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A-652-96

Zahid Mohammad (requérant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié: Mohammadc. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges MacGuigan, Robertson et McDonald, J.C.A."Toronto, 11 juin; Ottawa, 28 juillet 1997.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Contrôle judiciaire d'une décision de la C.C.I. de réduire le montant des intérêts déductibles en vertu de l'art. 67 de la Loi de l'impôt sur le revenuLe contribuable a acheté avec un autre acquéreur une propriété résidentielle afin de la mettre en location, dans le but de réaliser un gain en capitalLes acquéreurs ont pris en charge l'hypothèque existante, et chacun a fait un apport de 25 000 $ que le contribuable a empruntésL'art. 67 de la Loi exige que la dépense déductible soit raisonnableLe M.R.N. a refusé la déduction des pertes locatives au motif qu'il n'y avait pas d'expectative raisonnable de profitLe juge de la C.C.I. a statué qu'il était déraisonnable de financer le coût d'acquisition à 100 p. 100, et par conséquent que les frais d'intérêts payés sur l'emprunt de 25 000 $ n'étaient pas déductiblesLa doctrine judiciaire de l'expectative raisonnable de profit, et le concept de dépense raisonnable en vertu de l'art. 67 doivent être invoqués et appliqués de façon indépendanteL'art. 67 ne doit pas être utilisé d'une manière arbitraire, pour atténuer le côté rigoureux du critère relatif à l'expectative raisonnable de profitCelui-ci doit être appliqué de la façon la plus objective possibleLe financement total n'est ni un empêchement à la déduction de la perte locative ni un motif pour réduire le montant des intérêts déductiblesLe caractère raisonnable d'une dépense déductible par ailleurs n'est pas évalué en faisant référence au fait de savoir si une dépense en particlier, ou des dépenses prises collectivement, sont disproportionnées par rapport aux revenusLe courant jurisprudentiel représenté par les décisions Ramsay c. M.R.N. et Elliott c. M.R.N. est dépasséLe refus d'autoriser la déduction des intérêts sur le prêt personnel est arbitraire parce qu'il n'y a pas fondement de principe à partir duquel on peut fixer la limite des frais d'intérêts à déduireLa C.C.I. a mal interprété et mal appliqué l'art. 67.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du juge de la Cour de l'impôt de réduire le montant des intérêts pouvant être déduits en vertu de l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu. En 1987, le contribuable requérant a acheté avec un coacquéreur une propriété résidentielle, dans l'intention de la louer pendant quelques années et ensuite de la revendre pour réaliser un gain en capital. Les acquéreurs ont pris en charge une hypothèque existante et chacun d'eux a fait un apport de 25 000 $ que le contribuable a obtenu au moyen d'un prêt bancaire personnel. Pendant les années en question, la propriété a été louée au taux du marché. En 1989, 1990 et 1991, la part des pertes locatives du contribuable s'est établie à 7 000 $, 9 000 $ et 8 000 $ respectivement. Pour les années d'imposition 1992 et 1993, les pertes ont diminué à 4 000 $ et à 1 000 $. En 1994, le contribuable a déclaré un modeste bénéfice de 760 $. L'article 67 dispose que, pour être déductible, une dépense doit être raisonnable dans les circonstances. Le ministre du Revenu national a refusé la déduction des pertes locatives du revenu d'emploi au motif qu'il n'y avait pas d'expectative raisonnable de profit. La Cour de l'impôt a statué que l'activité locative avait une expectative raisonnable de profit, mais qu'il n'était pas raisonnable que le contribuable finance la totalité du coût d'acquisition du bien pour ensuite déduire la totalité des frais d'intérêts.

La question est de savoir si la Cour de l'impôt a commis une erreur en refusant la déduction des intérêts payés sur le prêt personnel de 25 000 $.

Jugement: la demande doit être accueillie.

Il arrive souvent que des contribuables achètent un immeuble résidentiel à des fins de location en finançant la totalité du coût d'acquisition, et que le montant des intérêts annuels payables sur le prêt dépasse de beaucoup les revenus de location auxquels on pouvait raisonnablement s'attendre. Il ne peut y avoir d'expectative raisonnable de profit tant et aussi longtemps que des paiements importants ne sont pas faits sur le principal de la dette. Une perte locative peut être réclamée même si aucun paiement de ce genre n'a été fait au cours des années d'imposition en question, si le contribuable établit à la satisfaction de la Cour qu'il avait un plan réaliste en vue de réduire le principal de l'emprunt. Le contribuable s'acquittera de ce fardeau en démontrant que des paiements importants ont été faits sur le principal dans les années d'imposition suivant de près l'année de l'acquisition. Le dossier de la demande fait référence au fait que ces remboursements ont été faits, mais cette preuve ne semble pas avoir été produite devant le juge de la Cour de l'impôt et n'a pas été soulevée au cours de l'audition de la demande.

L'article 67 ne traite pas de la question de la déductibilité en soi. Dans le cas des paiements d'intérêts, la déductibilité dépend de l'alinéa 20(1)c) et du fait qu'ils respectent la règle d'utilisation directe formulée dans Bronfman Trust. Puisque le bien en question n'a pas été utilisé par le contribuable comme résidence personnelle et étant donné que le juge de la Cour de l'impôt a été convaincu que l'arrangement entre le contribuable et l'autre copropriétaire a été conclu par deux personnes non liées à des conditions acceptables sur le plan commercial, la question de la déductibilité en soi ne s'est pas posée.

Le ministre s'est appuyé sur une série de causes antérieures, ayant commencé avec Ramsay c. M.R.N., dans lesquelles les dépenses commerciales d'un contribuable ont été réduites au motif que la totalité des dépenses étaient excessives ou disproportionnées par rapport aux revenus, pour les fins de l'application de l'article 67. L'article 67 et ses prédécesseurs traitent du caractère raisonnable d'une dépense en particulier. La disposition ne traite pas du caractère raisonnable d'une dépense en particulier, ni de dépenses prises collectivement, évaluées au regard des revenus. Il peut y avoir des cas où les dépenses réclamées sont si énormes ou extravagantes qu'elles sont déraisonnables et, en même temps, si importantes qu'elles donnent lieu à une perte et donc que se pose la question de savoir si l'entreprise du contribuable avait une expectative raisonnable de profit. Mais ces deux questions demeurent indépendantes l'une de l'autre. Le concept du caractère raisonnable ne doit pas devenir synonyme d'arbitraire, terme qui qualifie on ne peut mieux la notion voulant que les dépenses ou une dépense ne peuvent être disproportionnées par rapport aux revenus, comme l'exprime la règle du tiers (les dépenses ne devraient habituellement pas excéder le tiers des revenus). Si l'on devait appliquer de telles notions de façon stricte, il pourrait arriver que les contribuables ne soient jamais en mesure de déduire une perte commerciale ou matérielle d'autres sources de revenu. La décision Ramsay laisse supposer qu'il doit y avoir une "expectative de profit raisonnable", par opposition à une "expectative raisonnable de profit". Limiter le montant des dépenses qui peuvent être déduites des revenus au motif qu'elles sont peut-être disproportionnées par rapport à ceux-ci équivaut presque à dire qu'un bénéfice de 1 $ ne sera jamais suffisant. Et pourtant, il est bien établi en droit que les expressions "expectative raisonnable de profit" et "expectative de profit raisonnable" ne sont pas synonymes. Le courant jurisprudentiel fondé sur le raisonnement de la décision Ramsay a été remplacé par la doctrine de l'expectative raisonnable de profit. L'article 67 de la Loi ne peut être invoqué pour limiter une dépense déductible par ailleurs au motif qu'elle est excessive ou disproportionnée par rapport aux revenus.

Le fait qu'un contribuable a financé la totalité du prix d'acquisition d'un bien ne détermine rien du tout en soi. Il est à la fois plausible et possible qu'un contribuable puisse acquérir un bien en le finançant totalement dans des cas où le revenu de location est susceptible d'excéder la totalité des dépenses locatives, y compris celles qui sont attribuables au paiement des intérêts. Dans de telles circonstances, il n'est pas pertinent de se demander si l'acquisition du bien a exigé un financement complet et une telle décision commerciale ne peut être qualifiée de déraisonnable. Cela dit, les contribuables qui sont incapables ou qui ne sont pas disposés à investir une certaine partie de leurs propres capitaux doivent établir que l'activité locative répond au critère de rentabilité imposés dans l'arrêt Moldowan.

Le refus d'autoriser le contribuable à déduire les intérêts payés sur le prêt de 25 000 $, dans le calcul de la perte ou du profit locatif dans une année d'imposition donnée est arbitraire et n'est pas conforme à l'objectif de l'article 67 de la Loi. Quand on évalue le caractère raisonnable d'une dépense, on mesure ce caractère raisonnable en termes de grandeur ou de quantum. Bien qu'une telle décision puisse faire intervenir un élément d'appréciation subjective de la part du juge des faits, il faut toujours rechercher un élément objectif. Dans les cas où l'élément objectif est difficile à isoler, l'expérience pratique doublée d'un bon sens commun devra prévaloir. Dans les cas où une dépense est d'une nature très inhabituelle ou tout à fait exceptionnelle par rapport à un type d'entreprise commerciale, on pourra avoir recours à un témoignage d'expert. Refuser la déduction d'une fraction des frais d'intérêts parce que l'acquisition a été financée à 100 p. 100 équivaut à établir un critère d'arbitraire et en fait à supplanter, de façon erronée et injustifiable, le critère de l'expectative raisonnable de profit par l'article 67 de la Loi. La décision du tribunal inférieur est arbitraire parce qu'il n'y a pas de fondement de principe à partir duquel on peut fixer la limite des frais d'intérêts à déduire. Aucun motif n'a été donné quant à savoir pourquoi les intérêts sur une hypothèque prise en charge devraient être autorisés et ceux payés sur le prêt personnel devraient être refusés. Compte tenu du fait que l'article 67 de la Loi impose un critère de caractère raisonnable, la seule façon rationnelle de limiter le montant des frais d'intérêts en vertu de cette disposition, sans risquer d'être accusé d'arbitraire, serait de refuser les frais de financement à partir du moment où la déduction d'autres intérêts entraînera une perte locative. Une dépense raisonnable serait une dépense qui ne donne pas lieu à une perte. Bien entendu, ce raisonnement est inacceptable étant donné qu'il rend tout à fait théorique la question de savoir si le contribuable avait une expectative raisonnable de profit.

lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 3d), 9(3), 20(1)c), 67.

Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 1100(11),(14) (mod. par DORS/90-22, art. 1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480; (1977), 77 D.L.R. (3d) 112; [1977] CTC 310; 77 DTC 5213; 15 N.R. 476; Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73; (1995), 96 DTC 6001; 191 N.R. 182 (C.A.).

décisions infirmées:

Cipollone (N.) c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 2598; [1994] E.T.C. 405 (C.C.I.); Ramsay c. M.R.N. (1954), 54 DTC 261 (C.R.I.); Elliott c. M.R.N. (1971), 71 DTC 106 (C.R.I.).

décisions citées:

Canada (Procureur général) c. Mastri,[1998] 1 C.F. 66 (C.A.); Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32; (1987), 36 D.L.R. (4th) 197; [1987] 1 C.T.C. 117; 87 DTC 5059; 25 E.T.R. 13; 71 N.R. 134; Ludmer (D.) c. M.R.N., [1993] 2 C.T.C. 2494; (1993), 93 DTC 1274 (C.C.I.); Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3; [1996] 3 C.T.C. 74; (1994), 95 DTC 5035; 182 N.R. 125 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée à [1995] 4 R.C.S. vii; Baker (C.B.) c. M.R.N., [1987] 2 C.T.C. 2271; (1987), 87 DTC 566 (C.C.I.); Aucoin c. M.R.N., [1991] 1 C.T.C. 2191; (1990), 91 DTC 313 (C.C.I.); Smith c. R., [1996] 1 C.T.C. 2022 (C.C.I.); Graves (G.) c. Canada, [1990] 1 C.T.C. 357; (1990), 90 DTC 6300; 33 F.T.R. 270 (C.F. 1re inst.); Qureshi (A.R.) c. M.R.N., [1992] 1 C.T.C. 2370; (1991), 92 DTC 1150 (C.C.I.); 74712 Alberta Ltd. c. M.R.N., [1997] 2 C.F. 471; (1997), 97 DTC 5126; 208 N.R. 348 (C.A.); Maloney (V.) c. M.R.N., [1989] 1 C.T.C. 2402; (1989), 89 DTC 314 (C.C.I.); Fish (S.) c. Canada, [1995] E.T.C. 403 (C.C.I.); Cheesmond (J.E.) c. Canada, [1995] E.T.C. 402 (C.C.I.); Nicols, C. et al. c. La Reine (1997), 97 DTC 1004 (C.C.I.); Pradeepan c. R., [1997] 2 C.T.C. 2015 (C.C.I.); Monga c. R., [1997] 1 C.T.C. 2529 (C.C.I.); Michael (T.P.) c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 2131; (1991), 91 DTC 1076 (C.C.I.); R c Matthews, D C, [1974] CTC 230; (1974), 74 DTC 6193 (C.F. 1re inst.); Narine (M.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2055 (C.C.I.); Adams c. R., [1996] 1 C.T.C. 2916; (1996), 96 DTC 1145 (C.C.I.).

doctrine

Hogg, Peter W. et J. E. Magee. Principles of Canadian Income Tax Law. Scarborough, Ont.: Carswell, 1995.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision de la Cour de l'impôt de réduire le montant des intérêts pouvant être déduits en vertu de l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu au motif qu'il était déraisonnable pour le contribuable de financer à 100 p. 100 le prix d'acquisition d'une propriété résidentielle mise en location (Mohammad c. R., [1997] 1 C.T.C. 2522 (C.C.I.)). Demande accueillie.

ont comparu:

Zahid Mohammad en son propre nom.

avocat:

Marie-Thérèse Boris pour l'intimée.

le requérant pour son propre compte:

Zahid Mohammad, Brampton (Ontario).

procureur:

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A.: Le ministre du Revenu national a refusé au contribuable requérant la possibilité de déduire certaines pertes locatives de son revenu d'emploi au motif qu'il n'avait pas respecté le critère de "l'expectative raisonnable de profit" énoncé par la Cour suprême dans Moldowan c. La Reine , [1978] 1 R.C.S. 480. En appel, la Cour canadienne de l'impôt a rejeté l'argument du ministre [Mohammad c. R., [1997] 1 C.T.C. 2522]. Simultanément, le juge de la Cour de l'impôt a invoqué l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] (ci-après la Loi) afin de réduire le montant des intérêts pouvant être déduits aux fins du calcul de la perte locative. Selon lui, il n'était pas raisonnable que le contribuable ait financé la totalité du coût d'acquisition du bien pour ensuite déduire la totalité des frais d'intérêts. D'après les faits de l'espèce, la partie des dépenses locatives composée des intérêts était en elle-même suffisante pour créer une perte même si les revenus n'avaient pas fléchi en-deçà des attentes du contribuable.

La présente demande de contrôle judiciaire vise à déterminer si le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en réduisant le montant des intérêts déductibles en vertu de l'article 67. En toute déférence, je crois que le contribuable doit avoir gain de cause. Cela dit, il est également évident qu'il y a de plus en plus de confusion quant à l'application appropriée de l'article 67, qui traite du caractère raisonnable d'une dépense par ailleurs déductible, et la doctrine judiciaire de l'expectative raisonnable de profit. Cette doctrine traite de la question de savoir si le contribuable a une "source de revenu" à partir de laquelle il peut calculer soit une perte soit un profit sur la location. Les présents motifs abordent les questions fondamentales de savoir comment l'article 67 doit être appliqué et quelle est son interaction avec la doctrine de l'expectative raisonnable de profit.

En 1987, le contribuable requérant et Peter Robbins ont convenu d'acheter une propriété résidentielle à Oakville afin de la mettre en location. Leur intention était de louer la propriété pendant quelques années et ensuite de la revendre pour réaliser un gain en capital. Le prix d'achat était de 181 000 $ et l'acquisition a été financée par la prise en charge de l'hypothèque de premier rang de 131 000 $ et par l'apport d'une somme de 25 000 $ en espèces par chacun des copropriétaires. Pour financer sa part du prix d'achat, le contribuable a obtenu un prêt bancaire personnel au taux d'intérêt en vigueur. (En 1991, le prêt personnel a été remboursé en augmentant le montant de l'hypothèque qui avait été prise en charge.) Après l'achat de la propriété en novembre 1987, les copropriétaires n'ont pas réussi à trouver immédiatement un locataire. Il a donc été convenu que M. Robbins occuperait la propriété résidentielle contre un loyer de 1 500 $ par mois, porté à 1 550 $ en 1989. En juillet 1990, la propriété a été louée à M. et Mme Slipp pour un montant de 1 250 $ par mois. Leur bail résidentiel a pris fin en août de cette année quand M. Robbins s'est marié et que son épouse et lui-même ont décidé d'occuper la propriété pour un loyer mensuel de 1 300 $. Au cours de la période de location en question, les copropriétaires avaient décidé de ne pas vendre la propriété à cause de la baisse du marché immobilier à Oakville et des pertes financières (en capital) qu'ils subiraient à la vente de la maison.

Pour les années d'imposition 1989, 1990 et 1991, la part des pertes locatives du contribuable s'est établie à 7 000 $, 9 000 $ et 8 000 $, respectivement. Pour les années d'imposition 1992 et 1993, les pertes ont diminué à 4 000 $ et 1 000 $. En 1994, le contribuable a déclaré un modeste bénéfice de 760 $. Le ministre n'a pas autorisé la déduction des pertes locatives sur les autres sources de revenu du contribuable, notamment sur le revenu tiré de son emploi, pour deux motifs. Premièrement, le ministre a soutenu qu'il n'y avait pas d'expectative raisonnable de profit et, par conséquent, qu'il n'y avait pas de source de revenu tiré d'un bien sur laquelle une perte locative pouvait être calculée, et encore moins réclamée. Deuxièmement, le ministre a fait valoir que dans les circonstances la totalité des frais d'intérêts n'était pas raisonnable et ne pouvait donc être déduite en vertu de l'article 67 de la Loi.

S'appuyant sur l'arrêt Moldowan, précité, et la décision de la présente Cour dans Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73 (C.A.), le juge de la Cour de l'impôt a statué que l'activité locative avait une expectative raisonnable de profit et, par conséquent, qu'à une réserve près, le contribuable avait le droit de déduire la perte locative de son revenu d'emploi pour chacune des années d'imposition visées: quant à la véritable signification qu'il convient de donner à Tonn, voir Canada (Procureur général) c. Mastri, [1998] 1 C.F. 66 (C.A.). La réserve a trait à l'autre décision selon laquelle il n'était pas raisonnable que le contribuable finance la totalité du coût d'acquisition de la propriété. Le juge de la Cour de l'impôt indique ceci à la page 2527 de ses motifs:

À mon avis, la déductibilité des intérêts sur le prêt contracté en vue d'effectuer le versement initial n'était pas une dépense raisonnable. La déduction de ces intérêts devrait être rejetée en vertu de l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il n'est pas raisonnable pour un particulier (ou dans ce cas-ci une société de personnes) d'acheter un immeuble, d'emprunter la totalité du montant que celui-ci coûte, puis de s'attendre à le louer et à réaliser un bénéfice après avoir déduit des frais d'intérêts sur la totalité du coût.

L'appelant déclare que son objectif était de réaliser un gain en capital mais, pour être un capitaliste, il faut avoir des capitaux. L'appelant n'avait pas investi lui-même de capitaux dans cette opération. Tout l'argent a été emprunté. En tant qu'activité locative, l'entreprise était sous-capitalisée. Il n'était pas raisonnable de financer l'immeuble à 100 p. 100.

Le contribuable conteste les conclusions selon lesquelles il n'était pas raisonnable de financer à 100 p. 100 le coût d'achat et, corrélativement, que les intérêts payés sur le prêt personnel de 25 000 $ n'étaient pas déductibles aux termes de l'article 67 de la Loi. En toute déférence, je suis d'avis que ces objections sont bien fondées. Pour les motifs indiqués ci-après, je suis d'avis qu'il est tout simplement arbitraire de refuser une partie des frais d'intérêts réellement payés par le contribuable dans un cas où l'achat d'une propriété en location a été financé à 100 p. 100. Cela dit, je pense qu'il est tout à fait évident que l'article 67 de la Loi est invoqué, à tort, pour traiter d'une question qui devrait être réglée en appliquant la doctrine de l'expectative raisonnable de profit. Il n'est pas difficile de dégager de la jurisprudence la nature et la source véritables du problème qui sont renforcées par les faits de la cause. Je prends pour acquis que toute analyse de l'article 67 doit être précédée d'une analyse qui expose la véritable nature du problème fondamental et une compréhension appropriée des principes de la doctrine de l'expectative raisonnable de profit.

Il arrive souvent que des contribuables achètent un immeuble résidentiel à des fins de location en finançant la totalité du coût d'acquisition. La situation type est celle d'un contribuable qui occupe à plein temps un emploi tout à fait indépendant. Trop fréquemment, le montant des intérêts annuels payables sur le prêt dépasse de beaucoup les revenus de location auxquels on pouvait raisonnablement s'attendre. Cela est vrai, même en faisant abstraction des baisses imprévues du marché locatif ou de la survenance d'autres événements qui ont des répercussions négatives sur la rentabilité de l'activité locative, par exemple, les frais d'entretien et de réparation et des dépenses autres qu'en capital. Dans bon nombre de cas, la composante intérêts est si importante qu'une perte locative est enregistrée avant même que d'autres dépenses locatives autorisées soient prises en compte dans l'état des résultats. Les faits sont tels qu'il n'est pas nécessaire d'avoir l'expérience d'un analyste du marché immobilier pour comprendre qu'un bénéfice ne peut être réalisé tant que les frais d'intérêts ne sont pas réduits en remboursant le principal du prêt. Autrement dit, il y a des cas où le contribuable n'est pas en mesure de respecter à première vue la doctrine de l'expectative raisonnable de profit. Il ne s'agit pas de cas où l'on demande à la Cour de l'impôt de faire des conjectures sur le sens des affaires d'un contribuable dont l'entreprise commerciale ou l'investissement se révèle moins rentable que prévu. Ce sont plutôt des cas où, dès le départ, les contribuables savent qu'ils subiront une perte et qu'ils devront compter sur d'autres sources de revenu pour payer la dette relative à l'immeuble en location.

Les faits de la présente cause illustrent l'effet débilitant d'un financement à ratio élevé sur la rentabilité d'une activité locative. Pour l'année d'imposition 1989, la part du revenu brut que le contribuable a tiré de la location était de 9 075 $. Bien que sa part des dépenses se soit élevée à 16 320 $, la composante intérêts était de 13 212 $. En 1990, les choses ont empiré puisque le revenu de location a fléchi à 8 552 $ et que les dépenses ont grimpé à 18 182 $, dont 15 826 $ de frais d'intérêts. Au cours des années d'imposition en question, la propriété a été louée au taux du marché. Ce n'est pas un cas où les revenus sont inférieurs aux attentes. C'est plutôt un cas où le contribuable ne pouvait raisonnablement s'attendre à réaliser un bénéfice tant que le montant principal de l'emprunt contracté ne serait pas réduit de façon correspondante.

L'absence de bénéfice immédiat ne semble pas avoir dissuadé les contribuables de s'engager sur le marché locatif pour au moins deux raisons. Premièrement, le gain qu'ils espéraient réaliser au moment de la vente de la propriété pouvait être perçu comme une compensation pour les pertes découlant du paiement des intérêts, d'autant plus si le bénéfice est imposé comme gain en capital. (Voir la discussion ci-dessous quant à la déductibilité des intérêts en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi, lorsque le bien est acheté dans le but de réaliser un gain en capital.) Deuxièmement, l'impact des frais d'intérêts peut être diminué si la perte locative peut être déduite d'autres sources de revenu, par exemple d'un revenu d'emploi, aux termes de l'alinéa 3d) de la Loi. Ces réalités fiscales permettent d'expliquer pourquoi les particuliers évitent de se constituer en société quand ils décident de devenir propriétaires d'immeubles locatifs. Il est bien établi en droit fiscal que les pertes ne peuvent être transférées d'un contribuable à un autre, sauf dans le cadre de plans de planification fiscale extrêmement compliqués: voir Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536. Ainsi donc, il peut être prudent de différer la constitution d'une société jusqu'à ce que l'immeuble locatif génère un bénéfice. Le dernier aspect de planification fiscale de ce genre d'opérations est que les contribuables renoncent consciemment à leur droit de réclamer une déduction pour amortissement pour deux raisons. D'abord, le contribuable doit tenir compte des dispositions de récupération de la Loi qui entrent en ligne de compte à l'aliénation de l'immeuble. Deuxièmement, la Loi n'autorise pas les contribuables à utiliser la déduction pour amortissement pour créer ou augmenter une perte locative: voir les paragraphes 1100(11) et (14) [mod. par DORS/90-22, art. 1] du Règlement de l'impôt sur le revenu [C.R.C., ch. 945].

Abstraction faite des considérations précitées sur les motifs que poursuivent les contribuables, il ressort que ce groupe de contribuables ne peut avoir aucune expectative raisonnable de profit parce que la composante intérêts des dépenses locatives excède le revenu brut que l'on peut s'attendre de tirer de la location. Donc, tant que le principal des prêts ayant servi à l'acquisition n'est pas réduit, il ne peut y avoir d'expectative raisonnable de profit. Toutefois, si la composante intérêts des dépenses locatives peut être réduite d'une façon quelconque, il est plus facile de soutenir que l'activité peut être rentable, conclusion qui permettra au contribuable de déduire une partie de la perte locative de son revenu d'emploi. L'une des façons de parvenir à cette fin est d'invoquer l'article 67 de la Loi. Bref, si on réduit le montant des intérêts déduits au motif, par exemple, que les intérêts payés sur le prêt ayant servi à financer à 100 p. 100 l'achat de la propriété sont déraisonnables, alors le critère de l'expectative raisonnable de profit imposé par l'arrêt Moldowan, précité, peut soit être évité ou, à tout le moins, être plus facile à respecter. En toute déférence, toutefois, je ne crois pas que l'article 67 puisse être utilisé de cette façon.

L'analyse précitée a pour but de démontrer qu'il ne peut y avoir d'expectative raisonnable de profit tant et aussi longtemps que des paiements importants ne sont pas faits sur le principal de la dette. Cela mène inévitablement à la question de savoir si une perte locative peut être réclamée même si aucun paiement de ce genre n'a été fait au cours des années d'imposition en question. Je répondrais par l'affirmative, mais en ajoutant cependant quelques réserves. Le contribuable doit établir à la satisfaction de la Cour de l'impôt qu'il ou elle avait un plan réaliste en vue de réduire le principal de l'emprunt. Comme tout propriétaire l'apprend tôt ou tard, presque toutes les mensualités hypothécaires sont imputées au paiement des intérêts pendant les cinq premières années d'un prêt hypothécaire amorti sur vingt à vingt-cinq ans. Il est tout simplement irréaliste de s'attendre à ce que le système fiscal canadien subventionne l'acquisition d'un immeuble de rapport pour des périodes indéfinies. Les contribuables qui ont l'intention de financer l'acquisition d'un immeuble à usage locatif de façon qu'aucun bénéfice ne soit déclaré, malgré qu'ils aient touché la totalité des revenus locatifs prévus, ne doivent pas s'attendre à bénéficier d'un traitement fiscal favorable en l'absence d'une preuve objective et convaincante de leur intention et de leur capacité financière de rembourser une part importante de l'emprunt ayant servi à l'achat dans les quelques années qui suivent l'acquisition du bien. Si, en raison du niveau de financement, l'immeuble ne peut générer suffisamment de bénéfices pouvant servir à réduire l'emprunt en cours, alors le contribuable doit trouver d'autres sources de revenu pour parvenir à ce résultat. Si les autres sources de revenu d'un contribuable, par exemple, le revenu tiré d'un emploi, sont insuffisantes pour lui permettre de réduire le montant de l'emprunt qui a servi à l'acquisition, alors il se peut que le contribuable ait à supporter le plein coût de la perte locative. Certainement, de vagues attentes indiquant qu'un apport de capital était attendu de tante Béatrice ou d'oncle Bernard ne sera pas suffisant pour conclure que le contribuable s'est acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait. En pratique, le contribuable s'acquittera de ce fardeau en démontrant que des paiements importants ont été faits sur le principal dans les années d'imposition suivant de près l'année de l'acquisition.

L'importance du fait que le contribuable soit en mesure de réduire les frais d'intérêts en diminuant le principal du prêt qui a servi à l'acquisition et ce dans une période raisonnable n'est pas passée inaperçue. Il y est fait allusion dans l'arrêt Tonn, précité. Au début des motifs de ce jugement, la Cour fait référence au fait que le contribuable avait remboursé le prêt hypothécaire au cours de l'une des années d'imposition en question, fait qui n'avait pas été présenté à la Cour de l'impôt et qui, selon le ministre, était inadmissible dans la demande de contrôle judiciaire (aux pages 79 et 80). En l'espèce, le contribuable fait référence dans le dossier de sa demande au fait que ces remboursements ont été faits. Toutefois, cette preuve ne semble pas avoir été produite devant le juge de la Cour de l'impôt et, de toute façon, n'a pas été soulevée au cours de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire en raison de la question restreinte qui était en cause: voir le dossier de la demande du requérant, aux pages 16 et 17.

Pour certaines personnes, l'analyse précitée peut sembler indûment pédante, restreinte ou tout simplement défavorable au contribuable. Je répondrai que, selon la loi en vigueur, l'intérêt n'est pas déductible à moins que l'alinéa 20(1)c) de la Loi soit respecté. Aux termes de cette disposition, les intérêts ne sont pas déductibles à moins que l'argent emprunté soit "utilisé en vue de tirer un revenu . . . d'un bien". L'alinéa 20(1)c ) ne mentionne rien au sujet d'un bien acquis en vue de réaliser un gain en capital. La jurisprudence actuelle rejette clairement la proposition voulant que les intérêts soient déductibles dans les cas où les frais d'intérêts excèdent les revenus espérés parce que le contribuable a acquis le bien en vue de réaliser un gain en capital: Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, par le juge en chef Dickson, à la page 54; voir également Ludmer (D.) c. M.R.N., [1993] 2 C.T.C. 2494 (C.C.I.), porté en appel pour d'autres motifs, [1995] 2 C.F. 3 (C.A.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée [[1995] 4 R.C.S. vii]. Cette conclusion ne devrait surprendre personne étant donné que la Loi fait la distinction entre le revenu tiré d'un bien et le gain en capital. Le paragraphe 9(3) dispose expressément que le revenu tiré d'un bien exclut le gain en capital réalisé à la disposition de ce bien.

Je signalerai également qu'il est difficile d'accepter que l'intérêt payé sur des sommes empruntées pour acquérir un bien en immobilisation peut être caractérisé de frais de "démarrage" du genre de ceux dont la présente Cour a traité dans l'arrêt Tonn , précité. La Cour ne nie pas que dans d'autres circonstances des frais de démarrage autres qu'en capital permettent d'expliquer, du moins en partie, pourquoi l'activité locative d'un contribuable n'a pas été rentable. Le fait est qu'il est beaucoup plus facile pour les contribuables de respecter le critère Moldowan et de réclamer une perte locative lorsque le bien a été acquis sans financement à ratio élevé: voir Baker (C.B.) c. M.R.N., [1987] 2 C.T.C. 2271 (C.C.I.); Aucoin c. M.R.N., [1991] 1 C.T.C. 2191 (C.C.I.); et Smith c. R., [1996] 1 C.T.C. 2022 (C.C.I.).

Comme on l'a noté dès le début, il ne s'agit pas d'un cas dans lequel la Cour est appelée à évaluer une conclusion de la Cour de l'impôt quant à savoir s'il y avait une expectative raisonnable de profit. Il s'agit d'une affaire dans laquelle l'interprétation et l'application appropriées de l'article 67 de la Loi ne peuvent être abordées tant que les paramètres de la doctrine de l'expectative raisonnable de profit ne sont pas correctement compris. Ayant précisé le contexte, je suis en mesure d'aborder la question de savoir si le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en refusant la déduction des intérêts payés sur le prêt personnel de 25 000 $. Cette partie de mon analyse commence en citant l'article 67 de la Loi:

67. Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l'égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

Il est important de reconnaître que l'article 67 ne traite pas de la question de la déductibilité en soi, mais plutôt du caractère raisonnable d'une dépense qui est déductible par ailleurs en vertu d'autres dispositions de la Loi. Cette disposition a pour effet de restreindre le champ de déductibilité d'une dépense, en la limitant à un montant qui est "raisonnable dans les circonstances": voir Graves (G.) c. Canada , [1990] 1 C.T.C. 357 (C.F. 1re inst.), cité avec approbation dans Qureshi (A.R.) c. M.R.N., [1992] 1 C.T.C. 2370 (C.C.I.). Dans le cas des paiements d'intérêts, la déductibilité dépend de l'alinéa 20(1)c) et du fait qu'ils respectaient la "règle d'utilisation directe" formulée par la Cour suprême dans Bronfman Trust , précité: plus récemment, voir 74712 Alberta Ltd. c. M.R.N., [1997] 2 C.F. 471 (C.A.). Puisque le bien en question n'a pas été utilisé par le contribuable comme résidence personnelle et étant donné que le juge de la Cour de l'impôt a été convaincu que l'arrangement entre le contribuable et l'autre copropriétaire a été conclu par deux personnes non liées à des conditions acceptables sur le plan commercial, la question de la déductibilité en soi ne s'est pas posée: comparer avec les faits et le résultat dans la décision Maloney (V.) c. M.R.N., [1989] 1 C.T.C. 2402 (C.C.I.). De toute évidence, la même décision juridique ne pourrait être prise dans le cas de M. Robbins, l'autre copropriétaire, qui a occupé la propriété en tant que résidence personnelle.

Comme la Cour l'a noté ci-dessus, le juge de la Cour de l'impôt a refusé les intérêts payés sur le prêt personnel de 25 000 $ au motif qu'un financement de 100 p. 100 était en soi déraisonnable. L'avocate du ministre cite plusieurs causes à l'appui de la position selon laquelle l'article 67 de la Loi peut être appliqué de cette façon. La première cause est une courte référence dans l'arrêt Tonn à la notion selon laquelle lorsque le ministre souhaite contester le "caractère raisonnable" des opérations des contribuables, il devrait songer à invoquer l'article 67 avant d'avoir recours au critère "plus rigide" de l'arrêt Moldowan (précité, à la page 96). À l'appui de cette position, la présente Cour a fait référence à une décision de la Cour de l'impôt: Cipollone (N.) c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 2598 (C.C.I.).

Avant d'aborder les arguments du ministre, quelques observations préliminaires s'imposent. Je ne tiendrai pas compte pour le moment du fait que l'arrêt Cipollone ne traitait pas de la déductibilité des frais d'intérêts, mais concernait des dépenses exceptionnellement importantes ou "extravagantes" au titre de vêtements et d'automobile. En outre, la référence dans Tonn au fait que l'article 67 de la Loi puisse être invoqué avant la doctrine de l'expectative raisonnable de profit constituait une observation générale qui n'a pas été appliquée aux faits de cette espèce. Il faut se souvenir que l'analyse juridique dans l'arrêt Tonn n'avait pas pour but de traiter uniquement des cas de pertes locatives, mais plutôt de s'appliquer généralement à toutes les entreprises commerciales.

Il semble que la décision Cipollone suive le raisonnement adopté dans une série de causes antérieures ayant commencé avec Ramsay c. M.R.N. (1954), 54 DTC 261 (C.A.I.) et Elliott c. M.R.N. (1971), 71 DTC 106 (C.A.I.), sans expressément faire référence à l'une ou à l'autre de ces causes. Dans chacune de ces affaires, les dépenses commerciales d'un contribuable ont été réduites, non pas au motif qu'une dépense en particulier n'était pas raisonnable, mais au motif que la totalité des dépenses étaient excessives ou disproportionnées par rapport aux revenus. C'est dans cette première série de causes jurisprudentielles que le ministre cherche maintenant un appui judiciaire à l'application de l'article 67 de la Loi par le juge de la Cour de l'impôt. Pour les fins de la présente demande, je restreindrai mon analyse à la première de ces causes, c'est-à-dire à la décision Ramsay. Pour ce qui est des causes dans lesquelles l'article 67 a été invoqué comme fondement possible pour limiter les frais d'intérêts déductibles, voir: Fish (S.) c. Canada, [1995] E.T.C. 403 (C.C.I.); Cheesmond (J.E.) c. Canada, [1995] E.T.C. 402 (C.C.I.); Nicols, C. et al. c. La Reine (1997), 97 DTC 1004 (C.C.I.); Pradeepan c. R., [1997] 2 C.T.C. 2015 (C.C.I.); Monga c. R., [1997] 1 C.T.C. 2529 (C.C.I.); et Michael (T.P.) c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 2131 (C.C.I.).

Dans la décision Ramsay, précitée, le contribuable réclamait des dépenses de 16 405 $ sur des revenus de commission de 22 458 $. Le ministre n'était pas disposé à autoriser la déduction des dépenses au-delà de 6 836 $. Le raisonnement de la Commission d'appel de l'impôt s'ouvre sur l'observation que la totalité des dépenses réclamées était hors de proportion avec les revenus de commission gagnés par le contribuable. Après avoir fait référence à une décision antérieure dans laquelle la Commission avait exprimé l'avis que les dépenses ne pouvaient habituellement dépasser le tiers des sommes gagnées, le juge dit ceci à la page 262: [traduction] "Cette proportion peut varier un peu, bien entendu, mais comme guide général c'est, je pense, un critère équitable". Après avoir noté que les dépenses réclamées par le contribuable équivalaient aux deux tiers de son revenu, la Commission a accepté l'estimation faite par le ministre au titre des dépenses raisonnables qui avaient été augmentées à 9 856 $ au cours de l'audition de l'appel.

Les professeurs Hogg et Magee font observer que les décisions Ramsay et Elliott sont difficiles à comprendre, et ajoutent que l'opinion dans Ramsay selon laquelle les dépenses ne devraient habituellement pas dépasser le tiers du revenu étonnerait la plupart des propriétaires d'entreprise: voir Principles of Canadian Income Tax Law (Scarborough, Ont.: Carswell, 1995), à la page 232. Je partage les opinions des professeurs et j'ajouterai même que ce courant jurisprudentiel est dépassé. Si le ministre souhaite utiliser le critère d'un tiers à des fins administratives, libre à lui de le faire. Mais en tant que proposition juridique, cette affirmation n'a plus aucun poids aujourd'hui et il en est de même de la proposition selon laquelle les dépenses, prises individuellement ou collectivement, peuvent être réputées déraisonnables uniquement parce qu'elles sont disproportionnées par rapport aux revenus. J'adopte cette position pour plusieurs raisons.

L'article 67 de la Loi, et ses prédécesseurs, traitent du caractère raisonnable d'une dépense en particulier. La disposition ne traite pas du caractère raisonnable d'une dépense en particulier, ni de dépenses prises collectivement, évaluées au regard des revenus. Pour l'interprétation des lois, il n'y a tout simplement pas de place pour l'interprétation donnée dans la décision Ramsay de ce qui est maintenant l'article 67. Cela ne signifie pas qu'il ne peut y avoir des cas où les dépenses réclamées sont si énormes ou extravagantes qu'elles sont déraisonnables et, en même temps, si importantes qu'elles donnent lieu à une perte et donc, que se pose la question de savoir si l'entreprise du contribuable avait une expectative raisonnable de profit. Mais ces deux questions demeurent indépendantes l'une de l'autre.

Le concept du caractère raisonnable ne doit pas devenir synonyme d'arbitraire, terme qui qualifie on ne peut mieux la notion voulant que les dépenses ou une dépense ne peuvent être disproportionnées par rapport aux revenus, comme l'exprime la règle du tiers. En outre, si l'on devait appliquer de telles notions de façon stricte, il pourrait arriver que les contribuables ne soient jamais en mesure de déduire une perte commerciale ou matérielle d'autres sources de revenu. Je fais cette précision parce que la décision Ramsay, précitée, laisse supposer qu'il doit y avoir une "expectative de profit raisonnable", par opposition à une "expectative raisonnable de profit". Limiter le montant des dépenses qui peuvent être déduites des revenus au motif qu'elles sont peut-être disproportionnées par rapport à ceux-ci équivaut presque à dire qu'un bénéfice de 1 $ ne sera jamais suffisant. Et pourtant, il est bien établi en droit que les expressions "expectative raisonnable de profit" et "expectative de profit raisonnable" ne sont pas synonymes: voir R c Matthews, D C , [1974] CTC 230 (C.F. 1re inst.), à la page 236.

En outre, je pense qu'il est manifeste que la série de causes fondées sur le raisonnement de la décision Ramsay (antérieures à l'arrêt Moldowan, précité), a été remplacée par la doctrine de l'expectative raisonnable de profit. Il est assez curieux de noter que la méthode suivie dans la décision Ramsay était beaucoup plus restrictive que celle qui a été formulée dans l'arrêt Moldowan, qui exige uniquement que dans une période raisonnable le contribuable réalise un bénéfice net, fut-il de 1 $ ou plus. La décision Ramsay laisse entendre qu'un bénéfice supérieur était exigé.

En résumé, les causes sur lesquelles s'appuie le ministre, à commencer par Ramsay, ne peuvent plus être considérées comme le droit en vigueur. L'article 67 de la Loi ne peut être invoqué pour limiter une dépense déductible par ailleurs au motif qu'elle est excessive ou disproportionnée par rapport aux revenus. J'énoncerai les motifs qui m'ont amené à rejeter la position adoptée par le juge de la Cour de l'impôt et, corrélativement, mon interprétation de la façon dont l'article 67 doit être appliqué. Mes objections au raisonnement qui a été adopté devant le tribunal inférieur sont doubles.

Tout d'abord, le fait qu'un contribuable a financé la totalité du prix d'acquisition d'un bien ne détermine rien du tout en soi. Il est à la fois plausible et possible qu'un contribuable puisse acquérir un bien en le finançant totalement dans des cas où le revenu de location est susceptible d'excéder la totalité des dépenses locatives, y compris celles qui sont attribuables au paiement des intérêts. Les spéculateurs astucieux sur le marché immobilier savent dénicher de bonnes affaires. Dans les circonstances, il n'est pas pertinent de se demander si l'acquisition du bien a exigé un financement complet et, très certainement, si une telle décision commerciale ne peut être qualifiée de déraisonnable. À mon avis, il n'y a pas de justification juridique pour établir une règle de droit qui autorise la Cour de l'impôt à réduire arbitrairement le montant des intérêts déductibles d'un revenu tiré de la location simplement parce que le ministre a démontré que le contribuable avait financé le bien à 100 p. 100. Cela dit, les contribuables qui sont incapables ou qui ne sont pas disposés à investir une certaine partie de leurs propres capitaux doivent établir devant la Cour de l'impôt, conformément à la norme exposée ci-dessus dans les présents motifs, que l'activité locative répond au critère de rentabilité imposé par la Cour suprême dans l'arrêt Moldowan.

Je reconnais que ma première objection n'a aucun fondement si le juge de la Cour de l'impôt avait l'intention de limiter les frais d'intérêts dans les cas où il y a un financement à hauteur de 100 p. 100 et, par conséquent, qu'il n'y a pas d'expectative immédiate (raisonnable) de profit. Voici donc ma deuxième objection. Le refus d'autoriser le contribuable à déduire les intérêts payés sur le prêt de 25 000 $, dans le calcul de la perte ou du profit locatif dans une année d'imposition donnée est arbitraire et n'est pas conforme à l'objectif de l'article 67 de la Loi.

Quand on évalue le caractère raisonnable d'une dépense, on mesure ce caractère raisonnable en termes de grandeur ou de quantum. Bien qu'une telle décision puisse faire intervenir un élément d'appréciation suggestive de la part du juge des faits, il faut toujours rechercher un élément objectif. Quand on traite des dépenses d'intérêts, la tâche peut être objectivée assez facilement. Par exemple, le ministre aurait pu contester le montant des intérêts payés sur le prêt de 25 000 $, si le contribuable avait accepté de payer des intérêts excédant les taux du marché. Le caractère raisonnable des frais d'intérêts peut donc être mesuré objectivement, c'est-à-dire par rapport aux taux du marché. De même, le ministre pourrait s'opposer à un contribuable qui cherche à déduire les trois quarts des intérêts payés sur un prêt hypothécaire grevant un duplex dans lequel le contribuable occupe l'une des deux unités identiques. Ici encore, le caractère raisonnable des frais d'intérêts réclamés peut se mesurer objectivement en faisant référence à la superficie (en supposant, bien entendu, que la valeur locative d'un mètre carré est égale dans les deux parties): pour une discussion générale sur ce sujet, voir Narine (M.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2055 (C.C.I.).

Je concède qu'il y aura des cas où l'élément objectif sera difficile à isoler et, par conséquent, où l'expérience pratique doublée d'un bon sens commun devra prévaloir. Cela est vrai des dépenses réputées déraisonnables parce que l'on croit qu'elles sont excessives ou extravagantes: voir Cipollone, précité, où la contribuable, une "humorologue" cherchait à déduire, par exemple, des frais importants pour l'achat de vêtements au regard d'un revenu modeste. De même, on peut débattre à l'infini ce que sont des frais raisonnables de déjeuner ou pondérer la nécessité, telle que perçue par un contribuable, d'acheter une Rolls Royce plutôt qu'une Chevrolet, une Lincoln ou une Mercedes-Benz. Le problème vient de ce que ce qu'une personne considère comme une extravagance est influencé autant par ses expériences professionnelles ou commerciales, auxquelles s'ajoutent ses expériences personnelles découlant d'un style de vie particulier, que par des considérations pragmatiques rattachées aux buts poursuivis par la Loi. Dans les cas où une dépense est d'une nature très inhabituelle ou tout à fait exceptionnelle par rapport à un type d'entreprise commerciale, on pourra avoir recours à un témoignage d'expert: voir Adams c. R. , [1996] 1 C.T.C. 2916 (C.C.I.). Souvent, il n'est pas difficile d'identifier et de rejeter les extrêmes en évaluant le caractère raisonnable d'une dépense. C'est ce qui se trouve entre ces extrêmes qui pose problème. Mais ce genre de considérations et de questions ne se posent pas dans le contexte actuel.

En toute déférence, refuser la déduction d'une fraction des frais d'intérêts parce que l'acquisition a été financée à 100 p. 100 équivaut à établir un critère d'arbitraire et en fait à supplanter, de façon erronée et injustifiable, le critère de l'expectative raisonnable de profit par l'article 67 de la Loi. La décision du tribunal inférieur est arbitraire parce qu'il n'y a pas de fondement de principe à partir duquel on peut fixer la limite des frais d'intérêts à déduire. Par exemple, en l'espèce, aucun motif n'a été donné quant à savoir pourquoi les intérêts sur l'hypothèque prise en charge devraient être autorisés et ceux payés sur le prêt personnel devraient être refusés. Le juge de la Cour de l'impôt aurait pu refuser aussi facilement la déduction des intérêts payés sur le prêt hypothécaire que sur le prêt personnel.

L'arbitraire de la décision de réduire le montant des intérêts qui sont déductibles ressort clairement quand on spécule jusqu'à concurrence de quel pourcentage un contribuable aura le droit de financer l'achat d'un bien locatif avant que les paiements d'intérêts ne soient plus déductibles du revenu tiré de la location. Par exemple, aurait-il été acceptable que le contribuable déduise tous les intérêts si le financement s'était limité à 95 p. 100, par opposition à 100 p. 100, du prix d'achat? Ou la limite devrait-elle être fixée à un autre pourcentage? Compte tenu du fait que l'article 67 de la Loi impose un critère de caractère raisonnable, il me semble que la seule façon rationnelle de limiter le montant des frais d'intérêts en vertu de cette disposition, sans risquer d'être accusé d'arbitraire, serait de refuser les frais de financement à partir du moment où la déduction d'autres intérêts entraînera une perte locative. J'affirme ceci parce qu'il faut présumer que le juge de la Cour de l'impôt a jugé que la tentative du contribuable de déduire tous les intérêts payés était déraisonnable puisqu'elle a nécessairement donné lieu à une perte locative, abstraction faite d'autres facteurs. Cela étant, une dépense raisonnable serait une dépense qui ne donne pas lieu à une perte. Bien entendu, ce raisonnement est inacceptable étant donné qu'elle rend tout à fait théorique la question de savoir si le contribuable avait une expectative raisonnable de profit.

Les conclusions cruciales suivantes peuvent être dégagées des motifs précités. La doctrine judiciaire de l'expectative raisonnable de profit et le concept de dépense raisonnable en vertu de l'article 67 de la Loi doivent être invoqués et appliqués indépendamment l'un de l'autre. La tentation d'utiliser l'article 67 d'une façon arbitraire dans le seul but d'atténuer la rigidité du critère de l'expectative raisonnable de profit doit être rejetée. Je conviens que l'article 67 est d'une application plus subtile que la doctrine de l'expectative raisonnable de profit qui est, fondamentalement, un critère du "tout ou rien": ou bien on a une expectative raisonnable de profit ou bien on n'en a pas; il n'y a pas de milieu. Néanmoins, l'article 67 doit être appliqué d'une façon raisonnable, et aussi objectivement que possible. Dans le cas des frais d'intérêts, le caractère raisonnable peut être mesuré objectivement et sans difficulté. Certainement, le fait que l'acquisition d'un bien a été financée en totalité n'est pas un empêchement à déduire une perte locative, ni un motif pour réduire le montant des intérêts qui sont déductibles. Corrélativement, le fait qu'une dépense déductible par ailleurs soit raisonnable dans les circonstances n'a pas à être évaluée par rapport à la question de savoir si une dépense en particulier, ou les dépenses collectivement, sont considérées comme étant disproportionnées par rapport aux revenus. À cet égard, les décisions Ramsay et Elliott, précitées, ne peuvent plus être considérées comme le droit en vigueur et le même sort attend les décisions de la Cour de l'impôt qui sont incompatibles avec mes conclusions.

En toute déférence, je conclus que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en confirmant le refus du ministre d'autoriser la déduction des intérêts payés sur le prêt personnel de 25 000 $. Plus précisément, l'erreur se trouve dans la mauvaise interprétation et la mauvaise application de l'article 67 de la Loi. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, le jugement de la Cour de l'impôt ayant trait à la déduction des intérêts sur le prêt de 25 000 $ est infirmé et la question est renvoyée au juge pour réexamen au motif que l'appel du contribuable devant la Cour de l'impôt aurait dû être accueilli. Le contribuable a droit à tous les dépens raisonnables et appropriés de sa demande.

Le juge MacGuigan, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge McDonald, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

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