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Référence :

Jaballah (Re) c., 2010 CF 79, [2011] 2 R.C.F. 145

DES-6-08

DES-6-08

2010 CF 79

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR)

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale conformément au paragraphe 77(1) de la LIPR

ET MAHMOUD ES-SAYYID JABALLAH

Répertorié : Jaballah (Re)

Cour fédérale, juge Dawson—Toronto, 29 et 30 octobre et 2 et 3 novembre 2009; Ottawa, 22 janvier 2010.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Certificat de sécurité — Requête en vue d’obtenir un jugement déclarant que les art. 33, 77 et 78 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés violent l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés — Le certificat de sécurité en l’espèce a été signé parce qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Jaballah était interdit de territoire pour des raisons de sécurité nationale — Le certificat a été déposé à la Cour fédérale — M. Jaballah affirmait qu’il n’avait pas bénéficié d’une audience complète et équitable — L’analyse de la Cour fédérale dans le contexte du processus relatif au certificat de sécurité n’est pas qu’un contrôle judiciaire fondé sur un dossier de preuve, mais bien une procédure sui generis — Les principes de justice fondamentale n’exigent pas que la Cour fédérale se prononce sur le bien-fondé des allégations d’interdiction de territoire formulées contre M. Jaballah — La norme des motifs raisonnables de croire dans le contexte du processus relatif aux certificats de sécurité respecte les principes de justice fondamentale — Un certificat de sécurité ne peut être jugé raisonnable si la Cour fédérale est convaincue que la prépondérance des éléments de preuve crédibles va à l’encontre des allégations des ministres — L’assouplissement des règles de preuve prévues à l’art. 83(1)h) de la Loi ne contrevient pas aux exigences de la justice fondamentale puisque le pouvoir discrétionnaire conféré doit être exercé en conformité avec le principe de la primauté du droit et les principes de justice fondamentale applicables — Requête rejetée.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Requête en vue d’obtenir un jugement déclarant que les art. 33, 77 et 78 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés violent l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés — Les principes de justice fondamentale n’exigent pas que la Cour fédérale se prononce sur le bien-fondé des allégations d’interdiction de territoire formulées contre M. Jaballah — La décision du juge désigné quant au caractère raisonnable du certificat tenait compte des droits substantiels de l’intéressé tels qu’ils sont définis à l’art. 7 de la Charte et des principes de justice fondamentale — La norme des motifs raisonnables de croire dans le contexte du processus relatif aux certificats de sécurité respecte les principes de justice fondamentale — L’assouplissement des règles de preuve prévues à l’art. 83(1)h) de la Loi ne contrevient pas aux exigences de la justice fondamentale.

Il s’agissait d’une requête en vue d’obtenir un jugement déclarant, en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, que les articles 33, 77 et 78 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi) violent l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration avaient signé un certificat de sécurité dans lequel ils se disaient d’avis qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Jaballah était interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité nationale. Ils alléguaient plus particulièrement que M. Jaballah occupait un rang élevé au sein du Jihad islamique égyptien, une organisation terroriste étroitement liée à Al-Qaïda. Le certificat a été déposé à la Cour fédérale afin qu’elle détermine s’il était raisonnable. M. Jaballah affirmait que la procédure actuelle ne lui permet pas de bénéficier d’une audience complète et équitable parce qu’un tribunal indépendant et impartial n’a pas à juger du bien-fondé des allégations des ministres et parce que la Loi n’oblige pas les ministres à établir le bien-fondé de leurs allégations selon la prépondérance des probabilités. La Loi oblige plutôt la Cour fédérale à appliquer la norme des motifs raisonnables de croire.

La question à trancher était celle de savoir si le processus relatif aux certificats de sécurité prévu selon la Loi respecte le droit à une audience équitable, qui fait partie des principes de justice fondamentale et est garanti par l’article 7 de la Charte.

Jugement : la requête doit être rejetée.

L’instance de M. Jaballah mettait en jeu des droits qui sont protégés par l’article 7 de la Charte. Toutefois, M. Jaballah avait tort d’affirmer que l’analyse à laquelle la Cour fédérale est appelée à se livrer dans le contexte du processus relatif aux certificats de sécurité n’est rien de plus qu’un contrôle judiciaire reposant sur un dossier de preuve élargi. C’est une procédure sui generis. La Loi oblige les ministres à déposer les certificats de sécurité à la Cour fédérale. Lorsqu’un certificat est déposé, les ministres doivent déposer les renseignements et les éléments de preuve justifiant ce dernier, ainsi qu’un résumé de ces renseignements et de ces éléments de preuve qui permet à la personne nommée dans le certificat d’être suffisamment informée de la thèse des ministres. Il n’est pas nécessaire d’obtenir une autorisation pour saisir la Cour et il incombe aux ministres de démontrer que le certificat est raisonnable. L’alinéa 83(1)e) de la Loi impose à la Cour fédérale l’obligation de fournir tout au long de l’instance à la personne nommée dans le certificat un résumé de la preuve et des renseignements pertinents. De plus, la personne nommée dans le certificat de sécurité a le droit de faire défendre ses intérêts par un avocat spécial dans le cadre d’une audience à huis clos et se voit accorder la possibilité d’être entendue. Elle peut faire entendre des témoins et présenter les éléments de preuve qu’elle juge utiles. Les juges qui président ce genre d’instances doivent se livrer à un examen rigoureux du caractère raisonnable du certificat à partir des renseignements dont ils disposent. La question que la Cour fédérale doit trancher est celle de savoir si, compte tenu de tous les renseignements et des éléments de preuve dont elle est saisie, le certificat est raisonnable à ce stade.

Les principes de justice fondamentale n’exigent pas que la Cour fédérale se prononce sur le bien-fondé des allégations d’interdiction de territoire formulées contre M. Jaballah. Ils exigent qu’une décision judiciaire valable soit rendue à l’égard de la personne nommée dans le certificat, en ce qui concerne la question de savoir si la preuve nécessaire à une interdiction de territoire, prévue à l’article 33 et au paragraphe 34(1) de la Loi, a été établie, autrement dit, s’il y a des motifs raisonnables de croire que les actes mentionnés au paragraphe 34(1) de la Loi sont survenus, surviennent, ou peuvent survenir. Le juge désigné tire sa propre conclusion, de façon indépendante, quant au caractère raisonnable du certificat. Si le certificat est jugé déraisonnable, le juge désigné doit l’annuler. Par conséquent, le juge désigné tient compte à la fois des droits substantiels de l’intéressé, tels qu’ils sont définis à l’article 7 de la Charte, et des principes de justice fondamentale.

La norme des motifs raisonnables de croire dans le contexte du processus relatif aux certificats de sécurité respecte les principes de justice fondamentale. L’exigence selon laquelle la croyance doit être objectivement fondée sur des éléments de preuve irrésistibles et dignes de foi constitue une protection importante. Cette norme suggère un degré de probabilité fondé sur une preuve crédible, bien que le degré de probabilité soit moindre que celui exigé dans le cas de la prépondérance des probabilités. De plus, malgré la règle d’interprétation prévue à l’article 33 de la Loi, lorsque la preuve est contradictoire sur un point, la Cour fédérale doit trancher en déterminant quelle version des faits est la plus probable. Un certificat de sécurité ne peut être jugé raisonnable si la Cour est convaincue que la prépondérance des éléments de preuve crédibles va à l’encontre des allégations des ministres.

L’alinéa 83(1)h) de la Loi concernant les règles de preuve ne contrevient pas aux exigences de la justice fondamentale. Le fait que le législateur fédéral ait prévu un critère différent en ce qui concerne l’admission de la preuve dans le contexte des instances portant sur des certificats de sécurité ne rend pas en soi l’instance injuste ou non conforme aux principes de justice fondamentale. L’alinéa 83(1)h) de la Loi reflète le contexte des instances mettant en cause la sécurité nationale. Le pouvoir discrétionnaire conféré à l’alinéa 83(1)h) de la Loi doit être exercé d’une manière rationnelle, en conformité avec le principe de la primauté du droit et les principes de justice fondamentale applicables.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 7.

Immigration Act 1971 (R.-U.), ch. 77, annexe 2, par. 9.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52(1).

Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18, art. 29(1).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 33, 34(1), 77, 78, 83(1)e) (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4), h) (mod., idem).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision suivie :

Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299 quant à la norme de preuve appropriée.

décisions appliquées :

Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Jaballah (Re), 2004 CAF 257, [2005] 1 R.C.F. 560; Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163.

décision différenciée :

Khawaja v. Secretary of State for the Home Department, [1983] UKHL 8, [1983] 1 All E.R. 765.

décisions examinées :

Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326; États-Unis d’Amérique c. Ferras; États-Unis d’Amérique c. Latty, 2006 CSC 33, [2006] 2 R.C.S. 77; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2000 CanLII 16300 (C.F. 1re inst.); Secretary of State for the Home Department v. Rehman, [2001] UKHL 47, [2002] All E.R. 122; Ajouaou and A, B, C and D v. Secretary of State for the Home Department, [2003] UKSIAC 1/2002.

décisions citées :

Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.); Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 122, [2006] 1 R.C.F. 474

    REQUÊTE en vue d’obtenir un jugement déclarant, en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, que les articles 33, 77 et 78 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés violent l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Requête rejetée.

ONT COMPARU

Barbara L. Jackman, Marlys A. Edwardh et Adriel Weaver pour Mahmoud Es-Sayyid Jaballah.

Donald A. MacIntosh et John Provart pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

John R. Norris en tant qu’avocat spécial.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

    Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]     La juge Dawson : Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (les ministres) ont signé un certificat de sécurité dans lequel ils se disent d’avis qu’il existe des motifs raisonnables de croire que M. Jaballah doit être interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité nationale. Ils allèguent plus particulièrement que M. Jaballah occupait un rang élevé au sein du Jihad islamique égyptien, une organisation terroriste étroitement liée à Al-Qaïda. Le certificat a été déposé à la Cour fédérale, qui est en train de déterminer s’il est raisonnable.

[2]     Dans le cadre de l’instance en question, M. Jaballah a présenté une requête en vue d’obtenir un jugement déclarant, en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], que les articles 33, 77 et 78 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi [ou LIPR]) violent l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte). Suivant M. Jaballah, il y a deux aspects de la procédure prévue par le législateur fédéral qui posent problème. M. Jaballah affirme tout d’abord que la procédure actuelle ne lui permet pas de bénéficier d’une audience équitable parce qu’en aucun temps [traduction] « un tribunal indépendant et impartial ne décide s’il est ou était membre d’une organisation terroriste ou s’il s’est livré à du terrorisme ou à des actes visant au renversement du gouvernement de l’Égypte par la force ». Les ministres expriment simplement leur opinion sur le bien-fondé des allégations. Toutefois, les ministres ne sont ni indépendants ni impartiaux et ils ne tiennent pas d’audience. Bien qu’il y ait une audience devant la Cour, la mission de la Cour consiste simplement à vérifier si le certificat signé par les ministres est raisonnable, ce qui ne constitue pas une audience juste et équitable portant sur le bien-fondé des allégations. En second lieu, M. Jaballah affirme qu’il ne peut bénéficier d’une audience équitable parce que la Loi n’oblige pas les ministres à établir le bien-fondé de leurs allégations selon la prépondérance des probabilités. La Loi oblige plutôt la Cour à appliquer la norme des motifs raisonnables de croire.

[3]     M. Jaballah sollicite donc les réparations suivantes :

i) un jugement déclaratoire portant que, dans sa rédaction actuelle, l’article 78 de la LIPR ne respecte pas les principes de justice fondamentale consacrés à l’article 7 de la Charte et qu’il devrait par conséquent être libellé comme suit :

78. Le juge décide [si le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée et annule le certificat] s’il ne peut conclure [que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire].

Décision

ii) un jugement déclaratoire portant :

a. que les principes de justice fondamentale exigent que la notion de « motifs raisonnables de croire » à l’article 33 de la LIPR soit interprétée comme établissant une norme de prépondérance des probabilités en ce qui concerne la détermination des faits;

b. à titre subsidiaire, que l’article 33 soit modifié et qu’il soit désormais libellé comme suit :

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de [preuves établissant, selon la prépondérance des probabilités,] qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

Interprétation

iii) à titre subsidiaire, un jugement déclarant les articles 78 et 33 de la LIPR inopérants par application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[4]     Les ministres répondent que le processus relatif aux certificats de sécurité prévu à la partie 1, section 9 [art. 76 à 87.2] de la Loi, y compris la règle d’interprétation énoncée à l’article 33 de la Loi, respecte le droit à une audience équitable, lequel fait partie des principes de justice fondamentale et est garanti par l’article 7 de la Charte.

1.   Les dispositions législatives contestées

[5]     L’article 33 et le paragraphe 34(1) de la Loi (qui est la disposition connexe qui s’applique dans le cas de M. Jaballah) et les articles 77 et 78 de la Loi sont rédigés ainsi :

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

Interprétation

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

         a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

         b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

         c) se livrer au terrorisme;

         d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

         e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

         f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

[...]

Sécurité

77. (1) Le ministre et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration déposent à la Cour fédérale le certificat attestant qu’un résident permanent ou qu’un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée.

Dépôt du certificat

(2) Le ministre dépose en même temps que le certificat les renseignements et autres éléments de preuve justifiant ce dernier, ainsi qu’un résumé de la preuve qui permet à la personne visée d’être suffisamment informée de sa thèse et qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon le ministre, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

Dépôt de la preuve et du résumé

(3) Il ne peut être procédé à aucune instance visant la personne au titre de la présente loi tant qu’il n’a pas été statué sur le certificat. Ne sont pas visées les instances relatives aux articles 82 à 82.3, 112 et 115.

Effet du dépôt

78. Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et l’annule s’il ne peut conclure qu’il est raisonnable.

Décision

2.   L’article 7 de la Charte s’applique-t-il en l’espèce?

[6]     L’article 7 de la Charte, qui a été invoqué par M. Jaballah, garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et prévoit qu’il ne peut être porté atteinte à ces droits qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. La personne qui allègue une violation de l’un des droits garantis par l’article 7 doit d’abord démontrer qu’il a été porté atteinte au droit garanti et établir ensuite que cette atteinte n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale.

[7]     En l’espèce, les ministres admettent que le droit à la liberté de M. Jaballah est en jeu, ce qui donne lieu à l’application de l’article 7 de la Charte.

[8]     Dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350 (Charkaoui I), la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 18, que les arguments des appelants touchant l’équité du processus relatif au certificat de sécurité, qui pouvait mener à l’expulsion et la perte de liberté liée à la détention, soulevaient d’importantes questions quant à la liberté et à la sécurité et que l’article 7 de la Charte trouvait application. Je conclus donc que c’est à raison que les ministres admettent que la présente instance met en jeu des droits qui sont protégés par l’article 7 de la Charte.

3.   Considérations relatives à la sécurité nationale

[9]     Dans l’arrêt Charkaoui I, aux paragraphes 19 à 27, la Cour suprême du Canada explique comment les principes de justice fondamentale reflètent les exigences relatives à la sécurité nationale. Voici les points importants :

• L’article 7 de la Charte exige, non pas un processus particulier, mais un processus équitable qui tient compte de la nature de l’instance et des intérêts en cause.

• Les mesures procédurales requises pour répondre aux exigences liées aux principes de justice fondamentale dépendent du contexte; les intérêts de la société peuvent également être pris en considération.

• L’importance des intérêts individuels en jeu fait partie de l’analyse contextuelle. Les tribunaux doivent être plus vigilants en ce qui concerne les situations de fait qui sont analogues à des procédures criminelles.

• La question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si les principes de justice fondamentale pertinents ont été respectés pour l’essentiel, compte tenu du contexte et de la gravité de la violation. Il faut se demander si le processus est fondamentalement inéquitable envers la personne visée. 

4.   Les principes de justice fondamentale pertinents

[10]     Dans l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême du Canada a déclaré que « [l]e principe primordial de justice fondamentale » qui s’applique dans le cas des certificats de sécurité est que « l’État ne peut détenir longtemps une personne sans lui avoir préalablement permis de bénéficier d’une procédure judiciaire équitable » (au paragraphe 28).

[11]     Au paragraphe 29, la Cour énumère certains des éléments constitutifs d’un processus judiciaire équitable. La Cour écrit ce qui suit :

    Ce principe de base comporte de nombreuses facettes, y compris le droit à une audition. Il commande que cette audition se déroule devant un magistrat indépendant et impartial, et que la décision du magistrat soit fondée sur les faits et sur le droit. Il emporte le droit de chacun de connaître la preuve produite contre lui et le droit d’y répondre. La façon précise de se conformer à ces exigences variera selon le contexte. Mais pour respecter l’art. 7, il faut satisfaire pour l’essentiel à chacune d’elles. [Souligné dans l’original.]

[12]     Vu la preuve dont elle disposait, la Cour suprême a conclu que les exigences relatives à l’audience devant un magistrat indépendant et impartial étaient respectées mais que les anciennes dispositions de la Loi n’étaient pas suffisantes pour satisfaire à l’exigence portant que la décision devait être fondée sur les faits et à celle reconnaissant le droit de la personne visée de connaître la preuve produite contre elle.

[13]     Le législateur fédéral a par la suite modifié certains éléments du processus relatif aux certificats de sécurité, en prévoyant notamment la possibilité de recourir à des avocats spéciaux.

5.   L’audience prévue par la Loi actuelle respecte-t-elle les principes de justice fondamentale?

       a. Thèse de M. Jaballah

[14]     Comme nous l’avons déjà mentionné, dans l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de savoir si, selon l’ancien régime législatif, l’exigence selon laquelle le juge désigné doit trancher en se fondant sur les faits et le droit était respectée. Voici ce que la Cour a écrit au paragraphe 48 :

    Pour se conformer à l’art. 7 de la Charte, le magistrat doit rendre une décision fondée sur les faits et sur le droit. Dans le contexte de l’extradition, il a été jugé que la justice fondamentale « impose aux tribunaux au moins l’obligation de procéder à une appréciation valable de l’affaire en fonction de la preuve et du droit. Le juge examine les droits respectifs des parties et, d’après la preuve, tire des conclusions de fait auxquelles il applique le droit. Il doit examiner autant les faits que le droit pour arriver à une conclusion valable. Depuis l’affaire Bonham [(1610), 8 Co. Rep. 113b, 77 E.R. 646], l’essence d’une audience judiciaire est de traiter les faits révélés par la preuve selon les droits substantiels que la loi confère aux parties » (Ferras, par. 25). Les intérêts individuels et sociétaux en jeu dans le contexte des certificats d’interdiction de territoire supposent l’application d’une exigence semblable.

[15]     M. Jaballah soutient que, dans le contexte du processus relatif aux certificats de sécurité, l’[traduction] « appréciation valable de l’affaire » exige que la Cour rende une décision de fond à l’égard des allégations formulées contre lui et [traduction] « non qu’elle  procède à un contrôle judiciaire en appliquant une norme de raisonnabilité, quoique sur un dossier élargi ». Plus précisément, le juge doit [traduction] « se prononcer sur le bien-fondé des allégations formulées contre lui ».

       b. Qualification appropriée de l’instance

[16]     Les ministres soutiennent que M. Jaballah se trompe lorsqu’il affirme que l’analyse à laquelle la Cour est appelée à se livrer en l’espèce n’est rien de plus qu’un contrôle judiciaire reposant sur un dossier élargi. Je suis d’accord.

[17]     La Cour d’appel fédérale a rejeté la proposition selon laquelle l’audience qui se déroule actuellement devant notre Cour est de la nature d’un contrôle judiciaire. Dans l’affaire Jaballah (Re), 2004 CAF 257, [2005] 1 R.C.F. 560, au paragraphe 7, le juge Rothstein de la Cour d’appel fédérale a écrit que les instances relatives aux certificats de sécurité prévues aux articles 79 et 80 de la Loi, alors en vigueur, « ne constituent pas un contrôle judiciaire ». Dans l’affaire Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299, au paragraphe 53, les juges Décary et Létourneau écrivent, au nom de la Cour :

Il s’agit d’une procédure sui generis. Elle ne constitue aucune des procédures introductives d’instance prévues à la règle 61 des Règles de la Cour fédérale (1998): elle n’est ni action, ni demande de contrôle judiciaire, ni appel.

[18]     Ce qui suit confirme que c’est effectivement le cas.

[19]     La Loi oblige les ministres à déposer les certificats de sécurité à la Cour. Lorsqu’un certificat est déposé, les ministres doivent déposer les renseignements et les éléments de preuve justifiant ce dernier, ainsi qu’un résumé de ces renseignements et de ces éléments de preuve qui permet à la personne nommée dans le certificat d’être suffisamment informée de la thèse des ministres. Il n’est pas nécessaire d’obtenir une autorisation pour saisir la Cour et il incombe aux ministres de démontrer que le certificat est raisonnable.

[20]     De plus, depuis que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326 (Charkaoui II), le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) est tenu de conserver les notes opérationnelles en sa possession qui concernent les personnes nommées dans des certificats de sécurité et de communiquer ces renseignements aux ministres et à la Cour. La Cour résume ensuite ces renseignements à l’intention de la personne visée, comme l’explique plus en détail le paragraphe 62 de l’arrêt Charkaoui II.

[21]     L’arrêt Charkaoui II prévoit aussi la possibilité pour la Cour de recevoir de nouveaux éléments de preuve à toute étape du processus, de sorte qu’il est fort possible que la Cour dispose d’éléments de preuve qui étaient inconnus des ministres au moment où le certificat a été délivré.

[22]     L’alinéa 83(1)e) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi impose à la Cour l’obligation de fournir tout au long de l’instance à la personne nommée dans le certificat un résumé de la preuve et des renseignements pertinents.

[23]     De plus, la personne nommée dans le certificat de sécurité a le droit de faire défendre ses intérêts par un avocat spécial dans le cadre d’une audience à huis clos. Comme le démontrent les communications publiques qui ont été transmises à M. Jaballah, les avocats spéciaux, en l’espèce, ont contre‑interrogé les témoins du SCRS, ont demandé que des renseignements complémentaires soient communiqués à M. Jaballah, ce qui a été fait, ont présenté des demandes de renseignements supplémentaires aux avocats des ministres et ont présenté une requête en vue d’obtenir l’arrêt des procédures à huis clos en invoquant un abus de procédure et l’autorité de la chose jugée.

[24]     La personne nommée dans le certificat de sécurité se voit accorder la possibilité d’être entendue. Elle peut faire entendre des témoins et présenter les éléments de preuve qu’elle juge utiles.

[25]     La Cour suprême invite les juges qui président ce genre d’instances à éviter de faire preuve d’une retenue excessive et leur recommande de se livrer plutôt à « un examen rigoureux du caractère raisonnable du certificat à partir des renseignements dont ils disposent » (Charkaoui I, au paragraphe 38).

[26]     La question que la Cour doit trancher est celle de savoir si, compte tenu de tous les renseignements et des éléments de preuve dont elle est saisie, le certificat est raisonnable aujourd’hui (voir Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163, au paragraphe 6). La Cour n’a pas à se demander si la décision que les ministres ont prise était raisonnable lorsqu’elle a été prise, compte tenu des éléments de preuve et des renseignements dont ils disposaient alors.

[27]     Compte tenu de la charge qui incombe aux ministres, de l’exigence selon laquelle ils doivent présenter des éléments de preuve tant lors de l’audience publique que lors de l’audience à huis clos, du droit de la personne visée de contre-interroger les témoins des ministres et de présenter des éléments de preuve, de l’examen rigoureux dont doivent faire l’objet les éléments de preuve présentés lors de l’audience publique et lors de l’audience à huis clos par le juge désigné et du fait que la décision doit être rendue en fonction de la situation actuelle (et non pas de la situation passée), il est inexact de qualifier l’instance de contrôle judiciaire fondé sur un dossier de preuve élargi.

       c. Examen de la nature de l’audience et exigences de l’article 7

[28]     La question dont la Cour est saisie à présent est de savoir si le processus et l’audience en l’espèce permettent de procéder à une appréciation valable de l’affaire en fonction de la preuve et du droit. Le juge désigné examine-t-il les droits respectifs des parties? Tire-t-il des conclusions de fait en s’appuyant sur les éléments de preuve? Applique-t-il le droit à ces conclusions?

[29]     M. Jaballah soutient que le juge désigné ne rend pas de décision d’après les faits et le droit parce qu’il n’est pas tenu de se prononcer sur le bien-fondé des allégations d’interdiction de territoire dont il fait l’objet. Le juge doit plutôt décider si le certificat est raisonnable. M. Jaballah introduit donc dans le concept de décision portant sur les faits et le droit l’exigence voulant que cette décision porte sur le fond.

[30]     Lors de sa plaidoirie, l’avocate de M. Jaballah a expliqué qu’elle n’avait pas réussi à trouver de jurisprudence portant précisément sur cette question (voir transcription de l’audience, 2 novembre 2009, aux pages 547 et suivantes).

[31]     Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que les principes de justice fondamentale exigent que la Cour se prononce sur le bien-fondé des allégations d’interdiction de territoire formulées contre M. Jaballah.

[32]     Tout d’abord, je prends acte de l’extrait du paragraphe 48 de l’arrêt Charkaoui I invoqué par M. Jaballah, où la Cour parle des « droits substantiels que la loi confère aux parties ». Ce passage est lui-même tiré d’une décision précédente rendue par la Cour suprême dans l’arrêt États-Unis d’Amérique c. Ferras; États-Unis d’Amérique c. Latty, 2006 CSC 33, [2006] 2 R.C.S. 77 [Ferras], une affaire portant sur l’extradition. La Cour suprême a relevé les intérêts similaires en jeu entre le processus en matière d’extradition et celui relatif aux certificats de sécurité et a conclu que les principes de justice fondamentale exigeaient l’application d’un processus semblable (Charkaoui I, au paragraphe 48). Dans l’affaire Ferras, la Cour s’est penchée sur la question de savoir si les dispositions de la Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18, régissant l’admission de la preuve, rendaient inéquitable le processus d’extradition. Plus précisément, la Cour s’est demandé s’il existait un risque véritable qu’une personne soit incarcérée en vue de son extradition lorsque la preuve n’établissait pas qu’elle avait commis des actes qui, s’ils avaient été commis au Canada, justifieraient son renvoi à procès. La Cour suprême a estimé que la justice fondamentale exigeait qu’une décision judiciaire indépendante et impartiale, fondée sur les faits et la preuve, soit rendue à l’égard de l’intéressé, en ce qui concerne l’ultime question de savoir si la preuve nécessaire à son extra-dition, prévue au paragraphe 29(1) de la Loi sur l’extradition, avait été établie — c’est‑à‑dire si la preuve était suffisante pour justifier son extradition. Les principes de justice fondamentale n’exigeaient pas de se prononcer sur d’autres questions.

[33]     Par analogie, je conclus qu’en l’espèce, les principes de justice fondamentale exigent qu’une décision judiciaire valable soit rendue à l’égard de la personne nommée dans le certificat, en ce qui concerne la question de savoir si la preuve nécessaire à une interdiction de territoire, prévue à l’article 33 et au paragraphe 34(1) de la Loi, a été établie, autrement dit s’il y a des motifs raisonnables de croire que les actes mentionnés au paragraphe 34(1) de la Loi sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. Je reviendrai plus loin sur la norme des motifs raisonnables de croire.

[34]     Le juge désigné, que M. Jaballah reconnaît comme étant indépendant et impartial, doit se livrer à un examen indépendant et rigoureux des renseignements et des éléments de preuve pour déterminer, de façon indépendante, s’il existe des motifs raisonnables d’ajouter foi aux faits allégués. En outre, le juge doit déterminer si les faits satisfont au critère juridique de l’interdiction de territoire (voir Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 116). Le juge désigné tire sa propre conclusion, de façon indépendante, en ce qui a trait au caractère raisonnable du certificat. Si le certificat est jugé déraisonnable, le juge désigné doit l’annuler. Compte tenu à la fois de la nature de l’audience et du dossier de preuve élargi, il se peut fort bien que le juge désigné soit mieux placé que ne l’étaient les ministres lorsqu’ils ont formulé leur première opinion.

[35]     Compte tenu des mesures de protection décrites ci-dessus, pour prendre sa décision, le juge désigné tient compte à la fois des droits substantiels de l’intéressé, tels qu’ils sont définis à l’article 7 de la Charte, et des principes de justice fondamentale. Dans la mesure où la loi est interprétée correctement et, pour reprendre l’expression employée par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Ferras, la Cour ne se limite pas à « entériner d’office » la demande qui lui est soumise, le processus est fondamentalement équitable pour M. Jaballah.

[36]     À cet égard, bien que le législateur fédéral aurait pu prévoir un autre type de procédure, les principes de justice fondamentale n’exigent pas l’emploi d’un processus particulier. Il n’est pas inhabituel, en matière d’immigration, que la Cour examine le caractère raisonnable d’une décision ministérielle, ce qui n’entraîne pas pour autant une analyse du bien-fondé de la décision. L’intervention de la Cour se limite plutôt à l’examen de la légalité de la décision en cause. Dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 31, la Cour suprême du Canada a reconnu l’expertise relative du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration au sujet des questions liées à la sécurité nationale. Bien que M. Jaballah ait sans conteste un intérêt important à ne pas être renvoyé du Canada, un État a l’obligation fondamentale d’assurer la sécurité de ses citoyens en détenant les individus qui constituent une menace pour la sécurité nationale et en s’assurant qu’ils soient expulsés de son territoire. La procédure choisie par le Parlement vise à concilier ces intérêts opposés.

[37]     Ayant examiné les facteurs contextuels pertinents, je conclus que le processus n’est pas fondamentalement inéquitable pour M. Jaballah. Comme l’explique la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Charkaoui I, précité : « Le Parlement a choisi pour une question d’opportunité, de responsabilité et d’imputabilité de ne pas confier au juge désigné la fonction et le pouvoir de juger du mérite même d’un certificat de sécurité » (voir paragraphe 70). En l’espèce, M. Jaballah n’a pas démontré que la décision du Parlement était contraire à la Charte.

[38]     J’examinerai maintenant les préoccupations exprimées par M. Jaballah au sujet de la norme des motifs raisonnables de croire.

6.   La norme des motifs raisonnables respecte-t-elle les principes de justice fondamentale?

       a. Thèse de M. Jaballah

[39]     D’entrée de jeu, il est nécessaire d’examiner la manière dont M. Jaballah interprète les conséquences de la norme des motifs raisonnables de croire. En s’appuyant sur des précédents comme l’arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), au paragraphe 60, et l’arrêt Mugesera, précité, au paragraphe 114, M. Jaballah signale, à juste titre, que la norme des motifs raisonnables de croire exige davantage qu’un simple soupçon, mais demeure moins stricte que la norme de la prépondérance des probabilités applicable en matière civile. Ainsi, M. Jaballah suppose qu’en signant le certificat, les ministres [traduction] « se prononçaient uniquement sur la question de savoir s’il existait des motifs raisonnables de croire que [M. Jaballah] avait pu se livrer à du terrorisme ou à de la subversion ou pouvait être membre d’une organisation terroriste ». M. Jaballah poursuit en expliquant ce qui suit :

    [traduction] Lorsque le critère est moins exigeant que celui de la prépondérance des probabilités, il est possible de conclure, par exemple, qu’il est probable qu’une personne ne soit pas membre d’une telle organisation tout en concluant qu’il est possible qu’elle le soit. Cette situation conduit à une augmentation exponentielle du risque d’erreur. Bien que ce risque d’erreur puisse être acceptable lorsqu’il s’agit de questions mineures, provisoires ou préliminaires, les décisions prises dans le cas de personnes comme M. Jaballah sont définitives et les conséquences qui en découlent sont extrêmement graves. Les avantages liés à l’adoption de la norme plus rigoureuse de la prépondérance des probabilités dans le cas de l’intéressé ne sont pas négligeables, en ce sens que le risque d’erreur lors de la prise de décision est sensiblement réduit. Ceci doit être examiné en tenant compte de l’intérêt pour l’État de conserver la norme de preuve la moins exigeante tout en s’assurant que les menaces éventuelles soient identifiées. Toutefois, des dispositions qui ne sont pas suffisamment précises pour permettre d’identifier les menaces réelles ne favorisent pas la protection de la sécurité nationale du Canada. Lorsque l’identification des menaces est à ce point imprécise, il y a inévitablement un risque de miner la confiance des gens envers le processus et d’entraîner un sentiment d’insatisfaction en raison du caractère injuste de la loi. [Notes de bas de page omises.]

[40]     Les ministres répondent, et j’abonde dans leur sens, que la norme est plus rigoureuse que le prétend M. Jaballah.

       b. Qualification appropriée de la norme des motifs raisonnables de croire

[41]     Voici ce que la Cour suprême écrit au sujet de cette norme dans l’arrêt Mugesera (aux paragraphes 114 et 115) :

    La première question que soulève l’al. 19(1)j) de la Loi sur l’immigration est celle de la norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables [de penser] » qu’une personne a commis un crime contre l’humanité. La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), p. 445; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), par. 60. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1615 (1re inst.).

    En prévoyant l’application de cette norme à l’égard du crime de guerre et du crime contre l’humanité dans la Loi sur l’immigration, le législateur a clairement indiqué que ces crimes classés parmi les plus graves justifient une sanction extraordinaire. Ainsi, une personne ne sera pas admissible au Canada s’il existe des motifs raisonnables de penser qu’elle a commis un crime contre l’humanité, même si ce crime n’est pas établi selon une norme de preuve plus stricte. [Non souligné dans l’original.]

[42]     Dans l’arrêt Sabour [Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16300 (C.F. 1re inst.)], que la Cour suprême du Canada a cité et approuvé dans le passage ci‑dessus, notre Cour s’est inspirée des directives d’interprétation des « motifs raisonnables de croire » données par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Au paragraphe 15, le juge Lutfy, qui était alors juge en chef adjoint, déclare :

    Les autorités sous les ordres du défendeur ont établi des lignes directrices sur l’interprétation des « motifs raisonnables de croire », situant à juste titre ce mode de preuve entre le simple soupçon et la probabilité prépondérante :

[traduction]

Les mots « motifs raisonnables de croire » s’entendent du mode de preuve qui se situe entre le simple soupçon et la probabilité prépondérante. La probabilité prépondérante est une norme inférieure à celle de la preuve sans l’ombre d’un doute raisonnable en matière pénale. La norme des motifs raisonnables signifie que la croyance doit avoir un fondement objectif et que l’agent d’immigration doit être en mesure de convaincre un tiers comme un arbitre ou un juge qu’il y a vraiment des motifs qui justifient cette croyance. Les renseignements sur lesquels se fonde la croyance doivent être irrésistibles, dignes de foi et corroborés. [Souligné dans l’original.]

Selon le ministère défendeur, la condition selon laquelle les renseignements doivent être « irrésistibles, dignes de foi et corroborés » est à tout le moins aussi rigoureuse que la norme définie par le juge Dubé, celle de la « croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi ».

[43]     L’exigence selon laquelle la croyance doit être objectivement fondée sur des éléments de preuve irrésistibles et dignes de foi constitue une protection importante. Cette norme suggère un degré de probabilité fondé sur une preuve crédible, bien que le degré de probabilité soit moindre que celui exigé dans le cas de la prépondérance des probabilités (voir Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 122, [2006] 1 R.C.F. 474, au paragraphe 22).

[44]     Je ne suis donc pas d’accord avec M. Jaballah lorsqu’il soutient, par exemple, qu’il est possible de conclure qu’il est probable qu’une personne ne soit pas membre d’une organisation terroriste tout en croyant raisonnablement que cette même personne en est membre. Si la preuve établit l’existence d’une probabilité, c’est-à-dire si elle démontre qu’une chose est plus probable qu’improbable, pareille conclusion exclut tout motif raisonnable de croire le contraire.

[45]     De plus, malgré la règle d’interprétation prévue à l’article 33 de la Loi, lorsque la preuve est contradictoire sur un point, la Cour doit trancher en déterminant quelle version des faits est la plus probable. Un certificat de sécurité ne peut être jugé raisonnable si la Cour est convaincue que la prépondérance des éléments de preuve crédibles va à l’encontre des allégations des ministres.

[46]     Comme l’écrivait récemment mon collègue le juge Mosley dans la décision Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163, au paragraphe 101 :

    Je suis d’avis que l’expression « motifs raisonnables de croire » à l’article 33 sous-entend un critère préliminaire pour établir les faits nécessaires à une décision d’interdiction de territoire auquel la preuve des ministres doit satisfaire au minimum, comme l’a affirmé le juge Robertson dans l’arrêt Moreno, précité. Lorsque les deux parties produisent une preuve considérable et que des versions concurrentes des faits sont présentées à la Cour, la norme du caractère raisonnable exige une évaluation de la preuve et des conclusions établissant les faits qui seront acceptés. La Cour ne peut conclure au caractère raisonnable d’un certificat si elle est convaincue que la prépondérance de la preuve infirme ce que prétendent les ministres. [Non souligné dans l’original.]

[47]     Cette observation est, à mon avis, incontestable et j’y souscris.

       c. Examen de la norme des motifs raisonnables de croire et des exigences de l’article 7

[48]     Après avoir qualifié adéquatement la norme des motifs raisonnables de croire, j’examinerai maintenant les arguments de M. Jaballah.

[49]     M. Jaballah affirme que si l’on applique la norme des motifs raisonnables de croire, que l’on procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable et que l’on assouplit les règles de preuve prévues à l’alinéa 83(1)h) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi, on ne satisfait pas aux exigences de la justice fondamentale.

[50]     On peut résumer la thèse de M. Jaballah de la façon suivante :

• Il n’y a aucune raison impérieuse de s’écarter de la norme de preuve qui s’applique en matière civile.

• En matière de droit interne, les tribunaux ont permis d’appliquer une norme moins rigoureuse que la norme de preuve civile lorsque la mesure visée est provisoire ou préliminaire.

• Dans d’autres contextes, les tribunaux se sont demandé si l’équité exigeait une norme de preuve plus rigoureuse, à tout le moins pour les conclusions de fait. En pareil cas, l’analyse est axée en grande partie sur la gravité des conséquences. En l’espèce, les conséquences que risque de subir M. Jaballah sont graves.

• La Chambre des lords a reconnu, en droit administratif, qu’il existait des situations dans lesquelles les tribunaux devaient vérifier les faits sous-jacents « préalables » avant de se demander si les agissements de l’État sont raisonnables.

• Il est injuste que M. Jaballah soit déclaré interdit de territoire alors que les ministres n’ont pas établi de façon concluante la véracité de leurs allégations.

[51]     Il importe tout d’abord de répondre aux préoccupations exprimées par M. Jaballah au sujet de l’alinéa 83(1)h) de la Loi. M. Jaballah précise qu’il ne cherche pas à attaquer la constitutionnalité de l’alinéa 83(1)h) de la Loi parce que [traduction] « il serait très difficile pour l’État, compte tenu de la nature des enquêtes en matière de sécurité, de devoir se conformer aux règles d’admissibilité des preuves en matière civile ou pénale ». Il affirme toutefois qu’on ne satisfait pas aux exigences de la justice fondamentale [traduction] « en assouplissant les règles de la preuve de manière à permettre au juge d’admettre en preuve tout élément — même inadmissible en justice — qu’il estime digne de foi et utile » tout en appliquant aussi la norme des motifs raisonnables de croire et en procédant au contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[52]     Le fait que le législateur fédéral ait prévu un critère différent en ce qui concerne l’admission de la preuve dans le contexte des instances portant sur des certificats de sécurité ne rend pas en soi l’instance injuste ou non conforme aux principes de justice fondamentale. L’alinéa 83(1)h) de la Loi reflète le contexte des instances mettant en cause la sécurité nationale, en tenant compte, par exemple, de la difficulté créée par l’admission d’éléments de preuve qui peuvent avoir été reçus par un service du renseignement étranger et qui constitueraient une preuve par ouï-dire. Le pouvoir discrétionnaire conféré à l’alinéa 83(1)h) de la Loi doit être exercé d’une manière rationnelle, en conformité avec le principe de la primauté du droit et les principes de justice fondamentale applicables.

[53]     En ce qui concerne les autres arguments qu’il invoque, signalons que M. Jaballah n’affirme pas expressément qu’une norme de preuve particulière constitue en elle-même un principe de justice fondamentale. Dans l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême n’a pas jugé qu’une norme de preuve particulière était un élément constitutif d’une audience équitable. La Cour suprême a souscrit, sans formuler de commentaires négatifs, à l’application de la norme des motifs raisonnables de croire dans le cadre du contrôle de la détention d’une personne nommée dans un certificat de sécurité. Dans ce contexte, le droit vital à la liberté d’une personne est touché. Compte tenu de la multitude de processus juridiques en droit pénal, en droit civil et en droit administratif, il ne serait pas possible de retenir une seule norme de preuve comme principe de justice fondamentale. Dans chaque cas, l’analyse doit tenir compte du contexte, et notamment de la nature de l’instance et des intérêts en jeu. La question consiste à savoir si le processus, y compris l’application d’un critère particulier, est fondamentalement injuste pour la personne visée.

[54]     Comme je viens tout juste de le mentionner, dans l’arrêt Charkaoui I, au paragraphe 39, la Cour suprême a déclaré que la norme des motifs raisonnables de croire était celle que devaient appliquer les juges chargés d’examiner les motifs justifiant le maintien en détention. Devant la Cour d’appel fédérale, M. Charkaoui avait plaidé que cette norme, qui avait été adoptée par le législateur fédéral pour justifier la délivrance d’un certificat de sécurité, était trop peu exigeante, et que la norme appropriée devait être plus rigoureuse et exiger que les actes invoqués pour justifier l’interdiction de territoire soient prouvés selon la prépondérance des probabilités. Aux paragraphes 102 à 107 de ses motifs, la Cour d’appel fédérale, dont un extrait de la décision a déjà été cité au paragraphe 17, a rejeté cet argument. Vu l’observation formulée par la Cour suprême du Canada au paragraphe 39, il semble que celle-ci n’a pas annulé cette conclusion; elle lie donc notre Cour.

[55]     Pour le cas où j’aurais tort, je tiens à formuler quelques observations supplémentaires.

[56]     S’agissant des préoccupations soulevées au sujet de la sécurité nationale, il n’est pas sans intérêt de signaler qu’au Royaume-Uni, la Chambre des lords a rejeté l’argument selon lequel le Secrétaire d’État était tenu de justifier [traduction] « selon une norme civile de probabilité élevée, la décision suivant laquelle l’intéressé constitue un danger pour la sécurité nationale et devrait par conséquent être renvoyé » (voir Secretary of State for the Home Department v. Rehman, [2001] UKHL 47, [2002] 1 All E.R. 122, aux paragraphes 22, 29, 56 et 65). Les propos que lord Hoffmann a tenus au paragraphe 56 sont particulièrement pertinents :

    [traduction] En tout état de cause, je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le concept de norme de preuve n’est pas très utile dans un cas comme celui-ci. Dans un procès criminel ou dans un procès civil dans lequel le litige porte sur la question de savoir si un fait déterminé s’est produit ou non, il est logique de dire soit qu’on a la certitude qu’il s’est produit, soit qu’on pense qu’il est plus probable qu’improbable qu’il s’est produit. Mais, en l’espèce, la question n’est pas de savoir si un fait précis s’est produit, mais bien de déterminer l’ampleur des risques à venir. La réponse à cette question dépend de l’appréciation que l’on fait des éléments de preuve relatifs aux agissements de l’appelant à la lumière d’un large éventail de faits qui peuvent interagir. On ne peut répondre à la question de savoir si le risque pour la sécurité nationale est suffisant pour justifier l’expulsion de l’appelant en examinant une à une les diverses allégations et en décidant si elles ont été prouvées selon une norme de preuve donnée. Il s’agit plutôt d’une question d’évaluation et de jugement qui nécessite de prendre en compte non seulement le degré de probabilité d’atteinte à la sécurité nationale, mais également l’importance de l’intérêt en jeu et la gravité des conséquences de l’expulsion pour la personne visée. [Non souligné dans l’original.]

[57]     Par la suite, dans l’affaire Ajouaou and A, B, C and D v. Secretary of State for the Home Department, [2003] UKSIAC 1/2002, la Special Immigration Appeals Commission a rejeté l’argument selon lequel lorsqu’un acte passé précis est invoqué pour justifier que l’on a des motifs raisonnables de croire que la présence d’un individu déterminé constitue un risque pour la sécurité nationale, cet acte doit être prouvé selon la prépondérance des probabilités (aux paragraphes 55 à 61). Le premier motif invoqué par la Commission pour justifier sa conclusion était qu’une telle condition irait à l’encontre des dispositions expresses de la loi, qui exigeait l’existence de motifs raisonnables de soupçonner une personne d’être un terroriste international et l’existence de motifs raisonnables de croire que cette personne constituait un risque pour la sécurité nationale.

[58]     Dans le cas présent, le Parlement a lui aussi prévu dans la loi une exigence minimale ou un critère.

[59]     La jurisprudence anglaise est utile en ce qu’elle témoigne d’une reconnaissance, par les tribunaux, des principes de prudence et de prévention qui sous-tendent toute décision de renvoyer un individu soupçonné d’être une menace pour la sécurité nationale. De plus, elle permet de constater que les tribunaux ont reconnu que l’existence d’un critère minimal légal en matière de motifs raisonnables de croire ne porte pas atteinte, en soi, à l’équité d’une audience.

[60]     Je constate que M. Jaballah se fonde aussi sur la décision rendue par la Chambre des lords dans l’affaire Khawaja v. Secretary of State for the Home Department, [1983] UKHL 8, [1983] 1 All E.R. 765 [Khawaja], dans laquelle la Chambre des lords a reconnu l’existence de situations où les tribunaux devaient vérifier les faits sous-jacents « préalables ». Il convient toutefois à mon avis d’établir une distinction entre les faits et les dispositions législatives qui étaient soumises à la Chambre des lords dans l’affaire Khawaja et ceux qui nous intéressent en l’espèce. Dans cette affaire, la loi prévoyait en effet ce qui suit [Immigration Act 1971 (R.‑U.), ch. 77, annexe 2, par. 9] :

    [traduction] Lorsqu’une personne qui est entrée illégalement au Royaume-Uni n’a pas obtenu l’autorisation d’y entrer ou d’y demeurer, l’agent d’immigration peut donner à son égard les mêmes directives que celles prévues pour les cas mentionnés au paragraphe 8, tel qu’il est autorisé par le paragraphe 8(1).

[61]     Comme lord Scarman l’a expliqué dans l’affaire Khawaja, au paragraphe 52, les tribunaux avaient antérieurement interprété le paragraphe 9 comme signifiant implicitement « lorsqu’un agent d’immigration a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est entrée illégalement » et non « dans le cas où une personne est entrée illégalement ».

[62]     Après avoir examiné les règles de droit relatives à l’habeas corpus, au certiorari et au principe relatif aux faits préalables, lord Scarman écrit, au paragraphe 65 :

[traduction] En conséquence, compte tenu de l’attention particulière que notre droit porte traditionnellement à la protection de la liberté de ceux qui relèvent de sa compétence, j’estime qu’il est impossible d’interpréter un texte de la loi de façon à y voir implicitement des mots qui auraient pour effet de soustraire la disposition en cause, en l’occurrence l’article 9 de l’annexe 2 de la Loi, de la « catégorie des faits préalables » (lord Wilberforce, précité). Si le législateur a l’intention de ne pas assujettir au contrôle judiciaire l’exercice d’un pouvoir ayant pour effet de restreindre la liberté, il doit s’exprimer très clairement.

[63]     Lord Scarman a ensuite conclu que les faits préalables devaient être jugés en fonction de la norme applicable en matière civile.

[64]     Les éléments distinctifs de l’affaire Khawaja ne font pas de doute. En l’espèce, on ne demande pas à la Cour d’ajouter implicitement des termes dans une loi qui est muette sur la norme à appliquer. Au contraire, le législateur fédéral a clairement établi le critère des motifs raisonnables de croire. Dans ces conditions, appliquer la méthode des faits préalables irait à l’encontre de la volonté du législateur fédéral.

[65]     J’ai également examiné attentivement la jurisprudence invoquée par M. Jaballah au sujet d’autres dispositions en matière de droit interne (par exemple, les dispositions législatives sur les permis de port d’armes, les mandats autorisant les prélèvements pour analyse génétique et le droit familial américain). Toutefois, ces contextes sont suffisamment différents pour que je ne les trouve pas convaincants.

[66]     En fin de compte, M. Jaballah n’a pas établi que le processus, y compris le critère des motifs raisonnables de croire, est fondamentalement injuste à son égard. Contrairement à ce que prétend M. Jaballah, s’il est correctement interprété, le critère des motifs raisonnables de croire ne permettra pas de confirmer le certificat si la Cour estime qu’il est probable que les allégations formulées contre M. Jaballah n’ont pas été établies.

[67]     Pour ces motifs, la requête de M. Jaballah sera rejetée. Aucune ordonnance ne sera prononcée pour le moment, étant donné que les parties reconnaissent que la présente décision ne peut faire l’objet d’un appel interlocutoire. Les parties auront plus tard l’occasion de proposer une question à certifier.

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