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[1994] 3 .C.F 128

T-2794-93

Dr Fred G. Peet (requérant) (intimé à la requête)

c.

Le procureur général du Canada (intimé) (requérant à la requête)

et

Sous-ministre de Ressources naturelles Canada (anciennement Forêts Canada) (intervenant)

Répertorié : Peet c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Calgary, 20 avril 1994.

Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari — Requête en radiation de la demande visant l’annulation de la décision du sous-ministre qui a conclu que le requérant avait contrevenu au Code régissant les conflits d’intérêts — Code exigeant des fonctionnaires qu’ils se dessaisissent de biens lorsqu’il est jugé qu’ils comportent un risque de conflit d’intérêts, et prévoyant, en cas de contravention, des mesures disciplinaires, y compris le renvoi — Code établi par le Conseil du Trésor conformément à son pouvoir en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, non promulgué par décret — L’intimé soutient que la Cour n’a pas compétence puisque le Code est une simple directive administrative et non une loi — Requête rejetée — Les directives administratives internes peuvent constituer le fondement d’une obligation publique en droit — Les obligations ne sont pas toutes expresses — Une obligation implicite a néanmoins force exécutoire — La décision attaquée comporte des conséquences sérieuses — Ces décisions font traditionnellement l’objet de contrôle judiciaire.

Fonction publique — Code régissant les conflits d’intérêts — Code établi par le Conseil du Trésor conformément à son pouvoir en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, non promulgué par décret — Décisions rendues sous son régime susceptibles de contrôle judiciaire (1) en tant qu’obligation implicite ayant force exécutoire, (2) ayant des conséquences sérieuses (perte d’emploi ou perte de l’entreprise lorsqu’il est jugé qu’il y a conflit d’intérêts).

Il s’agit d’une requête en radiation d’une demande visant l’annulation de la décision du sous-ministre de Forêts Canada, qui a conclu que l’exploitation par le requérant de deux sociétés contrevenait au Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique. L’intimé soutient que la Cour n’a pas compétence sur cette décision parce que le Code n’est pas une loi. Le Code a été établi par le Conseil du Trésor conformément à son pouvoir en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, contrairement aux directives antérieures qui avaient été promulguées par décret et qui avaient clairement force de loi. L’intimé soutient que le Code serait simplement une directive administrative et les décisions auxquelles il donne lieu ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire. Le Code exige des employés qu’ils se dessaisissent de biens lorsqu’il est jugé qu’ils comportent un risque de conflit d’intérêts. Tout employé qui ne se conforme pas à cette directive s’expose à des mesures disciplinaires, y compris le renvoi.

Jugement : la requête doit être rejetée.

La Cour a compétence en l’espèce.

Dans l’arrêt Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), la Cour d’appel fédérale a conclu que les directives administratives internes pouvaient constituer le fondement d’une obligation publique en droit. Les obligations imposées par la loi ne sont pas toutes expresses. Une obligation implicite a néanmoins force exécutoire. Le Code en l’espèce constitue davantage un texte législatif « implicite » ou quasi législatif que ce n’était le cas dans l’arrêt Nguyen, dans lequel il s’agissait d’un Manuel d’immigration.

La décision que l’on veut faire réviser en l’espèce comporte de très sérieuses conséquences pour le requérant : la perte de son emploi ou la cession forcée ou encore la fermeture de son entreprise. Les décisions entraînant ce type de conséquences ont traditionnellement donné lieu à un contrôle judiciaire.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467.

Lignes directrices au sujet des conflits d’intérêts touchant les fonctionnaires, TR/74-2.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem, art. 4).

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 18.

Loi sur l’administration financière, S.R.C. 1970, ch. F-10, art. 7.

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 5(2), 7(1), 11(2).

Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, ch. P-6, art. 29(3).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 232 (C.A.); autorisation de pourvoi refusée le 17-2-94, [1994] Bulletin C.S. 237; Inuit Tapirisat of Canada c. Le Très honorable Jules Léger, [1979] 1 C.F. 710 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41; (1986), 68 N.R. 143 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321; Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l’Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118; (1977), 74 D.L.R. (3d) 1; 33 C.C.C. (2d) 366; 14 N.R. 285; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15 C.R. (3d) 315; 30 N.R. 119; Peet et le Conseil du Trésor (Forêts Canada), [1993] C.R.T.F.P.C. no 133 (QL).

DÉCISIONS CITÉES :

Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247; (1994), 164 N.R. 342 (C.A.); Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC 14,181; 23 N.R. 410; McCarthy c. Le procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 309; (1980), 114 D.L.R. (3d) 77; 80 CLLC 14,061 (C.A.); Saskatchewan Teachers’ Federation v. Munro (1993), 15 Admin. L.R. (2d) 307 (C.A. Sask.); Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.A. (3d)1; 33 N.R. 304.

DOCTRINE

Conseil du Trésor du Canada. Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique. Ottawa : Approvisionnements et Services, 1985.

Dussault, René et Louis Borgeat. Traité de droit administratif, 2e éd., t. 1, Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1984.

REQUÊTE en radiation d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du sous-ministre portant que le requérant avait contrevenu au Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique au motif que la décision n’était pas susceptible de contrôle judiciaire parce que le Code n’est pas une loi. Requête rejetée.

AVOCATS :

Peter J. Barnacle pour le requérant (intimé à la requête).

Yvonne E. Milosevic pour l’intimé (requérant à la requête).

PROCUREURS :

Nelligan/Power, Ottawa, pour le requérant (intimé à la requête).

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimé (requérant à la requête).

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Reed : L’intimé dépose une requête en radiation de la présente demande au motif que notre Cour n’aurait pas compétence sur la décision prise le 5 février 1993 par le sous-ministre de Forêts Canada. Ce dernier a conclu que le requérant avait contrevenu au Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique (le Code). L’acte reproché au requérant est l’exploitation de deux sociétés : Eidetic Digital Imaging et Eidetic Imaging Ltd. Le requérant soutient qu’il y a eu mauvaise foi de la part du décideur, que la procédure suivie a été inéquitable et que le Code a été mal appliqué.

L’intimé soutient que notre Cour n’a pas compétence sur la requête en annulation de la décision du sous-ministre parce que le Code n’est pas une loi. Le Code serait simplement une directive administrative de gestion et les décisions auxquelles il donne lieu ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire.

Le Code a été établi par le Conseil du Trésor conformément à son pouvoir en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 :

5. …

(2) Le Conseil du Trésor se compose, en plus de son président, du ministre et de quatre autres membres, ou conseillers, choisis par le gouverneur en conseil au sein du Conseil privé de la Reine pour le Canada.

7. (1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l’égard des questions suivantes :

a) les grandes orientations applicables à l’administration publique fédérale;

e) la gestion du personnel de l’administration publique fédérale, notamment la détermination de ses conditions d’emploi;

f) les autres questions que le gouverneur en conseil peut lui renvoyer.

11. …

(2) Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d’un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique :

f) établir des normes de discipline dans la fonction publique et prescrire les sanctions pécuniaires et autres, y compris la suspension et le congédiement, susceptibles d’être appliquées pour manquement à la discipline ou pour inconduite et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

i) réglementer les autres questions, notamment les conditions de travail non prévues de façon expresse par le présent paragraphe, dans la mesure où il l’estime nécessaire à la bonne gestion du personnel de la fonction publique.

L’article premier du Code prévoit :

1.   Le présent document vise à porter à l’attention de tous les fonctionnaires pour qui le Conseil du Trésor représente le gouvernement à titre d’employeur les dispositions du code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d’intérêts et l’après-mandat, que le Premier ministre a déposé à la Chambre des communes le 9 septembre 1985.

En prenant sa décision, le sous-ministre s’est tout particulièrement fondé sur les dispositions suivantes du Code :

6.   Chaque employé doit se conformer aux principes suivants :

a) il doit exercer ses fonctions officielles et organiser ses affaires personnelles de façon à préserver et à faire accroître la confiance du public dans l’intégrité, l’objectivité et l’impartialité du gouvernement;

d) dès sa nomination, et en tout temps par la suite, il doit organiser ses affaires personnelles de manière à éviter les conflits d’intérêts réels, potentiels ou apparents; l’intérêt public doit toujours prévaloir dans les cas où les intérêts du titulaire entrent en conflit avec ses fonctions officielles;

Avant l’adoption du Code, la question des conflits d’intérêts était régie par les Lignes directrices au sujet des conflits d’intérêts touchant les fonctionnaires (« les Lignes directrices »). Ces lignes directrices avaient été promulguées par décret (TR/74-2, 9 janvier 1974) et il n’y a pas de doute qu’elles avaient force de loi. Selon l’avocat de l’intimé, depuis l’abrogation de ces lignes directrices et l’adoption du Code, la question des conflits d’intérêts a cessé d’être régie par un texte ayant force de loi. Ironiquement, l’avocat fait remarquer que les Lignes directrices avaient force de loi parce qu’elles avaient été promulguées comme telles, et que le Code n’est pas un texte législatif parce qu’il n’a pas été ainsi établi. Ne serait-ce pas une interprétation quelque peu rétrograde?

On soutient que le Code est visé par la description que donnent Dussault et Borgeat dans le Traité de droit administratif, 2e éd., 1984, t. 1, à la page 429 :

Lorsqu’un gouvernement juge nécessaire de régir une situation par des normes de comportement, il peut faire adopter une loi ou édicter lui-même un règlement, ou bien procéder administrativement par voie de directives. Dans le premier cas, il doit s’astreindre aux formalités de l’adoption des lois et des règlements; par contre, il sait que, une fois ces formalités respectées, les nouvelles normes entreront dans le cadre de la « légalité » et qu’en vertu de la Rule of law elles seront appliquées par les tribunaux. Dans le second cas, c’est-à-dire s’il choisit de procéder par directives, que celles-ci soient ou non autorisées législativement, il opte plutôt pour la voie moins formalisée de l’autorité hiérarchique, dont les tribunaux n’ont pas à assurer le respect. Attribuer à des directives l’effet de règlements, c’est aller au-delà de l’intention du législateur. Celui-ci ne parlant pas pour ne rien dire, il faut respecter sa volonté implicite de laisser une situation hors du cadre strict de la « légalité ». [C’est moi qui souligne.]

Dans l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, à la page 36, la Cour suprême du Canada a aussi reproduit cette citation pour décrire la distinction qui existe entre des directives ministérielles et le Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement [DORS/84-467] (« Lignes directrices sur le PEEE ») dont il était question dans cet arrêt. La Cour suprême a statué que ces lignes directrices avaient force de loi, malgré leur appellation, parce qu’elles étaient formulées en termes impératifs et avaient été promulguées par décret.

On soutient d’une part, que les dispositions du présent Code sont des directives administratives, semblables à celles dont il est question dans l’ouvrage de Dussault et Borgeat et dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, et d’autre part, qu’elles ne sont pas comme les Lignes directrices sur le PEEE dont il était question dans l’arrêt Friends of the Oldman River Society. Je tiens aussi à faire remarquer que des directives semblables à celles dont il était question dans l’arrêt Maple Lodge Farms ont récemment fait l’objet d’une décision : Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247 (C.A.).

L’intimé invoque aussi l’arrêt Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l’Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118. Dans cet arrêt, la Cour suprême devait se prononcer sur des décisions prises conformément à des directives établies par le commissaire des pénitenciers. Le pouvoir du commissaire reposait sur le paragraphe 29(3) de la Loi sur les pénitenciers [S.R.C. 1970, ch. P-6]. La Cour à la majorité, à la page 129, a conclu que la révision de la décision ne relevait pas du pouvoir de la Cour d’appel fédérale parce qu’il s’agissait de directives administratives qui n’avaient pas force de loi[1] :

Je ne suis pas convaincue par les arguments que l’intimé soulève en se fondant sur l’ouvrage de Dussault et de Borgeat ou sur l’arrêt Martineau. Il faut situer dans son contexte le passage tiré de l’ouvrage de Dussault et de Borgeat. Voici comment poursuivent les auteurs aux pages 430 et 431 :

Les tribunaux ont beaucoup contribué jusqu’ici à la compréhension de ce concept. Certains principes paraissent cependant fragiles et pourraient éventuellement être nuancés. Les tribunaux doivent être prudents lorsqu’ils examinent le caractère de ces textes, d’abord parce qu’ils sont fort divers, mais aussi parce que les cataloguer trop rapidement ou trop simplement pourrait paralyser l’activité de l’Administration ou porter atteinte aux droits des citoyens.

Il s’agit d’un phénomène nouveau qui échappe encore à une analyse très rigoureuse et qu’il ne faut pas enfermer trop rapidement dans les catégories rigides du droit existant. La définition des directives pose au droit des difficultés conceptuelles évidentes. Il ne faudrait pas, pour cela, empêcher l’évolution d’un concept très utile, à la frontière du normatif et du décisionnel, du législatif et de l’administratif. Il faut ainsi éviter le travers que dénonçait D. Mockle chez les auteurs britanniques dans leur approche des directives : « Plutôt que de s’ingénier à leur assigner une place originale, ils cherchent à les assimiler aux actes réglementaires en les percevant comme une autre forme de la législation déléguée. »

Voilà donc, brièvement résumées, les principales manifestations du pouvoir réglementaire au Canada et au Québec. Quoique les textes réglementaires reçoivent différents noms, cette variété terminologique n’entraîne aucune conséquence juridique, puisque tous ces textes réglementaires ont la même valeur légale, comme le remarquer C. K. Allen : « In any case, the distinction is one of name rather than of substance, since there is no difference in actual legal validity between these variously named sublaws (…) » Aussi, pour éviter une multiplicité de termes tout à fait inutile, nous parlerons maintenant de « règlement », au sens large, pour désigner l’ensemble des textes véritablement réglementaires. [Omission des notes en bas de page; c’est moi qui souligne.]

En ce qui concerne l’arrêt Martineau, bien que la Cour suprême ait conclu que la décision en question n’était pas susceptible de révision par la Cour d’appel fédérale, parce qu’elle n’avait pas été prise conformément à des directives qui avaient force de loi, elle a, dans l’arrêt subséquent Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, statué qu’une telle décision pouvait être révisée par la Section de première instance, en conformité avec l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10], en tant que décision administrative qui doit être prise équitablement.

Je reconnais que le Code n’a pas le même statut que les Lignes directrices sur le PEEE. Ce code n’a pas été promulgué par décret. Cependant, je ne crois pas que cela clôt la discussion. Dans l’arrêt Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 232, la Cour d’appel fédérale a conclu que les directives internes administratives pouvaient constituer le fondement d’une obligation publique en droit. L’un des membres de la Cour (dissident) [à la page 243] était d’avis contraire. Selon lui, le manuel administratif en question n’avait pas force de loi. Cependant, le juge Hugessen, s’exprimant au nom de la majorité, a examiné le statut des directives [à la page 245] : « [L]es obligations imposées par la loi ne sont pas toutes expresses. Une obligation implicite a néanmoins force exécutoire ». Il a précisé que le Guide d’immigration employé par les fonctionnaires du ministère de l’Emploi et de l’Immigration imposait un devoir aux fonctionnaires en question, et il a rendu une ordonnance de mandamus. La Cour suprême a récemment rejeté la demande d’autorisation de pourvoi dans cette affaire (C.S. No 23834, 17 février 1994) [[1994] Bulletin C.S. 237]. Je suis d’avis que le Code en l’espèce constitue davantage un texte législatif « implicite » ou quasi législatif que ce n’était le cas dans l’arrêt Nguyen.

L’avocat du requérant a mentionné l’arrêt Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41 (C.A.). Dans cet arrêt, à la page 48, la Cour d’appel fédérale cite les directives de l’époque sur les conflits d’intérêts qui avaient été établies conformément à l’article 7 de la Loi sur l’administration financière, S.R.C. 1970, ch. F-10. La Cour d’appel a qualifié ces directives de « Bulletins du personnel ayant force de loi ». Je ne suis pas sûre que ceci aide vraiment le requérant. Bien que ces directives aient eu le même statut juridique que le présent Code, en ce qu’elles avaient été établies en conformité avec l’article 7 de la Loi sur l’administration financière, leur contenu reflétait les Lignes directrices de l’époque en matière de conflits d’intérêts qui avaient véritablement force de loi puisqu’elles avaient été promulguées par décret.

Si je comprends bien, l’intimé craint principalement que toutes les décisions des gestionnaires dans la fonction publique ne donnent lieu à contrôle si l’on reconnaît que celles qui sont prises en vertu du Code le sont. On prétend que ces décisions, sous une forme ou une autre, sont prises en vertu des pouvoirs conférés au Conseil du Trésor par la Loi sur la gestion des finances publiques. Ceci est particulièrement troublant compte tenu de la définition générale de l’expression « office fédéral » que l’on trouve à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1 : « personne exerçant ou censé[e] exercer des pouvoirs prévus par une loi fédérale ».

Avant de présenter la présente demande de contrôle judiciaire, le requérant a tenté de contester la décision du sous-ministre dans des procédures intentées devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique. L’intimé avait alors fait valoir que la Commission n’avait pas compétence pour entendre le grief puisqu’aucune mesure disciplinaire n’avait encore été prise lors de la décision du sous-ministre. La Commission a souscrit à cet argument dans une décision en date du 6 juillet 1993 [[1993] C.R.T.F.P.C. no 113 (QL)] :

La lettre que le sous-ministre a envoyée au fonctionnaire le 27 octobre 1992 n’impose aucune mesure disciplinaire. En fait, elle n’empêche nullement M. Peet de continuer d’être propriétaire d’Eidetic Digital Imaging Ltd. Le sous-ministre a exercé un pouvoir dont il est investi; en demandant à M. Peet de restreindre ses activités, il a apparemment suivi les règles normales ainsi que l’avis que lui avait donné le Comité ministériel sur les conflits d’intérêts. Le fonctionnaire ne m’a pas convaincu que le sous-ministre avait un motif disciplinaire en prenant la mesure qu’il a prise.

Dans les circonstances, je conclus qu’il n’y a pas eu de sanction disciplinaire. Si M. Peet a subi des pertes financières, je ne suis manifestement pas habilité à l’en dédommager. Par conséquent, je rejette le grief faute de compétence.

Voici les mesures d’exécution pertinentes prévues dans le Code :

23. Si l’administrateur désigné juge qu’un bien particulier comporte un risque réel ou potentiel de conflit d’intérêts avec les fonctions officielles d’un employé, ce dernier doit alors se dessaisir de ce bien dans les 120 jours suivant sa nomination. Il peut soit le vendre à un tiers avec qui il n’a aucun lien de dépendance, soit le déposer dans une fiducie. Des renseignements sur les fiducies les plus courantes figurent à l’annexe.

33. Tout employé qui ne se conforme pas aux dispositions prescrites aux parties I et II s’expose à des mesures disciplinaires, y compris, le cas échéant, le renvoi. [C’est moi qui souligne.]

Si le requérant avait défié la décision du sous-ministre et avait fait l’objet d’un renvoi, il aurait pu faire contrôler cette décision en intentant une poursuite pour congédiement injustifié. Toutefois, il ne veut pas se placer dans une telle situation. Le requérant cherche à obtenir un contrôle judiciaire parce qu’il ne semble pas exister d’autre moyen raisonnable de contester la décision et la procédure utilisées.

Je ne crois pas avoir à déterminer la ligne de démarcation, au sens abstrait, entre les types de décisions concernant les fonctionnaires, qui donnent lieu à révision en conformité avec l’article 18 [mod., idem, art. 4] de la Loi sur la Cour fédérale et celles qui n’y donnent pas lieu. Qu’il suffise de dire que la décision que l’on veut faire réviser en l’espèce comporte de très sérieuses conséquences pour le requérant : la perte de son emploi ou la cession forcée ou encore la fermeture de son entreprise. Les décisions entraînant ce type de conséquences ont traditionnellement donné lieu à un contrôle judiciaire; voir par exemple les arrêts Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S 311; McCarthy c. Le procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 309 (C.A.) (action en jugement déclaratoire et en dommages-intérêts); Saskatchewan Teachers’ Federation v. Munro (1993), 15 Admin. L.R. (2d) 307 (C.A. Sask.). Dans l’arrêt McCarthy, la cour renvoie à la déclaration faite par le juge Le Dain dans l’arrêt Inuit Tapirisat of Canada c. Le très honorable Jules Léger, [1979] 1 C.F. 710 (C.A.), à la page 717[2] :

Le véritable point en litige est la question de savoir quelle procédure il convient d’imposer à une autorité déterminée compte tenu de la nature de cette dernière et du genre de pouvoir qu’elle exerce, et quelles conséquences en résulteront pour ceux qui ont à subir ce pouvoir. Il ne faut pas oublier de maintenir l’équilibre entre les exigences d’équité et les besoins du processus administratif en cause.

À mon avis, notre Cour possède la compétence voulue pour examiner ces considérations par rapport aux faits en l’espèce.

Pour les motifs qui précèdent, je rejette la requête en radiation de la demande.



[1] La loi en vertu de laquelle ils sont pris prévoit des sanctions par amende ou emprisonnement. Il convient de citer ici ce que disait le Conseil privé dans l’arrêt Japanese Canadians à propos des décrets adoptés en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, à la p. 107 :

[traduction] C’est encore l’activité législative du Parlement qui s’exerce au moment où les décrets sont adoptés et ces décrets sont des « lois ».

Je ne pense pas que l’on puisse dire la même chose des directives. Il est significatif qu’il n’est prévu aucune sanction pour elles et, bien qu’elles soient autorisées par la Loi, elles sont nettement de nature administrative et non législative. Ce n’est pas en qualité de législateur que le commissaire est habilité à établir des directives, mais en qualité d’administrateur. Je suis convaincu qu’il aurait l’autorité d’établir ces directives même en l’absence d’une disposition législative expresse. À mon avis, le par. 29(3) doit être considéré de la même manière que bien d’autres dispositions de nature administrative concernant les services de l’administration et qui énoncent simplement un pouvoir administratif qui existerait même en l’absence d’une disposition expresse de la Loi.

Il est, à mon avis, important de distinguer les devoirs imposés aux employés de l’État par une loi ou un règlement ayant force de loi, des obligations qui leur incombent en qualité d’employés de l’État. Les membres d’un comité de discipline ne sont habituellement pas de hauts fonctionnaires publics mais de simples employés de l’administration. Les directives du commissaire ne sont rien de plus que des instructions relatives à l’exécution de leurs fonctions dans l’institution où ils travaillent. [Omission de la note en bas de page.]

[2] Bien que cette décision ait été infirmée en raison des faits particuliers à l’espèce, [Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre] [1980] 2 R.C.S. 735, l’exposé suivant du droit n’a pas été contesté.

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