Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2009] 2 R.C.F.    mines alerte canada c. canada                                21

A-478-07

2008 CAF 209

Ministre des Pêches et des Océans, ministre des Ressources naturelles et le procureur général du Canada (appelants)

c.

Mines Alerte Canada (intimée)

A-479-07

Red Chris Development Company Ltd. et bcMetals Corporation (appelants)

c.

Mines Alerte Canada (intimée)

Répertorié : Mines Alerte Canada c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Desjardins, Sexton et Evans, J.C.A.—Vancouver, 15 mai; Ottawa, 13 juin 2008.

                Environnement — Appels d’une décision de la Cour fédérale qui a accueilli une demande de contrôle judiciaire et a ordonné la tenue d’une consultation publique sur les propositions relatives à la portée des opérations d’extraction minière et de concentration (le projet) des personnes morales appelantes devant faire l’objet d’une évaluation environnementale sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale — Une évaluation environnementale s’imposait à l’égard du projet suivant les art. 5(1)d) et 5(2)a) de la Loi — Les autorités responsables ont déterminé que le projet devait faire l’objet du processus d’étude approfondie, mais elles ont par la suite indiqué qu’il devait faire l’objet du processus d’examen préliminaire — L’art. 21 traite des projets visés dans la liste d’étude approfondie — Depuis la modification de cette disposition en 2003, la tenue d’une consultation publique s’impose sur les propositions relatives à la portée de ces projets — Selon les interprétations judiciaires antérieures de l’art. 15(1), les AR ont le pouvoir discrétionnaire de « définir » et de « redéfinir » la portée d’un projet tant qu’une décision définitive n’a pas été prise au sujet de l’évaluation environnementale — L’art. 21, dans sa version modifiée, ne jouait pas en l’espèce car le projet « dont la portée a été définie » dans la décision définitive des AR relative à la définition de la portée du projet n’était pas visé par le Règlement sur la liste d’étude approfondie — Une consultation publique n’était pas exigée — Appels accueillis.

                Interprétation des lois — Appels d’une décision de la Cour fédérale qui a accueilli une demande de contrôle judiciaire et a ordonné la tenue d’une consultation publique sur les propositions relatives à la portée des opérations d’extraction minière et de concentration (le projet) des personnes morales appelantes devant faire l’objet d’une évaluation environnementale sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale — Il s’agissait de savoir si la première mention du mot « projet » à l’art. 21(1) de la Loi s’entendait du « projet dont la portée a été définie » — La Cour d’appel fédérale a statué auparavant que le mot « projet » aux art. 5(1)d) et 15(3) s’entend du « projet dont la portée a été définie » conformément à l’art. 15(1) — Les principes d’interprétation législative exigent que l’on donne le même sens à la première mention du mot « projet » aux l’art. 18 et 21 de la Loi puisque rien dans la Loi ne permet de penser qu’il fallait s’inspirer d’une interprétation différente — L’art. 21(1), dans sa version modifiée, impose la tenue d’une consultation publique lorsque le « projet dont la portée a été définie » est visé dans la liste d’étude approfondie.

                Droit administratif — Les autorités responsables (AR) exerçaient le pouvoir discrétionnaire de redéfinir la portée d’un projet en application de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale — L’art. 31(3) de la Loi d’interprétation précise que le pouvoir peut s’exercer en tant que de besoin — Le pouvoir de définir est de nature continue — La doctrine de dessaisissement ne s’appliquait pas.

                Il s’agissait d’appels d’une décision de la Cour fédérale qui a accueilli une demande de contrôle judiciaire dont elle était saisie et a ordonné la tenue d’une consultation publique sur les propositions relatives à la portée des opérations d’extraction minière et de concentration des personnes morales appelantes devant faire l’objet d’une évaluation environnementale sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (la Loi). Les personnes morales appelantes, soit Red Chris Development Company Ltd. et bcMetals Corporation, souhaitent établir une exploitation d’extraction minière à ciel ouvert et une usine de concentration en vue de la production de cuivre et d’or en Colombie-Britannique. Les personnes morales appelantes ont soumis une description de projet au British Columbia Environmental Assessment Office (BCEAO) et ont présenté au ministère des Pêches et des Océans (MPO) deux demandes concernant la construction des premiers bassins se rapportant à des résidus miniers et à des points de franchissement de ruisseau. Le MPO a conclu qu’une évaluation environnementale était exigée suivant les alinéas 5(1)d) et 5(2)a) de la Loi. Il a publié un « avis de lancement » d’une évaluation environnementale dans le Registre canadien d’évaluation environnementale, annonçant qu’il procéderait à une étude approfondie à compter du 19 mai 2004. Il a ensuite été déterminé, à la lumière de renseignements récents et de la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), que la portée du projet nécessitait seulement la préparation d’un rapport d’examen préalable et l’avis de lancement a été rétroactivement modifié. Il a été modifié de nouveau par la suite pour ajouter le ministre des Ressources naturelles comme autorité responsable (AR) et il a été modifié une troisième fois pour préciser la portée du projet pour les besoins de l’évaluation environnementale.

                Selon le BCEAO et le rapport d’examen préalable des autorités fédérales, le projet n’était pas susceptible d’avoir des effets négatifs importants sur le plan environnemental, patrimonial, social, économique ou sanitaire. Les AR ont pris une décision sur la voie à suivre en vertu de l’alinéa 20(1)a) de la Loi. Selon cette décision, le projet, tel que les AR l’avaient défini, n’était pas susceptible de causer des effets environnementaux. Dans le cadre du contrôle judiciaire de cette décision, la Cour fédérale a statué que les AR étaient légalement tenues, en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi, de veiller à la tenue d’une consultation publique sur les propositions relatives à la portée du projet. Avant octobre 2003, l’article 21 disposait que si le projet était visé dans la liste d’étude approfondie, il fallait procéder à l’étude approfondie. Cette disposition a été modifiée en 2003 et précise maintenant que dans le cas où le projet est visé dans la liste d’étude approfondie, la tenue d’une consultation publique s’impose.

                Il s’agissait de savoir si les AR ont le pouvoir discrétionnaire de définir et de redéfinir la « portée » d’un projet et, plus précisément, de savoir si la première mention du mot « projet » au paragraphe 21(1) de la Loi s’entend du « projet dont la portée a été définie ».

                Arrêt : les appels doivent être accueillis.

                En 1999, la Section d’appel de la Cour fédérale a statué dans l’arrêt Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) que le paragraphe 15(1) de la Loi confère à l’autorité responsable le pouvoir de déterminer la portée du projet à l’égard duquel l’évaluation environnementale doit être effectuée et qu’en vertu du paragraphe 15(3), l’évaluation qui doit être effectuée porte sur le « projet dont la portée a été définie ». En 2006, dans l’arrêt Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), la Cour d’appel fédérale a affirmé que le mot « projet » à l’alinéa 5(1)d) de la Loi s’entend du « projet dont la portée a été définie » conformément au paragraphe 15(1) de la Loi. Comme le mot « projet » à l’alinéa 5(1)d) et au paragraphe 15(3) s’entend d’un « projet dont la portée a été définie », les principes d’interprétation législative exigent que l’on donne le même sens à la première mention du mot « projet » à l’article 18 et à l’article 21, à moins que le contexte n’exige de toute évidence une interprétation différente. Rien dans la Loi ne permet de penser qu’il fallait s’inspirer une interprétation différente de celle donnée auparavant.

                La principale différence entre les deux versions de l’article 21 concerne l’obligation de tenir une consultation publique. En conséquence, le paragraphe 21(1) signifie que lorsque le « projet dont la portée a été définie » est visé par le Règlement sur la liste d’étude approfondie, le paragraphe 21(1) modifié s’applique et la tenue d’une consultation publique s’impose. Les AR exerçaient leur pouvoir discrétionnaire de « définir » ou de « redéfinir » la portée du projet et n’ont pas commis d’erreur en le faisant. Tant qu’une décision définitive n’a pas été prise au sujet de l’évaluation environnementale, rien n’empêche les AR de redéfinir la portée du projet. Le paragraphe 31(3) de la Loi d’interprétation confirme que le pouvoir conféré peut s’exercer en tant que de besoin. La doctrine de dessaisissement (functus officio) ne s’appliquait pas parce que le pouvoir de définir qui est conféré à l’AR est de nature continue.

                La Cour fédérale a statué que les AR ont outrepassé les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi en évitant les exigences mentionnées à l’article 21, tel qu’il a été modifié, sous le couvert d’une décision visant à reformuler la porté du projet. Cependant, l’article 21, dans sa version modifiée, ne jouait pas car le projet « dont la portée a été définie » dans la décision définitive relative à la définition de la portée du projet n’était pas visé par le Règlement sur la liste d’étude approfondie. Une consultation publique n’était donc pas exigée.

    lois et règlements cités

Entente de collaboration entre le Canada et la Colombie-Britannique en matière d’évaluation environnementale (2004).

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, art. 5, 7(1)a) (mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 23(F); 2003, ch. 9, art. 3), 15 (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 21(F)), 18 (mod., idem, art. 23(F); 2003, ch. 9, art. 9), 20(1)a) (mod., idem, art. 11), 21 (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 26(F); 2003, ch. 9, art. 12), 55(1) (mod., idem, art. 25), 59f) (mod., idem, art. 29).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 31(3).

Loi modifiant la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 2003, ch. 9, art. 12.

Loi sur les explosifs, L.R.C. (1985), ch. E-17, art. 7 (mod. par L.C. 1993, ch. 32, art. 4).

Règlement de 2007 sur la liste d’exclusion, DORS/2007-108.

Règlement sur la liste d’étude approfondie, DORS/94-638, ann., art. 16a),c).

Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, DORS/94-636.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 400 (mod. par DORS/2002-417, art. 25(F)).

    jurisprudence citée

décisions appliquées :

Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2004 CF 1265; conf. par [2006] 3 R.C.F. 610; 2006 CAF 31; Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2000] 2 C.F. 263 (C.A.).

décisions citées :

Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378; Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385.

    doctrine citée

Brown, Donald J. M. et John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles, Toronto : Canvasback Publishing, 2007.

                APPELS d’une décision ([2008] 3 R.C.F. 84; 2007 CF 955) de la Cour fédérale qui a accueilli une demande de contrôle judiciaire dont elle était saisie et a ordonné la tenue d’une consultation publique sur les propositions relatives à la portée des opérations d’extraction minière et de concentration des personnes morales appelantes devant faire l’objet d’une évaluation environnementale sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (lcee). Appels accueillis.

    ont comparu :

Ward Bansley et Donnaree Nygard pour les appelants le ministre des Pêches et des Océans, le ministre des Ressources naturelles et le procureur général du Canada.

Brad Armstrong, c.r. et Jude Samson pour les appelants Red Chris Development Company Ltd. et bcMetals Corporation.

Lara Tessaro et Sean Nixon pour l’intimée Mines Alerte Canada.

    avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour les appelants le ministre des Pêches et des Océans, le ministre des Ressources naturelles et le procureur général du Canada.

Lawson Lundell LLP, Vancouver, pour les appelants Red Chris Development Company Ltd. et bcMetals Corporation.

Ecojustice Canada, Vancouver, pour l’intimée Mines Alerte Canada.

                Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1] La juge Desjardins, J.C.A. : La Cour statue sur deux appels d’une décision (Mines Alerte Canada c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2008] 3 R.C.F. 84) par laquelle un juge de la Cour fédérale (le juge des demandes) a accueilli la demande de contrôle judiciaire dont il était saisi et a ordonné la tenue d’une consultation publique sur les propositions relatives à la portée des opérations d’extraction minière et de concentration (le projet proposé) devant faire l’objet d’une évaluation environnementale sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (la LCEE).

[2] Le débat tourne autour de la question de savoir si le ministère des Pêches et des Océans (MPO) et le ministère des Ressources naturelles (RNCan) (ci-après désignés collectivement les autorités responsables ou AR) ont le pouvoir discrétionnaire de définir et de redéfinir la « portée » d’un projet pour déterminer si le processus qu’il convient de suivre pour procéder à l’évaluation environnementale du projet prévue par la LCEE est celui d’un examen préliminaire (article 18 [mod par L.C. 1993, ch. 34, art. 23(F); 2003, ch. 9, art. 9]) ou d’une étude approfondie (article 21 [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 26(F); 2003, ch. 9, art. 12]). Le débat porte plus précisément sur la question de savoir si la première mention du mot « projet » au paragraphe 21(1) de la LCEE s’entend du « projet dont la portée a été définie ».

[3] Il s’agit essentiellement de questions d’interprétation législative.

[4] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir les présents appels.

FAITS PERTINENTS

[5] Les personnes morales appelantes ou les promoteurs (Red Chris Development Company Ltd. et bcMetals Corporation), souhaitent établir une exploitation d’extraction minière à ciel ouvert et une usine de concentration en vue de la production de cuivre et d’or dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique. L’intimée (Mines Alerte Canada) est une société à but non lucratif qui s’intéresse principalement aux effets de l’exploitation minière sur les plans environnemental, social, économique, sanitaire et culturel, et notamment à ses effets sur les peuples autochtones.

[6] Le 27 octobre 2003, les promoteurs ont soumis une description de projet au British Columbia Environmental Assessment Office (BCEAO). Le 19 novembre 2003, le BCEAO a délivré une ordonnance déclarant que le projet était susceptible d’examen et qu’il serait nécessaire d’obtenir un certificat d’évaluation environnementale avant que le projet puisse continuer.

[7] Le processus fédéral d’évaluation environnementale a été enclenché quand, le 3 mai 2004, les promoteurs ont présenté au MPO deux demandes concernant la construction envisagée des premiers bassins se rapportant à des résidus miniers et à des points de franchissement de ruisseau.

[8] Le 19 mai 2004, sur la foi des renseignements reçus, le MPO a conclu qu’une évaluation environnementale était exigée aux termes des alinéas 5(1)d) et 5(2)a) de la LCEE.

[9] Le 21 mai 2004, le MPO a publié un « avis de lancement d’une évaluation environnementale » (l’avis de lancement) dans le registre [Registre canadien d’évaluation environnementale]. Le registre se compose d’un site Internet et de dossiers portant sur divers projets. Il vise à faciliter l’accès du public aux dossiers relatifs aux évaluations environnementales et à donner avis en temps opportun de la tenue de ces dernières (voir le paragraphe 55(1) [mod. par L.C. 2003, ch. 9, art. 25] de la LCEE). L’avis de lancement annonçait que le MPO procéderait à une étude approfondie à compter du 19 mai 2004 et présentait le projet dans les termes suivants (au paragraphe 94 des motifs du juge des demandes) :

[traduction]

MINE À CIEL OUVERT AVEC INFRASTRUCTURE CONNEXE, Y COMPRIS DÉPÔT DE RÉSIDUS MINIERS, ROUTES D’ACCÈS, PRISES D’EAU, LIGNES DE TRANSMISSION ET BÂTIMENTS ANNEXES (P. EX. ENTRETIEN, CAMP). La portée du projet sera ajoutée lorsqu’elle sera disponible.

[10]         L’avis de lancement du 21 mai 2004 précisait par ailleurs que le projet était en cours d’évaluation par le gouvernement de la Colombie-Britannique et que l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence) agirait comme coordonnateur fédéral de l’évaluation environnementale.

[11]         Le 31 mai 2004, le MPO a fait parvenir une lettre à d’autres ministères fédéraux pour leur donner la possibilité de déterminer si le projet les concernait ou non. Dans la lettre en question, le MPO définissait de façon préliminaire la portée du projet en expliquant que (au paragraphe 96 des motifs du juge des demandes) :

[traduction] « […] le projet proposé nécessitera un examen de niveau “étude approfondie”, au vu d’une capacité de production de minerai proposée d’un maximum de 50 000 tonnes par jour, ce qui excède le seuil de 600 tonnes par jour que prévoit le point 16c) du Règlement sur la liste d’étude approfondie, pris en vertue de la LCEE ». [Soulignement ajouté par le juge des demandes.]

[12]         Le 2 juin 2004, RNCan a répondu à la lettre du MPO en expliquant qu’il était vraisemblablement une autorité responsable en raison de l’article 7 [mod. par L.C. 1993, ch. 32, art. 4] de la Loi sur les explosifs, L.R.C. (1985), ch. E-17. On se proposait en effet d’utiliser des explosifs dans le cadre de l’exploitation de la mine projetée, et notamment d’en entreposer.

[13]         Le 28 juillet 2004, conformément à l’article 14 de l’Entente de collaboration entre le Canada et la Colombie-Britannique en matière d’évaluation environnementale (2004), l’Agence, les AR et le BCEAO ont établi une ébauche de plan de travail en vue de coordonner la participation des autorités fédérales et provinciales au processus d’évaluation environnementale du projet. Le 18 octobre 2004, l’Agence a révisé l’ébauche de plan de travail et de nouvelles dates ont été fixées.

[14]         Le 9 décembre 2004 ou vers cette date, le MPO a écrit à l’Agence pour lui expliquer qu’au départ, il avait estimé, en s’en tenant à la demande, que la portée du projet exigeait la tenue d’une étude approfondie, mais qu’à la suite d’un examen plus poussé et compte tenu de renseignements récents obtenus au sujet des pêches et de la décision de la Cour fédérale dans l’affaire True North (publiée sous l’intitulé Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2004 CF 1265), il avait été déterminé que la portée du projet nécessitait seulement la préparation d’un rapport d’examen préalable.

[15]         Le 14 décembre 2004, l’avis de lancement diffusé « en ligne » a été rétroactivement modifié afin d’indiquer que le MPO procéderait à un examen préalable à compter du 19 mai 2004.

[16]         Le 11 mars 2005, le MPO a informé le BCEAO que, conformément au paragraphe 15(1) de la LCEE, les autorités responsables avaient décidé que la portée du projet, pour les besoins de la tenue d’une évaluation environnementale sous le régime de la LCEE, serait (au paragraphe 114 des motifs du juge des demandes) :

[traduction] […] la construction, l’exploitation, la modification et la désaffectation des ouvrages suivants [soulignement ajouté par le juge des demandes] :

                •le dépôt de résidus miniers, y compris les bassins et les barrages anti-infiltration dans les eaux d’amont des ruisseaux Trail, Quarry et NE Arm;

                •un système de dérivation dans les eaux d’amont des ruisseaux Trail, Quarry, et NE Arm;

                •les installations auxiliaires à l’appui des éléments susmentionnés (c’est-à-dire, la prise du pipeline transportant l’eau de traitement) sur la rivière Klappan;

                •l’installation de fabrication ou de stockage d’explosifs sur le terrain de la mine.

L’évaluation environnementale du projet en vertu de la LCEE, dont la portée est déterminée ci-dessus, se déroulera conformément aux exigences du paragraphe 18(1) de la LCEE au niveau de l’examen préalable. [Non souligné dans l’original.]

[17]         Le 15 mars 2005, l’avis de lancement diffusé « en ligne » a été modifié rétroactivement pour une deuxième fois pour indiquer que le MPO et RNCan (les AR) procéderaient à un examen préalable du projet à compter du 19 mai 2004. Il s’agissait de la première fois que l’on faisait état de la participation de RNCan à titre d’AR. L’avis de lancement a continué d’indiquer que la portée du projet serait précisée lorsqu’elle serait connue.

[18]         Le 24 mars 2005, l’avis de lancement « en ligne » a été modifié une troisième et dernière fois (le troisième avis de lancement modifié) afin de préciser qu’il était nécessaire de procéder à une évaluation environnementale parce que (au paragraphe 116 des motifs du juge des demandes) :

[…] 1) RNCan envisageait de délivrer un permis en application de l’alinéa 7(1)a) de la Loi sur les explosifs, pour la construction, sur le terrain de la mine, de l’installation de fabrication ou de stockage d’explosifs; 2) le MPO envisageait de délivrer des autorisations en vertu de l’article 25 [mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 6] de la Loi sur les pêches, pour la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson; 3) il était envisagé que les règlements pris par le gouverneur en conseil ajouteraient les eaux d’amont du ruisseau Trail dans la liste des DRM [dépôt de résidus miniers] figurant à l’annexe 2 du REMM [Règlement sur les effluents des mines de métaux], conformément aux alinéas 36(5)a) à e) de la Loi sur les pêches.

[19]         En outre, le troisième avis de lancement modifié indiquait que, conformément au paragraphe 15(1) de la LCEE, les AR avaient déterminé que la portée du projet, pour les besoins de la tenue d’une évaluation environnementale sous le régime de la LCEE, serait la suivante (au paragraphe 117 des motifs du juge des demandes) :

[traduction] […] la construction, l’exploitation, la modification et la désaffectation des ouvrages suivants : dépôt de résidus miniers, y compris bassins et barrages anti-infiltration dans les eaux d’amont des ruisseaux Trial, Quarry et NE Arm. Système de dérivation dans les eaux d’amont des ruisseaux Trail, Quarry et NE Arm. Installations auxiliaires à l’appui des éléments susmentionnés (c’est-à-dire, prise d’eau de traitement par pipeline) sur la rivière Klappan. Installations de fabrication ou de stockage d’explosifs sur le terrain de la mine. [Soulignement ajouté par le juge des demandes.]

[20]         Le 22 juillet 2005, à la suite d’un long processus d’évaluation auquel avaient participé certains ministères fédéraux (RNCan et Santé Canada), le BCEAO a rendu public son rapport d’évaluation. Il y concluait que le projet n’était pas susceptible d’avoir des effets négatifs importants sur le plan environnemental, patrimonial, social, économique ou sanitaire. Le 24 août 2005, les ministres compétents de la Colombie-Britannique ont délivré un certificat d’évaluation environnemental aux promoteurs.

[21]         Pour ce qui est de l’évaluation fédérale, le 10 janvier 2006, le conseil de la bande de Tahltan et la Première nation d’Iskut ont été expressément invités à présenter des observations, au plus tard le 10 février 2006, sur une ébauche de rapport d’examen préliminaire préparée par les AR.

[22]         Les AR ont terminé leur évaluation environnementale et ont produit un rapport d’examen préliminaire le 16 avril 2006, ou vers cette date, en se fondant sur le pouvoir conféré par l’article 18 de la LCEE. Les AR concluaient que « en tenant compte de la mise en œuvre des mesures d’atténuation, le projet n’est pas susceptible de causer des effets environnementaux négatifs importants » (paragraphe 126 des motifs du juge des demandes).

[23]         Le 2 mai 2006, les AR ont pris une décision sur la voie à suivre en vertu de l’alinéa 20(1)a) [mod. par L.C. 2003, ch. 9, art. 11] de la LCEE. Les AR ont décidé que le projet, tel qu’elles l’avaient défini, n’était pas susceptible de causer des « effets environnementaux négatifs importants » (paragraphe 128 des motifs du juge des demandes).

[24]         La décision sur la voie à suivre a été portée au registre le 10 mai 2006. Le rapport d’examen préliminaire a également été rendu public au même moment. Dans leur décision sur la voie à suivre, les AR ont autorisé les promoteurs à faire les démarches nécessaires pour obtenir les permis fédéraux appropriés.

[25]         L’intimée a présenté le 9 juin 2006 un avis de demande de contrôle judiciaire de la décision sur la voie à suivre.

[26]         Le juge des demandes a fait droit à la demande de contrôle judiciaire le 25 septembre 2007. Il a déclaré ce qui suit au paragraphe 302 de sa décision :

[…] la présente demande sera accueillie et la Cour rendra une ordonnance :

a) déclarant que le MPO a décidé avec raison, dans la décision initiale sur le processus, datée de mai 2004, que le projet nécessiterait un examen de niveau « étude approfondie », sur la base d’une capacité de production de minerai proposée pouvant atteindre 50 000 tonnes par jour, ce qui excède le seuil de 600 tonnes par jour fixé à l’alinéa 16c) [de l’annexe] du Règlement LEA. Par conséquent, en ne tenant pas compte des exigences mentionnées à l’article 21 de la LCEE, tel que modifié en 2003, sous le couvert d’une décision visant à modifier la portée du projet, les AR ont excédé les pouvoirs que la loi leur confère;

b) annulant la décision sur la voie à suivre;

c) déclarant que les AR sont légalement tenues, par le paragraphe 21(1) de la LCEE, tel que modifié en 2003, de veiller à la tenue d’une consultation publique sur les propositions relatives à la portée du projet, aux éléments à prendre en compte dans le cadre de l’évaluation et à la portée de ces éléments, ainsi que sur la question de savoir si l’étude approfondie permet l’examen des questions soulevées par le projet;

d) interdisant l’exercice de tout pouvoir prévu à l’alinéa 5(1)d) ou au paragraphe 5(2) de la LCEE qui permettrait de mettre en œuvre le projet en tout ou en partie, et ce, jusqu’à ce que les AR aient pris une mesure conformément à l’article 37 de la LCEE, dans le cadre de leur obligation de soumettre le projet à une EE [évaluation environnementale] prévue à l’article 13 de la LCEE;

[27]         Il s’agit de la décision qui a été portée en appel devant nous.

THÈSE DES PARTIES

[28]         Les appelants soutiennent que le juge des demandes a commis une erreur en n’appliquant pas à la présente demande la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2006] 3 R.C.F. 610 (connue sous le nom d’affaire TrueNorth). Dans cet arrêt, le juge Rothstein (alors juge à la Cour d’appel fédérale) a confirmé le jugement de la Cour fédérale et a estimé qu’une AR pouvait légitimement accorder à un projet une portée plus étroite que celle proposée par le promoteur de manière à inclure seulement les aspects de la proposition relevant de la compétence et des attributions conférées aux AR par l’article 5 de la LCEE.

[29]         Les appelants soutiennent qu’en l’espèce, la détermination de la portée du projet par les AR en vertu de l’article 15 [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 21(F)] de la LCEE doit avoir lieu avant de déterminer si le projet doit faire l’objet d’un examen préalable (article 18 de la LCCE) ou d’une étude approfondie (article 21 de la LCEE). En d’autres termes, les appelants font valoir que la première mention du mot « projet » aux articles 18 et 21 s’entend d’un « projet dont la portée a été définie ».

[30]         L’intimée appuie la décision du juge des demandes. Elle fait valoir qu’il ressort du libellé de l’article 21 qu’une AR [traduction] « ne peut décider de la portée d’un projet tant qu’elle n’a pas déterminé si le projet requiert une étude approfondie et, dans la négative, tant que le public n’a pas été consulté au sujet de la portée proposée du projet » (paragraphe 20 du mémoire de l’intimée).

[31]         L’intimée admet que notre décision dans l’affaire TrueNorth réglerait la question, mais elle avance que la modification qui a été apportée à l’article 21 par la Loi modifiant la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 2003, ch. 9 [article 12], qui est entrée en vigueur le 30 octobre 2003, a eu pour effet d’infirmer l’arrêt TrueNorth. L’intimée soutient que l’article 21 de la LCEE a été modifiée expressément pour s’assurer qu’une fois qu’il a été déterminé qu’un projet tombe sous le coup du Règlement sur la liste d’étude approfondie, DORS/94-638, le public doit être consulté au sujet de la portée du projet avant que l’AR n’en définisse la portée en vertu de l’article 15 de la LCEE.

[32]         Dans le cas qui nous occupe, l’intimée affirme que le projet proposé par les promoteurs tombe sous le coup des alinéas 16a) et 16c) [de l’annexe] du Règlement sur la liste d’étude approfondie. Il était donc nécessaire de consulter le public sur les quatre points mentionnés à l’article 21 [de la LCEE], à savoir : 1) les propositions relatives à la portée du projet; 2) les éléments à prendre en compte dans le cadre de l’évaluation; 3) la portée de ces éléments; 4) la question de savoir si l’étude approfondie permet l’examen des questions soulevées par le projet. Après avoir tenu la consultation publique, l’AR détermine par la suite la portée du projet conformément à l’article 15. L’AR doit ensuite, conformément à l’alinéa 21(2)a) de la LCEE, faire part au ministre de sa décision sur la portée du projet et sur d’autres éléments. Par ailleurs, aux termes de l’alinéa 21(2)b), l’AR doit recommander au ministre de poursuivre l’évaluation environnementale par étude approfondie ou de la renvoyer à un médiateur ou à une commission (paragraphes 29, 30 et 31 du mémoire de l’intimée).

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[33]         Voici les dispositions législatives pertinentes de la LCEE :

                5. (1) L’évaluation environnementale d’un projet est effectuée avant l’exercice d’une des attributions suivantes :

[…]

                d) une autorité fédérale, aux termes d’une disposition prévue par règlement pris en vertu de l’alinéa 59f), délivre un permis ou une licence, donne toute autorisation ou prend toute mesure en vue de permettre la mise en œuvre du projet en tout ou en partie.

                (2) Par dérogation à toute autre disposition de la présente loi :

          a) l’évaluation environnementale d’un projet est obligatoire, avant que le gouverneur en conseil, en vertu d’une disposition désignée par règlement aux termes de l’alinéa 59g), prenne une mesure, notamment délivre un permis ou une licence ou accorde une approbation, autorisant la réalisation du projet en tout ou en partie;

[…]

                15. (1) L’autorité responsable ou, dans le cas où le projet est renvoyé à la médiation ou à l’examen par une commission, le ministre, après consultation de l’autorité responsable, détermine la portée du projet à l’égard duquel l’évaluation environnementale doit être effectuée.

[…]

                18. (1) Dans le cas où le projet n’est pas visé dans la liste d’étude approfondie ou dans la liste d’exclusion établie par règlement pris en vertu de l’alinéa 59c), l’autorité responsable veille :

                a) à ce qu’en soit effectué l’examen préalable;

                b) à ce que soit établi un rapport d’examen préalable.

[…]

                21. (1) Dans le cas où le projet est visé dans la liste d’étude approfondie, l’autorité responsable veille à la tenue d’une consultation publique sur les propositions relatives à la portée du projet en matière d’évaluation environnementale, aux éléments à prendre en compte dans le cadre de l’évaluation et à la portée de ces éléments ainsi que sur la question de savoir si l’étude approfondie permet l’examen des questions soulevées par le projet.

NORME DE CONTRÔLE 

[34]         La question soumise au juge des demandes était une question d’interprétation des lois et, partant, une question de droit. Le juge des demandes a appliqué la norme de contrôle de la décision correcte pour examiner la décision contestée. Aucune des parties ne s’oppose à la norme de contrôle retenue par le juge de première instance. Je ne décèle aucune erreur dans la conclusion tirée par le juge des demandes sur ce point.

[35]         Le présent appel concerne la même question de droit que celle qu’a tranchée le juge de première instance. Conformément aux normes de contrôle que doit appliquer une juridiction d’appel selon l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, je vais procéder au contrôle de la décision du juge des demandes en appliquant la norme de la décision correcte.

ANALYSE

[36]         L’intimée ne conteste pas les conclusions de la décision relative à la portée du projet que l’on trouve dans le rapport d’examen préalable. Ce que l’intimée conteste, c’est le processus qui a été suivi pour en arriver à ces conclusions, en l’occurrence le processus d’examen préalable. L’intimée affirme que les AR auraient dû procéder par voie d’étude approfondie, ce qui les obligeait à consulter le public conformément au paragraphe 21(1) de la LCEE.

[37]         Ainsi que je l’ai déjà expliqué, l’intimée a indiqué à l’audience que, si l’article 21 de la LCEE n’avait pas été modifié, elle ne se serait pas adressée à la Cour.

[38]         Il nous reste donc à passer en revue la jurisprudence qui a précédé la modification de 2003 et à examiner ensuite l’article 21, dans sa version modifiée.

[39]         L’intimée convient avec les appelants (au paragraphe 96 de son mémoire) que les différences factuelles relevées par le juge des demandes (au paragraphe 286 de ses motifs) pour établir une distinction entre l’affaire TrueNorth et la présente espèce n’ont aucune incidence sur l’interprétation qu’il convient de donner de l’article 21, dans sa version modifiée.

[40]         En ce qui concerne les règles de droit applicables, notre Cour a, sous la plume du juge Rothstein, jugé, dans l’arrêt Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [2000] 2 C.F. 263 (C.A.), au paragraphe 12, que le paragraphe 15(1) de la LCEE confère à l’autorité responsable le pouvoir de déterminer la portée du projet à l’égard duquel l’évaluation environnementale doit être effectuée. Le même arrêt établit aussi (au paragraphe 18) que l’évaluation environnementale qui doit être effectuée conformément au paragraphe 15(3) de la LCEE doit porter sur « le projet dont la portée a été définie ».

[41]         Dans l’arrêt TrueNorth, notre Cour a affirmé que le mot « projet » à l’alinéa 5(1)d) de la LCEE s’entend du « projet dont la portée a été définie » conformément au paragraphe 15(1) de la LCEE (paragraphe 20 de l’arrêt TrueNorth).

[42]         L’AR examine le projet proposé par un promoteur pour déterminer si, conformément aux alinéas 5(1)a),b),c) ou d) de la LCEE, le projet proposé emporte l’obligation de procéder à une évaluation environnementale. À cette fin, les AR doivent examiner le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, DORS/94-636.

[43]         Dans le cas qui nous occupe, il est acquis aux débats qu’une évaluation environnementale devait avoir lieu par application des alinéas 5(1)d) et 5(2)a) de la LCEE.

[44]         Vient ensuite le « choix du processus à suivre », une expression employée par le juge des demandes pour désigner le mode d’évaluation environnementale approprié. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit soit d’un examen préalable, soit d’une étude approfondie.

[45]         Aux termes du paragraphe 18(1) de la LCEE, dans le cas où le projet n’est pas visé par le Règlement sur la liste d’étude approfondie, DORS/94-638, ou par le Règlement de 2007 sur la liste d’exclusion, DORS/2007-108 (pris tous les deux en application de l’alinéa 59f) [mod. par L.C. 2003, ch. 9, art. 29] de la LCEE; voir aussi l’alinéa 7(1)a) [mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 23(F); 2003, ch. 9, art. 3] de la LCEE), l’autorité responsable veille à ce qu’en soit effectué l’examen préalable et à ce que soit établi un rapport d’examen préalable.

[46]         Toutefois, lorsque le projet est visé dans la liste d’étude approfondie, il faut procéder à l’étude approfondie prévue à l’article 21.

[47]         Dans l’arrêt TrueNorth, le juge Rothstein a fait allusion au Règlement sur la liste d’étude approfondie, aux paragraphes 23 et 24 de ses motifs, mais il n’a pas mentionné explicitement l’article 21 de la LCEE. Voici ce qu’il dit :

                L’argument suivant que font valoir les appelants s’appuie sur le Règlement sur la liste d’étude approfondie, DORS/94-438 [sic]. Un grand nombre des projets énumérés dans ce Règlement relèvent de la compétence provinciale, le rôle du gouvernement fédéral étant limité. Néanmoins, les appelants plaident que les projets énumérés dans ce Règlement doivent être assujettis à une évaluation environnementale en vertu de la LCEE.

                L’objet de ce Règlement, semble-t-il, est d’établir que dans les cas d’un projet figurant sur la liste dont la portée est définie en vertu du paragraphe 15(1), une étude approfondie est exigée à l’égard du projet plutôt qu’un examen préalable. Mais le Règlement ne vise pas à imposer à une autorité responsable qui exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 15(1) de la LCEE l’obligation de définir la portée d’un ouvrage ou d’une activité du seul fait qu’ils figurent sur la liste du Règlement. En l’espèce, l’entreprise de sables bitumineux relève de la compétence provinciale. Le Règlement sur la liste d’étude approfondie n’a pas pour objet d’assujettir à une évaluation environnementale fédérale des entreprises non assujetties à la compétence fédérale. Le Règlement n’est pas non plus mis en jeu en raison d’un motif étroit de compétence fédérale, en l’occurrence le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches. Voir l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, aux pages 71 et 72. [Non souligné dans l’original.]

[48]         Je suis d’avis que, comme le mot « projet » à l’alinéa 5(1)d) et au paragraphe 15(3) s’entend d’un « projet dont la portée a été définie », les principes d’interprétation législative exigent que l’on donne le même sens à la première mention du mot « projet » à l’article 18 et à l’article 21, à moins que le contexte n’exige de toute évidence une interprétation différente (R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378; Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385).

[49]         Je ne vois rien dans le contexte de la LCEE qui permette de penser qu’il faille s’inspirer d’une interprétation différente de celle donnée dans les arrêts Friends of the West Country Assn. et TrueNorth.

[50]         L’article 21, dans sa version modifiée, est ainsi libellé :

Étude approfondie

                21. (1) Dans le cas où le projet est visé dans la liste d’étude approfondie, l’autorité responsable veille à la tenue d’une consultation publique sur les propositions relatives à la portée du projet en matière d’évaluation environnementale, aux éléments à prendre en compte dans le cadre de l’évaluation et à la portée de ces éléments ainsi que sur la question de savoir si l’étude approfondie permet l’examen des questions soulevées par le projet.

[51]         Voici l’ancienne version de l’article 21 [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 26(F)] :

                21. Dans le cas où le projet est visé dans la liste d’étude approfondie, l’autorité responsable a le choix :

                a) de veiller à ce que soit effectuée une étude approfondie et à ce que soit présenté au ministre et à l’Agence un rapport de cette étude;

                b) de s’adresser au ministre afin qu’il fasse effectuer, aux termes de l’article 29, une médiation ou un examen par une commission.

[52]         La principale différence entre ces deux dispositions concerne l’obligation de tenir une consultation publique, mais je constate que les premiers mots « [d]ans le cas où le projet est visé dans la liste d’étude approfondie » demeurent les mêmes.

[53]         Suivant l’interprétation que j’en donne, le paragraphe 21(1) signifie que lorsque le « projet dont la portée a été définie » est visé par le Règlement sur la liste d’étude approfondie, le paragraphe 21(1) modifié s’applique et la tenue d’une consultation publique est nécessaire. Le public est consulté au sujet des propositions relatives à la portée du projet en matière d’évaluation environnementale, des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’évaluation et de la portée de ces éléments ainsi que sur la question de savoir si l’étude approfondie permet l’examen des questions soulevées par le projet (paragraphe 21(1) de la LCEE).

[54]         Les questions qui sont portées à l’attention du public au cours du processus de consultation sont en conséquence celles qui relèvent de la compétence fédérale.

[55]         En l’espèce, les AR ont d’abord déterminé, en mai 2004, que le projet exigeait la tenue d’une consultation publique. À la suite de la réception de renseignements complémentaires et de la publication de la décision de la Cour fédérale dans l’affaire TrueNorth, la portée du projet a été « redéfinie ». Il a par conséquent été jugé que le projet dont la portée avait été ainsi redéfinie tombait sous le coup du processus d’examen préalable. Ce faisant, les AR exerçaient leur pouvoir discrétionnaire de « définir » ou de « redéfinir » la portée du projet. Ils n’ont pas commis d’erreur en le faisant.

[56]         Tant qu’une décision définitive n’a pas été prise au sujet de l’évaluation environnementale, rien n’empêche les AR de redéfinir la portée du projet. Ce pouvoir leur est reconnu par le paragraphe 31(3) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui dispose :

                31. […]  

                (3) Les pouvoirs conférés peuvent s’exercer, et les obligations imposées sont à exécuter, en tant que de besoin.

[57]         La doctrine du dessaisissement (functus officio) ne s’applique pas, car il semble qu’il s’agisse d’une situation dans laquelle le pouvoir de définir la portée qui est conféré à l’AR est de nature continue (Brown & Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition à feuilles mobiles (Toronto : Canvasback Publishing, 2007), au paragraphe 12:6221).

[58]         Le juge des demandes a reconnu la grande latitude accordée aux AR en ce qui concerne la redéfinition de la portée d’un projet. Il a estimé que cette latitude était normale, compte tenu de la complexité et de la nature évolutive du processus d’évaluation environnementale. Voici ce qu’il explique aux paragraphes 145 et 155 :

                Comme en témoigne la preuve dont je suis saisi, l’EE du projet a été un processus complexe et évolutif. Un grand nombre de mesures interdépendantes et de décisions interlocutoires ont été prises par les diverses autorités fédérales et provinciales avant que les ministres provinciaux délivrent un certificat d’évaluation le 24 août 2005 et que les AR prennent la décision sur la voie à suivre le 2 mai 2006. Les faits de l’espèce montrent que, depuis 2003, les AR ont modifié un certain nombre de fois la portée du projet pendant toute la durée de l’EE. Cela est normal dans les circonstances, vu qu’un grand nombre de variables et de scénarios doivent être traités par le promoteur et examinés par les autorités fédérales et provinciales en vertu de diverses dispositions législatives et réglementaires.

[…]

En fait, les AR n’ont pris une décision définitive qu’après avoir conclu, dans le rapport d’examen préalable, que la participation du public à l’examen préalable du projet, conformément au paragraphe 18(3), n’était pas appropriée dans les circonstances, et après avoir décidé que le projet, tel qu’elles l’avaient « défini » dans le rapport d’examen préalable, n’était pas susceptible d’entraîner des « effets environnementaux négatifs importants », comme l’indiquait la décision sur la voie à suivre qui a été portée au registre le 10 mai 2006.

[59]         Le juge ajoute, au paragraphe 295 :

Cela ne veut pas dire que les AR n’ont pas le pouvoir discrétionnaire de modifier la portée des projets. Au contraire, une telle décision serait absurde, compte tenu du libellé du paragraphe 15(1), qui confère clairement ce pouvoir discrétionnaire à l’autorité responsable. En outre, une telle décision irait à l’encontre de la jurisprudence (voir la section C. La jurisprudence, ci-haut), qui souligne que l’article 15 de la LCEE accorde aux AR le vaste pouvoir de délimiter la portée des projets de la manière qu’elles jugent appropriée, au cas par cas. [Non souligné dans l’original.]

[60]         Le juge des demandes semble toutefois n’avoir pas accepté qu’on puisse redéfinir la portée du projet une fois que la tenue d’une consultation publique avait été annoncée. Voici ce qu’il écrit, au paragraphe 284 :

                Je suis d’avis qu’une fois qu’une décision sur le processus avait été prise, soumettant le projet à une étude approfondie, les AR n’avaient pas le pouvoir discrétionnaire de changer la portée du projet de façon à éviter ce qu’implique l’article 21 sur le plan de la consultation publique. [Non souligné dans l’original.]

[61]         Il a d’ailleurs repris, au paragraphe 2 de son ordonnance, les mots qu’il avait écrits au paragraphe 302, no a) de ses motifs (reproduits au paragraphe 26 de mes propres motifs) :

[…] en ne tenant pas compte des exigences mentionnées à l’article 21 de la LCEE, tel que modifié en 2003, sous le couvert d’une décision visant à modifier la portée du projet, les AR ont excédé les pouvoirs que la loi leur confère

[62]         Aucun stratagème de quelque type que ce soit n’est allégué. Ainsi que je l’ai expliqué au début de mon analyse, l’intimée ne conteste pas les conclusions de la décision relative à la portée du projet que l’on trouve dans le rapport d’examen préalable. La question que l’intimée soulève est une pure question d’interprétation législative portant sur l’article 21 de la LCEE.

[63]         L’article 21, dans sa version modifiée, ne joue pas en l’espèce, car le projet « dont la portée a été définie » dans la décision définitive relative à la définition de la portée du projet n’est pas visé par le Règlement sur la liste d’étude approfondie. La consultation publique prévue à l’article 21 de la LCEE n’est donc pas exigée.

DISPOSITIF

[64]         Je suis d’avis d’accueillir les présents appels, d’annuler la décision du juge des demandes et de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[65]         Les avocats ont demandé que la question des dépens soit traitée après le prononcé du jugement et la présentation d’observations écrites conformément à la règle 400 [mod. par DORS/2002-417, art. 25(F)] des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)].

[66]         Une copie des présents motifs du jugement sera déposée dans le dossier A-479-07.

                Le juge Sexton, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

                Le juge Evans, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.