Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-61-96

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Ron O. Adams (intimé)

Répertorié: Canadac. Adams (C.A.)

Cour d'appel, juges Strayer, Décary et Robertson, J.C.A."Saskatoon, 11 mars; Ottawa, 7 avril 1998.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Le contribuable, employé d'un concessionnaire d'automobiles, avait l'usage d'une automobile en vertu d'un contrat de locationLe MRN a établi une nouvelle cotisation à l'égard du contribuable en vertu de l'art. 6 de la Loi de l'impôt sur le revenu en s'appuyant sur lesfrais raisonnables pour droit d'usaged'une automobilemise à [sa] disposition— — L'expressionmis à la dispositionde l'art. 6(1)e) de la Loi ne peut recevoir l'interprétation restreinte ou étroite adoptée par la C.C.I.L'usage non restreint d'une automobile n'est pas une condition préalable à l'imposition de frais pour droit d'usage d'une automobileEn vertu de l'art. 6(2), l'employé est réputé avoir fait un usage personnel de l'automobile de l'employeur, sous réserve de l'exception pour usage personnel minimalLes dispositions relatives aux frais pour droit d'usage ont été rédigées afin d'en favoriser la certitude, au détriment de la souplesseL'usage réel de l'automobile pour des fins personnelles ou commerciales n'est pas une condition requiseL'argument fondé sur lajuste valeur marchanden'est pas valideLa location de l'automobile était rattachée à l'entreprise de l'employeur et ne s'est pas faite dans le cours ordinaire des affaires.

Il s'agit de l'un des sept appels découlant d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt. Dans cette décision, il a été statué que le ministre du Revenu national n'avait pas le droit d'inclure dans le revenu de chacun des contribuables des avantages non déclarés liés à une automobile. Au cours des années d'imposition 1989 et 1990, le contribuable était membre du personnel d'un concessionnaire d'automobiles à Saskatoon. Il avait l'usage d'une automobile en vertu d'un contrat de location moyennant des frais mensuels. Le contrat prévoyait un usage restreint de l'automobile en ce sens que, par exemple, l'automobile devait être chez le concessionnaire pendant les heures d'ouverture et disponible en prévision d'une vente immédiate. Aux termes de l'alinéa 6(1)e), et des paragraphes 6(2) et 6(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard du contribuable en s'appuyant sur les "frais raisonnables pour droit d'usage" d'une automobile ayant été "mise à [sa] disposition" par son employeur au cours des années d'imposition en question. Il a ainsi inclus dans le revenu du contribuable la différence entre les frais raisonnables plus élevés pour droit d'usage d'une automobile et les paiements de location effectués par le contribuable à l'employeur. En appel devant la Cour canadienne de l'impôt, le juge de la Cour de l'impôt a statué que, comme le contribuable ne pouvait pas utiliser l'automobile "sans restrictions", on ne pouvait dire que celle-ci était mise à sa disposition. Par conséquent, il a conclu que le ministre n'avait pas le droit en vertu de la Loi d'imposer des frais pour droit d'usage. Deux questions sont posées dans le présent appel: 1) le juge de la Cour de l'impôt a-t-il commis une erreur dans son interprétation de l'expression "mis à la disposition" qui se trouve à l'alinéa 6(1)e ) de la Loi? 2) les dispositions relatives à l'imposition de frais pour droit d'usage s'appliquent-elles lorsqu'une automobile est louée d'un employeur à la "juste valeur marchande"?

Arrêt: les appels doivent être accueillis.

1) L'expression "mis à la disposition" ne peut recevoir l'interprétation restreinte adoptée par le juge de la Cour de l'impôt. Les versions française et anglaise de l'alinéa 6(1)e ) de la Loi ont ceci de commun qu'elles formulent en termes larges le critère qui déclenche l'application de cette disposition, même si la version française semble plus précise, faisant référence à une automobile qui est à la "disposition" d'un employé et au "droit d'usage" de l'automobile d'un employeur. Une automobile est mise à la disposition d'un employé si elle est à sa disposition et s'il y a un droit d'usage concomitant. L'usage réel qu'en fait l'employé, pour des fins personnelles ou commerciales, n'est pas une condition expresse. Il suffit qu'il y ait un droit d'usage. La formulation large et sans réserve que l'on retrouve dans les deux versions de l'alinéa 6(1)e ) renforce l'argument du ministre selon lequel l'usage non restreint d'une automobile n'est pas une condition préalable à l'application de cette disposition. La formulation de l'alinéa 6(1)e) et son historique législatif montrent clairement aussi que la fin pour laquelle l'employeur a mis une automobile à la disposition de son employé n'est pas un facteur pertinent. Le paragraphe 6(2) de la Loi suppose qu'un employé a fait un usage personnel de l'automobile de son employeur, que ce soit le cas ou non. Les conséquences rigoureuses qui découlent de cette disposition créant une présomption sont atténuées par l'exception "pour usage personnel minimal" qui a été greffée au paragraphe 6(2). L'exception permet à un employé d'obtenir une réduction du montant des frais pour droit d'usage, qui serait autrement applicable, si certaines conditions préalables sont réunies. La réduction est calculée en fonction des kilomètres réellement parcourus pour l'usage personnel de l'employé aussi bien qu'à des fins commerciales. L'usage réel ne devient pertinent que dans le contexte de l'exception pour usage personnel minimal formulée au paragraphe 6(2). La dernière raison pour laquelle il faut rejeter la prétention selon laquelle l'usage non restreint de l'automobile de l'employeur est nécessaire pour l'imposition de frais pour droit d'usage est qu'une telle interprétation saperait en fait l'efficacité législative de l'alinéa 6(1)e ). Les dispositions relatives aux frais pour droit d'usage ont été soigneusement rédigées afin d'en favoriser la certitude au détriment de la souplesse.

2) L'intimé a soutenu que, lorsqu'une automobile est louée d'un employeur à la "juste valeur marchande", les dispositions relatives à l'imposition des frais pour droit d'usage ne s'appliquent pas. Il se peut que le contribuable ait payé un juste prix pour la location eu égard aux restrictions imposées à l'usage personnel de la voiture de son employeur. Mais pour les fins de l'impôt, les frais justes ou raisonnables pour droit d'usage d'une automobile sont déjà déterminés par la Loi. On ne peut substituer ce que le marché considère comme une indemnité équitable à l'interprétation donnée dans la Loi des frais raisonnables pour droit d'usage. L'argument du contribuable aurait pu être convaincant, s'il avait loué sa voiture aux mêmes taux et aux mêmes conditions que ceux qui sont offerts aux consommateurs dans des opérations sans lien de dépendance. Cependant, la location de l'automobile est rattachée à l'entreprise de son employeur et elle ne s'est pas faite dans le cours ordinaire des affaires. L'argument fondé sur la "juste valeur marchande" ne peut être retenu.

lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 6(1)a),e) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 1), (2) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 1), (2.1) (édicté, idem).

jurisprudence

décision non suivie:

R. c. Harman, [1980] 1 C.F. 811; [1980] CTC 83; (1980), 32 N.R. 181 (C.A.).

décisions citées:

Papa (T.) c. M.R.N., [1987] 2 C.T.C. 2209; (1987), 87 DTC 529 (C.C.I.); Finochio, J.A. c. La Reine (1994), 95 DTC 197 (C.C.I.).

APPELS d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt ([1995] A.C.I. no 1723 (QL)) ne reconnaissant pas au ministre du Revenu national le droit d'inclure dans le revenu de chacun des contribuables des avantages non déclarés liés à une automobile. Appels accueillis.

avocats:

Dona C. Gilbertson pour l'appelante.

John R. Beckman, c.r., pour l'intimé.

procureurs:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.

McKercher, McKercher & Whitmore, Saskatoon (Saskatchewan), pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A.: Il s'agit de l'un des sept appels découlant d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt [[1995] A.C.I. no 1723 (QL)]. Dans cette décision, il a été statué que le ministre du Revenu national n'avait pas le droit d'inclure dans le revenu de chacun des contribuables des avantages non déclarés reliés à une automobile. Aux termes de l'alinéa 6(1)e) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 1], et des paragraphes 6(2) [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 1] et 6(2.1) [édicté, idem] de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63], le ministre a établi une nouvelle cotisation pour les contribuables en s'appuyant sur les "frais . . . pour droit d'usage" d'une automobile ayant été "mis[e] . . . à [leur] disposition" par leur employeur au cours des années d'imposition en question. Les dispositions pertinentes sont rédigées dans les termes suivants:

6. (1) Doivent être inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments appropriés suivants:

. . .

e) lorsque son employeur ou une personne liée à son employeur a mis dans l'année une automobile à sa disposition (ou à la disposition d'une personne qui lui est liée), l'excédent, si excédent il y a,

(i) de la somme qui représente les frais raisonnables pour droit d'usage de l'automobile pendant le nombre total de jours dans l'année durant lesquels elle a ainsi été disponible,

sur

(ii) le total de toutes les sommes dont chacune représente une somme (autre qu'une dépense liée au fonctionnement de l'automobile) payée dans l'année à l'employeur ou à la personne liée à l'employeur par le contribuable ou par la personne qui lui est liée pour l'usage de l'automobile;

. . .

(2) Pour l'application de l'alinéa (1)e), la somme qui représente les frais raisonnables pour droit d'usage d'une automobile pendant le nombre total de jours d'une année d'imposition durant lesquels l'employeur d'un contribuable ou une personne liée à l'employeur a mis l'automobile à la disposition du contribuable ou d'une personne qui lui est liée est réputée égale au montant calculé selon la formule suivante:

A x [2 % x (C x D) + 2 x (E"F)]

B3

A représente le moins élevé:

a) du nombre total de kilomètres parcourus par l'automobile, autrement que dans l'accomplissement des fonctions de la charge ou de l'emploi du contribuable, pendant le nombre total de jours ci-dessus;

b) du montant représenté par B;

toutefois, le nombre visé à l'alinéa a) est réputé égal au montant représenté par B, sauf si l'employeur ou la personne liée à celui-ci exige du contribuable qu'il utilise l'automobile dans l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi et si la totalité, ou presque, de la distance parcourue par l'automobile pendant le nombre total de jours ci-dessus est parcourue dans l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi;

B le produit de 1 000 par le quotient obtenu en divisant par 30 le nombre total de jours ci-dessus, ce quotient étant, s'il est supérieur à un, arrêté au nombre entier, les résultats ayant cinq ou moins en première décimale étant arrondi au nombre entier inférieur;

C le coût de l'automobile pour l'employeur ou pour la personne qui lui est liée si l'un ou l'autre est propriétaire de l'automobile à un moment de l'année;

D le quotient obtenu en divisant par 30 le nombre de jours où l'employeur ou la personne qui lui est liée est propriétaire de l'automobile, compris dans le nombre total de jours ci-dessus, ce quotient étant, s'il est supérieur à un, arrêté au nombre entier, les résultats ayant cinq ou moins en première décimale étant arrondi au nombre entier inférieur;

E le total des montants qu'il est raisonnable de considérer comme payables à un locateur par l'employeur ou par la personne qui lui est liée, pour la location de l'automobile, pendant le nombre de jours où l'automobile est louée à l'employeur ou à la personne qui lui est liée, compris dans le nombre total de jours ci-dessus;

F la partie du total représenté par E qu'il est raisonnable de considérer comme payable au locateur au titre de tout ou partie du coût, pour celui-ci, de l'assurance:

a) contre la perte de l'automobile ou les dommages à celle-ci;

b) pour la responsabilité qui peut découler de son utilisation ou de son fonctionnement.

(2.1) Lorsque, au cours d'une année d'imposition, l'emploi d'un contribuable consiste principalement à vendre ou à louer des automobiles et que l'employeur du contribuable a mis au cours de l'année à la disposition du contribuable ou d'une personne liée à celui-ci une automobile lui appartenant, et enfin que l'employeur a acquis une ou plusieurs automobiles au cours de l'année, la somme qui représente les frais raisonnables pour droit d'usage de l'automobile est, au choix de l'employeur et par dérogation au paragraphe (2), calculée comme si:

a) d'une part, le pourcentage "2 %" qui figure à ce paragraphe était remplacé par le pourcentage "1" %";

b) d'autre part, le coût, pour l'employeur, de l'automobile était le plus élevé:

(i) du quotient obtenu en divisant, par le nombre de nouvelles automobiles que l'employeur a acquises au cours de l'année en vue de les vendre ou de les louer dans le cadre de son entreprise, le coût de ces nouvelles automobiles pour l'employeur,

(ii) du quotient obtenu en divisant, par le nombre d'automobiles que l'employeur a acquises au cours de l'année en vue de les vendre ou de les louer dans le cadre de son entreprise, le coût de ces automobiles pour l'employeur. [Non souligné dans l'original.]

Au cours des années d'imposition 1989 et 1990, chacun des contribuables était membre du personnel des ventes d'un concessionnaire d'automobiles à Saskatoon, Merlin Motors. Chaque contribuable avait l'usage d'une automobile en vertu d'un contrat de location aux termes duquel il payait des frais mensuels à Merlin. En retour, Merlin acceptait de payer les frais d'assurances et d'immatriculation des automobiles louées. Les contrats de location prévoyaient également que les contribuables étaient responsables de l'amortissement et que les véhicules devaient être disponibles en prévision d'une vente immédiate les jours ouvrables. À cette fin, les voitures louées devaient toujours être propres et ne contenir aucun effet personnel. Les contribuables devaient garder le véhicule chez Merlin de 8 h 30 jusqu'à la fermeture, du lundi au samedi inclusivement. Les clés des automobiles devaient être mises à la disposition de la direction de Merlin pendant les heures d'ouverture. Pour le reste, les automobiles demeuraient à la disposition des contribuables.

Pour les deux années d'imposition en question, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour les contribuables en incluant dans leurs revenus la différence entre les frais raisonnables plus élevés pour droit d'usage d'une automobile et les paiements effectués par les contribuables à Merlin pour la location du véhicule. Ces calculs ont été faits conformément aux paragraphes 6(2) et 6(2.1) de la Loi. Les contribuables ont contesté les nouveaux avis de cotisation devant la Cour de l'impôt. Il s'agissait de décider si les automobiles étaient "à la disposition" des contribuables au sens de l'alinéa 6(1)e ). Le juge de la Cour de l'impôt a statué que, comme les contribuables ne pouvaient pas utiliser "sans restrictions" les automobiles, on ne pouvait dire que celles-ci étaient mises à leur disposition. Par conséquent, il a statué que le ministre n'avait pas le droit en vertu de la loi d'imposer des frais pour droit d'usage. À la page 68 du dossier d'appel, le juge de la Cour de l'impôt énonce le raisonnement suivant [au paragraphe 8 de QL]:

L'appelant ne pouvait pas utiliser sans restrictions ce véhicule pendant les heures d'ouverture, six jours par semaine. La voiture n'était pas disponibble en vue d'être utilisée au gré de l'appelant, que ce soit par un membre de sa famille ou par quelqu'un d'autre. La voiture faisait partie des stocks de Merlin et pouvait être vendue n'importe quand. Dans ces circonstances, on ne peut pas dire qu'un véhicule a été mis à la disposition de l'employé.

Le ministre a contesté le raisonnement et la conclusion ci-dessus. Deux questions sont posées dans les présents appels. Le ministre prétend que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur dans son interprétation de l'expression "mis . . . à la disposition" qui se trouve à l'alinéa 6(1)e ) de la Loi. Plus précisément, il fait valoir que le droit d'imposer des frais pour droit d'usage d'une automobile ne dépend pas de ce qu'un contribuable a l'usage non restreint ou exclusif d'une automobile de son employeur. À l'appui de sa position, il cite deux décisions antérieures de la Cour de l'impôt qui ont statué que "l'usage exclusif" d'une voiture fournie par l'employeur n'est pas obligatoire pour déclencher l'application de l'alinéa 6(1)e ): voir Papa (T.) c. M.R.N., [1987] 2 C.T.C. 2209 et Finochio, J.A. c. La Reine (1994), 95 DTC 197. Pour leur part, les contribuables soutiennent que, lorsqu'une automobile est louée d'un employeur à la "juste valeur marchande", les dispositions relatives à l'imposition des frais pour droit d'usage ne s'appliquent pas.

Au cours des plaidoiries verbales, l'avocat des contribuables n'a pas cherché à contester l'argument du ministre au sujet de la question d'interprétation, et il s'est contenté de débattre l'argument fondé sur la juste valeur marchande. Je traiterai de ces deux questions en raison de l'importance de la décision ci-après qui pourrait avoir valeur de précédent. En effet, ce n'est que la deuxième fois en 20 ans qu'on demande à cette Cour d'examiner les dispositions relatives aux frais pour droit d'usage d'une automobile.

Je conviens avec le ministre que l'expression "mis . . . à la disposition" ne peut recevoir l'interprétation restreinte ou étroite adoptée par le juge de la Cour de l'impôt. Dans les motifs qui suivent, j'appuie cette conclusion sur quatre raisons. Les voici brièvement énoncées. Premièrement, l'idée que l'usage non restreint d'une automobile est une condition préalable à l'imposition de frais pour droit d'usage d'une automobile n'est pas appuyée par le libellé général utilisé dans les versions française et anglaise de l'alinéa 6(1)e ). Deuxièmement, l'historique législatif de cette disposition n'appuie pas l'interprétation restrictive adoptée par la Cour de l'impôt. Troisièmement, une analyse contextuelle de l'alinéa 6(1)e) et du paragraphe 6(2) confirme ces conclusions. Finalement, il est manifeste qu'une interprétation qui exigerait l'usage non restreint de l'automobile fournie par un employeur minerait en fait l'efficacité législative de l'alinéa 6(1)e). Je traiterai tour à tour de chacun de ces points.

C'est une chose pour un tribunal de définir une expression utilisée dans la loi en disant ce que cette expression ne signifie pas, mais c'en est une autre de déterminer sa portée précise. Pour les fins du présent appel, toutefois, il n'est pas nécessaire de s'attaquer à cette dernière tâche. Parallèlement, les versions française et anglaise de l'alinéa 6(1)e) renferment beaucoup d'éléments pertinents. La version anglaise indique qu'une automobile est mise à la disposition (made available) d'un employé et traite d'un employé qui rembourse l'employeur pour l'usage (the use of) d'une automobile. Le libellé choisi par le rédacteur est sans contredit très large. Il en est de même de la version française de l'alinéa 6(1)e). Toutefois, à mon avis, cette version donne un aperçu plus détaillé des circonstances qui donnent naissance au droit du ministre d'imposer des frais pour droit d'usage d'une automobile. Cet alinéa prévoit:

6. (1) Doivent être inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments appropriés suivants:

e) lorsque son employeur ou une personne liée à son employeur a mis dans l'année une automobile à sa disposition (ou à la disposition d'une personne qui lui est liée), l'excédent, si excédent il y a,

(i) la somme qui représente les frais raisonnables pour droit d'usage de l'automobile pendant le nombre total de jours dans l'année durant lesquels elle a ainsi été disponible,

sur

(ii) le total de toutes les sommes dont chacune représente une somme (autre qu'une dépense liée au fonctionnement de l'automobile) payée dans l'année à l'employeur ou à la personne liée à l'employeur par le contribuable ou par la personne qui lui est liée pour l'usage de l'automobile; [Non souligné dans l'original.]

Les versions française et anglaise ont ceci de commun qu'elles formulent en termes larges le critère qui déclenche l'application de l'alinéa 6(1)e). Parallèlement, la version française semble plus précise, faisant référence à une automobile qui est à la "disposition" d'un employé et au "droit d'usage de l'automobile" d'un employeur. En bref, une automobile est mise à la disposition d'un employé si elle est à sa disposition et s'il y a un droit d'usage concomitant. En fait, l'usage réel qu'en fait l'employé, pour des fins personnelles ou commerciales, n'est pas une condition expresse. Il suffit qu'il y ait un droit d'usage, et nous reviendrons sur cette expression. Dans ce contexte, il m'apparaît clairement que la formulation large et sans réserve que l'on retrouve dans les deux versions de l'alinéa 6(1)e ) renforce l'argument du ministre selon lequel l'usage non restreint d'une automobile n'est pas une condition préalable à l'application de cette disposition. L'historique législatif de cette disposition appuie également cette interprétation.

Avant 1982, l'alinéa 6(1)e) de la Loi [S.C. 1970-71-72, ch. 63] exigeait que l'automobile soit mise à la disposition d'un employé "pour son usage personnel". La disposition antérieure a été interprétée par cette Cour dans R. c. Harman , [1980] 1 C.F. 811 (C.A.). Cette décision a établi un précédent qui empêchait le ministre d'imposer les frais pour droit d'usage lorsqu'un contribuable pouvait établir qu'il avait fait un usage personnel minimal de l'automobile de son employeur. Autrement dit, l'alinéa 6(1)e) ne s'appliquait pas si l'automobile avait été utilisée "de façon prédominante" à des fins commerciales. Dans les cas où il y avait eu un usage personnel minimal, un avantage imposable devait être calculé en vertu de l'alinéa 6(1)a ), tel qu'il était alors formulé.

D'un point de vue administratif, il était certain que la décision Harman allait encourager les litiges. Premièrement, il fallait déterminer ce qu'on entendait par usage personnel minimal. Deuxièmement, il était difficile d'attribuer une valeur pécuniaire à l'usage personnel considéré comme un avantage imposable. En réponse, le législateur a modifié l'alinéa 6(1)e) [S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 1] à compter de l'année d'imposition 1982. La modification supprimait toutes les références à une automobile mise à la disposition pour usage personnel. Je tiens pour acquis que cette modification avait pour but de faire échec à l'interprétation établie dans la décision Harman selon laquelle l'usage personnel minimal d'une automobile était suffisant pour éviter l'application de l'alinéa 6(1)e). À mon avis, si l'usage personnel d'une automobile par un employé n'est plus une considération valide concernant l'applicabilité de cet alinéa, il en est de même de l'usage restreint de l'automobile par l'employé. Soutenir le contraire équivaudrait à décider des présents appels en s'appuyant sur les dispositions législatives antérieures à 1982 et sur le raisonnement énoncé dans la décision Harman. Nous ne pouvons pas agir ainsi.

À mon avis, il est clair d'après la formulation de l'alinéa 6(1)e) et de son historique législatif que la fin pour laquelle l'employeur a mis une automobile à la disposition de son employé n'est pas un facteur pertinent. Toutefois, il faut reconnaître qu'il serait injuste d'exiger d'un employé qu'il inclut dans son revenu des frais pour droit d'usage d'une automobile quand, en fait, le véhicule a été utilisé exclusivement ou presque exclusivement à des fins commerciales. Comme je l'expliquerai sous peu, après la décision Harman, le paragraphe 6(2) a également été modifié afin de prévoir ce que j'appellerai une "exception pour usage personnel minimal" applicable à la formule normalement utilisée pour le calcul des frais pour droit d'usage. Je traiterai de cette exception plus en détail ci-dessous. Dans le cadre de l'analyse contextuelle, j'aborde maintenant le paragraphe 6(2) qui énonce les éléments permettant de calculer les frais pour droit d'usage. À mon avis, cette disposition appuie également la position du ministre.

Dans la mesure où l'alinéa 6(1)e) fait référence à l'imposition de "frais raisonnables pour droit d'usage", la loi est tout simplement trompeuse. La formule énoncée au paragraphe 6(2) dicte le montant exact qui doit être inclus dans le revenu. Il n'y a pas de pouvoir discrétionnaire à exercer pour déterminer ce qui est raisonnable. Qui plus est, les frais pour droit d'usage sont calculés en s'appuyant sur deux hypothèses. La première hypothèse est que l'employé a fait un usage personnel de l'automobile au cours de l'année. La deuxième est que cet usage personnel équivaut à 1 000 km pour chaque mois au cours duquel l'automobile était à sa disposition (12 000 km par an). Ces deux hypothèses sont incorporées dans la formule énoncée au paragraphe 6(2). Une brève explication suffira à le démontrer.

Pour les fins du présent appel, la portion pertinente de la formule est A/B x [1" % x (C x D)]. La fraction A/B représente la portion de l'usage personnel, C représente le coût de l'automobile pour l'employeur et D le nombre de mois au cours desquels l'automobile a été à la disposition de l'employé. "A" est défini comme étant le nombre de kilomètres parcourus par le contribuable pour son usage personnel. "B" est défini comme étant égal à 1 000 pour chaque mois au cours duquel l'automobile était à la disposition de l'employé (12 000 par an). Sous réserve de l'exception "pour usage personnel minimal", la fraction A/B est réputée égale à 1. Par conséquent, le paragraphe 6(2) suppose qu'un employé a parcouru 1 000 km chaque mois au cours duquel l'automobile était à sa disposition pour son usage personnel (12 000 km par an).

Dans ce contexte, il est manifeste que l'alinéa 6(1)e) comme le paragraphe 6(2) ne se préoccupent absolument pas du fait qu'un employé ait ou non utilisé la voiture de son employeur. L'alinéa 6(1)e) ne fait aucune référence aux fins pour lesquelles l'automobile a été mise à sa disposition et, en particulier, ne fait plus du tout référence à l'usage personnel qu'il en fait. Par ailleurs, le paragraphe 6(2) suppose que l'employé a fait un usage personnel de l'automobile. Si l'on tient compte de ces considérations, il m'apparaît clairement que le législateur n'avait pas l'intention d'assujettir l'application de l'alinéa 6(1)e) à la question de savoir si un employé avait l'usage non restreint ou exclusif de l'automobile de son employeur. Une analyse contextuelle des dispositions pertinentes n'appuie tout simplement pas cette interprétation, pas plus d'ailleurs que l'exception "pour usage personnel minimal" énoncée au paragraphe 6(2). Compte tenu de l'importance de cette exception, une explication s'impose.

La supposée exception "pour usage personnel minimal" est contenue dans la définition de "A" énoncée au paragraphe 6(2). Essentiellement, l'exception permet à un employé d'obtenir une réduction du montant des frais pour droit d'usage, qui serait autrement applicable, si les conditions préalables suivantes sont réunies. Tout d'abord, l'employeur doit exiger de l'employé qu'il utilise l'automobile dans l'accomplissement des fonctions de son emploi. Deuxièmement, "la totalité ou presque" de la distance parcourue par l'automobile pendant qu'elle était à la disposition de l'employé doit l'être dans l'accomplissement des fonctions de son emploi ou pendant ses heures de travail. À cet égard, le ministre a adopté une politique exigeant qu'au moins 90 % de l'usage de l'automobile soit lié à l'accomplissement du travail de l'employé: voir le bulletin IT-63R4. Troisièmement, l'usage personnel de l'automobile ne doit pas dépasser 12 000 km par année. Ainsi, les employés qui utilisent l'automobile de leur employeur exclusivement à des fins commerciales ne sont pas tenus d'inclure les frais pour droit d'usage dans leurs revenus. La raison en est que "A" est à ce moment égal à 0. Les employés qui font un usage personnel de l'automobile de l'employeur ont droit à une réduction des frais pour droit d'usage, pourvu que cet usage soit minimal, c'est-à-dire que les trois conditions préalables doivent être réunies. La réduction s'applique parce que le quotient de "A/B" n'est plus réputé égal à "1". C'est plutôt une fraction de ce nombre, et cette fraction varie en fonction du nombre de kilomètres parcourus à des fins personnelles. Pour les fins du présent appel, il est important de noter que la réduction est calculée en fonction des kilomètres réellement parcourus pour l'usage personnel de l'employé aussi bien qu'à des fins commerciales. C'est l'usage réel qui a de l'importance, et non pas la question de savoir si un employé peut utiliser sans restriction ou exclusivement l'automobile de son employeur. Il est également important de noter que l'usage réel ne devient pertinent que dans le contexte de l'exception pour usage personnel minimal formulée au paragraphe 6(2).

La dernière raison pour laquelle il faut rejeter la prétention selon laquelle l'usage non restreint de l'automobile de l'employeur est nécessaire pour que le ministre puisse imposer des frais pour droit d'usage est pragmatique. Il me semble qu'une telle interprétation saperait en fait l'efficacité législative de l'alinéa 6(1)e). On peut comprendre qu'un employeur puisse avoir des raisons légitimes d'imposer des restrictions à l'usage d'une automobile. Mais dans ce cas, il ne serait pas difficile pour un employeur et un employé de se soustraire à l'alinéa 6(1)e) en acceptant ces restrictions. Pour certains, cet élément peut être un motif suffisant pour rejeter l'interprétation adoptée par la Cour de l'impôt.

En résumé, la formulation large utilisée dans les deux versions de l'alinéa 6(1)e), jumelée à son historique législatif, appuie la position du ministre. En toute déférence, l'usage non restreint ou exclusif de l'automobile d'un employeur n'est pas une condition préalable à l'imposition des frais pour droit d'usage. L'usage réel n'est pas non plus requis, que ce soit à des fins personnelles ou à des fins commerciales. Ce qui est exigé, c'est qu'un employeur ait mis une automobile à la disposition d'un employé et, corrélativement, que cet employé ait eu le droit d'utiliser l'automobile. Cette conclusion n'est que logique puisque le paragraphe 6(2) suppose qu'un employé a fait un usage personnel de l'automobile de son employeur, peu importe qu'il en soit ainsi. À mon avis, les dispositions relatives aux frais pour droit d'usage ont été soigneusement rédigées afin d'en favoriser la certitude, au détriment de la souplesse. Cela dit, les conséquences rigoureuses qui découlent d'une disposition créant une présomption sont atténuées par l'exception "pour usage personnel minimal" qui a été greffée au paragraphe 6(2) par suite de la décision de cette Cour dans Harman . C'est à ce moment que l'usage réel et les fins pour lesquelles l'automobile a été mise à la disposition de l'employé deviennent des facteurs pertinents.

En conclusion, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour chacun des contribuables d'une manière conforme aux motifs précités. En outre, les contribuables n'ont pas demandé une réduction des frais pour droit d'usage en invoquant l'exception pour usage personnel minimal prévu au paragraphe 6(2). Par conséquent, tous les appels doivent être accueillis à moins que l'argument fondé sur la "juste valeur marchande" soit valide. À mon avis, cet argument ne peut être retenu.

Devant cette Cour, les avocats ont débattu la question de savoir si le ministre avait admis, à l'instruction, que les sommes versées à Merlin pour la location représentaient la "juste valeur marchande". Le juge de la Cour de l'impôt, dans ses motifs, a déclaré à la page 67 du dossier d'appel ce qui suit [au paragraphe 6 de QL]: "L'avocate de l'intimé a déclaré que la juste valeur marchande du prix de location n'était pas en litige et que les dispositions susmentionnées s'appliquent à tout véhicule qu'un employeur loue à un employé". En supposant, sans nous prononcer sur la question, qu'une concession a été faite, je ne peux accepter l'argument des contribuables.

En réalité, les contribuables prétendent qu'ils ont payé un juste prix pour la location eu égard aux restrictions imposées à l'usage personnel de la voiture de leur employeur. C'est peut-être le cas, mais pour les fins de l'impôt, les frais justes ou raisonnables pour droit d'usage d'une automobile sont déjà déterminés par la Loi. En fait, les contribuables nous demandent de substituer ce que le marché considère comme une indemnité équitable à l'interprétation donnée dans la Loi des frais raisonnables pour droit d'usage. Nous ne pouvons pas agir de la sorte. Le législateur a décidé de favoriser la certitude et la prévisibilité au détriment de la souplesse. La réalité est que les frais pour droit d'usage calculés conformément au paragraphe 6(2) pourraient en fait dépasser ce qui est par ailleurs considéré comme un prix équitable payé par un employé pour l'usage personnel qu'il fait d'une automobile de son employeur.

Je m'empresse de reconnaître que l'argument des contribuables aurait pu être convaincant, s'ils avaient loué leurs voitures aux mêmes taux et aux mêmes conditions que ceux qui sont offerts aux consommateurs dans des opérations sans lien de dépendance. Il est vraisemblable qu'un vendeur puisse louer une automobile de son employeur, plutôt que d'un concurrent. En pareilles circonstances, les dispositions concernant le droit d'usage ne s'appliqueraient pas. Un bail accordé à un employé dans le cours ordinaire des affaires de l'employeur, et qui n'est pas relié au contrat d'emploi, ne pourrait appuyer la conclusion que l'employeur a mis une automobile à la disposition d'un employé. La situation est identique à une vente pure et simple d'une voiture par l'employeur à son employé. Au mieux, une vente ou une location à des prix inférieurs à ceux du marché donnerait lieu à un avantage imposable en vertu d'une autre disposition de la Loi. Mais ce n'est pas le cas dont nous sommes saisis. En l'espèce, la location de l'automobile est rattachée à l'entreprise de Merlin et elle ne s'est pas faite dans le cours ordinaire des affaires.

Les parties ont accepté que les présents motifs s'appliquent aux appels connexes: A-62-96, A-63-96, A-64-96, A-65-96, A-66-96 et A-67-96. Par conséquent, les appels doivent être accueillis avec une seule mémoire de dépens pour cette Cour et la Cour de l'impôt. Les jugements de la Cour canadienne de l'impôt en date du 14 décembre 1995 sont infirmés et les nouvelles cotisations établies par le ministre sont rétablies.

Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Décary, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.