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IMM-984-96

Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (requérant)

c.

Shiu Dular (intimé)

Répertorié: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dular (1re inst.)

Section de première instance, juge Wetston" Vancouver, 30 mai; Ottawa, 21 octobre 1997.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Personnes non admissibles L'agent des visas a refusé la demande d'établissement présentée par l'intimé pour son fils adoptif parce que celui-ci ne répondait pas à la définition defilsprévue à l'art. 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978L'adoption a eu lieu cinq jours après son dix-neuvième anniversaireL'intimé pouvait parrainer son fils adoptif en vue de son établissement au Canada si celui-ci n'était pas marié et avait moins de dix-neuf ansLa limite d'âge de 19 ans établit une distinction entre les parents qui ont des fils biologiques ou les parents qui ont adopté leurs fils avant l'âge de 19 ans et les parents qui ont adopté les leurs après l'âge de 19 ansCette distinction équivaut à de la discrimination au sens de l'art. 15 de la Charte, mais elle est sauvegardée par l'art. 1 en tant qu'objectif urgent et réel (empêcher le recours aux dispositions relatives à l'adoption pour se soustraire aux exigences de l'immigration).

Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que la limite d'âge de 19 ans concernant les enfants adoptés prévue à l'art. 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 va à l'encontre de l'art. 15 de la CharteL'intimé avait le droit de parrainer la demande d'établissement présentée par son fils adoptif seulement si celui-ci n'était pas marié et avait moins de 19 ansCette limite établit une distinction entre les parents biologiques d'enfants de plus 19 ans et les parents adoptifs d'enfants de plus de 19 ansCette distinction est discriminatoire, car elle est fondée sur le motif analogue de la filiation adoptiveLa limite d'âge de 19 ans viole l'art. 15 de la Charte, mais elle est sauvegardée par l'art. 1 en tant qu'objectif urgent et réel (empêcher le recours aux dispositions relatives à l'adoption pour se soustraire aux exigences de l'immigration).

Droit constitutionnel Charte des droits Clause limitative Il a été jugé que l'art. 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 concernant la limite d'âge de 19 ans dans le cas des fils adoptifs va à l'encontre de l'art. 15 de la CharteEst-il sauvegardé par l'art. 1?Application du critère énoncé dans l'arrêt La Reine c. OakesL'analyse fondée sur l'art. 1 est un exercice reposant sur des faits et non sur des abstractionsBien que la justification d'une mesure puisse se faire sans atteindre une certitude scientifique, l'État doit prévoir quelque chose de suffisant pour que la mesure soit justifiéeL'un des buts sous-jacents de la disposition est d'empêcher l'adoption d'enfants de plus de 19 ans pour se soustraire aux exigences de l'immigrationLa Commission a commis une erreur en confondant son analyse, fondée sur l'art. 15(1), de l'effet discriminatoire de la limite d'âge de 19 ans avec les objectifs réels de la mesureL'objectif de la limite d'âge de 19 ans est urgent et réelLorsque la preuve en matière de sciences humaines s'avère non concluante, il est suffisant que le choix du mode d'intervention du Parlement soit raisonnablement fondé.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié concluant que la limite d'âge imposée par le Règlement sur l'immigration de 1978 relativement aux enfants adoptés va à l'encontre de l'article 15 de la Charte. L'intimé est le parent adoptif d'un fils né le 12 décembre 1971, mais qui n'a été adopté officiellement que le 17 décembre 1990, cinq jours après son dix-neuvième anniversaire. L'agent des visas a refusé la demande d'établissement présentée par l'intimé pour son fils adoptif parce que le jeune homme ne répondait pas à la définition de "fils" prévue au paragraphe 2(1) du Règlement et de ses modifications, qui exige qu'un fils soit adopté avant d'avoir 19 ans. La Commission a estimé que cette limite établit une distinction entre les parents qui ont des fils biologiques ou qui ont adopté des fils avant que ces derniers aient atteint l'âge de 19 ans et les parents qui ont adopté des fils de plus de 19 ans. Elle a jugé que cette distinction est discriminatoire, car elle est fondée sur le motif analogue de la filiation adoptive et, par conséquent, va à l'encontre de l'article 15 de la Charte. Voici les questions soulevées en l'espèce: 1) la Commission a-t-elle commis une erreur en statuant que l'expression "avant l'âge de 19 ans" n'est pas compatible avec l'article 15 de la Charte? et 2) si ces mots ne sont pas compatibles avec la Charte, peuvent-ils être sauvegardés par l'article premier de la Charte en tant que limite dont la justification puisse se démontrer dans une société libre et démocratique?

Jugement: la demande doit être accueillie.

1) L'expression "avant l'âge de 19 ans" établit une distinction entre les parents qui ont des fils biologiques ou les parents qui ont adopté leurs fils avant l'âge de 19 ans et les parents qui ont adopté les leurs après l'âge de 19 ans. L'intimé aurait pu parrainer son fils en vue de son admission au Canada en tant que "fils non marié" n'eût été de la limite d'âge de 19 ans. Cette distinction a pour effet de priver des parents qui ont adopté leurs fils légalement à l'étranger de la possibilité d'être réunis avec ceux-ci, pour le seul motif que l'adoption a eu lieu lors du dix-neuvième anniversaire de leur fils ou après cette date. Ces parents adoptifs ont été privés du même bénéfice de la loi, un droit énuméré à l'article 15 de la Charte. La Commission a souligné à bon droit que la distinction était fondée sur la "filiation adoptive". La distinction est faite à partir des "parents biologiques d'enfants de plus de 19 ans" et des parents adoptifs d'enfants de plus de 19 ans, puisque les parents biologiques peuvent parrainer leurs fils non mariés en vertu de la catégorie des parents tandis que les parents adoptifs ne peuvent parrainer leur fils non mariés que si l'enfant a été adopté avant son dix-neuvième anniversaire. Cette distinction est fondée en partie sur les caractéristiques stéréotypées attribuées aux parents adoptifs en comparaison des parents biologiques. Le Règlement sur l'immigration de 1978 a manifestement un effet discriminatoire, puisque les parents adoptifs sont privés de la possibilité de parrainer leur fils en vue de son établissement au Canada lorsque l'adoption a lieu après son dix-neuvième anniversaire. La Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que, en vertu des dispositions relatives au "fils à charge", les parents naturels ont la possibilité de prouver qu'un enfant reste à la charge du parent, bien qu'il soit adulte, tandis que les parents adoptifs sont privés de cette possibilité, si leur enfant a été adopté après l'âge de 19 ans. L'argument du requérant selon lequel le Règlement est sans effet ne doit pas être retenu.

2) L'analyse fondée sur l'article premier n'est pas un exercice reposant sur des abstractions, mais sur des faits. Bien que la justification d'une mesure puisse se faire sans atteindre une certitude scientifique, l'État doit prévoir quelque chose de suffisant pour que la mesure soit justifiée. L'un des buts sous-jacents du Règlement modifié est d'empêcher le recours éventuel aux dispositions relatives à l'adoption pour se soustraire aux exigences de l'immigration. En entreprenant son analyse fondée sur l'article premier, la Commission semble avoir confondu son analyse, fondée sur le paragraphe 15(1), de l'effet discriminatoire de la limite d'âge de 19 ans avec les objectifs réels de la mesure. Ce faisant, la Commission a commis une erreur dans son analyse, fondée sur l'article premier, de la limite en question. L'imposition de limites à l'autorisation de séjour et à l'admission au pays de non-Canadiens constitue un élément fondamental de la politique d'immigration. L'objectif qui sous-tend l'adoption de la limite d'âge de 19 ans est urgent et réel. La Commission a commis une erreur en appliquant le premier volet du critère énoncé dans l'arrêt Oakes aux faits de la présente affaire. Lorsque la preuve en matière de sciences humaines s'avère non concluante, il est suffisant que le choix du mode d'intervention du Parlement soit raisonnablement fondé.

La décision de la Commission doit être annulée, l'affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition, et des questions doivent être certifiées.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15.

Convention relative aux droits de l'enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3.

Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48, art. 30, 32.

Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 43c).

Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) "adopté" (mod. par DORS/93-44, art. 1), "fils" (mod. par DORS/85-225, art. 1; 93-44, art. 1), "fils à charge" (édicté par DORS/92-101, art. 1), "parent" (édicté par DORS/93-44, art. 1), "personne à charge" (mod. par DORS/92-101, art. 1; 93-44, art. 1), 4(1) (mod. par DORS/84-140, art. 1; 88-286, art. 2), 6 (mod. par DORS/94-242, art. 1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; Schafer v. Canada (Attorney General) (1997), 35 O.R. (3d) 1; 149 D.L.R. (4th) 705 (C.A.); La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 14 O.A.C. 335; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452; (1992), 89 D.L.R. (4th) 449; [1992] 2 W.W.R. 577; 70 C.C.C. (3d) 129; 11 C.R. (4th) 137; 8 C.R.R. (2d) 1; 78 Man. R. (2d) 1; 134 N.R. 81; 16 W.A.C. 1.

décisions examinées:

Schachter c. Canada, [1988] 3 C.F. 515; (1988), 52 D.L.R. (4th) 525; 20 C.C.E.L. 301; 9 C.H.R.R. D/5320; 88 CLLC 14,021; 18 F.T.R. 199 (1re inst.); RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; (1995), 127 D.L.R. (4th) 1; 100 C.C.C. (3d) 449; 62 C.P.R. (3d) 417; 31 C.R.R. (2d) 189; 187 N.R. 1.

décisions citées:

Kahlon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 7 Imm. L.R. (2d) 91; 97 N.R. 349 (C.A.F.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161.

doctrine

Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, DORS/93-44. (1993), 127 Gazette du Canada, Partie II, no 3.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ([1996] I.A.D.D. no 837 (QL)) selon laquelle la limite d'âge imposée par le paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 relativement aux enfants adoptés va à l'encontre de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Demande accueillie.

avocat:

Esta Resnick pour le requérant.

a comparu:

Shiu Dular pour son propre compte.

procureurs:

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

L'intimé Shiu Dular pour son propre compte, Vancouver.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Wetston:

FAITS ET HISTORIQUE DE L'AFFAIRE

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 26 février 1996 [Dular c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] I.A.D.D. no 837 (QL)]. La Commission a jugé que le refus de l'agent des visas d'approuver la demande d'établissement présentée par l'intimé pour son fils adoptif n'était pas conforme à la loi, ayant conclu que la limite d'âge concernant les enfants adoptifs va à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. L'intimé n'était pas représenté par avocat à l'audience et n'a pas présenté d'observations.

L'intimé, Shiu Dular, est le parent adoptif de Dharmendra Prakash Dular (ci-après Prakash). Prakash est né le 12 décembre 1971. Il a été sous la garde continuelle de l'intimé depuis le 18 décembre 1971, mais il n'a été adopté officiellement que le 17 décembre 1990, cinq jours après son dix-neuvième anniversaire. Selon l'Adoption of Infants Act des îles Fidji, l'adoption a eu pour effet de placer Prakash dans la même position qu'un enfant biologique de l'intimé.

En mai ou juin 1991, l'intimé Shiu Dular a déposé un engagement à fournir de l'aide à Prakash. Le 15 octobre 1991, Prakash a présenté sa demande d'établissement. Celui-ci sollicitait le droit de s'établir au Canada à titre de parent, en se fondant sur le fait qu'il est le fils adoptif de l'intimé. La demande d'établissement de Prakash a été refusée par lettre en date du 3 juin 1992.

Les passages pertinents de la lettre de refus sont libellés ainsi:

[traduction] J'ai le regret de vous informer que je dois refuser votre demande, car vous n'êtes pas considéré comme un parent au sens de l'article 4 du Règlement sur l'immigration puisque vous ne répondez pas à la définition de "fils" prévue au paragraphe 2(1) du Règlement.

Ce paragraphe est rédigé ainsi:

"2(1): "fils" désigne, par rapport à une personne, une personne de sexe masculin

a) descendant de cette personne et qui n'a pas été adoptée par une autre personne, ou

b) qui a été adoptée par cette personne avant l'âge de 13 ans."

Comme vous êtes né le 12 décembre 1971 et n'avez été adopté par vos répondants Shiu Dular et Raj Kuan que le 17 décembre 1990, vous ne répondez pas à la définition ci-dessus. Par conséquent, vous n'êtes pas un parent et votre demande a été refusée conformément à l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration.

Il a été tenu compte des considérations humanitaires dans votre cas, mais, étant donné les renseignements fournis à votre entrevue le 1er avril 1992, on a conclu qu'elles ne s'appliquaient pas.

À cette époque, la définition de "fils" figurait au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-172 (mod. par DORS/85-225, art. 1)], qui prévoyait que l'adoption a lieu avant le treizième anniversaire de l'enfant. L'article 4 [mod. par DORS/84-140, art. 1; 88-286, art. 2] du Règlement prévoyait que:

4. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), tout citoyen canadien ou résident permanent âgé d'au moins dix-huit ans et résidant au Canada peut parrainer une demande de droit d'établissement présentée par

. . .

b) son fils ou sa fille non marié;

Le mot "adopté" était défini de la façon suivante:

2. (1) . . .

"adopté" signifie adopté conformément aux lois de toute province du Canada ou de tout pays autre que le Canada ou de toute subdivision politique de ces pays lorsque l'adoption crée un lien entre père et mère et enfant.

Ainsi, à l'époque où Prakash a déposé sa demande d'établissement, l'intimé pouvait parrainer un fils adoptif non marié, pour autant que l'adoption avait eu lieu avant le treizième anniversaire de son fils.

Le 6 février 1992, le Règlement a été modifié afin de prévoir qu'une personne pouvait parrainer un "fils à charge". Le "fils à charge" [édicté par DORS/92-101, art. 1] était défini ainsi:

2. (1) . . .

"fils à charge" Fils:

a) soit qui est âgé de moins de 19 ans et n'est pas marié;

b) soit qui est inscrit à une université, un collège ou un autre établissement d'enseignement et y suit à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle, et qui:

(i) d'une part, y a été inscrit et y a suivi sans interruption ce genre de cours depuis la date de ses 19 ans ou, s'il était déjà marié à cette date, depuis la date de son mariage,

(ii) d'autre part, selon un agent d'immigration qui fonde son opinion sur les renseignements qu'il a reçus, a été entièrement ou en grande partie à la charge financière de ses parents depuis la date de ses 19 ans ou, s'il était déjà marié à cette date, depuis la date de son mariage;

c) soit qui est entièrement ou en grande partie à la charge financière de ses parents et qui:

(i) d'une part, selon un médecin agréé, souffre d'une incapacité de nature physique ou mentale,

(ii) d'autre part, selon l'agent d'immigration qui fonde son opinion sur les renseignements qu'il a reçus, y compris les renseignements reçus du médecin agréé visé au sous-alinéa (i), est incapable de subvenir à ses besoins en raison de cette incapacité.

Une disposition transitoire, adoptée au même moment, prévoyait que l'ancienne définition continuerait de s'appliquer aux demandes d'établissement déposées avant le 6 février 1992.

Le 1er février 1993, le Règlement a été modifié de nouveau. La définition de "fils" a été modifiée de la façon suivante [mod. par DORS/93-44, art. 1]:

2. (1) . . .

"fils" désigne, par rapport à une personne, une personne de sexe masculin

a) descendant de cette personne et qui n'a pas été adoptée par une autre personne, ou

b) qui a été adoptée par cette personne avant l'âge de 19 ans.

La définition du terme "adopté" [mod., idem ] a également été modifiée en vue d'exclure l'"adoption de convenance". Il n'y avait aucune disposition transitoire concernant l'application de ces lois.

Le Règlement a été modifié encore une fois le 17 mars 1994 afin de prévoir que l'exclusion de l'"adoption de convenance" s'étendait aux demandes pendantes au 15 avril 1994 [art. 6 (mod. par DORS/94-242, art. 1)].

La Commission a décidé que les dispositions pertinentes se rapportant à l'intimé et à Prakash étaient la définition de "fils" en vigueur le 19 février 1993, la définition du terme "adopté" s'appliquant avant le 1er  février 1993 et le règlement qui prévoyait que l'intimé pouvait parrainer son "fils non marié". Donc, pour autant que Prakash avait été adopté avant son dix-neuvième anniversaire et n'était pas marié, l'intimé pouvait parrainer sa demande d'établissement.

La Commission a conclu cependant que Prakash avait été adopté légalement cinq jours après son dix-neuvième anniversaire et qu'il n'existait aucune disposition relative aux adoptions traditionnelles dans le droit fidjien applicable. La Commission s'est alors demandée si la limite d'âge de 19 ans prévue dans le Règlement révisé violait les droits à l'égalité prévus par l'article 15 de la Charte, et, en cas de réponse affirmative, si le Règlement pouvait néanmoins se justifier en vertu de l'article premier de la Charte.

Quant à savoir si la limite d'âge de 19 ans viole l'article 15 de la Charte, la Commission a estimé que cette limite établit une distinction entre les parents qui ont des fils biologiques ou qui ont adopté des fils avant que ces derniers aient atteint l'âge de 19 ans et les parents qui ont adopté des fils de plus de 19 ans. Après avoir conclu à l'existence d'une distinction, la Commission a jugé que cette distinction est discriminatoire, car elle est fondée sur le motif analogue de la filiation adoptive. Tout en reconnaissant que cette distinction ne vise pas de fin discriminatoire, la Commission a statué que la distinction a un effet discriminatoire, vu qu'elle repose, en partie, sur un raisonnement stéréotypé au sujet de la paternité ou de la maternité adoptives plutôt que sur la capacité ou valeur réelles de tels parents ou sur leur situation personnelle. La Commission a donc conclu que la limite d'âge de 19 ans va à l'encontre de l'article 15 de la Charte.

La Commission s'est ensuite demandée s'il s'agissait d'une législation dont la justification puisse se démontrer dans une société libre et démocratique, comme l'exige l'article premier de la Charte. Tout en estimant que l'objectif visé par la législation est urgent et réel, la Commission a jugé qu'il n'existe aucun lien rationnel entre la limite d'âge de 19 ans et ses objectifs. La Commission a également conclu qu'une limite d'âge de 19 ans de nature "générale" ne constitue pas une "atteinte minimale" aux droits à l'égalité garantis par la Charte, parce qu'il serait facilement possible de trouver un moyen moins attentatoire dans le reste du règlement contesté. Ce moyen consisterait à évaluer le lien de dépendance dans chaque cas.

QUESTIONS EN LITIGE

Voici les questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire:

1. La Commission a-t-elle commis une erreur en statuant que l'expression "avant l'âge de 19 ans", dans l'actuelle définition de "fils" adoptif, n'est pas compatible avec l'article 15 de la Charte?

2. Si ces mots ne sont pas compatibles avec la Charte, peuvent-ils être sauvegardés par l'article premier de la Charte en tant que limite dont la justification puisse se démontrer dans une société libre et démocratique?

POSITION DU REQUÉRANT

Le requérant soutient que la Commission a commis une erreur en statuant que l'expression "avant l'âge de 19 ans" dans l'actuelle définition de "fils" adoptif va à l'encontre de l'article 15 de la Charte. Il fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que la distinction est visée par le paragraphe 15(1). Le requérant dit aussi que la Commission a commis une erreur en concluant que cette distinction n'était pas sauvegardée par l'article premier de la Charte.

Y a-t-il une distinction?

Le requérant allègue qu'il faut examiner l'expression "avant l'âge de 19 ans" en corrélation avec les autres modifications législatives apportées au régime de parrainage des parents. La modification apportée à la définition de "fils", afin d'y inclure un fils adopté "avant l'âge de 19 ans", était accompagnée d'une modification à la définition de "parent" [édicté par DORS/93-44, art. 1]. Cette modification prévoit que seul un "fils à charge", défini comme étant un fils non marié de moins de 19 ans ou qui est à la charge financière de ses parents en raison de sa qualité d'étudiant à temps plein ou à cause d'une incapacité de nature physique ou mentale, peut être parrainé en tant que parent. La définition du terme "adopté" a également été restreinte afin d'exclure les personnes adoptées "dans le but d'obtenir [leur] admission au Canada".

Les objectifs des modifications ont été exposés dans le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation (RÉIR), dont voici un extrait:

Les modifications étendent l'admissibilité d'un enfant adoptif aux fins d'immigration aux enfants de moins de dix-neuf ans, rendant ainsi les dispositions relatives à l'adoption conformes aux autres dispositions d'immigration concernant le parrainage d'enfants et les personnes à charge.

Les modifications visent également à régler la question de l'utilisation éventuelle des dispositions sur l'adoption en vue de se soustraire aux exigences de l'immigration. Le lien de parenté créé par l'adoption empêcherait normalement l'enfant adoptif de parrainer des membres de sa famille naturelle. Afin d'éviter le mauvais usage des dispositions relatives à l'adoption aux fins d'immigration, les modifications empêchent les adoptions de convenance. En prenant comme modèle l'article sur le mariage de convenance, les modifications permettent d'évaluer l'authenticité de l'adoption.

Le requérant prétend que la modification de la définition du terme "adopté" restreint les possibilités d'adoption de convenance, tandis que la modification des définitions de "personne à charge" [mod. par DORS/92-101, art. 1; 93-44, art. 1] et de "fils" facilite l'admission au Canada d'enfants qui ont vraiment besoin d'assistance parentale.

Le ministre soutient que l'intimé a l'obligation de prouver davantage que son appartenance à un groupe de parents adoptifs d'adultes de plus de 19 ans, qui sont définis par une caractéristique personnelle et qui ont souffert d'un désavantage historique. Le requérant soutient plutôt que l'intimé doit prouver que le désavantage historique des parents adoptifs d'adultes de plus de 19 ans est lié à l'objectif de la législation. Cela signifie que l'intimé doit établir que le désavantage historique des parents adoptifs d'adultes de plus de 19 ans a un rapport avec le fait de faciliter l'admission d'enfants qui ont vraiment besoin d'assistance parentale. Selon le requérant, l'intimé ne s'est pas acquitté de cette obligation.

Le requérant allègue que la Commission a commis une erreur en statuant que la "distinction fondée sur l'âge de 19 ans" dans la définition du mot "fils" viole les droits des parents adoptifs en leur refusant la [traduction ] "possibilité d'être réunis au Canada avec ces fils, pour le seul motif que leur adoption a eu lieu au moment de leur dix-neuvième anniversaire ou après celui-ci". C'est parce que les définitions de "fils à charge" et de "parent" ont pour effet d'empêcher Prakash d'obtenir son admission au Canada en vertu de la catégorie des parents (car il a plus de 19 ans et n'est pas étudiant à plein temps ni ne souffre d'incapacité de nature physique ou mentale). Comme rien n'est venu prouver que Prakash est visé par ces exceptions, le requérant fait valoir que Prakash n'est pas admissible au parrainage.

Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, les modifications, qui sont entrées en vigueur le 6 février 1992, ne permettent pas l'admission au Canada d'enfants de plus de 19 ans en vertu de la catégorie des parents. Le requérant dit que la Commission ne disposait d'aucun élément de preuve concernant la distinction entre les "parents adoptifs d'enfants de plus de 19 ans" et les "parents adoptifs d'enfants de moins de 19 ans" qui demandent le droit d'établissement pour leurs enfants en vertu de la catégorie des parents. Le requérant soutient donc qu'il était artificiel de ne pas tenir compte des mots "avant l'âge de 19 ans" dans la définition de "fils" adoptif vu que Prakash ne répondait pas à la définition de "fils à charge" et ne pouvait pas être admis au Canada.

La distinction est-elle discriminatoire?

Le requérant affirme que, bien que la "filiation adoptive" puisse constituer un motif analogue, l'intimé n'a pas prouvé qu'elle est un motif analogue en l'espèce.

De plus, le requérant fait valoir que rien ne prouve que la distinction est discriminatoire (c.-à-d. fondée sur des caractéristiques personnelles attribuées à un individu dans un certain groupe). Le Règlement est plutôt conçu afin de ne permettre l'admission au Canada en vertu de la catégorie des parents que des personnes qui sont vraiment à charge. Il est allégué que le lien juridique entre parent et enfant n'est pas au centre de l'application du Règlement puisqu'il s'applique à tous les "enfants à charge" indépendamment de la question de savoir si l'enfant a été adopté.

En résumé, quant à savoir si la distinction est discriminatoire, le requérant avance que la Commission a commis une erreur en concluant que les mots "avant l'âge de 19 ans" visent à empêcher les parents adoptifs de se soustraire aux exigences de l'immigration. La condition d'âge a été modifiée afin de rendre le Règlement conforme aux normes internationales et provinciales; et, comme une personne de plus de 19 ans n'est pas une "personne à charge", qu'elle ait été adoptée ou non, et comme elle n'est pas admissible au Canada à titre de parent, les mots "avant l'âge de 19 ans" utilisés dans la définition de fils adoptif ont un effet minime. Le requérant déclare que la Commission a fondé sa conclusion sur l'hypothèse que les parents qui ont des fils biologiques ou qui ont adopté leurs fils avant qu'ils aient 19 ans peuvent parrainer leurs fils lorsque ceux-ci ont plus de 19 ans parce qu'ils sont des "fils à charge". Le requérant prétend que c'est inexact parce qu'une personne doit prouver qu'elle est une personne à charge après l'âge de 19 ans parce qu'elle étudie à temps plein ou souffre d'une incapacité de nature physique ou mentale. En l'espèce, il n'a pas été prouvé devant la Commission que Prakash était visé par l'une ou l'autre de ces exceptions. L'obligation d'"être à charge" s'applique à tous les enfants de plus de 19 ans, adoptés ou non, et n'est donc pas discriminatoire.

L'article premier de la Charte

Le requérant soutient de plus que, si l'expression "avant l'âge de 19 ans" figurant dans la définition de "fils" adopté viole l'article 15 de la Charte, la Commission a commis une erreur en concluant que cette disposition n'était pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

Le requérant dit que, comme la Commission a commis une erreur en déterminant l'objectif exact de la limite d'âge de 19 ans, son analyse fondée sur l'article premier était fatalement faussée. Il fait également valoir que la Commission n'a pas tenu compte du contexte de la présente affaire et, tout particulièrement, du principe fondamental du droit de l'immigration selon lequel les non-citoyens n'ont pas le droit d'entrer au Canada et d'y rester. Ce faisant, la Commission n'a pas non plus mesuré correctement les droits de l'individu en regard de celui de l'État dans son analyse.

Le requérant soutient également que la définition de "fils" entretient un lien rationnel avec l'objectif, car elle sert à limiter le nombre d'adultes qui peuvent être admis au Canada en vertu de la catégorie des parents. De plus, le requérant affirme que la définition porte atteinte aux droits en question aussi peu que possible et qu'il y a proportionnalité entre les effets de la législation et ses objectifs.

ANALYSE

À mon avis, la Commission a appliqué correctement le Règlement qui s'applique en l'espèce, c'est-àdire la définition du terme "adopté" en vigueur avant février 1993, la définition de "fils non marié" et la définition de "fils" en fonction de l'âge de 19 ans: Kahlon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 7 Imm. L.R. (2d) 91 (C.A.F.). La Commission a également eu raison de statuer que l'alinéa 43c) de la Loi d'interprétation [L.R.C. (1985), ch. I-21] permet à l'intimé d'invoquer la définition non modifiée et moins restrictive du terme "adopté". Par conséquent, Prakash doit prouver qu'il n'est pas et n'a pas été marié. Les définitions se rapportant à la notion de "fils à charge" sont entrées en vigueur après que Prakash eut présenté sa demande d'établissement et elles ne s'appliquent donc pas à lui.

I. L'ARTICLE 15 DE LA CHARTE

1. Y a-t-il une distinction?

Le requérant a allégué que l'application du Règlement ne crée pas de distinction parce que l'obligation d'"être à charge" s'applique autant aux enfants adoptés qu'aux enfants non adoptés. Toutefois, il importe de tenir compte des dispositions pertinentes de la législation qui s'appliquent en l'espèce. Prakash n'est pas tenu notamment de prouver qu'il est une personne à charge pour être admissible au droit d'établissement, comme le seraient ceux qui en font la demande aujourd'hui.

Je conclus donc que l'expression "avant l'âge de 19 ans" établit effectivement une distinction entre les parents qui ont des fils biologiques ou les parents qui ont adopté leurs fils avant l'âge de 19 ans et les parents qui ont adopté leurs enfants après l'âge de 19 ans. Le premier groupe a le droit de parrainer ses fils en tant que parents tandis que le dernier groupe ne le peut pas. Je fonde cette conclusion sur le fait que l'intimé aurait pu parrainer Prakash en vue de son admission au Canada en tant que "fils non marié" n'eût été de la limite d'âge de 19 ans.

2. Cette mesure entraîne-t-elle un déni des droits à l'égalité?

La Commission a fait remarquer à bon droit que cette distinction a pour effet de priver des parents qui ont adopté leurs fils légalement à l'étranger de la possibilité d'être réunis avec ceux-ci, pour le seul motif que l'adoption a eu lieu lors du dix-neuvième anniversaire d'un fils adoptif ou après cette date. Donc, ces parents adoptifs ont été privés du même bénéfice de la loi"un droit énuméré à l'article 15 de la Charte.

3. Cette distinction équivaut-elle à de la discrimination?

La Cour suprême du Canada a effectivement jugé que le traitement inégal seul ne prouve pas qu'il y a eu violation de l'article 15 de la Charte. La distinction doit donner lieu à de la discrimination. Dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, la Cour suprême du Canada a défini ainsi la discrimination, aux pages 174 et 175:

. . . une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices ou aux avantages offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association à un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement.

Le demandeur doit notamment prouver que le traitement inégal est fondé sur l'un des motifs mentionnés au paragraphe 15(1) ou sur un motif analogue.

a) Motif analogue

L'avocate du requérant a soutenu que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il existe un motif analogue, à savoir la "filiation adoptive". Elle déclare que, même s'il y a une distinction, il s'agit d'une distinction entre "parents adoptifs d'enfants de moins de 19 ans" et "parents adoptifs d'enfants de plus de 19 ans". Elle ajoute que, comme c'est la classification appropriée, rien ne vient prouver que la distinction est fondée sur les caractéristiques personnelles attribuées à un individu faisant partie d'un certain groupe. La législation vise plutôt à faciliter l'admission de personnes en vertu de la catégorie des parents sur la base du fait que la personne concernée compte sur l'assistance parentale du répondant.

Je ne puis être d'accord avec les arguments du requérant sur ce point. La Commission a souligné à bon droit que la distinction était fondée sur la "filiation adoptive". La limite d'âge s'applique seulement aux enfants adoptifs; elle ne s'applique pas aux enfants biologiques et la considération pertinente est donc la "filiation adoptive". Bien que le requérant fasse observer à bon droit que le Règlement modifié exige qu'un enfant biologique qui est âgé de 19 ans ou plus établisse sa qualité de personne à charge avant de pouvoir être parrainé en tant que parent, aucune disposition analogue n'est prévue dans le cas des enfants adoptés après leur dix-neuvième anniversaire. Ainsi, la distinction est faite à partir des "parents biologiques d'enfants de plus de 19 ans" et des "parents adoptifs d'enfants de plus de 19 ans", puisque les parents biologiques peuvent parrainer leurs fils non mariés en vertu de la catégorie des parents tandis que les parents adoptifs ne peuvent parrainer leurs fils non mariés que si l'enfant a été adopté avant son dix-neuvième anniversaire. De même, dans le cas des "fils à charge", les parents biologiques ont la possibilité de prouver la qualité de personne à charge tandis que les parents adoptifs n'ont pas la même possibilité.

Cette distinction est fondée en partie sur les caractéristiques stéréotypées attribuées aux parents adoptifs en comparaison des parents biologiques. Il ressort d'une lecture attentive du RÉIR qu'une certaine partie au moins du raisonnement sous-jacent à la distinction repose sur l'hypothèse que l'adoption d'enfants adultes est faite vraisemblablement pour se soustraire aux exigences de l'immigration. Selon le RÉIR, la définition en fonction de l'âge de 19 ans a été prévue pour répondre à plusieurs préoccupations, dont le besoin de rendre les dispositions relatives à l'adoption conformes aux autres dispositions d'immigration concernant le parrainage d'enfants et les personnes à charge. Toutefois, d'après le RÉIR, le maintien du statu quo a été considéré attentivement en raison des possibilités d'abus. Il a été décidé que les modifications "facilite[raient] l'admission de personnes nécessitant réellement l'assistance parentale tout en permettant de contrôler l'utilisation de l'adoption en vue de se soustraire aux exigences de l'immigration". De plus, on a estimé que les modifications tenaient compte des "considérations d'égalité et d'équité, du bien-être de l'enfant et du recours aux dispositions relatives à la catégorie de la famille en vue de se soustraire aux exigences de l'immigration".

Le requérant soutient que la limite d'âge de 19 ans était destinée à supprimer une contradiction entre la définition mentionnant l'âge de 13 ans et la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies [[1992] R.T. Can. no 3] et que la modification apportée à la définition du terme "adopté" visait le recours éventuel aux dispositions relatives à l'adoption en vue de se soustraire aux exigences de l'immigration. J'estime qu'on ne peut pas séparer les objectifs législatifs aussi facilement. Les modifications apportées à la définition du terme "adopté" ainsi que la hausse de la limite d'âge dans le cas des fils et filles adoptés avaient comme objectif de restreindre le recours possible à l'adoption de convenance. Je conclus donc que la législation était fondée, en partie, sur des attitudes stéréotypées attribuées aux parents adoptifs par opposition aux parents biologiques.

Le requérant a allégué que, comme l'intimé n'a pas présenté d'éléments de preuve concernant premièrement les caractéristiques personnelles du groupe victime de la prétendue discrimination et deuxièmement son appartenance à ce groupe, la Commission a commis une erreur en concluant qu'il y a, de fait, discrimination. Cependant, la Commission pouvait effectivement s'appuyer sur une jurisprudence suffisante pour tirer sa conclusion.

Dans Schachter c. Canada, [1988] 3 C.F. 515 (1re inst.), notre Cour a utilisé une méthode pour déterminer des motifs analogues"sanctionnée plus tard par la Cour suprême dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia , [1989] 1 R.C.S. 143"au moment d'examiner si une distinction était faite entre les pères naturels et les parents adoptifs dans le contexte du droit aux prestations en vertu des articles 30 et 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage , S.C. 1970-71-72, ch. 48. Dans Schachter, notre Cour a jugé qu'il existait un motif analogue. Le gouvernement a choisi de ne pas donner suite à cette conclusion dans l'appel qu'il a interjeté de cette décision.

Je prends note également de la décision récente de la Cour d'appel de l'Ontario, dans Schafer v. Canada (Attorney General) (1997), 35 O.R. (3d) 1 (C.A.), dans laquelle il a été jugé que la filiation adoptive constitue un motif analogue en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte.

La Commission disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour déterminer si l'intimé était visé par le motif analogue pris en considération dans l'arrêt Schachter, que la Commission a appliqué. Par conséquent, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur en statuant que la discrimination fondée sur la filiation adoptive constitue un motif analogue en vertu de l'article 15 de la Charte.

b) But de la législation

Le requérant soutient que l'expression "avant l'âge de 19 ans" ne vise pas à empêcher le recours abusif aux dispositions relatives à l'adoption en vue de se soustraire aux exigences de l'immigration. Elle a plutôt pour but de faciliter l'admission d'enfants au Canada en vertu de la catégorie des parents lorsqu'ils sont vraiment des personnes à charge ayant besoin d'assistance parentale. Ce but n'est pas discriminatoire en soi ou quant à sa portée, car toute personne de plus de 19 ans n'est pas une personne à charge, qu'elle ait été adoptée ou non.

Deux observations s'imposent en ce qui a trait à cet argument. Premièrement, le Règlement pertinent, aux fins de la présente affaire, prévoit que les fils non mariés peuvent être parrainés pour leur établissement au Canada, mais avec une restriction en ce qui concerne les fils adoptifs, à savoir que l'adoption doit avoir lieu avant leur dix-neuvième anniversaire. Le Règlement a manifestement un effet discriminatoire, puisque le parent adoptif est privé de la possibilité de parrainer son fils en vue de son établissement au Canada.

Deuxièmement, la Commission, dans ses motifs, a également traité de l'effet des dispositions relatives au "fils à charge". La Commission a conclu que, en vertu des dispositions relatives au "fils à charge", les parents naturels ont la possibilité de prouver qu'un enfant reste à la charge du parent, bien qu'il soit adulte, tandis que les parents adoptifs sont privés de cette possibilité, si leur enfant a été adopté après l'âge de 19 ans. La Commission n'a pas commis d'erreur en tirant cette conclusion. Le requérant n'a pas pris en considération le fait que les parents naturels ont actuellement le droit d'établir que leurs fils sont visés par les exceptions à la règle générale voulant que les enfants de plus de 19 ans ne soient pas des personnes à charge, tandis que les parents adoptifs n'en ont pas le droit. Il ne faut donc pas retenir l'argument du requérant sur ce point.

c) Effet frivole

De plus, l'avocate du requérant soutient que la limite d'âge de 19 ans n'a aucun effet dans le cas d'une personne qui demande le droit d'établissement en tant que "fils à charge" lorsque cette personne a plus de 19 ans, vu qu'elle n'a pas la qualité de "personne à charge". Cependant, les exceptions à la règle générale s'appliquent seulement aux fils biologiques et non aux fils adoptés après l'âge de 19 ans. De même, le Règlement applicable en l'espèce n'exige pas de Prakash qu'il démontre qu'il est à la charge financière de ses parents; il a simplement à démontrer qu'il n'est pas marié. Ainsi, l'argument du requérant relativement à ce moyen d'appel ne doit pas être retenu, car le Règlement n'est pas sans effet.

II. L'ARTICLE PREMIER DE LA CHARTE

Comme j'ai conclu que les mots "avant l'âge de 19 ans" figurant dans la définition de "fils" adopté vont à l'encontre de l'article 15 de la Charte, il y a lieu de déterminer si cette disposition est justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

Dans sa décision, la Commission a bien exposé le critère à deux volets énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Ce critère exige que le ministre prouve, selon la probabilité la plus forte, qu'une mesure considérée comment portant atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte constitue une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer. Pour ce faire, le requérant doit premièrement établir que l'objectif visé par la mesure est suffisamment important pour justifier que l'on déroge à un droit ou à une liberté qui sont protégés par la Constitution.

Deuxièmement, le requérant doit prouver que le moyen choisi afin d'atteindre cet objectif est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique. Pour pouvoir appliquer le deuxième volet du critère énoncé dans l'arrêt Oakes, il faut satisfaire à trois critères:

i. la mesure adoptée a un lien rationnel avec l'objet en question;

ii. la mesure choisie pour réaliser l'objectif est de nature à porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en question;

iii. il y a proportionnalité entre les moyens choisis et le degré d'atteinte au droit ou à la liberté.

Dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, à la page 331, le juge McLachlin a précisé que l'analyse fondée sur l'article premier n'est pas un exercice reposant sur des abstractions, mais sur des faits. Bien que la justification d'une mesure puisse se faire par l'application du "sens commun" et puisse certes ne pas atteindre ce qu'on pourrait appeler une "certitude scientifique", l'État doit néanmoins prévoir quelque chose de suffisant pour que la mesure soit justifiée.

Quels sont les objectifs de la mesure contestée; et sont-ils "urgents et réels"?

L'avocate du requérant soutient que la Commission a mal caractérisé les objectifs du Règlement et que cette mauvaise caractérisation a induit la Commission en erreur dans son analyse fondée sur l'article premier. L'avocate soutient notamment que la Commission a commis une erreur en statuant que la limite d'âge de 19 ans vise à prévenir le recours abusif au système d'immigration en se soustrayant aux exigences d'admission au moyen de l'adoption d'adultes. La Commission a estimé que cet objectif était urgent et réel mais qu'il n'avait pas de lien rationnel avec la limite d'âge de 19 ans. Le requérant allègue que la limite d'âge de 19 ans sert à restreindre la capacité des personnes de choisir d'adopter et ensuite de parrainer des adultes non canadiens qui ne satisfont pas aux critères ordinaires de sélection.

Comme il a été indiqué précédemment, l'un des buts sous-jacents du Règlement modifié est d'empêcher l'adoption d'enfants de plus de 19 ans pour se soustraire aux exigences de l'immigration. Toutefois, la limite d'âge de 19 ans a pour objectif de restreindre la capacité des personnes, comme l'intimé, de parrainer des adultes non canadiens et de rendre le Règlement concernant les enfants adoptifs conforme aux obligations internationales de notre pays en facilitant l'admission, en vertu de la catégorie des parents, des enfants qui ont vraiment besoin d'assistance parentale.

En entreprenant son analyse fondée sur l'article premier, la Commission semble avoir confondu son analyse, fondée sur le paragraphe 15(1), de l'effet discriminatoire de la limite d'âge de 19 ans (dans laquelle elle a conclu que la mesure était fondée sur une supposition stéréotypée au sujet de l'adoption d'adultes) avec les objectifs réels de la mesure. Ce faisant, la Commission a commis une erreur dans son analyse, fondée sur l'article premier, de la limite en question.

L'imposition de limites à l'autorisation de séjour et à l'admission au pays de non-Canadiens constitue un élément fondamental de la politique d'immigration. Le Parlement a le pouvoir d'adopter des lois et des règlements qui fixent les conditions selon lesquelles les non-citoyens seront autorisés à séjourner et à rester au Canada: Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711. Donc, l'objectif qui sous-tend l'adoption de la limite d'âge de 19 ans est urgent et réel.

La Commission a commis une erreur en appliquant le premier volet du critère énoncé dans l'arrêt Oakes aux faits de la présente affaire. Je suis convaincu, par conséquent, que la demande doit être accueillie.

En examinant la première étape du deuxième volet du critère énoncé dans l'arrêt Oakes, à savoir s'il y a un lien rationnel entre le moyen choisi pour réaliser un objectif urgent et réel et l'objectif lui-même, la Commission devait prendre en considération les observations du juge Sopinka dans l'arrêt R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, à la page 502, où il indique que, "[c]ompte tenu de la preuve non concluante en matière de sciences humaines . . . il est suffisant que le choix du mode d'intervention du Parlement soit raisonnablement fondé".

À la fin de l'audience, l'avocate du requérant a demandé que les questions suivantes soient certifiées:

Les mots "avant l'âge de 19 ans" figurant dans la définition de "fils" adopté à l'art. 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 , qui sert à empêcher les personnes adoptées de sexe masculin de plus de 19 ans de satisfaire à la définition de "fils", établissent-ils une discrimination à l'égard du groupe des "parents adoptifs qui adoptent des personnes de sexe masculin de plus de 19 ans", fondée sur le motif analogue de la "filiation adoptive", et les privent-ils du "même bénéfice de la loi" en contravention de l'art. 15 de la Charte?

Si les mots "avant l'âge de 19 ans" figurant dans ladite définition de "fils" adopté ne sont pas conformes à l'art. 15 de la Charte, sont-ils sauvegardés par l'article premier de la Charte en tant que limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans une société libre et démocratique?

La demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. La décision de la Commission doit être annulée et l'affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue de nouveau sur l'affaire en conformité avec les présents motifs.

Les questions ci-dessus, proposées par le requérant, doivent également être certifiées.

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