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[2011] 2 R.C.F. 501

IMM-4112-09

2010 CF 240

Vithal Sapru, Amita Sapru, Radika Sapru, Rishi Sapru (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Sapru c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Mosley—Toronto, 18 février; Ottawa, 2 mars 2010.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas a conclu que le demandeur principal est interdit de territoire au Canada parce que son fils a un état de santé à l’égard duquel on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’il risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada — Une médecin a conclu que le fils du demandeur souffre d’un retard de développement et qu’il aurait besoin d’une série de services sociaux — Les demandeurs ont présenté des observations au sujet notamment de leur capacité et de leur intention de payer pour ces services — La médecin a maintenu son évaluation initiale, qui a aussi été adoptée par l’agent des visas — L’agent des visas n’a pas été convaincu de l’intention des demandeurs d’atténuer le fardeau excessif et de leur capacité financière de le compenser — Les demandeurs prétendaient que la médecin avait effectué une évaluation générique de l’état de leur fils et qu’elle avait omis de prendre en compte des facteurs non médicaux tels que leur capacité et leur intention d’atténuer le fardeau excessif — Les questions litigieuses principales avaient trait aux obligations d’un médecin et d’un agent des visas en ce qui a trait aux facteurs non médicaux et à la question de savoir si la médecin avait rempli ses obligations en l’espèce — La jurisprudence est divisée à l’égard de la question de savoir à qui incombe la responsabilité de faire une évaluation du fardeau excessif — L’arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) résout toutes les ambiguïtés et précise que les médecins agréés ont l’obligation de tenir compte de tous les éléments pertinents — L’agent des visas examine ensuite la décision du médecin — En l’espèce, la médecin avait tenu compte de l’intention et de la capacité — L’examen de la médecin était suffisant pour qu’elle s’acquitte de son obligation découlant de l’arrêt Hilewitz — La médecin ne devait pas nécessairement rechercher activement des renseignements sur la capacité et l’intention — Même si les motifs de décision de la médecin n’étaient pas suffisants, les motifs de l’agent des visas étaient suffisants pour permettre aux demandeurs de comprendre la raison pour laquelle leur demande de résidence permanente avait été rejetée — La Cour avait certifié des questions quant à la question de savoir si le médecin agréé est tenu de rechercher activement des renseignements à propos de la capacité et de l’intention des demandeurs d’atténuer le fardeau excessif, et de savoir si le médecin qui conclut qu’une personne est interdite de territoire pour des motifs sanitaires a l’obligation de fournir des motifs suffisants — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas a conclu que le demandeur principal est interdit de territoire au Canada parce que son fils a un état de santé à l’égard duquel on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’il risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada.

Le demandeur principal, un citoyen de l’Inde, a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Dans le cadre de cette demande, le demandeur principal et tous les membres de la famille qui l’accompagnaient ont subi des examens médicaux. Une médecin a conclu que le fils du demandeur principal souffre d’un retard de développement et qu’il aurait besoin d’une série de services sociaux au Canada. En réponse à une lettre d’équité, les demandeurs ont présenté des observations sur l’état de leur fils, les services sociaux dont il aurait besoin et leur capacité et intention de payer pour ces services. Cependant, la médecin a maintenu son évaluation initiale, qui a aussi été adoptée par l’agent des visas. Celui-ci n’a pas été convaincu de l’intention des demandeurs de compenser le fardeau excessif parce que leur plan individuel pour ce faire n’était pas crédible. L’agent des visas a également conclu à l’insuffisance des éléments de preuve fournis à l’égard de la capacité financière des demandeurs de compenser le fardeau excessif. Les demandeurs prétendaient que la médecin avait effectué une évaluation générique de l’état de leur fils et du fardeau probable pour les services sociaux au Canada et qu’elle avait omis de prendre en compte les facteurs non médicaux tels que la capacité et l’intention des demandeurs d’atténuer le fardeau excessif.

Les questions litigieuses principales étaient celles de savoir quelles étaient les obligations respectives d’un médecin et d’un agent des visas en ce qui a trait à l’examen de facteurs non médicaux qui pourraient atténuer le fardeau excessif d’un demandeur pour les services sociaux, et de savoir si la médecin avait rempli ses obligations en l’espèce.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La jurisprudence récente est divisée à l’égard de la question de savoir à qui incombe la responsabilité de faire une évaluation du fardeau excessif. Il est possible de résoudre ces ambiguïtés en renvoyant à la décision que la Cour suprême a rendue dans l’arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). Dans Hilewitz, la Cour a statué que les médecins agréés avaient l’obligation de tenir compte de tous les éléments pertinents, tant de nature médicale que non médicale, par exemple la disponibilité des services et les besoins prévus à cet égard. L’agent des visas doit ensuite examiner la décision du médecin pour vérifier que tous les facteurs pertinents ont été pris en compte. Parce que l’agent des visas ne possède pas nécessairement le pouvoir d’écarter la décision du médecin, il est essentiel que le médecin tienne compte de tous les facteurs pertinents, y compris les facteurs non médicaux. En l’espèce, la médecin a pris en compte l’intention et la capacité lors de son évaluation de la réponse des demandeurs à la lettre d’équité, et cet examen était suffisant pour qu’elle s’acquitte de son obligation découlant de l’arrêt Hilewitz. La médecin ne devait pas nécessairement rechercher activement des renseignements sur la capacité et l’intention des demandeurs lors de son évaluation médicale initiale. Les demandeurs sont les mieux placés pour fournir ces renseignements et la possibilité équitable de le faire leur a été offerte dans la lettre d’équité. Cela dit, la médecin n’a pas fourni de motifs suffisants pour étayer sa décision. L’agent des visas a toutefois fourni des motifs détaillés pour conclure que les demandeurs n’avaient pas la capacité et l’intention, et ces motifs étaient suffisants pour permettre aux demandeurs de comprendre la raison pour laquelle leur demande de résidence permanente avait été rejetée.

Les conclusions de la médecin, qui ont été reproduites intégralement dans la décision de l’agent des visas, étaient raisonnables et ne justifiaient pas l’intervention de la Cour. En outre, les conclusions quant aux facteurs non médicaux (capacité et intention) ne justifiaient pas l’intervention de la Cour.

Deux questions ont été certifiées quant à la question de savoir si le médecin agréé est tenu de rechercher activement des renseignements à propos de la capacité et de l’intention des demandeurs d’atténuer le fardeau excessif pour les services sociaux, et de savoir si le médecin qui conclut qu’une personne est interdite de territoire pour des motifs sanitaires a l’obligation de fournir des motifs suffisants.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E.2, art. 8(3), 32(1) (mod. par L.O. 1997, ch. 31, art. 13), 33 (mod., idem, art. 14), 36 (mod., idem, art. 17; 2006, ch. 28, art. 8).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 38(1), 72 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 20, 30(4) (mod. par DORS/2004-167, art. 9).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

décisions examinées :

Rashid c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 157; Airapetyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 42; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Abdul, 2009 CF 967; Jafarian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 40, [2011] 1 R.C.F. 333.

décisions citées :

Gao c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 114 (1re inst.) (QL); Barnash c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 842; Rounta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 384; Sarkar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1556; Kirec c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 800; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539; Ching-Chu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 855; Colaco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 282; Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 271, [2003] 1 C.F. 301; Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89.

DOCTRINE CITÉE

Citoyenneté et Immigration Canada. Bulletin opérationnel 063. « Évaluation de fardeau excessif pour les services sociaux », le 24 septembre 2008, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/bulletins/2008/bo063.asp>.

Citoyenneté et Immigration Canada. Bulletin opérationnel 063B. « Évaluation de fardeau excessif pour les services sociaux », le 29 juillet 2009, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/bulletins/2009/bo063b.asp>.

  DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas a conclu que le demandeur principal est interdit de territoire au Canada parce que son fils a un état de santé à l’égard duquel on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’il risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Cecil L. Rotenberg, c.r., pour les demandeurs.

Michael W. Butterfield pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Cecil L. Rotenberg, c.r., Toronto, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Mosley : Il s’agit d’une demande présentée en application de l’article 72 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi], sollicitant le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration désigné du Haut Commissariat du Canada à New Delhi (l’agent des visas), en Inde, datée du 11 juin 2009. L’agent des visas a conclu que le demandeur principal est interdit de territoire au Canada parce que son fils, Rishi, un membre de la famille qui l’accompagnait, a un état de santé à l’égard duquel on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’il risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada.

LE CONTEXTE ET LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[2]        Les demandeurs sont une famille originaire de l’Inde. Le demandeur principal, Vithal Sapru, est un ingénieur et il exploite sa propre entreprise depuis 1989. Son épouse Amita Sapru (Amita) est pédiatre. Leurs deux enfants, Radika (âgée de 15 ans) et Rishi (âgé de huit ans), les accompagneraient au Canada.

[3]        Vithal Sapru a présenté une demande de résidence permanente au Canada le 27 juin 2002 à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Dans le cadre de cette demande, le demandeur principal et tous les membres de la famille qui l’accompagnaient étaient tenus de subir des examens médicaux.

[4]        Les résultats des examens ont été évalués par un médecin (la médecin) à la Direction générale de la gestion de la santé de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). La médecin a conclu que Rishi souffre d’un retard de développement, notamment un retard psychomoteur et un retard dans le développement de la parole. À l’âge de 8 ans, il avait l’âge mental d’un enfant de 4 ans et un quotient intellectuel se situant entre 60 et 65. La médecin a conclu que Rishi aura probablement besoin d’une série de services sociaux au Canada. Elle a fourni des motifs détaillés pour ses conclusions.

[5]        Dans une lettre datée du 8 décembre 2008 adressée aux demandeurs (la lettre d’équité), l’agent des visas a mentionné les conclusions de la médecin et a rendu une décision provisoire selon laquelle Rishi était interdit de territoire au Canada pour motifs sanitaires. La lettre d’équité invitait les demandeurs à fournir des renseignements supplémentaires concernant l’état de santé de Rishi, les services sociaux requis et/ou [traduction] « votre plan individuel pour garantir que les services sociaux canadiens ne subiront pas un fardeau excessif pour la totalité de la période mentionnée ci-dessus ainsi que votre déclaration de capacité et d’intention signée ».

[6]        Les demandeurs ont présenté des observations sur l’étendue de l’état de Rishi, les services sociaux dont il aurait besoin et leur capacité et intention de payer les services sociaux (la réponse à la lettre d’équité). Ils n’ont pas présenté une déclaration de capacité et d’intention.

[7]        Le 8 juin 2009, la médecin a rédigé de brefs motifs : qu’elle avait examiné la réponse à la lettre d’équité dans son entier et qu’elle avait conclu que la réponse ne changeait pas son évaluation initiale selon laquelle Rishi était interdit de territoire au Canada.

[8]        Dans une décision datée du 11 juin 2009, l’agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs. Il a adopté les motifs détaillés de l’évaluation initiale de la médecin concernant l’étendue de l’état de Rishi et les services sociaux dont il aurait probablement besoin. Par la suite, l’agent des visas a alors examiné d’une manière assez détaillée la question de savoir si les demandeurs avaient la capacité et l’intention d’atténuer le fardeau excessif de Rishi pour les services sociaux (capacité et intention).

[9]        L’agent des visas n’a pas été convaincu de l’intention des demandeurs de compenser le fardeau excessif parce que leur « plan » pour ce faire n’était pas crédible, pour les motifs suivants :

a) les demandeurs déclarent qu’Amita demeurera à la maison pour s’occuper de Rishi, mais cela est peu probable puisqu’elle a travaillé ou été travailleuse autonome sans interruption depuis 1992;

b) Rishi voit déjà des spécialistes en Inde et il continuera donc probablement de le faire;

c) l’offre du frère de Vithal Sapru de donner une maison à la famille n’est pas crédible;

d) les demandeurs ont présenté le dépliant d’un fournisseur de services de physiothérapie appelé Footprints, mais cela ne constitue pas un « plan » individualisé suffisant;

e) les demandeurs ont présenté une convention d’indemnisation qui prétend indemniser les ministres ontariens de la Santé et de l’Éducation pour les coûts des services sociaux dont Rishi a besoin; la convention n’a toutefois pas été signée par les ministres et elle n’est pas exécutoire;

f) aucun « plan » individualisé clair n’a été fourni.

[10]      L’agent des visas a également conclu à l’insuffisance des éléments de preuve fournis à l’égard de la capacité financière des demandeurs de compenser le fardeau excessif. La réponse à la lettre d’équité ne contenait aucun détail d’ordre financier. Des éléments de preuve financière antérieurs apparaissent au dossier, mais soit ils ne sont plus à jour, soit ils sont insuffisamment détaillés.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]      La présente demande de contrôle judiciaire soulève plusieurs questions. Je les reformulerais comme suit :

a) Quelle est la norme de contrôle applicable?

b) Quelles sont les obligations respectives d’un médecin et d’un agent des visas en ce qui a trait à l’examen des facteurs non médicaux qui pourraient atténuer le fardeau excessif d’un demandeur pour les services sociaux? La médecin a-t-elle rempli ses obligations en l’espèce?

c) Les demandeurs ont-ils bénéficié d’une équité procédurale suffisante?

d) Les conclusions médicales de la médecin et de l’agent étaient-elles raisonnables?

e) Les conclusions non médicales de la médecin et de l’agent étaient-elles raisonnables?

ANALYSE

La norme de contrôle

[12]      La décision faisant l’objet de contrôle est la décision de l’agent des visas datée du 11 juin 2009. Cependant, comme je l’explique ci-après, le principal rôle de l’agent des visas est d’examiner la décision de la médecin. Pour savoir si cela a été fait légalement, la Cour doit examiner la décision de la médecin.

[13]      Dans une décision que j’ai rendue récemment dans Rashid c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 157, j’ai eu l’occasion d’examiner la norme de contrôle à appliquer à la décision des agents des visas et des médecins relativement à l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires. J’ai conclu que la Cour devait faire preuve de beaucoup de retenue à l’égard des conclusions de fait d’un agent des visas. En ce qui a trait à la norme de contrôle applicable à la décision d’un médecin, j’ai conclu comme suit aux paragraphes 14 et 15 :

   Dans Gao c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 61 F.T.R. 65, [1993] A.C.F. no 114, aux pages 317 et 318, le juge Dubé a traité dans les termes suivants de la norme de contrôle applicable à une conclusion de fait à laquelle était parvenu un médecin agréé :

La jurisprudence relative aux décisions de non-admissibilité pour des raisons d’ordre médical rendues par des agents d’immigration ou des agents des visas nous vient surtout de tribunaux d’appel. Bien entendu, les grands principes qui se dégagent de ces décisions sont pertinents à une demande de contrôle judiciaire en vue d’annuler la décision d’un agent d’immigration.

Le principe le plus important qui se dégage de cette jurisprudence est que les tribunaux de révision ou d’appel n’ont pas compétence pour tirer des conclusions de fait liées au diagnostic médical, mais qu’ils sont compétents pour examiner la preuve afin de savoir si l’avis des médecins agréés est raisonnable, compte tenu des circonstances de l’affaire. Canada (M.E.I) c. Jiwanpuri (1990), 109 N.R. 293 (C.A.F.). Le caractère raisonnable d’un avis médical doit être apprécié non seulement à l’époque où il a été émis mais également à l’époque à laquelle l’agent d’immigration s’en est servi pour rendre sa décision, puisque c’est cette décision qui fait l’objet du contrôle ou de l’appel, Jiwanpuri. Les motifs pour lesquels une décision peut être jugée déraisonnable comprennent l’incohérence ou les contradictions, l’absence de preuve à l’appui de la décision, le défaut d’avoir tenu compte d’une preuve convaincante, ou le défaut d’avoir tenu compte de facteurs énoncés à l’article 22 du Règlement. [Certains renvois ont été omis.]

   Dans Barnash c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 842, [2009] A.C.F. no 990, au paragraphe 20, le juge Mandamin a cité Gao en affirmant que, compte tenu de la nature spécialisée de l’avis du médecin agréé, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à l’égard de l’aspect factuel de la décision est celle de la décision raisonnable. Je souscris à cette conclusion.

[14]      Contrairement à l’approche adoptée dans les décisions Rashid, Gao [Gao c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 114 (1re inst.) (QL)] et Barnash [Barnash c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 842], des décisions telles que Rounta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 FC 384; Sarkar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1556; et Kirec c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 800, ont appliqué la décision correcte comme norme de contrôle des décisions des agents des visas et des médecins. Cette jurisprudence s’appuie sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706 (arrêt Hilewitz).

[15]      À mon avis, il ressort clairement du paragraphe 71 de l’arrêt Hilewitz que la Cour suprême a adopté la décision correcte comme norme parce que l’affaire reposait clairement sur des questions de droit. Je ne crois pas que la Cour suprême avait l’intention d’imposer la décision correcte comme norme de contrôle des décisions des agents des visas ou des médecins qui étaient essentiellement factuelles. À mon avis, la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de la médecin et de l’agent des visas est la raisonnabilité, pour les motifs énoncés dans Rashid, Gao et Barnash.

[16]      En l’espèce, les demandeurs allèguent que la médecin a omis de remplir les obligations énoncées dans l’arrêt Hilewitz. Il s’agit d’une question de droit qui doit être examinée selon la décision correcte. Les demandeurs soulèvent également des questions d’équité procédurale, qui doivent être examinées selon la décision correcte (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539). En d’autres mots, cette norme devrait s’appliquer aux questions b) et c).

[17]      Par ailleurs, les questions d) et e) visent le contenu des décisions de la médecin et de l’agent des visas, qui sont essentiellement factuelles. Ces questions seront examinées selon la raisonnabilité.

Les obligations des médecins et des agents des visas

[18]      Les demandeurs prétendent que la médecin a effectué une évaluation générique de l’état de Rishi et du fardeau probable pour les services sociaux au Canada. Ils soutiennent qu’elle a omis de prendre en compte les facteurs non médicaux tels que la capacité et l’intention des demandeurs d’atténuer le fardeau excessif de Rishi.

[19]      Dans l’arrêt Hilewitz, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il fallait faire une évaluation individualisée pour déterminer un fardeau excessif. Il est maintenant bien établi que les facteurs médicaux et non médicaux doivent les uns et les autres être pris en compte. En l’espèce, l’agent des visas a fourni une analyse détaillée de la capacité et de l’intention des demandeurs. Les demandeurs font valoir que cela ne suffit pas parce que le fardeau excessif relève de la responsabilité de la médecin.

[20]      La jurisprudence récente est divisée à l’égard de la question de savoir à qui, de l’agent des visas ou du médecin, incombe cette responsabilité. Dans Airapetyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 42, la Cour [au paragraphe 20] a exigé que « les agents des visas tiennent compte de la volonté de la famille à payer » (non souligné dans l’original). Un libellé similaire apparaît dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Abdul, 2009 CF 967, au paragraphe 24.

[21]      Par ailleurs, la décision Sarkar, précitée, au paragraphe 20, et Ching-Chu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 855, au paragraphe 15, donnent à entendre que les agents des visas et les médecins doivent les uns et les autres tenir compte des facteurs non médicaux.

[22]      La décision Jafarian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 40, [2011] 1 R.C.F. 333, au paragraphe 29, semble placer la responsabilité carrément sur les épaules de l’agent des visas. Cependant, à mon avis, la décision Jafarian insiste sur l’obligation de l’agent des visas d’examiner la décision du médecin. Le raisonnement suivi dans la décision Jafarian ne dispense pas nécessairement le médecin d’examiner la capacité et l’intention.

[23]      Je crois pouvoir résoudre ces ambiguïtés en renvoyant à l’arrêt le plus récent de la Cour suprême du Canada sur la question. Au paragraphe 70 de l’arrêt Hilewitz, la Cour suprême a statué comme suit :

   Les médecins agréés et les agents des visas avaient l’obligation de tenir compte de tous les éléments pertinents, tant de nature médicale que non médicale, par exemple la disponibilité des services et les besoins prévus à cet égard. Or dans les deux cas, les agents des visas ont commis une erreur en confirmant le refus des médecins agréés de prendre en considération l’incidence possible de la volonté des familles d’apporter leur soutien.

[24]      Compte tenu de l’arrêt Hilewitz, je suis d’accord avec les demandeurs que le médecin a l’obligation d’effectuer une analyse complète de tous les facteurs, médicaux et non médicaux. L’agent des visas doit ensuite examiner la décision du médecin pour vérifier que tous les facteurs pertinents ont été pris en compte.

[25]      Le paragraphe 30(4) [mod. par DORS/2004-167, art. 9] et l’article 20 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), étayent mon opinion. Le paragraphe 30(4) prévoit que pour entrer au Canada, l’étranger doit être titulaire d’un certificat médical attestant que son état de santé ne risque pas d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. Puisque la délivrance d’un certificat est une décision que seul un médecin peut prendre, il est important que le médecin tienne compte de tous les facteurs pertinents pour déterminer s’il y aura un fardeau excessif. Il ne suffit pas qu’un agent des visas, qui n’est pas un médecin, examine ces questions.

[26]      L’article 20 [du Règlement] prévoit que lorsque le médecin conclut qu’une personne créera un fardeau excessif, l’agent des visas doit conclure que la personne est interdite de territoire. Cette interprétation ressort très clairement de la version française de cette disposition, qui est rédigée comme suit :

20. L’agent chargé du contrôle conclut à l’interdiction de territoire de l’étranger pour motifs sanitaires si, à l’issue d’une évaluation, l’agent chargé de l’application des articles 29 à 34 a conclu que l’état de santé de l’étranger constitue vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risque d’entraîner un fardeau excessif.

Évaluation pour motifs sanitaires

Ainsi, l’agent des visas ne possède pas nécessairement le pouvoir d’écarter la décision du médecin. Pour ce motif, à mon avis, il est essentiel que le médecin tienne compte de tous les facteurs pertinents, y compris les facteurs non médicaux.

[27]      Le défendeur ne conteste pas sérieusement que le médecin doive tenir compte de la capacité et de l’intention, mais fait valoir que le médecin l’a fait en l’espèce. Je suis d’accord avec le défendeur sur ce point.

[28]      Les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (les notes du STIDI) contiennent les motifs de la médecin, rédigés le 8 juin 2009, dans lesquels elle fait état de tous les documents mentionnés dans la réponse à la lettre d’équité et déclare qu’elle les a tous examinés. Ces documents représentaient les observations des demandeurs sur la capacité et l’intention. De même, dans l’affidavit souscrit le 23 décembre 2009, la médecin a affirmé qu’elle avait tenu compte de la capacité et de l’intention des demandeurs.

[29]      Lors du contre-interrogatoire sur son affidavit, la médecin a avoué qu’elle avait effectué son évaluation médicale initiale sans avoir tenu compte des facteurs non médicaux, parce qu’elle avait alors cru que l’arrêt Hilewitz ne s’appliquait pas aux demandeurs de la catégorie des travailleurs qualifiés. Dans son témoignage, elle a cependant affirmé que lorsqu’elle avait examiné la réponse à la lettre d’équité, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) avait publié le Bulletin opérationnel 063 [« Évaluation de fardeau excessif pour les services sociaux », le 24 septembre 2008, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/ guides/bulletins/2008/bo063.asp> (le Bulletin)] qui confirmait que les facteurs non médicaux devaient être pris en compte dans tous les cas (voir Colaco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 282). La médecin a confirmé qu’elle avait pris ces facteurs en compte lors de son évaluation de la réponse à la lettre d’équité. À mon avis, son examen des facteurs non médicaux à cette étape était suffisant, et elle s’est acquittée de son obligation découlant de l’arrêt Hilewitz.

[30]      La médecin a également déclaré au cours de son contre-interrogatoire qu’en pratique, elle tient compte des éléments de preuve concernant la capacité et l’intention des demandeurs et qu’elle suppose que les éléments de preuve sont fiables. Elle s’en remet à l’agent des visas pour confirmer l’authenticité des éléments de preuve. Pour cette raison, l’agent des visas doit rendre la décision définitive. Malgré les excellents arguments des demandeurs, je ne peux pas conclure que cette pratique contrevient aux principes énoncés dans l’arrêt Hilewitz. En supposant que les éléments de preuve non médicale sont à première vue authentiques, le médecin tient compte de tous les facteurs et éléments de preuve pertinents, comme l’exige l’arrêt Hilewitz.

[31]      Les demandeurs critiquent le Bulletin opérationnel 063 en ce qu’il institutionnaliserait des pratiques qui contreviennent à l’arrêt Hilewitz. Selon le Bulletin, un médecin examinera la réponse à la lettre d’équité pour décider si le « plan » visant à atténuer le fardeau excessif peut être réalisé d’un point de vue médical. S’il ne le peut, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de la capacité et de l’intention. Toutefois, si le « plan » peut être réalisé, la question de la capacité et de l’intention est renvoyée à l’agent des visas.

[32]      Je suis d’accord avec les demandeurs que l’approche du Bulletin, telle que décrite, soulève des problèmes, parce que si elle était suivie, le médecin ne serait pas en mesure de tenir compte de la capacité et de l’intention. J’accepte toutefois l’affidavit et le témoignage en contre-interrogatoire de la médecin sur la manière dont la politique a été interprétée dans la pratique. Elle décide non seulement si le « plan » peut être réalisé d’un point de vue médical, mais également du point de vue de la capacité et de l’intention des demandeurs de l’exécuter, en supposant que les éléments de preuve pertinents sont authentiques. Ainsi, bien que la politique, telle qu’elle est rédigée, soulève des problèmes, je ne suis pas convaincu qu’elle a mené à une véritable erreur en l’espèce.

[33]      Je ne fais aucune observation sur les politiques les plus récentes de CIC, contenues dans le Bulletin opérationnel 063B [« Évaluation de fardeau excessif pour les services sociaux », le 29 juillet 2009, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/bulletins/2009/bo063b.asp>], parce qu’elles n’étaient pas encore en vigueur lorsque la décision a été rendue dans la présente affaire. La Cour examinera le Bulletin opérationnel 063B lorsqu’elle sera saisie d’une affaire le mettant en question.

[34]      Pour tous ces motifs, je suis convaincu que la médecin a tenu compte des éléments de preuve non médicale en l’espèce comme elle était tenue de le faire.

[35]      La présente demande soulève deux autres questions concernant les responsabilités de la médecin. La première question vise la mesure dans laquelle elle doit s’enquérir de la capacité et de l’intention des demandeurs. Les demandeurs disent qu’elle aurait dû activement rechercher ces renseignements lors de son évaluation médicale initiale, de la même manière qu’elle rechercherait des renseignements médicaux en effectuant un examen ou en délivrant une « demande de suivi ». En toute déférence, je ne suis pas persuadé que cela soit nécessaire. Les demandeurs sont les mieux placés pour fournir des éléments de preuve de leur capacité et de leur intention et une possibilité équitable de le faire leur a été offerte dans la lettre d’équité. Il n’y a aucune raison pour laquelle un médecin devrait demander des renseignements à une étape plus précoce, dans la mesure où il examine avec soin et avec un esprit ouvert toute réponse à la lettre d’équité.

[36]      Les demandeurs soutiennent que dans la décision Abdul, précitée, le juge Kelen a conclu qu’une lettre d’équité n’est pas un moyen suffisant de recherche des renseignements concernant la capacité et l’intention. À mon avis, cette observation constitue une mauvaise interprétation de la décision du juge Kelen, qui a tout simplement conclu que la lettre dans cette affaire particulière n’était pas suffisamment détaillée quant aux renseignements dont le médecin avait besoin. En l’espèce, la lettre d’équité était beaucoup plus détaillée et je suis convaincu qu’elle faisait état exactement du genre de renseignements dont avait besoin la médecin pour rendre une décision appropriée : [traduction] « un plan raisonnable qui peut être réalisé, de même que les moyens financiers et l’intention de mettre ce plan en œuvre, afin d’atténuer le fardeau excessif que vous imposeriez autrement pour les services sociaux, après avoir émigré au Canada ».

[37]      La deuxième question est la mesure dans laquelle la médecin devait fournir des motifs pour sa décision. Les demandeurs soutiennent que ses motifs à l’égard des éléments de preuve non médicale étaient insuffisants. Elle a simplement dit que son examen de tous les documents de la réponse à la lettre d’équité ne lui avait pas fait changer son évaluation initiale.

[38]      Je n’hésite pas à conclure que ces motifs sont insuffisants. Ils n’expliquent pas comment la médecin a analysé la réponse à la lettre d’équité ni comment elle a tiré ses conclusions. L’agent des visas a toutefois fourni des motifs détaillés et a conclu que les demandeurs n’avaient pas la capacité et l’intention. La question est de savoir si cela légitime les motifs de la médecin.

[39]      Les demandeurs font valoir que ce n’est pas le cas, pour deux raisons. Premièrement, l’agent des visas doit examiner la décision de la médecin et cela exige des motifs suffisants de la part de la médecin pour ce faire. Deuxièmement, puisque la médecin est le décideur réel, les demandeurs exigent qu’elle leur fournisse ses propres motifs pour qu’ils puissent comprendre la raison pour laquelle leur demande a été rejetée.

[40]      En ce qui a trait au premier argument des demandeurs, l’agent des visas ne se trouve pas dans la position d’une cour de justice à l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire, dont l’examen doit porter sur des motifs écrits. Selon le Bulletin opérationnel 063, l’agent des visas et le médecin doivent collaborer tout au long du processus décisionnel. L’agent des visas peut demander des éclaircissements auprès du médecin en cas de doute quant à savoir si la décision est raisonnable ou complète. Ainsi, l’examen de la décision de la médecin par l’agent des visas ne nécessite pas de motifs exhaustifs.

[41]      En ce qui a trait au deuxième argument des demandeurs, la Cour suprême du Canada a affirmé dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, que les motifs peuvent être fournis par une autre personne que le décideur réel. Selon la Cour suprême, au paragraphe 44 de l’arrêt Baker :

[Cela] fait partie de la souplesse nécessaire, ainsi que l’ont souligné Macdonald et Lametti, loc. cit., quand des tribunaux évaluent les exigences de l’obligation d’équité tout en tenant compte de la réalité quotidienne des organismes administratifs et des nombreuses façons d’assurer le respect des valeurs qui fondent les principes de l’équité procédurale. Cela confirme le principe selon lequel les individus ont droit à une procédure équitable et à la transparence de la prise de décision, mais reconnaît aussi qu’en matière administrative, cette transparence peut être atteinte de différentes façons.

[42]      Dans les circonstances de l’espèce, je suis convaincu que les motifs fournis par l’agent des visas sont suffisants et qu’ils permettront aux demandeurs de comprendre la raison pour laquelle leur demande de résidence permanente a été rejetée. Les demandeurs ont bénéficié d’un processus décisionnel équitable et transparent. Ce motif de contrôle judiciaire ne peut être retenu.

L’équité procédurale

[43]      Les demandeurs mentionnent le libellé de la lettre d’équité, qui donne à penser que l’agent des visas avait déjà pris une décision définitive, avant que les demandeurs aient eu l’occasion de présenter des observations sur la capacité et l’intention. Je suis convaincu qu’il ressort clairement de la lecture de la lettre d’équité dans son ensemble qu’une décision définitive n’avait pas été encore prise. L’agent des visas a écrit qu’il [traduction] « semble » que Rishi [traduction] « puisse » être interdit de territoire. La lettre se poursuit de la façon suivante :

[traduction] Avant que je rende une décision définitive, vous avez l’occasion de présenter des renseignements supplémentaires concernant l’un des éléments suivants ou l’ensemble de ceux-ci : l’état de santé mentionné; les services sociaux nécessaires au Canada pour la période mentionnée ci-dessus; votre plan individualisé pour assurer que les services sociaux canadiens ne subiront pas un fardeau excessif pour la totalité de la période mentionnée ci-dessus ainsi que votre déclaration de capacité et d’intention signée.

[. . .]

Afin de montrer que le membre de votre famille ne constituera pas un fardeau excessif pour les services sociaux s’il est autorisé à immigrer au Canada, vous devez prouver à la satisfaction de l’agent responsable de l’évaluation que vous avez un plan raisonnable qui peut être réalisé, de même que les moyens financiers et l’intention de mettre ce plan en œuvre, afin d’atténuer le fardeau excessif que vous imposeriez autrement pour les services sociaux, après avoir émigré au Canada.

[44]      À mon avis, les demandeurs ont pleinement eu la possibilité de présenter des observations concernant l’opinion médicale et les facteurs non médicaux comme la capacité et l’intention.

[45]      Je suis également convaincu que la lettre d’équité dit clairement que la médecin tiendra compte de la question du fardeau excessif. L’agent des visas utilise le pronom [traduction] « je » constamment pour se désigner lui-même. Alors, l’affirmation [traduction] « l’agent responsable de l’évaluation » examinera la question du fardeau excessif peut uniquement désigner la médecin.

Les conclusions médicales de la médecin et de l’agent des visas

[46]      Les conclusions de la médecin ont été reproduites intégralement dans la décision de l’agent des visas. Les demandeurs critiquent ces conclusions parce qu’elles exagèrent la gravité de l’état de Rishi et qu’elles font état d’un nombre beaucoup plus grand de services sociaux requis que ceux qui seront réellement nécessaires.

[47]      En ce qui concerne le diagnostic de Rishi, la médecin a déclaré ce qui suit :

[traduction] Le demandeur âgé de huit ans est né le 18 octobre 2001 et souffre d’un retard de développement. Il est atteint d’un retard psychomoteur et d’un retard dans le développement de la parole à la suite d’une hypoxie périnatale [. . .] Il a l’âge mental d’un enfant de quatre ans et son quotient intellectuel se situe entre 60 et 65. À l’heure actuelle, il dépend de sa famille pour la plupart des activités de la vie courante et il connaît un retard dans la plupart des capacités d’adaptation.

[48]      Eu égard à la raisonnabilité comme norme de contrôle, je conclus que la médecin disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour tirer ces conclusions. La déclaration selon laquelle Rishi connaît un retard dans [traduction] « la plupart » des capacités d’adaptation est, à mon avis, une interprétation raisonnable du rapport psychologique présenté aux pages M–92 à M–94 du dossier certifié du tribunal.

[49]      La médecin énumère ensuite les services sociaux dont Rishi aurait besoin. Je suis d’accord avec les demandeurs qu’il ne semble pas probable que Rishi aura réellement besoin de tous ces services. La preuve étaye cependant la conclusion selon laquelle Rishi aura besoin d’une éducation spécialisée et, dans ce contexte, il aura vraisemblablement besoin d’une évaluation réalisée par une équipe multidisciplinaire qui devra mettre au point un programme d’éducation individualisé pour lui. De même, les demandeurs reconnaissent que Rishi aura besoin de services d’orthophonie et d’ergothérapie. La preuve montre également que, sous réserve de la capacité et de l’intention des demandeurs de les atténuer, les coûts de ces services nécessaires constitueront un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens.

[50]      Pour ces motifs, je conclus que même si la médecin a surestimé l’étendue des services sociaux dont Rishi aurait besoin au Canada, cette erreur n’était pas importante. Il ressort clairement de la preuve que Rishi aura réellement besoin de nombreux services sociaux, dont les coûts constitueront un fardeau excessif à moins que la famille de Rishi soit en mesure et ait l’intention de les atténuer. Rien ne justifie que la Cour intervienne dans les conclusions médicales de la médecin.

Les conclusions de l’agent des visas et de la médecin relativement aux facteurs non médicaux (capacité et intention)

[51]      Comme je l’ai dit ci-dessus, j’accepte les motifs de l’agent des visas en tant que motifs de décision concernant les questions non médicales. La question dont l’agent des visas et la médecin étaient saisis était de savoir si, selon la prépondérance de la preuve, les demandeurs avaient la capacité et l’intention d’atténuer le fardeau excessif que l’état de santé de Rishi constituerait vraisemblablement pour les services sociaux canadiens. L’agent des visas n’était pas convaincu que les demandeurs avaient la capacité ou un « plan » crédible pour éviter le fardeau excessif.

[52]      Les demandeurs n’ont pas présenté de « plan » officiel, mais la réponse à la lettre d’équité établit ce qu’ils estiment être le « plan ». Ce plan repose sur une convention d’indemnisation en vertu de laquelle les ministres ontariens de la Santé et de l’Éducation seraient indemnisés des coûts de tous les services sociaux dont Rishi aura besoin.

[53]      Dans la décision Jafarian, précitée, le juge Harrington a conclu que « [l]’engagement de ne pas demander au gouvernement de payer ce que ce dernier est tenu de payer de par la loi n’est tout simplement pas exécutable » (paragraphe 25; voir aussi Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 271, [2003] 1 C.F. 301, au paragraphe 46). Alors que la décision Jafarian et l’arrêt Deol concernaient tous deux des services de santé, à mon avis, l’engagement de payer des services sociaux n’est pas plus exécutable lorsque les services en question sont garantis pour tous les résidants de la province concernée. En Ontario, la province dans laquelle les demandeurs ont l’intention de vivre, le régime scolaire public garantit l’éducation spécialisée gratuite à tous les résidents qui en ont besoin (voir les paragraphes 8(3), 32(1) [mod. par L.O. 1997, ch. 31, art. 13] et les articles 33 [mod., idem, art. 14] et 36 [mod., idem, art. 17; 2006, ch. 28, art. 8] de la Loi sur l’éducation de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. E.2.

[54]      Le plan des demandeurs allait au-delà de la convention d’indemnisation non exécutable. La lettre d’Amita contenue dans la réponse à la lettre d’équité affirme qu’il n’y aura aucun fardeau pour le régime scolaire public parce que Rishi fréquentera un programme scolaire Montessori privé, auquel s’ajoutera l’enseignement qu’elle dispensera à domicile. La réponse à la lettre d’équité contenait également l’affidavit de Vimal Sapru, l’oncle de Rishi. Il y était mentionné que Vimal Sapru [traduction] « s’est personnellement renseigné à la Merle L. Levine Academy Inc., située au 4630, rue Dufferin, bureau 318, Toronto (Ontario), M3H 5S4. Les droits de scolarité annuels pour ces écoles vont de 20 000 $ à 25 000 $ ». Ces éléments du « plan » sont importants parce que selon la lettre d’équité, les coûts des services sociaux les plus importants que Rishi est susceptible d’engager sont les coûts de l’éducation spéciale dans le régime scolaire public de l’Ontario.

[55]      Selon le « plan », Rishi recevra aussi des services privés de physiothérapie ou d’ergothérapie par le biais d’une organisation appelée Footprints.

[56]      À mon avis, l’agent des visas a raisonnablement conclu que ce « plan » n’était pas crédible. Comme l’a souligné le défendeur dans sa plaidoirie, aucun élément de preuve ne montre que l’école Montessori envisagée ou la Merle L. Levine Academy offre des programmes qui répondent aux besoins particuliers de Rishi. De même, aucun élément de preuve ne montre que l’une ou l’autre des deux écoles est disposée à accepter Rishi comme élève. Bien que j’accepte la preuve par affidavit de Vimal Sapru selon laquelle il [traduction] « s’est personnellement renseigné » à la Merle L. Levine Academy, il n’y a aucun élément de preuve quant aux résultats de ces demandes de renseignements. La médecin a mentionné ces réserves à l’occasion du contre-interrogatoire sur son affidavit. De même, l’agent des visas a raisonnablement conclu que la présentation d’un dépliant de Footprints ne constituait pas un [traduction] « plan individualisé » suffisant.

[57]      Dans leur plaidoirie, les demandeurs ont fait savoir que l’agent des visas aurait dû leur donner l’occasion de répondre à ces réserves. En l’espèce, je suis convaincu que les réserves de l’agent des visas et de la médecin sont des réserves que les demandeurs auraient dû prévoir. La lettre d’équité demande un plan qui soit [traduction] « individualisé » et [traduction] « qui peut être réalisé ». Les demandeurs auraient dû savoir que l’énumération du nom d’écoles et la présentation d’un dépliant, sans autre détail, ne seraient pas suffisants. Il incombait aux demandeurs de fournir suffisamment d’éléments de preuve pour persuader la médecin et l’agent des visas. En conséquence, compte tenu des circonstances de la présente affaire, la médecin et l’agent des visas n’étaient pas tenus de faire part de leurs réserves aux demandeurs (Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872).

[58]      Dans la mesure où le « plan » ne s’appuie pas sur l’enseignement et des services de physiothérapie privés, mais sur l’enseignement dispensé à domicile et d’autres services fournis par Amita, je conclus que l’agent des visas a raisonnablement conclu que cela n’était pas crédible. Rishi a assurément de la chance que sa mère soit pédiatre, mais aucun élément de preuve ne donne à penser qu’Amita est une spécialiste en orthophonie, en ergothérapie ou relativement aux besoins en matière d’éducation d’un enfant souffrant d’un retard de développement. De plus, l’agent des visas a conclu que selon toute vraisemblance Amita chercherait du travail à l’extérieur de la maison plutôt que d’y rester pour prodiguer des soins à Rishi. Cette conclusion n’était pas déraisonnable compte tenu qu’Amita a été employée ou travailleuse autonome sans interruption depuis 1992.

[59]      Puisque les demandeurs n’ont fourni aucun « plan » crédible d’atténuation du fardeau excessif de Rishi pour les services sociaux, il est inutile d’examiner la question de savoir s’ils ont la capacité de réaliser un « plan ».

[60]      Pour tous ces motifs, je conclus que l’agent des visas n’a commis aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

Demande de certification de questions

[61]      Les demandeurs ont demandé de certifier les sept questions suivantes en tant que questions graves de portée générale pour le régime juridique :

[traduction]

a) En l’espèce, l’omission de la médecin d’effectuer ou de diriger elle-même la demande de renseignements nécessaire vicie-t-elle son opinion médicale?

b) La participation de l’agent des visas à la prise de décision de la manière envisagée par le Bulletin opérationnel 063B limite-t-elle le pouvoir discrétionnaire du médecin et l’opinion à prononcer en vertu du paragraphe 30(4) [du Règlement]?

c) Le médecin n’a-t-il aucune obligation de répondre aux observations présentées par le demandeur dans la réponse à la lettre d’équité lorsque ce dernier tente de réfuter les conclusions qui ont été tirées sans prise de renseignements, comme le donne à penser le paragraphe 61 de la décision Poste c. Canada?

d) La déclaration faite par le juge Dubé dans Gao c. Canada à propos des limites de l’examen d’un [agent] d’immigration d’une opinion médicale est-elle un énoncé exact du droit ou cet énoncé a-t-il été modifié par l’arrêt Dunsmuir c. Canada, ou subsidiairement, existe-t-il un conflit entre les deux théories sur la retenue?

e) Est-ce nécessaire, en ce qui concerne les critiques du plan présenté par la famille de Rishi sous serment, de répondre suffisamment à l’opinion médicale, ou l’agent des visas devrait-il donner plus d’indications quant à l’étendue du plan?

f) S’il existe des doutes dans l’esprit du médecin ou de l’agent des visas sur ce qui semble être à première vue une tentative de présenter un plan, l’agent des visas a le pouvoir de demander d’autres documents ou éléments de preuve. Puisqu’un représentant du ministère examine le plan pour la première fois, l’auteur du plan ne devrait-il pas avoir le droit de répondre à toute question soulevée par l’agent en ce qui a trait à tout autre détail exigé?

g) La réponse à la lettre d’équité satisfait-elle à l’obligation de demander des renseignements, ou le juge Kelen, dans Abdul c. Canada, interprète-t-il correctement le droit en ce que la forme utilisée n’est pas suffisamment claire pour constituer une demande de renseignements?

[62]      Le défendeur s’oppose à la certification de toutes ces questions au motif que les demandeurs ont fait ce à l’égard de quoi la Cour d’appel fédérale a fait une mise en garde dans l’arrêt Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, à savoir, rédiger une longue liste de questions qui ne transcendent pas les intérêts des parties.

[63]      Le critère applicable à la certification d’une question est qu’elle doit être de portée générale, qu’elle doit transcender l’intérêt des parties et qu’elle permettrait de régler l’appel (Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89). Le défendeur prétend que même si les questions b), d) et g) semblent transcender les intérêts des parties concernées, elles ne permettraient pas de régler l’appel en l’espèce.

[64]      Je trouve la question a) ambiguë. Si elle renvoie à l’obligation de la médecin d’examiner tous les facteurs pertinents elle-même, j’ai accepté l’argument des demandeurs selon lequel elle est tenue de le faire. Cette conclusion n’est pas déterminante puisque j’ai décidé que c’est ce qu’a fait la médecin.

[65]      Toutefois, si la question est de savoir si un médecin doit se renseigner activement quant à la capacité et l’intention en utilisant une [traduction] « demande de suivi » ou un mécanisme semblable, plutôt que de s’appuyer sur la réponse des demandeurs à la lettre d’équité, cette question peut transcender la présente affaire et permettre de régler un appel.

[66]      Je ne certifierai pas la question b) parce qu’aucun argument sur l’exercice limité du pouvoir discrétionnaire ne m’a été présenté et parce que le Bulletin opérationnel 063B n’était pas en vigueur à la période pertinente.

[67]      Le libellé de la question c) est alambiqué, mais il semble demander si la médecin a une obligation de fournir des motifs suffisants, au-delà de ceux de l’agent des visas. Je conclus qu’une question dans ce sens permettrait de régler un appel et aurait une portée générale.

[68]      À mon avis, la question d) ne permettrait pas de régler un appel et je ne la certifierai pas.

[69]      Si la question e) demande si la lettre d’équité aurait dû donner plus d’indications quant au contenu du « plan » exigé, elle ne transcende pas les faits de la présente affaire. La question de savoir si une lettre d’équité fournit ou non suffisamment d’indications est fonction du libellé de la lettre visée.

[70]      La question f) demande si, après avoir reçu le « plan » des demandeurs, le médecin et l’agent des visas doivent donner aux demandeurs l’occasion de répondre à leurs réserves. À mon avis, cette question ne doit pas être certifiée à ce moment-ci parce que la jurisprudence semble avoir bien établi que, dans les cas comme celui en l’espèce, où les réserves d’un décideur concernent la question de savoir si la preuve est suffisante et où ces réserves étaient prévisibles, il n’existe aucune obligation de demander des éclaircissements auprès des demandeurs (voir Selliah, précité).

[71]      Enfin, la question g) suppose une interprétation de la décision du juge Kelen dans la décision Abdul qui, à mon avis, ne peut être correcte. Contrairement à la prétention des demandeurs, le juge Kelen ne faisait que critiquer le libellé de la lettre d’équité particulière dans cette affaire. Puisque la question de savoir si une lettre d’équité est suffisamment claire dépend de son libellé, il ne s’agit pas d’une question qui peut transcender les faits de la présente affaire pour devenir une question de portée générale. Pour ce motif, je ne la certifierai pas.

[72]      En conclusion, je certifierai une version modifiée des questions a) et c), leur libellé étant modifié de sorte que les questions ne sont pas liées aux faits de la présente affaire.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

La cour ORDONNE : les questions suivantes sont certifiées en tant que questions graves de portée générale :

a) Lors de l’examen de la question de savoir si une personne est interdite de territoire pour des motifs sanitaires en application du paragraphe 38(1) de la Loi, le médecin est-il tenu de rechercher activement des renseignements à propos de la capacité et de l’intention des demandeurs d’atténuer le fardeau excessif pour les services sociaux dès le début de l’examen ou est-il suffisant que le médecin transmette une lettre d’équité et s’appuie sur la réponse des demandeurs à cette lettre?

b) Le médecin qui conclut qu’une personne est interdite de territoire pour des motifs sanitaires en application du paragraphe 38(1) de la Loi a-t-il l’obligation de fournir des motifs suffisants, qui est une obligation indépendante de l’obligation de l’agent des visas de fournir des motifs et qui n’est donc pas remplie par la présentation de motifs nettement suffisants de la part de l’agent des visas?

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