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Référence :

Idahosa c. Canada, 2008 CAF 418, [2009] 4 R.C.F. 293

A-567-07

Eghomwanre Jessica Idahosa (appelante)

c.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (intimé)

Répertorié : Idahosa c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Sexton, Evans et Ryer, J.C.A.—Toronto, 8 décembre; Ottawa, 23 décembre 2008.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de réfugiés — Appel de la décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelante à l’encontre du refus d’un agent d’exécution de reporter son renvoi au Nigeria — L’appelante, mère de deux enfants nés au Canada, en a la garde exclusive non contestée depuis leur naissance — Elle a sollicité, avec succès, de la Cour de justice de l’Ontario une ordonnance lui confiant la garde temporaire de ses enfants et interdisant leur sortie de l’Ontario — La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) met en place un régime administratif assez complexe où les conséquences d’une mesure de renvoi sont conciliées avec l’intérêt général qui veut que l’on puisse renvoyer du pays des étrangers se trouvant au Canada en situation irrégulière — Le législateur n’a pas voulu qu’il puisse être sursis à une mesure de renvoi par une ordonnance judiciaire sollicitée d’une cour provinciale dans le but d’empêcher ou de retarder l’exécution de la mesure de renvoi — Bien qu’un poids considérable doive être accordé à l’intérêt supérieur des enfants dans toute décision administrative (notamment l’exécution de mesures de renvoi), cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera nécessairement sur toutes les autres considérations  — Appel rejeté.

Interprétation des lois — Art. 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) — Il s’agissait de savoir si l’art. 50a) de la LIPR surseoit à la mesure de renvoi prise contre l’appelante car ce renvoi irait directement à l’encontre de l’ordonnance confiant à l’appelante la garde temporaire de ses enfants et interdisant leur sortie de l’Ontario — L’appelante a sollicité et obtenu cette ordonnance même si elle a la garde non contestée de ses enfants — Le sens ordinaire et grammatical des mots employés à l’art. 50a) de la LIPR, soit « une décision judiciaire », indique que cette disposition s’applique à l’ordonnance de garde rendue en l’espèce par la Cour de justice de l’Ontario — Cependant, l’interprétation contextuelle de l’art. 50a) de la LIPR n’étayait pas l’allégation selon laquelle le renvoi de l’appelante irait directement à l’encontre de l’ordonnance — Le législateur n’a pas voulu qu’il puisse être sursis à une mesure de renvoi par une ordonnance judiciaire sollicitée d’une cour provinciale dans le but d’empêcher ou de retarder l’exécution de la mesure de renvoi.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Appel de la décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelante à l’encontre du refus d’un agent d’exécution de reporter son renvoi au Nigeria — Le renvoi de l’appelante dans les circonstances de l’espèce n’atteindrait pas un degré d’arbitraire tel qu’il serait contraire aux principes de justice fondamentale étant donné que la question de l’intérêt supérieur de ses enfants a déjà été examinée et qu’il existe d’autres recours.

Il s’agissait d’un appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelante à l’encontre du refus, par un agent d’exécution, de reporter son renvoi au Nigeria. L’appelante est une demandeure d’asile déboutée dont la demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire et l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) ont également été refusés. Elle a deux enfants qui sont nés au Canada et elle en a toujours eu la garde exclusive non contestée. Avant son renvoi prévu, l’appelante a sollicité de la Cour de justice de l’Ontario une ordonnance lui confiant la garde temporaire de ses enfants, nés au Canada, et interdisant leur sortie de l’Ontario sauf autorisation du tribunal; cette ordonnance lui a été accordée. L’appelante soutenait que l’alinéa 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) imposait qu’il soit sursis à la mesure de renvoi prise contre elle car ce renvoi irait directement à l’encontre de l’ordonnance rendue par la Cour de justice de l’Ontario.

La Cour fédérale a certifié la question de savoir si le renvoi d’un parent à qui la garde d’un enfant né au Canada a été accordée par une ordonnance d’un tribunal provincial, qui interdit la sortie de l’enfant de la province, fait l’objet d’un sursis en vertu de l’alinéa 50a) de la LIPR. Cependant, comme la garde des enfants n’était pas contestée en l’espèce, cette question a été délimitée davantage à celle de savoir si le sursis prévu à l’alinéa 50a) s’appliquait à une ordonnance de garde obtenue uniquement dans le but de faire obstacle au renvoi d’un parent dans de telles circonstances.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le sens ordinaire et grammatical des mots employés à l’alinéa 50a) de la LIPR, soit « une décision judiciaire », indique que cette disposition s’applique à l’ordonnance de garde rendue en l’espèce par la Cour de justice de l’Ontario. Toutefois, une interprétation contextuelle de l’alinéa 50a) de la LIPR n’étayait pas l’allégation de l’appelante selon laquelle son renvoi irait directement à l’encontre de l’ordonnance de garde. Il semblerait incompatible avec le devoir que le paragraphe 48(2) de la LIPR (d’appliquer, dès que les circonstances le permettent, une mesure de renvoi) d’interpréter l’alinéa 50a) comme permettant qu’il soit sursis à une mesure de renvoi par une ordonnance judiciaire dont l’objet même était d’empêcher le renvoi en question. La LIPR met en place un régime administratif assez complexe où les conséquences d’une mesure de renvoi sont conciliées avec l’intérêt général qui veut que l’on puisse effectivement renvoyer du pays des étrangers se trouvant au Canada en situation irrégulière. Compte tenu de l’ensemble très complet de mesures instaurées par la LIPR, de l’expertise des cours fédérales en matière de droit de l’immigration et de la compétence exclusive de surveillance que leur a attribuée le législateur, les cours supérieures des provinces choisissent en général de ne pas se prononcer en matière de droit de l’immigration ou de droit des réfugiés, et ce, même dans des affaires relevant de leur compétence. Qui plus est, si l’on considère ensemble la LIPR et la Loi sur les Cours fédérales, on s’aperçoit que l’un des objets importants est d’instaurer un régime législatif complet permettant d’administrer une législation complexe et attribuant le contrôle judiciaire des décisions prises dans le cadre de cette législation à une seule juridiction. En l’absence de litige (controverse ou différend) au sujet d’une question n’ayant rien à voir avec les questions auxquelles s’applique la LIPR, les conflits qu’envisage l’alinéa 50a) ne surviendraient vraisemblablement pas. Par conséquent, il n’y a pas lieu de penser que le législateur aurait voulu qu’il puisse être sursis à une mesure de renvoi par une ordonnance judiciaire sollicitée d’une cour provinciale dans le but d’empêcher ou de retarder l’exécution de la mesure de renvoi.

Le renvoi de l’appelante dans ces circonstances n’atteindrait pas un degré d’arbitraire tel qu’il serait effectivement contraire aux principes de justice fondamentale (tels qu’ils sont garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés) particulièrement étant donné que la question de l’intérêt supérieur de ses enfants a déjà été examinée dans le cadre de ses demandes antérieures en matière d’immigration et qu’elle a le droit de solliciter de la Cour fédérale un sursis de la mesure de renvoi dont elle fait l’objet en attendant le dénouement de sa deuxième demande présentée pour des motifs d’ordre humanitaire.

Bien qu’un poids considérable doive être accordé à l’intérêt supérieur des enfants dans toute décision administrative, y compris celle de savoir s’il y a lieu d’exécuter une mesure de renvoi, cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur toutes les autres considérations. Aucun des instruments internationaux portant sur les droits de l’homme cités par l’appelante n’interdit l’expulsion d’étrangers du simple fait que leur renvoi aurait pour effet de les séparer de leurs enfants.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 6, 7.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)d), f), 25, 48, 50a), 74d).

TRAITÉS ET AUTRES instruments cités

Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. n3.

Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. AG 217 A (III), Doc. NU A/810, à la p. 71 (1948).

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions examinées :

Alexander c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1147, [2006] 2 R.C.F. 681; conf. par 2006 CAF 386; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, (2008), 329 R.N.-B. (2e) 1; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 469 (C.A.) (QL).

décisions citées :

Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (1re inst.) (QL); Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682; Chou v. Chou (2005), 253 D.L.R. (4th) 548, [2005] O.T.C. 256 (C.S.J. Ont.); H. (J.) v. A. (D.) (2008), 89 O.R. (3d) 514, 290 D.L.R. (4th) 732, 51 R.D.F. (6e) 181; conf. par 2009 ONCA 17; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539; Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394; Alexander v. Powell (2005), 13 R.D.F. (6e) 7 (C.J. Ont.); de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76, 46 R.D.F. (5e) 1.

DOCTRINE CITÉE

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.

APPEL de la décision (2007 CF 1200) par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelante à l’encontre du refus d’un agent d’exécution de reporter son renvoi au Nigeria. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Carole Simone Dahan et Aviva Rae Basman pour l’appelante.

Gregory G. George et Bernard Assan pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Refugee Law Office, Toronto, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A. :

A. INTRODUCTION

[1] Il s’agit d’un appel interjeté par Eghomwanre Jessica Idahosa, une citoyenne du Nigeria qui est entrée au Canada en 2001 et a demandé l’asile à titre de réfugiée au sens de la Convention. Sa demande a été rejetée et une ordonnance d’expulsion a été rendue à son encontre. Elle a présenté d’autres demandes en vue d’être autorisée à demeurer au Canada, mais elles ont toutes été rejetées. Son renvoi du Canada était initialement prévu pour le 30 juin 2006, mais, à plusieurs reprises, la date a été reportée ou il a été sursis à l’exécution de la mesure en vertu d’une ordonnance judiciaire. Mme Idahosa se trouve encore au Canada.

[2] La décision en cause en l’espèce est le refus, par un agent d’exécution, de reporter le renvoi au Nigeria de Mme Idahosa, prévu pour le 1er novembre 2006. L’appelante a contesté ce refus devant la Cour fédérale dans une demande de contrôle judiciaire. Elle a fait valoir que l’alinéa 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), impose qu’il soit sursis à la mesure de renvoi, car l’exécution de cette mesure irait directement à l’encontre d’une ordonnance de la Cour de justice de l’Ontario lui accordant la garde exclusive de ses enfants nés au Canada et interdisant que les enfants quittent la province.

[3] Le juge Hughes, de la Cour fédérale, a rejeté la demande de contrôle judiciaire de Mme Idahosa visant la décision de l’agent d’exécution (2007 CF 1200), et certifié, en application du paragraphe 74d) de la LIPR, que l’affaire « soulève une question grave de portée générale », qu’il a formulée en ces termes :

Le renvoi d’un parent à qui la garde d’un enfant né au Canada a été accordée par une ordonnance d’un tribunal provincial fait-il l’objet d’un sursis en vertu de l’alinéa 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés si l’ordonnance interdit le renvoi de l’enfant de la province?

Le fait que l’ordonnance peut être modifiée et que le ministre a eu le droit de présenter des observations concernant cette ordonnance fait-il une différence?

[4] J’estime que la question ainsi certifiée est formulée de manière trop large, car elle tait un des faits importants de l’affaire, à savoir qu’en l’occurrence, la garde des enfants n’est pas contestée et qu’il n’y a aucun risque qu’elle le soit. L’ordonnance de garde interdisant que les enfants quittent la province avait uniquement été sollicitée afin de faire obstacle au renvoi de Mme Idahosa en lui permettant d’obtenir un sursis de la mesure de renvoi au titre de l’alinéa 50a). Il s’agit donc de savoir si ce sursis prévu par la loi peut s’appliquer à une ordonnance de garde obtenue dans de telles circonstances. J’estime que non.

B. DISPOSITION LÉGISLATIVE APPLICABLE

[5] La disposition de la LIPR directement en cause en l’espèce est la suivante :

50. Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants :

a) une décision judiciaire a pour effet direct d’en empêcher l’exécution, le ministre ayant toutefois le droit de présenter ses observations à l’instance;

C. CONTEXTE DE L’AFFAIRE

[6] La demande d’asile présentée par Mme Idahosa a été rejetée en avril 2004 par la Section de l’immigration et de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Sa demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par la Cour fédérale en août 2004.

[7] En novembre 2004, Mme Idahosa a demandé au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de lui accorder, au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, le statut de résident permanent pour des motifs d’ordre humanitaire. À l’époque, et avant le rejet de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (demande CH), elle avait donné naissance, au Canada,  à deux enfants, un fils et une fille nés respectivement en 2002 et en 2004. Elle invoquait, à l’appui de sa demande CH, l’intérêt supérieur des enfants. Cette demande a été rejetée en mai 2006.

[8] Entre-temps, en mars 2006, la question de l’intérêt supérieur des enfants a été à nouveau examinée, cette fois-ci dans le cadre d’une évaluation des risques avant le renvoi (ERAR). L’agent chargé de cet examen (agent d’ERAR) a conclu qu’au Nigeria, ni Mme Idahosa ni ses enfants ne seraient en danger étant donné qu’elle trouverait dans ce pays des possibilités de refuge intérieur. L’agent a notamment rejeté l’argument de Mme Idahosa voulant que sa fille risque au Nigeria de se voir imposer une mutilation génitale, relevant que Mme Idahosa, qui est diplômée en droit, saurait faire le nécessaire pour protéger sa fille.

[9] En août 2006, Mme Idahosa a demandé à un agent d’exécution de reporter son renvoi en attendant que soit tranchée une seconde demande CH. Ce report lui a été refusé étant donné que la demande dont elle faisait état n’avait pas encore été présentée, que la question de l’intérêt supérieur des enfants avait déjà été examinée dans le cadre de sa première demande CH et de l’ERAR, et que les preuves qu’elle invoquait à l’appui de sa demande de report avaient déjà été présentées à l’agent chargé d’examiner sa demande CH et à l’agent d’ERAR. Le 1er décembre 2006, Mme Idahosa a présenté une seconde demande CH, demande qui, selon les indications fournies à la Cour, ne sera vraisemblablement pas tranchée avant huit mois, c’est-à-dire vers le milieu de 2009.

[10] Une semaine seulement avant son renvoi du Canada, fixé au 1er novembre 2006, Mme Idahosa a sollicité de la Cour de justice de l’Ontario une ordonnance lui confiant la garde temporaire de ses enfants, nés au Canada, et interdisant leur sortie de l’Ontario sauf autorisation du tribunal. Depuis leur naissance, ces enfants n’ont jamais relevé de la garde et du contrôle d’une personne autre que Mme Idahosa. Leurs pères se trouvent apparemment au Nigeria et il semble qu’ils ne s’occupent aucunement d’eux. Le ministre a été avisé de cette demande et son représentant s’est présenté devant la cour provinciale pour préciser que le ministre ne s’opposait aucunement à une telle ordonnance à la condition que la Cour ne se prononce pas sur le statut de Mme Idahosa au regard de l’immigration.

[11] Le juge a entendu la cause ex parte en procédure d’urgence. Par ordonnance en date du 24 octobre 2006, il a accordé à Mme Idahosa la garde temporaire des enfants et interdit leur sortie de l’Ontario, précisant que la Cour ne se prononçait aucunement sur le statut de Mme Idahosa au regard de l’immigration.

[12] Munie de cette ordonnance de garde, Mme Idahosa a néanmoins fait valoir devant un agent d’exécution que l’alinéa 50a) imposait qu’il soit sursis à la mesure de renvoi car ce renvoi irait directement à l’encontre de l’ordonnance. Par décision en date du 25 octobre 2006, l’agent a écarté cet argument, concluant que le renvoi n’irait pas directement à l’encontre de l’ordonnance de garde étant donné que cette ordonnance n’exigeait aucunement que Mme Idahosa vive avec ses enfants.

[13] Mme Idahosa a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’exécution. La Cour a ordonné qu’il soit sursis au renvoi en attendant que la Cour d’appel fédérale se prononce sur une affaire soulevant la même question. En l’occurrence, la Cour a rejeté l’appel, le jugeant sans objet : la décision Alexander c. Canada (Solliciteur général), 2006 CF 1147, [2006] 2 R.C.F. 681; conf. par 2006 CAF 386 (Alexander). Le renvoi de Mme Idahosa a, à nouveau, fait l’objet d’un sursis prononcé par un juge de la Cour fédérale en attendant que soit tranchée sa demande de contrôle judiciaire.

D. DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[14] Le juge Hughes a estimé que le renvoi de Mme Idahosa, sans ses enfants, n’irait pas directement à l’encontre de l’ordonnance de garde prononcée par la Cour de l’Ontario étant donné que cette ordonnance n’imposait pas qu’elle demeure à leurs côtés. En outre, si elle souhaitait emmener ses enfants avec elle au Nigeria, elle pouvait demander à la Cour de modifier le passage de l’ordonnance interdisant de les faire sortir de la province. En concluant de la sorte, le juge s’en est tenu à la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Alexander, jurisprudence dont la Cour fédérale n’a jamais dévié.

[15] Le juge Hughes a également écarté les arguments voulant que le renvoi de Mme Idahosa porterait atteinte aux droits que l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] garantit à Mme Idahosa et à ses enfants et entraînerait une violation des obligations internationales incombant au Canada en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant, [20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3] de la Déclaration universelle des droits de l’homme [Rés. AG 217 A (III), Doc. NU A/810, à la p. 71 (1948)] et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques [16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47].

E. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

Question 1 : L’alinéa 50a) de la LIPR impose-t-il qu’il soit sursis à la mesure de renvoi visant Mme Idahosa en raison de l’ordonnance de garde prononcée par la cour provinciale?

i) La norme de contrôle

[16] La seule question à trancher en l’espèce concerne l’interprétation de l’alinéa 50a) de la LIPR, soit une question de droit. Bien que l’alinéa 50a) figure dans la « loi constitutive » de l’agent d’exécution, les agents d’exécution ont uniquement pour mission de fixer les dates de renvoi et de procéder aux arrangements administratifs nécessaires. En matière de report d’une date de renvoi, le pouvoir discrétionnaire de ces agents est mince : voir, par exemple, la décision Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (1re inst.) (QL); la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682.

[17] Étant donné qu’en matière d’administration de la LIPR, les agents d’exécution n’exercent qu’un rôle décisionnel restreint et subsidiaire, il ne leur appartient pas de dire si l’alinéa 50a) s’applique effectivement à l’ordonnance judiciaire en question. L’avocate de Mme Idahosa invoque, à l’appui de son interprétation de l’alinéa 50a), la Charte canadienne des droits et libertés et divers textes de droit international. Cela confirme que les questions de droit soulevées en l’espèce se situent hors du champ d’expertise de l’agent et qu’il n’y a pas lieu, par conséquent, de s’en remettre à son interprétation de l’alinéa 50a).

[18] Enfin, l’alinéa 50a) limite les circonstances dans lesquelles il peut être, en vertu d’une ordonnance d’un tribunal judiciaire d’un autre ressort, sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi prononcée en vertu de la LIPR. On peut, à cet égard, se référer à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 61 (Dunsmuir), où la Cour a dit que la norme de contrôle applicable à l’interprétation qu’un tribunal spécialisé donne d’une disposition de sa loi habilitante délimitant les compétences respectives de deux tribunaux spécialisés concurrents est la norme de la décision correcte.

[19] Cela suffit à réfuter la présomption posée au paragraphe 54 de l’arrêt Dunsmuir, présomption voulant que l’interprétation, par un décideur administratif, d’une disposition de la loi qui le constitue relève normalement de la norme de la raisonnabilité. Par conséquent, en ce qui concerne les questions de droit en cause en l’espèce, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

ii) La position de l’appelante

[20] Le principal argument avancé par Mme Idahosa attire par sa simplicité. Elle affirme que les droits se rattachant de manière inhérente à la garde exclusive comprennent le droit à la garde physique et au contrôle des enfants : l’arrêt Chou v. Chou (2005), 253 D.L.R. (4th) 548 (C.S.J. Ont.) (Chou). Par conséquent, l’ordonnance lui accordant la garde exclusive des enfants lui conférerait le droit et lui imposerait la responsabilité de s’occuper de ses enfants au jour le jour. Or, son renvoi empêchera cela si ses enfants restent au Canada. Il y a, en effet, dans l’ordonnance de garde une disposition qui lui interdit d’emmener ses enfants avec elle. Mme Idahosa soutient que l’alinéa 50a) impose le sursis de la mesure de renvoi puisque l’exécution de cette mesure irait directement à l’encontre de l’ordonnance de garde.

[21] Elle fait valoir que la décision Alexander est erronée. La juge des requêtes dans cette affaire, la juge Dawson, a erronément conclu (au paragraphe 41) que :

Par conséquent, la garde de l’enfant permet au parent gardien de contrôler le lieu de résidence de l’enfant, mais ne prescrit pas nécessairement sa cohabitation avec l’enfant.

D’après l’avocate de l’appelante, la juge Dawson n’a pas tenu compte du fait que, selon le paragraphe 21 de la décision Chou, la garde comprend non seulement le droit de contrôler le lieu de résidence de l’enfant, mais également [traduction] « le droit à la garde physique et au contrôle de l’enfant ».

[22] L’avocate de l’appelante soutient que les ordonnances de garde telles que celle dont il est question en l’occurrence comblent une « lacune » de la LIPR en assurant qu’un parent ne sera pas renvoyé du Canada avant que soit tranchée une demande CH et que l’intérêt supérieur des enfants concernés soit dûment examiné. Or, on constate qu’il faut parfois plusieurs années avant que ne soit tranchée une demande CH. En attentant, une ordonnance de garde a pour effet de maintenir le statu quo en attendant que soit tranchée la demande CH, car c’est lors de l’examen d’une telle demande que peuvent être conciliés des intérêts concurrents, dont l’intérêt supérieur des enfants concernés.

iii) La réponse du ministre

[23] Le principal argument invoqué en réponse par l’avocat du ministre n’est pas moins valable. D’après lui, le renvoi de Mme Idahosa n’irait pas « directement à l’encontre » de l’ordonnance de garde, étant donné que celle-ci n’exige aucunement que Mme Idahosa assure personnellement le soin et la garde de ses enfants. Si elle décide de ne pas emmener ses enfants avec elle, la séparation sera conforme à ce qu’elle aura jugé être dans leur intérêt.

[24] Il fait valoir, de manière plus générale, qu’il serait contraire à l’économie de la LIPR de retenir l’argument de Mme Idahosa et de rendre l’alinéa 50a) applicable à des ordonnances de garde qui, en l’absence de tout différend relevant du droit de la famille, ont été obtenues simplement pour qu’il soit sursis au renvoi d’une personne visée par une mesure d’expulsion. Selon lui, l’opportunité d’ordonnances de garde et de non-sortie prononcées dans de telles circonstances est controversée (voir H. (J.) c. A. (D.) (2008), 89 O.R. (3d) 514 (C.S.J. Ont.)) et il relève que la question fait par ailleurs l’objet d’un appel sur lequel la Cour d’appel de l’Ontario doit statuer le mois prochain. [L’appel a depuis lors été rejeté. Les motifs du jugement sont publiés dans 2009 ONCA 17, 77 Imm. L.R. (3d) 123.]

[25] D’ailleurs, par ses termes mêmes, l’ordonnance de garde en question semble reconnaître ne pas avoir l’effet que Mme Idahosa lui prête. En réponse à la préoccupation manifestée par le représentant du ministre, le juge avait précisé, sur la requête même, que la Cour [traduction] « ne se prononcera aucunement » sur le statut de Mme Idahosa au regard de l’immigration.

[26] L’avocat du ministre soutient que la LIPR instaure, pour l’exécution de ses dispositions, un régime complet, et prévoit notamment, en son paragraphe 48(2), que les mesures de renvoi doivent être appliquées dès que les circonstances le permettent. De plus, l’article 25 confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire, susceptible de révision dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, en vertu duquel il peut, pour des motifs d’ordre humanitaire, autoriser à rester au Canada un étranger qui ne se conforme pas par ailleurs à la LIPR. C’est à la Cour fédérale qu’il appartient de dire s’il y a lieu de surseoir à l’exécution d’une mesure d’expulsion en attendant qu’il soit statué sur une demande CH.

[27] Selon l’avocat, si l’on interprète l’alinéa 50a) comme étant applicable à l’ordonnance de garde en question, on créera, ce qui n’est pas souhaitable, un système décisionnel parallèle, au sein des cours provinciales, auquel on pourra recourir chaque fois qu’une mesure d’expulsion est susceptible d’affecter des enfants. Cela aura pour effet d’encourager les gens à se mettre à la recherche des juridictions les plus accommodantes afin de faire reporter l’exécution des mesures de renvoi. Cela permettrait à une cour provinciale, qui n’a pas, et qui ne revendique pas de compétence en matière d’expulsion, d’empêcher ou de retarder, par ordonnance, l’exécution d’une mesure de renvoi.

iv) L’interprétation de l’alinéa 50a)

[28] Même si elle est bien connue, l’approche que les tribunaux retiennent actuellement en matière d’interprétation des lois mérite d’être rappelée. Sa formulation la plus mémorable se trouve dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, où, au paragraphe 21, le juge Iacobucci cite l’extrait suivant tiré de l’ouvrage d’Elmer Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983 :

[traduction] […] il faut lire les termes d’une Loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

La Cour suprême a, par la suite, précisé encore sa position en disant que les cours devraient interpréter les lois en tenant compte de l’ensemble de l’objet, du texte et du contexte de la disposition en cause : voir, par exemple, l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 8. Gardant ces principes à l’esprit, je passe maintenant à l’interprétation de l’alinéa 50a).

a) La disposition législative

[29] Le sens ordinaire et grammatical des mots employés à l’alinéa 50a), « une décision judiciaire », indique que cette disposition s’applique à l’ordonnance de garde rendue en l’espèce par la Cour de justice de l’Ontario.

[30] Le renvoi de Mme Idahosa irait peut-être « directement à l’encontre » de l’ordonnance de garde si l’interprétation correcte de cette ordonnance imposait effectivement que les enfants demeurent sous la garde physique et le contrôle de leur mère et interdisait à celle-ci de les faire sortir de la province. Toutefois, le fait que le juge de la cour provinciale ait précisé qu’il n’entendait aucunement se prononcer sur le statut de Mme Idahosa au regard de l’immigration permet d’en douter. Quoi qu’il en soit, les motifs pour lesquels je trancherais le présent appel ne m’obligent pas à décider si le renvoi d’un parent sans ses enfants irait « directement à l’encontre » des termes de l’ordonnance de garde, que cette ordonnance prévoie ou non que les enfants doivent demeurer sous la garde physique et le contrôle du parent faisant l’objet de la mesure de renvoi. Cela dit, si Mme Idahosa souhaite emmener avec elle ses enfants, elle devra vraisemblablement demander à la Cour de justice de l’Ontario de modifier l’ordonnance interdisant à ses enfants de sortir de la province, ordonnance qu’elle a elle-même sollicitée dans le but de retarder son propre renvoi.

b) Le contexte législatif

[31] Une interprétation littérale et abstraite de l’alinéa 50a) semblerait, certes, confirmer l’argument qu’en tire Mme Idahosa, mais une interprétation contextuelle de la disposition porte à une conclusion contraire, et cela pour quatre raisons au moins.

[32] D’abord, il semblerait incompatible avec le devoir que le paragraphe 48(2) impose au ministre d’appliquer, dès que les circonstances le permettent, une mesure de renvoi, d’interpréter l’alinéa 50a) comme permettant qu’il soit sursis à une mesure de renvoi par une ordonnance judiciaire dont l’objet même était d’empêcher le renvoi en question.

[33] Deuxièmement, la LIPR met en place un régime administratif assez complexe où les conséquences d’une mesure de renvoi, notamment son effet sur les enfants, et les risques ou difficultés auxquels ceux-ci pourraient être exposés, sont conciliés avec l’intérêt général qui veut que l’on puisse effectivement renvoyer du pays des étrangers se trouvant au Canada en situation irrégulière. S’agissant de Mme Idahosa, les services de l’immigration ont, depuis le rejet de sa demande d’asile, déjà examiné deux fois ces facteurs, dans sa première demande CH et dans l’ERAR, où le risque de mutilation génitale des femmes a été pris en considération.

[34] Troisièmement, Mme Idahosa pouvait demander par requête à la Cour fédérale de surseoir à la mesure de renvoi en attendant que soit tranchée sa deuxième demande CH, ce qui est la voie qu’elle aurait dû suivre au lieu de solliciter de la Cour de justice de l’Ontario une ordonnance de garde. La Cour fédérale aurait alors décidé s’il y avait effectivement lieu de prononcer le sursis en attendant que soit tranchée sa demande CH sur le fondement des critères habituels de sursis, à savoir l’existence d’une cause défendable, le risque de préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients.

[35] Quatrièmement, l’ordonnance de garde rendue dans la présente affaire était définitive. Il ne s’agissait pas d’une simple ordonnance provisoire en attendant que soit tranchée la demande CH présentée par Mme Idahosa. L’avocate a avancé que si cette demande CH était rejetée, le ministre pourrait demander à la Cour provinciale de révoquer l’ordonnance de garde afin que Mme Idahosa puisse effectivement être renvoyée et qu’elle puisse emmener avec elle ses enfants si elle estime que leur intérêt l’exige. Mais pourquoi le ministre devrait-il être obligé d’effectuer une telle démarche? Et d’ailleurs, quelle garantie y a-t-il que la Cour de justice de l’Ontario ferait effectivement droit à la demande du ministre en révoquant l’ordonnance dans l’hypothèse où elle demeurerait convaincue que l’intérêt supérieur des enfants de Mme Idahosa exige que leur mère puisse continuer à s’occuper d’eux au Canada?

[36] Afin d’éviter ce genre de conflits, et compte tenu de l’ensemble très complet de mesures instaurées par la LIPR, de l’expertise des Cours fédérales en matière de droit de l’immigration et de la compétence exclusive de surveillance que leur a attribuée le législateur, les cours supérieures des provinces choisissent en général de ne pas se prononcer en matière de droit de l’immigration ou de droit des réfugiés, et ce, même dans des affaires relevant de leur compétence (voir, par exemple, l’arrêt Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394).

[37] La mention portée sur la requête par le juge en l’espèce, précisant que l’ordonnance de garde n’entendait aucunement se prononcer sur le statut de Mme Idahosa au regard de l’immigration, est formellement exacte, étant donné que la cour provinciale n’a aucune compétence en matière d’expulsion d’un étranger. Toutefois, si l’ordonnance de garde permet, au moyen de l’alinéa 50a), de surseoir au renvoi de Mme Idahosa, la Cour de justice de l’Ontario se sera en fait immiscée dans l’administration de la LIPR en gênant le ministre dans l’accomplissement du devoir que lui impose la Loi d’exécuter les mesures de renvoi dans les meilleurs délais.

[38] Ainsi que l’a fait valoir l’avocat du ministre, si l’argument avancé par Mme Idahosa était retenu par la Cour, on verrait rapidement, en matière d’immigration, s’instaurer au sein des cours provinciales un système décisionnel parallèle auquel il pourrait être recouru chaque fois que l’exécution d’une mesure d’expulsion est susceptible d’affecter des enfants.

[39] Je considère qu’il serait manifestement contraire à l’économie de la LIPR d’interpréter l’alinéa 50a) comme permettant à des étrangers de faire reporter leur renvoi en obtenant d’une cour provinciale une ordonnance de garde sur le fondement de l’intérêt supérieur des enfants lorsque la garde de ceux-ci n’est aucunement contestée. Il n’y a, dans la LIPR, aucune « lacune » qu’il y aurait lieu de combler à l’aide d’une ordonnance de garde.

c) Les objets de la Loi

[40] La LIPR contient une longue liste des objets poursuivis en matière d’immigration, dont celui de veiller à la réunification des familles au Canada prévu à l’alinéa 3(1)d). Selon l’avocate de Mme Idahosa, on contribuerait à cet objet en interprétant l’alinéa 50a) comme imposant qu’il soit sursis à son renvoi en raison de l’ordonnance de garde, permettant ainsi aux membres de la famille de rester ensemble.

[41] Mais la LIPR a d’autres objets, dont le renvoi, dans les meilleurs délais, d’étrangers visés par une mesure d’expulsion, énoncé au paragraphe 48(2). Ajoutons que si l’on considère ensemble la LIPR et la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], on s’aperçoit que l’un des objets importants est d’instaurer un régime législatif complet permettant d’administrer une législation complexe et attribuant le contrôle judiciaire des décisions prises dans le cadre de cette législation à une seule juridiction.

[42] Cela dit, le paragraphe 48(1) pose une limite à l’obligation faite au ministre d’exécuter les mesures de renvoi dans les meilleurs délais en reconnaissant la possibilité qu’il soit sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. Selon l’avocate de Mme Idahosa, en adoptant l’alinéa 50a), le législateur savait qu’il pourrait y avoir conflit entre une politique d’exécution rapide des mesures de renvoi et des ordonnances judiciaires dont l’exécution irait directement à l’encontre à la mesure de renvoi. D’après elle, le législateur a résolu ces conflits éventuels en accordant la préséance aux ordonnances judiciaires.

[43] Cela est vrai d’une manière générale. Mais, en l’espèce, il s’agit de savoir si le législateur entendait effectivement accorder la préséance à des ordonnances de garde, rendues sans aucun doute dans l’intérêt supérieur des enfants d’un parent ayant fait l’objet d’une mesure de renvoi, mais obtenues uniquement afin de faire reporter le renvoi du parent et non pas de régler un différend familial au sujet de la garde : voir la décision Alexander v. Powell (2005), 13 R.D.F. (6e) 7 (C.J. Ont.), au paragraphe 24. En l’absence de litige au sujet d’une question n’ayant rien à voir avec les questions auxquelles s’applique la LIPR, les conflits qu’envisage l’alinéa 50a) ne surviendraient vraisemblablement pas.

[44] À mon avis, les buts précis visés par l’alinéa 50a) et les objets plus généraux de la LIPR portent plutôt à retenir l’interprétation plus restrictive proposée par le ministre.

d) L’article 7 de la Charte

[45] Mme Idahosa ne conteste pas la validité constitutionnelle de l’alinéa 50a), mais fait valoir qu’il y a lieu d’interpréter cette disposition et de l’appliquer d’une manière conforme à la Charte, comme l’indique l’alinéa 3(3)d) de la LIPR.

[46] L’avocate fait valoir que les droits garantis par l’article 7 comprennent le droit des parents et des enfants de ne pas être séparés du fait d’une mesure prise par l’État. Selon elle, en interprétant l’alinéa 50a) comme imposant qu’il soit sursis au renvoi du Canada d’une mère qui s’est vu accorder la garde exclusive de ses enfants nés au Canada, on respectera les droits que l’article 7 garantit à la mère et à ses enfants. Je ne suis pas de cet avis.

[47] Premièrement, l’article 7 protège les personnes en garantissant leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne et en prévoyant qu’il ne peut être porté atteinte à ces droits qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Dans son mémoire des faits et du droit, l’avocate de l’appelante n’indique pas en quoi l’alinéa 50a) est contraire aux principes de justice fondamentale. Dans sa plaidoirie, elle a soutenu que le renvoi de Mme Idahosa avant que soit tranchée sa deuxième demande CH constituait une violation des principes de justice fondamentale. Je ne considère pas, pour ma part, que le renvoi de Mme Idahosa dans ces circonstances atteindrait un degré d’arbitraire tel qu’il serait effectivement contraire aux principes de justice fondamentale. Cela me paraît particulièrement vrai étant donné que la question de l’intérêt supérieur de ses enfants a déjà été examinée dans le cadre de la première demande CH ainsi que lors de l’ERAR, et que Mme Idahosa a le droit de solliciter de la Cour fédérale un sursis de la mesure de renvoi dont elle fait l’objet, droit qu’elle n’a pas encore exercé.

[48] Deuxièmement, l’avocate n’a pu citer aucun précédent où un tribunal aurait jugé que l’article 7 de la Charte a pour effet d’invalider le renvoi d’un étranger qui n’est pas en mesure d’établir que son renvoi dans tel ou tel pays l’exposera à un préjudice grave. L’absence de jurisprudence sur ce point s’explique sans doute en partie par l’article 6 de la Charte, aux termes duquel le droit constitutionnel d’entrer ou de sortir du Canada n’est garanti qu’aux citoyens canadiens.

[49] Troisièmement, dans l’arrêt Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 469 (C.A.) (QL), la Cour a jugé que l’expulsion des parents d’enfants nés au Canada ne portait atteinte ni aux droits de l’article 7 garantis aux parents, ni à ceux des enfants. La Cour a en effet fait remarquer que si les enfants sont séparés des parents, c’est simplement parce que les parents ont décidé de ne pas les emmener avec eux lors de leur renvoi du Canada. En l’espèce, si Mme Idahosa décide d’emmener ses enfants avec elle, elle peut demander à la Cour de justice de l’Ontario de révoquer l’ordonnance interdisant la sortie des enfants de la province, ordonnance qu’elle a elle-même sollicitée. La Cour devra alors décider si l’intérêt supérieur des enfants est qu’ils accompagnent leur mère ou qu’ils restent au Canada.

[50] Si tant est que la formulation de l’alinéa 50a) puisse paraître quelque peu ambiguë, j’estime que l’article 7 ne confirme guère l’interprétation qu’en donne Mme Idahosa.

e) Le droit international

[51] Selon l’avocate de Mme Idahosa, l’alinéa 3(3)f) de la LIPR exige que cette loi soit interprétée et appliquée de manière conforme aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire, et que seule une disposition formulée de manière parfaitement explicite pourrait justifier une interprétation de nature à porter atteinte aux obligations incombant au Canada en vertu du droit international : voir l’arrêt de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FCA 436, [2006] 3 R.C.F. 655, aux paragraphes 71 à 89.

[52] Comme l’alinéa 50a) n’est pas formulé ainsi, l’avocate fait valoir que cette disposition doit être interprétée d’une manière conforme aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme protégeant notamment l’intérêt supérieur des enfants et la relation entre parent et enfant. D’après elle, cela veut dire que l’alinéa 50a) doit être interprété comme imposant qu’il soit sursis au renvoi de Mme Idahosa, dont l’exécution serait contraire à l’ordonnance de garde. Ce n’est pas mon avis.

[53] Premièrement, aucun des instruments internationaux portant sur les droits de l’homme cités par Mme Idahosa n’interdit l’expulsion d’étrangers du simple fait que leur renvoi aurait pour effet de les séparer de leurs enfants.

[54] Deuxièmement, seul un examen global de la loi en cause permet de dire si l’une de ses dispositions est effectivement contraire aux obligations incombant au Canada en vertu du droit international. La LIPR offre plusieurs occasions de prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants de personnes visées par une mesure d’expulsion. La question de l’intérêt des enfants de Mme Idahosa a été examinée par l’agent qui s’est prononcé sur sa demande CH ainsi que dans l’ERAR. Dans toute décision administrative, un poids considérable doit être accordé à l’intérêt supérieur des enfants, mais cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur toutes les autres considérations : voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75; l’arrêt Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 10. Le rejet de la demande CH de Mme Idahosa n’est pas en cause dans le présent appel.

[55] Il est loisible à Mme Idahosa de solliciter de la Cour fédérale le sursis de son renvoi en attendant que soit tranchée sa seconde demande CH. Selon moi, les instruments internationaux invoqués par Mme Idahosa ne permettent pas de dire que l’ordonnance de garde qu’elle a obtenue afin de faire obstacle à son renvoi lui confère un droit automatique au sursis de la mesure de renvoi en attendant que soit tranchée sa deuxième demande CH.

f) Conclusions

[56] Après avoir examiné le texte de l’alinéa 50a) dans le contexte du régime créé par la LIPR, et compte tenu des objets de cette loi, j’estime qu’il n’y a pas lieu de penser que le législateur a voulu qu’il puisse être sursis à une mesure de renvoi par une ordonnance judiciaire sollicitée d’une cour provinciale dans le but d’empêcher ou de retarder l’exécution de la mesure de renvoi.

[57] Dans la présente affaire, il n’y a aucun différend au sujet de la garde des enfants et la question de leur intérêt supérieur a été examinée par la cour provinciale dans le contexte du renvoi imminent de leur mère. La LIPR prévoit amplement la prise en compte de l’intérêt des enfants par les services de l’immigration en tant que facteur important, mais pas nécessairement décisif, lorsqu’il s’agit de décider si, vu l’ensemble des circonstances, il y a effectivement lieu d’exécuter la mesure de renvoi.

F. CONCLUSIONS 

[58] Les questions certifiées étaient les suivantes :

a) Le renvoi d’un parent à qui la garde d’un enfant né au Canada a été accordée par une ordonnance d’un tribunal provincial fait-il l’objet d’un sursis en vertu de l’alinéa 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés si l’ordonnance interdit le renvoi de l’enfant de la province?

b) Le fait que l’ordonnance peut être modifiée et que le ministre a eu le droit de présenter des observations concernant cette ordonnance fait-il une différence?

[59] Selon moi, il convient d’y répondre comme suit :

a) L’alinéa 50a) ne s’applique pas à l’ordonnance d’une cour provinciale qui accorde à un parent la garde de ses enfants nés au Canada afin de retarder ou d’empêcher l’exécution d’une mesure de renvoi visant le parent, en l’absence de litige sans lien avec le renvoi concernant la garde des enfants.

b) Vu les faits de la cause, non.

[60] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel.

Le juge Sexton, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Ryer, J.C.A. : Je suis d’accord.

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