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T-2861-90

Joyce Wilma Beattie (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine, représentée par le Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (défenderesse)

T-2433-91

Joyce Wilma Beattie (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine, représentée par le Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (défenderesse)

T-2268-93

Joyce Wilma Beattie et Bruce Allan Beattie (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

T-2269-93

Joyce Wilma Beattie et Bruce Allan Beattie (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

T-2270-93

Joyce Wilma Beattie et Bruce Allan Beattie (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

T-2432-91

Joyce Wilma Beattie (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine, représentée par le Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (défenderesse)

T-2271-93

Joyce Wilma Beattie (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié: Beattiec. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1re inst.)

Section de première instance, juge Tremblay-Lamer" Vancouver, 13 et 14 mai; Ottawa, 30 mai 1997.

Droit constitutionnel Droits ancestraux et droits issus de traitésActions en remboursement de frais de scolarité, de logement et de déplacements engagés pour des enfants autochtones ne vivant pas dans des réservesSa Majesté avait accepté, aux termes du traité no 11, de payer le salaire des maîtres d'école pour instruire les enfants autochtonesLes actions sont rejetéesLes avantages accordés ne s'appliquent pas au-delà des limites de la région visée par le traitéLe tribunal doit tenir compte du contexte dans lequel le traité a été négocié et doit donner au texte du traité le sens que lui auraient naturellement donné les Indiens à l'époque de sa signature À l'époque de la signature du traité, les enfants autochtones recevaient déjà des services d'éducation gratuits Le traité confirmait une situation qui existait déjà La principale préoccupation des bandes au moment de la signature du traité était d'obtenir des services médicaux et des écoles à chaque poste À la date de signature, les autochtones n'ont pas compris que la disposition relative à l'éducation leur accordait un droit universel à l'éducation L'art. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 garantit: (i) l'accès à l'éducation gratuite; (ii) sur le territoire défini dans le traité; (iii) l'éducation gratuite ainsi offerte doit être semblable ou équivalente à celle qui est offerte aux enfants non autochtones dans le réseau d'écoles publiques.

Peuples autochtones Actions en remboursement de frais de scolarité, de logement et de déplacements engagés pour des enfants autochtones ne vivant pas dans des réservesSa Majesté avait accepté, aux termes du traité no 11, de payer le salaire des maîtres d'écoleLes actions sont rejetéesPrincipes d'interprétation des traités Les avantages accordés par le traité ne s'appliquent pas au-delà des limites de la région visée par le traité.

Par ces actions, les demandeurs réclament des dommages-intérêts en raison du refus de Sa Majesté de respecter ses obligations et engagements découlant d'un traité. Mme Beattie et ses deux enfants sont des autochtones du Canada au sens du paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. Même s'ils sont membres inscrits d'une bande indienne, ils ne vivent pas sur les terres de la réserve, mais habitent plutôt près de la ville de Merritt, en Colombie-Britannique. Les demandeurs invoquent des droits découlant de la "disposition relative à l'éducation" du traité no  11 qui a été signé le 21 juillet 1921, aux termes duquel Sa Majesté s'est engagée à payer le salaire des maîtres d'école que le gouvernement jugerait nécessaires pour instruire les enfants autochtones. Par leurs actions, les demandeurs réclament le remboursement: (i) des frais de scolarité et de pension de la fille de Mme Beattie, qui fréquente une école privée; (ii) des frais d'enseignement et d'examen du programme de formation des sauveteurs offert par la ville de Merritt et l'Ambulance Saint-Jean; (iii) des frais de déplacements et de logement engagés pour permettre à son fils de fréquenter une école secondaire de deuxième cycle à Cranbrook, en Colombie-Britannique; (iv) des frais de scolarité et autres frais connexes du programme d'études étrangères en vertu duquel sa fille a étudié en France pendant une année scolaire; (v) des taxes foncières prélevées par la province sur leur propriété résidentielle en tant que "taxes scolaires nettes" pour les années scolaires au cours desquelles les deux enfants ou l'un ou l'autre fréquentaient l'école secondaire de deuxième cycle de Cranbrook.

La question en litige est celle de savoir si les avantages découlant de la disposition relative au traité no 11 se limitent à la région visée par le traité.

Jugement: les actions devraient être rejetées.

Les deux principes suivants d'interprétation des traités ont une importance primordiale en l'espèce: (1) le tribunal qui examine un traité doit tenir compte du contexte dans lequel il a été négocié; (2) il faut donner au texte du traité le sens que lui auraient naturellement donné les Indiens à l'époque de sa signature. En appliquant ces principes à la disposition relative à l'éducation du traité no 11, les avantages accordés par ladite disposition ne s'appliquent pas au-delà des limites de la région visée par le traité.

À la date de signature du traité no 11, les enfants autochtones recevaient déjà des services d'éducation gratuits dans les écoles qui étaient alors en place. La disposition relative à l'éducation du traité no 11 visait simplement à confirmer une situation qui existait déjà. Pour interpréter les traités, il faut tenir compte tant du contexte historique, y compris l'intention que les parties avaient lorsqu'elles ont signé le traité, que des faits survenus peu avant ou après la signature du document. Il ressort également du rapport détaillé qui a précédé la signature du traité no 11 que la principale préoccupation des bandes était d'obtenir des services médicaux et des écoles à chaque poste. Il n'était pas prévu que les enfants poursuivraient leurs études dans un autre pays ou dans une autre région. Les bandes ont négocié les avantages à chaque poste au profit de leurs collectivités respectives. Compte tenu du contexte dans lequel le traité no 11 a été négocié, il y a lieu de conclure que les écoles ainsi que les services médicaux étaient demandés dans la région géographique délimitée dans le traité. Toutes les autres dispositions du traité no 11 concernent les limites géographiques qui y sont décrites. En toute logique, la disposition relative à l'éducation visait à offrir des avantages à l'intérieur de la région définie seulement. Il est inconcevable qu'à la date de signature, les autochtones aient compris que la disposition relative à l'éducation leur accordait un droit universel à l'éducation, c'est-à-dire le droit à l'éducation gratuite en dehors de la région définie par le traité.

Cette interprétation n'enlève pas tout son sens à la disposition. Celle-ci confère des avantages aux enfants visés par un traité. En fait, aux termes du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, ces enfants bénéficient d'une garantie constitutionnelle quant au droit à l'éducation gratuite. Cette garantie constitutionnelle est la suivante: (1) les enfants ont accès à l'éducation gratuite; (2) cet accès se limite au territoire défini dans le traité; (3) l'éducation gratuite ainsi offerte doit être semblable ou équivalente à celle qui est offerte aux enfants non autochtones dans le réseau d'écoles publiques.

Comme la disposition relative à l'éducation du traité no 11 ne s'applique pas au-delà des limites du territoire visé par le traité, les réclamations des demandeurs au sujet des taxes scolaires échouent également.

lois et règlements

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur de Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(24).

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

jurisprudence

décisions appliquées:

R c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771; (1996), 133 D.L.R. (4th) 324; [1996] 4 W.W.R. 457; 181 A.R. 321; 37 Alta. L.R. (3d) 153; 105 C.C.C. (3d) 289; [1996] 2 C.N.L.R. 77; 195 N.R. 1; 116 W.A.C. 321; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025; (1990), 70 D.L.R. (4th) 427; 56 C.C.C. (3d) 225; [1990] 3 C.N.L.R. 127; 109 N.R. 22; 30 Q.A.C. 287.

décisions mentionnées:

Ontario (Procureur général) c. Bear Island Foundation, [1991] 2 R.C.S. 570; (1991), 83 D.L.R. (4th) 381; [1991] 3 C.N.L.R. 79; 127 N.R. 147; 46 O.A.C. 396; 20 R.P.R. (2d) 50; R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013; (1996), 133 D.L.R. (4th) 658; [1996] 5 W.W.R. 305; 74 B.C.A.C. 161; 19 B.C.L.R. (3d) 201; 105 C.C.C. (3d) 481; [1996] 3 C.N.L.R. 178; 35 C.R.R. (2d) 189; 196 N.R. 1; 121 W.A.C. 161; R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507; (1996), 80 B.C.A.C. 81; 200 N.R. 1; 130 W.A.C. 81; R. c. N.T.C. Smokehouse Ltd., [1996] 2 R.C.S. 672; (1996), 137 D.L.R. (4th) 528; [1996] 9 W.W.R. 114; 80 B.C.A.C. 269; 23 B.C.L.R. (3d) 114; 109 C.C.C. (3d) 129; [1996] 4 C.N.L.R. 130; 50 C.R. (4th) 181; 200 N.R. 321; 130 W.A.C. 269; R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723; (1996), 137 D.L.R. (4th) 648; [1996] 9 W.W.R. 149; 79 B.C.A.C. 161; 23 B.C.L.R. (3d) 155; 109 C.C.C. (3d) 193; [1996] 4 C.N.L.R. 65; 50 C.R. (4th) 111; 200 N.R. 189; 129 W.A.C. 161; R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101; (1996), 138 D.L.R. (4th) 657; 110 C.C.C. (3d) 97; [1996] 4 C.N.L.R. 1; 202 N.R. 89; R. c. Côté, [1996] 3 R.S.C. 139.

ACTIONS en remboursement de certains frais liés à l'instruction d'Autochtones ne vivant pas sur des terres de réserves en vertu de la disposition relative à l'éducation du traité no 11. Actions rejetées.

avocats:

Me John R. Haig, c.r., pour la défenderesse.

ont comparu:

Joyce Wilma Beattie et Bruce Allan Beattie, pour leur propre compte.

procureur:

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

les demandeurs, pour leur propre compte:

Joyce Wilma Beattie et Bruce Allan Beattie, Vernon (Columbie-Britannique).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Tremblay-Lamer: La Cour est saisie d'un certain nombre d'actions dans lesquelles les demandeurs réclament des dommages-intérêts en raison du refus de Sa Majesté de respecter ses obligations et engagements découlant d'un traité.

Les faits et les procédures engagées devant la Cour

Mme Beattie est demanderesse dans les actions T-2861-90, T-2432-91, T-2433-91 et T-2271-93. M. et Mme Beattie sont codemandeurs dans les actions T-2268-93, T-2269-93 et T-2270-93.

M. et Mme Beattie résident à Godey Creek Road, près de la ville de Merritt, en Colombie-Britannique. Ils sont les parents naturels et les tuteurs de Nikota Josette Janvier Beattie et de T'Seluq François Harris Beattie. Mme Beattie, sa fille et son fils sont des Indiens au sens du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 18671 et des membres de "peuples autochtones du Canada" au sens du paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 19822 . Ils sont inscrits à titre d'Indiens conformément à la Loi sur les Indiens3 et sont membres de la Bande indienne de Fort Good Hope. Même s'ils sont des membres inscrits de cette dernière bande indienne, ils ne vivent pas sur la terre de la réserve. Ils habitent plutôt, tel qu'il est mentionné ci-dessus, près de la ville de Merritt, en Colombie-Britannique.

Dans les présentes actions, les demandeurs invoquent des droits découlant de la "disposition relative à l'éducation" du traité no 11, qui a été signé le 21 juillet 1921 à Fort Good Hope. Voici le texte de cette disposition:

En outre, Sa Majesté s'engage à payer le salaire des maîtres d'écoles que son gouvernement du Canada jugera nécessaires pour instruire les enfants des Indiens.

I. Les actions

A. Réclamations concernant les frais de scolarité et d'autres frais connexes

a) Dossier no T-2861-90

Vers le 2 juillet 1990, la demanderesse, Joyce Wilma Beattie, a demandé au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien des fonds couvrant les frais de scolarité et de logement de sa fille, Nikota Josette Janvier Beattie, afin de permettre à celle-ci de poursuivre ses études à l'école privée portant le nom de Maxwell International Baha'i School. La demanderesse a été avisée que le seul montant que le Ministère était disposé à verser à l'égard des frais de scolarité et de logement pour Nikota Beattie était le montant des frais de scolarité correspondant à la somme exigible à ce titre aux termes de la British Columbia Master Tuition Agreement (entente cadre avec la Colombie-Britannique au sujet des frais de scolarité). Malgré la position du Ministère, la demanderesse a décidé d'inscrire sa fille à la Maxwell International Baha'i School. L'école a été avisée que le Ministère était disposé à verser un montant de 4 726 $ à titre de contribution à l'égard des frais de scolarité.

Mme Beattie réclame maintenant une somme de 7 824 $ qui représente la différence entre le montant total des frais qu'elle a dû payer pour permettre à sa fille d'étudier à la Maxwell International Baha'i School et le montant que le Ministère a effectivement payé. Elle invoque à cette fin la disposition relative à l'éducation du traité no 11.

b) Dossier no T-2433-91

Le 15 juillet 1992, la fille de la demanderesse a entrepris un programme de formation des sauveteurs de la Société royale de sauvetage du Canada, qui était offert par la ville de Merritt. Elle a terminé son cours le 12 août 1991. La demanderesse a avisé la défenderesse de son intention d'inscrire Nikota au programme de formation des sauveteurs. Elle soutient que, comme elle ne lui a pas donné d'avis indiquant le contraire, la défenderesse est présumée avoir jugé que le cours offert à Nikota était nécessaire.

La demanderesse a versé à la ville de Merritt les frais du cours, qui s'élevaient à 81 $, et les frais d'examen de 27,50 $. Elle soutient que ces frais (qui s'élèvent au total à 108,50 $) auraient dû être payés par la défenderesse, compte tenu de la disposition relative à l'éducation du traité no 11.

c) Dossier no T-2268-93

Nikota Josette Janvier Beattie a entrepris le 24 juillet 1993 et terminé le 22 août 1993 un programme de formation du National Lifeguard Service Award (service national des sauveteurs), qui était offert par la ville de Merritt, en Colombie-Britannique. Elle a également terminé, le 18 août 1993, un cours de formation en réanimation cardio-pulmonaire, qui était offert par l'Ambulance St-Jean à Kamloops (Colombie-Britannique). Les demandeurs ont informé la défenderesse de leur intention d'inscrire Nikota à ces programmes de formation. Ils soutiennent qu'en omettant de les aviser du contraire, la défenderesse a indiqué qu'elle jugeait nécessaires les cours offerts à Nikota.

M. et Mme Beattie ont versé à la ville de Merritt des frais de 254 $ à l'égard de la formation ainsi qu'un montant de 27 $ à l'égard du cours de l'Ambulance St-Jean. En acquittant ces frais, les demandeurs ont payé les salaires des instructeurs qui ont dispensé cette formation et soutiennent que, compte tenu de la disposition relative à l'éducation du traité no 11, c'est la défenderesse qui aurait dû payer ces montants. Ils réclament donc un montant de 281 $ à titre de dommages-intérêts.

d) Dossier no T-2269-93

Du 28 novembre 1992 au 29 juin 1993, le fils des demandeurs, T'Seluq François Harris Beattie, a étudié à temps plein à la Mount Baker Senior Secondary School de Cranbrook (Colombie-Britannique), où il était inscrit en 12e année. Les demandeurs ont informé la défenderesse de leur intention d'inscrire leur fils à cette école. Encore là, ils soutiennent qu'en omettant de les aviser du contraire, la défenderesse a indiqué qu'elle jugeait nécessaire l'instruction offerte à T'Seluq.

La Ktunaxa Independent School Society, qui se trouve sur la réserve indienne de St-Mary's, près de Cranbrook, a payé tous les frais de scolarité applicables à l'égard de la formation académique de T'Seluq pour la 12e année au cours de l'année scolaire 1992-1993. Toutefois, ce sont les demandeurs qui ont payé les frais relatifs aux déplacements et au logement nécessaires. Ils soutiennent que c'est la défenderesse qui aurait dû payer ces frais aux termes de la disposition relative à l'éducation du traité no 11 et réclament donc un montant de 3 885,60 $ à titre de dommages-intérêts.

e) Dossier no T-2270-93

Du 18 août 1992 au 25 juin 1993, Nikota a résidé dans la ville de Lesparre (France) et était une étudiante à temps plein inscrite à l'Education Foundation Foreign Study"High School Year (école secondaire de la fondation pour l'éducation à l'étranger) en France. Les demandeurs ont avisé la défenderesse de leur intention d'inscrire Nikota au programme d'études étrangères pour l'année scolaire 1992-1993. Ils soutiennent que la défenderesse a jugé cette méthode d'instruction nécessaire, mais celle-ci allègue le contraire.

Les frais de scolarité et les autres frais connexes du programme d'études étrangères totalisaient 7 855 $; de ce montant, la Shackan-Nooaitch Administration, située à Merritt (Colombie-Britannique), a versé une somme de 6 160 $. Les demandeurs ont payé le solde, soit un montant de 1 695 $. Ils soutiennent que, compte tenu de la disposition relative à l'éducation du traité no 11, c'est la défenderesse qui aurait dû payer ce dernier montant.

B. Réclamations concernant les taxes scolaires

a) Dossier no T-2431-91

Mme Beattie demande le remboursement des taxes scolaires qu'elle a dû payer à la province de la Colombie-Britannique pour l'année scolaire 1991-1992, au cours de laquelle ses deux enfants ont poursuivi leurs études à la Merritt Senior Secondary School. La province de la Colombie-Britannique paie les salaires des enseignants des écoles publiques à même les recettes générales provenant en partie des taxes scolaires exigées des propriétaires fonciers de la Colombie-Britannique. En conséquence, la défenderesse aurait dû prendre des dispositions en vue du paiement des taxes scolaires acquittées par la demanderesse pour l'année 1991-1992 conformément à la disposition relative à l'éducation du traité no 11. La demanderesse réclame donc un montant de 211,34 $ à titre de dommages-intérêts.

b) Dossier no T-2271-93

Pendant toute l'année scolaire 1992-1993, le fils de la demanderesse, T'Seluq François Harris Beattie, a étudié à temps plein à la Mount Baker Senior Secondary School, située à Cranbrook (Colombie-Britannique). Il s'agit d'une école qui fait partie du réseau d'écoles publiques de la Colombie-Britannique. Les salaires des enseignants faisant partie du réseau d'écoles publiques sont payés par la province à même les recettes générales provenant en partie des taxes scolaires exigées des propriétaires fonciers de la Colombie-Britannique. La province a exigé des demandeurs des taxes scolaires s'établissant à 202,14 $ pour l'année 1992 et à 116,70 $ pour l'année 1993. La défenderesse a refusé de prendre des dispositions en vue du paiement des taxes scolaires. Mme Beattie réclame un montant de 318,94 $ à ce titre.

II. Les arguments des parties

A. Réclamations concernant les frais de scolarité et les autres frais connexes

a) Les demandeurs

Les demandeurs soutiennent essentiellement que la disposition relative à l'éducation du traité no 11 doit être interprétée de façon très large. Plus précisément, ils font valoir que cette disposition n'est pas nécessairement liée à la terre cédée, qu'elle ne concerne pas non plus l'utilisation des terres ou la compétence juridique et que l'obligation de payer les salaires des maîtres d'écoles ne doit pas expressément être remplie à un endroit précis.

De plus, l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 a pour effet de reconnaître et de confirmer les droits issus de traités qui sont accordés aux demandeurs par la disposition relative à l'éducation du traité no 11. Par conséquent, ces droits doivent être respectés et pris en compte. Ainsi, selon cette disposition, la défenderesse avait l'obligation constitutionnelle, envers les demandeurs, "de payer le salaire des maîtres d'écoles que son gouvernement du Canada jugera nécessaires pour instruire les enfants des Indiens".

Les obligations de Sa Majesté aux termes de la disposition relative à l'éducation sont fondamentalement restreintes par l'utilisation des mots "que son gouvernement du Canada jugera nécessaires". Sur ce point, les demandeurs font valoir que, à tous les niveaux depuis le niveau préscolaire jusqu'aux études supérieures, la défenderesse a fourni les fonds relatifs à l'éducation directement aux Indiens ou indirectement par l'entremise de tierces parties, qu'il s'agisse d'établissements d'enseignement ou d'organisations vouées à l'éducation. Selon les demandeurs, cette méthode de financement constitue une application satisfaisante et probablement la seule application contemporaine pratique des obligations de la défenderesse aux termes du traité no  11. En d'autres termes, la défenderesse a décidé de déléguer son pouvoir discrétionnaire aux parents, pourvu qu'ils acceptent cette délégation. Dans la présente affaire, les demandeurs ont accepté la responsabilité de choisir l'instruction nécessaire. Compte tenu de ce qui précède, les demandeurs font valoir que la bonne façon d'interpréter le traité no 11 et le droit à l'éducation gratuite est de tenir Sa Majesté redevable de tous les frais, quelle qu'en soit la nature, qui sont nécessairement et directement engagés par le parent auquel le pouvoir a été délégué.

S'il devait en être autrement, disent-ils, la disposition n'aurait aucun sens significatif et les Indiens auxquels le traité no 11 s'applique se trouveraient dans la même situation que les Indiens qui ne sont visés par aucun traité. De plus, cette décision irait à l'encontre de l'obligation d'accorder la priorité aux obligations de Sa Majesté qui sont issues d'un traité dont la validité constitutionnelle a été reconnue et confirmée.

b) La défenderesse

La défenderesse allègue d'abord que la disposition relative à l'éducation du traité no 11 visait, comme les Autochtones l'ont compris, la formation académique dans les écoles existant alors dans la région visée par le traité. Même si la disposition en question n'indique pas de façon explicite le but ou l'emplacement de l'"instruction", ceux-ci découlent implicitement d'un examen du contexte historique et de l'objet général de l'ensemble du traité.

De plus, une analyse approfondie des autres dispositions du traité permet également de conclure que la disposition relative à l'éducation offre ces avantages à l'intérieur de la région visée par le traité. En effet, toutes les dispositions du traité en question concernent les limites géographiques décrites dans ledit traité.

En dernier lieu, la défenderesse invoque la raison d'être du traité no 11. La disposition relative à l'éducation, comme toutes les autres dispositions, visait à assurer le bien-être des collectivités indiennes. L'ensemble de la collectivité devait en effet tirer profit de la protection du droit à l'éducation des enfants. En d'autres termes, ce sont les personnes habitant dans la région visée par le traité qui devaient bénéficier de ces avantages.

Compte tenu de ce qui précède, la défenderesse soutient que, étant donné que les demandeurs n'habitent pas à l'intérieur de la région visée par le traité, mais plutôt près de la ville de Merritt (C.-B.), ils n'ont droit à aucun avantage découlant de la disposition relative à l'éducation du traité no 11.

Subsidiairement, la défenderesse fait valoir qu'aucun manquement à l'obligation de Sa Majesté n'a été commis aux termes de la disposition relative à l'éducation du traité no 11. Cette disposition accorde à Sa Majesté un pouvoir discrétionnaire absolu en ce qui a trait à la détermination du niveau d'éducation et, par conséquent, des frais qui peuvent ou doivent être engagés. En tout temps pertinent, le gouvernement a eu pour politique d'offrir à tous les enfants autochtones, qu'ils soient visés ou non par un traité, des possibilités d'éducation semblables ou équivalentes à celles qui sont offertes aux autres enfants. Selon la défenderesse, d'après les faits établis dans les présents dossiers, il est évident que les demandeurs se sont vu offrir, à tout le moins, les mêmes possibilités que les enfants non autochtones de la Colombie-Britannique.

B. Réclamations concernant les taxes scolaires

a) Les demandeurs

Les demandeurs réitèrent essentiellement les mêmes arguments susmentionnés. Pour les motifs exposés ci-dessus, les dispositions du traité no 11, notamment la disposition relative à l'éducation, doivent être interprétées de façon large. Par conséquent, les demandeurs soutiennent qu'ils ont droit au remboursement des taxes foncières exigées à l'égard de leur propriété, qui ont toutes été imposées à titre de "taxes scolaires nettes". Étant donné que l'instruction des enfants visés par un traité est entièrement couverte par cette disposition, les parents devraient avoir le droit de recouvrer les "taxes scolaires nettes" qui servent à payer les salaires des enseignants.

b) La défenderesse

La défenderesse reprend l'argument qu'elle a invoqué au sujet des réclamations concernant les frais de scolarité, soit le fait que les avantages découlant de la disposition relative à l'éducation du traité no 11 ne peuvent être invoqués au-delà des limites de la région visée par le traité.

Subsidiairement, la défenderesse soutient que l'éducation est un bien public et que la question de savoir si un propriétaire foncier a des enfants ou non n'est pas importante. Les taxes scolaires ne sont pas exigées de chacun des contribuables à l'égard des services d'éducation offerts spécifiquement aux membres de leurs familles, mais représentent plutôt un montant versé à l'égard d'un bien devant profiter à l'ensemble de la collectivité.

La défenderesse ajoute que la demanderesse n'a pas établi que le montant qu'elle a payé à titre de "taxes scolaires nettes" constitue un montant qu'elle a effectivement versé pour assurer la formation scolaire de ses enfants au cours des années en question. Les montants payés par la demanderesse au titre des "taxes scolaires nettes" ont été confondus avec d'autres sommes d'argent provenant de plusieurs autres sources et ont été remis au trésor. Même s'il est vrai que les sommes d'argent du trésor ont servi à financer l'exploitation du district scolaire de Merritt au cours des années en question, elles ont également servi à financer l'exploitation de plusieurs autres districts scolaires. De plus, même s'il était possible de calculer la contribution de la demanderesse à l'exploitation du district scolaire de Merritt, il faudrait diviser cette contribution par le nombre d'étudiants de ce district au cours de chaque année pour déterminer le montant que la demanderesse a versé à l'égard de l'éducation de ses enfants.

III. Les questions en litige

Compte tenu de ce qui précède, voici comment je formulerais les questions que la Cour doit trancher dans les présents litiges:

1. Les avantages découlant de la disposition relative à l'éducation du traité no 11 se limitent-ils à la région visée par le traité? Dans la négative,

2. Sa Majesté a-t-elle commis un manquement dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu de cette disposition?

IV. Analyse

A. Le droit concernant l'interprétation des traités

Il convient de souligner dès le départ que la protection offerte par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 s'applique à la fois aux droits ancestraux et aux droits issus de traités. Même si la plupart de ses décisions concernent l'application de la protection constitutionnelle dans le contexte des droits ancestraux4, dans le récent arrêt R. c. Badger5, la Cour suprême du Canada a formulé certains principes à appliquer pour interpréter les traités. S'exprimant au nom de la majorité, le juge Cory a résumé les principes applicables comme suit:

. . . un traité est un échange de promesses solennelles entre la Couronne et les diverses nations indiennes concernées, un accord dont le caractère est sacré. Voir R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, à la p. 1063; Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, à la p. 401 . . . l'honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsqu'elle transige avec les Indiens. Les traités et les dispositions législatives qui ont une incidence sur les droits ancestraux ou issus de traités doivent être interprétés de manière à préserver l'intégrité de la Couronne. Il faut toujours présumer que cette dernière entend respecter ses promesses. Aucune apparence de "manœuvres malhonnêtes" ne doit être tolérée: Sparrow , précité, aux pp. 1107, 1108 et 1114; R. c. Taylor (1981), 34 O.R. (2d) 360 (C.A. Ont.), à la p. 367 . . . toute ambiguïté dans le texte du traité ou du document en cause doit profiter aux Indiens. Ce principe a pour corollaire que toute limitation ayant pour effet de restreindre les droits qu'ont les Indiens en vertu des traités doit être interprétée de façon restrictive. Voir Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 36; Simon, précité, à la p. 402; Sioui, précité, à la p. 1035; et Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, aux pp. 142 et 143 . . . il appartient à la Couronne de prouver qu'un droit ancestral ou issu de traité a été éteint. Il faut apporter la "preuve absolue du fait qu'il y a eu extinction" ainsi que la preuve de l'intention claire et expresse du gouvernement d'éteindre des droits issus de traité. Voir Simon , précité, à la p. 406; Sioui, précité, à la p. 1061; Calder c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, à la p. 404.

. . .

Des droits issus de traités ne peuvent être modifiés que lorsque c'est clairement cet effet qui était visé.

. . .

Les traités et les lois qui concernent les Indiens doivent être interprétés de façon libérale, et toute incertitude ou ambiguïté doit profiter aux Indiens . . . le tribunal qui examine un traité doit tenir compte du contexte dans lequel les traités ont été négociés, conclus et couchés par écrit. En tant qu'écrits, les traités constataient des accords déjà conclus verbalement, mais ils ne rapportaient pas toujours la pleine portée de ces ententes verbales: voir Alexander Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories (1880), aux pp. 338 à 342; Sioui, précité, à la p. 1068; Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba (1991); Jean Friesen, Grant me Wherewith to Make my Living (1985) . . . le texte d'un traité ne doit pas être interprété suivant son sens strictement formaliste, ni se voir appliquer les règles rigides d'interprétation modernes. Il faut plutôt lui donner le sens que lui auraient naturellement donné les Indiens à l'époque de sa signature. Cela vaut également pour les mots d'un traité qui ont pour effet de limiter le droit accordé dans celui-ci. Voir Nowegijick, précité, à la p. 36; Sioui, précité, aux pp. 1035, 1036 et 1044; Sparrow, précité, à la p. 1107; et Mitchell, précité, où le juge La Forest a fait état de l'importante différence qui existe entre l'interprétation des traités avec les Indiens et des lois touchant ces derniers6.

B. Application aux faits du présent litige

a) Réclamations concernant les frais de scolarité et les autres frais connexes

Compte tenu de ce qui précède, les deux principes suivants s'appliquent et ont à mon avis une importance primordiale en l'espèce. D'abord, le tribunal qui examine un traité doit tenir compte du contexte dans lequel il a été négocié. En second lieu, il faut donner au texte du traité le sens que lui auraient naturellement donné les Indiens à l'époque de sa signature. Après avoir appliqué ces principes à la disposition relative à l'éducation du traité no 11, et pour les motifs que j'exposerai plus à fond dans les paragraphes suivants, j'en suis arrivée à la conclusion que les avantages accordés par ladite disposition ne s'appliquent pas au-delà des limites de la région visée par le traité.

Au cours des années qui ont précédé l'adoption du traité no 11, le ministère des Affaires indiennes exploitait des écoles dont le programme était identique à celui des écoles publiques de la région. C'est ce qui ressort de l'extrait suivant du rapport annuel de 1918 du ministère des Affaires indiennes7:

[traduction] En offrant le droit à l'éducation, le ministère veut offrir à la nouvelle génération d'Indiens la formation qui fera d'eux des citoyens loyaux du Canada et leur permettra de faire concurrence avec succès à leurs voisins blancs.

Dans les écoles de jour, le programme d'études prescrit pour les écoles provinciales publiques et privées est suivi à la lettre et, de cette façon, les élèves indiens peuvent se préparer à l'examen d'admission.

Dans les écoles résidentielles, les élèves ont la possibilité de suivre une formation plus diversifiée que dans les écoles de jour. Une attention particulière est accordée au travail en classe; de plus, des cours d'économie domestique sont offerts aux filles (couture, etc.), tandis que les garçons peuvent suivre des cours d'exploitation agricole et des cours sur les soins à donner aux animaux et, dans bien des écoles, des cours axés sur certains métiers utiles.

Dans la mesure du possible, des maîtres d'école compétents ayant une formation professionnelle sont employés; cependant, dans certains cas, il n'est pas possible d'engager des maîtres d'école qualifiés, notamment pour certaines écoles indiennes qui sont trop éloignées. Le Ministère compte parmi ses effectifs un certain nombre d'enseignants qui, même s'ils n'ont aucune formation professionnelle, bénéficient d'une longue expérience auprès des Indiens, laquelle expérience est fort utile.

Dans les Territoires du Nord-Ouest, le Ministère a exploité huit écoles, dont quatre se trouvaient à l'intérieur des limites de la région définie dans le traité no 11 qui a été signé par la suite8. Ces écoles se sont révélées au moins aussi efficaces que les écoles de blancs situées dans la même région9. Ainsi, à la date de signature du traité no 11, les enfants autochtones recevaient déjà des services d'éducation gratuits dans les écoles qui étaient alors en place. À mon avis, il s'ensuit que la disposition relative à l'éducation du traité no 11 visait simplement à confirmer une situation qui existait déjà.

C'est ce qui ressort également du rapport détaillé qui a été préparé avant la signature du traité no 11. Ce rapport, que le commissaire Conroy a préparé en prévision de la signature du traité, renferme les commentaires suivants10:

Pratiquement toutes les bandes avec lesquelles nous avons traité souhaitaient qu'on insiste davantage sur les soins médicaux dispensés à chaque poste, sur les écoles offertes aux enfants indiens et sur les provisions destinées aux vieillards et aux indigents.

Nous leur avons signalé également qu'ils allaient continuer d'être en mesure d'assurer leur subsistance et qu'ils pouvaient, s'ils le souhaitaient, consulter gratuitement le médecin du département des Affaires indiennes, le Dr A.L. McDonald, qui m'accompagnait, mais que le gouvernement était dans l'impossibilité de leur fournir des soins médicaux de façon régulière, en raison de l'immensité de leur territoire. Nous avons ajouté qu'il existait déjà des écoles offrant à leurs enfants un enseignement gratuit, et que les malades et les indigents pouvaient trouver à chaque poste les provisions dont ils avaient besoin. [Non souligné dans l'original.]

Il ressort des remarques du commissaire Conroy que la principale préoccupation des bandes était d'obtenir des services médicaux et des écoles à chaque poste. Il n'était certainement pas prévu que les enfants poursuivraient leurs études dans un autre pays ou dans une autre région. Les bandes ont négocié les avantages à chaque poste au profit de leurs collectivités respectives.

À mon avis, compte tenu du contexte dans lequel le traité no 11 a été négocié, il y a lieu de conclure que les écoles ainsi que les services médicaux étaient demandés dans la région géographique délimitée dans le traité. Cette opinion est renforcée par un aperçu des autres dispositions du traité no 11. Les dispositions clés du traité concernent toutes les limites géographiques qui y sont décrites:

Paragraphe 1 Les parties sont Sa Majesté et les Indiens.

Paragraphe 3 Habitants des territoires à l'intérieur de la région définie.

Paragraphe 5 Abandon de droits et privilèges afférents aux terres faisant partie de la région définie.

Paragraphes 6

et 17 La région définie.

Paragraphes 9, 10

et 11 Les réserves situées à l'intérieur des limites.

Paragraphe 19 Respect de la loi à l'intérieur de la région définie.

À l'instar de l'avocat de la défenderesse, je reconnais qu'en toute logique, la disposition relative à l'éducation visait à offrir des avantages à l'intérieur de la région définie seulement.

Les demandeurs se sont fondés en grande partie sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'arrêt R. c. Sioui11, où la question à trancher était celle de savoir si les activités coutumières ou les rites religieux des Hurons dans le parc Jacques-Cartier étaient protégés par le traité. Cependant, contrairement au traité dont il est question en l'espèce, le traité examiné dans l'arrêt Sioui ne définissait aucun territoire ou région à l'intérieur duquel les droits conférés devaient être exercés. Il n'y avait aucune mention explicite du territoire visé par le traité. Il appert plutôt de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Sioui que, pour interpréter les traités, il faut tenir compte tant du contexte historique, y compris l'intention que les parties avaient lorsqu'elles ont signé le traité, que des faits survenus peu avant ou après la signature du document.

Dans la présente affaire, il est inconcevable qu'à la date de signature, les Autochtones aient compris que la disposition relative à l'éducation leur accordait un droit universel à l'éducation, c'est-à-dire le droit à l'éducation gratuite en dehors de la région définie par le traité.

Les demandeurs soutiennent que, si la disposition relative à l'éducation s'applique uniquement à l'intérieur des limites du territoire défini, elle sera dépourvue de tout sens pratique et n'offrira aux enfants visés par le "traité" aucun avantage pratique par rapport aux autres enfants. À mon sens, cet argument n'est pas fondé.

Comme je l'ai mentionné plus haut, la disposition relative à l'éducation devait offrir des avantages uniquement à l'intérieur des limites du territoire défini. À mon avis, cette conclusion n'enlève pas tout son sens à cette disposition. J'ajouterais également que cette interprétation confère des avantages aux enfants visés par un traité. En fait, aux termes du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, ces enfants bénéficient d'une garantie constitutionnelle quant au droit à l'éducation gratuite. Cette garantie constitutionnelle est la suivante:

1. Les enfants ont accès à l'éducation gratuite;

2. Cependant, cet accès se limite au territoire défini dans le traité;

3. L'éducation gratuite offerte dans les écoles établies dans le territoire en question doit être semblable ou équivalente à celle qui est offerte aux enfants non autochtones dans le réseau d'écoles publiques.

Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en suis arrivée, il n'est pas nécessaire d'examiner la position subsidiaire de la défenderesse. Par conséquent, les actions des demandeurs sont rejetées avec dépens.

b) Réclamations concernant les taxes scolaires

Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la disposition relative à l'éducation du traité no 11 ne s'applique pas au-delà des limites du territoire visé par le traité, je suis d'avis que les réclamations des demandeurs au sujet des taxes scolaires doivent également échouer; par conséquent, les actions en question sont rejetées avec dépens.

1 30 et 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5].

2 Annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

3 L.R.C. (1985), ch. I-5, et ses modifications.

4 ;Ontario (Procureur général) c. Bear Island Foundation, [1991] 2 R.C.S. 570; R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013; R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507; R. c. N.T.C. Smokehouse Ltd., [1996] 2 R.C.S. 672; R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723; R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101, et R. c. Côté, [1996] 3 R.C.S. 139.

5 [1996] 1 R.C.S. 771.

6 Ibid, aux p. 793, 794, 797, 798, 799.

7 Volume conjoint de documents historiques des demandeurs et de la défenderesse, onglet no 5.

8 Volume conjoint de documents historiques des demandeurs et de la défenderesse, onglet no 7.

9 Volume conjoint de documents historiques des demandeurs et de la défenderesse, onglet no 6.

10 Volume conjoint de documents historiques des demandeurs et de la défenderesse, onglet no 15.

11 [1990] 1 R.C.S. 1025.

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