [mod. par DORS/2006-219, art. 9 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] établit le régime applicable aux recours collectifs devant la Cour fédérale, qui était en vigueur au moment où la demande des intimés a été présentée. Les conditions préalables à l’autorisation d’un recours collectif figurent à la règle 299.18 [édictée par DORS/2002-417, art. 17] des Règles :

                299.18 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une action comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

                a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

                b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

                c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait collectifs, qu’ils prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

                d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait collectifs;

                e) un des membres du groupe peut agir comme représentant demandeur et, à ce titre :

          (i) représenterait de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe,

          (ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’action au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés du déroulement de l’instance,

          (iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait collectifs,

          (iv) communique un sommaire des ententes relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et son avocat.

             (2) Afin de déterminer si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait collectifs de façon équitable et efficace, tous les facteurs pertinents doivent être pris en compte, notamment les facteurs suivants :

                a) la prédominance des points de droit ou de fait collectifs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

                b) le nombre de membres du groupe qui ont véritablement intérêt à poursuivre des actions séparées;

                c) la question de savoir si le recours collectif comprendrait des réclamations qui ont été ou qui sont l’objet d’autres actions;

                d) l’aspect pratique ou l’efficacité des autres moyens de régler les réclamations;

                e) la question de savoir si la gestion du recours collectif créerait de plus grandes difficultés que l’adoption d’un autre moyen.

                (3) Si le juge constate qu’il existe au sein du groupe un sous-groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait collectifs que ne partagent pas tous les membres du groupe de sorte que la protection des intérêts des membres du sous-groupe exige qu’ils aient un représentant distinct, il n’autorise l’action comme recours collectif que si un des membres du sous-groupe peut agir comme représentant demandeur et, à ce titre :

                a) représenterait de façon équitable et appropriée les intérêts du sous-groupe;

                b) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’action au nom du sous-groupe et tenir les membres du sous-groupe informés du déroulement de l’instance;

                c) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du sous-groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait collectifs;

                d) communique un sommaire des ententes relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et son avocat.

[20]         Le contenu de l’ordonnance d’autorisation est décrit à la règle 299.19 [édictée par DORS/2002-417, art. 17] des Règles :

                299.19 (1) L’ordonnance d’autorisation de l’action comme recours collectif contient les éléments suivants :

                a) la description du groupe;

                b) le nom du représentant demandeur;

                c) l’énoncé de la nature des réclamations présentées au nom du groupe;

                d) l’énoncé des réparations demandées par ou contre le groupe;

                e) l’énumération des points de droit et de fait collectifs du groupe;

                f) des instructions quant à la façon dont les membres du groupe peuvent s’exclure du recours collectif et la date limite pour le faire.

                (2) Si le juge constate qu’il existe au sein du groupe un sous-groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait collectifs que ne partagent pas tous les membres du groupe de sorte que la protection des intérêts des membres du sous-groupe exige qu’ils aient un représentant distinct, l’ordonnance d’autorisation de l’action comme recours collectif contient les éléments visés au paragraphe (1) à l’égard du sous-groupe.

[21]         La règle 299.2 [édictée, idem] des Règles fournit d’autres indications sur l’autorisation d’un recours collectif :

                299.2 Le juge ne peut refuser d’autoriser une action comme recours collectif en se fondant uniquement sur l’un ou plusieurs des motifs suivants :

             a) les réparations demandées comprennent une réclamation de dommages-intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait collectifs tranchés, une évaluation individuelle;

                b) les réparations demandées portent sur des contrats distincts concernant différents membres du groupe;

                c) les réparations demandées ne sont pas les mêmes pour tous les membres du groupe;

                d) le nombre de membres du groupe ou l’identité de chacun des membres est inconnu;

                e) il existe au sein du groupe un sous-groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait collectifs que ne partagent pas tous les membres du groupe.

[22]         La règle 299.11 [édicté, idem] des Règles laisse entrevoir la possibilité qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’un recours collectif en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales :

                299.11 Les règles 299.1 et 299.12 à 299.42 s’appliquent notamment à une demande de contrôle judiciaire dans le cas où la Cour a ordonné, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi, qu’elle soit instruite comme une action.

[23]         Les règles 299.1 à 299.42 ont été abrogées le 13 décembre 2007 [DORS/2007-301, art. 6] — après l’audience visée par l’appel, mais avant que le juge des requêtes n’ait rendu sa décision — et ont été remplacées par les règles 334.1 à 334.4 relatives aux recours collectifs (DORS/2007-301, art. 7).

La décision de la Cour fédérale

[24]         Le juge des requêtes a prononcé une ordonnance portant « conversion » de la demande de contrôle judiciaire en action et a autorisé le recours collectif.

[25] Il a conclu que la décision de la Cour dans Grenier ne permet pas d’affirmer que le processus de contrôle judiciaire doit être terminé avant qu’une action puisse être intentée, particulièrement au vu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

[26]         Il a rejeté l’argument voulant que le recours collectif ne puisse pas porter sur les frais exigibles en application de règlements qui n’étaient pas contestés dans la demande d’autorisation initiale. Le juge des requêtes a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 18 et 20 :

                Bien que l’argument du ministre puisse être bien fondé dans l’abstrait, le paragraphe 19(2) [mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 6] de la Loi sur la gestion des finances publiques dispose que « [l]e prix fixé […] ne peut excéder les coûts supportés par Sa Majesté […] pour la prestation des services ». Noter dans la version anglaise le singulier du mot « service » et le pluriel du mot « fees ». Comme je l’ai mentionné dans la décision Momi, l’écart entre les frais selon les différents types de visa peut très bien dépendre du temps et du travail nécessaires à leur traitement. Il n’y a aucun fondement véritable à ce stade-ci qui puisse donner à penser que chaque « fee » (type de frais) correspond à un « service » (service) distinct.

[…]

Pour que la règle 299.11 garde tout son sens, un contrôle judiciaire converti en action qui est elle-même autorisée comme recours collectif doit remettre en question plus d’une décision. Il semble que seulement un service pose un problème, ce qui n’empêche pas qu’à mesure que l’affaire évolue, on ne puisse pas créer des sous-groupes relativement à certains frais.

[27]         Le juge des requêtes a ensuite porté son attention sur le critère en cinq parties relatif à l’autorisation décrit à la règle 299.18 des Règles. Comme la demande de contrôle judiciaire avait déjà été autorisée, le juge des requêtes a conclu qu’il existait une cause d’action valable.

[28]         Sous réserve des membres du groupe à qui la prescription de six ans pourrait être opposée, le juge des requêtes a conclu à l’existence d’un groupe identifiable, en l’occurrence les demandeurs alléguant une violation systématique du paragraphe 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Le groupe est constitué des personnes qui, au cours de la période du 1er avril 1994 au 31 mars 2004, ont payé un type de frais à Sa Majesté du chef du Canada en vue du traitement de toute demande présentée dans le cadre d’au moins un des règlements contestés, et qui ont été informées de la décision relative à ces demandes à compter du 12 septembre 2000.

[29]         La décision portait sur des points de droit ou de fait collectifs, puisque des allégations de violation systématique du paragraphe 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques en constituaient la toile de fond. Le juge des requêtes a reconnu que des sous-groupes devraient possiblement être créés s’il était prouvé que d’autres frais ont été déterminés par des méthodologies différentes. Il a établi que le point de fait collectif était de savoir si les frais de traitement ont excédé le coût supporté par Sa Majesté du chef du Canada pour fournir les services au groupe demandeur. Dans l’affirmative, le point de droit collectif était de savoir si le groupe demandeur a droit à un recouvrement.

[30]         Le juge des requêtes a examiné les facteurs décrits au paragraphe 299.18(2) des Règles afin de déterminer si le recours collectif était le meilleur moyen de régler l’affaire, question à laquelle il a répondu par l’affirmative. Il a conclu que les points de droit ou de fait collectifs prédominaient sur ceux qui ne concernent que certains membres, après avoir exclu du groupe les personnes qui pouvaient faire l’objet d’un moyen de défense fondé sur la prescription. Compte tenu des dommages-intérêts peu élevés que chacun des membres obtiendrait, il a conclu que les membres n’avaient pas de véritable intérêt à poursuivre des actions séparées.

[31]         Le juge des requêtes a rejeté l’argument de l’appelant voulant que la validité des règlements contestés aurait été mieux à même d’être analysée lors d’un contrôle judiciaire normal. Il a également rejeté la suggestion de l’appelant voulant que le contrôle judiciaire soit converti en action seulement après le règlement complet de la demande de contrôle judiciaire. Il a fait remarquer qu’il n’était pas possible de juger de la validité des règlements contestés uniquement sur une question de droit, car il s’agissait de savoir si l’appelant a fait un profit, ce qui constitue une question de fait. Pour répondre à cette question, la Cour aurait besoin de témoignages d’experts, a-t-il conclu. Le juge des requêtes a affirmé ce qui suit, aux paragraphes 42 et 43 :

                La question est de savoir si un échange d’affidavits suivi de contre-interrogatoires les concernant serait suffisant pour que la Cour puisse établir le total des dépenses, ce qui constitue l’objet réel de la controverse, en vue de les comparer au revenu tiré du programme de visa. Sauf les témoignages à l’audience, ce qui n’est pas d’usage, la Cour serait dans l’incapacité de poser ses propres questions. Qu’en serait-il, par exemple, de l’affidavit déposé par Tom Heinze, stagiaire, en contestation de la requête? Ses allégations étaient fondées sur ses croyances, mais on peut présumer que son affidavit serait remplacé par ceux de personnes ayant des connaissances personnelles lorsque l’affaire sera entendue sur le fond. Notamment, il énumère diverses dépenses qui, selon le ministre, devraient être prises en compte lors de l’évaluation du coût de la prestation des services. Un élément intéressant de l’exercice commençant le 1er avril 2004 est le salaire des juges de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, dont un peu plus de la moitié a été attribuée au programme de visa.

                Abstraction faite de la question de savoir si le coût payé par Sa Majesté devrait comprendre le coût de fonctionnement du Parlement et les salaires des juges, les chiffres soulèvent une quantité presque illimitée de questions. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés accapare moins de la moitié de la charge de travail de la Cour fédérale et, dans la vaste majorité des cas, il s’agit de demandes d’asile et non de demandes de visa. La Cour d’appel fédérale intervient seulement si une question grave de portée générale est certifiée. De quelle façon a-t-on déterminé le pourcentage? L’interrogatoire préalable est la façon la plus appropriée d’établir les coûts. Les experts des demandeurs devraient avoir l’occasion d’examiner ces renseignements avant de déposer leurs affidavits et de témoigner en audience publique.

Le juge des requêtes a aussi fait remarquer que l’appelant n’a pas accepté de procéder au moyen d’une cause type ni d’une prorogation indéterminée du délai pour instruire l’affaire : accepter l’une ou l’autre de ces possibilités aurait pu militer en faveur d’une demande de contrôle judiciaire.

[32]         Finalement, le juge des requêtes a estimé que les intimés représenteraient de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe, et qu’ils avaient présenté un plan de déroulement de l’instance efficace.

Questions en litige

[33]         En vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR, le juge des requêtes a accueilli l’appel et a certifié sept questions graves de portée générale. Les voici [aux paragraphes 57 à 59] :

a) Une autorisation est-elle nécessaire pour présenter une demande de contrôle judiciaire dont l’objet est de remettre en question la validité d’un règlement pris en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

b) Le demandeur qui cherche à recouvrir une somme payée en application d’un règlement qu’il allègue être invalide doit-il procéder par voie de contrôle judiciaire?

c) Un contrôle judiciaire qui est instruit comme s’il s’agissait d’une action peut-il remettre en question la validité de catégories de frais que les représentants demandeurs n’ont pas payés?

d) Étant donné que le recouvrement d’une somme d’argent ne peut être ordonné par suite d’un contrôle judiciaire, les demandeurs doivent-ils attendre le résultat du contrôle judiciaire avant d’engager une action?     

[…]

e) Lorsque la validité d’un règlement fédéral est adéquatement contestée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée devant la Cour fédérale, est-il prématuré de « convertir » le contrôle judiciaire en action (en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales) avant que la Cour fédérale ait rendu sa décision sur le contrôle judiciaire?

f) Lorsque la principale question de droit dans un recours collectif envisagé (engagé en vertu de la règle 299 (mod. par DORS/2006-219, art. 9] des Règles des Cours fédérales) concerne la validité d’un règlement fédéral, l’arrêt Grenier (2005 CAF 348) exige-t-il que cette question soit tout d’abord tranchée par la Cour fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire fondé sur le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales?

[…]

g) Dans le cas où la question principale dans une demande de contrôle judiciaire qui fait l’objet d’une demande de conversion en action qui, elle-même, fait l’objet d’une demande d’autorisation comme recours collectif soulève une question mixte de fait et de droit pour la résolution de laquelle l’établissement des faits contestés est capital, et que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour conclut qu’il est opportun d’ordonner que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action en vertu de l’article 18.2 et du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales et que l’action soit autorisée comme recours collectif en vertu de la règle 299, l’arrêt Grenier empêche-t-il la Cour de rendre une telle ordonnance et exige-t-il plutôt que l’on doive d’abord juger de la validité du règlement au coeur du contrôle judiciaire sans qu’il y ait conversion ou certification en vertu du paragraphe 18(1)?

[34]         L’appelant a formulé le présent appel, faisant valoir que le juge des requêtes a commis trois erreurs de droit. Ces erreurs sont les suivantes :

• Le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales et l’arrêt Grenier permettent d’intenter un recours collectif avant qu’une décision ne soit rendue au sujet de la légalité des règlements contestés à l’issue d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, ou en remplacement d’une telle décision;

• Le juge des requêtes a commis une erreur en définissant le groupe de manière à y inclure les personnes qui ont payé des frais sous le régime de règlements en matière d’immigration qui n’ont pas été contestés dans le cadre de la demande d’autorisation présentée par les intimés conformément au paragraphe 72(1) de la LIPR;

• Le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que le recours collectif était le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace la question de la validité juridique des règlements contestés.

L’examen des allégations de l’appelant au sujet des erreurs de droit suffira pour trancher correctement le présent appel.

Norme de contrôle

[35]         Déterminer la procédure à suivre pour attaquer la légalité des règlements contestés (et demander un remboursement partiel des frais payés en application de ces règlements) est une question de droit à l’égard de laquelle il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence et qui sera donc tranchée selon la norme de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8.

[36]                      En ce qui concerne la décision d’autorisation en soi, les tribunaux d’appel devraient hésiter à intervenir étant donné la nature discrétionnaire du processus visant à déterminer si le recours collectif est le meilleur moyen de régler une affaire : Ward Branch, Class Actions in Canada, feuilles mobiles, Aurora : Canada Law Book, 1996, au paragraphe 4.1850. Comme l’a dit la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Griffith v. Winter (2003), 15 B.C.L.R. (4th) 390 (C.A.), au paragraphe 22 :

                [traduction] À moins d’une erreur de droit ou de principe, la décision rendue par un juge appelé à se prononcer sur l’autorisation est discrétionnaire. En vertu de la Loi sur les recours collectifs (Class Proceedings Act) le juge appelé à se prononcer sur l’autorisation est le juge chargé de la gestion de l’instance qui est responsable de tous les aspects de la gestion du recours collectif, du moins jusqu’à la tenue du procès. La connaissance qu’il acquiert ainsi de l’affaire explique pourquoi il faut accorder une plus grande déférence à ses décisions en matière d’autorisation et de questions procédurales en général.

Analyse

En Cour fédérale, un recours collectif peut-il être entendu avant qu’une décision ne soit d’abord rendue sur la validité d’un règlement contesté en matière d’immigration?

Sommaire

[37]         Selon l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a compétence exclusive pour statuer sur les contestations des décisions des offices fédéraux par voie de bref de certiorari ou de mandamus, de jugements déclaratoires, etc., lors d’un contrôle judiciaire. Dans Grenier, la Cour a souligné l’importance de cette compétence exclusive et a établi qu’elle ne pouvait être contournée par une contestation indirecte intentée sous forme d’action.

[38]         Or, la Cour ne conclut pas dans Grenier que le règlement d’immigration contesté doit d’abord avoir été invalidé à l’issue d’un contrôle judiciaire avant qu’il soit possible d’intenter un recours collectif. De plus, rien dans l’arrêt Grenier ne permet d’affirmer que, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire est instruite comme s’il s’agissait d’une action, il n’est pas possible d’y joindre une demande de dommages-intérêts.

[39]         La décision de la Cour dans Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 531 (C.A.F.) (Tihomirovs) a confirmé qu’une demande de contrôle judiciaire pouvait servir de fondement à un recours collectif avant que la décision définitive n’ait été prononcée sur la demande de contrôle judiciaire, à condition que le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales soit appliqué de sorte que la demande puisse être instruite comme s’il s’agissait d’une action et que le recours collectif envisagé réponde aux critères énoncés à la règle 299.18, alors en vigueur.

L’arrêt Grenier : quelle interprétation lui donner?

[40]         Dans l’arrêt Grenier, un détenu avait intenté une action en dommages-intérêts après avoir été condamné à l’isolement préventif, puis à l’isolement disciplinaire, pendant qu’il était incarcéré dans un établissement à sécurité maximale. Le détenu n’avait pas demandé le contrôle judiciaire de la décision du directeur, même s’il connaissait, ou aurait dû connaître, les conséquences qu’une telle décision aurait sur lui, et même s’il savait, ou aurait dû savoir, qu’il pouvait demander le contrôle judiciaire de la décision s’il souhaitait la contester. À la suite du jugement rendu par la Cour dans Canada c. Tremblay, [2004] 4 R.C.F. 165 (C.A.F.); autorisation d’appel devant la C.S.C refusée [2004] 3 R.C.S. xiii, le juge Létourneau a conclu que le justiciable qui veut s’attaquer à la décision d’un organisme fédéral n’a pas le libre choix d’opter entre une procédure de contrôle judiciaire et une action en dommages-intérêts : il doit procéder par contrôle judiciaire pour faire invalider la décision. Selon l’arrêt Grenier, faire valoir une telle demande par voie d’action plutôt que par contrôle judiciaire constituerait une contestation indirecte de la décision initiale, à la lumière de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales.

[41]         Le juge Létourneau a expliqué le fondement et l’importance de la compétence exclusive énoncée à l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, aux paragraphes 24 à 26 :

                En créant la Cour fédérale et en édictant l’article 18, le législateur fédéral a voulu mettre un terme au morcel-
lement existant du contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux. À l’époque, ce contrôle était effectué par les tribunaux des provinces : voir Patrice Garant, Droit administratif, 4e éd., vol. 2, Yvon Blais, 1996, aux pages 11 à 15. L’harmonisation des disparités dans les décisions judiciaires devait se faire au niveau de la Cour suprême du Canada. Par souci de justice, d’équité et d’efficacité, sous réserve des exceptions de l’article 28 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8; 2002, ch. 8, art. 35], le Parlement a confié à une seule Cour, la Cour fédérale, l’exercice du contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux. Ce contrôle doit s’exercer et s’exerce, aux termes de l’article 18, seulement par la présentation d’une demande de contrôle judiciaire. La Cour d’appel fédérale est le tribunal investi du mandat d’assurer l’harmonisation en cas de décisions conflictuelles, dégageant ainsi la Cour suprême du Canada d’un volume considérable de travail, tout en lui réservant la possibilité d’intervenir dans les cas qu’elle juge d’intérêt national.

                Or, accepter que le contrôle de la légalité des décisions des organismes fédéraux puisse se faire par le biais d’une action en dommages-intérêts, c’est permettre un recours en vertu de l’article 17. Permettre à cette fin un recours sous l’article 17, c’est tout d’abord soit ignorer, soit dénier l’intention clairement exprimée par le législateur au paragraphe 18(3) que le recours doit s’exercer seulement par voie de demande de contrôle judiciaire. La version anglaise du paragraphe 18(3) met l’emphase sur ce dernier point en utilisant le mot « only » dans l’expression « may be obtained only on an application for judicial review » .

                C’est aussi réintroduire judiciairement le partage des compétences entre la Cour fédérale et les tribunaux des provinces. C’est faire renaître dans les faits une ancienne problématique à laquelle le législateur fédéral a remédié par l’adoption de l’article 18 et l’attribution d’une compétence exclusive à la Cour fédérale et, dans les cas de l’article 28, à la Cour d’appel fédérale. C’est précisément cette intention législative que la Cour d’appel du Québec a reconnue dans l’affaire Capobianco, afin d’éviter que l’action en dommages, introduite en Cour supérieure du Québec et s’attaquant à la légalité des décisions d’offices fédéraux, ne conduise, en fait et en droit, à un démembrement dysfonctionnel du droit administratif fédéral.

Les intimés insistent sur le fait — et je suis d’accord — qu’une des principales préoccupations de la Cour dans Grenier était également qu’une action ne devait pas être utilisée de façon à contourner les exigences procédurales et les délais de prescription prévus à l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales. Ces préoccupations ne sont pas pertinentes en l’espèce puisque les intimés — après la décision de la Cour fédérale dans Momi — ont correctement intenté la présente procédure en présentant une demande de contrôle judiciaire.

[42]         L’arrêt Grenier permet uniquement d’affirmer que certaines actions civiles contre la Couronne doivent être précédées d’une demande de contrôle judiciaire lorsqu’elles visent essentiellement à contester la légitimité, la validité ou la légalité de la décision d’un office fédéral.

L’effet du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales

[43]         L’arrêt Grenier ne dit rien au sujet de l’incidence du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, qui prévoit qu’un juge de la Cour fédérale peut, s’il l’estime indiqué, ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action. De fait, il n’était pas nécessaire de le faire puisqu’aucune demande de contrôle judiciaire n’avait été présentée et que, par conséquent, aucune demande de « conversion » n’avait non plus été faite.

[44]         Le paragraphe 18.4(2) est une réponse du législateur aux préoccupations exprimées dans certaines des affaires survenues avant le 1er février 1992 et selon lesquelles la demande de contrôle judiciaire n’offrait pas les garanties procédurales appropriées lorsqu’on cherchait à obtenir un jugement déclaratoire : Haig c. Canada, [1992] 3 C.F. 611 (C.A.); confirmé par d’autres motifs [1993] 2 R.C.S. 995 (Haig). Par exemple, une demande peut être instruite comme s’il s’agissait d’une action parce que les faits permettant de rendre une décision sur la demande ne peuvent être établis uniquement au moyen d’une preuve par affidavit; voir Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464 (C.A.), à la page 470. La disposition n’impose aucune limite quant aux facteurs qui peuvent à juste titre être pris en considération lorsqu’il s’agit de savoir s’il convient ou non de permettre qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action (Drapeau c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1995] A.C.F. no 536 (C.A.) (QL)).

[45]         Il va sans dire que des dommages-intérêts ne sauraient être octroyés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : voir Al-Mhamad c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), 2003 CAF 45. Or, il existe très peu de jurisprudence sur la question de savoir s’il est possible, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire est instruite comme s’il s’agissait d’une action, de présenter une demande de réparation d’ordre financier. À mon avis, c’est possible.

[46]         Pour l’instant, les autorités ne s’entendent pas sur cette question. Dans Radil Bros. Fishing Co. c. Canada (Ministère des Pêches et des Océans), [1998] A.C.F. no 1744 (1re inst.) (QL) (Radil Bros.), le juge Rouleau a suggéré une application plus restreinte du paragraphe 18.2(4) de la Loi sur les Cours fédérales, au paragraphe 22 :

[…] la conversion d’une demande de contrôle judiciaire en action n’autorise pas la demanderesse à déposer par la suite une déclaration dans laquelle la réparation demandée est différente de celle contenue dans l’avis de requête introductive d’instance. Le paragraphe 18.2(4) a pour objet de permettre l’instruction d’une demande de contrôle judiciaire comme s’il s’agissait d’une action, c’est-à-dire avec des interrogatoires préalables, l’assignation de témoins et l’audition de leurs témoignages. Il ne crée pas une nouvelle cause d’action et ne permet pas à une partie de demander une nouvelle réparation ou une réparation qui s’ajoute à celle qui était initialement demandée.

[47]         Par ailleurs, dans Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 181; confirmé par [sub nom. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) c. Bande indienne de Shubenacadie] 2002 CAF 255 (Shubenacadie), le juge Hugessen a récemment donné une interprétation plus libérale de la disposition, déclarant ce qui suit, au paragraphe 4 :

                La Couronne affirme que l’article 18.4 de la Loi sur la Cour fédérale ne permet pas à la partie qui est devenue demanderesse dans une action d’ajouter de nouvelles causes d’action ou de désigner de nouvelles parties à une action qui a initialement fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Je ne suis pas d’accord. Il n’y a rien dans le texte de l’article 18.4 ou en principe qui empêche les demandeurs de faire ce qu’ils ont fait. Les règles de la Cour sont fort libérales en ce qui concerne les modifications, la jonction des parties et la réunion de causes d’action et, en principe, il me semble que l’on ne saurait s’y opposer dans un cas comme celui-ci. De fait, comme je l’ai mentionné lors d’une audience antérieure, si les demandeurs intentaient une action en dommages-intérêts distincte, la Cour ordonnerait fort probablement, à un stade quelconque, la réunion des deux instances. Si, à une date ultérieure, la réunion s’avère peu commode ou par ailleurs non appropriée, la Cour conserve, en vertu de la règle 107, le pouvoir discrétionnaire d’ordonner que des instructions distinctes soient tenues. La requête de Sa Majesté est donc à cet égard dénuée de fondement.

[48]         Dans Noade c. Tribu des Blood, 2002 CFPI 2011, le protonotaire Hargrave a examiné la jurisprudence contradictoire au sujet de la possibilité d’ajouter de nouvelles causes d’action à la suite de la « conversion » d’une demande en action, et a affirmé, au paragraphe 12, qu’il préférait l’approche du juge Hugessen. Je partage son opinion.

[49]         Je ne suis pas convaincu que le paragraphe 18.4(2) doive être interprété étroitement, de manière à ce qu’il ne s’applique qu’aux aspects procéduraux d’une action, tels que la communication de la preuve, l’admission de témoignages de vive voix, etc. Il est bien établi que le droit d’instruire une demande comme s’il s’agissait d’une action sert à compenser certaines lacunes procédurales du processus qui sous-tend les demandes. Cependant, j’estime qu’il est parfois nécessaire de considérer les lacunes des demandes de contrôle judiciaire en matière de réparation. Les demandes de contrôle judiciaire posent problème, notamment parce qu’il n’est pas possible de réclamer des dommages- intérêts. Dans la majorité des cas, il ne s’agit pas d’un problème majeur, car la réparation souhaitée prendra normalement la forme d’un bref de mandamus ou de certiorari, ou d’un jugement déclaratoire. Là où le bât blesse, cependant, c’est lorsqu’il est nécessaire après coup d’intenter une action complètement distincte à la Cour fédérale ou auprès d’une cour provinciale pour réclamer des dommages-intérêts : il s’agit d’une situation potentiellement indésirable.

[50]         Parfois, comme en l’espèce, il peut s’avérer trop lourd d’intenter une action distincte en dommages- intérêts, concurremment ou subséquemment à une demande de contrôle judiciaire. Plutôt que d’essayer de réunir les causes d’action, ce qui est parfois inévitable, il devrait également être possible, en application du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, de permettre qu’une action en dommages-intérêts soit combinée à une demande instruite comme s’il s’agissait d’une action. Dans les cas comme celui de la présente espèce, cela permettrait même d’économiser les ressources judiciaires limitées.

Le paragraphe 18.4(2) et les recours collectifs — les directives du juge Rothstein dans Tihomirovs

[51]         L’appelant fait valoir que le fait de permettre, en application du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, la « conversion » d’une demande en action avant que le processus de contrôle judiciaire soit terminé représente un casse-tête procédural qui fait perdre tout son sens à l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales. Je ne suis pas d’accord.

[52]         Le précédent établi par la Cour dans Tihomirovs constitue un moyen efficace de s’assurer que les parties, comme les intimés, ne passent pas simplement [traduction] « outre aux requêtes ». Dans l’arrêt Tihomirovs, la Cour a établi que les conditions pour obtenir l’autorisation d’intenter un recours collectif est un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre d’une requête déposée en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales en vue de « convertir » une demande de contrôle judiciaire en action. Le juge Rothstein (alors juge à la Cour d’appel fédérale) a ajouté, au paragraphe 14 :

                Selon la deuxième question certifiée, quel est le critère applicable à une demande de conversion lorsque l’objectif visé est l’autorisation d’une action comme recours collectif? M. Tihomirovs déclare que la simple expression de l’intention d’intenter un recours collectif suffit pour satisfaire au critère. J’en disconviens. Étant donné que le contrôle judiciaire vise le règlement expéditif et sommaire des questions de droit public, les tribunaux seront toujours obligés d’évaluer les avantages de la procédure par voie de recours collectif par rapport à l’efficacité de la procédure par voie de contrôle judiciaire. [Non souligné dans l’original.]

Les demandes de conversion et d’autorisation devraient être entendues simultanément, à moins que l’on puisse prouver que l’examen simultané des deux demandes serait préjudiciable (au paragraphe 18).

[53]         Le juge des requêtes a explicitement adopté l’approche proposée par la Cour dans Tihomirovs. Ainsi, contrairement à l’argument de l’appelant, j’estime qu’en principe, il n’y aucun problème à procéder à la conversion avant qu’une décision définitive ait été rendue sur la demande de contrôle judiciaire.

[54]         Je conclus l’analyse de cette question par une réserve. Ce serait une erreur de permettre qu’une demande de réparation d’ordre financier soit tranchée avant d’avoir déterminé le fondement sous-jacent de la responsabilité — c’est-à-dire, la validité de la décision gouvernementale, ou en l’espèce, du règlement. En effet, c’est cette logique qui régit le déroulement des autres actions. Dans les affaires de contrefaçon de brevets, les questions relatives à la validité et à la contrefaçon du brevet sont examinées avant celle des dommages- intérêts. De la même façon, dans les cas de responsabilité délictuelle, la responsabilité est établie avant que la question des dommages-intérêts soit abordée. Dans les cas comme celui de la présente espèce, bien que tous les éléments de preuve portant sur les deux questions puissent être entendus simultanément, il faut d’abord trancher la question de la légalité avant de répondre à la question de savoir si les membres du groupe ont droit à un remboursement partiel.

Dans un recours collectif intenté sous le régime de la LIPR, la demande d’autorisation doit-elle viser tous les membres du groupe?

[55]         Le juge des requêtes a autorisé un recours collectif à l’égard de tous les frais perçus en application des règlements contestés, même si l’autorisation initiale n’a été accordée qu’à Alan Hinton, en tant que représentant des personnes ayant versé les frais de parrainage de 75 $ exigés en vertu d’un seul règlement. Ce faisant, le juge des requêtes a, selon moi, commis une erreur.

[56]         Le paragraphe 72(1) de la LIPR établit clairement qu’une autorisation doit être obtenue à l’égard de toute mesure :

                72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation. [Non souligné dans l’original.]

[57]         J’estime que le juge des requêtes a commis une erreur en décidant que le groupe devait inclure les personnes qui ont payé des frais prévus par les règlements contestés, qui n’avaient pas été dûment attaqués par une demande d’autorisation présentée en application du paragraphe 72(1) de la LIPR. La demande d’autorisation a été limitée aux intimés, mais il était possible de la « convertir » en recours collectif afin d’englober les personnes touchées par le même règlement, puisque la demande d’autorisation sollicitait un jugement déclaratoire portant que le règlement était invalide parce qu’il contrevenait à la Loi sur la gestion des finances publiques. Cependant, compte tenu du caractère impératif du paragraphe 72(1) de la LIPR, la demande d’autorisation ne peut être interprétée de façon à inclure les contestations visant les autres règlements contestés faites par les autres membres du groupe défini par le juge des requêtes.

[58]         En l’espèce, sans vouloir imposer au juge des requêtes (en tant que juge chargé de la gestion de l’instance), ou aux intimés, la façon de corriger la situation, j’estime qu’il suffirait que les intimés présentent simultanément une demande d’autorisation fondée sur l’article 72 de la LIPR qui viserait les autres membres du groupe, et qu’ils demandent à ce que ces membres puissent faire partie du groupe, tel que modifié par les présents motifs.

Le recours collectif était-il le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace la question de la validité juridique des règlements contestés?

[59]         Dans Caputo v. Imperial Tobacco Ltd. (2005), 74 O.R. (3d) 728 (C.S.J.), au paragraphe 29, le juge Winkler, alors juge de la Cour supérieure, a décrit l’examen visant à déterminer si un recours collectif est le meilleur moyen de trancher les questions communes comme étant [traduction] « de nature largement discrétionnaire ». Je ne suis pas convaincu que le juge des requêtes a commis une erreur de droit, une erreur de principe ou une erreur de fait manifeste et dominante en décidant qu’un recours collectif était un meilleur moyen qu’une demande de contrôle judiciaire.

[60]         Dans le meilleur des cas, l’argument de l’appelant sur cette question indique que certains facteurs pourraient militer contre la décision suivant laquelle le recours collectif était le meilleur moyen. Le juge des requêtes a quant à lui estimé qu’un certain nombre de facteurs permettaient de conclure que le recours collectif était le meilleur moyen, par exemple : 1) le caractère plus simple de l’ordonnance de réparation dans l’éventualité où la demande serait accueillie; 2) le refus de l’appelant de procéder au moyen d’une cause type; 3) la notion voulant qu’une conclusion de fait soit plus facilement déterminée par des interrogatoires préalables et des témoignages de vive voix, possibles seulement dans le cadre d’une action. Les intimés ont également fait remarquer qu’il serait utile que le recours collectif dans son ensemble soit confié à un seul juge chargé de la gestion de l’instance, ajoutant que le recours collectif a pour effet de placer les membres du groupe et l’appelant sur un pied d’égalité.

[61]         L’appelant a attiré l’attention de la Cour sur les commentaires incidents formulés par le juge Gonthier dans l’arrêt Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347, au paragraphe 20 : « il n’est pas nécessaire d’exercer un recours collectif pour obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité et […] il est donc en général peu souhaitable de suivre cette voie. » Cependant, les tribunaux ont parfois rejeté ces commentaires lorsqu’il leur fallait décider si le recours collectif est le meilleur moyen de procéder dans les affaires de droit public : voir, par exemple Nanaimo Immigrant Settlement Society v. British Columbia (2001), 149 B.C.A.C. 26 (C.A.), aux paragraphes 19 à 21.

[62]         Pour ces motifs, je conclus que le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lui permettant de décider que le recours collectif était le meilleur moyen de régler l’affaire. Je ne suis pas convaincu qu’il existe un meilleur moyen d’obtenir un remboursement partiel pour les membres du groupe. Comme l’a laissé entendre le juge des requêtes, au paragraphe 39 de sa décision, les demandes individuelles de contrôle judiciaire ne sont pas possibles en pratique :

                Le ministre n’a pas accepté de procéder au moyen d’une cause type ou d’une prorogation indéterminée du délai pour instruire l’affaire. Avec le temps qui passe, les membres du groupe envisagé qui ne sont pas protégés actuellement seront aux prises avec la prescription de six ans. De plus, sans le recours collectif, la Cour pourrait théoriquement devoir faire face à des millions de demandes de prorogation de délai et de demandes d’autorisation. Peu de membres du groupe envisagé s’en donneraient la peine.

Conclusion

[63]         Pour les motifs susmentionnés, j’accueillerais l’appel en partie dans la mesure où le recours collectif, tel qu’il est actuellement autorisé, est modifié afin qu’il se limite aux personnes visées par la demande d’autorisation. Cependant, cette décision ne porte pas atteinte au droit de M. Hinton ou de toute autre personne de présenter, au nom des personnes touchées par les autres règlements contestés, une demande d’autorisation, conformément à l’article 72 de la LIPR, et une demande en vue de faire partie du groupe visé par le recours déjà autorisé.

[64]         Aucuns dépens ne seront adjugés.

                Le juge Linden, J.C.A. : Je suis d’accord.

                Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

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