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A-373-97

Allan Granovsky (requérant)

c.

Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)

Répertorié: Granovskyc. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.)

Cour d'appel, juge en chef Isaac, juges Stone et McDonald, J.C.A."Winnipeg, 16 décembre 1997; Ottawa, 10 mars 1998.

Pensions Les conditions relatives à la récence des cotisations en vue du versement des prestations d'invalidité prévues à l'art. 44 du Régime de pensions du Canada créent une distinction, dans les faits, entre les invalides et les personnes validesBien qu'elles contreviennent à l'art. 15 de la Charte, elles sont justifiées en vertu de l'article premier de la Charte.

Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Discrimination par suite d'un effet préjudiciableLes conditions d'admissibilité aux prestations d'invalidité prévues à l'art. 44 du Régime de pensions du Canada contreviennent à l'art. 15 de la CharteCependant, ces conditions sont justifiées en vertu de l'article premier de la Charte.

Droit constitutionnel Charte des droits Clause limitative Les conditions d'admissibilité aux prestations d'invalidité prévues à l'art. 44 du Régime de pensions du Canada contreviennent à l'art. 15 de la CharteCependant, ces conditions sont raisonnables et leur justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratiqueCompte tenu des considérations sociales, économiques et fiscales en cause, le gouvernement a fait une tentative raisonnable pour calculer et allouer des prestations d'invalidité de la manière la plus raisonnable possible.

Le tribunal de révision a rejeté l'appel interjeté par le requérant contre le refus du ministre de lui accorder une pension d'invalidité permanente en vertu du Régime de pensions du Canada au motif qu'il ne respectait pas les conditions minimales de cotisation prévues à l'article 44 du Régime (un requérant doit avoir versé des cotisations pendant cinq des dix dernières années ou deux des trois dernières années entièrement ou partiellement comprises dans sa période cotisable). Le tribunal de révision a jugé également que la preuve médicale objective versée au dossier n'appuyait pas la conclusion voulant que l'invalidité du requérant était grave et prolongée. Le requérant en a appelé de la décision du tribunal de révision devant la Commission d'appel des pensions au motif que les conditions relatives à la "récence des cotisations" établissaient une distinction à l'encontre des personnes atteintes d'une invalidité, ce qui est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte, parce qu'elles n'excluent pas les périodes au cours desquelles ces personnes sont incapables de verser des cotisations du fait de l'invalidité susceptible de se prolonger sur une période précise. Le requérant a fait valoir que la condition relative à la récence des cotisations enfreint le paragraphe 15(1) de la Charte parce qu'elle prive les personnes invalides de la possibilité de participer au régime et de profiter de leurs cotisations à celui-ci. Le requérant a prétendu que cette condition a des répercussions différentes sur les personnes atteintes d'une invalidité, parce qu'elle leur impose un fardeau auquel ne sont pas assujetties les personnes valides. L'appel a été rejeté, la Commission jugeant que la loi en question ne contrevenait pas à la Charte.

Arrêt (le juge McDonald, J.C.A., dissident, mais d'accord quant au résultat): l'appel doit être rejeté.

Le juge Stone, J.C.A.: l'application du paragraphe 15(1) de la Charte doit être examinée en tenant compte de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, et de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Xinos c. Canada (Procureur général), [1997] F.C.J. no 319 (C.A.) (QL).

Les conditions d'admissibilité ont un effet discriminatoire. Bien qu'il soit neutre à première vue, le critère de la récence des cotisations énoncé au paragraphe 44(1) crée une distinction, dans les faits, entre les invalides et les personnes valides. La condition relative à la récence des cotisations ne tient pas compte du fait que les personnes invalides ne sont peut-être pas en mesure de verser des cotisations pendant la période minimale d'admissibilité prévue au paragraphe 44(1), parce qu'en fait elles sont physiquement incapables de travailler. Les personnes invalides sont donc empêchées de participer pleinement au régime du fait de leur invalidité.

Ainsi, la loi impose un fardeau inégal aux personnes invalides qui est directement lié à leur invalidité (motif qui est énuméré au paragraphe 15(1)) et pour lequel la loi ne prévoit aucune mesure d'accommodement précise. En outre, l'invalidité n'est pas une caractéristique pertinente à la valeur fonctionnelle qui sous-tend la loi, à savoir assurer un revenu aux personnes qui souffrent d'une invalidité grave et prolongée.

Cependant, les conditions d'admissibilité prévues dans le Régime de pensions du Canada sont justifiées au regard de l'article premier de la Charte. Elles se rapportent à des préoccupations urgentes et réelles, et le moyen choisi pour atteindre cet objectif est raisonnable et sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. La générosité du Régime de pensions du Canada qui étend sa protection à des personnes qui ont quitté la population active jusqu'à cinq ans avant leur invalidité nécessite des contrôles pour s'assurer que l'invalidité s'est réellement produite au cours de cette période et que les prestations à payer sont assujetties à certaines limites. Le programme de prestations d'invalidité prévu dans le Régime de pensions du Canada fait partie d'un système fédéral-provincial complexe de soutien du revenu qui chevauche plusieurs programmes et mesures. La structure et l'intégrité financière du Régime sont telles que tout changement proposé doit être négocié avec les provinces. La loi stipule que les changements importants, notamment les changements aux formules de versement des prestations, comme celle que propose le requérant, ne peuvent être adoptés que si les deux tiers des provinces, représentant deux tiers de la population canadienne, y consentent. Ainsi, le gouvernement a fait une tentative raisonnable, compte tenu des considérations sociales, économiques et fiscales en cause, pour calculer et allouer des prestations d'invalidité de la manière la plus raisonnable possible. Bien que le Régime de pensions du Canada enfreigne effectivement les droits protégés par le paragraphe 15(1) de la Charte, la condition relative à la récence des cotisations constitue une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Le juge McDonald, J.C.A. (dissident, mais d'accord quant au résultat): les conditions de cotisation en vue du versement des prestations d'invalidité prévues dans le Régime de pensions du Canada ne constituent pas une discrimination contre des personnes souffrant d'invalidité partielle et ne contreviennent pas au paragraphe 15(1) de la Charte.

En analysant l'effet d'une loi sur les personnes invalides, il faut porter attention aux effets défavorables qu'une loi d'application générale pourrait avoir sur les personnes invalides. Cependant, la Commission d'appel des pensions n'a pas commis d'erreur en statuant que le requérant n'avait pas réussi à prouver qu'il y avait discrimination. Il n'a pas réussi à prouver dans son argument que les conditions de cotisation établissent une distinction entre les personnes invalides et, en l'espèce, les personnes en santé en imposant un fardeau supplémentaire aux personnes invalides parce qu'elles sont dans l'impossibilité de travailler à cause de leur invalidité. Les critères d'admissibilité sont appliqués également à tous. Tous doivent respecter les critères établis par le Régime avant de pouvoir recevoir des prestations d'invalidité. Il y a aussi des chômeurs, de même que d'autres jeunes gens qui ne peuvent pas non plus travailler, sans que ce soit de leur faute. Le requérant n'a pas établi que les conditions de cotisation établissent une distinction entre les invalides en général et les employés en mesure de travailler. Les critères touchent toutes les personnes de la même façon.

Si le requérant avait fait valoir que le Régime établissait une distinction entre les personnes temporairement invalides et les personnes atteintes d'une invalidité permanente en n'offrant pas aux personnes temporairement invalides une disposition d'exclusion semblable, l'analyse du paragraphe 15(1) aurait pu être différente. Mais le requérant n'a pas présenté cet argument.

On pourrait conclure que le Régime a un effet négatif sur presque toutes les personnes qui cherchent à obtenir des prestations d'invalidité permanente du fait qu'il impose des critères d'admissibilité. Une disposition d'exclusion a été établie pour certains groupes à l'égard desquels les critères d'admissibilité auraient, selon les auteurs du Régime, les effets les plus défavorables. L'argument qui aurait dû être présenté pour essayer d'établir la discrimination, par conséquent, aurait donc été de faire valoir que ce qui est véritablement discriminatoire, c'est le fait que le législateur a exercé son pouvoir discrétionnaire en choisissant d'appliquer les dispositions d'exclusion aux personnes atteintes d'invalidité permanente et non aux personnes temporairement invalides. Ce n'est qu'à partir de ce moment qu'une distinction est établie entre les personnes invalides et les autres.

Bien qu'il ne soit pas nécessaire de passer à l'étape de l'article premier, il ne semble pas que le gouvernement se soit acquitté de façon satisfaisante du fardeau qui lui incombait de prouver qu'il a porté le moins possible atteinte aux droits du requérant. Quoique le gouvernement ait établi qu'il serait difficile de faire des changements au Régime à cause de la nécessité d'obtenir le consentement des provinces, il n'a pas établi que la viabilité du Régime serait compromise en ajoutant une disposition d'exclusion. Il a seulement établi qu'il serait difficile de modifier le Régime.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15(1).

Medical and Health Care Services Act, S.B.C. 1992, ch. 6.

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, art. 42(2)a) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 12), b) (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 23), 44(1)b)(i) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 13), (ii) (mod., idem), (iv) (édicté par L.C. 1992, ch. 2, art. 1), (2)b) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 13).

jurisprudence

décisions appliquées:

Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; (1997), 151 D.L.R. (4th) 577; 96 B.C.A.C. 81; 218 N.R. 161; Xinos c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, jugement en date du 22-1-96, C.A.P., non publié; conf. par Xinos c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 319 (C.A.) (QL); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1997] S.C.C.A. no 282; Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241; (1997), 31 O.R. (3d) 574; 142 D.L.R. (4th) 385; 207 N.R. 171; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 7 C.H.R.R. D/3102; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; (1993), 107 D.L.R. (4th) 342; [1993] 7 W.W.R. 641; 56 W.A.C. 1; 82 B.C.L.R. (2d) 273; 34 B.C.A.C. 1; 85 C.C.C. (3d) 15; 24 C.R. (4th) 281; 158 N.R. 1; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; (1986), 35 D.L.R. (4th) 1; 30 C.C.C. (3d) 385; 87 CLLC 14,001; 55 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 1; 71 N.R. 161; 19 O.A.C. 239; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; (1995), 124 D.L.R. (4th) 609; 95 CLLC 210-025; 29 C.R.R. (2d) 79; 182 N.R. 161; 12 R.F.L. (4th) 201; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167.

décisions citées:

Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; (1995), 124 D.L.R. (4th) 693; 29 C.R.R. (2d) 189; [1995] I.L.R. 1-3185; 10 M.V.R. (3d) 151; 181 N.R. 253; 81 O.A.C. 253; 13 R.F.L. (4th) 1; Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627; (1995), 124 D.L.R. (4th) 449; 29 C.R.R. (2d) 1; [1995] 1 C.T.C. 382; 95 DTC 5273; 182 N.R. 1; 12 R.F.L. (4th) 1; Battlefords and District Co-operative Ltd. c. Gibbs, [1996] 3 R.C.S. 566; (1996), 140 D.L.R. (4th) 1; [1997] 1 W.W.R. 1; 24 C.C.E.L. (2d) 167; 40 C.C.L.I. (2d) 1; [1997] I.L.R. 1-3432; 203 N.R. 131.

APPEL d'une décision de la Commission d'appel des pensions selon laquelle la condition relative à la récence des cotisations en vue du versement des prestations d'invalidité prévues à l'article 44 du Régime de pensions du Canada ne contrevenait pas au paragraphe 15(1) de la Charte. Bien qu'il y ait eu atteinte aux droits protégés par le paragraphe 15(1), c'était une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Appel rejeté.

avocats:

Bryan P. Schwartz et Ronald Schmalcel pour le requérant.

Cathy Doolan pour l'intimé.

procureurs:

Chen & Schmalcel, Winnipeg, pour le requérant.

Services juridiques, Développement des ressources humaines Canada, Ottawa, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A.: J'accepte la conclusion à laquelle en arrive le juge McDonald, J.C.A., mais pour des motifs différents des siens.

La décision de la Commission d'appel des pensions dans cette affaire, et la décision de la présente Cour dans Xinos c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 319 (C.A.) (QL)1 ont été rendues avant que la Cour suprême du Canada se prononce dans l'affaire Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624. Dans Eldridge, il a été statué que l'omission de fournir des services d'interprétation gestuelle à l'intention des personnes atteintes de surdité lorsqu'elles reçoivent des services médicaux dans le cadre du régime de soins de santé de la Colombie-Britannique constitue de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, ce qui est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Dans cet arrêt, la Cour suprême a également fait des observations sur la portée de sa décision dans l'affaire Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241. Dans l'arrêt Xinos, précité, la présente Cour a statué que les dispositions du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 (la Loi) qui sont en litige dans le présent appel ne contrevenaient pas au paragraphe 15(1) de la Charte, et que la Commission d'appel des pensions avait à bon droit déterminé que, même s'il y avait contravention, celle-ci était justifiée au regard de l'article premier de la Charte. Il me semble que l'application du paragraphe 15(1) de la Charte doit être examinée en tenant compte de cette jurisprudence récente. À mon avis, bien que la décision Eldridge, précitée, ait des répercussions sur la question de la discrimination prohibée par le paragraphe 15(1), elle ne s'éloigne pas de ce que la présente Cour a déclaré dans Xinos, précité, au sujet de l'article premier à l'égard de la loi dont il est question en l'espèce.

Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à une décision de la Commission d'appel des pensions, concernant la constitutionnalité de la Loi, est le critère de la décision juste. Donc, pour que la présente Cour soit justifiée de modifier la décision de la Commission, elle doit conclure que celle-ci a décidé à tort que les conditions d'admissibilité à des prestations d'invalidité ne contreviennent pas au paragraphe 15(1) de la Charte.

Avant d'entreprendre l'analyse fondée sur le paragraphe 15(1), il peut être utile de faire un bref résumé des dispositions de la Loi contestée par le requérant. Les conditions d'admissibilité ayant trait aux prestations d'invalidité sont doubles: le demandeur doit être invalide et il doit avoir versé des cotisations soit pendant au moins la période minimale d'admissibilité, soit pendant deux des trois dernières années2. Dans le cadre de mon analyse, ce deuxième critère sera appelé la "récence des cotisations". Au sens de la Loi, une personne est invalide si elle est atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée3 . L'invalidité est grave si elle rend la personne concernée incapable d'occuper un emploi véritablement rémunérateur et elle est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décès4. Pour respecter la période minimale d'admissibilité, le demandeur doit avoir versé des cotisations au Régime pendant cinq des dix dernières années.

Selon mon interprétation, l'argument du requérant fait essentiellement valoir que la condition relative à la récence des cotisations enfreint le paragraphe 15(1) de la Charte parce qu'elle prive les personnes invalides de la possibilité de participer au Régime et de profiter de leurs cotisations à celui-ci. Le requérant prétend que cette condition a des répercussions différentes sur les personnes atteintes d'une invalidité, parce qu'elle leur impose un fardeau auquel ne sont pas assujetties les personnes valides.

L'approche à suivre pour l'analyse fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte est bien ancrée dans la jurisprudence. Dans le jugement Eldridge, précité, tout récent, le juge La Forest a déclaré, à la page 669, que même si les membres de la Cour suprême du Canada ont adopté des approches différentes à l'égard du paragraphe 15(1), il y a un large accord général sur le cadre d'analyse général. Le requérant a le fardeau d'établir qu'il existe, à première vue, un cas de discrimination. Tout d'abord, il doit établir que, parce que la Loi crée une distinction entre lui et d'autres personnes, il est privé de la "même protection" ou du "même bénéfice" de la loi. Voir Eldridge , précité, à la page 670. Deuxièmement, il doit démontrer que cette privation constitue une discrimination fondée sur l'un des motifs énumérés ou sur un motif analogue.

Pour ce qui a trait à la première partie de l'analyse relative au paragraphe 15(1), le requérant en l'espèce ne prétend pas que la Loi établit une distinction directe entre les personnes invalides et les personnes valides. Il fait plutôt valoir que les conditions d'admissibilité ont un effet discriminatoire. La jurisprudence confirme que le paragraphe 15(1) a pour objet d'assurer une protection contre ce type de discrimination. Comme l'a déclaré la Cour suprême dans Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la page 164, toute différence de traitement entre des individus dans la loi n'est pas forcément discriminatoire, par contre un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités. Il y a discrimination par suite d'un effet préjudiciable lorsqu'une loi qui est en apparence neutre et qui s'applique également à toutes les personnes a néanmoins des effets discriminatoires sur une personne ou un groupe, pour un motif prohibé par la loi. Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 551, le juge McIntyre a déclaré que la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, dans le contexte de cet arrêt en matière d'emploi, se produit:

. . . lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés. [Non souligné dans l'original.]

Le juge en chef Lamer a endossé ces principes dans l'arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, à la page 549, et a fait les observations suivantes qui sont pertinentes en l'espèce:

Même en imposant de mesures universelles, le gouvernement doit tenir compte de différences qui existent en fait entre les individus et s'assurer, dans la mesure du possible, que les mesures adoptées n'auront pas, en raison de caractéristiques personnelles non pertinentes, des répercussions plus lourdes sur certaines catégories de personnes que sur l'ensemble de la population.

De même, dans l'arrêt Eldridge, précité, le juge La Forest déclare à la page 672 que la discrimination découle souvent du fait que le législateur n'a pas pris en compte les effets préjudiciables d'une loi d'application générale. Il souligne que l'analyse relative aux effets préjudiciables est particulièrement pertinente dans les cas d'égalité mettant en cause des personnes handicapées. À cet égard, dans l'arrêt Eaton, précité, la Cour suprême a statué à la page 273 qu'une enquête fondée sur le paragraphe 15(1) qui recourt au raisonnement fondé sur "l'attribution de caractéristiques stéréotypées" est tout simplement inappropriée. Au contraire, la discrimination fondée sur la déficience devrait être considérée plutôt

. . . comme un cas d'inversion d'un stéréotype qui, en ne tenant pas compte de la condition d'une personne handicapée, fait abstraction de sa déficience et la force à se tirer d'affaire toute seule dans l'environnement de l'ensemble de la société. C'est la reconnaissance des caractéristiques réelles, et l'adaptation raisonnable à celles-ci, qui constituent l'objectif principal du par. 15(1) en ce qui a trait à la déficience.

En ce sens, la discrimination peut découler de l'omission du gouvernement de prendre des mesures concrètes pour faire en sorte que les groupes défavorisés bénéficient d'une manière égale des services offerts à la population en général (Eldridge, précité, aux pages 681 et 682). C'est dans ce contexte que le concept des mesures d'accommodement raisonnables entre en ligne de compte. La Cour suprême a toutefois ajouté dans l'arrêt Eldridge, précité, à la page 682, que le principe des mesures d'accommodement raisonnables ne devrait pas "être utilisé pour restreindre la portée du par. 15(1)". Ce principe se rapproche plutôt du concept des "limites raisonnables" utilisé dans le cadre de l'analyse fondée sur l'article premier, et il est préférable d'en reporter l'examen à l'étape de la justification exigée par l'article premier.

Si on applique ces principes à l'espèce, à mon avis, la Commission d'appel des pensions a commis une erreur en concluant que la condition relative à la récence des cotisations ne contrevient pas au paragraphe 15(1) de la Charte. Je note tout d'abord que, même si la Commission reconnaît, à la page 5 des motifs prononcés par la majorité que la contestation de la Loi par le requérant était fondée sur la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, au bout du compte, elle semble avoir analysé la question en se fondant sur la discrimination directe. Par exemple, à la page 18 des motifs de la majorité, la Commission a conclu que les critères d'admissibilité en vertu de la loi [traduction] "sont les mêmes pour tous les groupes", qu'ils "ne sont pas fondés sur des opinions stéréotypées à l'égard des personnes invalides", et qu'ils "ne sont pas conçus pour exclure la participation des invalides". Selon la jurisprudence, le fait que les conditions d'admissibilité s'appliquent à première vue également à tous les groupes n'a aucune pertinence dans une analyse sur les effets préjudiciables. En outre, que la Loi soit "conçue de façon à exclure" ou ait pour objet d'exclure les personnes invalides n'est pas pertinent dans le cadre d'une analyse fondée sur le paragraphe 15(1).

À mon avis, il a été établi à première vue que la condition relative à la récence des cotisations pour les prestations d'invalidité va à l'encontre du paragraphe 15(1). Bien qu'il soit neutre à première vue, le critère de la récence des cotisations énoncé au paragraphe 44(1) crée une distinction, dans les faits, entre les invalides et les personnes valides. Cette condition impose une restriction aux personnes invalides du fait de leur invalidité, condition à laquelle ne sont pas assujetties les personnes valides qui présentent une demande de prestations d'invalidité en vertu de la Loi. En raison de cette distinction, les personnes invalides, comme le requérant, sont privées du "même bénéfice" de la loi"en l'espèce, l'égalité d'accès à une pension d'invalidité en prévision de laquelle ils ont dûment versé leurs cotisations. La condition relative à la récence des cotisations ne tient pas compte du fait que les personnes invalides ne sont peut-être pas en mesure de verser des cotisations pendant la période minimale d'admissibilité prévue au paragraphe 44(1), parce qu'en fait elles sont physiquement incapables de travailler. Les personnes invalides sont donc empêchées de participer pleinement au Régime du fait de leur invalidité.

Ainsi, la loi impose un fardeau inégal aux personnes invalides qui est directement lié à leur invalidité (motif qui est énuméré au paragraphe 15(1)) et pour lequel la Loi ne prévoit aucune mesure d'accommodement précise. Pour reprendre les propos du juge Sopinka dans l'arrêt Eaton, précité, à la page 273, la condition voulant que les cotisations aient été versées récemment fait abstraction de l'invalidité du requérant et le force à "se tirer d'affaire tout . . . seul . . . dans l'environnement de l'ensemble de la société". En outre, à mon avis, l'invalidité n'est pas une caractéristique pertinente à la valeur fonctionnelle qui sous-tend la Loi, à savoir assurer un revenu aux personnes qui souffrent d'une invalidité grave et prolongée.

La deuxième question à résoudre consiste à déterminer si les conditions d'admissibilité prévues dans le Régime de pensions du Canada peuvent se justifier au regard de l'article premier de la Charte. L'intimé reconnaît que ce fardeau lui incombe. Pour établir que la restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, l'intimé doit d'abord démontrer que les conditions d'admissibilité aux prestations d'invalidité prévues dans la Loi se rapportent à des préoccupations urgentes et réelles et deuxièmement, que le moyen choisi pour atteindre cet objectif est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique: La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513.

Il faut également garder à l'esprit les propos du juge Wilson dans Edwards Books, précité, à la page 806:

En l'absence de dispositions déraisonnables ou discriminatoires, les tribunaux ne sont tout simplement pas en mesure de substituer leur jugement à celui du législateur.

Cette opinion générale est reprise dans Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, où le juge en chef Dickson dit ceci à la page 990:

Si le législateur a fait une évaluation raisonnable quant à la place appropriée de la ligne de démarcation, surtout quand cette évaluation exige l'appréciation de preuves scientifiques contradictoires et la répartition de ressources limitées, il n'appartient pas aux tribunaux de se prononcer après coup. Ce serait seulement substituer une évaluation à une autre.

Je suis d'accord avec la prétention de l'intimé selon laquelle il y a un fondement rationnel à l'imposition des "conditions relatives à la récence" des cotisations dans les critères d'admissibilité aux prestations d'invalidité. Pour que l'on soit en mesure de remplacer le salaire dont est privé le ménage en raison de l'invalidité du salarié, il faut que ce salaire ait réellement existé. Les cotisations doivent être relativement récentes et continues pour protéger l'employé contre la perte de son salaire due à l'invalidité. C'est de cette façon qu'on porte le moins possible atteinte au droit de l'individu. Un cotisant peut être admissible à une prestation d'invalidité jusqu'à concurrence de cinq ans avant son départ de la population active. Comme l'a noté la Commission, cette période de cinq ans peut couvrir des périodes d'invalidité temporaire. La générosité du Régime de pensions du Canada qui étend sa protection à des personnes qui ont quitté la population active jusqu'à cinq ans avant leur invalidité nécessite des contrôles pour s'assurer que l'invalidité s'est réellement produite au cours de cette période et que les prestations à payer sont assujetties à certaines limites. En outre, le Régime renferme une disposition spéciale au sous-alinéa 44(1)b)(iv) [édicté par L.C. 1992, ch. 2, art. 1] pour aider certaines personnes, comme le requérant, qui ne répondent pas aux conditions relatives à la récence des cotisations concernant les prestations d'invalidité parce qu'ils ont déposé tardivement leur demande, pour une raison ou pour une autre.

J'adopte en l'espèce le raisonnement énoncé par la présente Cour dans l'arrêt Xinos, précité, au paragraphe 4:

Si l'interprétation correcte de la jurisprudence récente de la Cour suprême est que, dans ces circonstances, la discrimination doit néanmoins être trouvée et puis justifiée, si tant est, sous le régime de l'article premier de la Charte, nous ne saurions dire que la Commission a eu tort de conclure à l'existence d'une telle justification en application de l'article premier. Le but de maintenir un programme viable de remplacement du revenu est légitime, et il existait des motifs permettant à la Commission de conclure que les conditions d'admissibilité en question sont raisonnablement reliées à cet objectif. Nous présumons que la Commission, comme la Cour, était consciente de la fréquente observation de la Cour suprême selon laquelle les cours et tribunaux ne devraient pas être prompts à remettre en question les opinions du Parlement (et en l'espèce, de la majorité des gouvernements provinciaux) quant aux critères appropriés d'allocation de diverses prestations dans le cadre des programmes sociaux.

Le programme de prestations d'invalidité prévu dans le Régime de pensions du Canada fait partie d'un système fédéral-provincial complexe de soutien du revenu qui chevauche plusieurs programmes et mesures. La structure et l'intégrité financière du Régime de pensions du Canada sont telles que tout changement proposé doit être négocié avec les provinces. La loi stipule que les changements importants, notamment les changements aux formules de versement des prestations, comme celle que propose le requérant, ne peuvent être adoptés que si les deux tiers des provinces, représentant deux tiers de la population canadienne, y consentent.

À mon avis, le gouvernement a fait une tentative raisonnable, compte tenu des considérations sociales, économiques et fiscales en cause, pour calculer et allouer des prestations d'invalidité de la manière la plus raisonnable possible. Le gouvernement est mieux placé que quiconque pour examiner cette question et la Cour ne doit pas se prononcer après coup sur les mesures qu'il a prises. Je conclus donc que, bien que le Régime de pensions du Canada enfreigne les droits protégés par le paragraphe 15(1) de la Charte, il s'agit d'une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Par conséquent, je suis d'avis de rejeter la demande.

Le juge en chef Isaac: Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge McDonald, J.C.A. (dissident, mais d'accord quant au résultat): Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission d'appel des pensions en date du 27 février 1997, rejetant un appel interjeté par le requérant. La question principale dans cette demande consiste à déterminer si les conditions de cotisation en vue du versement des prestations d'invalidité prévues dans le Régime de pensions du Canada (le Régime) constituent une discrimination contre des personnes souffrant d'invalidité partielle, contrairement au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

LES FAITS

Dans une demande que l'intimé a reçu le 15 septembre 1993, M. Granovsky (le requérant) demande une pension d'invalidité en vertu du Régime. On lui a refusé des prestations d'invalidité au motif qu'il ne respectait pas les conditions minimales de cotisation prévues au Régime. Aux termes de l'alinéa 44(2)b) [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 13]5 du Régime, la période de cotisation d'un cotisant commence le premier jour de janvier 1966, ou lorsqu'il atteint l'âge de dix-huit ans, si cette date est postérieure, et se termine avec le mois au cours duquel le cotisant est déclaré invalide. L'alinéa 42(2)b) [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 23]6 du Régime stipule qu'une personne ne peut être réputée invalide à une date antérieure de plus de 15 mois à la date de présentation d'une demande de pension d'invalidité. La période de cotisation du requérant, par conséquent, a commencé en juin 1966 et ne pouvait se terminer plus tôt qu'en juin 1992. L'article 447 du Régime dispose que, pour respecter les conditions minimales d'admissibilité, le requérant aurait dû verser des cotisations pendant cinq des dix dernières années ou deux des trois dernières années entièrement ou partiellement comprises dans sa période cotisable.

Les faits pertinents dont est saisie la Cour sont les suivants: le 27 mai 1980, le requérant a été blessé dans un accident du travail. Il était alors âgé de 32 ans. Il a demandé et reçu des prestations d'invalidité totale temporaire et une indemnité de réadaptation en vertu du régime d'indemnisation des accidents du travail du Manitoba. En 1982, il a repris le travail pendant un certain temps. Le 24 janvier 1983, il a été informé qu'une invalidité partielle permanente de 15 % avait été prononcée en sa faveur. Le 24 janvier 1985, la Commission a conclu que le requérant était en mesure de reprendre le travail. Le 27 juin 1985, le requérant a accepté une somme globale de 40 449,12 $ en contrepartie de son invalidité permanente de 15 %.

Le requérant en appelle du refus du ministre de lui accorder une pension d'invalidité permanente. Le tribunal de révision a examiné l'appel en vertu des dispositions du sous-alinéa 44(1)b)(iv) du Régime. L'alinéa 44(1)b) dispose comme suit:

44. (1) . . .

b) une pension d'invalidité doit être payée à un cotisant qui n'a pas atteint l'âge de soixante-cinq ans, à qui aucune pension de retraite n'est payable, qui est invalide et qui:

(i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d'admissibilité,

(ii) soit a versé des cotisations pendant au moins deux des trois dernières années civiles entièrement ou partiellement comprises dans sa période cotisable,

(iii) soit a versé des cotisations pour les deux années civiles qui sont comprises dans sa période cotisable, dans les cas où il n'y a que deux années civiles entièrement ou partiellement comprises dans sa période cotisable,

(iv) soit est un cotisant à qui une pension d'invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d'invalidité avait été reçue avant le moment où elle a effectivement été reçue;

Le tribunal de révision a conclu que le relevé d'emploi du requérant ne faisait pas état des cinq années requises de cotisations valables et nécessaires au cours des dix dernières années de sa période cotisable. Il a donc conclu, en se fondant sur les cotisations valables versées en 1975, 1976, 1977, 1979 et 1982, que le requérant avait respecté pour la dernière fois les conditions de cotisation prévues au sous-alinéa 44(1)b)(iv) du Régime en septembre 1984 (période équivalant à cinq des dix dernières années de sa période cotisable). Le tribunal de révision a également statué que celui-ci n'avait pas versé de cotisations valables au cours des trois dernières années de sa période cotisable. En vertu du sous-alinéa 44(1)b)(iv) du Régime, une personne peut être admissible à des prestations d'invalidité en vertu de la Loi si elle est ou était invalide à la dernière des dates à laquelle elle respectait les conditions minimales d'admissibilité et qu'elle est toujours invalide à la date de sa demande. Le paragraphe 42(2) de la Loi précise que, pour qu'une personne soit réputée invalide, son invalidité doit être à la fois grave et prolongée. L'invalidité est grave si elle rend la personne qui en est atteinte régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité n'est prolongée que si elle est déclarée devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès. Le tribunal de révision a jugé que la preuve médicale objective versée au dossier n'appuyait pas la conclusion voulant que l'invalidité du requérant était grave et prolongée en septembre 1984.

Le requérant en a appelé de la décision du tribunal de révision devant la Commission d'appel des pensions au motif que les conditions d'admissibilité de la Loi établissaient une distinction à l'encontre des personnes atteintes d'une invalidité, ce qui est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte, parce qu'elles n'excluent pas les périodes au cours desquelles ces personnes sont incapables de verser des cotisations du fait de l'invalidité susceptible de se prolonger sur une période précise. La Commission a conclu que les conditions d'admissibilité du Régime ne contrevenaient pas au paragraphe 15(1) de la Charte. En l'espèce, la question principale est donc de savoir si la Commission a commis une erreur en statuant que la Loi en question n'est pas contraire au paragraphe 15(1) de la Charte.

Les arguments du requérant fondés sur le paragraphe 15(1) de la Charte

Le requérant fonde ses arguments relatifs à une analyse du paragraphe 15(1) de la Charte sur le fait que le Régime contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte parce que [traduction] "le Régime a en pratique pour effet de priver des personnes invalides de l'égalité de bénéfice de la loi". Le requérant prétend en effet que les personnes qui ne peuvent verser de cotisations à cause de leur invalidité sont privées d'un avantage, à savoir leur admissibilité à des prestations d'invalidité permanente. En fait, pour citer directement le dossier de demande supplémentaire du requérant, celui-ci y fait valoir ce qui suit:

[traduction] . . . le système du RPC est discriminatoire à l'encontre des personnes atteintes d'une invalidité temporaire. Ces dernières sont injustement traitées parce qu'on les place sur le même pied que les personnes en santé dont le seul risque est d'être employées involontairement. Les personnes souffrant d'une invalidité temporaire sont assujetties à ce même risque mais, en outre, elles traversent une période au cours de laquelle elles sont incapables de travailler, même s'il y a du travail disponible. Il y a discrimination parce que le Régime traite une personne qui n'a aucune possibilité de gagner un revenu, en raison de son invalidité, exactement de la même façon qu'une personne qui est en mesure de travailler.

Le requérant demande donc que soient exclues de sa période cotisable, aux fins du calcul de sa cotisation obligatoire, les années au cours desquelles il était atteint d'une invalidité totale temporaire. Le requérant déclare qu'en lui accordant cette exclusion, la Cour ne décidera pas d'accorder aux personnes atteintes d'une invalidité temporaire une pension d'invalidité permanente. En fait, le requérant affirme que l'exclusion de ces années ne fait qu'aider une personne qui est temporairement invalide advenant qu'elle devienne par la suite invalide de façon permanente. Étant donné qu'une telle période existe déjà pour les personnes qui sont réputées avoir une invalidité permanente (une invalidité longue, continue et indéfinie ou qui doit vraisemblablement entraîner le décès), elle devrait également être prévue pour les personnes temporairement invalides.

Le requérant prétend de plus que le législateur ne peut s'acquitter de son obligation d'offrir un accommodement raisonnable aux personnes invalides en préservant l'admissibilité d'un petit nombre de personnes invalides pendant leur invalidité.

Les arguments de l'intimé fondés sur le paragraphe 15(1) de la Charte

L'intimé prétend que les prestations d'invalidité ont pour objet de remplacer le revenu d'emploi que le cotisant rapportait à la maison avant d'être obligé de quitter son travail en raison d'une invalidité grave et prolongée. Ces prestations assurent une aide à long terme aux personnes qui, parce que leur invalidité est grave, ont perdu la capacité fonctionnelle de travailler ou de détenir un emploi véritablement rémunérateur. L'intimé fait principalement valoir que le législateur ne contrevient pas au sens du mot égalité quand il traite différemment des personnes en fonction des besoins et des circonstances de chaque groupe. L'intimé souligne que, par suite de la trilogie de la Cour suprême du Canada se rapportant à l'article 158, la question de savoir si une caractéristique se fonde sur des hypothèses stéréotypées aide un tribunal à conclure à l'absence de discrimination. Comme les conditions de cotisation sont conçues pour aider les personnes qui souffrent d'une invalidité grave et prolongée à toucher des prestations, ces conditions ne sont pas fondées sur des stéréotypes ou des hypothèses stéréotypées qui portent atteinte à la valeur intrinsèque des personnes invalides.

Quant à la question d'une disposition excluant une certaine période pour les personnes qui sont temporairement invalides, l'intimé fait valoir que l'absence d'une telle disposition pour des personnes qui se trouvent dans la situation du requérant ne constitue pas de la discrimination contre les personnes temporairement invalides parce que celles-ci ne sont pas désavantagées par rapport à d'autres personnes qui souffrent d'invalidité, et que l'absence d'une telle disposition ne renforce pas non plus les stéréotypes ou les préjudices qui portent atteinte à la dignité ou qui font valoir que le requérant ou le groupe auquel il appartient a moins de valeur que d'autres personnes.

ANALYSE

L'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia9 a établi que, pour prouver qu'il y a eu violation du paragraphe 15(1) de la Charte, il faut démontrer qu'une loi établit une distinction ou fait une classification en s'appuyant sur un motif illicite et que la loi est discriminatoire. La trilogie de la Cour suprême du Canada10, toutefois, a démontré qu'au moins trois approches différentes ont été adoptées pour faire l'analyse du paragraphe 15(1) de la Charte. Heureusement, l'arrêt Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant11, l'un des jugements les plus récents de la Cour suprême du Canada sur la question de la discrimination en matière d'invalidité, a essayé de préciser l'approche à suivre à l'égard du paragraphe 15(1) dans les cas de déficience. Dans cet arrêt, le juge Sopinka écrit ceci:

Bien qu'il n'y ait pas eu unanimité dans les arrêts rendus par la Cour en ce qui concerne tous les principes relatifs à l'application de l'art. 15 de la Charte, je crois qu'il est possible de trancher la question en litige en se fondant sur les principes au sujet desquels il n'y a pas de désaccord. Il est généralement admis que, avant de pouvoir déterminer qu'il y a eu violation de l'art. 15, le demandeur doit démontrer que la disposition contestée établit une distinction pour un motif illicite ou un motif analogue qui lui refuse un avantage ou un bénéfice ou lui impose un désavantage ou un fardeau12.

L'arrêt Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général)13 confirme l'approche suivie par le juge Sopinka dans l'arrêt Eaton dans des affaires de discrimination fondée sur une déficience. Aux pages 669 et 670, le juge La Forest (s'exprimant au nom de la Cour) déclare ce qui suit:

C'est avec ce contexte à l'esprit que je vais examiner les éléments précis de l'argument des appelants fondés sur le par. 15(1). Bien que notre Cour n'ait pas adopté une approche uniforme à l'égard de cette disposition, il y a un large accord général sur le cadre d'analyse général: voir Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241 . . . La personne qui allègue une violation du par. 15(1) doit établir que, en raison d'une distinction faite entre elle et d'autres personnes, elle est privée de la "même protection" ou du "même bénéfice" de la loi. En deuxième lieu, elle doit démontrer que cette privation constitue une discrimination fondée sur l'un des motifs énumérés au par. 15(1) ou sur un motif analogue. Certains membres de notre Cour ont jugé que, avant de conclure qu'une distinction est discriminatoire, il doit être prouvé que cette distinction est fondée sur une caractéristique personnelle non pertinente; voir Miron , (le juge Gonthier) et Egan, (le juge La Forest). Selon ce point de vue, il n'y a atteinte au par. 15(1) que si la caractéristique personnelle sur laquelle la distinction est basée est sans rapport avec les valeurs fonctionnelles qui sous-tendent la loi, pourvu que ces valeurs ne soient pas elles-mêmes discriminatoires. D'autres ont affirmé que la pertinence n'était que l'un des facteurs à prendre en compte pour décider si une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue était discriminatoire; voir Miron, (le juge McLachlin), et Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627 (les juges Cory et Iacobucci).

À mon avis, que l'on applique l'une ou l'autre de ces approches, le résultat est le même en l'espèce; pour un raisonnement analogue, voir Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.C.S. 358 (le juge Iacobucci). Il ne fait aucun doute que la distinction en cause est fondée sur une caractéristique personnelle sans rapport avec les valeurs fonctionnelles qui sous-tendent le régime de soins de santé. Ces valeurs sont la promotion de la santé et la prévention et le traitement des maladies et affections, ainsi que la matérialisation de ces valeurs par le truchement d'un régime de soins de santé financé sur les deniers publics. Aucune caractéristique personnelle ne saurait être moins pertinente par rapport à ces valeurs que la déficience physique d'un individu.

Quant à la question de savoir si la discrimination doit nécessairement se fonder sur des hypothèses présumées ou stéréotypées, le juge Sopinka dans l'arrêt Eaton a statué que cela n'était habituellement pas pertinent dans le contexte d'une réclamation relative à une déficience:

Certains des motifs illicites visent principalement à éliminer la discrimination par l'attribution de caractéristiques fausses fondées sur des attitudes stéréotypées se rapportant à des conditions immuables comme la race ou le sexe. Dans le cas d'une déficience, c'est l'un des objectifs. L'autre objectif, tout aussi important, vise à tenir compte des véritables caractéristiques de ce groupe qui l'empêchent de jouir des avantages de la société, et à les accommoder en conséquence . . . C'est plutôt l'omission de fournir des moyens raisonnables et d'apporter à la société les modifications qui feront en sorte que ses structures et les actions prises n'entraînent pas la relégation et la non-participation des personnes handicapées qui engendrent une discrimination à leur égard. L'enquête sur la discrimination qui recourt au raisonnement fondé sur "l'attribution de caractéristiques stéréotypées", dans son acception courante, est tout simplement inappropriée dans le cas présent. Elle peut être considérée plutôt comme un cas d'inversion d'un stéréotype qui, en ne tenant pas compte de la condition d'une personne handicapée, fait abstraction de sa déficience et la force à se tirer d'affaire toute seule dans l'environnement de l'ensemble de la société. C'est la reconnaissance des caractéristiques réelles, et l'adaptation raisonnable à celles-ci, qui constitue l'objectif principal du par. 15(1) en ce qui a trait à la déficience14 .

Ce raisonnement a été repris par le juge La Forest dans l'arrêt Eldridge, où il déclare ce qui suit à la page 671 de sa décision: "Il n'est pas nécessaire qu'une distinction établie par la loi soit motivée par le désir de défavoriser un individu ou un groupe pour constituer une atteinte au par. 15(1). Il suffit que l'effet de la loi prive une personne de l'égalité de protection ou de bénéfice de la loi."

Ainsi, la prétention de l'intimé voulant que, parce que les conditions de cotisation ne sont pas fondées sur des hypothèses stéréotypées ou sur des stéréotypes qui portent atteinte à la dignité de la personne ou qui font valoir que la personne ou le groupe visé a moins de valeur que d'autres personnes, elles ne sont pas discriminatoires, n'est pas pertinente pour décider s'il y a eu discrimination.

En fait, l'interprétation que je donne aux arrêts Eaton et Eldridge est la suivante: pour être en mesure d'établir un désavantage dans une réclamation relative à une déficience le requérant doit d'abord prouver que les conditions de cotisation prévues au Régime de pensions du Canada établissent une distinction sur la base de l'invalidité et, deuxièmement, que cette distinction a pour effet d'imposer aux personnes invalides un fardeau, des obligations et des désavantages non imposés à d'autres personnes, ou de priver les personnes invalides des possibilités et avantages qui sont offerts à d'autres membres de la société ou de limiter leur accès à de tels possibilités et avantages. En analysant l'effet d'une loi sur les personnes invalides, il faut porter attention aux effets défavorables qu'une loi d'application générale pourrait avoir sur les personnes invalides.

Après avoir examiné la décision de la Commission d'appel des pensions, je ne peux conclure que celle-ci a commis une erreur en statuant que le requérant n'avait pas réussi à prouver qu'il y avait discrimination. À mon avis, le requérant n'a pas réussi à prouver dans son argument que les conditions de cotisation établissent une distinction entre les personnes invalides et d'autres personnes. Il est vrai que, pour établir qu'il y a discrimination, il n'est pas nécessaire de démontrer que toutes les personnes invalides font également l'objet d'un traitement injuste, mais il faut quand même démontrer qu'une distinction a été établie entre une personne invalide ou un groupe de personnes invalides et d'autres personnes. Le requérant prétend que la Loi établit une distinction entre les personnes en santé et les invalides de manière générale en ce sens que les critères imposent un fardeau supplémentaire aux personnes invalides parce qu'elles sont dans l'impossibilité de travailler à cause de leur invalidité.

Comme l'a conclu la Commission, cet argument prête le flanc à la critique. Les critères d'admissibilité sont appliqués également à tous. Tous doivent respecter les critères établis par le Régime avant de pouvoir recevoir des prestations d'invalidité. Il n'y a donc pas de fardeau supplémentaire imposé à certaines personnes et non à d'autres. En outre, aucune distinction n'a été établie entre les personnes invalides et d'autres personnes. Le requérant a essayé de faire valoir qu'un fardeau supplémentaire était imposé aux personnes temporairement invalides auquel n'étaient pas assujetties d'autres personnes parce que, sans qu'il y ait faute de leur part, les personnes temporairement invalides sont incapables de travailler et donc de respecter les critères d'admissibilité. Pourtant, il y a aussi des chômeurs, de même que d'autres jeunes gens qui ne peuvent pas non plus travailler"sans que ce soit de leur faute. Bien qu'il soit vrai que les chômeurs ne sont pas précisément protégés en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte, alors que les invalides le sont, néanmoins, le requérant n'a pas établi que les conditions de cotisation établissent une distinction entre les invalides en général et les employés en mesure de travailler. Les critères touchent toutes les personnes de la même façon. On pourrait faire valoir que le fait d'avoir à respecter les critères porte également préjudice à toutes les personnes (ce qui inclut les personnes qui souffrent d'une invalidité permanente), mais cela ne satisfait pas au critère énoncé dans la jurisprudence relativement au paragraphe 15(1) selon lequel il faut démontrer que la loi en question établit une distinction entre une personne invalide et d'autres personnes.

Je fais remarquer que dans l'arrêt Eldridge une distinction légale a été établie lorsqu'il a été démontré que le service en question n'offrait pas de service d'interprétation gestuelle pour les personnes atteintes de surdité. Dans cette affaire, la discrimination était le résultat d'une décision discrétionnaire de la Commission de soins médicaux quant à savoir si un service était un avantage en vertu de la Medical and Health Services Act [S.B.C. 1992, ch. 6] et donc s'il était couvert par le régime. Elle a conclu que les services d'interprétation gestuelle n'étaient pas couverts. Même si le régime de soins médicaux s'appliquait à toutes les personnes, les personnes atteintes de surdité ne pouvaient en bénéficier de la même façon que les autres parce qu'aucun service d'interprétation gestuelle n'était fourni. En l'espèce, le requérant essaie de faire valoir un argument semblable en affirmant qu'une distinction a été établie entre les personnes invalides et les autres parce que le régime traite les personnes invalides de la même manière que les personnes en santé.

Toutefois, ce que le requérant recherche réellement dans cette demande, c'est de faire en sorte que les dispositions d'exclusion d'une certaine période qui s'appliquent aux personnes qui reçoivent des prestations d'invalidité en vertu du Régime et aux parents qui prennent soin d'enfants de moins de sept ans s'appliquent également à lui. Essentiellement, donc, le requérant fait valoir qu'une distinction a été établie entre les personnes temporairement invalides et les personnes atteintes d'une invalidité permanente en vertu de la Loi parce que les dispositions d'exclusion (ou le pouvoir discrétionnaire d'étendre la portée des dispositions relatives aux prestations) ne s'appliquent pas aux requérants temporairement invalides. Comme la Commission le souligne à la page 15 de ses motifs:

[traduction] Dans une certaine mesure, l'argument de l'appelant fait valoir que le Régime établit une distinction à l'encontre des personnes temporairement invalides parce qu'il ne leur permet pas d'exclure une certaine période, avantage qu'il confère aux personnes qui reçoivent des prestations d'invalidité en vertu du Régime et aux parents qui prennent soin d'enfants de moins de 7 ans.

La Commission a rejeté cet argument dans les mots suivants:

[traduction] . . . à mon avis, un tel argument ne peut être retenu pour ce qui concerne les personnes touchant des prestations d'invalidité, puisque la disposition d'"exclusion" ne libère pas le requérant d'avoir à satisfaire aux conditions de cotisation pour être en mesure d'obtenir une pension d'invalidité. Cette disposition profite aux personnes qui ont respecté les conditions et touché une pension d'invalidité du Régime de pensions du Canada. Si ces personnes reviennent subséquemment au travail et font ensuite une demande pour avoir des prestations d'invalidité dans le cadre du Régime de pensions du Canada, la disposition d'"exclusion" s'applique à leur période cotisable à ce moment-là . . . Il n'y a donc pas de différence entre les conditions préalables à respecter pour obtenir des prestations d'invalidité dans le cadre du RPC qui s'appliquent aux personnes qui sont devenues invalides au sens du Régime et aux personnes qui sont temporairement invalides.

À la question de savoir si, devant cette Cour, le requérant faisait valoir que la Loi établit une distinction entre les personnes atteintes d'une invalidité permanente et les personnes temporairement invalides en ce sens que les personnes temporairement invalides qui retournent au travail et qui deviennent ensuite des personnes atteintes d'une invalidité permanente ne sont pas autorisées à demander que la période au cours de laquelle ils ont été temporairement invalides soit exclue des conditions de cotisation, le requérant a informé la Cour que tel n'était pas son argument. Par conséquent, il est inutile de se pencher sur le bien-fondé de cet argument et de se demander si l'analyse énoncée dans la décision de la Cour suprême du Canada dans Battleford and District Co-operative Ltd. c. Gibbs15 s'appliquerait aux faits de l'espèce.

Étant donné que le requérant ne souhaite pas faire valoir que la loi établit une distinction entre les personnes temporairement invalides et celles qui sont atteintes d'une invalidité permanente, je ne peux conclure, tout comme la Commission d'appel des pensions dans Xinos c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration16 a été incapable de le faire en traitant de la même loi, qu'on imposait aux personnes invalides un fardeau, une obligation ou un désavantage non imposé à d'autres personnes. Je ne peux non plus conclure que les personnes invalides sont privées de l'égalité de bénéfice de la loi. Je suis donc d'avis d'adopter le raisonnement du juge Strayer, J.C.A. de la présente Cour dans l'affaire Xinos et de conclure qu'il n'y a pas eu discrimination. Bien que je sois sensible au fait que l'argument présenté devant la Cour se fonde sur la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, néanmoins, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada établit qu'il faut encore démontrer qu'une distinction a été établie entre les personnes invalides et d'autres personnes. Si le requérant avait fait valoir que le Régime établissait une distinction entre les personnes temporairement invalides et les personnes atteintes d'une invalidité permanente en n'offrant pas aux personnes temporairement invalides une disposition d'exclusion semblable, mon analyse du paragraphe 15(1) aurait pu être différente.

Donc pour récapituler, à mon avis, on peut essentiellement conclure que le Régime a un effet négatif sur presque toutes les personnes qui cherchent à obtenir des prestations d'invalidité permanente du fait qu'il impose des critères d'admissibilité. Les auteurs du Régime reconnaissent ce fait et, en vertu du pouvoir discrétionnaire dont ils disposent, ils ont établi une disposition d'exclusion pour certains groupes à l'égard desquels les critères d'admissibilité auraient, à leur avis, les effets les plus défavorables. L'argument qui aurait dû être présenté pour essayer d'établir la discrimination, par conséquent, aurait donc été de faire valoir que ce qui est véritablement discriminatoire, c'est le fait que le législateur a exercé son pouvoir discrétionnaire en choisissant d'appliquer les dispositions d'exclusion aux personnes atteintes d'invalidité permanente et non aux personnes temporairement invalides. La raison en est que ce n'est qu'à partir de ce moment qu'une distinction est établie entre les personnes invalides et les autres. Toutefois, le requérant a expressément refusé de débattre de ce point.

Compte tenu de ce qui précède, il n'est pas nécessaire de passer à l'étape de l'article premier. Toutefois, je tiens à souligner que je ne suis pas convaincu que le gouvernement s'est acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver qu'il a porté le moins possible atteinte aux droits du requérant. Bien que le gouvernement ait établi qu'il serait difficile de faire des changements au Régime à cause de la nécessité d'obtenir le consentement des provinces, il n'a pas établi que la viabilité du Régime serait compromise en ajoutant une disposition d'exclusion. Il a seulement établi qu'il serait difficile de modifier le Régime.

D'après les arguments présentés devant la Cour et les mémoires des avocats, je suis d'avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la Commission d'appel des pensions qui rejetait un appel présenté par le requérant. Je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur en concluant qu'on n'avait pas établi qu'il y avait eu discrimination.

1 Autorisation de pourvoi refusée le 25 septembre 1997, [1997] S.C.C.A. no 282.

2 Art. 44(1)b)(i) [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 13] et (ii) [mod., idem].

3 Art. 42(2)a) [mod., idem, art. 12].

4 Art. 42(2)a)(i) [mod., idem] et (ii) [mod., idem].

5 Art. 44(2)b) dispose comme suit:

44. (2) . . .

b) la période cotisable d'un cotisant est la période qui:

(i) commence le 1er janvier 1966 ou au moment où il atteint l'âge de dix-huit ans, en choisissant celle de ces deux dates qui est postérieure à l'autre,

(ii) se termine avec le mois au cours duquel il est déclaré invalide dans le cadre de l'alinéa (1)b).

6 L'art. 42(2) est rédigé comme suit:

42. . . .

(2) Pour l'application de la présente loi:

a) une personne n'est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l'application du présent alinéa:

(i) une invalidité n'est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(ii) une invalidité n'est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d'être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle ou elle est devenue ou a cessé d'être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne n'est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d'une demande à l'égard de laquelle la détermination a été établie.

7 Plus précisément, l'art. 44(1)b) stipule ce qui suit:

44. (1) . . .

b) une pension d'invalidité doit être payée à un cotisant qui n'a pas atteint l'âge de soixante-cinq ans, à qui aucune pension de retraite n'est payable, qui est invalide et qui:

(i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d'admissibilité,

(ii) soit a versé des cotisations pendant au moins deux des trois dernières années civiles entièrement ou partiellement comprises dans sa période cotisable,

(iii) soit a versé des cotisations pour les deux années civiles qui sont comprises dans sa période cotisable, dans les cas où il n'y a que deux années civiles entièrement ou partiellement comprises dans sa période cotisable,

(iv) soit est un cotisant à qui une pension d'invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d'invalidité avait été reçue avant le moment où elle a effectivement été reçue;

8 ;Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627.

9 [1989] 1 R.C.S. 143.

10 Précité, note 8.

11 [1997] 1 R.C.S. 241 (ci-après Eaton).

12 Ibid., à la p. 270 (non souligné dans l'original).

13 [1997] 3 R.C.S. 624.

14 Précité, note 11, aux p. 272 et 273.

15 [1996] 3 R.C.S. 566.

16 Xinos c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, décision de la Commission d'appel des pensions, 22 janvier 1996, conf. par la Cour d'appel fédérale, A-212-96, le 19 mars 1997 [[1997] A.C.F. no 319 (QL)].

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