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A-73-96

Sa Majesté la Reine (appelante) (intimée)

c.

J. Paul Fingold (intimé) (appelant)

Répertorié: Canadac. Fingold (C.A.)

Cour d'appel, juges Stone, Strayer et MacGuigan, J.C.A."Toronto, 4 septembre; Ottawa, 26 septembre 1997.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Dividendes Appel de la décision de la C.C.I. qui a annulé la cotisation établie par le ministreAchat et rénovation par la société du contribuable d'un appartement luxueux de type penthouse de cinq chambres, en Floride, au coût de 4 millions de dollarsCondominium utilisé à des fins de représentation à 26 et 45 reprises respectivement au cours des deux années d'imposition en causeSitué dans le même édifice que l'appartement de la mère du contribuable où celui-ci avait l'habitude de passer ses vacances d'hiverL'art. 15 de la Loi de l'impôt sur le revenu présume que l'avantage conféré à un actionnaire constitue un dividendeLaquelle de la méthode du rendement du capital investi (les intérêts qu'auraient produits les sommes consacrées à l'acquisition et à la rénovation de l'appartement) ou de la méthode de la juste valeur locative doit être retenue pour calculer l'avantage conféré à un actionnaire?Le fait que le bien a été acquis et utilisé à une fin commerciale n'est pas nécessairement déterminant quant à la nature de l'avantage conféré à l'actionnaireLe juge de première instance n'a pas tenu compte de faits menant à la conclusion que le choix et la nature de cet appartement visaient d'abord et avant tout à accommoder personnellement le contribuable et étaient essentiellement à son avantageL'intimé aurait dû verser une somme égale au rendement du capital investi pour obtenir le même avantage d'une société dont il n'était pas actionnaire.

Preuve Des lettres de courtiers immobiliers à Revenu Canada quant à la juste valeur locative d'un appartement de luxe ne constituent pas des éléments de preuve favorables à l'actionnaireCe ne sont pas des opinions données sous serment et assujetties à un contre-interrogatoireCe ne sont pas des aveux contre les intérêts du MRN qui les a produites parce qu'elles étaient dans les dossiers.

Il s'agit d'un appel d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt qui a annulé la cotisation établie par le ministre concernant le revenu de l'intimé pour les années d'imposition 1988 et 1989. L'intimé et son frère étaient les propriétaires d'une société de holding et de gestion qui, en 1987, a acheté rénové et meublé un condominium de type penthouse de 4 610 pieds carrés en Floride, au coût de 4 millions de dollars. Le condominium se trouvait dans le même édifice que le condominium de la mère de l'intimé, où la famille avait l'habitude de passer ses vacances d'hiver. Il avait cinq chambres à coucher, chacune avec salle de bain, et une cuisine de type restaurant. L'appartement a été utilisé à des fins commerciales à 26 reprises en 1988 et à 45 reprises en 1989. À une seule occasion, un invité y a passé la nuit, le reste étant réparti entre dîners, lunchs, petits déjeuners ou cocktails. L'intimé et son épouse utilisaient personnellement l'appartement pendant leur séjour en Floride. Suivant l'article 15 de la Loi de l'impôt sur le revenu, la valeur de l'avantage conféré à un actionnaire est réputé constituer un dividende. Le ministre a présumé que le condominium avait été acquis pour usage personnel. Utilisant la méthode du rendement du capital investi, c.-à-d. le montant des intérêts qu'auraient produits les sommes consacrées à l'acquisition et à la rénovation de l'appartement, ainsi que certains frais d'entretien, il a évalué la valeur de ces avantages à 374 000 $ pour 1988 et à 445 675 $ pour 1989. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que le condominium avait été acheté à des fins commerciales (réceptions) et utilisé à ces fins et que, lorsqu'une société acquiert un bien à des fins commerciales et l'utilise à de telles fins, l'actionnaire qui utilise ce bien sera redevable de l'impôt exigible sur un avantage dont la valeur est égale à la juste valeur locative de ce bien. Répartissant cette valeur entre l'usage personnel et l'usage commercial, il a évalué l'avantage à 23 129 $ et 7 583 $.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

Il est vrai qu'un certain nombre de décisions de la Cour canadienne de l'impôt, ont appliqué le raisonnement du juge de première instance en l'espèce, et que le ministre l'a parfois accepté. Il n'est cependant pas justifié par le texte du paragraphe 15(1). Il s'agit plutôt d'une interprétation que le législateur n'a jamais voulu donner de cet article. Il faut examiner plus attentivement les principes fondamentaux.

Le concept de la "fin commerciale" est pertinent pour déterminer si l'avantage est conféré dans le cadre d'une opération commerciale normale, c.-à-d. si l'actionnaire bénéficiait de quelque chose que tout autre client de la société aurait pu obtenir ou si un avantage spécial lui était conféré en sa qualité d'actionnaire. Mais l'existence d'une fin commerciale initiale ne détermine pas nécessairement la nature de l'avantage précis qui est réellement conféré à l'actionnaire.

Étant donné qu'il s'est appuyé sur la jurisprudence antérieure sans tenir compte du retour aux principes de base recommandé par la présente Cour dans Youngman (L.) c. Canada, le juge de la Cour de l'impôt a laissé de côté certains faits pertinents qui mènent à la conclusion que le choix et la nature de cet appartement visaient d'abord et avant tout à accommoder personnellement le contribuable et étaient essentiellement à son avantage. Tout aussi importante est l'absence totale de certains types de preuve devant la Cour de l'impôt qui auraient permis d'appuyer la position de l'intimé selon laquelle il ne profitait pas d'une résidence personnelle payée par la société. Il incombait à l'intimé de démontrer que les hypothèses du ministre étaient erronées. Le juge de la Cour de l'impôt aurait dû conclure que la société avait fourni à l'intimé un appartement luxueux de son choix, dont l'utilisation était sous son contrôle exclusif. Une somme égale au rendement du capital investi est le prix que l'actionnaire aurait eu à payer, dans les circonstances semblables, pour obtenir le même avantage d'une société dont il n'était pas actionnaire.

De plus, le juge de la Cour de l'impôt n'aurait pas dû considérer les lettres de courtiers immobiliers de la Floride fournies à Revenu Canada comme un élément de preuve de la juste valeur locative du bien. Ce ne sont pas des opinions données sous serment et assujetties à un contre-interrogatoire ni des aveux contre les intérêts du ministre qui ne les a produites que parce qu'elles étaient dans les dossiers.

lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 15(1) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 8).

jurisprudence

décisions appliquées:

Minister of National Revenue v. Pillsbury Holdings Ltd., [1965] 1 R.C.É. 676; [1964] C.T.C. 294; (1964), 64 DTC 5184; Youngman (L.) c. Canada, [1990] 2 C.T.C. 10; (1990), 90 DTC 6322; 109 N.R. 276 (C.A.F.).

décisions examinées:

Youngman (L.) c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 475; (1986), 86 DTC 6584; 7 F.T.R. 141 (C.F. 1re inst.); Cartwright (R.I.) c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 15; (1994), 94 DTC 6677; 88 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.).

APPEL interjeté par le ministre contre une décision de la Cour de l'impôt (Fingold c. R., [1996] 1 C.T.C. 2772; (1995), 96 DTC 1305 (C.C.I.)) qui a établi la valeur d'un avantage conféré à un actionnaire en utilisant méthode de la juste valeur locative plutôt que la méthode du rendement du capital investi. Appel accueilli.

avocats:

Harry Erlichman et Elizabeth D. Chasson pour l'appelante (intimée).

Morris Cooper pour l'intimé (appelant).

procureurs:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante (intimée).

Morris Cooper, Toronto, pour l'intimé (appelant).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Strayer, J.C.A.:

Introduction

Il s'agit d'un appel d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt [Fingold c. R., [1996] 1 C.T.C. 2772] dans laquelle la cotisation établie par le ministre concernant le revenu de l'intimé pour les années d'imposition 1988 et 1989 a été annulée et l'affaire renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation. La question en litige porte sur la valeur des avantages qu'a reçus l'intimé en sa qualité d'actionnaire et qu'il doit inclure dans son revenu aux termes du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 8)]. Le ministre a évalué la valeur de ces avantages à 374 000 $ pour 1988 et à 445 675 $ pour 1989. Le juge de la Cour de l'impôt a ordonné qu'une nouvelle cotisation soit établie au motif que les chiffres exacts devaient être respectivement de 23 129 $ et de 7 583 $. La cotisation du ministre se fondait sur la méthode du rendement du capital investi. Le juge de première instance a plutôt adopté la méthode de la juste valeur locative comme base de calcul des avantages.

Les faits

Il appert que le juge de première instance s'est appuyé sur les faits suivants pour parvenir à sa conclusion. À l'époque en question, l'intimé et son frère étaient les propriétaires de Fobasco Limited (Fobasco), une société de holding et de gestion qui contrôlait Slater Industries Ltd. (Slater), une société publique. Slater produisait de l'acier, mais avait aussi plusieurs divisions, notamment une entreprise de camionnage. Fobasco avait aussi des actions dans plusieurs autres sociétés. Slater et certaines des autres sociétés faisaient beaucoup d'affaires aux États-Unis.

Pendant un certain nombre d'années, la mère de l'intimé a eu un condominium à Palm Beach (Floride). Sa famille lui rendait visite pendant les vacances. En 1987, un appartement de type penthouse s'est libéré dans le même immeuble et Fobasco en a fait l'acquisition pour la somme de 1 800 000 $ (canadiens) et l'a ensuite rénové et meublé pour une somme additionnelle d'environ 2 200 000 $ (canadiens). Il s'agissait d'un appartement de 4 610 pieds carrés comportant, après les rénovations, cinq chambres à coucher, chacune avec salle de bain, et une cuisine "modernisée selon les normes applicables aux cuisines de restaurant". La rénovation et l'ameublement de cet appartement ont été effectués sous la supervision de l'épouse de l'intimé.

Selon un registre tenu par Mme Fingold au cours des deux années d'imposition en question, l'appartement a été utilisé à des fins commerciales à 26 reprises en 1988 et à 45 reprises en 1989. À une seule occasion, un invité y a passé la nuit, le reste étant réparti entre dîners, lunchs, petits déjeuners ou cocktails. L'intimé et son épouse utilisaient personnellement l'appartement pendant leur séjour en Floride qui, selon le juge de première instance, s'échelonnait de la mi-décembre à la mi-mai, soit environ 151 jours. L'intimé voyageait beaucoup, mais son épouse demeurait à l'appartement pendant presque toute cette période. À l'occasion, son frère a aussi tenu des réceptions à cet appartement, bien que le jugement n'en précise pas la nature. L'intimé et son frère ont payé personnellement les frais d'exploitation de l'appartement.

Le juge de la Cour de l'impôt a accepté la preuve de l'intimé indiquant que l'appartement avait été acquis par Fobasco pour des réceptions d'affaires. Il a noté qu'un bureau était installé dans le vestiaire de la chambre principale.

Le juge de la Cour de l'impôt a donc conclu que le condominium avait été acheté à des fins commerciales et utilisé à ces fins. À son avis, il s'ensuit automatiquement que la méthode appropriée pour calculer l'avantage conféré à l'intimé en raison de son usage personnel de l'appartement devait être la juste valeur locative, qu'il a fixée à 60 000 $ par année, en se fondant sur deux lettres d'agents immobiliers de la Floride. Il a considéré ces lettres comme un "élément de preuve". Il a ensuite procédé à la répartition de cette valeur locative entre le temps d'occupation à des fins personnelles et le temps d'occupation à des fins commerciales. Il paraît avoir considéré chaque réception à l'appartement, même si celle-ci se limitait à un repas ou à un cocktail, comme une journée complète d'utilisation à des fins commerciales excluant tout usage personnel. Des sommes attribuées à l'usage personnel, il a déduit les dépenses engagées par l'intimé pour l'entretien de l'appartement, et c'est la différence qu'il a donné instruction au ministre de considérer pour calculer la valeur des avantages conférés aux termes du paragraphe 15(1).

Il appert que l'intimé a déclaré des avantages pour ces deux années en s'appuyant sur l'hypothèse que la juste valeur locative du condominium serait de 60 000 $ par année, et en utilisant une forme de répartition entre l'usage personnel et l'usage commercial. Le ministre a établi une nouvelle cotisation en s'appuyant, notamment, sur les hypothèses que le condominium avait été acquis pour l'usage personnel du contribuable et de sa famille et que l'avantage qui lui était conféré en sa qualité d'actionnaire de Fobasco Limited à l'égard du condominium devait être fixé au montant des intérêts qu'auraient produits les sommes consacrées à l'acquisition et à la rénovation de l'appartement, ainsi que certains frais d'entretien que Fobasco aurait payés. C'est cette cotisation qui est contestée.

Analyse

Le paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu dispose comme suit:

15. (1) La valeur de l'avantage qu'une société confère au cours d'une année d'imposition, à un actionnaire ou à une personne en passe de le devenir doit être incluse dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année"sauf dans la mesure où cette valeur est réputée par l'article 84 constituer un dividende"si cet avantage est conféré autrement que: . . .

Après avoir examiné un certain nombre de décisions, le juge de la Cour de l'impôt a exprimé la manière dont il interprétait la Loi dans les termes suivants:

Comme en témoignent ces jugements Voir aussi: Meeuse v. Ministre du Revenu national, [1992] 1 C.T.C. 2470, 92 D.T.C. 1549 (C.C.I.) confirmé par (sub nom. Meeuse c. Canada), [1995] 1 C.T.C. 21 (sub nom, Meeuse c. R.), 94 D.T.C. 6640 (C.F. 1re inst.); Giffin v. Ministre du Revenu national, [1991] 1 C.T.C. 2306, 91 D.T.C. 421 (C.C.I.). Lorsqu'une corporation acquiert un bien à des fins commerciales et l'utilise à de telles fins, l'actionnaire qui utilise ce bien sera redevable de l'impôt exigible sur un avantage dont la valeur est égale à la juste valeur locative de ce bien. Si la corporation a acquis le bien principalement pour l'usage de l'actionnaire, les tribunaux ont indiqué que cette juste valeur locative ne représente pas toujours bien l'avantage conféré à l'actionnaire1.

En toute déférence, le juge de la Cour de l'impôt me paraît avoir commis une erreur de droit en adoptant ces principes comme étant ceux qui régissent le calcul de la valeur d'un avantage conféré à un actionnaire par une société.

Il est vrai qu'un certain nombre de décisions, la plupart rendues par la Cour canadienne de l'impôt, ont appliqué un tel raisonnement. Toutefois, je ne trouve rien dans le libellé du paragraphe 15(1) qui appuie le principe selon lequel si un bien, également utilisé par un actionnaire à des fins personnelles, est acquis ou utilisé à une fin commerciale, il s'ensuit nécessairement, sans autre forme de calcul, que le calcul de cet avantage doit se faire d'après la juste valeur locative. Il s'agit certainement là d'une interprétation que le législateur n'a jamais voulu donner de cet article. Après avoir fait cette affirmation, je m'empresse d'ajouter que la jurisprudence indique que, dans bon nombre de cas, le ministre a effectivement adopté la méthode suivie par le juge de la Cour de l'impôt en l'espèce, admettant que, lorsque l'acquisition et l'utilisation répondent à une fin commerciale, la juste valeur locative serait une façon appropriée de calculer l'avantage conféré à l'actionnaire quand il utilise personnellement le bien. En l'espèce, toutefois, le ministre s'est fondé sur la double hypothèse que le bien a été acquis à des fins personnelles et surtout que les avantages devraient être calculés sur le rendement qu'aurait pu produire le capital que la société a investi dans l'acquisition et la rénovation du condominium.

Dans ces circonstances, je crois qu'il faut examiner plus attentivement les principes fondamentaux dont il est question dans certaines décisions.

Par exemple, dans l'arrêt Minister of National Revenue v. Pillsbury Holdings Ltd.2, souvent cité au regard de la dichotomie dont fait état la décision du juge de la Cour de l'impôt en l'espèce, le juge Cattanach affirme ce qui suit:

[traduction] . . . à mon avis, aucun bénéfice ni avantage n'est accordé, au sens de l'alinéa c), lorsqu'une compagnie conclut une transaction véritable avec un actionnaire. Par exemple, il est impossible que le Parlement ait eu l'intention d'assujettir à l'impôt le bénéfice ou l'avantage qui revient à un client d'une compagnie simplement parce que celui-ci est un actionnaire de la compagnie, si le bénéfice ou l'avantage lui revient en tant que client. Le législateur n'a pu avoir l'intention de permettre à la cour de pousser son examen au-delà de la transaction conclue de bonne foi entre une compagnie et un client qui est l'un de ses actionnaires pour essayer d'évaluer le bénéfice ou l'avantage qui revient au client par suite de la transaction.

Par ailleurs, il y a des transactions effectuées entre des corporations et le groupe fort restreint d'actionnaires qui les dominent, qui sont des moyens ou des mesures accordant des bénéfices ou avantages aux actionnaires en tant qu'actionnaires; il est clair que l'alinéa c) s'applique à de telles transactions . . . C'est une question de fait de déterminer si une transaction qui prétend, à première vue, être une transaction ordinaire est en fait un moyen ou une mesure de ce genre.

Dans cet extrait, le juge Cattanach cherchait à déterminer si un avantage avait été conféré. Le concept de la "fin commerciale" est pertinent pour déterminer si l'actionnaire bénéficiait de quelque chose que tout autre client de la société aurait pu obtenir ou si un avantage spécial lui était conféré en sa qualité d'actionnaire. Pour répondre à cette question, il y a lieu de se demander si l'avantage est conféré dans le cadre d'une opération commerciale normale ou autrement. Mais cela ne signifie pas que l'existence d'une fin commerciale initiale détermine nécessairement la nature de l'avantage précis qui est réellement conféré à l'actionnaire en question.

L'importance de déterminer s'il y a eu avantage et, dans l'affirmative, quel a été cet avantage, est soulignée par la présente Cour dans l'arrêt Youngman (L.) c. Canada3:

Afin d'évaluer un avantage pour les fins de l'alinéa 15(1)c), il est premièrement nécessaire de déterminer quel est cet avantage ou, en d'autres termes, qu'est-ce que la société a fait pour son actionnaire; deuxièmement, il est nécessaire de trouver le prix que l'actionnaire aurait eu à payer, dans des circonstances semblables, pour obtenir le même avantage d'une société dont il n'était pas actionnaire. En l'espèce, l'avantage conféré à l'appelant n'était pas simplement le droit d'utiliser ou d'occuper une maison aussi longtemps qu'il le désire; il s'agissait du droit d'utiliser ou d'occuper aussi longtemps qu'il le désire une maison que la société, à sa demande, a construite spécialement pour lui conformément à ses caractéristiques. Quel montant l'appelant aurait-il eu à payer de plus pour obtenir le même avantage s'il n'avait pas été un actionnaire de la société? Certainement plus que ce que les experts ont mentionné comme la juste valeur locative car, à mon avis, la société aurait alors exigé un loyer suffisant pour produire un rendement convenable pour son investissement. Il est impossible de déterminer avec précision le montant de ce loyer. Toutefois, sous une réserve importante, je ne peux dire qu'il aurait été inférieur au montant déterminé par le ministre.

En toute déférence, je crois que cet extrait redonne leur importance véritable aux dispositions expresses du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

La majeure partie de la jurisprudence examinée par le juge de la Cour de l'impôt est antérieure à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Youngman qui a été rendu en avril 1990. Le juge s'est appuyé sur la décision de la Section de première instance dans Youngman4. Dans le passage cité par le juge de la Cour de l'impôt, le juge McNair fait observer que:

. . . les facteurs opposés de l'objectif commercial et de l'usage personnel jouent un rôle significatif dans la détermination de la question de fait de savoir si une opération particulière de la société constitue une opération commerciale conclue de bonne foi au sens d'une chose susceptible d'échoir normalement à une personne étrangère à la société . . . ou s'il s'agissait d'un arrangement interne destiné surtout à profiter à un actionnaire.

Une lecture attentive de ce passage n'appuie pas l'opinion selon laquelle, lorsque l'acquisition et l'utilisation du bien répondent à une certaine fin commerciale, la valeur de l'avantage doit être calculée en fonction de la juste valeur locative. L'accent que le juge McNair a mis sur la "fin commerciale" a été à mon avis atténué par l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'extrait cité ci-dessus, où la Cour revient à la question fondamentale de savoir si un avantage a été conféré à un actionnaire et, dans l'affirmative, quelle en était la valeur.

Dans la décision Cartwright (R.I.) c. Canada5, une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale postérieure à l'arrêt de la présente Cour dans Youngman, le juge de première instance s'est appuyé sur Youngman. Toutefois, l'extrait de la décision Cartwright cité dans les motifs du juge de la Cour de l'impôt met l'accent sur une concession qui avait été faite dans Youngman selon laquelle, si la maison en question avait été construite et utilisée dans un but commercial, la cotisation établie par le ministre était erronée. Il s'agit d'un autre exemple des concessions faites par le ministre dans des affaires antérieures et cet extrait ne reflète pas à mon avis les principes très importants qui ont été énoncés par la Cour d'appel dans Youngman.

Étant donné que le juge de la Cour de l'impôt s'est appuyé sur la jurisprudence antérieure sans tenir compte du retour aux principes de base recommandé par la présente Cour dans Youngman, il a, je crois, laissé de côté certains faits pertinents. À mon avis, ces faits mènent à une conclusion semblable à celle à laquelle la Cour est parvenue dans Youngman. Voici certains de ces faits pertinents. L'intimé a lui-même déclaré dans son témoignage que cet appartement particulier avait été choisi parce qu'il était près de celui de sa mère situé dans le même immeuble6. Il a déclaré que les vacances à Palm Springs faisaient partie des traditions familiales7. Pendant les années en question, l'intimé et sa famille n'ont pas pris d'autres vacances d'hiver ou ne sont pas allés ailleurs qu'au condominium8. Il a déclaré que les réceptions d'affaires ne réunissaient que de un à cinq couples à la fois9. La pièce utilisée en partie comme bureau était d'une superficie de 300 pieds carrés10 (comparativement aux 4 600 pieds carrés de superficie totale de l'appartement). Tous ces éléments mènent à la conclusion que le choix et la nature de cet appartement visaient d'abord et avant tout à accommoder personnellement le contribuable et étaient essentiellement à son avantage.

Pour les fins de l'analyse, il est également important de noter l'absence totale de certains types de preuve devant la Cour de l'impôt qui auraient permis d'appuyer la position de l'intimé selon laquelle il ne profitait pas d'une résidence personnelle payée par la société. En faisant ressortir cette absence de preuve à l'appui de la position de l'intimé, il faut souligner qu'il lui incombait de démontrer que les hypothèses du ministre étaient erronées. Il est donc important de constater que l'avocat de l'intimé n'a pu signaler à la Cour aucune preuve indiquant que quelqu'un d'autre de la société, à l'exception de l'intimé et son frère, a déjà utilisé ce condominium, ou que la société a en fait des registres de son utilisation à des fins commerciales, ce à quoi on pourrait raisonnablement s'attendre à l'égard d'un bien d'une valeur de 4 millions de dollars appartenant à la société.

En résumé, si le juge de la Cour de l'impôt avait mis l'accent sur les critères juridiques définis par la présente Cour dans Youngman, notamment sur ce que Fobasco a fait pour cet actionnaire, il aurait conclu que la société avait fourni à l'intimé un appartement luxueux, choisi par l'intimé, dans un immeuble choisi pour des raisons familiales, appartement qui a été rénové et meublé uniquement sur les instructions de l'intimé et de son épouse et dont l'utilisation était sous le contrôle exclusif de l'intimé et de sa famille. L'appartement a été utilisé pendant les vacances d'hiver dans la même ville et dans le même immeuble où la famille passait ses vacances depuis plusieurs années. Il peut avoir été prévu que l'intimé y recevrait à l'occasion des clients, tout comme de nombreux gens d'affaires ou cadres supérieurs sont censés, en raison de leur poste, recevoir des relations professionnelles ou d'affaires. Mais il n'y a rien dans la preuve qui explique la nécessité commerciale d'avoir un appartement de cinq chambres à coucher avec salle de bain attenante ou une cuisine de restaurant, si l'on considère qu'à une occasion seulement un client y a passé la nuit et que le nombre d'invités reçus n'a jamais dépassé cinq couples. La présence d'un "bureau", c'est-à-dire un vestiaire équipé d'une table et de matériel de bureau occupant une superficie de 300 pieds carrés dans un appartement de 4 600 pieds carrés, n'appuie certainement pas l'opinion selon laquelle l'appartement mis entièrement à la disposition de l'intimé était une opération commerciale normale. Si tel était le cas, des milliers de résidences seraient considérées comme des locaux d'affaires. Par conséquent, cet arrangement ne peut être considéré comme une opération commerciale conclue de bonne foi entre la société l'intimé en qualité de client ou en qualité d'entrepreneur n'ayant aucun lien de dépendance avec l'intimé.

Le juge de la Cour de l'impôt aurait donc dû conclure que Fobasco avait fourni à cet actionnaire un avantage constitué d'un appartement de luxe de son choix dont il avait l'usage et le contrôle exclusifs. Je ne vois donc pas d'erreur dans les hypothèses du ministre. Une somme égale au rendement du capital investi est, je crois (pour reprendre les mots utilisés par cette Cour dans Youngman [à la page 14]):

. . . le prix que l'actionnaire aurait eu à payer, dans les circonstances semblables, pour obtenir le même avantage d'une société dont il n'était pas actionnaire.

Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens.

Bien que le calcul de la juste valeur locative ne soit pas la méthode pertinente, je voudrais faire quelques observations sur un passage du jugement de la Cour de l'impôt [à la page 2775] concernant le calcul d'une telle somme. Voici ce passage:

L'appelant a produit deux lettres, l'une de Sotheby's International Realty et l'autre de Martha A. Gottfried Inc., deux sociétés active à Palm Beach, à propos de la valeur locative de l'appartement. D'après ces deux lettres, la valeur locative d'un tel appartement devrait être de 60 000 $ par année. Même si ces lettres n'ont pas été présentées à titre d'opinions ou de rapports d'experts, elles constituent le seul élément de preuve concernant la valeur locative de la propriété. L'intimée n'a pas traité de la valeur locative dans son plaidoyer ni n'a fourni de preuve à ce sujet; les cotisations se fondent uniquement sur le rendement du capital investi par Fobasco dans l'appartement.

Il convient de noter que le juge de la Cour de l'impôt considère ces lettres comme un "élément de preuve". L'avocat de l'intimé a été incapable d'expliquer à la présente Cour comment ces lettres pouvaient être considérées comme un "élément de preuve". L'intimé a obtenu ces lettres de courtiers immobiliers de la Floride afin, selon son avocat, d'expliquer à Revenu Canada la comptabilité interne qui existait entre lui et Fobasco à l'égard de l'utilisation de l'appartement. Des copies ont été fournies à Revenu Canada et figuraient parmi les documents produits par le Ministère à l'étape de la communication des documents. Il ne s'agit certainement pas d'opinions données sous serment et assujetties à un contre-interrogatoire, et il n'y a pas eu non plus de témoignage verbal donné sous serment à cet égard. Ce ne sont certainement pas des aveux contre les intérêts du ministre qui ne les a produites que parce qu'elles étaient dans les dossiers. Par conséquent, ces lettres n'ont jamais constitué un "élément de preuve". En outre, l'affirmation du juge de première instance selon laquelle le ministre n'a pas traité de la valeur locative dans son plaidoyer et n'a pas fourni de preuve à ce sujet ne peut, en toute déférence, être considéré comme une justification pour accepter que ces lettres servent au juge de première instance pour déterminer la juste valeur locative. Il incombait au contribuable de prouver que la cotisation établie par le ministre était erronée, et non pas au ministre de prouver que cette cotisation était exacte. Le ministre n'a pas plaidé la juste valeur locative parce qu'il ne considérait pas que cette méthode était appropriée pour évaluer la valeur de l'avantage conféré et il ne lui incombait certainement pas de produire des éléments de preuve établissant ce qu'aurait dû être cette valeur locative. J'apporte cette précision parce que, même si la juste valeur locative avait été, du point de vue juridique, le critère approprié, la preuve ne renferme aucun élément qui puisse justifier la valeur qui a été fixée en l'espèce.

Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge MacGuigan, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

1 [1996] 1 C.T.C. 2772 (C.C.I.), aux p. 2777 et 2778.

2 [1965] 1 R.C.É. 676, à la p. 684.

3 [1990] 2 C.T.C. 10 (C.A.F.), aux p. 14 et 15.

4 Youngman (L.) c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 475 (C.F. 1re inst.), à la p. 480.

5 [1995] 1 C.T.C. 15 (C.F. 1re inst.), aux p. 20 et 21.

6 Dossier conjoint, à la p. 111.

7 Dossier conjoint, aux p. 112 et 113.

8 Dossier conjoint, à la p. 119.

9 Dossier conjoint, à la p. 115.

10 Dossier conjoint, à la p. 126.

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