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A-567-93

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Mary Robinson et Evelyn Gertrude Robinson, les fiduciaires de la fiducie Percival Samuel Robinson (intimées)

Répertorié: Canadac. Robinson (C.A.)

Cour d'appel, juge en chef Isaac, juges Stone et McDonald, J.C.A."Winnipeg, 15 décembre 1997; Ottawa, 8 janvier 1998.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Appel d'une décision de la C.C.I. qui a statué qu'une fiducie n'a pas exploité activement une entreprise parce qu'elle n'a ni joué un rôle de gestion ni pris une part quelconque à l'exploitation de l'entreprise en vertu de la loi du ManitobaL'art. 122(2)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu libère la fiducie qui n'a pas exploité activement une entreprise de son obligation imposée par l'art. 122(1) de payer un impôt calculé au taux de 29 %Fiducie créée pour faire partie d'une société en nom collectif afin d'exploiter une entrepriseSociété formée pour construire et exploiter une maison de santéAppel accueilliInterprétation de l'art. 122(2)c) en fonction des faits et du régime législatif en vertu duquel la société en commandite a été créée, enregistrée et exploitéeLes art. 54 et 63 de la Loi sur les sociétés en nom collectif du Manitoba, lorsque considérés dans le contexte de l'ensemble de la loi, plus particulièrement en fonction de l'art. 3 et des définitions de l'expressionsociété en nom collectifet du termepersonneénoncées à l'art. premier, tiennent pour acquis que tous les associés d'une société en commandite exploitent l'entreprise de la sociétéCe sont les personnes qui forment la société qui exploitent l'entreprise plutôt que la société en commandite elle-mêmeLe fait de ne pas participer à la gestion de l'entreprise ne signifie pas que le contribuable n'a pas exploité l'entrepriseLes associés ont convenu dans la convention de société d'exploiter tous ensemble l'entreprise en 1988.

Il s'agit d'un appel d'un jugement rendu par la Cour canadienne de l'impôt qui a statué qu'une fiducie n'a pas exploité activement une entreprise en 1988 parce qu'elle n'a ni joué un rôle de gestion dans la société ni pris part à l'exploitation de l'entreprise. La fiducie a été créée en 1970 dans le but de faire partie d'une société en nom collectif afin d'exploiter une entreprise. Le même jour, les fiduciaires concluent conformément aux lois du Manitoba une convention pour faire partie d'une société en commandite pour construire et exploiter une maison de santé. La société en commandite a retenu les services d'une corporation pour la construction de la maison, qui a toujours été exploitée par une société de gestion. En 1988, la société en commandite a exploité l'entreprise consistant à assurer le fonctionnement d'une maison de santé. La fiducie était une associée commanditaire dans la société en commandite et, en 1988, a tiré un revenu de l'entreprise de maison de santé. L'alinéa 122(2)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu exempte une fiducie non testamentaire, autre qu'une fiducie de fonds mutuels, qui n'a pas exploité activement une entreprise dans l'année, de l'application du paragraphe 122(1), qui exige le paiement d'un impôt calculé au taux de 29 p. 100. La Cour de l'impôt a conclu que, dans la Loi sur les sociétés en nom collectif du Manitoba, jouer un rôle de gestion dans la société équivaut à jouer un rôle actif dans l'exploitation de l'entreprise.

La question en litige est de savoir si la fiducie "n'a exploité activement une entreprise" au sens de l'alinéa 122(2)c ) de la Loi de l'impôt sur le revenu, en 1988.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

Le régime législatif en vertu duquel la société en commandite a été créée, enregistrée et exploitée doit être pris en compte mais c'est, en dernière analyse, le libellé de l'alinéa 122(2)c) qui doit être interprété en regard de ce régime et des faits reconnus. L'appelante n'a jamais joué un rôle de gestion dans la société ni pris une part quelconque à l'exploitation de l'entreprise. Le paragraphe 54(1) de la Loi sur les sociétés en nom collectif prévoit que seul le commanditaire qui "prend part à la gestion de l'entreprise" peut lier la société, et le paragraphe 63(1) prévoit que le commanditaire est responsable, "au même titre que le commandité", dans la mesure où cette disposition le prévoit, s'il "prend une part active à l'exploitation de l'entreprise". Ces dispositions n'ont d'autre effet que de préciser les circonstances dans lesquelles les actes d'un commanditaire lient la société et celles dans lesquelles un commanditaire devient responsable des dettes de la société au même titre qu'un commandité. Elles n'ont aucun effet déterminant sur la question dont la Cour est saisie. Considérées dans le contexte de l'ensemble de la loi, et plus particulièrement de l'article 3 (une société est composée de personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice) et des définitions de l'expression "société en nom collectif" et du terme "personne", énoncées à l'article premier, ces dispositions tiennent nettement pour acquis que tous les associés d'une société en commandite exploitent l'entreprise de la société. Une société, qu'elle soit une société en nom collectif ou en commandite selon la loi du Manitoba, est composée de "personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice". Ce sont donc les personnes qui forment la société qui exploitent l'entreprise plutôt que la société en commandite elle-même. Le fait que l'intimée n'ait pas participé à la gestion de l'entreprise ne signifie pas, selon moi, qu'elle et les autres commanditaires n'ont pas exploité activement l'entreprise conjointement avec les commandités dans l'année. Les associés ont expressément convenu, dans la convention de société, d'exploiter tous ensemble l'entreprise en 1988.

lois et règlements

Business Names Registration Act (The), S.M. 1965, ch. 8.

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 115(1)a)(ii), 122(1) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 96), (2)c).

Loi sur les sociétés en commandite, L.R.O. 1990, ch. L.16, art. 13.

Loi sur les sociétés en nom collectif, L.R.M. 1987, ch. P30, art. 1 "personne", "société en nom collectif", 3, 52, 53, 54(1), 62, 63(1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Reed (H.M.I.T.) v. Young, [1983] BTC 430 (Ch. D.); conf. par (1984), 59 TC 218 (C.A.); conf. par (1986), 59 TC 224 (H.L.) ; Grocott c. R., [1996] 1 C.T.C. 2311; (1995), 96 DTC 1025 (C.C.I.).

distinction faite avec:

Minister of National Revenue v. Lane, Clifton H., [1964] R.C.É. 866; [1964] CTC 81; (1964), 64 DTC 5049; Randall (R M) c La Reine, [1985] 1 CTC 268; (1985), 85 DTC 5208 (C.F. 1re inst.); Wiss c MRN, [1972] CTC 264; (1972), 72 DTC 6231 (C.F. 1re inst.).

décision examinée:

Pszon, Re, [1964] O.R. 229 (C.A.).

décision citée:

Smith v. Anderson (1880), 15 Ch. D. 247 (C.A.).

doctrine

Hepburn, L. R. Limited Partnerships. Scarborough, Ont.: Carswell, 1992.

APPEL d'un jugement rendu par la Cour canadienne de l'impôt qui a statué qu'une fiducie n'a pas exploité activement une entreprise en 1988 parce qu'elle n'a ni joué un rôle de gestion dans la société ni pris part à l'exploitation de l'entreprise (Robinson (R.S.), fiducie c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 2685; (1993), 93 DTC 1179 (C.C.I.)). Appel accueilli.

avocats:

Robert M. Gosman pour l'appelante.

Robert B. Goodwin pour les intimées.

procureurs:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.

Robert B. Goodwin, Winnipeg, pour les intimées.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A.: Il s'agit d'un appel d'un jugement rendu par la Cour canadienne de l'impôt le 26 juillet 1993 [Robinson (R.S.), fiducie c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 2685] et des appels formés dans les dossiers A-566-97, A-568-97 et A-569-97, qui ont été entendus simultanément. Les quatre appels soulèvent une question commune, soit celle de savoir si, au cours de l'année d'imposition 1988, la fiducie en cause "n'a exploité activement une entreprise" au sens de l'alinéa 122(2)c ) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63]. Si la fiducie n'a pas exploité activement une entreprise dans cette année, elle sera libérée de l'obligation imposée par le paragraphe 122(1) [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 96] de payer un impôt calculé au taux de 29 p. 100 de son montant imposable pour l'année.

Le paragraphe 122(1) et l'alinéa 122(2)c) étaient ainsi libellés en 1988:

122. (1) Par dérogation à l'article 117, l'impôt payable en vertu de la présente partie par une fiducie non testamentaire sur son montant imposable pour une année d'imposition est fixée à 29% de ce montant imposable pour l'année.

. . .

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas dans le cas d'une année d'imposition d'une fiducie non testamentaire, autre qu'une fiducie de fonds mutuels, si elle

. . .

c) n'a exploité activement une entreprise dans l'année,

La cause a été instruite à partir d'un exposé conjoint des faits. Il convient en l'occurrence d'exposer les faits les plus importants, énoncés aux paragraphes 6 à 13 de cet exposé:

[traduction]

 6. Par une entente intervenue le 31 août 1970, la fiducie appelante et d'autres parties ont convenu de former une société en commandite conformément à la législation de la province du Manitoba;

7. Les associés ont créé la société en commandite en vue d'exploiter une entreprise consistant à assurer la construction et le fonctionnement d'une maison de santé appelée Holiday Haven Nursing Home, ainsi que, d'une manière générale, la gestion de toutes les affaires se rapportant à cette entreprise de maison de santé;

8. Une déclaration de société en commandite a été faite en vertu des dispositions de la Loi sur les sociétés en nom collectif de la province du Manitoba et a été enregistrée conformément aux dispositions de The Business Names Registration Act de la province du Manitoba le 2 septembre 1970, et cet enregistrement a été renouvelé de temps à autre en application de la loi et est encore en vigueur à la date du présent avis d'appel;

9. La société en commandite constituée conformément à ce qui précède a retenu les services d'une corporation, la Shaker Investments Ltd., pour que celle-ci construise la maison de santé;

10. L'exploitation de cette maison de santé a toujours été assurée par une corporation de gestion, conformément à des ententes de gestion écrites. Le gestionnaire actuel des opérations de l'entreprise de la société en commandite est la Shaker Investments Ltd.;

11. Au cours de l'année d'imposition 1988, la société en commandite a, conformément à l'entente en vertu de laquelle elle a été formée, exploité l'entreprise consistant à assurer le fonctionnement d'une maison de santé et la gestion de toutes les affaires se rapportant à cette entreprise de maison de santé;

12. Durant toute la période pertinente, la fiducie appelante était une associée commanditaire dans cette société en commandite;

13. Dans son année d'imposition 1988, l'appelante a tiré un revenu de l'entreprise de maison de santé;

Rien ne laisse entendre que l'entreprise qui a été exploitée en 1988 n'était pas une "entreprise exploitée activement".

Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu, en se fondant sur ces faits et sur certaines dispositions de la Loi sur les sociétés en nom collectif du Manitoba, L.R.M. 1987, ch. P30, que la fiducie n'a pas exploité une entreprise activement en 1988 parce que, selon la page 2688 de ses motifs:

. . . l'appelante n'a jamais joué un rôle de gestion dans la société. Elle n'a pas non plus pris une part quelconque à l'exploitation de l'entreprise. Ainsi, l'appelante n'a pas exploité activement une entreprise dans son année d'imposition 1988.

La fiducie a été créée en vertu d'une convention écrite datée du 31 août 1970. Il vaut la peine de citer les "pouvoirs" suivants conférés aux fiduciaires par la clause 42 de l'annexe A de la convention:

[traduction]

q) . . . faire partie d'une société en nom collectif ou d'une société en commandite afin d'exploiter une entreprise . . .;

r) . . . exploiter une ou plusieurs entreprises, directement ou par l'intermédiaire d'une société de personnes . . . et prendre toutes les mesures nécessaires ou souhaitables pour exploiter chaque entreprise . . .;

s) Relativement à une entreprise, un placement ou un projet appartenant à la fiducie ou dans lesquels elle détient un intérêt financier, les fiduciaires ont l'autorisation et le pouvoir de déléguer les fonctions, ainsi que les pouvoirs requis, à tout employé, gestionnaire ou associé, ou autrement, comme elles le jugent opportun . . .;

t) Le bénéfice annuel net d'une telle entreprise ou la part de ce bénéfice qui revient au patrimoine de la fiducie seront réputés faire partie du revenu du patrimoine de la fiducie . . .

Les fiduciaires de la fiducie et ceux des fiducies visées par les trois autres appels (les parties) ont conclu une convention de société datée du 31 août 1970 avec deux sociétés par actions, la Cedar Lake Enterprises Ltd. et la St. Andrews Enterprises Ltd. Elles ont reconnu dans la première déclaration liminaire de cette convention qu'elles désiraient [traduction] "former une société pour construire et exploiter une maison de santé ainsi que, d'une manière générale, gérer toutes les affaires se rapportant à cette entreprise de maison de santé". La clause 1 de l'accord se lit en partie comme suit:

[traduction] Cedar Lake et St. Andrews et les Parties exploiteront une entreprise par l'intermédiaire d'une société en commandite en vertu de la Partnership Act, Lois du Manitoba, 1965, ch. 59, modifiée . . . [Non souligné dans l'original.]

La clause 2 se lit ainsi:

[traduction] La société a pour objet l'exploitation d'une entreprise consistant à assurer la construction et le fonctionnement d'une maison de santé, ainsi que, d'une manière générale, la gestion de toutes les affaires se rapportant à cette entreprise de maison de santé.

Le contrôle et la gestion de l'entreprise étaient prévus par la clause 4, dont voici un extrait:

[traduction] St. Andrews et Cedar Lake assumeront ensemble et de façon exclusive la charge complète de la société et St. Andrews sera responsable de la gestion ou de la prise d'arrangements pour la gestion de l'entreprise et exploitera ou fera exploiter l'entreprise au profit de la société.

La société en commandite a été enregistrée le 2 septembre 1970 sous le régime de The Business Names Registration Act, S.M. 1965, ch. 8. Toutes les parties ont déclaré lors de l'enregistrement que [traduction] "la société a (démarré) (l'intention de démarrer) l'entreprise le 31 août 1970". Plus tard, dans un formulaire de modification de la participation daté du 22 décembre 1975 et enregistré en vertu de cette Loi, les associés ont déclaré, dans la clause 1, [traduction ] "Nous exploitons une entreprise de maison de santé . . . sous le nom commercial et la raison sociale de HOLIDAY HAVEN NURSING HOME". Cette déclaration est reprise dans les déclarations de renouvellement qui ont été enregistrées par les associés le 31 août 1975 et le 19 juin 1980.

Les conventions de gestion conclues par écrit par la société en commandite reconnaissaient que la société en commandite avait été [traduction] "créée et enregistrée en bonne et due forme en vertu de la Partnership Act , Lois du Manitoba, 1970, ch. 30, modifiée, dans le but d'exploiter une entreprise de maison de santé sous le nom commercial et la raison sociale de Holiday Haven Nursing Home". La clause 1 de chaque convention est identique. En voici le libellé:

[traduction] La société retient par les présentes les services du gestionnaire, qui est employé par la société afin de fournir des services de gestion et de supervision à la société en général et plus particulièrement d'exercer, pour la société, les fonctions décrites ci-dessous. [Non souligné dans l'original.]

Comme l'a souligné le juge de la Cour de l'impôt, l'article 3 de la Loi sur les sociétés en nom collectif du Manitoba décrit une relation de "société" dans les termes suivants:

3 La société en nom collectif désigne la relation qui existe entre les personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice; cependant, la relation qui existe entre les membres d'une compagnie ou d'une association constituée en corporation n'est pas une société en nom collectif au sens de la présente loi.

Le juge de la Cour de l'impôt a aussi examiné en partie le libellé des articles 52 et 53, du paragraphe 54(1), de l'article 62 et du paragraphe 63(1) de la Loi1. Il a ensuite tiré la conclusion suivante, aux pages 2687 et 2688:

Donc, du point de vue de la common law, la société en nom collectif désigne la relation qui existe entre les personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Dans une société en commandite, une ou plusieurs personnes, soit les "commandités", sont associées au sens de la common law. Un commanditaire contribue au capital de la société, mais sa responsabilité à l'égard des dettes de cette dernière se limite à son apport, à moins qu'il ne prenne part à la gestion de la société à la connaissance des commandités. Le commanditaire a alors le pouvoir de "lier la firme" en vertu du paragraphe 54(1). Prendre part à la gestion de l'entreprise au sens du paragraphe 54(1) équivaut à prendre "une part active à l'exploitation de l'entreprise" au sens du paragraphe 63(1).

Donc, dans la Loi sur les sociétés en nom collectif du Manitoba, jouer un rôle de gestion dans la société équivaut à jouer un rôle actif dans l'exploitation de l'entreprise.

L'appelante soutient que le juge de la Cour de l'impôt a mal interprété l'effet de la loi du Manitoba et qu'il n'a pas porté suffisamment attention à la preuve non contestée versée au dossier. L'avocat soutient que l'expression "société en nom collectif" et le terme "personne" figurant à l'article 3 doivent être interprétés en tenant compte de leurs définitions, énoncées à l'article 1:

1 . . .

"personne" S'entend en outre des entreprises à propriétaire unique, des sociétés en nom collectif, des associations, consortiums ou organismes non constitués en corporation, des fiducies ainsi que des personnes physiques agissant à titre de représentants successoraux, notamment à titre de fiduciaires, d'exécuteurs testamentaires et d'administrateurs successoraux.

"société en nom collectif" Est assimilé à la société en nom collectif la société en commandite.

L'appelante soutient que, si une société en commandite est assimilée à une "société en nom collectif" et si cette expression désigne la relation qui existe entre les personnes"y compris une fiducie"qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice, l'appelante, comme les commandités, a exploité l'entreprise de la société en commandite en commun en vue de réaliser un bénéfice. Elle soutient de plus que la preuve établissant que l'intimée a effectivement exploité une entreprise se trouve dans les différentes conventions déjà mentionnées ainsi que dans les différentes déclarations enregistrées, à l'occasion, par la société en vertu des dispositions de The Business Names Registration Act du Manitoba.

L'appelante s'appuie sur un courant jurisprudentiel selon lequel une personne conserve sa qualité d'associé aux fins de l'impôt, même si son rôle se limite à celui d'un associé "passif": Minister of National Revenue v. Lane, Clifton H. , [1964] R.C.É. 866, à la page 878; Randall (RM) c La Reine, [1985] 1 CTC 268 (C.F. 1re inst.), à la page 270; Wiss c MNR, [1972] CTC 264 (C.F. 1re inst.), à la page 264. Soulignons toutefois que chacune de ces décisions touchait une société en nom collectif plutôt qu'une société en commandite.

Les intimées soutiennent que l'alinéa 122(2)c) vise "expressément le contribuable". Elles prétendent que la fiducie n'a exploité aucune entreprise en 1988 et que la seule entreprise qui a été exploitée l'a été par la société en commandite. Elles invoquent à cet égard plusieurs décisions judiciaires, dont l'opinion exprimée, en son propre nom, par le juge Laidlaw, de la Cour d'appel dans l'affaire Re Pszon , [1946] O.R. 229 (C.A.), à la page 234:

[traduction] La personne qui ne consacre aucun temps, aucune attention ni aucun travail, directement ou par l'intermédiaire d'un préposé ou d'un employé, au fonctionnement ou à la conduite des affaires d'une entreprise, n'exploite pas cette entreprise. Elle peut, par exemple, détenir strictement un intérêt financier. Mais pour exploiter une entreprise, elle doit s'en occuper ou accomplir un travail, pour le maintien ou l'avancement de l'entreprise et consacrer du temps à la réalisation de ses objets.

Cette cause concernait l'interprétation de la législation en matière de faillite. Les intimées invoquent aussi l'arrêt Smith v. Anderson (1880), 15 Ch. D. 247 (C.A.), aux pages 277 à 279, qui porte sur l'interprétation de la législation concernant les personnes morales en Angleterre.

L. R. Hepburn explique bien que le revenu d'une entreprise reçoit un traitement particulier sous le régime des différentes dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu dans son ouvrage intitulé Limited Partnerships (Scarborough, Carswell, 1992), à la page 5-3:

[traduction] Les principes fondamentaux de l'imposition du revenu, des opérations entre les associés et la société et des opérations touchant les intérêts de la société s'appliquent aussi bien aux sociétés, en nom collectif et en commandite, qu'à leurs associés. Le fait que la responsabilité de certains associés puisse être limitée n'a aucune incidence sur l'imposition du revenu de la société . . .

Bien que la société même ne paie pas d'impôt, le revenu (ou la perte) tiré des activités de la société est établi au niveau de la société comme s'il s'agissait d'une personne distincte. Ce revenu (ou cette perte), qu'il soit ou non distribué en fait, est imposé annuellement au niveau des membres de la société en proportion de leur participation. Règle générale, la source et la nature du revenu de la société ne changent pas après l'imputation de ce revenu aux associés.

Le régime législatif en vertu duquel la société en commandite a été créée, enregistrée et exploitée doit, bien sûr, être pris en compte mais c'est, en dernière analyse, le libellé de l'alinéa 122(2)c) qui doit être interprété en regard de ce régime et des faits reconnus. La question à résoudre est donc celle de savoir si la fiducie "a exploité activement une entreprise" dans l'année 1988. Il est vrai, comme l'a noté le juge de la Cour de l'impôt, que l'appelante n'a jamais joué un rôle de gestion dans la société ni pris une part quelconque à l'exploitation de l'entreprise. Le paragraphe 54(1) de la Loi sur les sociétés en nom collectif prévoit que seul le commanditaire qui "prend part à la gestion de l'entreprise" peut lier la société, et le paragraphe 63(1) prévoit que le commanditaire est responsable, "au même titre que le commandité", dans la mesure où cette disposition le prévoit, s'il "prend une part active à l'exploitation de l'entreprise".

À mon avis, ces dispositions n'ont d'autre effet que de préciser les circonstances dans lesquelles les actes d'un commanditaire lient la société et celles dans lesquelles un commanditaire devient responsable des dettes de la société au même titre qu'un commandité. Elles n'ont aucun effet déterminant sur la question dont la Cour est saisie.

Cela étant dit, ces dispositions doivent être considérées dans le contexte de l'ensemble de la Loi, et plus particulièrement de l'article 3 et des définitions de l'expression "société en nom collectif" et du terme "personne", énoncées à l'article 1. Ces dispositions tiennent nettement pour acquis, selon moi, que tous les associés d'une société en commandite exploitent l'entreprise de la société. Au Manitoba, une société, qu'elle soit une société en nom collectif ou en commandite, est composée de "personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice". Ce sont donc les personnes qui forment la société qui exploitent l'entreprise plutôt que la société en commandite elle-même. La situation des commanditaires sous le régime de la loi anglaise est apparemment semblable à celle des commanditaires régis par la Loi du Manitoba. Dans la décision Reed (H.M.I.T.) v. Young , [1983] BTC 430 (Ch. D.)2, en matière fiscale, le juge Nourse a déclaré, à la page 446:

[traduction] Aux fins qui nous occupent, `une société en commandite comporte deux caractéristiques essentielles. Premièrement, il doit exister un ou plusieurs commandités qui sont responsables de toutes les dettes et obligations de la société. Deuxièmement, il doit exister un ou plusieurs commanditaires qui doivent, au moment où ils se joignent à la société, contribuer au capital (leur apport ne pouvant être retiré pendant l'existence de la société) et qui ne sont pas responsables des dettes et obligations de la société en sus de cet apport . . . . Une autre caractéristique distinctive de la société en commandite tient au fait qu'un commandité ne peut prendre part à la gestion de l'entreprise de la société et n'a pas le pouvoir de la lier . . . Hormis ces trois caractéristiques, il n'existe pas de différence marquante entre une société en commandite et une société en nom collectif ordinaire. En bout de ligne, bien que la société soit une entreprise active, le commanditaire adopte une attitude tout aussi apathique, et il gagnera ou perdra tout autant ou aussi peu qu'un associé passif dans une société en nom collectif ordinaire. La seule différence entre les deux, c'est que l'associé passif risque de sortir brutalement de son apathie lorsqu'il constatera que sa responsabilité relative aux dettes et aux obligations de la société est illimitée. [Non souligné dans l'original.]

Le fait que l'appelant n'ait pas participé à la gestion de l'entreprise ne signifie pas, selon moi, que lui et les autres commanditaires n'ont pas exploité activement l'entreprise conjointement avec les commandités dans l'année. Il ne faut pas non plus négliger la preuve directe versée au dossier. Les associés ont expressément convenu, dans la clause 1 de la convention de société du 31 août 1970, d'exploiter tous ensemble l'entreprise en 1988.

La récente décision Grocott c. La Reine, [1996] 1 C.T.C. 2311, de la Cour canadienne de l'impôt, appuie cette conclusion. Cette affaire soulevait la question de savoir si un commanditaire non résident d'une société en commandite créée sous le régime de la Loi sur les sociétés en commandite de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. L.16, avait des "revenus tirés d'une entreprise exploitée par [lui] au Canada" au sens du sous-alinéa 115(1)a )(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu, même si le contribuable n'avait pas "particip[é] à la direction de l'entreprise" au sens de l'article 13 de la loi de l'Ontario3 . La Cour de l'impôt a conclu que le contribuable avait tiré un revenu d'une entreprise exploitée par lui au Canada. J'adopterais en l'espèce le raisonnement suivant retenu par le juge Bowman de la Cour canadienne de l'impôt, aux pages 2316 et 2317:

La création des sociétés en commandite est régie par une loi. En Ontario, contrairement à ce qu'il en est dans certaines autres provinces, la Loi sur les sociétés en commandite est distincte de la Loi sur les sociétés en nom collectif. Une des caractéristiques les plus importantes est que la responsabilité de l'associé commanditaire est, en vertu de l'article 9, limitée à son apport de capital. De plus, en vertu de l'article 13, un associé commanditaire n'a pas la même responsabilité qu'un associé gérant, à moins qu'en plus d'exercer les droits et pouvoirs d'un commanditaire, il prenne part au contrôle de l'entreprise. M. Grocott ne prenait nullement part au contrôle de l'entreprise. Un associé commanditaire a évidemment le droit d'être informé sur l'entreprise de la société de personnes et de recevoir sa part des bénéfices. Il est néanmoins associé dans une société de personnes. Il y a simplement que sa responsabilité est limitée par la loi, pourvu qu'il ne participe pas à la conduite de l'entreprise.

Je ne pense pas que l'on puisse dire que cette limitation de responsabilité et que cette interdiction de toute participation active au contrôle de l'entreprise signifient que l'appelant n'exploite pas d'entreprise par l'intermédiaire de la société de personnes. Un associé non-résident qui ne prenait pas activement part à l'entreprise d'une société en nom collectif mais participait aux bénéfices de celle-ci a, dans l'affaire Randall c. R. (sub nomine Randall c. La Reine, [1985] 1 C.T.C. 268, 85 D.T.C. 5208, (C.F. 1re inst.)) été considéré comme exploitant une entreprise au Canada. Je ne pense pas que le fait que la société de personnes soit une société en commandite change la nature de la participation de l'associé commanditaire non-résident. Dans mon interprétation de ces dispositions, je ne crois pas adopter une méthode "orientée vers les résultats" (Tennant c. R. (sub nomine Tennant c. Canada) , [1994] 2 C.T.C. 113, 94 D.T.C. 6505, 175 N.R. 332 (C.A.F.)) ou une démarche "purement mécanique" (Swantje c. R. (sub nomine Swantje c. Canada) , [1994] 2 C.T.C. 382, 94 D.T.C. 6633, 174 N.R. 224 (C.A.F.)) lorsque je fais remarquer que ce serait un résultat plutôt étonnant qu'un non-résident qui est associé commanditaire dans une société en commandite canadienne exploitant une entreprise au Canada puisse échapper à l'impôt en vertu de l'article 115 sur ses profits de source canadienne tirés de la société de personnes pour le motif qu'il n'exploitait pas d'entreprise au Canada4. [Note de bas de page omise; non souligné dans l'original.]

En conséquence, j'accueillerais l'appel avec un seul mémoire de frais dans la présente instance et dans les trois autres appels, j'annulerais le jugement du 26 juillet 1993 et je rétablirais la cotisation du ministre. J'accorderais la même réparation dans les trois autres appels pour les mêmes motifs qui, une fois déposés dans ces dossiers, constitueront mes motifs à l'appui de cette réparation.

Le juge en chef Isaac: Je souscris à ces motifs.

Le juge McDonald, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

1 52 La société en commandite peut être constituée de plus d'une personne, appelées "commandités", et aussi de plus d'une personne appelées "commanditaires" et qui contribuent pour une part déterminée ou à l'être, sous quelque forme que ce soit, notamment en espèces, en nature ou en valeurs, pour valoir comme capital de la société.

53 Sous réserve de l'article 63, les commandités sont conjointement et individuellement responsables au même titre que les associés en nom collectif en common law; les commanditaires ne sont pas responsables des dettes de la société en commandite au-delà du montant de leur apport de capital. Toutefois, lorsqu'un commanditaire a déjà payé sa part contributoire du capital, il est dégagé de sa responsabilité envers les dettes de la société.

54(1) Seul le commandité est autorisé à lier la firme, mais le commanditaire a aussi ce pouvoir lorsque, à la connaissance des commandités, il prend part à la gestion de l'entreprise.

. . .

62 Le commanditaire peut, lui-même ou par l'entremise de son agent, consulter les livres de la firme, étudier l'état ainsi que les progrès de l'entreprise de la société en commandite, et donner des conseils quant à sa gestion.

63(1) Le commanditaire qui prend une part active à l'exploitation de l'entreprise devient responsable pour l'ensemble des dettes de la société en commandite, au même titre que le commandité à l'égard de la personne ignorant qu'il est commanditaire et avec qui il fait affaire au nom de la société en commandite.

2 Appel rejeté (1984), 59 TC 218 (C.A.); appel rejeté (1986), 59 TC 224 (Ch. des lords).

3 L'art. 13(1) de la Loi prévoit:

13. (1) Le commanditaire n'est pas responsable au même titre qu'un commandité, sauf si, en plus d'exercer les droits et pouvoirs qui lui sont conférés en qualité de commanditaire, il participe à la direction de l'entreprise.

4 Dans la note de bas de page numéro 2, le juge Bowman de la Cour canadienne de l'impôt compare cette conclusion à celle tirée par la Cour de l'impôt dans la présente affaire.

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