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A-741-96

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Sherway Centre Limited (intimée)

Répertorié: Canada c.Sherway Centre Ltd. (C.A.)

Cour d'appel, juges Linden, Létourneau et McDonald, J.C.A."Ottawa, 12 novembre 1997 et 5 février 1998.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Appel interjeté contre un jugement de la Cour de l'impôt permettant de déduire, sous le régime de l'art. 20(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu, des paiements qualifiés d'intérêts de participationPour éviter de grever lourdement le service de la dette dans le financement d'un important centre commercial, des obligations ont été émises à un taux inférieur à celui du marché, auquel taux s'est ajouté un intérêt de participation équivalant à 15 % de l'excédent d'exploitation dépassant 2 900 000 $On escomptait qu'un taux d'intérêt de 15 % porterait le rendement du prêt à environ le taux pratiqué sur le marché, si les promoteurs pouvaient tirer profit de l'inflation pendant la durée du prêtL'art. 20(1)c) permet de déduire les intérêts versés sur de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bienL'art. 20(1)e) permet la déduction des dépenses engagées dans le cadre de l'émission ou la vente d'actions, d'unités ou de participations ou dans le cadre d'un empruntLa C.C.I. a conclu que les versements ne constituaient pas de l'intérêt parce que le montant ne croissait pas jour après jour et parce qu'il n'était pas calculé en fonction du capital dûLa déduction était appropriée tant sous le régime de l'art. 20(1)c) que sous celui de l'art. 20(1)e)Il y a eu examen de la définition de l'intérêt ainsi que de ses caractéristiques essentielles restrictivesL'accumulation quotidienne est la capacité de déterminer sur une base quotidienne le droit à l'intérêt de chaque détenteurL'intérêt de participation, même s'il n'était versé qu'une fois par année, représentait un pourcentage de l'excédent d'exploitation et pouvait être réparti sur une base quotidienneL'intérêt de participation était un pourcentage du capital ou s'y rapportait, puisqu'il n'était payable que s'il restait un capital à rembourserLes paiements pourraient également être déduits en vertu de l'art. 20(1)e) à titre de dépense engagée pour emprunter de l'argent car ils sontrelatifs àl'emprunt, enrésultentou lui sontimputables— — Ne pas permettre la déduction reviendrait à déconsidérer les nouvelles réalités commerciales et indiquerait que la L.I.R. décourage l'esprit d'entreprise.

Il s'agissait d'un appel interjeté contre un jugement de la Cour de l'impôt permettant de déduire, sous le régime de l'alinéa 20(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu, des paiements qualifiés d'"intérêts de participation". Pour se procurer du financement à long terme pour la construction d'un important centre commercial, l'intimée a procédé à une émission d'obligations de 21,5 millions de dollars, lesquelles obligations ne pouvaient être rachetées avant 1991. Au moment de l'émission, le taux d'intérêt pratiqué sur le marché était de 10,25 %. Les principaux investisseurs estimant qu'une émission de 20 000 000 $ portant intérêt au taux de 10,25 % par année grèverait si sévèrement le service de la dette de l'intimée qu'elle pourrait l'acculer à la faillite, les parties ont convenu d'émettre les obligations à un taux de 9,75 % par année et de lui ajouter un intérêt de participation annuel équivalant à 15 % de l'excédent d'exploitation dépassant 2 900 000 $. On escomptait qu'un taux d'intérêt de 15 % porterait le rendement du prêt à environ le taux pratiqué sur le marché, si les promoteurs pouvaient tirer profit de l'inflation pendant la durée du prêt. L'alinéa 20(1)c ) permet de déduire les intérêts versés sur de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. L'alinéa 20(1)e) permet la déduction des dépenses engagées dans le cadre de l'émission ou la vente d'actions, d'unités ou de participations ou dans le cadre d'un emprunt. La Cour de l'impôt a conclu que les versements ne constituaient pas de l'intérêt parce que le montant ne croissait pas jour après jour et parce qu'il n'était pas calculé en fonction du capital dû à une date ou à une autre mais en fonction de l'excédent d'exploitation du centre commercial. Elle a appliqué l'arrêt Ministre du Revenu national c. Yonge-Eglinton Building Ltd. et a accepté les déductions en se fondant sur l'alinéa 20(1)e).

Arrêt: l'appel doit être rejeté.

Le caractère déductible de l'intérêt de participation aurait dû être reconnu tant sous le régime de l'alinéa 20(1)c) que sous celui de l'alinéa 20(1)e). Dans l'arrêt Attorney-General for Ontario v. Barfried Enterprises Ltd., le juge Judson s'est basé sur une définition figurant dans Halsbury's Laws of England pour conclure que l'une des caractéristiques essentielles de l'intérêt est qu'il s'accumule quotidiennement. Toutefois, comme M. Krishna le souligne dans son traité The Fundamentals of Canadian Income Tax, le juge Judson a mal interprété la définition énoncée dans Halsbury's Laws of England. Il convient d'interpréter l'accumulation quotidienne comme la capacité de déterminer sur une base quotidienne le droit à l'intérêt de chaque détenteur. L'interprétation du passage de Halsbury's Laws of England ne devrait pas être comprise comme établissant le principe juridique voulant que la "compensation afférente à l'utilisation d'une somme d'argent ne constitue de l'intérêt que si elle s'exprime sur une base quotidienne". Le montant versé en contrepartie de l'utilisation d'une somme d'argent pour une période déterminée peut être considéré comme croissant jour après jour. L'intérêt de participation, même s'il n'était versé qu'une fois par année, représentait un pourcentage de l'excédent d'exploitation pour l'année. Il pouvait donc être réparti sur une base quotidienne et satisfaire au critère d'accroissement jour après jour.

Dans Balaji Apartments Ltd. v. Manufacturers Life Insurance Co., il a été jugé que, pour constituer de l'intérêt, le versement doit représenter un pourcentage du capital. Il ne convient pas d'interpréter la décision Balaji Apartments comme limitant la déductibilité de versements qui se rapportent clairement au capital, même si le rattachement est indirect. Elle ne devrait s'appliquer qu'à ses faits. En l'espèce, l'intérêt de participation visait à compenser l'émission d'obligations à un taux d'intérêt inférieur pour éviter le risque d'une faillite. Les versements ne s'ajoutaient pas aux intérêts, mais ils concouraient plutôt à l'atteinte de l'objectif de 10,25 %.

Pourvu qu'il se rapporte au capital, un paiement pourrait être déductible en tant qu'intérêts. L'intérêt de participation se rapportait au capital, puisqu'il n'était payable que s'il restait un capital à rembourser. Ne pas permettre la déduction reviendrait à ne pas tenir compte des nouvelles réalités commerciales, lesquelles n'avaient pas été examinées lorsque les tribunaux ont rendu leurs décisions passées, et indiquerait que la Loi de l'impôt sur le revenu décourage l'esprit d'entreprise, puisque ceux qui tentent de mettre sur pied une nouvelle entreprise mais qui ont besoin de trouver des modes de financement innovateurs n'auraient pas droit aux déductions prévues par la Loi. Comme les paiements ont été imposés lorsqu'ils ont été reçus par les détenteurs d'obligations, un tel aménagement du financement de l'entreprise n'amenait aucun évitement fiscal. Il ne s'agissait pas non plus d'un paiement travesti en versement d'intérêts.

Les paiements pourraient également être déduits en vertu de l'alinéa 20(1)e). Il n'y a pas lieu de faire de distinction avec l'arrêt Yonge-Eglinton. Les versements d'intérêts de participation peuvent être considérés comme une dépense engagée pour emprunter de l'argent ou pour utiliser de l'argent emprunté car ils sont "relatifs à" l'emprunt, en "résultent" ou lui sont "imputables". Ils satisfont donc aux conditions posées par l'alinéa 20(1)e ).

lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 20(1)c) (mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 126, ann. III, art. 28), e) (mod. par S.C. 1979, ch. 5, art. 7).

jurisprudence

décision appliquée:

Ministre du Revenu national c. Yonge-Eglinton Building Ltd., [1974] CTC 209; (1974), 74 DTC 6180; 2 N.R. 125 (C.A.F.).

distinction faite avec:

Re Balaji Apartments Ltd. v. Manufacturers Life Insurance Co. (1979), 25 O.R. (2d) 275; 100 D.L.R. (3d) 695 (H.C.).

décisions examinées:

Reference as to the Validity of Section 6 of the Farm Security Act, 1994 of Saskatchewan, [1947] R.C.S. 394; [1947] 3 D.L.R. 689; conf. par [1949] 2 D.L.R. 145; [1949] 1 W.W.R. 742; [1949] A.C. 110 (P.C.); Attorney-General for Ontario v. Barfried Enterprises Ltd., [1963] R.C.S. 570; (1963), 42 D.L.R. (2d) 137.

doctrine

Halsbury's Laws of England, Vol. 27, 3rd ed. London: Butterworth & Co. (Publishers) Ltd., 1959.

Krishna, Vern. The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5th ed. Toronto: Carswell, 1995.

APPEL d'une décision de la Cour de l'impôt permettant de déduire, sous le régime de l'alinéa 20(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu, des paiements qualifiés d'"intérêts de participation" afférents à une émission d'obligations (Sherway Centre Ltd. c. R. , [1996] 3 C.T.C. 2687; (1996), 96 DTC 1640 (C.C.I.)). Appel rejeté.

avocats:

Donald G. Gibson pour l'appelante.

Warren J. A. Mitchell, c.r., pour l'intimée.

procureurs:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.

Thorsteinssons, Vancouver, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge McDonald, J.C.A.: La Cour d'appel est saisie de l'appel interjeté par Sa Majesté la Reine contre un jugement de la Cour canadienne de l'impôt [[1996] 3 C.T.C. 2687] permettant à l'intimée de déduire, sous le régime de l'alinéa 20(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu1, des paiements qualifiés d'"intérêts de participation" afférents à une émission d'obligations.

LES FAITS

Dans le but de financer la construction d'un important centre commercial à Toronto, le centre Sherway Gardens, l'intimée a contracté des prêt-relais qui, à cause de leur nature provisoire, devaient être remplacés par du financement à long terme. Pour se procurer ce financement, elle a procédé à une émission d'obligations de 21,5 millions de dollars, lesquelles obligations ne pouvaient être rachetées avant 1991. Au moment de l'émission, le taux d'intérêt pratiqué sur le marché était de 10,25 %. Les deux principaux investisseurs, Sun Life du Canada Compagnie d'assurance-vie et La Compagnie d'Assurance du Canada sur la Vie, estimant qu'une émission de 20 000 000 $ portant intérêt au taux de 10,25 % par année grèverait si sévèrement le service de la dette de l'intimée qu'elle pourrait l'acculer à la faillite, les parties ont convenu d'émettre les obligations à un taux d'intérêt nominal inférieur au taux du marché, savoir 9,75 % par année, et de lui ajouter un intérêt de participation annuel équivalant à 15 % de l'excédent d'exploitation dépassant 2 900 000 $.

Le taux d'intérêt de participation a été fixé à 15 % parce qu'on escomptait qu'il porterait ainsi le rendement du prêt à environ 10.25 % (le taux du marché), si les promoteurs pouvaient tirer profit de l'inflation pendant la durée du prêt.

L'intimée a préparé un prospectus décrivant l'intérêt de participation aux investisseurs. On pouvait y lire ce qui suit:

[traduction] En plus de porter intérêt au taux annuel fixe de 9,75 %, payable semestriellement (1er octobre et 1er avril), les obligations de série A donneront droit, chaque année, à un intérêt de participation équivalant à 15 % de l'excédent d'exploitation (défini ci-après) dépassant 2 900 000 $, ainsi que l'explique la rubrique "Taux d'intérêt", à la p. 12 du présent prospectus . . . Les obligations de série A ne pourront être rachetées avant le 1er  octobre 1991.

L'excédent d'exploitation a été défini de la façon suivante:

[traduction] "Excédent d'exploitation" À l'égard d'une période déterminée, s'entend de l'excédent des revenus bruts de la société provenant de toute source sur les frais admissibles de toute nature relatives à l'administration, à la vente, à la location et à l'exploitation et les frais fixes à l'exception de l'impôt afférent aux intérêts créditeurs, du loyer payable en application du bail foncier, de l'amortissement et de l'amortissement fiscal.

L'intimée a cherché à déduire les versements d'intérêts de participation qu'elle a effectués au cours des années d'imposition 1987 et 1988. Le ministre a refusé la déduction pour le motif que ces versements ne constituaient ni des intérêts au sens de l'alinéa 20(1)c) [mod. par S.C. 1985, ch. 45, art. 126, ann. III, art. 28] de la Loi ni des dépenses engagées pendant l'année dans le cadre d'un emprunt utilisé en vue de tirer un revenu d'entreprise au sens de l'alinéa 20(1)e).

L'intimée a interjeté appel de la cotisation fixée par le ministre devant la Cour canadienne de l'impôt. Cette dernière, affirmant que l'arrêt Ministre du revenu national c. Yonge-Eglinton Building Ltd.2 de la Cour fédérale s'appliquait en l'espèce, a accepté la déduction afférente au versement d'intérêts de participation en la fondant sur l'alinéa 20(1)e) de la Loi.

Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a relevé un fait important qui a déjà été mentionné mais qu'il importe de répéter pour les fins du présent appel, savoir que tous les témoins ont déclaré qu'à l'époque où la transaction a été faite, les taux d'intérêt atteignaient des niveaux exceptionnellement élevés et que l'intérêt de participation visait à faire passer le rendement global des obligations de 9,75 % à un niveau projeté équivalant environ à 10,25 %.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

Avant de commencer l'analyse, il s'impose d'énoncer en entier les dispositions applicables de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le paragraphe 20(1) énumère les déductions permises par la Loi dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien. Il est ainsi conçu:

20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant.

L'alinéa 20(1)c) prévoit la déduction relative aux intérêts:

20. (1) . . .

c) une somme payée dans l'année ou payable pour l'année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu), en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur

(i) de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (autre que l'argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d'impôt ou pour prendre une police d'assurance-vie),

(ii) une somme payable pour un bien acquis en vue d'en tirer un revenu ou de tirer un revenu d'une entreprise (à l'exception d'un bien dont le revenu serait exonéré d'impôt ou à l'exception d'un bien représentant un intérêt dans une police d'assurance-vie).

L'alinéa 20(1)e) permet la déduction des dépenses engagées dans le cadre de l'émission ou la vente d'actions, d'unités ou de participations ou dans le cadre d'un emprunt. Il énonce ce qui suit:

20. (1) . . .

(e) une dépense engagée dans l'année,

(i) à l'occasion de l'émission ou de la vente d'unités du contribuable lorsque le contribuable est une fiducie d'investissement à participation unitaire, de participation dans une société ou un syndicat par la société ou le syndicat, selon le cas, ou d'actions du capital-actions du contribuable, ou

(ii) à l'occasion d'un emprunt d'argent utilisé par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (autre que l'argent utilisé par le contribuable pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré),

y compris une commission, des honoraires ou toute autre somme payés ou payables pour services rendus ou au titre de services rendus par une personne à titre de vendeur, d'agent ou de courtier en valeurs mobilières au cours de l'émission ou de la vente des unités, des participations ou des actions ou de l'emprunt de l'argent, mais à l'exclusion d'une somme payée ou payable à titre ou au titre du principal de la dette ou à titre ou au titre d'intérêts.

ANALYSE

À mon avis, la Cour canadienne de l'impôt aurait dû reconnaître le caractère déductible de l'intérêt de participation tant sous le régime de l'alinéa 20(1)c) que sous celui de l'alinéa 20(1)e). Je crois d'ailleurs qu'elle aurait aussi accepté la déduction fondée sur l'alinéa 20(1)c) si une partie de la jurisprudence plus ancienne n'avait pas interprété restrictivement la définition d'intérêts. Parce que la jurisprudence relative à l'interprétation de cette définition n'a pas évolué au même rythme que l'innovation en matière d'instruments de financement commercial ou n'a pas tenu compte de cette évolution, la Cour canadienne de l'impôt n'a eu d'autre choix que de tenter de faire relever les déductions en cause de l'alinéa 20(1)e). Tout en souscrivant à l'opinion du juge de cette Cour selon laquelle l'alinéa 20(1)e) pouvait autoriser la déduction des versements en question, je suis d'avis que l'intérêt de participation peut également être déduit sous le régime de l'alinéa 20(1)c).

La définition classique de l'intérêt a été formulée par la Cour suprême du Canada en 1947, dans l'arrêt Reference as to the Validity of Section 6 of the Farm Security Act, 1944 of Saskatchewan3. Le juge Rand y a donné une définition large de ce terme incluant [traduction] "le rendement, la contrepartie ou la compensation afférent à l'utilisation ou à la conservation par une personne d'une somme d'argent appartenant à une autre personne ou, en termes courants, due à cette dernière". Depuis, cet énoncé passablement large a été restreint ou resserré. Ainsi, dans l'arrêt Attorney-General for Ontario v. Barfried Enterprises Ltd.4 , le juge Judson a conclu, après avoir examiné la définition formulée par le Juge Rand dans l'arrêt Farm Security Act et la définition figurant dans Halsbury's Laws of England [vol. 27, 3e éd., Londres: Butterworths & Co. (Publishers) Ltd., 1959], que l'une des caractéristiques essentielles de l'intérêt était qu'il s'accumulait quotidiennement. Il a statué, citant la troisième édition de l'ouvrage de Halsbury: [traduction] ""L'intérêt court jour après jour, même s'il n'est payable que par intervalles, et il peut donc être réparti à des dates données entre la succession des personnes pouvant prétendre au capital". Cette accumulation quotidienne me paraît être une caractéristique essentielle"5. Toutefois, comme M. Krishna le souligne dans son traité The Fundamentals of Canadian Income Tax6, le juge Judson a mal interprété la définition énoncée dans Halsbury's Laws of England:

[traduction] Mais Halsbury ne fait qu'énoncer que lorsqu'une somme d'argent est considérée comme de l'intérêt, elle est réputée s'accroître quotidiennement. Malheureusement, on a interprété ces mots comme signifiant qu'un versement ne peut être de l'intérêt sauf s'il s'accroît jour après jour, même s'il n'est payable qu'à intervalles. Cette interprétation de Halsbury a beaucoup obscurci la signification d'intérêt.

La décision rendue par la Haute Cour de l'Ontario dans l'affaire Re Balaji Apartments Ltd. v. Manufacturers Life Insurance Co.7 a ajouté une autre caractéristique restrictive à la définition énoncée par le juge Rand dans l'arrêt Farm Security Act. La Cour a statué que pour constituer de l'intérêt, le versement doit représenter un pourcentage du capital. En se fondant sur ces caractéristiques limitatives, le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu que les versements ne constituaient pas de l'intérêt parce que le montant ne croissait pas jour après jour et parce qu'il n'était pas calculé en fonction du capital dû à une date ou à une autre mais en fonction de l'excédent d'exploitation du centre commercial. J'examinerai chacune de ces raisons l'une après l'autre.

Relativement à la question de savoir si les versements croissent jour après jour, j'estime qu'il convient d'interpréter l'accumulation quotidienne comme la capacité de déterminer sur une base quotidienne le droit à l'intérêt de chaque détenteur. Je conviens donc avec l'intimée que l'interprétation du passage de Halsbury's Laws of England ne devrait pas être comprise comme établissant le principe juridique voulant que la [traduction] "compensation afférente à l'utilisation d'une somme d'argent ne constitue de l'intérêt que si elle s'exprime sur une base quotidienne". Je souscris en effet à l'affirmation de l'intimée selon laquelle [traduction ] "le montant versé en contrepartie de l'utilisation d'une somme d'argent pour une période déterminée peut être considéré comme croissant jour après jour" [soulignement ajouté].

L'intérêt de participation, même s'il n'était versé en l'espèce qu'une fois par année, représentait un pourcentage de l'excédent d'exploitation pour l'année. Il pouvait donc être réparti sur une base quotidienne et, par conséquent, satisfaire au critère d'accroissement jour après jour.

La question la plus difficile se rapporte à l'exigence, formulée dans la décision Balaji Apartments, que l'intérêt soit un pourcentage du capital. Cette décision avait trait à une hypothèque en vertu de laquelle il fallait, en plus des versements hypothécaires, acquitter un pourcentage des loyers annuels bruts lorsqu'un montant brut était atteint. La Cour a jugé que ces derniers versements ne constituaient pas de l'intérêt parce qu'ils ne représentaient pas [traduction] "un pourcentage et ne se rapportaient d'aucune façon au capital"8.

À mon avis, il ne convient pas d'interpréter la décision Balaji Apartments comme limitant la déductibilité de versements qui se rapportent clairement au capital, même si le rattachement est indirect. En fait, cette décision ne devrait s'appliquer qu'aux affaires dont les faits s'apparentent à ceux qui ont fondé le jugement"lorsqu'il est clair que le versement en cause s'ajoute à l'obligation d'acquitter des intérêts sur le prêt. Cette analyse s'impose d'elle-même à la lecture de la clause des dispositions relatives au remboursement qui stipulait le paiement d'un pourcentage des loyers annuels bruts dans l'affaire Balaji Apartments . Cette clause est ainsi libellée9:

[traduction] Les parties conviennent également, pour la contrepartie susmentionnée, que, si le montant total des revenus annuels bruts que le débiteur tire, dans une année civile, pendant la durée du présent contrat d'hypothèque, desdits biens-fonds et des immeubles ou autres installations érigés ou situés ou pouvant être érigés ou situés sur eux, excède 135 000 $ . . . le débiteur paiera aux créanciers, dans les cent vingt et un jours suivant la fin de chaque année civile, une somme équivalant à 10 % de l'excédent des revenus annuels bruts sur ladite somme de 135 000 $, et ce jusqu'au plein remboursement du capital et des intérêts conformément aux modalités énoncées ci-haut. Ce paiement s'ajoute aux versements d'intérêts et de capital ci-après décrits . . .

Effectivement, le juge Anderson a statué, après avoir lu ce texte10:

[traduction] Je suis d'avis, à la lecture du texte de l'hypothèque et de la Loi, que cet argument ne saurait tenir. Le libellé de l'hypothèque énonce clairement que l'obligation de verser un pourcentage des revenus annuels bruts survient à l'égard de toute année où les revenus excèdent 135 000 $, qu'elle doit être exécutée par le versement, l'année suivante, d'un montant forfaitaire et que ce versement s'ajoute aux versements d'intérêts et de capital. Ce paiement n'est pas un pourcentage du capital, et il ne se rapporte d'aucune façon au capital.

Ces extraits indiquent que le paiement d'un pourcentage des revenus annuels bruts, dans cette affaire, s'ajoutait aux intérêts tant qu'ils n'étaient pas entièrement acquittés. En l'espèce, la preuve révèle que l'intérêt de participation visait à compenser l'émission d'obligations à un taux d'intérêt inférieur (9,75 % plutôt que 10,25 %) à laquelle l'intimée avait dû recourir en raison d'un risque réel de faillite. L'intérêt de participation constituait donc un autre moyen de verser aux détenteurs des obligations un montant correspondant à un taux d'intérêt de 10,25 % (le taux qui aurait été établi s'il n'y avait eu risque de faillite). Par conséquent, les versements ne s'ajoutaient pas aux intérêts comme c'était le cas dans l'affaire Balaji, mais ils concouraient plutôt à l'atteinte de l'objectif de 10,25 %. Il importe en outre de souligner que le juge Anderson, dans cette dernière affaire, a envisagé la possibilité qu'un paiement se rapportant au capital puisse être déductible en tant qu'intérêts, lorsqu'il a écrit que le "paiement n'est pas un pourcentage du capital, et il ne se rapporte d'aucune façon au capital"11. [Soulignement ajouté.]

La question qui se pose est donc celle de savoir si l'on peut considérer l'intérêt de participation payé aux détenteurs en l'espèce comme un pourcentage du capital ou un versement se rapportant de quelque façon au capital. Je suis d'avis qu'on le peut car, ainsi que le fait remarquer l'intimée, cet intérêt n'était payable que s'il restait un capital à rembourser. La fraction d'intérêt de participation reçue était directement proportionnelle au montant du capital dû, et l'intérêt de participation ne visait qu'à assurer, pendant la durée du prêt, un rendement sur ce capital s'approchant du taux d'intérêt normal. Conclure autrement, c'est-à-dire donner à cette disposition une interprétation aussi restrictive que l'a fait la jurisprudence antérieure et refuser la déduction, reviendrait à mon avis à ne pas tenir compte des nouvelles réalités commerciales, lesquelles n'avaient pas été examinées lorsque les tribunaux ont rendu leurs décisions passées.

En concluant que les paiements effectués au titre de l'intérêt de participation ne sont pas déductibles, la Cour indiquerait en fait que la Loi de l'impôt sur le revenu décourage l'esprit d'entreprise, puisque ceux qui tentent de mettre sur pied une nouvelle entreprise mais qui ont besoin, pour réussir, de trouver des modes de financement innovateurs n'auraient pas droit aux déductions prévues par la Loi. Il ne faut pas oublier non plus que les paiements ont été imposés lorsqu'ils ont été reçus par les détenteurs d'obligations. Un tel aménagement du financement de l'entreprise n'amène donc aucun évitement fiscal. De fait, l'intimée cherche seulement à se prévaloir de la déduction à laquelle les autres entreprises effectuant des paiements d'intérêts ont droit. Nous ne sommes pas non plus en présence d'un paiement travesti en versement d'intérêts.

Si j'étais dans l'erreur en concluant que les versements d'intérêts de participation sont visés par l'alinéa 20(1)c) de la Loi, j'autoriserais alors la déduction en vertu de l'alinéa 20(1)e) de la Loi. Tout en convenant que l'appelante a raison d'affirmer qu'il est possible d'établir une distinction entre l'arrêt Yonge-Eglinton et la présente espèce, j'estime néanmoins qu'il n'y a pas lieu de le faire. Les versements d'intérêts de participation peuvent être considérés comme une dépense engagée pour emprunter de l'argent ou pour utiliser de l'argent emprunté car ils sont "relatifs à" l'emprunt, en "résultent" ou lui sont "imputables". Ils satisfont donc aux conditions posées par l'alinéa 20(1)e ) pour avoir droit à la déduction. Bien que le juge Thurlow [tel était alors son titre] affirme, dans l'arrêt Yonge-Eglinton, que les paiements "se rapporte[nt] au mode d'exécution ou à ce qui doit être fait pour réaliser l'émission ou la vente ou l'emprunt pour lesquels ou relativement auxquels les dépenses ont été engagées", il ne me paraît pas que cette partie de ses motifs interdise les versements d'intérêts de participation en cause ici. De fait, il écrit, à la page 643:

Le domaine général englobé par les sous-alinéas (i) et (ii) de l'article 11(1)cb) est, à mon avis, limité par les exclusions expresses des sous-alinéas (iii) et (iv), car le fait qu'on a jugé opportun d'exclure expressément les commissions et bonis ainsi que les montants payés à titre ou au titre du principal ou d'intérêt, démontre, à mon sens, que "une dépense engagée dans l'année" à l'occasion de l'émission ou de la vente d'actions ou d'emprunt d'argent utilisé aux fins prévues peut englober une vaste catégorie de dépenses engagées à ces fins. Les exemples qui viennent le plus aisément à l'esprit sont les honoraires professionnels relatifs à l'obtention de documents nécessaires et les droits relatifs à l'enregistrement de documents, mais la rédaction ne limite pas à ce type de dépenses ou à des dépenses semblables et, à mon avis, on n'aurait pas à forcer le sens des termes utilisés pour considérer qu'ils englobent des sommes semblables à celles ici en cause.

Il ajoute, aux pages 644 et 645:

Le critère applicable, à mon sens, est de déterminer si la dépense, quelle que soit l'année d'imposition où elle s'est produite, résulte de l'émission, de la vente d'actions ou de l'emprunt d'argent. Il se peut qu'il ne soit pas toujours facile de décider si une dépense résulte de telles circonstances, mais il me semble que l'expression "à l'occasion de" à l'article 11(1)cb ) ne se rapporte pas à l'époque où les dépenses ont été engagées; elle est utilisée dans le sens de "relativement à", "résultant de" ou "imputable à" et se rapporte au mode d'exécution ou à ce qui doit être fait pour réaliser l'émission ou la vente ou l'emprunt pour lesquels ou relativement auxquels les dépenses ont été engagées.

Le juge suppléant Lacroix, dans son opinion concourante, a aussi conclu ce qui suit, à la page 648:

C'est le coût ou le prix que le contribuable a dû payer ou, aux termes de la Loi (art. 11(1)cb)), c'est la dépense qu'il a dû engager ou la charge financière qu'il a dû assumer afin d'obtenir les sommes dont il avait besoin pour tirer un revenu de son entreprise ou de ses biens.

À mon avis, il est difficile de ne pas dire que cette dépense a été engagée ou cette charge financière assumée ou acceptée par le contribuable à l'occasion d'emprunt d'argent utilisé pour gagner un revenu provenant d'une entreprise ou de biens, conformément, cette fois-ci, à l'article 11(1)cb)(ii).

Pour ces motifs, je conclus que les paiements en cause peuvent entrer dans la déduction prévue à l'alinéa 20(1)e).

Je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Létourneau, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

1 S.C. 1970-71-72, ch. 63 (mod. par S.C. 1979, ch. 5, art. 7).

2 [1974] 1 C.F. 637 (C.A.).

3 [1947] R.C.S. 394, à la p. 411; conf. par [1949] 2 D.L.R. 145 (P.C.).

4 [1963] R.C.S. 570.

5 Id., à la p. 575.

6 Krishna, Vern. The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5e éd., Toronto: Carswell, 1995, à la p. 337.

7 (1979), 25 O.R. (2d) 275 (H.C.).

8 Précité, à la p. 277.

9 Id., aux p. 276 et 277 (non souligné dans l'original).

10 Id., à la p. 277 (non souligné dans l'original).

11 Ibid.

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