Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-67-97

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (appelant)

c.

Balbinder Singh Athwal (intimé)

Répertorié: Athwalc. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.)

Court d'appel, juges Denault, J.C.A. (de droit), Linden et Robertson, J.C.A."Vancouver, 2 septembre; Ottawa, 11 septembre 1997.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Personnes non admissibles La section d'appel de l'immigration a compétence en vertu de l'art. 70(5) de la Loi sur l'immigration, pour connaître d'un appel interjeté d'une mesure d'expulsion prise par un arbitre même si ce dernier n'a pas expressément conclu que la personne à expulser avait été déclarée coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ansUne approche littérale de l'interprétation de l'art. 70(5) de la Loi (qui prévoit que l'arbitre doit tirer une conclusion) produirait un résultat incompatible avec le pouvoir de l'arbitre et la disposition transitoire accompagnant l'adoption du nouvel art. 70(5).

Interprétation des lois Art. 70(5) de la Loi sur l'immigrationN'ayant trouvé aucune ambiguïté, le juge des requêtes a rejeté le recours à larègle d'oren matière d'interprétation législativeL'approche littérale ne doit pas être suivie si elle donne lieu à des absurdités.

Un arbitre de l'immigration a conclu que l'intimé était un résident permanent visé par le sous-alinéa 27(1)d)(i) de Loi sur l'immigration, et une mesure d'expulsion a été prise contre lui. La section d'appel de l'immigration (SAI) a refusé d'entendre l'appel interjeté par l'intimé de cette mesure pour le motif qu'elle n'avait pas compétence pour le faire en raison de l'alinéa 70(5)c) de la Loi, qui élimine le droit d'appel devant la SAI lorsqu'il est conclu notamment qu'un résident permanent a été déclaré coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. À l'occasion du contrôle judiciaire, le juge des requêtes a souscrit à l'argument de l'intimé selon lequel son droit d'appel devant la SAI n'avait pas été éteint parce que l'arbitre n'avait pas conclu expressément que l'intimé avait été déclaré coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. Le juge des requêtes a par la suite certifié une question concernant l'interprétation de l'alinéa 70(5)c) de la Loi. Appel est interjeté de la décision par laquelle le juge des requêtes a accueilli la demande de contrôle judiciaire.

Arrêt: l'appel doit être accueilli. En application de l'alinéa 70(5)c), la conclusion qu'une personne a été déclarée coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans peut être tirée par la section d'appel de l'immigration lorsqu'elle détermine si elle a compétence pour statuer sur un appel.

L'alinéa 70(5)(c) prévoit qu'aucun appel ne peut être interjeté devant la SAI par une personne contre qui une mesure d'expulsion a été prise lorsque le ministre est d'avis que cette personne constitue un danger pour le public au Canada (en janvier 1996, le ministre a émis un avis de danger à l'égard de l'intimé), et qu'un arbitre a conclu qu'elle était une personne visée à l'alinéa 27(1)d) qui avait été déclarée coupable d'une infraction punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. La question qui se pose est de savoir si l'arbitre, qui n'a pas tiré une telle conclusion expresse, était tenu d'établir, comme conclusion de fait, que l'intimé avait été déclaré coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.

Le paragraphe 70(5), qui est entré en vigueur le 10 juillet 1995, était accompagné d'une disposition transitoire prévoyant qu'il s'appliquait aux appels interjetés au plus tard à la date de son entrée en vigueur (l'appel de l'intimé devant la SAI a été déposé le 11 mai 1995) et dont l'audition n'avait pas été commencée (l'appel a été entendu en mars 1996).

L'alinéa 70(5)c) ne comporte aucune ambiguïté lorsqu'on l'interprète littéralement: cette disposition prévoit très clairement que la décision doit être prise par un arbitre. Toutefois, il est nécessaire d'invoquer la "règle d'or" en matière d'interprétation qui permet la modification du sens ordinaire ou grammatical des mots pour éviter les absurdités ou ambiguïtés. L'interprétation littérale en l'espèce conduit à deux absurdités: en premier lieu, elle force un arbitre à tirer une conclusion qu'il n'a pas le pouvoir légal de formuler (rien dans la Loi n'autorise expressément un arbitre présidant une enquête à tirer des conclusions factuelles à l'exception de celles requises aux fins de l'article 27 de la Loi); en second lieu, elle annule l'effet voulu de la disposition transitoire relativement à ces cas où un arbitre a pris sa décision antérieurement à l'entrée en vigueur de l'alinéa 70(5)c ) (l'interprétation littérale préserverait le droit d'interjeter appel même si une audition n'avait pas commencé, simplement parce qu'un arbitre n'aurait pas tiré une conclusion de fait particulière à un moment où la disposition applicable n'était même pas en vigueur).

Lorsqu'il existe, en concurrence, deux interprétations d'une disposition, dont l'une donne lieu à une absurdité et l'autre ne le fait pas, alors il est seulement juste et logique que la première soit rejetée. En l'espèce l'approche littérale devrait être rejetée puisqu'elle produit un résultat incompatible avec le pouvoir de l'arbitre et la disposition transitoire, qui font tous deux partie intégrante du fonctionnement approprié de la Loi.

lois et règlements

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 268(2), 279(2) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 39).

Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la Loi sur la citoyenneté et modifiant la Loi sur les douanes en conséquence, L.C. 1995, ch. 15, art. 13.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 27(1) d)(i),(ii) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16), (3) (mod. idem), 32(2) (mod., idem, art. 21), 69.4(2) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 70(5)c) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13), 80.1 (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 70).

jurisprudence

décision appliquée:

Canada c. Cymerman, [1996] 2 C.F. 593; (1996), 19 C.C.E.L. (2d) 226; 96 CLLC 210-027; 195 N.R. 361 (C.A.).

décisions examinées:

R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686; (1995), 95 C.C.C. (3d) 481; 36 C.R. (4th) 171; 178 N.R. 161; 79 O.A.C. 81; 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; (1996), 140 D.L.R. (4th) 577; 42 Admin. L.R. (2d) 1; 205 N.R. 1.

APPEL interjeté de la décision du juge des requêtes ([1997] A.C.F. no 95 (1re inst.)) qui a accueilli une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé d'entendre l'appel interjeté par l'intimé d'une mesure d'expulsion prise contre lui par un arbitre. Appel accueilli.

avocats:

Leigh A. Taylor pour l'appelant.

Chris Elgin pour l'intimé.

procureurs:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.

McPherson, Elgin and Cannon, Vancouver, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A.: La section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SAI) a refusé d'entendre l'appel interjeté par l'intimé d'une mesure d'expulsion prise contre lui par un arbitre. La SAI a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour entendre l'appel en raison de l'alinéa 70(5)c) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi). Cette disposition élimine le droit d'appel devant la SAI lorsqu'il est conclu notamment qu'une personne a été déclarée coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. L'intimé a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la SAI, prétendant que son droit d'appel n'avait pas été éteint parce que l'arbitre n'avait pas tiré cette conclusion particulière comme l'exige l'alinéa 70(5)c). Le ministre appelant (le ministre) a riposté en disant que, d'après une interprétation appropriée de cet alinéa, la SAI, et non l'arbitre, était autorisée à tirer la conclusion nécessaire. Le juge des requêtes [[1997] A.C.F. no 95 (1re inst.)] a souscrit à l'interprétation donnée par l'intimé à l'alinéa 70(5)c), et il a accueilli la demande de contrôle judiciaire, autorisant l'intimé à interjeter appel sur le "fond". C'est dans ce contexte que le juge des requêtes était disposé à certifier la question suivante aux fins de notre examen [au paragraph 22]:

En application de l'alinéa 70(5)c) de la Loi sur l'immigration, un arbitre doit-il expressément conclure qu'une personne visée à l'alinéa 27(1)d) est également une personne qui a été déclarée coupable d'une infraction punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, avant que l'alinéa 70(5)c) n'entre en jeu pour soustraire l'appel du requérant à la section d'appel de l'immigration, ou cette conclusion peut-elle être tirée par la section d'appel de l'immigration lorsqu'elle détermine si elle a compétence pour statuer sur l'appel?

Je me permets de dire que le juge des requêtes a commis une erreur dans son interprétation de l'alinéa 70(5)c) de la Loi. Les faits essentiels conduisant au présent appel ne sont pas contestés.

Le 5 octobre 1994, un agent d'immigration s'est fondé sur l'article 27 de la Loi pour établir un rapport écrit, alléguant, compte tenu des renseignements dont il disposait, que l'intimé était une personne visée aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et (ii) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16] de la Loi, étant un résident permanent qui:

27. (1) . . .

d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale:

(i) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée,

(ii) soit qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans;

Dans son rapport, l'agent d'immigration a mentionné particulièrement le fait que l'intimé était un résident permanent du Canada qui avait été déclaré coupable d'une infraction prévue au paragraphe 268(2) du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], condamné à un emprisonnement de trois ans dans un pénitencier, et que la peine maximale pour cette infraction était de quatorze ans. Il a également été fait état d'une condamnation fondée sur le paragraphe 279(2) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 39] du Code criminel pour laquelle l'intimé avait reçu une peine de trois ans. Sous le régime de cette disposition, la peine d'emprisonnement maximale ne pouvait dépasser dix ans.

En application du paragraphe 27(3) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16] de la Loi, l'intimé a été, par avis daté du 18 janvier 1995, informé d'une enquête menée aux fins de déterminer si une mesure d'expulsion devait être prise contre lui. L'enquête a été tenue le 11 mai 1995, et un arbitre a conclu que l'intimé était un résident permanent visé au sous-alinéa 27(1)d)(i), allégation reconnue par l'intimé. L'arbitre n'a tiré aucune autre conclusion. Comme l'exige le paragraphe 32(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 21], une mesure d'expulsion a été prise contre l'intimé. Le 11 mai 1995, il a saisi la SAI d'un avis d'appel.

Le 10 juillet 1995, le paragraphe 70(5) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13] est entré en vigueur. Cette disposition a pour conséquence d'éteindre, dans des circonstances définies, le droit d'une personne d'interjeter appel devant la SAI. Le paragraphe 70(5) est ainsi rédigé:

70. . . .

(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre:

a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

crelèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada. [Non souligné dans l'original.]

Aux fins du présent appel, il importe d'insister sur le fait que le droit d'appel est perdu lorsque: 1) une mesure d'expulsion a été prise; 2) le ministre a émis un avis selon lequel la personne constitue un danger pour le public au Canada (avis de danger); et 3) un arbitre a conclu que la personne était un résident permanent visé à l'alinéa 27(1)d). Ces trois conditions ont été remplies en l'espèce. La question qui se pose dans l'appel est de savoir si l'arbitre est tenu d'établir, comme conclusion de fait, une quatrième condition requise, savoir que la personne a été déclarée coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.

Le paragraphe 70(5) était accompagné d'une disposition transitoire qui avait pour conséquence de le rendre rétroactif (paragraphe 13(4) du projet de loi C-44 [Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la Loi sur la citoyenneté et modifiant la Loi sur les douanes en conséquence, L.C. 1995, ch. 15]). Cette disposition transitoire est ainsi rédigée:

13. . . .

(4) Le paragraphe 70(5) de la même loi, édicté par le paragraphe (3), s'applique aux appels interjetés dans le cadre de l'article 70 dont l'audition n'est pas commencée à la date de son entrée en vigueur; cependant, toute personne visée peut, dans les quinze jours suivant la date à laquelle elle est avisée que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada, présenter une demande de contrôle judiciaire, dans le cadre de l'article 82.1, à l'égard de la mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel. [Non souligné dans l'original.]

La disposition précédente a pour conséquence d'éliminer toute prétention à un droit d'appel acquis lorsque l'audition de l'appel d'une personne n'a pas commencé le 10 juillet 1995 ou avant cette date. Elle s'applique à l'intimé à l'instance dont l'appel a été entendu en mars 1996. La disposition transitoire remplace le droit d'appel par le droit de demander le contrôle judiciaire de la mesure d'expulsion.

Le 10 janvier 1996, le ministre a émis un avis de danger. Le 26 mars 1996, l'appel interjeté par l'intimé devant la SAI a été rejeté en application de l'alinéa 70(5)c) de la Loi, pour défaut de compétence. En rendant sa décision, la SAI disposait d'une copie du rapport de l'agent d'immigration mentionné plus haut dans les présents motifs, lequel rapport faisait particulièrement état des condamnations, de la peine imposée et de la peine maximale possible. Certes, l'intimé conteste l'interprétation par la SAI de l'alinéa 70(5)c); mais il ne reconnaît ni ne conteste la conclusion qu'il est dans les faits un résident permanent du Canada qui a été déclaré coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans.

De l'avis du juge des requêtes, l'alinéa 70(5)c) ne comporte aucune ambiguïté. Cette disposition [au paragraphe 16] "prévoit très clairement que cette décision [selon laquelle une personne a été déclarée coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans] doit être faite par un arbitre". N'ayant trouvé aucune ambiguïté, le juge des requêtes a rejeté la nécessité d'invoquer la "règle d'or" en matière d'interprétation qui permet la modification du sens ordinaire ou grammatical des mots pour éviter toute absurdité ou ambiguïté. Le juge des requêtes a reconnu qu'il était vital pour la cause de l'intimé qu'une "interprétation stricte" de l'alinéa 70(5)c ) soit appliquée, puisque l'interprétation du ministre autoriserait l'exécution immédiate de la mesure d'expulsion.

On ne saurait nier que, à la première lecture, l'alinéa 70(5)c) de la Loi considère qu'un arbitre décidera qu'une personne a été déclarée coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. À ce stade, il vaut la peine de répéter encore la partie contestée de cet alinéa:

70. . . .

(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes . . . , qui, selon la décision d'un arbitre:

. . .

c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

L'avocat de l'intimé soutient qu'il n'existe aucune ambiguïté, et qu'il n'est nullement besoin de chercher l'intention du législateur en recourant à d'autres règles d'interprétation. De sa part, l'avocat du ministre prétend que l'interprétation donnée à l'alinéa 70(5)c) conduit à deux [traduction] "absurdités" si une analyse littérale est adoptée. En premier lieu, elle force un arbitre à tirer la conclusion qu'il n'a pas le pouvoir légal de le faire. En second lieu, elle annule l'effet voulu de la disposition transitoire relativement à ces cas où un arbitre a pris sa décision antérieurement à l'entrée en vigueur de l'alinéa 70(5)c ). L'intimé répond que lorsqu'une disposition législative est claire et non ambiguë, elle doit être appliquée quelle que puisse être la sévérité ou l'absurdité du résultat. À l'appui de sa position, l'intimé cite l'arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, où le juge en chef Lamer, qui rédigeait l'arrêt au nom de la majorité, a recouru à ce qui est, peut-on soutenir, une interprétation littérale d'une disposition du Code criminel. À mon avis, cette décision n'exige pas des tribunaux qu'ils interprètent les dispositions législatives dans un vide, ou méconnaissent le contexte de la loi. Comme je l'ai dit dans l'affaire Canada c. Cymerman, [1996] 2 C.F. 593 (C.A.), à la page 619, "on ne saurait en l'espèce détacher un article, l'interpréter hors contexte puis le remettre dans la Loi avec le sens qu'on lui aura assigné". Une analyse contextuelle de la Loi, notamment l'alinéa 70(5)c ), révèle les absurdités qui surviennent si l'on accepte l'interprétation littérale que le juge des requêtes a donnée à cette disposition.

À l'évidence, un arbitre n'a pas le pouvoir exprès de décider qu'une personne a été déclarée coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. L'alinéa 70(5)c) de la Loi n'est pas une disposition habilitante. Cette disposition ne fait qu'énoncer les critères qui doivent être respectés avant l'extinction du droit d'appel devant la SAI. Rien dans les articles 80.1 [édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 70], 27 ou 32 ne contredit cet entendement. L'article 80.1 définit la compétence de l'arbitre:

80.1 (1) Sous réserve de l'article 40.2, l'arbitre a compétence exclusive pour connaître et décider des questions de droit et de fait, y compris les questions de compétence, dans le cadre des procédures instruites devant lui sous le régime de la présente loi.

L'article 27 régit les rapports déposés concernant les résidents permanents. La disposition applicable mentionnée à l'alinéa 70(5)c) ne donne pas aux arbitres l'instruction de conclure à une condamnation pour laquelle un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans aurait pu être imposé. L'alinéa 27(1)d) prévoit plutôt:

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas:

. . .

d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale:

(i) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée,

(ii) soit qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans; [Non souligné dans l'original.]

En dernier lieu, l'article 32 de la Loi porte sur l'expulsion de résidents permanents dans certaines circonstances. Le paragraphe 2 est ainsi conçu:

32. . . .

(2) S'il [arbitre] conclut que l'intéressé est un résident permanent se trouvant dans l'une des situations visées au paragraphe 27(1), l'arbitre, sous réserve des paragraphes (2.1) et 32.1(2), prend une mesure d'expulsion contre lui. [Soulignement ajouté.]

En résumé, rien dans la Loi n'autorise expressément l'arbitre présidant une enquête à tirer des conclusions factuelles à l'exception de celles requises aux fins de l'article 27 de la Loi. Cet article ne fait nullement état de la conclusion particulière requise sous le régime de l'alinéa 70(5)c) pour qu'un droit d'appel soit éliminé. Je reconnais que, interprété isolément, cet alinéa pourrait laisser entendre que l'arbitre a le pouvoir implicite de tirer la conclusion de fait nécessaire. À mon avis, il existe deux raisons pour lesquelles un tel sous-entendu n'est pas justifié en l'espèce. En premier lieu, le paragraphe 69.4(2) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] confère à la SAI une "compétence exclusive . . . pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait"y compris en matière de compétence" dans le cas des appels visé à l'article 70. Ainsi donc, il est raisonnable de soutenir que l'intention du législateur était d'investir la SAI de l'obligation de déterminer si une personne avait été déclarée coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. Cette conclusion se trouve renforcée lorsqu'on examine l'effet de privation de ce qui est essentiel qu'une opinion contraire aurait sur l'application de la disposition transitoire. C'est dans cela que réside le second motif du rejet de l'idée qu'un arbitre a le pouvoir implicite de tirer la conclusion en question.

La disposition transitoire prévoit des situations où un arbitre avait pris une mesure d'expulsion en application des articles 27 et 32 de la Loi et un appel a été déposé à la SAI antérieurement à l'entrée en vigueur de l'alinéa 70(5)c) le 10 juillet 1995. (Je fais remarquer que le juge des requêtes a énoncé par erreur que la date pertinente était le 10 juillet 1996.) Dans de telles circonstances, une personne n'a pas de droit d'appel acquis à moins que l'audition de son appel n'ait commencé au plus tard à cette date. L'interprétation que l'intimé a donnée à l'alinéa 70(5)c) et que le juge des requêtes a acceptée préserverait le droit d'interjeter appel même si une audition n'avait pas commencé, simplement parce qu'un arbitre n'a pas tiré une conclusion de fait particulière à un moment où la disposition applicable n'était même pas en vigueur. Pour ce motif seul, l'interprétation que l'intimé a donnée à l'alinéa 70(5)c) ne saurait être acceptée. Demander à la Cour de reconnaître qu'un arbitre a le pouvoir implicite de tirer une conclusion de fait requise ne revient pas du tout à lui demander d'adopter une interprétation qui modifierait fondamentalement une autre, à savoir celle d'une disposition transitoire. À mon avis, il est bien établi en droit que lorsqu'il existe, en concurrence, deux interprétations d'une disposition, dont l'une donne lieu à une absurdité et l'autre ne le fait pas, alors il est seulement juste et logique que la première soit rejetée.

L'intimé soutient que malgré l'absurdité qui peut provenir de l'interprétation que le juge des requêtes a donnée à l'alinéa 70(5)c), il n'est pas permis de s'engager dans l'interprétation d'une disposition qui est claire et non ambiguë. L'intimé s'appuie sur l'arrêt McIntosh, précité, de la Cour suprême. Compte tenu du fait que l'alinéa 70(5)c) n'est pas une disposition habilitante conférant la compétence à un arbitre pour tirer la conclusion de fait nécessaire, je ne me vois pas dans l'obligation de me pencher sur cet argument particulier. En tout état de cause, dans l'arrêt McIntosh, le juge en chef Lamer s'est lancé dans une analyse contextuelle de la disposition en question (voir les pages 696 à 707 de l'arrêt), malgré son point de vue selon lequel le texte était clair et sans équivoque. Inévitablement, ceux qui s'appuient sur l'arrêt McIntosh pour justifier une approche littérale ne prennent pas en compte son analyse contextuelle. Voir généralement 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, où le juge l'Heureux-Dubé détaille la confusion survenue dernièrement dans l'approche de la Cour suprême à l'égard de l'interprétation législative, y compris l'approche de la Cour dans l'arrêt McIntosh. Étant donné que le juge en chef Lamer a particulièrement noté à la page 705 de l'arrêt McIntosh que "Compte tenu de son caractère spécial, le Code criminel doit être interprété de façon à tenir compte des intérêts en matière de liberté", ses remarques sur l'interprétation législative s'appliquent davantage au contexte criminel. En l'espèce, je rejette l'approche littérale puisqu'elle produit un résultat incompatible avec le pouvoir de l'arbitre et la disposition transitoire, qui font tous deux partie intégrante du fonctionnement approprié de la Loi.

Je conclus que l'alinéa 70(5)c) n'exige pas d'un arbitre qu'il détermine qu'une personne a été déclarée coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. Pour les motifs invoqués ci-dessus, l'appel doit être accueilli, l'ordonnance du juge des requêtes annulée, et la réponse à la question énoncée est la suivante:

En application de l'alinéa 70(5)c), la conclusion qu'une personne a été déclarée coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans peut être tirée par la section d'appel de l'immigration lorsqu'elle détermine si elle a compétence pour statuer sur un appel.

Le juge Denault, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.

Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.