Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

IMM-1647-98

Iqbal Singh (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général du Canada (défendeurs)

Répertorié: Singhc. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(1re inst.)

Section de première instance, juge Rothstein" Toronto, 13, 20 et 21 avril; Ottawa, 6 mai, 1998.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Personnes non admissibles Demande de mesures provisoires tendant à la mise en liberté jusqu'à la détermination, conformément à l'art. 40.1(4)d), du caractère raisonnable de l'attestation délivrée par les ministresLe demandeur a participé à des campagnes de financement, de recrutement et d'organisation pour le compte d'une organisation soupçonnée d'activités terroristesLes ministres ont remis à un agent d'immigration une attestation certifiant que le demandeur appartient à l'une des catégories de personnes visées à l'art. 19(1)e) et f)Le demandeur a contesté la constitutionnalité de l'art. 19(1)e) et f), estimant qu'il enfreint le droit à la liberté d'expression et d'associationL'attestation des ministres constitue une décision définitiveApplication du critère tripartite régissant les injonctions interlocutoiresL'affaire ne soulevait aucune question sérieuse concernant les libertés d'expression et d'associationLa balance des inconvénients était à l'avantage des ministres.

Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fondamentales Les ministres ont remis à l'agent d'immigration une attestation en application de l'art. 19(1)e) et f) de la Loi sur l'immigrationLe demandeur a contesté la constitutionnalité de ces deux dispositions, estimant qu'elles portent atteinte à la liberté d'expression et d'association (art. 2b) et d) de la Charte)L'affaire soulevait-elle une question sérieuse?Le demandeur était soupçonné de terrorisme et d'activités visant à renverser par la force le gouvernement de l'IndeLe terrorisme n'est pas une forme d'expression couverte par la ConstitutionC'est l'effet et non l'objet des mesures prises par le gouvernement qui restreint la liberté d'expressionL'affaire ne soulevait aucune question sérieuse touchant les libertés d'expression et d'association.

Il s'agissait d'une demande de mesures provisoires visant la mise en liberté du demandeur jusqu'à la détermination du caractère raisonnable de l'attestation en vertu de l'alinéa 40.1(4)d) de la Loi sur l'immigration. Le solliciteur général et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ont remis une attestation à un agent d'immigration, certifiant qu'ils étaient d'avis, à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité, que le demandeur appartenait à l'une des catégories de personnes visées aux alinéas 19(1)e) et (f) de la Loi. Le demandeur, actuellement en détention, avait participé à des activités de financement, de recrutement et d'organisation pour le compte d'une organisation terroriste qui inciterait au renversement par la force du gouvernement de l'Inde. Il a soutenu que les activités auxquelles il s'est livré sont inoffensives et, de ce fait, protégées par la Charte. Plutôt que d'attaquer directement la validité de sa détention sous le régime de l'alinéa 40.1(2)b) de la Loi, le demandeur a contesté l'attestation des ministres au motif qu'elle était fondée sur les alinéas 19(1)e) et f) qui, selon lui, sont inconstitutionnels parce qu'ils enfreignent le droit à la liberté d'expression et d'association qui lui est garanti par les alinéas 2b) et d) de la Charte. Il a également fait valoir que la "Couronne et ses agents" sont coupables d'un abus de procédures, raison additionnelle d'invalider leur attestation. Il s'agissait principalement de savoir si l'attestation délivrée par les ministres enfreignait le droit à la liberté d'expression et d'association du demandeur et justifiait pour cela une injonction provisoire ordonnant sa mise en liberté.

Jugement: la demande est rejetée.

En sus des considérations classiques en matière d'injonction interlocutoire, la demande soulevait plusieurs questions de compétence et de procédure. La demande de mesures provisoires ayant été rejetée au motif que la balance des inconvénients était en faveur des ministres, la Cour n'a pas jugé utile de trancher les questions de compétence et de procédure, sauf la question de l'abus des procédures. Sa Seigneurie a cependant fait certains commentaires pouvant être utiles pour l'avenir. Elle a précisé, par exemple, que l'attestation des ministres est une décision finale et que la question d'abus des procédures peut être soulevée dans le cadre de la détermination du caractère raisonnable sous le régime du paragraphe 40.1(4) de la Loi sur l'immigration, et non pas dans le cadre d'une demande distincte de contrôle judiciaire ou d'une action.

S'agissant d'une demande de mesures provisoires, il appartient d'abord à la Cour de dire si l'affaire soulève une question sérieuse. Les activités qu'on reproche au demandeur sont le terrorisme et l'incitation au renversement par la force du gouvernement de l'Inde. En ce qui concerne la garantie de la liberté d'expression, les tribunaux ont établi un critère en deux étapes permettant de savoir si l'alinéa 2b) de la Charte s'applique. La première étape consiste à déterminer si l'activité de la personne en cause fait partie de la sphère d'activités protégées par l'alinéa 2b); la deuxième étape vise à déterminer si la restriction à la liberté d'expression constitue l'objet de l'action gouvernementale ou si elle n'en est que l'effet. En ce qui concerne la première partie du critère, le demandeur a allégué que, comme l'attestation n'était fondée que sur sa participation à des activités de levée de fonds, de recrutement, et d'organisation pour la Babbar Khalsa International, il n'y avait pas de lien entre son expression et une quelconque activité spécifique de la BKI qui pourrait être qualifiée d'activité terroriste. Même si les activités du demandeur sont en soi non violentes, on ne peut pas les considérer comme une "expression" au sens de l'alinéa 2b ) de la Charte car elles sont entreprises pour le compte d'une organisation dont il est raisonnable de croire qu'elle se livre au terrorisme ou qu'elle travaille au renversement d'un gouvernement par la force. Ces activités ont été entreprises pour soutenir le terrorisme, qui est une forme d'expression ne jouissant d'aucune protection constitutionnelle. Les terroristes ne peuvent invoquer la liberté d'expression pour justifier leurs actes de violence. La deuxième étape du critère exige que la Cour décide si c'est l'objet ou l'effet de l'action gouvernementale qui a restreint l'expression. L'objet de l'attestation est de permettre au gouvernement d'entamer une procédure dont le résultat peut être le renvoi d'une personne qui menace la sécurité ou les intérêts du Canada, de protéger la vie ou la sécurité des personnes au Canada et d'assurer la protection de renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité. Cette disposition législative sur l'immigration ne porte pas sur l'expression en soi, mais traite de qui peut être admis au Canada. Dans cette affaire, c'est l'effet et non l'objet de l'action gouvernementale qui restreint l'expression. Sous le régime de l'alinéa 2b), c'est le demandeur qui doit faire la démonstration que ses activités visent la promotion d'une des valeurs qui sous-tendent la liberté d'expression. Cette preuve n'a pas été rapportée. Le demandeur n'a pas établi l'existence d'une question sérieuse à examiner relativement à sa liberté d'expression. Il en va de même de la liberté d'association prévue à l'alinéa 2d) de la Charte. En ce qui concerne le préjudice irréparable, le fait que le demandeur soit en détention lui causerait un préjudice irréparable étant donné qu'il a une entreprise de camionnage qui emploie sept personnes et que l'entreprise ne peut survivre en son absence. Enfin, la balance des inconvénients est en faveur des ministres. La Loi sur l'immigration confie aux ministres la responsabilité de protéger l'intérêt public. Au vu des dispositions pertinentes de la Loi et de l'attestation délivrée par les ministres, la restriction recherchée par le demandeur causerait un préjudice irréparable à l'intérêt public. Le litige paraît être un cas d'exemption, le demandeur demandant simplement d'être exempté de l'application de la législation attaquée et des mesures prises par les ministres en vertu de celle-ci. Il y a lieu, cependant, de considérer cette affaire comme un cas de suspension étant donné le risque de provoquer une avalanche de suspensions d'instance et d'exemptions dans des affaires du même genre, et à cause du préjudice important que causerait de telles exemptions à l'intérêt public. Il existe des facteurs d'intérêt public qui sont en faveur du demandeur, mais ceux-ci n'ont que peu de poids face à l'intérêt public qui dicte l'application continue des alinéas 19(1)e) et f) de la Loi et de l'attestation des ministres. Le cadre même de l'article 40.1 vise à accélérer la procédure de contrôle judiciaire du caractère raisonnable de l'attestation des ministres, ce qui est la meilleure façon de minimiser le préjudice causé au demandeur tout en respectant l'intérêt public en matière de sécurité nationale et de protection des membres du public.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b),d), 7, 9, 10c).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.2 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 18.4 (édicté, idem).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)e)(ii) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), (iv)(B) (mod., idem), (C) (mod., idem), f)(ii) (mod., idem), (iii)(B) (mod., idem), 38.1 (édicté, idem, art. 28), 40.1 (édicté par L.R.C., (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch 49, art. 31), 52 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 7; L.C. 1992, ch. 49, art. 42), 53 (mod. par L.R.C., (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12).

jurisprudence

décision appliquée:

Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167.

décisions examinées:

Suresh c. Canada (1996), 105 F.T.R. 299 (C.F. 1re inst.); RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; (1994), 111 D.L.R. (4th) 385; 54 C.P.R. (3d) 114; 164 N.R. 1; 60 Q.A.C. 241; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] A.C.S. no 31 (QL); Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; (1987), 38 D.L.R. (4th) 321; [1987] 3 W.W.R. 1; 46 Man. R. (2d) 241; 25 Admin. L.R. 20; 87 CLLC 14,015; 18 C.P.C. (2d) 273; 73 N.R. 341.

décisions citées:

Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669; (1995), 32 C.P.R. (2d) 95; 100 F.T.R. 261 (1re inst.); conf. par (1996), 37 C.R.R. (2d) 181; 105 F.T.R. 299 (C.A.F.); autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée [1997] 2 R.C.S. v; Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174; (1995), 129 D.L.R. (4th) 226; 103 F.T.R. 105 (1re inst.).

DEMANDE de mesures provisoires visant la mise en liberté du demandeur jusqu'à la détermination du caractère raisonnable de l'attestation des ministres en vertu de l'alinéa 40.1(4)d) de la Loi sur l'immigration. Demande rejetée.

ont comparu:

Lorne Waldman pour le demandeur.

Robert F. Batt pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Green and Spiegel, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Rothstein: Présentée dans le cadre d'une procédure en cette Cour (dossier DES-1-98) en vertu de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31], la présente demande de contrôle judiciaire distinct vise l'obtention de mesures provisoires en vertu de l'article 18.21 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], enjoignant la mise en liberté du demandeur jusqu'à la détermination du caractère raisonnable de l'attestation des ministres sous le régime de l'alinéa 40.1(4)d) de la Loi sur l'immigration2.

Le 2 avril 1998, aux termes du paragraphe 40.1(1) de la Loi sur l'immigration, le solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ont remis une attestation à un agent d'immigration, certifiant qu'ils étaient d'avis, à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité dont ils avaient eu connaissance, que le demandeur appartient à l'une des catégories de personnes visées au sous-alinéa 19(1)e)(ii) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11], divisions 19(1)e)(iv)(B) [mod., idem] et (C) [mod., idem], sous-alinéa 19(1)f)(ii) [mod., idem] et division 19(1)f)(iii)(B) [mod., idem] de la Loi sur l'immigration3.

En vertu de l'alinéa 40.1(2)b) un agent principal ou un arbitre est tenu de retenir le demandeur ou de prendre une mesure à cet effet contre lui en attendant que la Cour décide, en vertu de l'alinéa 40.1(4)d), si l'attestation est raisonnable. Le demandeur est présentement en détention.

Conformément à l'alinéa 40.1(3)a), l'attestation des ministres a été transmise à cette Cour pour qu'il soit décidé si elle doit être annulée. Après avoir donné à l'intéressé la possibilité d'être entendu, la Cour doit décider, en vertu des alinéas 40.1(4)c) et d), si l'attestation est raisonnable et, dans le cas contraire, l'annuler. L'audience visant à déterminer ce caractère raisonnable aura lieu les 7 et 8 mai 1998.

Cette demande de mesures provisoires vise la remise en liberté du demandeur. Celui-ci ne s'attaque pas directement à la détention prononcée en vertu de l'alinéa 40.1(2)b). La constitutionnalité de cette disposition, comme d'ailleurs celle de tout l'article 40.1 (à l'exception du paragraphe (5.1)), a déjà été confirmée au vu des articles 7, 9 et l'alinéa 10c) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Voir Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669 (1re inst.) confirmé par (1996), 37 C.R.R. (2d) 181 (C.A.F.). La demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada a été rejetée le 3 juillet 1997 [[1997] 2 R.C.S. v].

Plutôt que d'attaquer directement la validité de sa détention en contestant l'alinéa 40.1(2)b), le demandeur s'attaque à l'attestation des ministres au motif qu'elle est fondée sur les alinéas 19(1)e) et f) de la Loi sur l'immigration qui, selon lui, sont inconstitutionnels parce qu'ils enfreignent le droit à la liberté d'expression et d'association garanti par les alinéas 2b) et d) de la Charte4. Subsidiairement, le demandeur plaide que les ministres ont interprété les alinéas 19(1)e) et f) d'une façon qui enfreint ses droits d'expression et d'association prévus par la Charte. Il avance aussi que la "Couronne et ses agents" sont coupables d'un abus de procédures, raison additionnelle d'invalider leur attestation. Le demandeur déclare que s'il peut faire la preuve que la question est sérieuse, le préjudice irréparable et que la balance des inconvénients est en sa faveur, la Cour a compétence en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale pour prendre des mesures provisoires en enjoignant qu'il soit remis en liberté.

Dans Suresh c. Canada (1996), 105 F.T.R. 299 (C.F. 1re inst.), le juge Cullen a décidé que la compétence accordée à la Cour par le paragraphe 40.1(4) en matière d'attestation des ministres se limite à décider si elle est raisonnable. Il a décidé que la détermination du caractère raisonnable d'une attestation ne comprend pas l'examen de sa constitutionnalité. C'est en se fondant sur cette décision que le demandeur déclare être obligé d'introduire cette demande de contrôle judiciaire distincte, afin que soient examinées les questions constitutionnelles.

QUESTIONS PRÉALABLES

En sus des considérations classiques en matière d'injonction interlocutoire (question sérieuse, préjudice irréparable et balance des inconvénients), la présente demande soulève plusieurs questions importantes de compétence et de procédure.

a) La contestation de la constitutionnalité de l'attestation des ministres doit-elle être introduite sous forme d'une demande de contrôle judiciaire ou d'une action?

b) Si la question doit être introduite sous forme d'une action, la Cour peut-elle ordonner que la présente demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action en vertu de l'article 18.4 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale et, dans l'affirmative, a-t-elle compétence pour accorder des mesures provisoires en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale?

c) L'attestation des ministres est-elle une décision provisoire ou finale et, si elle est provisoire, la Cour peut-elle entendre cette demande et la trancher?

d) La compétence de la Cour pour accorder des mesures provisoires en vertu de l'article 18.2 lui permet-elle de suspendre l'application de l'alinéa 40.1(2)b) ou d'y surseoir?

e) La question d'abus des procédures peut-elle être abordée par la Cour dans le cadre de l'audition sur le caractère raisonnable de l'attestation sous le régime du paragraphe 40.1(4) ou doit-elle faire l'objet d'une demande distincte de contrôle judiciaire ou d'une action?

Étant donné que j'ai décidé de rejeter la demande de mesures provisoires au motif que la balance des inconvénients est en faveur des ministres, je n'ai pas à trancher ces questions de compétence et de procédure, sauf la question d'abus des procédures. Les commentaires suivants pourraient toutefois être utiles pour l'avenir.

a) La contestation de la constitutionnalité de l'attestation des ministres doit-elle être introduite sous forme d'une demande de contrôle judiciaire ou d'une action?

D'emblée, il m'aurait semblé que la contestation d'une loi au motif qu'elle est inconstitutionnelle doit être introduite sous la forme d'une action, comme on l'a fait dans Ahani (précité). Toutefois, dans la présente affaire, le demandeur s'attaque aussi à la constitutionnalité de l'attestation des ministres. Je note aussi les remarques incidentes du juge Bastarache dans la décision récente de la Cour suprême du Canada, Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] A.C.S. no 31 (QL), dans laquelle il parle d'un avis de requête visant l'obtention d'une injonction autonome. Alors que cette question de procédure exige une analyse approfondie, les plaidoiries dans la présente affaire en ont fort peu traité. Les parties n'ont pas abordé la pertinence de Canadian Liberty Net (précité), s'il en est. Étant donné que j'ai décidé de rejeter la demande de mesures provisoires au motif que la balance des inconvénients est en faveur des ministres, une analyse aussi détaillée est inutile. Je vais considérer que la procédure adoptée pour demander les mesures provisoires à cette Cour est appropriée.

b) Si la question doit être introduite sous forme d'une action, la Cour peut-elle ordonner que la présente demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action en vertu de l'article 18.4 de la Loi sur la Cour fédérale et, dans l'affirmative, a-t-elle compétence pour accorder des mesures provisoires en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale?

Si, comme je le conclus, la procédure adoptée, soit une demande de contrôle judiciaire, est appropriée, il s'ensuit que la réparation prévue à l'article 18.2 peut être accordée.

c) L'attestation des ministres est-elle une décision provisoire ou finale et, si elle est provisoire, la Cour peut-elle entendre cette demande et la trancher?

Il n'y a aucun doute dans mon esprit que l'attestation des ministres est une décision finale. Les défendeurs prétendent que l'attestation est une décision provisoire parce qu'elle déclenche automatiquement une procédure en cette Cour quant à la détermination de son caractère raisonnable. Ils plaident aussi qu'avant que le demandeur puisse être renvoyé du Canada, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration doit prendre des mesures de renvoi en vertu des articles 52 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 7; L.C. 1992, ch. 49, art. 42] et 53 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12] de la Loi sur l'immigration; c'est, à leur avis, un autre motif de considérer l'attestation des ministres comme une décision provisoire. Ce raisonnement ne me convainc pas. L'audience sur le caractère raisonnable est un examen de l'attestation des ministres par la Cour. Voir Ahani (précité), à la page 699. L'attestation est une décision d'un tribunal fédéral, savoir les ministres, et la loi exige qu'elle soit transmise sans délai à la Cour fédérale dès qu'elle est signée et remise à un agent d'immigration. Que la législation exige la transmission de l'attestation à la Cour fédérale pour qu'elle en détermine le caractère raisonnable et, à défaut, pour qu'elle l'annule, nous indique, par déduction nécessaire, que c'est une décision finale.

d) La compétence de la Cour pour accorder des mesures provisoires en vertu de l'article 18.2 lui permet-elle de surseoir à l'application de l'alinéa 40.1(2)b)?

Le demandeur recherche sa remise en liberté. Il déclare que [traduction] "l'effet d'une telle ordonnance serait de suspendre l'application de l'alinéa 40.1(2)b ), qui exige qu'un agent principal ou arbitre prenne une mesure visant la détention du demandeur en attendant la décision (sur le caractère raisonnable)". Le demandeur conteste la constitutionnalité des alinéas 19(1)e ) et f) de la Loi sur l'immigration, qui sont incorporés par renvoi dans l'article 40.1, ainsi que de l'attestation des ministres. L'attestation délivrée en vertu du paragraphe 40.1(1) trouve sa justification dans le fait que les ministres sont d'avis que le demandeur appartient à une des catégories de personnes visées aux alinéas 19(1)e) et f) de la Loi. Si cet avis n'a pas de fondement, soit parce que les alinéas 19(1)e) et f) sont inconstitutionnels, soit parce que les ministres, en interprétant les alinéas 19(1)e) et f), ont enfreint les droits du demandeur prévus par la Constitution, l'attestation remise à l'agent d'immigration serait invalide et le demandeur serait indûment détenu au regard de l'alinéa 40.1(2)b). Si la Cour décide de prendre des mesures provisoires, ce serait sous la forme d'une suspension de l'application des alinéas 19(1)e) et f), ou d'une exemption de ceux-ci ou alors en suspension de l'attestation des ministres. Si elles étaient accordées, ces mesures provisoires feraient disparaître le fondement même de la détention du demandeur. Ce dernier devrait donc être remis en liberté, non pas parce qu'il aurait obtenu ce qu'il demande, c'est-à-dire une ordonnance de remise en liberté ou suspendant l'application de l'alinéa 40.1(2)b), mais en conséquence de la suspension d'un élément essentiel à sa mise en détention. Il n'est donc pas nécessaire de se pencher sur la question de savoir si la Cour peut suspendre l'application de l'alinéa 40.1(2)b) ou y surseoir.

e) La question d'abus des procédures peut-elle être abordée par la Cour dans le cadre de l'audition sur le caractère raisonnable de l'attestation sous le régime du paragraphe 40.1(4) ou doit-elle faire l'objet d'une demande distincte de contrôle judiciaire ou d'une action?

Selon ce que je comprends de la plaidoirie du demandeur sur la question de l'abus des procédures, il affirme que les agents des ministres ont exercé des pressions indues pour qu'il leur livre des renseignements au sujet de ses amis et associés. Comme il a refusé, ils ont entamé les procédures prises contre lui en vertu de l'article 40.1. Sans affirmer que la question d'abus des procédures puisse toujours être traitée dans le cadre de la détermination du caractère raisonnable en application du paragraphe 40.1(4), j'estime que la nature même des arguments du demandeur en l'instance rendent évident le fait que cette question doit être traitée dans ce cadre. Les prétentions soulèvent la question de la bonne foi de l'attestation des ministres. Si la Cour devait décider que la preuve sur laquelle l'attestation des ministres repose n'est pas fiable, il est clair que le caractère raisonnable de l'attestation serait en cause. Par conséquent, la question de l'abus des procédures dans cette affaire peut être soulevée dans le cadre de la détermination du caractère raisonnable.

LE CRITÈRE TRIPARTITE

En présumant que la procédure utilisée par le demandeur pour obtenir des mesures provisoires est la bonne, je peux maintenant aborder le critère tripartite régissant la délivrance d'une injonction interlocutoire. Quant à l'existence d'une question sérieuse, le demandeur avance deux arguments. Dans sa plaidoirie écrite, il déclare que les alinéas 19(1)e) et f) de la Loi sur l'immigration [traduction] "n'ont aucune validité" parce qu'ils nient la liberté d'expression et d'association du demandeur, garantie par les alinéas 2b ) et d) de la Charte [traduction] "étant donné que la sanction d'inadmissibilité et de renvoi peut être, et a été, fondée uniquement sur une activité d'expression et d'association légale". Je considère que cet argument est une contestation de la constitutionnalité de la législation, savoir les alinéas 19(1)e ) et f) de la Loi sur l'immigration. Dans ses plaidoiries orales, ainsi qu'ailleurs dans les plaidoiries écrites, l'avocat du demandeur a insisté non pas sur la constitutionnalité de la législation, mais sur l'interprétation que les ministres en ont donnée. Il semble qu'il a voulu indiquer que les ministres ont interprété trop largement les mots tels que "terrorisme" figurant à l'article 19, couvrant ainsi des activités non violentes. En conséquence, ils auraient inclus sous cette rubrique des activités que le demandeur considère être un exercice légal de sa liberté d'expression et d'association. Je considère que cet argument est une contestation de la constitutionnalité de l'attestation des ministres.

En matière de mesures provisoires, le rôle de la Cour est de déterminer s'il y a une question sérieuse à trancher, "en se fondant sur le bon sens et un examen extrêmement restreint du fond de l'affaire" (voir RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 348).

Les activités qu'on reproche au demandeur sont le terrorisme et l'incitation au renversement par la force du gouvernement de l'Inde. Ses activités seraient exercées pour le compte de la Babbar Khalsa International (BKI), une organisation au sujet de laquelle les ministres ont exprimé l'avis, à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité, qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme ou qu'elle travaillera ou incitera au renversement par la force du Gouvernement de l'Inde.

L'arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, à la page 978, établit un critère en deux étapes qui permet de savoir si l'alinéa 2b) s'applique lorsque l'on invoque la garantie de la liberté d'expression. La première étape consiste à déterminer si l'activité de la personne en cause fait partie de la sphère d'activité protégée par l'alinéa 2b); la deuxième étape vise à déterminer si la restriction à la liberté d'expression constitue l'objet de l'action gouvernementale ou si elle n'en est que l'effet. Lorsque l'objet est de limiter la liberté d'expression, l'alinéa 2b) s'applique et le gouvernement doit justifier son action en s'appuyant sur l'article premier de la Charte5, savoir qu'il s'agit d'une restriction raisonnable et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Lorsque la restriction à la liberté d'expression est l'effet de l'action gouvernementale, c'est la personne en cause qui doit faire la démonstration que la forme d'expression qu'elle veut faire protéger est assimilable aux valeurs qui sous-tendent l'alinéa 2b) de la Charte, savoir qu'elle se rattache à la recherche de la vérité, à la participation à l'intérêt social ou à l'enrichissement personnel.

Je vais maintenant considérer la première étape du critère de l'arrêt Irwin Toy"les activités du demandeur sont-elles une "expression" au sens de l'alinéa 2b )? Le demandeur allègue que comme l'attestation n'est fondée que sur sa participation à des activités de levée de fonds, de recrutement et d'organisation pour la BKI, il n'y a pas de lien entre son expression et une quelconque activité spécifique de la BKI qui pourrait être qualifiée d'activité terroriste. Selon cet argument, même si la BKI se livre au terrorisme, les activités du demandeur sont inoffensives et sont de ce fait protégées par la Charte.

Je trouve fort difficile d'accepter la prétention du demandeur voulant que ses activités, même si elles sont en soi non violentes, sont une "expression" au sens de l'alinéa 2b ) de la Charte car elles sont entreprises pour le compte d'une organisation dont il est raisonnable de croire qu'elle se livre au terrorisme ou qu'elle travaille au renversement d'un gouvernement par la force. En tenant ce raisonnement, le demandeur semble vouloir que l'on examine ses activités sans se référer du tout à la nature de l'organisation dont il serait membre.

La Cour ne peut fermer les yeux quant à la nature de l'organisation et considérer de façon artificielle que le demandeur fait des levées de fonds, du recrutement et de l'organisation pour le compte d'une organisation inoffensive pour la société. La levée de fonds, le recrutement et l'organisation peuvent être des formes d'expression protégées par la Constitution lorsqu'elles sont entreprises pour le compte de la plupart des organisations non violentes. On ne peut toutefois affirmer la même chose lorsque les activités en cause sont entreprises pour encourager et soutenir le terrorisme, qui est une forme d'expression ne jouissant d'aucune protection constitutionnelle. Dans Irwin Toy (précité), la majorité (le juge en chef Dickson et les juges Lamer et Wilson) déclare, à la page 970:

Quoique la garantie de la liberté d'expression protège tout contenu d'une expression, il est évident que la violence comme forme d'expression ne reçoit pas cette protection. Il n'est pas nécessaire en l'espèce de définir précisément dans quel cas ou pour quelle raison une forme d'expression choisie pour transmettre un message sort du champ de la garantie. Toutefois il est parfaitement clair que, par exemple, l'auteur d'un meurtre ou d'un viol ne peut invoquer la liberté d'expression pour justifier le mode d'expression qu'il a choisi.

Les terroristes ne peuvent invoquer la liberté d'expression pour justifier leurs actes de violence; il en va de même des personnes qui appuient les organisations qui se livrent au terrorisme, de la façon dont le demandeur est censé appuyer la BKI.

J'en viens maintenant à la deuxième étape du critère de l'arrêt Irwin Toy (précité). Même si les activités du demandeur pouvaient être décrites comme une forme d'expression, ce dont je doute, le demandeur n'aurait pas droit, à mon avis, à la protection de l'alinéa 2b). Selon ce critère, la Cour doit décider si c'est l'objet ou l'effet de l'action gouvernementale qui a restreint l'expression. L'objet de l'attestation est de permettre au gouvernement d'entamer une procédure dont le résultat peut être le renvoi d'une personne qui menace la sécurité ou les intérêts du Canada, de protéger la vie ou la sécurité des personnes au Canada, et d'assurer la protection de renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité (voir l'article 38.1 [édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 28] de la Loi sur l'immigration, ci-dessous). Il s'agit ici d'un texte législatif sur l'immigration, qui traite de qui peut être admis au Canada. Ce n'est pas un texte législatif qui porte sur l'expression en soi.

Dans cette affaire, comme c'est l'effet et non l'objet de l'action gouvernementale qui restreint l'expression, le demandeur doit faire la démonstration que son expression est liée aux valeurs qui sous-tendent l'alinéa 2b). Ces valeurs sont décrites ainsi par la Cour suprême dans l'arrêt Irwin Toy (précité), à la page 976:

. . . (1) la recherche de la vérité est une activité qui est bonne en soi; (2) la participation à la prise de décisions d'intérêt social et politique doit être encouragée et favorisée; et (3) la diversité des formes d'enrichissement et d'épanouissement personnels doit être encouragée dans une société qui est essentiellement tolérante, même accueillante, non seulement à l'égard de ceux qui transmettent un message, mais aussi à l'égard de ceux à qui il est destiné.

Même si je ne suis pas saisi d'une argumentation détaillée, il me semble qu'une des prétentions du demandeur est qu'on n'a pas démontré jusqu'ici que la BKI se livre au terrorisme. Nous avons seulement l'avis des ministres qu'il y a des motifs raisonnables de croire que la BKI est une organisation de ce genre. Toutefois, ce ne sont pas les ministres qui doivent démontrer que l'expression supposée du demandeur ne doit pas être protégée. Le fardeau de la preuve n'incombe aux ministres que si le demandeur démontre qu'on a enfreint l'alinéa 2b). Sous le régime de l'alinéa 2b), c'est le demandeur qui doit faire la démonstration que ses activités visent la promotion d'une des valeurs qui sous-tendent la liberté d'expression. On ne trouve absolument pas cette preuve dans la procédure actuelle. Pour être plus précis, le demandeur n'a apporté aucune preuve quant à sa participation, s'il en est, aux activités de la BKI. Il n'aborde pas non plus la question de savoir si les activités qu'on lui prête ne seraient pas reliées au terrorisme, mais bien des activités reliées à un des principes qui sous-tendent la liberté d'expression. Ses simples affirmations portant qu'il n'est pas un terroriste et qu'il ne travaille pas au renversement d'un gouvernement par la force et sa déclaration dans les plaidoiries que la BKI n'est pas une organisation terroriste ne répondent pas à l'exigence que lui impose l'alinéa 2b).

Me fondant sur ce bref examen, je doute fort que le demandeur ait établi l'existence d'une question sérieuse à examiner relativement à sa liberté d'expression.

Je doute de même que le demandeur ait soulevé une question sérieuse relativement à la liberté d'association prévue à l'alinéa 2d) de la Charte. L'arrêt Irwin Toy (précité) précise que les formes d'expression violentes telles que le meurtre ne reçoivent pas la protection constitutionnelle prévue à l'alinéa 2b). Je ne vois pas comment l'alinéa 2d) pourrait accorder une plus grande protection à une association dont l'existence même est vouée à la violence.

J'accepte que la Cour, lorsque l'alinéa 2d) est en cause, ne devrait pas en général examiner la nature de l'organisation afin de déterminer si l'association jouit de la protection constitutionnelle (voir Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174 (1re inst.)). Je crois toutefois que l'exception qui s'applique face à l'alinéa 2b), savoir que la violence n'est pas une forme d'expression qui jouit de la protection constitutionnelle, doit aussi s'appliquer aux personnes qui s'associent dans le but de perpétrer des actes violents tels que le meurtre et le terrorisme. À mon avis, le fait de soutenir la position contraire équivaudrait à dire que, même si le meurtre n'est pas une forme d'expression qui jouit de la protection constitutionnelle, une conspiration pour commettre un meurtre serait une association jouissant de cette protection. Une telle proposition n'a aucun sens. Je doute donc que le demandeur ait établi l'existence d'une question sérieuse à examiner relativement à la liberté d'association.

Il n'est pas nécessaire que j'aille plus loin que ces réserves portant que le demandeur n'a pas établi l'existence d'une question sérieuse à examiner, puisque je suis d'avis, pour les motifs qui suivent, que la balance des inconvénients est en faveur des ministres.

Au sujet du préjudice irréparable causé au demandeur, la preuve démontre que ce dernier a une entreprise de camionnage qui emploie sept personnes. Il soutient qu'en son absence, l'entreprise ne peut survivre. S'il a été détenu à tort, il n'existe aucun recours lui permettant d'obtenir une compensation. Je constate donc que le fait que le demandeur soit en détention lui cause un préjudice irréparable.

Je vais maintenant examiner la balance des inconvénients. Selon l'arrêt RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, la question du préjudice irréparable causé aux ministres doit être examinée au regard de la balance des inconvénients. Selon les juges Cory et Sopinka, à la page 346:

À notre avis, le concept d'inconvénient doit recevoir une interprétation large dans les cas relevant de la Charte. Dans le cas d'un organisme public, le fardeau d'établir le préjudice irréparable à l'intérêt public est moins exigeant que pour un particulier en raison, en partie, de la nature même de l'organisme public et, en partie, de l'action qu'on veut faire interdire. On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l'organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l'intérêt public et en indiquant que c'est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l'activité contestés. Si l'on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l'interdiction de l'action causera un préjudice irréparable à l'intérêt public.

En règle générale, un tribunal ne devrait pas tenter de déterminer si l'interdiction demandée entraînerait un préjudice réel. Le faire amènerait en réalité le tribunal à examiner si le gouvernement gouverne bien, puisque l'on se trouverait implicitement à laisser entendre que l'action gouvernementale n'a pas pour effet de favoriser l'intérêt public et que l'interdiction ne causerait donc aucun préjudice à l'intérêt public. La Charte autorise les tribunaux non pas à évaluer l'efficacité des mesures prises par le gouvernement, mais seulement à empêcher celui-ci d'empiéter sur les garanties fondamentales.

Dans cette affaire, la Loi sur l'immigration confie aux ministres la responsabilité de protéger l'intérêt public. La signature, la remise et le renvoi de l'attestation visant le demandeur ont eu lieu dans le cadre du devoir que la Loi impose aux ministres. Le but des dispositions qui régissent l'action des ministres dans cette affaire est exposé à l'article 38.1 de la Loi sur l'immigration.

38.1 Attendu que les personnes qui ne sont ni citoyen canadien ni résident permanent ne peuvent prétendre au droit de venir ou de demeurer au Canada, que les résidents permanents ne peuvent y prétendre que de façon limitée et que la coopération avec les gouvernements et organismes étrangers est essentielle au maintien de la sécurité nationale, les articles 39 à 40.2 ont pour but:

a) de permettre au gouvernement fédéral de s'acquitter de son obligation de renvoyer les personnes qui menacent la sécurité du Canada ou dont la présence au pays est contraire à ses intérêts ou met en danger la vie ou sécurité de personnes au Canada;

b) d'assurer la protection des renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité;

c) de permettre le renvoi rapide des personnes dont il a été décidé qu'elles appartiennent à une catégorie non admissible visée aux articles 39 ou 40.1.

Aucune preuve n'a été présentée qui pourrait réfuter la présomption qui veut que les buts visés par les alinéas 19(1)e) et f), qui sont incorporés à l'article 40.1, et mis en œuvre par les ministres, sont dans l'intérêt public. Selon l'arrêt RJRMacDonald (précité), la Cour doit maintenant présumer que la restriction de l'action du gouvernement, savoir le texte législatif ou l'attestation des ministres, causera un préjudice irréparable à l'intérêt public.

En règle générale, la Cour ne devrait pas tenter de déterminer si la restriction que le demandeur recherche entraînerait un préjudice réel. Or, le demandeur n'a avancé aucun motif qui justifierait que la Cour fasse exception à la règle générale en l'instance. Je dois donc conclure, au vu des dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration et de l'attestation des ministres, que le fait de prononcer l'interdiction recherchée par le demandeur causerait un préjudice irréparable à l'intérêt public.

Un des facteurs influençant le poids à donner aux considérations d'intérêt public du gouvernement consiste à déterminer s'il s'agit d'une affaire de suspension, où "l'application des dispositions attaquées est en pratique temporairement suspendue", ou d'une affaire d'exemption, où la partie qui a gain de cause "bénéficie en réalité d'une exemption de l'application de la loi attaquée, laquelle demeure toutefois opérante à l'égard des tiers": Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd. , [1987] 1 R.C.S. 110, à la page 135 le juge Beetz; RJRMacDonald (précité), à la page 351. Dans une affaire de suspension, où le préjudice à l'intérêt public est plus important, il sera plus difficile d'obtenir une injonction interlocutoire.

À prime abord, le litige paraît être un cas d'exemption. Le demandeur demande simplement d'être exempté de l'application de la législation attaquée ou des mesures prises par les ministres en vertu de celle-ci. Toutefois, les affaires d'exemption voient généralement leur champ limité à des situations où "les dispositions attaquées . . . [sont] applicables à un nombre relativement restreint de personnes et lorsqu'aucun préjudice appréciable n'est subi par le public": Metropolitan Stores (précité), à la page 147. Dans cette affaire, le juge Beetz fait l'observation suivante, à la page 146:

Si les cas d'exemption sont assimilés aux cas de suspension, cela tient à la valeur jurisprudentielle et à l'effet exemplaire des cas d'exemption. Suivant la nature des affaires, du moment qu'on accorde à un plaideur une exemption sous la forme d'une suspension d'instance, il est souvent difficile de refuser le même redressement à d'autres justiciables qui se trouvent essentiellement dans la même situation et on court alors le risque de provoquer une avalanche de suspensions d'instance et d'exemptions dont l'ensemble équivaut à un cas de suspension de la loi.

Étant donné le risque de provoquer une avalanche de suspensions d'instance et d'exemptions dans des affaires de ce genre, et à cause du préjudice important que causeraient de telles exemptions à l'intérêt public, je considère qu'il s'agit ici d'un cas de suspension. Il va sans dire que lorsqu'il s'agit de la sécurité du Canada et des membres du public, l'intérêt public est fondamental. Ceci s'applique également, que l'on s'attaque à la législation ou à l'action des ministres.

La Cour reconnaît qu'il existe des facteurs d'intérêt public qui sont en faveur du demandeur. Il a démontré à la Cour que son entreprise et ses sept employés courent un risque sérieux. Toutefois, malgré l'intérêt public lié à l'existence de l'entreprise du demandeur et à la préservation de l'emploi de ses employés, cet intérêt public n'a que peu de poids face à celui qui dicte l'application continue des alinéas 19(1)e) et f) et de l'attestation des ministres.

De plus, le cadre même de l'article 40.1 vise à accélérer la procédure de contrôle judiciaire du caractère raisonnable de l'attestation des ministres. Une audition rapide portant sur le caractère raisonnable limitera le préjudice subi par le demandeur. Dans cette affaire, l'audition portant sur le caractère raisonnable est prévue les 7 et 8 mai 1998. Le premier avocat du demandeur a fait savoir à cette Cour que l'audition peut se tenir à ces dates. Une audition rapide et efficace portant sur le caractère raisonnable est la meilleure façon de minimiser le préjudice causé au demandeur tout en respectant l'intérêt public en matière de sécurité nationale et de protection des membres du public. La balance des inconvénients est en faveur des ministres.

La demande d'injonction interlocutoire est rejetée.

1 L'art. 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que:

18.2 La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.

2 Voici les extraits pertinents de l'art. 40.1:

40.1 (1) Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, le ministre et le solliciteur général du Canada peuvent, s'ils sont d'avis, à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont ils ont eu connaissance, qu'une personne qui n'est ni citoyen canadien ni résident permanent appartiendrait à l'une des catégories visées au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii), aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou au sous-alinéa 19(2)a.1)(ii), signer et remettre une attestation à cet effet à un agent d'immigration, un agent principal ou un arbitre.

(2) En cas de remise de l'attestation visée au paragraphe (1):

a) l'enquête prévue par ailleurs aux termes de la présente loi sur l'intéressé ne peut être ouverte tant que la décision visée à l'alinéa (4)d) n'a pas été rendue;

b) l'agent principal ou l'arbitre doit, par dérogation aux articles 23 ou 103 mais sous réserve du paragraphe (7.1), retenir l'intéressé ou prendre une mesure à cet effet contre lui en attendant la décision.

(3) En cas de remise de l'attestation prévue au paragraphe (1), le ministre est tenu:

a) d'une part, d'en transmettre sans délai un double à la Cour fédérale pour qu'il soit décidé si l'attestation doit être annulée;

b) d'autre part, dans les trois jours suivant la remise, d'envoyer un avis à l'intéressé l'informant de la remise et du fait que, à la suite du renvoi à la Cour fédérale, il pourrait faire l'objet d'une mesure d'expulsion.

(4) Lorsque la Cour fédérale est saisie de l'attestation, le juge en chef de celle-ci ou le juge de celle-ci qu'il délègue pour l'application du présent article:

a) examine dans les sept jours, à huis clos, les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont le ministre et le solliciteur général ont eu connaissance et recueille les autres éléments de preuve ou d'information présentés par ces derniers ou en leur nom; il peut en outre, à la demande du ministre ou du solliciteur général, recueillir tout ou partie de ces éléments en l'absence de l'intéressé et du conseiller le représentant, lorsque, à son avis, leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes;

b) fournit à l'intéressé un résumé des informations dont il dispose, à l'exception de celles dont la communication pourrait, à son avis, porter atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes, afin de permettre à celui-ci d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l'attestation;

c) donne à l'intéressé la possibilité d'être entendu;

d) décide si l'attestation est raisonnable, compte tenu des éléments de preuve et d'information à sa disposition, et, dans le cas contraire, annule l'attestation;

e) avise le ministre, le solliciteur général et l'intéressé de la décision rendue aux termes de l'alinéa d).

3 19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:

. . .

e) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles:

. . .

(ii) soit, pendant leur séjour au Canada, travailleront ou inciteront au renversement d'un gouvernement par la force,

. . .

(iv) soit sont membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle:

. . .

(B) soit travaillera ou incitera au renversement d'un gouvernement par la force,

(C) soit commettra des actes de terrorisme;

. . .

f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles:

. . .

(ii) soit se sont livrées à des actes de terrorisme,

(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée:

. . .

(B) soit à des actes de terrorisme,

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;

4 2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:

. . .

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et les autres moyens de communication;

. . .

d) liberté d'association.

5 1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.