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IMM-4248-97

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (demandeur)

c.

Domenic Condello (défendeur)

Répertorié: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)c. Condello(1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay"Toronto, 28 avril; Ottawa, 2 juin 1998.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Processus d'enquête en matière d'immigration Renvoi en vertu de l'art. 18.3(1) de la Loi sur la Cour fédéraleDélivrance par le ministre d'un avis de danger avant l'audition de l'appel d'une mesure d'expulsionRejet subséquent de l'appel pour défaut de compétenceRejet par le juge Gibson d'une demande de sursis discrétionnaire de l'exécution de la mesure de renvoi parce qu'il croyait qu'un sursis d'origine législative continuait de s'appliquerRejet de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d'enjoindre au défendeur de se présenter aux fins de son renvoiAvant de renvoyer le défendeur, le ministre a demandé à la Cour si l'exécution de la mesure de renvoi contreviendrait 1) à l'art. 49(1)b) de la Loi sur l'immigration; 2) à l'ordonnance du juge GibsonRéponse négative aux deux questions1) La jurisprudence portant sur l'effet de l'art. 70(5) sur les appels en instance devant la S.A.I. a évolué depuis le prononcé de l'ordonnance du juge GibsonL'art. 49(1) ne s'applique plus après une décision rendue en vertu de l'art. 70(5)La demande de sursis d'origine législative n'avait aucun fondement2) L'ordonnance rejetant la demande de sursis n'accordait pas un sursisLe fait de répondre aux questions visées par le renvoi ne pouvait causer un préjudice au défendeur.

Pratique Res judicata Renvoi en vertu de l'art. 18.3(1) de la Loi sur la Cour fédéraleAvant l'audition de l'appel de la mesure d'expulsion prise contre le défendeur, le ministre a émis un avis portant que le défendeur constituait un danger pour le public, conformément à l'art. 70(5) de la Loi sur l'immigrationL'appel a été rejeté pour défaut de compétenceLe juge Gibson a rejeté la demande de sursis discrétionnaire parce qu'il croyait qu'un sursis d'origine législative continuait de s'appliquerRejet de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d'enjoindre au défendeur de se présenter aux fins de son renvoiAvant de renvoyer le défendeur, le ministre a demandé à la Cour si l'exécution de la mesure de renvoi contreviendrait à l'art. 49(1)b) de la Loi sur l'immigration et à l'ordonnance du juge GibsonLa doctrine de la chose jugée ne s'appliquait pasL'ordonnance rejetant la demande de sursis ne constituait ni une décision définitive sur les questions soulevées dans le renvoi, car aucune n'avait été soumise directement au juge Gibson, ni un jugement déclaratoire portant qu'un sursis d'origine législative s'appliquaitIl ne s'agissait pas d'une ordonnance interlocutoire, mais il ne conviendrait pas de toute façon d'appliquer la doctrine de la chose jugée lorsqu'un sursis permanent peut en résulterLe législateur a voulu créer uniquement un sursis provisoire en abolissant l'appel d'une mesure d'expulsion, tout en maintenant la possibilité d'un contrôle judiciaire.

Il s'agissait d'un renvoi en vertu du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Une mesure d'expulsion a été prise contre le défendeur et portée en appel, mais l'appel n'avait pas encore été entendu alors que le ministre a émis un avis portant que le défendeur constituait un danger pour le public conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration. La demande d'autorisation et de contrôle judiciaire présentée par le défendeur a été rejetée, celui-ci n'ayant pas déposé de dossier de demande. Entre-temps, la section d'appel de l'immigration a rejeté l'appel du défendeur pour défaut de compétence en vertu de l'alinéa 70(5)c). Lorsque le défendeur a été informé de la date de son renvoi, il a déposé, encore une fois, une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. Entre-temps, il a demandé un sursis de l'exécution de la mesure de renvoi. Le juge Gibson a déclaré, dans le préambule de l'ordonnance du 24 mars 1997 rejetant la demande de sursis, qu'il ne conviendrait pas que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour accorder un sursis additionnel étant donné qu'un sursis d'origine législative continuait de s'appliquer en vertu de l'alinéa 49(1)b). (L'alinéa 49(1)b) prévoit qu'il est sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi jusqu'à ce que la section d'appel ait entendu l'appel et rendu sa décision ou déclaré qu'il y a eu désistement de l'appel.) Dans ses remarques formulées à l'audition, le juge Gibson a indiqué que son ordonnance se fondait sur la continuation du sursis d'origine législative. La deuxième demande d'autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée. Comme aucune procédure n'était plus en instance devant la Cour, le défendeur a été convoqué à une entrevue préalable à son renvoi. Il a répondu que son expulsion constituerait un outrage au tribunal. Le ministre a donc demandé à la Cour de répondre aux questions suivantes pour clarifier la situation: l'exécution de la mesure de renvoi contreviendrait-elle à l'alinéa 49(1)b)? Dans la négative, contreviendrait-elle à l'ordonnance du juge Gibson?

Le demandeur a soutenu que le sursis d'origine législative prévu par l'alinéa 49(1)b) ne s'appliquait pas. Autrement, les personnes qui se trouvent dans la situation du défendeur ne pourraient plus être renvoyées du Canada, car la décision rendue en vertu du paragraphe 70(5) aurait pour effet de rendre permanent le sursis d'origine législative. Le défendeur a fait valoir que le demandeur tentait de faire trancher des questions à nouveau, ce qu'interdit le principe de la chose jugée. Il a ajouté qu'il subirait un préjudice du fait que la décision du juge Gibson l'a dissuadé de poursuivre sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

Jugement: il faut répondre aux deux questions en litige par la négative.

Un litige est tranché par un jugement ou une ordonnance, et non par les motifs à l'appui de la décision. La décision du juge Gibson consistait à rejeter la demande de sursis. Il n'a pas accordé un sursis.

La doctrine de la chose jugée ne s'appliquait pas. L'ordonnance et le raisonnement du juge Gibson ne tranchaient pas de façon définitive, les questions renvoyées à la Cour, car aucune d'elles ne lui avait été soumise directement, ni n'a été plaidée devant lui dans le cadre de la demande de sursis. L'ordonnance du juge Gibson ne constituait pas non plus un jugement déclaratoire portant qu'un sursis d'origine législative s'appliquait. Il a expressément refusé de prononcer une ordonnance interdisant l'exécution de la mesure de renvoi, qui aurait équivalu à un jugement déclaratoire portant qu'un sursis d'origine législative existait, réparation qui ne lui avait pas été demandée et qui n'aurait probablement pas pu l'être dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. Enfin, il ne s'agissait pas d'une ordonnance interlocutoire au regard de la présente procédure, car les deux affaires ne faisaient pas partie de la même instance. Même si c'était le cas, il ne conviendrait pas d'appliquer la doctrine de la chose jugée lorsqu'un sursis permanent pourrait en fait découler de la conclusion portant que l'existence d'un sursis d'origine législative a force de chose jugée. Le législateur avait l'intention de créer un sursis provisoire des mesures de renvoi en abolissant l'appel d'une mesure d'expulsion, tout en maintenant la possibilité d'un contrôle judiciaire.

Depuis le prononcé de la décision du juge Gibson, la jurisprudence portant sur l'effet du paragraphe 70(5) sur les appels en instance devant la section d'appel de l'immigration a évolué. Après la décision ministérielle rendue en vertu du paragraphe 70(5), le paragraphe 49(1) ne s'appliquait plus et rien ne pouvait fonder la demande d'un sursis d'origine législative. Le renvoi du défendeur ne contreviendrait pas à l'alinéa 49(1)b). Elle ne contreviendrait pas non plus à l'ordonnance rendue par le juge Gibson, qui n'a pas accordé de sursis de l'exécution de la mesure de renvoi, mais a plutôt refusé expressément d'accorder un sursis.

Le simple fait de répondre aux questions précises soulevées en l'espèce ne pouvait causer un préjudice au défendeur. L'ordonnance du juge Gibson ne lui a pas non plus causé un préjudice. C'est le défendeur qui a décidé de ne pas prendre les mesures requises pour poursuivre sa demande antérieure de contrôle judiciaire. Le choix du demandeur de ne pas poursuivre sa demande de contrôle judiciaire, sur la foi de l'ordonnance rendue par le juge Gibson, lui appartenait et il ne peut prétendre maintenant qu'il subirait un préjudice en raison des réponses données aux questions soulevées par le ministre.

lois et règlements

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.3(1) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 27(1)d)(i) (mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16), 48, 49(1)b) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41), 70(5) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13).

jurisprudence

décisions appliquées:

Darabanitei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-2524-97, C.F. 1re inst., le juge Wetston, ordonnance en date du 25-7-97, non publiée; Pratt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 130 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.).

distinction faite avec:

Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 693; (1997), 127 F.T.R. 218 (1re inst.).

décisions citées:

Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646; (1997), 147 D.L.R. (4th) 93; 212 N.R. 63 (C.A.); Jhammat c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 166 (C.F. 1re inst.); Wong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F. 186; (1991), 49 Admin. L.R. 35; 42 F.T.R. 209 (1re inst.); Tsang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 37 Imm. L.R. (2d) 1; 211 N.R. 131 (C.A.F.); Francis et al. c. Conseil des Mohawk d'Akwesasne (1993), 62 F.T.R. 314 (C.F. 1re inst.); Parasidis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 133 F.T.R. 73 (C.F. 1re inst.); Morgan Power Apparatus Ltd. v. Flanders Installations Ltd. (1972), 27 D.L.R. (3d) 249 (C.A.C.-B.); Desaulniers v. Payette (1904), 35 R.C.S. 1; McKean v. Jones (1891), 19 R.C.S. 489.

RENVOI des questions suivantes en vertu du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur la Cour fédérale: l'exécution d'une mesure de renvoi prise contre le défendeur contreviendrait-elle 1) à l'alinéa 49(1)b) de la Loi sur l'immigration et 2) dans la négative, contreviendrait-elle à l'ordonnance par laquelle le juge Gibson a refusé un sursis discrétionnaire parce qu'il croyait qu'un sursis d'origine législative continuait de s'appliquer? La Cour a répondu aux deux questions par la négative.

avocats:

Diane B. N. Dagenais pour le demandeur.

Victoria Russell pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Victoria Russell, Toronto, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge MacKay: Par avis, faisant part de sa décision de renvoyer des questions à la Cour en vertu du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], en date du 9 octobre 1997, le ministre demandeur demande à la Cour de répondre aux deux questions suivantes:

1. Le ministre contreviendrait-il à l'alinéa 49(1)b) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41)] en exécutant la mesure de renvoi prise contre le défendeur, conformément à l'obligation légale que lui impose l'article 48 de la Loi sur l'immigration, compte tenu des circonstances de l'espèce?

2. Dans la négative, le ministre contreviendrait-il à l'ordonnance rendue par le juge Gibson le 24 mars 1997, en exécutant la mesure de renvoi prise contre le défendeur, conformément à l'obligation légale que lui impose l'article 48 de la Loi sur l'immigration?

Contexte

Le défendeur, M. Condello, né le 6 janvier 1963, est de citoyenneté italienne. Il est arrivé au Canada avec ses parents et il y vit depuis le mois d'août 1965 en qualité d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement ou de résident permanent. Le 15 décembre 1992, il a été condamné à une peine d'emprisonnement de 14 ans pour complot en vue d'importer des stupéfiants et pour complot en vue de faire le trafic de stupéfiants, peine qui a été réduite à 12 ans à la suite d'un appel. Le 25 juillet 1994, une mesure d'expulsion a été prise contre le défendeur. Cette mesure s'appuyait sur la conclusion qu'il appartenait à la catégorie des personnes décrites au sous-alinéa 27(1)d)(i) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16] (la Loi), c'est-à-dire qu'il était un résident permanent du Canada déclaré coupable d'une infraction pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée. Le défendeur a interjeté appel de cette mesure d'expulsion devant la section d'appel de l'immigration le 22 août 1994. L'appel n'a pas été entendu avant le 16 janvier 1996, date à laquelle le ministre a délivré un avis portant que le défendeur constituait un danger pour le public, conformément au paragraphe 70(5) de la Loi, dans sa version modifiée [L.C. 1995, ch. 15, art. 13] entrée en vigueur en juillet 1995.

Le 6 février 1996, le défendeur a demandé l'autorisation d'engager des procédures de contrôle judiciaire pour contester la décision prise sous le régime du paragraphe 70(5). N'ayant pas déposé de dossier de demande, sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée le 7 mai 1996. Entre-temps, le 27 mars 1996, la section d'appel de l'immigration a rejeté l'appel du défendeur pour défaut de compétence en vertu de l'alinéa 70(5)c) de la Loi et le défendeur a contesté ce rejet au moyen d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire déposée le 23 mai 1996. Cette deuxième demande a été rejetée le 30 septembre 1996 par une ordonnance du juge Gibson.

Le 5 mars 1997, le défendeur a été informé qu'il serait renvoyé du Canada le 2 avril 1997, décision qu'il a contestée en déposant, encore une fois, une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire le 19 mars 1997. Cette demande a été rejetée le 12 août 1997, le défendeur n'ayant alors pas déposé de dossier de demande. Entre-temps, le 20 mars, le défendeur a demandé le sursis de l'exécution de la mesure de renvoi prise contre lui. Le 24 mars 1997, le juge Gibson a rejeté sa demande de sursis. Celui-ci n'a pas déposé de motifs distincts, mais il a déclaré, dans le préambule de l'ordonnance rejetant cette demande:

[traduction] Et la Cour étant convaincue qu'un sursis d'origine législative de l'exécution de la mesure de renvoi prise contre le requérant continue de s'appliquer en vertu de l'alinéa 49(1)b) de la Loi sur l'immigration"l'appel du requérant devant la section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'ayant pas encore été entendu et la section d'appel de l'immigration n'ayant pas encore rendu sa décision ni déclaré qu'il y a eu désistement de l'appel"et qu'il ne conviendrait donc pas que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour accorder un sursis additionnel.

Lors de l'audition de cette demande, le juge a formulé des remarques concernant le libellé de l'alinéa 49(1)b) de la Loi et le fait qu'il n'a pas été modifié par le législateur lorsque la Loi a été modifiée par l'ajout du paragraphe 70(5) pour régir expressément la situation visée en l'espèce devant la section d'appel. Dans ses remarques formulées à l'audition, le juge Gibson a clairement exprimé les motifs de sa conclusion dans les termes suivants:

[traduction] En conséquence, une ordonnance rejettera la demande de sursis, mais elle précisera dans ses attendus qu'elle est fondée sur l'existence, la continuation du sursis d'origine législative.

Comme il l'a été mentionné, la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire du défendeur à l'encontre de la décision lui enjoignant de se présenter aux fins de son renvoi a été rejetée le 12 août 1997. Comme aucune procédure n'était en instance devant la Cour le 4 septembre 1997, une lettre a été envoyée au défendeur pour le convoquer à une entrevue préalable à son renvoi le 17 septembre 1997, aux fins de son renvoi qui devait alors avoir lieu le 29 octobre 1997. Le 23 septembre 1997, l'avocate du défendeur a écrit une lettre à l'avocate du ministre pour l'aviser qu'il commettrait un outrage au tribunal si l'expulsion avait lieu, car il contreviendrait ainsi à l'ordonnance rendue par le juge Gibson le 24 mars 1997. Le ministre a alors décidé de s'adresser à la Cour pour clarifier la situation en lui demandant de répondre aux questions énoncées dans la présente demande.

Les prétentions des parties

Le demandeur fait valoir que le juge Gibson a clairement précisé que son refus d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder un sursis s'appuyait sur sa conviction qu'un sursis d'origine législative continuait de s'appliquer en vertu de l'alinéa 49(1)b). Voici cette disposition:

49. (1) Sauf dans les cas mentionnés au paragraphe (1.1), il est sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi:

. . .

b) en cas d'appel, jusqu'à ce que la section d'appel ait rendu sa décision ou déclaré qu'il y a eu désistement d'appel;

Dans la décision Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)1, rendue peu de temps avant le prononcé de son ordonnance rejetant la demande de sursis, le juge Gibson a exprimé l'opinion que la décision rendue en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi ne levait pas le sursis d'origine législative découlant de l'alinéa 49(1)b). Le demandeur soutient que le juge Gibson a commis une erreur en formulant cette opinion; il s'appuie à cet égard sur les arrêts Tsang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2 et Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3 de la Cour d'appel, ainsi que sur mon propre raisonnement dans la décision Pratt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4 et sur la décision de mon collègue, le juge Wetston, dans l'affaire Darabanitei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)5. Le ministre fait valoir que la section d'appel de l'immigration n'a plus compétence pour connaître d'un appel en instance concernant un résident permanent après la délivrance d'un avis portant qu'il constitue un danger pour le public. Ainsi, la section d'appel ne peut plus entendre et trancher l'appel. Selon le demandeur, si le raisonnement du juge Gibson devait être retenu, les personnes qui se trouvent dans la situation du défendeur ne pourraient plus être renvoyées du Canada, car la décision prévue au paragraphe 70(5) aurait pour effet de rendre permanent le sursis d'origine législative. Pour cette raison, le demandeur prétend que le sursis d'origine législative prévu par l'alinéa 49(1)b) ne s'applique plus.

En outre, l'avocate du ministre demandeur affirme que l'ordonnance du juge Gibson ne peut être interprétée comme un jugement déclaratoire, en raison à la fois des affirmations faites par le juge Gibson dans l'ordonnance et du fait qu'une telle interprétation outrepasserait la compétence d'un juge des requêtes saisi d'une demande de réparation provisoire. Les décisions Francis et al. c. Conseil des Mohawk d'Akwesasne6 et Parasidis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)7 appuieraient selon elle cette hypothèse.

Subsidiairement, le demandeur soutient que, même si l'ordonnance du juge Gibson pouvait être considérée comme un sursis discrétionnaire, elle ne survivrait pas à la fin de l'instance dans laquelle le sursis constituait une mesure provisoire et que cette instance, en l'occurrence la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, a été rejetée le 12 août 1997.

Pour sa part, le défendeur affirme que le demandeur tente tout simplement de faire trancher à nouveau des questions réglées par l'ordonnance du juge Gibson et que pareille tentative est interdite par le principe de la chose jugée. Il invoque plusieurs décisions8 pour affirmer que l'ordonnance du juge Gibson ne peut être ni révisée ni modifiée, pour permettre au demandeur d'obtenir une décision nouvelle ou différente, car la présente instance ne constitue pas un appel. De plus, comme le raisonnement du juge Gibson est lié en grande partie à sa conviction qu'un sursis d'origine législative s'applique, le défendeur subirait un préjudice et une injustice si on le privait de la possibilité de faire examiner pleinement sa demande de sursis discrétionnaire, si cette conviction se révélait mal fondée. Il ajoute qu'il subirait aussi un préjudice du fait que la décision du juge Gibson portant qu'un sursis prévu par la loi s'appliquait l'a dissuadé de poursuivre sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision rendue en vertu du paragraphe 70(5).

Dans ses observations écrites, le demandeur soutient que le concept de la chose jugée ne s'applique pas dans ce domaine de droit public; il affirme en outre que les questions soumises à la Cour en l'espèce n'ont pas été réglées ni tranchées définitivement par le juge Gibson et que le principe de la chose jugée ne s'applique donc pas.

Analyse

Je suis d'avis qu'il faut répondre aux deux questions en litige par la négative.

Premièrement, il est de droit constant qu'un litige est tranché par un jugement ou une ordonnance, et non par les motifs prononcés par le juge à l'appui de sa décision. En l'espèce, la décision du juge Gibson consistait à rejeter la demande de sursis. Peu importe les motifs sur lesquels elle s'appuie, il n'est pas possible d'interpréter sa décision comme accordant un sursis. Selon moi, on ne saurait plaider que les questions soumises à la Cour en l'espèce constituent un appel de l'ordonnance du juge Gibson. Les réponses à ces questions guideront les parties, sans les lier.

Deuxièmement, j'estime que la doctrine de la chose jugée ne s'applique pas en l'espèce. Indépendamment de la question de savoir si cette doctrine s'applique lorsqu'un principe de droit public est en cause"question qui n'a été tranchée ni par le juge Muldoon, dans la décision Jhammat c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)9 , ni par le juge en chef adjoint Jerome, dans la décision Wong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)10, je suis d'avis que l'ordonnance et le raisonnement du juge Gibson ne peuvent pas être considérés comme une décision définitive sur les questions dont la Cour est saisie, car aucune d'elles ne lui a été soumise directement, ni plaidée devant lui dans le cadre de la demande de sursis du défendeur.

L'ordonnance du juge ne constituait pas un jugement déclaratoire portant qu'un sursis d'origine législative s'appliquait et cette question n'a pas été tranchée directement. La question sur laquelle le juge Gibson s'est prononcé était celle de savoir s'il devait accorder un sursis discrétionnaire. Les motifs du juge, consignés dans la transcription de l'audience, portaient qu'en refusant d'accorder un tel sursis, il ne prononçait ni une ordonnance d'interdiction, ni un jugement déclaratoire portant sur le droit concernant l'existence d'un sursis d'origine législative. Selon la transcription de l'audience, le juge Gibson a indiqué, lorsqu'il a refusé de prononcer une ordonnance interdisant l'exécution de la mesure de renvoi, qu'une telle ordonnance [traduction] "équivaudrait à prononcer un jugement déclaratoire portant qu'un sursis d'origine législative existe, jugement qu'on ne m'a pas demandé de prononcer et qu'on ne pourrait très probablement pas me demander de rendre dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire."

Je note, pour que cela soit consigné au dossier, que les faits en cause diffèrent de ceux examinés par le juge Gibson dans l'affaire Solis car, en l'espèce, la section d'appel a rejeté l'appel interjeté par le défendeur à l'encontre de la mesure d'expulsion prise contre lui avant le dépôt de sa demande de sursis. Le juge devait être au courant de cette différence factuelle, c'est-à-dire du fait qu'en l'espèce aucun appel de la mesure d'expulsion n'était en instance devant la section d'appel. Un autre élément factuel distingue la situation en cause de celle qui existait au moment où le juge Gibson a rejeté la demande de sursis le 24 mars 1997: la Cour n'est plus saisie d'aucune demande d'autorisation et de contrôle judiciaire alors qu'elle l'était le 24 mars 1997 lorsque le juge Gibson a prononcé son ordonnance.

La décision du juge Gibson consistait à refuser d'accorder un sursis discrétionnaire au défendeur parce qu'il était convaincu qu'un sursis d'origine législative s'appliquait déjà. Depuis le prononcé de cette décision, la jurisprudence portant sur l'effet du paragraphe 70(5) sur les appels en instance devant la section d'appel de l'immigration a évolué, plus particulièrement en regard de l'arrêt Williams de la Cour d'appel. L'une des questions soumises à la Cour est celle de savoir si, compte tenu de l'état actuel de la jurisprudence, le ministre contreviendrait à la Loi en expulsant le défendeur. Cette question n'a pas été tranchée par le juge Gibson, bien qu'une réponse témoignant de son interprétation de la Loi et de la jurisprudence de l'époque ressorte implicitement de son ordonnance.

Je suis conscient du fait que l'affaire dont la Cour est saisie aujourd'hui et celle soumise au juge Gibson ne font pas officiellement partie de la même demande et que, en ce sens, l'ordonnance rendue par le juge Gibson n'est pas une ordonnance interlocutoire au regard de la présente procédure. Même si c'était le cas, son ordonnance n'aurait pas force de chose jugée. De plus, je dois tenir compte des conséquences qui découleraient de la conclusion portant que l'existence d'un sursis d'origine législative a force de chose jugée, c'est-à-dire que, vu l'interprétation prédominante de l'effet du paragraphe 70(5) et le rejet de la demande de contrôle judiciaire déposée par le demandeur en mars 1997, celui-ci bénéficierait en fait d'un sursis permanent parce qu'il ne fait plus l'objet d'une poursuite judiciaire dont la conclusion est requise pour emporter la levée du sursis. Compte tenu de l'intention du législateur d'abolir l'appel d'une mesure d'expulsion, tout en maintenant la possibilité d'un contrôle judiciaire, je ne suis pas disposé à conclure que le législateur aurait pu avoir l'intention de décider qu'il puisse être sursis de façon permanente à une mesure d'expulsion dans le cadre d'une disposition visant manifestement à créer un sursis provisoire de la procédure de renvoi. Ce résultat éventuel, savoir un sursis permanent, indique selon moi qu'il ne convient pas d'appliquer la doctrine de la chose jugée.

Qui plus est, la question essentielle visée par le renvoi, soit celle de savoir si un sursis d'origine législative s'applique à la suite d'un avis de danger pour le public délivré en vertu du paragraphe 70(5), a été examinée et tranchée dans la décision Pratt11. Dans cette affaire, j'ai examiné plusieurs décisions, dont les décisions Solis et Williams (cette dernière émanant de la Cour d'appel), avant de tirer la conclusion suivante:

Compte tenu de l'arrêt Williams, je suis d'avis que l'appel que M. Pratt a interjeté devant la section d'appel et que celle-ci a entendu mais au sujet duquel elle n'a pas rendu de décision, a été effectivement rendu inefficace, ou a été effectivement éteint, en raison de la décision du législateur de retirer dans ces circonstances au requérant le droit d'appel conféré par le paragraphe 70(1). Bien qu'il soit vrai que la section d'appel n'avait pas entendu l'appel et n'avait pas rendu de décision à son sujet, elle ne pouvait rendre qu'une seule décision, à savoir celle de reconnaître que, sous le régime de la Loi, en raison de l'avis formulé par le ministre en vertu du paragraphe 70(5), elle ne pouvait connaître de l'appel de M. Pratt. Dans ces conditions, je suis d'avis que la formulation de l'avis ministériel prévu au paragraphe 70(5) a effectivement fait disparaître la raison d'être même du sursis d'origine législative qui est prévu à l'alinéa 49(1)b) de la Loi et qui porte sur un appel en instance dont le sort n'a pas encore été déterminé. À mon avis, il découle manifestement de l'arrêt Williams que la raison d'être du sursis d'origine législative prévu à l'alinéa 49(1)b) disparaît dès qu'une décision ministérielle est prise en vertu du paragraphe 70(5).

Je conclus donc que le ministre avait le pouvoir, en vertu de la Loi, de décider d'exécuter la mesure d'expulsion après s'être dit d'avis, en vertu du paragraphe 70(5), que le requérant constituait un danger pour le public au Canada. À compter de ce moment-là, le sursis d'origine législative prévu à l'alinéa 49(1)b) a effectivement disparu.

Dans la décision Darabanitei12, le juge Wetston a énoncé succinctement son opinion selon laquelle l'alinéa 49(1)b) ne prévoit pas de sursis d'origine législative dans ces circonstances.

[traduction] J'ai examiné plusieurs décisions portant sur l'existence d'un sursis d'origine législative. Notamment les décisions Solis c. Canada, [1997] A.C.F. no 315 et Pratt c. Canada, [1997] A.C.F. no 522. J'ai aussi tenu compte de l'arrêt M.C.I. c. Williams, [1997] A.C.F. no 393. Après avoir étudié cette jurisprudence, ainsi que le régime législatif établi par la Loi sur l'immigration, je suis d'avis que le paragraphe 70(5) de la Loi abolit le droit du demandeur d'interjeter appel devant la SAI en pareilles circonstances. Par conséquent, l'alinéa 49(1)b) ne s'applique pas.

À mon avis, ces décisions, Pratt et Darabanitei, appuient la décision portant que le ministre peut expulser le défendeur maintenant sans contrevenir aux dispositions de la Loi, compte tenu des circonstances de l'espèce. Dans Pratt, l'appel du demandeur devant la section d'appel avait été entendu, mais la section d'appel n'avait pas rendu de "décision" lorsque la procédure de renvoi visée par la demande de sursis a été entamée. En l'espèce, l'appel du défendeur a fait l'objet d'une décision de la part de la section d'appel qui a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour connaître de l'affaire, conformément au paragraphe 13(4) de la Loi modificatrice, L.C. 1995, ch. 15, qui prévoit l'application du paragraphe 70(5). Après la décision ministérielle prise en vertu du paragraphe 70(5), selon les termes mêmes du juge Wetston, le paragraphe 49(1) ne s'appliquait plus et rien ne pouvait fonder la demande d'un sursis d'origine législative. Par conséquent, j'estime qu'il faut répondre "non" à la première question posée par le ministre demandeur. L'expulsion du défendeur du Canada ne contreviendrait pas à l'alinéa 49(1)b ) de la Loi, compte tenu des circonstances de l'espèce.

Je conclus également que l'expulsion du défendeur ne contreviendrait pas à l'ordonnance rendue par le juge Gibson et je réponds donc à la deuxième question par la négative. Rappelons-le, son ordonnance n'a pas accordé de sursis de l'exécution de la mesure de renvoi; le juge Gibson a plutôt refusé expressément d'accorder un sursis.

En ce qui a trait aux arguments du défendeur portant sur le préjudice qu'il subirait, il me semble que le simple fait de répondre aux questions précises soulevées en l'espèce ne peut lui causer un préjudice. Il se peut bien qu'il existe une mesure d'expulsion non exécutée contre le défendeur, mais aucun ordre ne lui enjoint pour l'instant de se présenter aux fins de son renvoi. S'il est à nouveau convoqué aux fins de son renvoi, il pourra décider de présenter une nouvelle demande d'autorisation et de contrôle judiciaire ainsi que de sursis discrétionnaire qui sera tranchée selon son bien-fondé. Même si tel n'était pas le cas, je ne suis pas convaincu que l'ordonnance du juge Gibson a causé un préjudice au défendeur. C'est le défendeur qui a décidé, peu importe ses raisons, de ne pas prendre les mesures requises pour poursuivre sa demande antérieure de contrôle judiciaire. Ce n'est pas l'ordonnance du juge Gibson qui l'y obligeait. Si le demandeur a décidé, sur la foi de cette ordonnance, de ne pas poursuivre sa demande de contrôle judiciaire, ce choix lui appartenait et, après l'avoir fait, il ne peut prétendre qu'il subirait maintenant un préjudice en raison des réponses données aux questions soulevées par le ministre.

Conclusion

Une ordonnance sera rendue, énonçant chaque question posée par le ministre et précisant que la Cour y répond par la négative dans les termes qui suivent:

Question 1: Le ministre contreviendrait-il à l'alinéa 49(1)b) de la Loi sur l'immigration en exécutant la mesure de renvoi prise contre le défendeur, conformément à l'obligation légale que lui impose l'article 48 de la Loi sur l'immigration, compte tenu des circonstances de l'espèce?

Réponse: Non.

Question 2: Dans la négative, le ministre contreviendrait-il à l'ordonnance rendue par le juge Gibson le 24 mars 1997, dans l'affaire Condello c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (dossier no IMM-1140-97), en exécutant la mesure de renvoi prise contre le défendeur, conformément à l'obligation légale que lui impose l'article 48 de la Loi sur l'immigration?

Réponse: Non.

1 [1997] 2 C.F. 693 (1re inst.).

2 (1997), 37 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.).

3 [1997] 2 C.F. 646 (C.A.).

4 (1997), 130 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.).

5 Ordonnance non publiée, IMM-2524-97, 25 juillet 1997 (C.F. 1re inst.).

6 (1993), 62 F.T.R. 314 (C.F. 1re inst.).

7 (1997), 133 F.T.R. 73 (C.F. 1re inst.).

8 Morgan Power Apparatus Ltd. v. Flanders Installations Ltd. (1972), 27 D.L.R. (3d) 249 (C.A.C.-B.); Desaulniers v. Payette (1904), 35 R.C.S. 1; McKean v. Jones (1891), 19 R.C.S. 489.

9 (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 166 (C.F. 1re inst.).

10 [1991] 2 C.F. 186 (1re inst.).

11 Supra, note 4, aux p. 151 et 152.

12 Supra, note 5.

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