Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2011] 2 R.C.F. 480

IMM-1351-09

2010 CF 234

Luis Felipe Gonzalez Torres (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Gonzalez Torres c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Zinn—Toronto, 17 février; Ottawa, 1er mars 2010.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Personnes à protéger — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens des art. 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Le demandeur, un citoyen du Mexique, avait refusé une proposition d’un individu en vue de blanchir de l’argent de la drogue — Le demandeur a par la suite été agressé par des personnes qui étaient associées à cet individu — La SPR avait conclu qu’il y avait une protection de l’État et des possibilités de refuge intérieur (PRI) — Il s’agissait de savoir si le demandeur avait réfuté la présomption de la protection de l’État et l’existence d’une PRI — La SPR n’avait fait qu’une analyse minimale du profil des agresseurs du demandeur, des allégations de corruption et de la criminalité — La conclusion de la SPR portant que les autorités avaient pris les plaintes du demandeur au sérieux était déraisonnable — La SPR avait omis d’analyser convenablement la protection de l’État dans le contexte de l’espèce — Il ne suffit pas de citer simplement des mécanismes de protection de rechange sans analyser la preuve qui dénote que ces institutions sont inefficaces — La SPR doit se demander si, dans la situation particulière d’un demandeur donné, ces mécanismes seraient raisonnablement efficaces — S’agissant de l’existence de PRI, la SPR n’avait pas tenu compte du profil de l’agent de persécution — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Le demandeur, un citoyen du Mexique et propriétaire d’une entreprise, avait reçu une proposition de Rafael Armendariz Blazquez en vue d’utiliser son entreprise pour blanchir de l’argent de la drogue. Après que le demandeur a refusé, il a été agressé par des personnes qui étaient censément associées à cet individu. Lorsque le demandeur a porté plainte auprès de la police, les policiers lui ont dit qu’il n’y aurait pas de suite à cause du profil influent de ses agresseurs. Le demandeur a été agressé à quelques autres reprises, mais les autres plaintes à la police sont restées sans suite. Enfin, le demandeur avait porté plainte auprès des autorités fédérales avant de quitter le Mexique. La SPR a conclu qu’il n’y avait pas de lien entre les incidents allégués et l’un des motifs énoncés dans la Convention. De même, la SPR a conclu entre autres que le demandeur n’avait pas pris de mesures adéquates pour donner suite aux plaintes qu’il avait déposées auprès de la police et que la police avait fait enquête sur ces plaintes. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante. S’agissant de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI), la SPR a décidé qu’une protection de l’État existait dans deux villes mexicaines, et que le demandeur ne pourrait pas être retrouvé facilement malgré la fonction de M. Armendariz.

Il s’agissait de savoir si le demandeur avait réfuté la présomption de protection de l’État et l’existence d’une PRI.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Bien que la SPR ait examiné en détail les incidents d’abus, elle n’a fait qu’une analyse minimale du profil des agresseurs du demandeur. Il n’y a pas eu d’analyse de fond sur les allégations du demandeur selon lesquelles M. Armendariz entretenait des liens avec le crime organisé, sur la question de savoir s’il avait des liens politiques ou s’il avait des contacts dans la police. Il n’était pas raisonnable de la part de la SPR de conclure que les autorités avaient pris les plaintes du demandeur au sérieux à cause du nombre de fois que la police a interrogé le demandeur, quand leur réaction a été d’essayer de le convaincre de laisser tomber ses plaintes. La SPR n’a pas expliqué pourquoi les autorités tenteraient de dissuader le demandeur de poursuivre ses plaintes plus avant. La déclaration de la SPR selon laquelle il est invraisemblable que la police n’ait pas pris de mesures contre les agresseurs du demandeur ne serait raisonnable que si le profil de l’agent de persécution était celui d’un simple citoyen du Mexique et elle renforce la conclusion selon laquelle la SPR a omis d’analyser convenablement la protection de l’État dans le contexte de l’espèce. Il ne suffit pas que la SPR cite simplement des mécanismes de protection de rechange dont disposerait le demandeur, notamment la Commission nationale des droits de l’homme, sans analyser la preuve qui dénote que ces institutions sont inefficaces elles aussi. Si la preuve indique que ces mécanismes de rechange sont généralement efficaces, la SPR doit alors se demander si, dans la situation particulière d’un demandeur donné, ces mécanismes seraient raisonnablement efficaces. Enfin, la SPR n’avait pas justifié sa conclusion portant que M. Armendariz n’aurait pas eu le bras assez long dans tout le pays pour pouvoir suivre le demandeur jusqu’à l’une ou l’autre des PRI proposées. Elle n’a pas examiné les PRI en tenant compte du profil de l’agent de persécution.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 96, 97.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions examinées :

Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Perez Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119; Ortega c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1057.

décisions citées :

Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.); Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.); Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, [2007] 4 R.C.F. 385.

DOCTRINE CITÉE

« Mexico’s National Human Rights Commission : A Critical Assessment » (2008), 20 Human Rights Watch no 1(B), en ligne : <http://www.hrw.org/en/reports/2008/02/12/mexico-s-national-human-rights-commission-0>.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision (X (Re), 2009 CanLII 87994 (C.I.S.R.)) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Douglas Lehrer pour le demandeur.

Kevin Doyle pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Cohen, Neil, Barrister & Solicitor, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Zinn : Le demandeur demande à la Cour de contrôler et d’infirmer une décision [X (Re), 2009 CanLII 87994] par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission) a conclu qu’il n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Les questions déterminantes étaient celles de savoir si le demandeur avait réfuté la présomption de protection de l’État et l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI).

[2]        Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie.

LE CONTEXTE

[3]        Le demandeur, M. Torres, est citoyen du Mexique. Il était propriétaire de trois magasins de vêtements à San Luis Potosi, et avait fait l’acquisition du premier en décembre 2002. Peu après cet achat, il a rencontré Robert Rios, qui est devenu son principal fournisseur de marchandises. Après l’achat de son deuxième magasin en avril 2003, M. Torres a pris la décision de s’approvisionner directement auprès de fournisseurs situés aux États-Unis, plutôt que de le faire par l’entremise de M. Rios. Il dit que cela a mis ce dernier en colère, et qu’il lui a envoyé ses gardes du corps pour le harceler et l’intimider.

[4]        À l’époque où il faisait affaire avec M. Rios, M. Torres a été présenté au beau-père de ce dernier, Rafael Armendariz Blazquez. M. Torres dit que, en novembre 2003, M. Armendariz lui a proposé de se servir de ses magasins pour blanchir de l’argent de la drogue. En fait, il lui a offert de l’argent pour agrandir son entreprise à un taux d’intérêt de 5 p. 100, un taux, a déclaré M. Torres, qui était deux ou trois fois inférieur à celui qu’il aurait pu obtenir d’un prêteur légitime. M. Torres a refusé l’offre. Il déclare qu’à cause de son refus il a été agressé le 15 novembre 2003 par des gardes du corps de M. Rios et de M. Armendariz, qui se sont servis de gaz poivré et d’un démonte-pneu. L’agression a été si grave qu’il a perdu connaissance, qu’il a subi des dommages oculaires permanents, qu’il a dû subir une intervention chirurgicale pour reconstruire son épaule et qu’il a été hospitalisé pendant quatre jours. Il a produit des documents corroborant les lésions subies.

[5]        Le 16 novembre 2003, des agents du Ministère public lui ont rendu visite à l’hôpital pour prendre sa déposition. M. Torres dit que quand il a accusé MM. Rios et Armendariz d’être responsables de l’agression, les agents lui ont dit que sa plainte n’irait nulle part à cause du profil influent de ses présumés agresseurs. Il a été interrogé par la police à sa sortie de l’hôpital, et on lui a de nouveau dit que sa plainte n’aurait pas de suite.

[6]        Après l’agression du 15 novembre 2003, M. Rios et M. Armendariz ont continué de harceler M. Torres. Ce dernier allègue qu’à une occasion des coups de feu ont été tirés en direction de la maison où il vivait en compagnie de son épouse et de son enfant. Il ajoute qu’il n’a pas été témoin de l’incident et qu’il n’est pas sûr de ceux qui en étaient les auteurs, mais, soupçonnant qu’il s’agissait d’agents de M. Armendariz, il n’a pas signalé l’incident à la police.

[7]        Le 20 mars 2005, une autre agression a eu lieu. M. Torres déclare qu’il était au volant de son véhicule, en compagnie de son épouse et de son enfant, quand ils ont été interceptés par M. Armendariz et deux de ses gardes du corps. Il déclare que des coups de feu ont été tirés en direction de son véhicule; il a perdu la maîtrise de ce dernier, et il a capoté. M. Torres et sa famille ont été gravement blessés, et il a fallu les hospitaliser. Il ajoute qu’il a porté plainte de nouveau au Ministère public, mais que son geste est resté sans suite.

[8]        M. Torres déclare qu’en août 2005 son épouse et lui se sont séparés parce que cette dernière ne pouvait plus supporter le risque d’être associée à lui. Son épouse et son enfant se sont installés à La Huasteca, à une distance d’environ sept heures de route. Il déclare qu’il a ensuite fermé deux de ses trois magasins et n’a laissé ouvert que le premier qu’il avait acheté.

[9]        Une quatrième attaque est survenue le 2 janvier 2007. M. Torres quittait son magasin en compagnie de son cousin quand ils ont été agressés par quatre gardes du corps de MM. Rios et Armendariz. Il dit qu’ils ont été battus à coups de bâtons de baseball; le cousin a subi des fractures à la main et aux pieds et M. Torres a perdu connaissance. Ce dernier affirme que pendant qu’il était inconscient, les gardes du corps ont menacé son cousin, disant cette fois‑ci que M. Torres serait tué s’il n’obtempérait pas aux demandes de M. Armendariz, et que les deux mourraient s’ils signalaient l’incident à la police.

[10]      Après avoir quitté l’hôpital le 5 janvier 2007, M. Torres et son cousin ont porté plainte auprès du Ministère public. M. Torres a porté plainte aussi auprès du PGR fédéral [Bureau du Procureur général] parce que le Ministère public ne l’avait pas protégé auparavant. Dix-sept jours plus tard, M. Torres quittait le Mexique pour le Canada.

[11]      M. Torres déclare qu’après avoir fui le Mexique, son cousin a été tué dans leur ville natale, sous les ordres de M. Armendariz, à cause de son opposition manifeste à la campagne fructueuse de ce dernier pour accéder à la présidence de l’Association des hôtels et motels du Mexique.

[12]      M. Torres déclare aussi qu’après son départ du Mexique, son ex-épouse a été mise en détention à la suite d’une accusation de vol de véhicule, et il croit que cette accusation a été portée à la requête de M. Armendariz.

[13]      Le 20 février 2009, la Commission a rejeté la demande d’asile de M. Torres. Elle a conclu qu’il n’y avait pas de lien entre les incidents allégués et un motif visé par la Convention, et qu’il n’y avait pas lieu de rendre une décision favorable fondée sur l’article 96. Cette conclusion‑là n’est pas contestée. La Commission a ensuite procédé à l’analyse du fondement d’une décision fondée sur l’article 97.

[14]      La Commission a passé en revue la jurisprudence relative à la protection de l’État et a ensuite appliqué ce droit au Mexique et aux faits de l’espèce. Elle a fait remarquer que le Mexique est une démocratie qui tient des élections libres et justes et que ce pays est signataire de la Convention sur les réfugiés [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6], ce qui donne à penser qu’il est résolu à protéger les droits de la personne. La Commission a fait remarquer que le Mexique ne se trouve pas dans un état d’effondrement complet et qu’il est doté d’une force de sécurité efficace.

[15]      La Commission a passé en revue les recours dont bénéficient les citoyens mexicains s’ils sont confrontés à des cas de corruption ou d’inefficacité policière [aux pages 6 et 7] :

Les Mexicains qui sont victimes de l’inconduite, de l’inefficacité et de la corruption de policiers peuvent s’adresser au secrétariat de l’administration publique (SFP), au programme contre l’impunité ou au bureau du procureur général (PGR) pour qu’il y ait enquête sur les omissions ou l’inconduite de policiers fédéraux et de policiers d’États. La Commission nationale des droits de la personne (CNDH) ou les commissions étatiques des droits de la personne et la direction générale de l’aide au contrôleur général peuvent aussi offrir des recours aux Mexicains qui ont été victimes de fonctionnaires corrompus ou des complices de ceux-ci. La CNDH peut recevoir des plaintes, mais ses recommandations n’ont aucun caractère obligatoire et n’ont pas force de loi. [Note de bas de page omise.]

[16]      La Commission a passé en revue les mesures que le gouvernement mexicain a prises pour prévenir la corruption de la police et assurer l’efficacité de cette dernière, comme « de nouvelles procédures de recrutement, des méthodes de dépistage des drogues, des incitatifs économiques, des séances de sensibilisation et des attestations pour les agents », ainsi que des sanctions imposées ou des poursuites engagées contre les agents corrompus ou inefficaces. La Commission a cité sa propre décision convaincante sur le Mexique à l’appui de la thèse voulant qu’il n’y ait pas de « manque d’action de la part des autorités de l’État contre les fonctionnaires corrompus, y compris la police ».

[17]      Commentant la réaction de la police à la première agression commise à l’endroit du demandeur, la Commission a déclaré ceci [à la page 8] :

Il semble que la police ait pris l’affaire au sérieux, étant donné le nombre de fois où des agents ont fait un suivi. Le demandeur d’asile affirme que la police avait sans cesse essayé de le convaincre de ne pas porter plainte. Il est invraisemblable qu’ils aient continué à faire cela, à moins qu’ils aient eu comme devoir de donner suite à l’affaire. Le demandeur d’asile a déclaré qu’il avait étudié le droit au Mexique et qu’il a compris que l’affaire n’était pas réglée. Il n’a fourni aucun élément de preuve selon lequel il a pris d’autres mesures pour poursuivre ses démarches.

[18]      Commentant la troisième agression, la Commission a déclaré ceci [à la page 8] :

[Selon le demandeur,] son épouse a fait une déclaration à la police d’État pendant qu’elle était à l’hôpital. Il dit aussi que la compagnie d’assurance pour son camion l’a aidé à faire le suivi concernant l’affaire. Il s’est rendu au service de police à maintes reprises pour s’informer de ce qui se passait. Il s’est fait dire que la police continuait son enquête, et il croit que l’affaire n’est pas encore réglée.

[19]      Commentant la dernière agression, la Commission a déclaré ceci [à la page 9] :

   Le demandeur d’asile soutient qu’il a signalé aux autorités de l’État, ainsi qu’au bureau du procureur général fédéral l’agression du [5 janvier] 2007 dont lui et son cousin ont été victimes. C’était la seule fois où il signalait l’un des incidents à un palier supérieur de corps de police. Il est invraisemblable que la police n’ait pris aucune mesure contre ces personnes. Il est clair qu’il s’agissait d’infractions criminelles. [Non souligné dans l’original.]

[20]      La Commission a décidé que l’allégation du demandeur à propos du rôle présumé de M. Armendariz dans la détention de son ex-épouse était peu vraisemblable. Elle a décidé aussi que le demandeur n’avait pas fourni de preuves suffisantes à l’appui de la conclusion selon laquelle M. Armendariz était responsable de l’assassinat de son cousin.

[21]      La Commission a conclu ce qui suit [aux pages 9 et 10] :

   Il est reconnu que le Mexique a connu des difficultés dans sa lutte contre la criminalité et la corruption […] Bien qu’il y ait des incohérences entre les sources, la prépondérance des éléments de preuve objectifs concernant la situation au pays donne à penser que, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte par le Mexique est efficace et adéquate, que le Mexique fait des efforts sérieux et authentiques pour régler le problème de la criminalité, que la police veut protéger les victimes et qu’elle est capable de le faire. Même si des problèmes de corruption et de manque d’efficacité existent et ont été observés au sein de la police, il ne s’agit pas d’une situation généralisée, et les autorités prennent des mesures pour la régler. Le demandeur d’asile n’a pas établi que la protection de l’État ne lui sera pas raisonnablement accordée ou qu’il lui serait objectivement déraisonnable de chercher à obtenir la protection de l’État s’il retournait au Mexique aujourd’hui.

[22]      La Commission a décidé que le demandeur n’avait pas pris de mesures adéquates pour donner suite aux plaintes qu’il avait déposées auprès de la police. Elle a conclu que le demandeur avait quitté le Mexique si peu de temps après avoir porté plainte auprès des autorités fédérales qu’il était impossible de conclure qu’il n’aurait pas bénéficié d’une protection à ce niveau‑là. Elle a ajouté que le demandeur n’avait pas fourni de preuves sur des personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne que la police aurait laissé tomber. La Commission a déclaré [à la page 10] : « Il semble que la police se soit acquittée de ses fonctions en faisant une enquête sur les incidents qui lui ont été signalés » et, a-t-elle conclu, « [le demandeur] n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante ».

[23]      La Commission a ensuite tourné son attention vers l’existence d’une PRI, concluant [à la page 11] : « le demandeur d’asile a une PRI à Mexico ou à Guadalajara ». Elle a passé en revue la jurisprudence relative aux PRI ainsi que le critère décrit par la Cour d’appel dans l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.). Elle a souligné la taille géographique et démographique de Mexico et de Guadalajara, et elle a décidé que l’on pouvait disposer d’une protection de l’État dans ces deux villes. Elle a déclaré [à la page 12] :

Il n’existe pas de preuve convaincante qu’[Armendariz] ou [Rios] ou leurs associés auraient les ressources pour retrouver le demandeur d’asile à Guadalajara ou à Mexico. Selon la prépondérance des probabilités, le fait qu’[Armendariz] soit le [président] de l’association [mexicaine des hôtels et des motels] n’incite pas à conclure qu’il pourrait facilement retrouver le demandeur d’asile si ce dernier déménageait à Mexico ou à Guadalajara. Aucun élément de preuve convaincant n’a été présenté quant à la manière dont cette fonction permettrait à [Armendariz] de le retrouver.

La Commission a conclu qu’il aurait été raisonnable pour le demandeur de se prévaloir de l’une ou l’autre PRI.

[24]      Ayant décidé que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption d’une protection de l’État et qu’il disposait d’une PRI, la Commission a conclu que [aux pages 12 et 13] : « le demandeur d’asile ne serait pas exposé personnellement à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Mexique » et qu’il n’avait donc pas la qualité d’une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[25]      Le demandeur soulève deux questions connexes :

1. La conclusion tirée par la Commission au sujet de la protection de l’État est‑elle déraisonnable?

2. La conclusion tirée par la Commission au sujet d’une PRI est‑elle déraisonnable?

ANALYSE

[26]      Les parties conviennent que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. C’est donc dire que si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », il convient de l’infirmer.

[27]      Il est présumé que les États ont tous la capacité et la volonté d’assurer une protection efficace à leurs citoyens : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 725. Cette présomption concorde avec la notion selon laquelle la protection des réfugiés est un système de protection auxiliaire, et elle la renforce. Elle crée de ce fait un fardeau de preuve qu’un demandeur d’asile est tenu de réfuter. C’est donc dire que ce dernier doit fournir une preuve claire et convaincante, qui est à la fois pertinente et fiable, et suffisante pour convaincre la Commission, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est inadéquate : Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636.

[28]      Dans la plupart des cas, une personne qui demande une protection doit fournir une preuve qu’il a sollicité la protection de l’État et que celle-ci ne lui a pas été offerte; toutefois, cette personne n’est pas tenue de solliciter la protection de l’État quand il est objectivement raisonnable de présumer que cette protection ne lui sera pas offerte. Comme la Cour l’a fait remarquer dans Ward [à la page 724] : « le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l’encontre de l’objet de la protection internationale ».

[29]      Dans une décision récente, le juge Lemieux a résumé les principes juridiques qui se rapportent à la protection de l’État, tels qu’ils figurent dans la jurisprudence de la présente Cour : Perez Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119, au paragraphe 33. Deux de ces principes sont particulièrement pertinents en l’espèce :

6) La conclusion du tribunal selon laquelle le demandeur d’asile n’a pas pris de mesures pour obtenir la protection de l’État, ne porte un coup fatal à la demande que dans le cas où celui‑ci conclut également que la protection pouvait raisonnablement être offerte. Pour tirer une conclusion à cet égard, le tribunal est tenu d’examiner le caractère unique du pouvoir et de l’influence du persécuteur allégué sur la capacité et la volonté de l’État de protéger.

7) Dans le même ordre d’idées, si le persécuteur allégué n’est pas un agent de l’État, le tribunal doit examiner la motivation de l’agent persécuteur et sa capacité à poursuivre le demandeur localement ou dans l’ensemble du pays, ce qui pose, le cas échéant, la question de l’existence d’un refuge interne et de sa raisonnabilité. [Citations omises; souligné dans l’original.]

[30]      Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État et d’une PRI, en ce sens qu’elle a fait abstraction de la preuve concernant le profil de l’agent de persécution.

[31]      Il dit que la reconnaissance que fait la Commission, dans sa décision, du profil de l’agent de persécution du demandeur se limite aux éléments suivants :

a. il a proposé au demandeur un système de blanchiment d’argent;

b. il a été élu président de l’Association des hôtels et motels du Mexique et, à ce titre, il fait affaire avec des gouverneurs d’État;

c. il a des connaissances à Mexico et à Guadalajara (les deux PRI proposées).

[32]      Le demandeur soutient que la Commission n’a pas mentionné les éléments de preuve suivants au sujet du profil de l’agent de persécution, pas plus qu’elle n’en a tenu compte dans sa décision :

Dans le formulaire de renseignements personnels du demandeur

a. on croit qu’il est impliqué dans le trafic de la drogue, le trafic d’armes et la prostitution;

b. il a [traduction] « des liens avec des politiciens et des responsables de l’application de la loi puissants et importants dans la ville de San Luis Potosi » (où les incidents de persécution ont eu lieu) [traduction] « et à l’échelon fédéral, y compris le gouverneur de l’État » et [traduction] « l’ancien directeur de la Police judiciaire de l’État » qui, croit-on maintenant, occupe un poste de haut rang à Mexico, et il a conclu des contrats avec la police à San Luis Potosi pour que cette dernière se serve de ses hôtels à bas prix comme centres de détention;

c. il a occupé divers postes au sein d’entités municipales et étatiques;

d. son gendre et lui ont des gardes du corps qui travaillent comme leurs [traduction] « bras » pour que les gens obtempèrent et ils sont [traduction] « protégés par des responsables de l’application de la loi à tous les échelons ».

Dans le témoignage du demandeur

a. il a assumé des responsabilités politiques à l’échelon étatique et municipal;

b. il a parrainé de nombreuses campagnes politiques;

c. l’un de ses hôtels sert de centre de détention à la police judiciaire;

d. en tant que président national de l’Association des hôtels et motels il a des [traduction] « relations avec d’importantes personnalités gouvernementales et étatiques et chacune des délégations ou des postes de police des 31 États de la République mexicaine »;

e. [traduction] « Il a des contacts dans la police [et] au sein du gouvernement ».

[33]      Le demandeur a fait référence à cette preuve lorsqu’il a présenté ses observations finales à la Commission. Il a fait valoir auprès de cette dernière que l’agent de persécution était un homme bien connu et puissant au Mexique et qu’il avait des amis en haut lieu, y compris dans la police et au sein du gouvernement. De plus, il connaissait des politiciens et des fonctionnaires de haut rang dans tout le Mexique, y compris dans les deux PRI proposées.

[34]      La Commission n’a pas jugé que la preuve du demandeur était indigne de foi. Le seul élément de cette preuve que la Commission n’a pas accepté était que l’agent de persécution avait ordonné l’assassinat du cousin du demandeur, un fait que la Commission a considéré comme un moyen, pour le demandeur, d’enjoliver sa demande. Il était indubitable que son cousin avait été tué, a conclu la Commission, mais il s’agissait d’un acte de violence aléatoire.

[35]      De plus, il y a aussi les éléments de preuve suivants que le demandeur a produits à l’audience tenue devant la Commission et auxquels cette dernière n’a pas fait référence et que je considère comme importants.

a. [traduction] « Il a mentionné le blanchiment d’argent et dit que je serais protégé de la même façon que lui par les autorités » (non souligné dans l’original).

b. [traduction] « Ils [c.-à-d. la police] me disaient de retirer mes plaintes — de retirer mes plaintes, que c’était pour mon propre bien. »

c. [traduction] « Je suis allé au PGR avec qui ce genre de policiers ne font pas affaire dans les situations semblables à celle que je vivais. » « Ils ont pris ma déposition […] j’ai donc mentionné les trois plaintes que j’avais déposées auparavant au sujet de ces individus et j’en ai demandé une copie, et il n’y avait rien là. » « Ils ont pris ma déposition, mais sans y donner suite. »

d. Que l’épouse de l’agent de persécution fait partie de la Commission des droits de l’homme ou travaille avec cette dernière, et qu’il ne pouvait donc pas se plaindre à cet organisme des mauvais traitements qu’il avait subis.

[36]      Il est bien établi en droit qu’un tribunal n’a pas besoin de faire référence au moindre élément de preuve qui lui est soumis, ou d’en faire mention; cependant, plus cette preuve est importante, plus il y a de chances que le fait de ne pas y faire référence amènera à conclure que la décision était déraisonnable : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.). On s’attend à ce que des éléments de preuve importants soient mentionnés, analysés et pris en considération, surtout lorsqu’ils semblent contraires à la conclusion du tribunal.

[37]      Il est nécessaire de recourir à une approche contextuelle quand on évalue la disponibilité d’une protection de l’État et le fait de savoir si un demandeur a réfuté la présomption d’une telle protection : Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, [2007] 4 R.C.F. 385; Ortega c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1057. Comme je l’ai indiqué dans la décision Ortega, au paragraphe 24 : « La protection de l’État ne peut pas être déterminée isolément ». Lorsqu’on recourt à une approche contextuelle pour décider si le demandeur d’asile a réfuté la présomption de la protection de l’État, il y a de nombreux facteurs qu’il faut prendre en considération, dont les suivants :

1. la nature de la violation des droits de la personne;

2. le profil de l’auteur présumé des violations des droits de la personne;

3. les efforts que la victime a faits pour obtenir une protection des autorités;

4. la réaction des autorités aux demandes d’aide;

5. la preuve documentaire disponible.

[38]      La nature de la violation des droits de la personne est importante dans l’analyse de la protection de l’État car nombreux sont les pays qui offrent en général une protection de l’État adéquate mais qui omettent de le faire pour des types particuliers de violation, comme la violence fondée sur le sexe. Par ailleurs, la fréquence et la gravité des violations sont importantes pour déterminer à la fois les mesures qu’un demandeur est censé prendre et le type de protection que l’État a pu assurer au cours d’une période déterminée. Si toutes les violations présumées des droits de la personne sont survenues dans une brève période, il est possible que le système de protection de l’État n’ait pas eu le temps d’agir efficacement. Parallèlement, lorsqu’ils sont confrontés à un risque de mort imminent et prouvable, les demandeurs n’ont peut-être pas à faire les mêmes efforts pour réfuter la présomption d’une protection de l’État que lorsqu’il n’existe aucun risque imminent.

[39]      Le profil de l’auteur présumé des violations des droits de la personne est important car, même dans les pays démocratiques, certains individus peuvent être au-dessus des lois. La suffisance de la protection de l’État dépend souvent des caractéristiques de l’auteur des violations. Si ce dernier est en position de force ou entretient des liens étroits avec la police ou d’autres instances, il peut être fort difficile, voire impossible, pour un demandeur d’obtenir une protection.

[40]      Les efforts que fait la victime pour obtenir une protection des autorités sont cruciaux, parce qu’à défaut d’une preuve de l’existence de personnes se trouvant dans une situation semblable, les efforts faits par le demandeur pour obtenir une protection sont tout ce qui peut réfuter la présomption d’une protection de l’État, sauf si l’agent de persécution est l’État lui‑même. La SPR [Section du statut de réfugié] doit examiner si le demandeur d’asile a sollicité une protection, et auprès de qui. La SPR doit examiner si le demandeur a donné suite aux plaintes quelconques qu’il a déposées, soit en consultant les autorités, soit en soumettant les plaintes à une instance supérieure. Si le demandeur d’asile n’a pas sollicité une protection ou n’a fait que des efforts minimes sur ce plan, il faut alors examiner et évaluer les motifs explicatifs. Cela obligera à tout le moins à analyser la preuve de personnes se trouvant dans une situation semblable et dont les efforts pour obtenir une telle protection peuvent expliquer et justifier ceux que le demandeur d’asile a faits.

[41]      La réponse qu’un demandeur d’asile a reçue des autorités est essentielle pour déterminer le caractère adéquat de la protection qu’il a reçue. Il n’est pas obligatoire que cette réponse soit parfaite, mais il faut qu’elle assure une protection adéquate au demandeur d’asile. Il est important de se demander si les autorités ont pris la plainte au sérieux et si elles ont pris les mesures qu’on attendrait d’elles compte tenu de la nature de la violation des droits de la personne qui a été relevée.

[42]      Enfin, il est nécessaire de comparer tous les facteurs qui précèdent au dossier documentaire disponible. Une telle mesure peut indiquer à la SPR si les circonstances de l’affaire sont vraisemblables dans le contexte d’un pays donné. Le dossier documentaire peut dénoter si de telles violations des droits de la personne sont monnaie courante dans un pays donné, si la réaction des autorités concorde avec ce qui se passe habituellement, s’il existe d’autres mécanismes de protection que l’on n’a pas cherchés, et si les institutions présentes dans le pays sont régulièrement capables d’assurer une protection et disposées à le faire. L’examen du dossier documentaire n’a pas pour but de déclarer sans équivoque s’il existe ou non dans un pays donné une protection de l’État. Il s’agit plutôt d’éclairer l’analyse des facteurs qui précèdent afin de déterminer si le demandeur d’asile a réfuté la présomption de protection de l’État.

[43]      En l’espèce, la Commission a examiné en détail les incidents d’abus dont le demandeur a été victime. Cependant, elle n’a fait qu’une analyse minimale du profil des auteurs des violations. Il n’y a pas eu d’analyse de fond sur les allégations du demandeur selon lesquelles M. Armendariz entretenait des liens avec le crime organisé, ou sur la question de savoir s’il avait des liens politiques, ou s’il avait des contacts dans la police. Ces questions sont importantes pour décider si les autorités mexicaines auraient la capacité et la volonté d’assurer une protection, compte tenu surtout du dossier documentaire, qui révèle que des individus puissants au Mexique peuvent commettre des crimes en toute impunité.

[44]      La Commission a passé en revue les efforts faits par le demandeur pour solliciter une protection auprès des autorités, mais son analyse de la réaction est lacunaire. La Commission présume que les autorités ont pris l’affaire au sérieux à cause du nombre de fois qu’elle a interrogé le demandeur. Selon la preuve de ce dernier, une fois que les autorités ont découvert l’identité de la personne qu’il accusait, les visites suivantes ont eu essentiellement pour but de le convaincre d’abandonner sa plainte. Il n’est pas raisonnable de conclure que les autorités ont pris sa plainte au sérieux, du point de vue de la police, quand la seule réaction a été d’essayer de le convaincre de laisser tomber sa plainte.

[45]      La Commission souligne, mais sans donner d’explications, pourquoi les autorités dissuaderaient le demandeur de poursuivre sa plainte plus avant. On s’attendrait à ce qu’une police efficace, face aux actes criminels graves qui sont évidents en l’espèce et à l’identification, par la victime, de ses agresseurs, prenne des mesures autres que le simple fait de parler à la victime. De telles mesures ont peut-être été prises. Cependant, le fait que les mêmes individus s’en soient pris au demandeur à trois occasions distinctes au cours d’une période de trois ans dénote fortement que la police n’avait ni la capacité ni la volonté de s’acquitter de sa tâche et, de ce fait, la protection fournie, si tant est qu’une protection quelconque l’a été, était insuffisante.

[46]      La Commission traite isolément de la réaction de la police à chaque agression, plutôt que de situer la réaction dans le contexte tout entier des violations subies. En l’espèce, durant trois ans, la police n’a pas réussi à empêcher que les mêmes agresseurs s’en prennent de nouveau au demandeur, même si ce dernier les avaient identifiés à la police lors de sa première plainte. La Commission a fait remarquer qu’elle ne pouvait pas analyser la réaction possible des autorités fédérales parce que le demandeur avait fui le Mexique avant que ces dernières aient eu une chance de réagir (ou non) à sa plainte. Même s’il est loisible à une commission de tirer une telle conclusion dans bien des circonstances — après tout, dans tous les pays, la police est surchargée de travail — cela n’explique pas pourquoi, dans la présente affaire, il n’y a pas eu de gestes plus immédiats. En l’espèce, le contexte est important lui aussi. Trois plaintes antérieures avaient été déposées et aucune mesure n’avait été prise, et le demandeur s’adressait maintenant aux autorités fédérales pour se plaindre d’une autre agression brutale de la part de l’agent de persécution. Il a quitté le Mexique 17 jours plus tard parce qu’il craignait pour sa vie. Si l’on accepte le récit d’agressions issues de la même source, l’absence jusque-là de toute protection, ainsi que l’agression finale brutale et la menace de mort la fois suivante, il serait objectivement déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur attende plus longtemps une réaction de la police, sachant qu’il ne la verrait peut-être pas de son vivant.

[47]      J’estime que la conclusion de la Commission selon laquelle [à la page 9] « [il] est invraisemblable que la police [fédérale] n’ait pris aucune mesure contre ces personnes [car] [i]l est clair qu’il s’agissait d’infractions criminelles » est à la fois déraisonnable et naïve. Le dossier regorge d’exemples de personnes ayant de bons contacts et qui sont protégées par la police à tous les échelons au Mexique ou qui, du moins, ne sont pas l’objet d’une enquête policière. Au vu du dossier documentaire, cette déclaration de la Commission ne serait raisonnable que si le profil de l’agent de persécution était celui d’un simple citoyen du Mexique. Cette déclaration, à mon sens, renforce la conclusion selon laquelle la Commission a omis d’analyser convenablement la protection de l’État dans le contexte de l’espèce.

[48]      La Commission a fait un examen raisonnable, mais peut-être unilatéral, de la preuve documentaire. Elle a fait état des mesures que le demandeur aurait pu prendre pour pallier à l’inefficacité de la police. Elle n’a pas traité de la question de savoir s’il aurait pu raisonnablement s’attendre à une protection de la part de ces mécanismes additionnels.

[49]      Un rapport de Human Rights Watch sur la Commission nationale des droits de l’homme, un document que la Commission n’a pas cité, indique ceci [« Mexico’s National Human Rights Commission : A Critical Assessment » (2008), 20 Human Rights Watch no 1(B)] :

[traduction] L’objectif principal de la CNDH est de veiller à ce que l’État mexicain corrige les violations des droits de l’homme et réforme les lois, les politiques et les pratiques qui y donnent naissance. Compte tenu du défaut généralisé et chronique des institutions étatiques de prendre l’une ou l’autre de ces deux mesures, la CNDH constitue souvent le seul recours important dont disposent les victimes qui sollicitent un redressement pour des violations antérieures.

Le rapport indique ensuite que la Commission nationale des droits de l’homme elle-même n’est pas particulièrement efficace. Un autre document de la SPR indique ceci : [traduction] « même s’il existe un mécanisme qui permet aux citoyens de porter plainte [contre la police], il ne faut pas présumer que cela débouche sur un processus d’enquête et de décision complet ».

[50]      Il ne suffit pas que la Commission cite simplement des mécanismes de protection de rechange dont disposerait le demandeur sans analyser en détail la preuve documentaire qui dénote que ces institutions sont inefficaces elles aussi. Si la preuve documentaire indique que ces mécanismes de rechange sont généralement efficaces, la Commission doit alors se demander si, dans la situation particulière d’un demandeur donné, ces mécanismes seraient raisonnablement efficaces. Par exemple, en l’espèce, il y avait une preuve que l’épouse de l’agent de persécution était associée à la CNDH [Commission nationale des droits de la personne], ce qui rendait d’autant plus improbable la probabilité d’une réaction sérieuse.

[51]      Je suis d’avis que si l’on considère ensemble tous ces facteurs la conclusion qu’a tirée la Commission sur la protection de l’État était déraisonnable. Le demandeur a été victime de multiples agressions graves sur une période de trois ans. Il a demandé la protection de la police à de nombreuses reprises. La police s’est entretenue souvent avec le demandeur, mais même si celui-ci lui a fait part de l’identité des agresseurs, elle ne l’a pas protégé. Le demandeur est entré de nouveau en contact avec la police pour demander ce qui se passait. La police a dissuadé le demandeur de poursuivre sa plainte plus avant, disant que celle-ci resterait sans suite à cause de l’identité des agresseurs.

[52]      Le demandeur a demandé à une occasion la protection d’une instance supérieure et il n’est pas resté dans le pays assez longtemps pour réfuter la protection qu’il aurait peut-être pu recevoir de cette entité. La Commission a omis de discuter de la question de savoir si la preuve documentaire étayait la conclusion que l’on aurait pu s’attendre raisonnablement à ce que l’instance supérieure assure une protection adéquate, compte tenu du profil de l’agent de persécution. En bref, la Commission n’a pas analysé convenablement le profil des agresseurs du demandeur, ni le fait de savoir si cela aurait une influence sur l’existence d’une protection adéquate.

[53]      La Commission conclut également que M. Armendariz n’aurait pas eu le bras assez long dans tout le pays pour pouvoir suivre le demandeur jusqu’à l’une ou l’autre des PRI proposées, mais elle ne justifie pas cette conclusion. Comme il a été déjà été mentionné, le demandeur a allégué que M. Armendariz avait des liens avec le crime organisé et des figures politiques influentes, en plus de son rôle de président de l’Association des hôtels et motels du Mexique. La Commission n’a pas traité de ces questions et, comme il a été dit, elle n’a pas examiné les PRI en tenant compte du profil de l’agent de persécution. Son analyse de l’existence d’une PRI, compte tenu de l’identité de l’agent de persécution, était déraisonnable.

[54]      Pour ces motifs, la présente décision est infirmée.

[55]      Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question à certifier et, selon moi, il n’y en a aucune.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et renvoyée pour être entendue par un tribunal différemment constitué;

2. Aucune question n’est certifiée.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.