Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

CSIS-36-97

AFFAIRE INTÉRESSANT une demande de mandats présentée en vertu de l'article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23

Répertorié: Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re)(1re inst.)

Section de première instance, juge McGillis"Ottawa, 28 août, 2 et 19 septembre et 3 octobre 1997.

Renseignement de sécurité Demande de mandats présentée en vertu de l'art. 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécuritéLe SCRS demandait l'inclusion dans les mandats de diverses dispositions, dont une clause desvisiteurs, pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces à la sécurité du CanadaLa clause desvisiteursconstitue une délégation illicite à un employé du Service des pouvoirs conférés à un juge en vertu de l'art. 21 de la LoiL'art. 21 de la Loi a pour but de garantir une analyse objective et impartiale des faits allégués dans la demande de mandatLe juge a d'abord rendu publics des motifs d'ordonnance révisés pour des raisons de sécurité nationaleLes motifs ont été rendus publics dans leur version primitive, non révisée, après que la porte-parole du SCRS eut divulgué aux médias l'information que le juge avait accepté d'occulter de ses motifs.

Droit constitutionnel Charte des droits Garanties juridiquesFouille, perquisition ou saisieDemande de mandats présentée par le SCRS en vertu de l'art. 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécuritéLa clause desvisiteursconstitue-t-elle une délégation illicite à un employé du Service des pouvoirs conférés à un juge en vertu de l'art. 21 de la Loi?Question liée à l'art. 8 de la Charte garantissant la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusivesL'autorisation préalable est une condition de la validité d'une fouille, perquisition ou saisie et le pouvoir de l'accorder ne doit pas être délégué à un organisme d'enquêteLa personne autorisant la fouille doit être soit un juge soit une personne pouvant agir de façon judiciaireL'art. 21 de la Loi a pour but de garantir une analyse objective et impartiale des faits allégués dans la demande de mandat pour qu'il puisse être déterminé si les intérêts de l'État doivent l'emporter sur le droit constitutionnel d'un particulier d'être protégé contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8.

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 21.

jurisprudence

décisions appliquées:

Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111; (1990), 73 D.L.R. (4th) 596; [1990] 6 W.W.R. 481; 49 B.C.L.R. (2d) 321; 59 C.C.C. (3d) 225; 80 C.R. (3d) 129; 50 C.R.R. 1; 114 N.R. 1; Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F. 107; (1987), 28 Admin. L.R. 92; 36 C.C.C. (3d) 161; 59 C.R. (3d) 339; 32 C.R.R. 146 (C.A.).

DEMANDE de mandats présentée en vertu de l'article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, visant à inclure une clause des "visiteurs" prévoyant la délégation à un employé du Service de pouvoirs attribués par la loi à un juge. Demande rejetée.

avocat:

Robert F. Batt pour le requérant.

procureur:

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et l'ordonnance rendus par

Le juge McGillis: J'ai prononcé les motifs de mon ordonnance en la matière le 19 septembre 1997. L'avocat représentant le procureur général du Canada s'est immédiatement opposé à leur publication en arguant de l'"immunité pour cause d'intérêt général", et a demandé à présenter ses conclusions à ce sujet.

Le 23 septembre 1997, j'ai entendu en audience ex parte l'avocat du procureur général du Canada qui a déposé à cette occasion des témoignages par affidavit à l'appui de son assertion que la publication d'informations, quelles qu'elles soient, sur les personnes visées par la clause en question, savoir certains étrangers en visite au Canada, compromettrait la sécurité nationale en révélant les techniques et l'objet des enquêtes du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). À la lumière des témoignages produits, j'ai accepté d'occulter des motifs de mon ordonnance toute mention de la clause des "visiteurs". Le texte révisé de mes motifs d'ordonnance a été rendu public le 23 septembre 1997.

Le 1er octobre 1997, je lis en page A3 du quotidien Ottawa Citizen un article où figure la phrase suivante:

[traduction] La porte-parole du SCRS, Marcia Wetherup, a confirmé que le Service avait eu recours à cette clause "nombre de fois" dans ses enquêtes sur des étrangers en visite au Canada . [Non souligné dans l'original.]

Je conclus de cet article que le SCRS a pu diffuser l'information même que j'avais accepté de ne pas divulguer, sur la foi des témoignages produits le 23 septembre 1997 par le SCRS au sujet de la sécurité nationale.

Le 2 octobre 1997, j'ai ordonné à l'avocat du procureur général du Canada de comparaître devant moi pour présenter ses conclusions sur la question de savoir si les motifs de mon ordonnance en la matière devaient être rendus publics dans leur version primitive, non révisée, vu la déclaration attribuée par le quotidien Ottawa Citizen à Mme Wetherup, la porte-parole du SCRS. L'avocat du procureur général du Canada a commencé à essayer d'expliquer l'information donnée par Mme Wetherup aux médias. Je lui ai fait savoir que ses explications n'étaient pas satisfaisantes, et que cette dernière devrait venir témoigner devant moi. Après un bref ajournement, Mme Wetherup a témoigné sous serment au sujet de l'information qu'elle avait communiquée aux journalistes. Dans le cours de son témoignage, elle a reconnu qu'elle avait confirmé à l'intention des médias que la clause en question avait servi pour les enquêtes sur des étrangers en visite au Canada.

L'avocat du procureur général du Canada soutient que je ne devais pas rendre publique la version non révisée des motifs de mon ordonnance, étant donné que ce que disait Mme Wetherup aux journalistes ne représentait pas la position du SCRS. Je ne peux accepter cet argument pour la raison, simple et évidente, que Mme Wetherup a tenu ces propos en sa qualité officielle de porte-parole du SCRS. Dans ces conditions, le SCRS ne peut prétendre maintenant s'en dissocier. Étant donné que l'information dont l'occultation a été demandée pour cause de sécurité nationale est devenue maintenant publique, du fait qu'elle a été confirmée par la porte-parole du SCRS, il n'y a plus de raison de ne pas rendre publique la version non révisée des motifs de mon ordonnance.

Les motifs de mon ordonnance du 19 septembre 1997 seront immédiatement rendus publics.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge McGillis: Un employé désigné du Service canadien du renseignement de sécurité (le Service) a demandé, avec l'autorisation du solliciteur général du Canada, que des mandats soient délivrés en vertu de l'article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, et modifications (la Loi), pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada1. Dans la preuve soumise avec sa demande, l'employé désigné a déposé un affidavit portant sur les points énumérés au paragraphe 21(2) de la Loi et a cherché à faire inclure dans les mandats diverses dispositions, dont une clause des "endroits fréquentés", une clause "omnibus" et une clause des "visiteurs", qui permettraient au Service de faire enquête sur les menaces en question. Aux termes des mandats, la clause des "endroits fréquentés" demandée permettrait au Service d'intercepter les communications d'une cible et d'utiliser les autres pouvoirs accordés dans le mandat en un lieu, autre qu'un lieu désigné nommément, que le Service croit que la cible fréquente ou fréquentera; la clause "omnibus" permettrait l'interception de communications de personnes inconnues en des endroits précisés dans le mandat. La clause des "visiteurs" demandée irait au-delà des limites imposées dans la clause des "endroits fréquentés" et la clause "omnibus" et permettrait au Service d'utiliser, en tout lieu, les pleins pouvoirs accordés dans le mandat contre les personnes de la catégorie suivante:

a) les personnes appartenant à une nationalité particulière;

b) admises au Canada à titre de visiteurs;

c) identifiées pertinemment dans les banques de données du Service comme étant des agents de renseignement2;

d) au sujet desquelles le directeur général de l'Antiterrorisme (ou une autre personne du même niveau) a des motifs raisonnables de croire qu'elles se livreront à l'espionnage (ou à toute autre activité constituant une menace) lorsqu'elles seront au Canada.

Le 28 août 1997, j'ai présidé une audition ex parte de la demande, au cours de laquelle j'ai exprimé des réserves quant à la légalité de la clause des "visiteurs" demandée. À la demande de l'avocat du demandeur, j'ai ajourné l'audition afin de lui permettre de déposer une preuve supplémentaire par affidavit. Le même jour, j'ai exigé qu'il dépose des observations écrites sur la question de savoir si la clause des "visiteurs" demandée constitue une délégation illicite à un employé du Service des pouvoirs conférés à un juge en vertu de l'article 21 de la Loi. Le 2 septembre 1997, j'ai repris l'audition et décerné en partie les mandats demandés, mais j'ai décidé d'y supprimer la clause des "visiteurs" demandée jusqu'à ce que j'aie statué sur sa légalité.

Dans ses observations écrites, l'avocat du procureur général du Canada a admis avec raison qu'un juge ne pouvait pas licitement, en vertu de l'article 21 de la Loi, autoriser un employé du Service à identifier une cible et à prendre la décision d'utiliser des pouvoirs d'enquête intrusifs contre cette personne. L'avocat a reconnu que, en incluant une clause des "visiteurs" dans un mandat, le juge se trouverait à [traduction ] "endosser à l'avance des décisions du Service quant à l'utilisation éventuelle de certains pouvoirs d'enquête au cours de la durée du mandat". Il a aussi reconnu que la clause des "visiteurs" [traduction ] "permet un degré de délégation à un employé du Service d'exercer un pouvoir discrétionnaire à l'intérieur de paramètres fixés par le juge désigné de la Cour fédérale qui décerne le mandat". Il a toutefois avancé que les [traduction ] "paramètres clairs" limitant la clause des "visiteurs" la rendaient licite. L'avocat du procureur général du Canada a tenté de justifier la nécessité de la clause des "visiteurs" en indiquant qu'un service de renseignement adverse conduit souvent ses activités à l'intérieur même des frontières de son pays, mais qu'il [traduction ] "utilise les délégations, les entreprises conjointes et les visites de courtes durées comme moyens de recueillir des renseignements sur un autre pays". Il a affirmé que, dans ces circonstances, il serait [traduction ] "très difficile" pour le Service de faire enquête sur certaines personnes en utilisant [traduction ] "seulement des techniques d'enquête sans mandat". Il a ajouté que [traduction ] "des renseignements précieux sur des activités constituant une menace qui sont exercées par une agence de renseignement d'un pays adverse ou par une organisation terroriste peuvent être perdus". L'avocat du procureur général du Canada n'a déposé aucune autre preuve par affidavit sur ce point.

Afin de décider si la clause des "visiteurs" délègue illicitement à un employé du Service les pouvoirs qui sont conférés à un juge en vertu de l'article 21 de la Loi, il est important de se reporter à certains principes qui ont été dégagés dans le contexte de l'article 8 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés , qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] quant à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives3. Dans l'arrêt de principe Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, le juge Dickson (plus tard juge en chef), s'exprimant au nom de la Cour, à la page 158 des motifs, a interprété l'article 8 de la Charte comme garantissant "un droit général à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives" et a pris en considération le but recherché pour trouver la limite inhérente de ce droit. Dans le contexte de son analyse, deux des quatre facteurs qu'il a examinés dans Hunter et autres c. Southam Inc. , précité, sont importants aux fins de l'espèce: quand apprécier l'équilibre des droits et qui doit accorder l'autorisation.

En ce qui a trait à l'appréciation de l'équilibre des droits, le juge Dickson a déterminé, à la page 160 des motifs, que cette protection des particuliers "contre les intrusions injustifiées de l'État dans leur vie privée" ne pouvait "se faire . . . que par un système d'autorisation préalable et non de validation subséquente". À cet égard, il a affirmé [aux pages 160 et 161]:

L'exigence d'une autorisation préalable, qui prend habituellement la forme d'un mandat valide, a toujours été la condition préalable d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie valides sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une telle exigence impose à l'État l'obligation de démontrer la supériorité de son droit par rapport à celui du particulier. Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'État au droit de ce dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.

Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie.

Ayant établi la nécessité de l'autorisation préalable, je juge Dickson a examiné l'importante question de savoir qui doit accorder l'autorisation. Il a affirmé aux pages 161 et 162:

L'exigence d'une autorisation préalable vise à donner l'occasion, avant le fait, d'apprécier les droits opposés de l'État et du particulier, de sorte qu'on ne puisse porter atteinte au droit du particulier à la vie privée que si l'on a satisfait au critère approprié, et si la supériorité des intérêts de l'État peut être démontrée. Pour qu'un tel processus d'autorisation ait un sens, il faut que la personne qui autorise la fouille ou la perquisition soit en mesure d'apprécier, d'une manière tout à fait neutre et impartiale, la preuve offerte quant à la question de savoir si on a satisfait à ce critère. En common law, le pouvoir de décerner un mandat de perquisition était réservé à un juge de paix. Dans l'arrêt anglais récent Inland Revenue Commissioners v. Rossminster Ltd., [1980] 1 All E.R. 80, le vicomte Dilhorne laisse entendre, à la p. 87, que le pouvoir d'autoriser des fouilles, des perquisitions et des saisies administratives doit être confié à [traduction] "un juge expérimenté". Bien qu'il puisse être sage, vu la nature délicate de cette tâche, de confier à un fonctionnaire judiciaire la décision d'accorder une autorisation, je suis d'accord avec le juge Prowse pour dire qu'il ne s'agit pas d'une condition préalable nécessaire pour sauvegarder le droit enchâssé à l'art. 8. Il n'est pas nécessaire que la personne qui exerce cette fonction soit un juge, mais elle doit au moins être en mesure d'agir de façon judiciaire.

Appliquant ces principes au régime légal en cause dans l'affaire qu'il devait trancher, le juge Dickson a fait ressortir la distinction nette entre pouvoirs d'enquête et pouvoirs de décision et a conclu aux pages 164 et 165 que le système d'autorisation préalable créé par la législation contestée violait l'article 8 de la Charte au motif qu'il ne comportait pas l'exigence d'"un arbitre vraiment neutre et impartial pour autoriser les fouilles ou les perquisitions". Dans son analyse de ce point, il a affirmé à la page 164:

À mon avis, l'attribution à la Commission ou à ses membres de pouvoirs d'enquête importants a pour effet d'empêcher le membre de la Commission d'agir de façon judiciaire lorsqu'il autorise une fouille, une perquisition ou une saisie en vertu du par. 10(3). Il ne s'agit pas, bien sûr, de mettre en doute l'honnêteté ou la bonne foi de la Commission ou de ses membres. C'est là plutôt une conclusion que la nature administrative des devoirs d'enquête de la Commission (qui a comme points de référence appropriés l'intérêt public et l'application efficace de la Loi) cadre mal avec la neutralité et l'impartialité nécessaires pour évaluer si la preuve révèle qu'on a atteint un point où les droits du particulier doivent constitutionnellement céder le pas à ceux de l'État. Un membre de la CPRC qui examine l'opportunité de procéder à une perquisition en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions est touché par la maxime nemo judex in sua causa. Il ne peut tout simplement pas être l'arbitre impartial nécessaire pour accorder une autorisation valable.

Bref, le juge Dickson a conclu dans Hunter et autres c. Southam Inc., précité, que, comme exigence constitutionnelle minimale, la personne autorisant la fouille ou perquisition doit être soit un juge soit une personne pouvant agir de façon judiciaire.

Dans l'arrêt rendu à la majorité R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111, la Cour suprême du Canada a rappelé cette exigence que les pouvoirs de décision quant à l'autorisation d'une fouille, perquisition ou saisie ne soient pas délégués à un organisme d'enquête. Aux pages 1134 et 1135, le juge Sopinka s'est exprimé dans les termes suivants:

Contrairement à l'autorisation en cause dans l'arrêt Grabowski, les autorisations visées en l'espèce ne permettent pas d'intercepter les communications de n'importe qui n'importe où dans la province. Elles sont limitées aux lieux et aux endroits fréquentés par certains individus nommés. Les tribunaux ont déclaré invalide une clause omnibus qui permettrait l'interception des communications de toute personne inconnue des policiers au moment de la demande d'autorisation et qui permettrait aux policiers d'intercepter ces communications n'importe où, pourvu qu'il y ait des motifs raisonnables et probables de croire que l'interception pourra être utile à l'enquête. Le fondement de cette décision est qu'une telle clause confère aux policiers le pouvoir discrétionnaire d'intercepter les communications privées de toute personne s'il existe des motifs raisonnables et probables de croire que les interceptions seraient utiles aux enquêtes, ce qui relève de la fonction que la loi attribue au juge qui accorde l'autorisation: voir les arrêts R. v. Paterson, Ackworth and Kovach (1985), 18 C.C.C. (3d) 137 (C.A. Ont.), conf. [1987] 2 R.C.S. 291. En l'espèce, ni l'alinéa c) ni l'alinéa d) des autorisations ne relèvent de cette catégorie. Chacun contient des restrictions. L'alinéa c) est restreint aux personnes nommées. L'alinéa d) est restreint aux personnes qui fréquentent ou utilisent les lieux désignés ou communiquent avec les personnes nommées. Quant aux lieux, chacun est limité aux lieux fréquentés par cinq individus nommés. On ne peut donc dire que les alinéas délèguent aux policiers le soin de décider si les interceptions seraient utiles à l'enquête. C'est le juge qui a donné les autorisations qui s'est prononcé à cet égard compte tenu des liens avec les cibles mentionnées précédemment. [Non souligné dans l'original.]

En l'espèce, la question est de savoir si la clause des "visiteurs" demandée délègue illicitement à un employé du Service les pouvoirs assignés à un juge en vertu de l'article 21 de la Loi. Pour répondre à cette question, il faut examiner le but et la teneur de la clause des "visiteurs". L'examen de chaque mandat dans son ensemble confirme que la clause des "visiteurs", mise en contexte, a pour but de compléter la clause des "endroits fréquentés" et la clause "omnibus" en étendant la portée du mandat et en permettant l'utilisation de tous les pouvoirs d'enquête intrusifs du mandat contre certaines personnes dans des circonstances non prévues par l'une ou l'autre des deux autres clauses. Autrement dit, une personne à qui s'appliquerait par ailleurs précisément la clause des "visiteurs" et qui soit fréquenterait un endroit où il y aurait interceptions d'une cible, soit communiquerait avec une cible dont les communications seraient interceptées, pourrait licitement voir ses communications interceptées aux termes du mandat, eu égard soit à la clause des "endroits fréquentés", soit à la clause "omnibus", selon le cas. Dans ces circonstances, une clause des "visiteurs" ne serait pas nécessaire pour permettre au Service d'intercepter licitement les communications du "visiteur". La portée de la clause des "visiteurs" s'étend donc bien au-delà de la clause des "endroits fréquentés" ou de la clause "omnibus". En pratique, la clause des "visiteurs" permettrait au Service d'utiliser contre une personne tous les pouvoirs d'enquête intrusifs du mandat, à la suite d'une évaluation de la preuve disponible par un employé du Service et de sa décision qu'il y a des motifs raisonnables de croire que la cible visée se livrera à des activités qui constituent une menace à la sécurité du Canada. En d'autres termes, la clause des "visiteurs" confère à un employé du Service le pouvoir discrétionnaire d'appliquer les dispositions du mandat contre une personne, sans que jamais un juge n'examine la preuve pour déterminer si des pouvoirs d'enquête intrusifs devraient être utilisés contre cette personne. En vertu de l'alinéa 21(2)a ) et du paragraphe 21(3) de la Loi, c'est le juge saisi ex parte de la demande de mandat qui doit lui-même être convaincu que les faits établissent l'existence de motifs raisonnables de croire à la nécessité de la délivrance d'un mandat. En attribuant ce pouvoir à un employé du Service, la clause des "visiteurs" lui délègue les pouvoirs que la loi confie à un juge4 . Rien dans la Loi ne permet la délégation des pouvoirs conférés au juge en vertu de l'alinéa 21(2)a) et du paragraphe 21(3). En outre, même si la Loi permettait la délégation (ce qui n'est pas le cas), cela contreviendrait à l'exigence constitutionnelle minimale établie dans Hunter et autres c. Southam Inc., précité, en ce sens qu'elle habiliterait un employé du Service, qui, de par la nature même de son poste, exerce des pouvoirs d'enquête et non des pouvoirs judiciaires, à apprécier la preuve et à appliquer contre une personne l'ensemble des pouvoirs d'enquête intrusifs du mandat. Pour ces motifs, je conclus que les dispositions de la clause des "visiteurs" constituent une délégation illicite à un employé du Service des pouvoirs conférés à un juge en vertu de l'alinéa 21(2)a ) et du paragraphe 21(3) de la Loi.

Dans ses observations écrites, l'avocat du procureur général du Canada a affirmé qu'il serait [traduction] "très difficile pour le Service de faire enquête sur des activités qui représentent une menace", dans les circonstances envisagées par la clause des "visiteurs", [traduction ] "en utilisant seulement des techniques d'enquête sans mandat". Comme je l'ai indiqué précédemment, le Service peut utiliser la clause des "endroits fréquentés" et la clause "omnibus" pour faire enquête sur ces personnes. En outre, si la preuve est telle qu'elle permet à un employé du Service d'examiner l'opportunité d'une clause des "visiteurs", cette même preuve peut tout aussi bien être présentée à un juge par voie de demande d'urgence. En fait, un juge est de service, vingt-quatre heures par jour, précisément pour l'audition de telles demandes. Le fait qu'il puisse être plus pratique qu'un employé du Service exerce ce pouvoir est absolument sans pertinence.

À l'occasion, il est utile de rappeler que le but du contrôle judiciaire créé par l'article 21 de la Loi est de garantir une analyse objective et impartiale des faits allégués dans la demande de mandat pour qu'il puisse être déterminé si les intérêts de l'État doivent l'emporter sur le droit constitutionnel d'un particulier d'être protégé contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives. Comme le juge Mahoney, J.C.A., l'a affirmé dans l'arrêt Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F. 107 (C.A.), à la page 140, "la crédibilité du Service dépend de façon directe et indiscutable, mais aucunement de façon exclusive, de la crédibilité de la présence judiciaire au sein du système". Bien que cela aille sans dire, rien ne devrait jamais être fait pour altérer ou diminuer les pouvoirs que la Loi confère expressément aux juges.

La demande d'inclusion d'une clause des "visiteurs" dans les mandats est par conséquent rejetée.

1 L'art. 21 de la Loi est reproduit en annexe A des présents motifs d'ordonnance.

2 Dans une autre version de la clause des "visiteurs", les mots "comme étant membres du groupe X" sont substitués à "comme étant des agents de renseignement".

3 L'art. 8 de la Charte porte que:

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

4 Même l'avocat du procureur général du Canada a admis que la clause des "visiteurs" permet un certain "degré de délégation" à un employé du Service.

ANNEXE "A"

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité

PARTIE II

CONTRÔLE JUDICIAIRE

21. (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l'approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s'il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d'exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l'article 16.

(2) La demande visée au paragraphe (1) est présentée par écrit et accompagnée de l'affidavit du demandeur portant sur les points suivants:

a) les faits sur lesquels le demandeur s'appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire aux fins visées au paragraphe (1);

b) le fait que d'autres méthodes d'enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l'urgence de l'affaire est telle qu'il serait très difficile de mener l'enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées au paragraphe (1) ne pourraient être acquises;

c) les catégories de communications dont l'interception, les catégories d'informations, de documents ou d'objets dont l'acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas (3)a) à c) dont l'exercice, sont à autoriser;

d) l'identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

e) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat demandé;

f) si possible, une description générale du lieu où le mandat demandé est à exécuter;

g) la durée de validité applicable en vertu du paragraphe (5), de soixante jours ou d'un an au maximum, selon le cas, demandée pour le mandat;

h) la mention des demandes antérieures touchant des personnes visées à l'alinéa d), la date de chacune de ces demandes, le nom du juge à qui elles ont été présentées et la décision de celui-ci dans chaque cas.

(3) Par dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur la statistique, le juge à qui est présentée la demande visée au paragraphe (1) peut décerner le mandat s'il est convaincu de l'existence des faits mentionnés aux alinéas (2)a) et b) et dans l'affidavit qui accompagne la demande; le mandat autorise ses destinataires à intercepter des communications ou à acquérir des informations, documents ou objets. À cette fin, il peut autoriser aussi, de leur part:

a) l'accès à un lieu ou un objet ou l'ouverture d'un objet;

b) la recherche, l'enlèvement ou la remise en place de tout document ou objet, leur examen, le prélèvement des informations qui s'y trouvent, ainsi que leur enregistrement et l'établissement de copies ou d'extraits par tout procédé;

c) l'installation, l'entretien et l'enlèvement d'objets.

(4) Le mandat décerné en vertu du paragraphe (3) porte les indications suivantes:

a) les catégories de communications dont l'interception, les catégories d'informations, de documents ou d'objets dont l'acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas (3)a) à c) dont l'exercice, sont autorisés;

b) l'identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

c) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat;

d) si possible, une description générale du lieu où le mandat peut être exécuté;

e) la durée de validité du mandat;

f) les conditions que le juge estime indiquées dans l'intérêt public.

(5) Il ne peut être décerné de mandat en vertu du paragraphe (3) que pour une période maximale:

a) de soixante jours, lorsque le mandat est décerné pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada au sens de l'alinéa d) de la définition de telles menaces contenue à l'article 2;

b) d'un an, dans tout autre cas.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.