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A-757-95 ( T-642-94 )

Douglas Dean (appelant)

c.

Beothuk Data Systems Limited, Division Seawatch et Ted A. Blanchard, artibre nommé conformément aux dispositions du Code canadien du travail (intimés)

A-758-95 ( T-644-94 )

Hugh Davis (appelant)

c.

Beothuk Data Systems Limited, Division Seawatch et Ted A. Blanchard, artibre nommé conformément aux dispositions du Code canadien du travail (intimés)

A-759-95 ( T-645-94 )

Michael Carew (appelant)

c.

Beothuk Data Systems Limited, Division Seawatch et Ted A. Blanchard, artibre nommé conformément aux dispositions du Code canadien du travail (intimés)

Répertorié: Beothuk Data Systems Ltd., Division Seawatchc. Dean (C.A.)

Cour d'appel, juge en chef Isaac et juges Stone et McDonald, J.C.A."St. John's, 4 juillet; Ottawa, 28 août 1997.

Interprétation des lois L'art. 240(1)a) du Code canadien du travail permet à toute personne ayant complété 12 mois consécutifs d'emploi continu de déposer une plainte pour congédiement injustifiéLes appelants avaient travaillé pendant 10 à 12 semaines par année pendant plus de 10 ans au moment de leur congédiementSe fondant sur l'utilisation du verbetravaillerdans la version française, le juge des requêtes a conclu que l'art. 240(1)a) exige 12 mois consécutifs de travail continuEn appliquant le principe du sens commun, il a conclu que la version française devait prévaloir étant donné que la version anglaise était ambiguëIl n'a pas discuté de ce qu'était l'intention du législateur au moment où il a adopté les dispositions concernant le congédiement injusteLorsqu'une version peut avoir un sens plus large que l'autre, la question à trancher est de savoir quel est le sens qui correspond le mieux à l'intention qu'avait le législateur en adoptant les deux versionsL'objectif des dispositions concernant le congédiement injuste était d'offrir aux travailleurs non syndiqués relevant des autorités fédérales une protection semblable à celle dont bénéficiaient les travailleurs syndiqués régis par des conventions collectivesLa Cour doit interpréter en faveur des plaignants toute disparité entre les versions anglaise et française concernant les conditions d'admissibilité à une telle protectionL'art. 240(1)a) n'a pas été conçu comme une disposition d'exclusion onéreuse qui prive des protections assurées par le Code tous les employés saisonniersSi emploi et travail sont interprétés comme étant synonymes, tous les employés saisonniers sont exclus des protections offertes par le Code, parce que toute période au cours de laquelle l'employé ne travaille pas en contrepartie d'un salaire interrompt la relation d'emploiEn adoptant l'art. 240(1)a), le législateur avait l'intention d'éviter la possibilité qu'un trop grand nombre de demandes soient présentéesC'est la relation d'emploi et non la période de travail actif qui compteLa version française était originellement identique à la version anglaiseSa modification a été effectuée sous l'autorité de la Loi sur la revision des loisLa Commission de revision des lois a excédé ses pouvoirs en changeant le fond de la dispositionLa modification de l'art. 29 du Règlement du Canada sur les normes du travail (qui présume que l'absence de l'emploi par suite d'une mise à pied n'a pas pour effet d'interrompre la continuité de la relation d'emploi), après le dépôt des plaintes, reflétait l'état du droit au moment de son adoptionL'art. 45 de la Loi d'interprétation prévoit que la modification d'un texte ne constitue pas une déclaration portant que les règles de droit du texte étaient différentes ni une déclaration sur l'état antérieur du droit.

Relations du travail Les appelants avaient travaillé de 10 à 12 semaines par année pendant plus de 10 ans comme gardes-pêcheInitialement employés du ministère des Pêches et des Océans, puis de Beothuk, entrepreneur dont la soumission avait été retenue, sur une base de rappelDepuis 1988, le Ministère a exercé son option de renouveler le contratL'art. 240(1)a) du Code canadien du travail permet à toute personne ayant complété 12 mois consécutifs d'emploi continu de déposer une plainte pour congédiement injustifiéExigence d'une relation d'emploi continue, non un travail continuLa question de savoir si la relation d'emploi a survécu à la mise à pied annuelle est une question de faitL'application de l'art. 240(1)a) aux faits relève des compétences spécialisées de l'arbitreLe juge des requêtes aurait dû faire preuve de retenue à l'égard de la conclusion de l'arbitre établissant que les appelants étaient des employés saisonniers permanents et que leur relation d'emploi n'était pas interrompue par leur mise à pied annuelle.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance La question de la compétence pouvait-elle être soulevée au cours de la procédure de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre selon laquelle les appelants avaient été injustement congédiés?L'art. 243 du Code canadien du travail prévoit que toute décision d'un arbitre nommé en vertu de l'art. 242 est définitiveL'interprétation donnée par un arbitre des conditions préalables, énoncées dans la loi, concernant la régularité du dépôt d'une plainte aux termes de l'art. 240(1) est assujettie à la norme de la justesse de la décisionLes questions de compétence peuvent être soulevées en tout temps et à toutes les étapes de l'instance.

Il s'agit d'appels de jugements de la Section de première instance annulant les décisions d'un arbitre qui a statué que les appelants avaient été injustement congédiés. Les appelants travaillaient comme gardes-pêche et étaient chargés de veiller à ce que le public respecte la Loi sur les pêches et les règlements établis en application de cette Loi, de 10 à 12 semaines par année depuis plus de 10 ans, d'abord pour le ministère des Pêches et des Océans et par la suite pour l'intimée Beothuk, qui avait obtenu un contrat pour la prestation de ces services. À compter de 1988, le contrat contenait une clause d'option de renouvellement du contrat que le Ministère pouvait exercer avant le début de chaque nouvelle saison de pêche, mais qui ne garantissait pas le renouvellement du contrat chaque année. La date précise de début du travail des appelants coïncidait avec l'ouverture de la saison de la pêche au saumon. Il n'y avait pas de contrat de travail écrit et les appelants n'étaient pas tenus de remplir une nouvelle demande d'emploi. À la fin de chaque saison, les appelants recevaient un relevé d'emploi (aux fins d'une demande de prestations d'assurance-chômage) qui indiquait que la raison de la mise à pied était le "manque de travail" et que la date de rappel était "inconnue". Les appelants ont été renvoyés en 1990 et l'appelant Davis n'a pas été réembauché en 1991, bien que le Ministère ait renouvelé le contrat de l'intimée. Ils ont déposé des plaintes conformément à l'article 240 du Code canadien du travail , qui permet à toute personne qui a complété 12 mois consécutifs d'emploi continu de déposer une plainte pour congédiement injustifié. L'arbitre a conclu qu'il avait compétence pour entendre les plaintes, étant donné que l'alinéa 240(1)a) fait référence à 12 mois consécutifs d'emploi continu, et non de travail. Les appelants avaient établi un scénario cohérent d'emploi saisonnier et les mises à pied annuelles n'interrompaient pas la relation d'emploi. Le juge des requêtes a statué que l'expression travaille sans interruption depuis au moins douze mois exigeait l'accomplissement d'au moins douze mois consécutifs de travail. Il a reconnu que la décision d'un arbitre nommé en vertu du Code est protégée par le paragraphe 243(1), qui en consacre le caractère définitif, mais que l'interprétation que l'arbitre a donnée du paragraphe 240(1) est susceptible de contrôle quant à la justesse, car il s'agit d'une disposition attributive de compétence. Le juge des requêtes a remis en cause plusieurs décisions prises par les arbitres. À son avis, la notion que l'emploi peut signifier autre chose qu'un travail actif découle d'une mauvaise interprétation de l'arrêt Pioneer Grain Company Ltd. c. Kraus. Le juge des requêtes a mis beaucoup d'accent sur l'utilisation du verbe "travailler" (signifiant "to work") de la version française du paragraphe 240(1)a ). En appliquant le principe du sens commun (lorsque les deux versions d'un texte de loi bilingue ne disent pas la même chose, le sens qui est commun aux deux versions doit être retenu, à moins que, pour une raison quelconque, il ne soit inacceptable), il s'est dit d'avis que le sens du texte français doit prévaloir parce que les termes de la version anglaise ont une portée incertaine. Il n'a pas pris en considération ce qu'était l'intention du législateur au moment où il a adopté les dispositions relatives au congédiement injuste et la condition d'admissibilité énoncée à l'alinéa 240(1)a). Finalement, il a interprété l'adoption d'une modification à l'article 29 du Règlement du Canada sur les normes du travail (l'absence d'un employé au travail attribuable à une mise à pied ne doit pas être interprétée comme une interruption de la continuité d'un emploi) entrée en vigueur après que les appelants eurent déposé leurs plaintes comme signifiant que, avant l'adoption de cette disposition, la mise à pied saisonnière interrompait effectivement la continuité d'une relation d'emploi. Étant donné que l'article 29 ne s'appliquait pas lorsque l'intimée mettait à pied les appelants à la fin de chaque saison, il y avait interruption dans la continuité de leur relation d'emploi. Le juge des requêtes a conclu que l'arbitre n'avait pas compétence pour entendre les plaintes.

Les questions en litige étaient les suivantes: (1) l'employeur pouvait-il soulever la question de la compétence au cours d'une procédure de contrôle judiciaire; (2) les appelants respectaient-ils les conditions de l'alinéa 240(1)a) du Code canadien du travail; (3) la modification de l'article 29 du Règlement est-elle essentielle à la conclusion selon laquelle la mise à pied saisonnière des appelants n'interrompt pas la "continuité de l'emploi" pour les fins de l'alinéa 240(1)a )?

Arrêt (le juge McDonald, J.C.A., est dissident): les appels sont accueillis.

Le juge en chef Isaac (avec l'appui du juge Stone, J.C.A.): (1) Malgré la retenue judiciaire dont il faut faire preuve à l'égard des tribunaux protégés par une clause privative, l'interprétation donnée par un tribunal d'une disposition de la loi qui lui attribue sa compétence, ou qui en limite l'étendue, doit être examinée d'après la norme de la justesse de la décision. Le juge des requêtes était donc justifié d'examiner l'interprétation donnée par l'arbitre de l'alinéa 240(1)a) au regard de cette norme.

(2) Un plaignant qui a maintenu une relation d'emploi continue avec son employeur pendant au moins douze mois consécutifs avant d'être congédié peut, sous réserve qu'il respecte les autres conditions applicables, déposer une plainte en vertu du Code, même s'il n'a pas travaillé activement pendant une certaine partie de cette relation d'emploi.

Le juge des requêtes a commis une erreur en appliquant le principe du sens commun pour résoudre le conflit entre les versions française et anglaise de l'alinéa 240(1)a) sans tenir dûment compte de l'objectif que poursuivait le législateur lors de l'adoption de la disposition. Une version avait un sens plus large que l'autre, et la question à trancher est alors de savoir quel est le sens qui correspond le mieux à l'intention qu'avait le législateur en adoptant les deux versions. L'objectif des dispositions relatives au congédiement injuste était d'offrir aux travailleurs non syndiqués relevant des autorités fédérales une protection contre le congédiement injuste semblable à celle dont bénéficiaient les travailleurs syndiqués régis par des conventions collectives. Il faut donc interpréter en faveur des plaignants toute disparité entre les versions française et anglaise concernant les conditions d'admissibilité à une telle protection. À partir de ce raisonnement, il faut conclure que le législateur n'avait pas l'intention de faire de l'alinéa 240(1)a) une disposition d'exclusion onéreuse qui prive des protections assurées par le Code tous les employés qui ne travaillent pas activement pendant douze mois sans interruption avant d'être congédiés, qu'ils aient ou non des relations de longue durée avec leurs employeurs. Les termes emploi et travail actif ne sont pas nécessairement synonymes dans le contexte de l'alinéa 240(1)a). Une telle interprétation de la disposition aurait inévitablement pour effet d'exclure tous les employés saisonniers des protections offertes par le Code, abstraction faite de la permanence de leur emploi, parce que toute période au cours de laquelle l'employé ne travaille pas en contrepartie d'un salaire, à l'exception d'une mise à pied annuelle de courte durée, interrompt la relation d'emploi. Si le législateur avait eu l'intention en adoptant l'alinéa 240(1)a) d'exclure entièrement cette catégorie de travailleurs non syndiqués des protections offertes par le Code, il aurait exprimé cette intention en termes clairs.

En adoptant l'alinéa 240(1)a) à titre de condition minimale au niveau de l'ancienneté, le législateur avait l'intention d'éviter la possibilité qu'un trop grand nombre de demandes soient présentées en vertu du Code, et les pressions administratives qui pourraient en résulter, en reconnaissant que la grande majorité des congédiements se produisent pendant la première année d'emploi. Le législateur avait aussi l'intention d'offrir aux employeurs une période de grâce à l'intérieur de laquelle ils peuvent évaluer le travail des nouveaux employés sans craindre l'application prématurée du Code.

Lorsque les dispositions relatives au congédiement injuste ont été adoptées pour la première fois dans le Code canadien du travail, la version française avait un sens pratiquement identique à celui de la version anglaise. En 1984, la version française a été modifiée en vertu de la Loi sur la revision des lois, qui permettait des modifications qui ne changeaient pas le fond de la loi. La Commission de revision des lois a modifié, sans en avoir le pouvoir légal, le fond de la disposition. Par conséquent, la version française qui avait été adoptée avant la modification de 1984 reflète de façon plus appropriée l'intention du législateur au moment de l'adoption de la disposition en question.

Le juge des requêtes a commis une erreur en statuant que Pioneer Grain appuie simplement le principe limité selon lequel, dans les cas ayant trait à des employés permanents, une mise à pied annuelle d'une "courte durée" n'interrompt pas automatiquement la continuité de cet emploi permanent. Il est clair que la Cour ne s'est pas appuyée sur ce concept de "courte durée" pour parvenir à sa conclusion. Il ressort implicitement du raisonnement tenu dans Pioneer Grain que c'est la durée de la période d'emploi, et non la période de travail actif, qui est pertinente aux fins de l'alinéa 240(1)a). Les employés saisonniers peuvent se prévaloir de la protection offerte par les dispositions concernant le congédiement injuste, pourvu que l'on puisse conclure que leur relation d'emploi a survécu à leur mise à pied annuelle. Il s'agit là d'une décision de fait qui exige que les intentions des deux parties soient interprétées au regard de l'ensemble des circonstances relatives à l'emploi. L'application de l'alinéa 240(1)a) aux faits de l'espèce (c'est-à-dire à la question de savoir si la relation employeur-employé avait en fait été maintenue pendant au moins douze mois consécutifs) relèvait des connaissances spécialisées de l'arbitre. Le juge des requêtes aurait dû faire preuve de retenue à l'égard de la conclusion de l'arbitre établissant que les appelants étaient des employés saisonniers permanents et que leur relation d'emploi n'était pas interrompue par leur mise à pied annuelle. En interprétant la condition d'admissibilité énoncée à l'alinéa 240(1)a) comme exigeant douze mois consécutifs de travail sans interruption, le juge des requêtes s'est en fait écarté de la décision obligatoire de la Cour dans Pioneer Grain.

(3) Il est plus vraisemblable que la modification apportée à l'article 29 du Règlement ait eu pour objet de refléter, pour en accroître la certitude, l'état du droit tel qu'il existait au moment de l'adoption de cette modification. L'article 45 de la Loi d'interprétation prévoit que la modification d'un texte ne constitue pas une déclaration portant que les règles de droit ont changé ou une déclaration sur l'état antérieur du droit.

Le juge McDonald, J.C.A. (dissident): (1) Les questions de compétence peuvent être soulevées en tout temps et à toutes les étapes de l'instance. Le simple fait que le ministre croit qu'un différend relève de la compétence fédérale ne signifie pas nécessairement que tel est le cas.

(2) L'existence d'une option de renouvellement du contrat avec la BDS est insuffisante pour maintenir la relation d'emploi d'une année à l'autre. Il n'y avait aucune garantie que Beothuk obtienne le contrat dans les années suivantes. Il semble déraisonnable de conclure que la relation entre les employés et leur employeur ait pu subsister, alors que l'employeur ne pouvait leur garantir de travail d'une année à l'autre. L'emploi est plus justement décrit comme une série de contrats à durée déterminée. La pratique de rappel au travail n'établit pas une relation d'emploi continue. L'incertitude associée à l'octroi d'un nouveau contrat l'emporte sur les pratiques de rappel suivies par l'employeur.

Le changement de formulation effectué par la Commission de revision des lois, dans la mesure où il a modifié le sens de la version française de l'alinéa 240(1)a), a été fait illégalement, et restreint grandement l'utilité de cette version.

L'arrêt Pioneer Grain n'a pas pour effet d'étendre la portée de l'alinéa 240(1)a) à tous les travailleurs saisonniers, mais les arbitres ont par la suite donné cette portée à l'arrêt Pioneer Grain. Le juge de première instance a conclu avec raison que cette façon d'analyser l'arrêt Pioneer Grain étendait la portée de la décision au-delà de celle que la Cour avait eu l'intention de lui donner. En outre, une distinction d'avec Pioneer Grain peut être établie quant au fait que la fixation d'une date de reprise du travail laissait présumer que la relation d'emploi subsistait pendant la période de mise à pied, au contraire de la situation en l'espèce où une telle date ne pouvait être précisée étant donné que la disponibilité du travail à venir dépendait de la capacité de l'employeur à obtenir le contrat pour assurer le travail de l'année suivante. De plus, dans Pioneer Grain, il n'était pas question de la capacité de l'employeur d'obtenir un contrat en participant à un appel d'offres pour renouveler l'emploi du plaignant. L'employé était mis à pied parce que les conditions climatiques l'empêchaient d'effectuer les travaux nécessaires, au contraire de l'espèce où l'on est en présence d'un contrat d'emploi précis se terminant à la fin de chaque année. Aucune relation d'emploi n'a été maintenue pendant toute l'année alors qu'il n'y avait plus de travail à faire et qu'il n'y avait aucune confirmation des possibilités de travail tant que le contrat n'était pas renouvelé.

L'alinéa 240(1)a) crée une présomption que les travailleurs saisonniers ne sont pas protégés, et, avant la modification de son article 29, le Règlement n'indiquait nulle part si les travailleurs saisonniers étaient visés. La présomption n'a donc pas été réfutée et elle n'a pas été perturbée par l'arrêt Pioneer Grain. La modification démontre que le législateur avait l'intention d'accorder aux travailleurs saisonniers la protection de l'article 240. Avant cette modification, le libellé retenu par le législateur ne faisait pas d'exception pour les travailleurs saisonniers. Une série de décisions arbitrales qui ont élargi la portée d'une décision de la présente Cour au-delà de l'intention de cette dernière n'est pas suffisante pour modifier l'intention du législateur qui ressort du libellé de la loi et du Règlement tels qu'ils existaient au moment de la mise à pied des employés.

Quant aux considérations d'ordre public, élargir le libellé de l'alinéa 240(1)a) pour inclure ce que le législateur n'a manifestement pas voulu y inclure va en fait à l'encontre de l'une des fonctions de contrôle qui a été donnée au paragraphe 240(1). Le refus d'accorder la protection du Code canadien du travail à ces appelants ne les prive pas d'un droit d'action contre leur employeur. Ils ont des droits de recours en common law.

lois et règlements

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 167(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 5), 240 (mod., idem, art. 15), 242 (mod., idem, art. 16), 243.

Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L-1, art. 61.5 (édité par S.C. 1977-78, ch. 27, art. 21).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(12).

Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48.

Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 44, 45(2),(3).

Loi modifiant le Code canadien du travail, S.C. 1977-78, ch. 27, art. 21.

Loi modifiant le Code canadien du travail et la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5).

Loi sur la revision des lois, S.C. 1974-75-76, ch. 20, art. 6.

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 13.

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 5 (mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 2).

Règlement du Canada sur les normes du travail, C.R.C., ch. 986, art. 29 (mod. par DORS/91-461, art. 29).

jurisprudence

décisions appliquées:

Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652; (1993), 109 D.L.R. (4th) 272; 18 Admin. L.R. (2d) 67; 1 C.C.E.L. (2d) 75; 94 CLLC 14,006; 161 N.R. 66 (C.A.); Pioneer Grain Co. Ltd. c. Kraus, [1981] 2 C.F. 815; (1981), 123 D.L.R. (3d) 48; 36 N.R. 395 (C.A.); Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2; (1983), 142 D.L.R. (3d) 1; 83 CLLC 14,010; 46 N.R. 185; Bell Canada c. Cowan, arbitre D. G. Pyle, jugement en date du 19-8-87; Reigate Rural District Council v. Sutton District Water Company; Ewart, Third Party (1908), 99 L.T.R. 168 (K.B.).

décisions examinées:

Juster c. La Reine, [1974] 2 C.F. 398; (1974), 49 D.L.R. (3d) 256; [1974] CTC 681; 74 DTC 6540; 5 N.R. 219 (C.A.); Food Machinery Corpn. v. Registrar of Trade Marks, [1946] R.C.É. 266; [1946] 2 D.L.R. 258; (1944), 5 C.P.R. 76; 5 Fox Pat. C. 150; The King v. Dubois, [1935] R.C.S. 378; [1935] 3 D.L.R. 209; R. c. Black & Decker Manufacturing Co. Ltd., [1975] 1 R.C.S. 411; (1974), 43 D.L.R. (3d) 393; 15 C.C.C. (2d) 193; 13 C.P.R. (2d) 97; 1 N.R. 299; R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865; [1979] C.T.C. 71; (1979), 79 DTC 5068; 25 N.R. 361; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 40 C.R.R. 100; 93 N.R. 183.

décisions citées:

Dominion Canners Ltd. v. Costanza, [1923] R.C.S. 46; [1923] 1 D.L.R. 551; Essex Incorporated Congregational Church Union v. Essex County Council, [1963] A.C. 808 (H.L.); Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Commission canadienne des transports, [1988] 2 C.F. 437; (1987), 13 F.T.R. 52 (1re inst.); Bande indienne de Norway House c. Canada (Arbitre, Code du travail), [1994] 3 C.F. 376; (1994), 75 F.T.R. 246 (1re inst.); Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354; (1995), 126 D.L.R. (4th) 679; 95 CLLC 210-045; 185 N.R. 107 (C.A.); Pierre Mongrain c. Pelee Island Transportation, arbitre Abramowitz, jugement en date du 12-8-86; Re Beaudril c. Preignitz, arbitre J. W. Samuels, jugement en date du 27-10-86; Ghislain Simard c. Cablevision Baie St-Paul Inc., arbitre Tousignant, jugement en date du 27-9-89; Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412; (1984), 14 D.L.R. (4th) 457; 55 N.R. 321; 14 Admin. L.R. 72; 84 CLLC 14,069; U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; (1988), 35 Admin. L.R. 153; 95 N.R. 161; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; (1993), 101 D.L.R. (4th) 673; 11 Admin. L.R. (2d) 59; 93 CLLC 14,022; 150 N.R. 161; CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983; (1989), 62 D.L.R. (4th) 437; [1989] 6 W.W.R. 673; 40 B.C.L.R. (2d) 1; 40 Admin. L.R. 181; 89 CLLC 14,050; R. c. Popovic et al., [1976] 2 R.C.S. 308; (1975), 62 D.L.R. (3d) 56; 25 C.C.C. (2d) 161; 32 C.R.N.S. 54; 7 N.R. 231; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; (1991), 81 D.L.R. (4th) 121; 91 CLLC 14,024; 122 N.R. 361; [1991] OLRB Rep 790; Hirsch v. Protestant Board of School Commrs., [1926] R.C.S. 246; [1926] 2 D.L.R. 8; Ottawa, City of, v. Canada Atlantic Ry. Co. (1903), 33 R.C.S. 376; Attorney-General for Canada v. Hallet & Carey Ld., [1952] A.C. 427 (P.C.); Nokes v. Doncaster Amalgamated Collieries, Ld., [1940] A.C. 1014 (H.L.); Laberge c. Carbonneau et le Procureur Général de la Province de Québec (1921), 30 B.R. 385 (Qué.).

doctrine

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Munro, John C. "A Better Deal for Canada's Unorganized Workers", The Labour Gazette , 19 août 1977, à la page 347.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed., Toronto: Butterworths, 1994.

APPELS de jugements rendus par la Section de première instance (Beothuk Data Systems Ltd., Seawatch Division c. Dean, [1996] 1 C.F. 451; (1995), 102 F.T.R. 241 (1re inst.)), qui ont annulé les décisions rendues par un arbitre en vertu de l'alinéa 240(1)a) du Code canadien du travail, selon lesquelles les appelants avaient été injustement congédiés de leur emploi saisonnier de gardes-pêche. Appels accueillis.

avocats:

Mark Kennedy pour les appelants.

Mark D. Murray pour les intimées.

procureurs:

French Browne, St. John's, pour les appelants.

Martin, Whalen, Hennebury & Stamp, St. John's, pour les intimées.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge en chef Isaac: Il s'agit d'appels de jugements de la Section de première instance, prononcés le 20 octobre 1995 [[1996] 1 C.F. 451], accueillant des demandes de contrôle judiciaire présentées par la Beothuk Data Systems Limited, Division Seawatch (l'intimée), et annulant les décisions d'un arbitre nommé conformément à la partie III du Code canadien du travail1 (l'arbitre), qui a statué que les appelants avaient été injustement congédiés par l'intimée. Le fond de la décision prise par l'arbitre n'est pas contesté. En fait, les appels soulèvent une question préliminaire au niveau de la compétence, quant à savoir si les appelants satisfaisaient aux conditions préalables prévues par la loi pour qu'un arbitre soit nommé conformément à la partie III du Code. Les trois appels ont été entendus ensemble, et les présents motifs s'appliquent à chacun d'entre eux. Une copie des motifs sera donc déposée dans chacun des dossiers mentionnés dans l'intitulé de la cause.

Les faits

Les appels ont trait au congédiement par l'intimée des appelants qui travaillaient comme gardes-pêche. Les gardes-pêche sont chargés de veiller à ce que le public respecte, notamment, les dispositions de la Loi sur les pêches2 et les règlements établis en application de cette Loi. La Loi prévoit l'octroi de permis, la protection et la conservation des ressources de toutes les eaux qui se trouvent dans les zones de pêche du Canada et de ses eaux intérieures.

Avant 1984, les appelants étaient employés sur une base saisonnière comme gardes-pêche par le Ministère des Pêches et des Océans (le Ministère). Le Ministère a embauché M. Dean (Dean) et M. Davis (Davis) en 1978 et M. Carew (Carew) en 1980.

En 1984, le Ministère a commencé à confier à des entrepreneurs privés le travail effectué par les gardes-pêche. De 1984 à 1987, l'intimée a réussi à obtenir les contrats saisonniers pour la prestation de ces services. Les appelants étaient au nombre des gardes-pêche embauchés par l'intimée pour s'acquitter de ses obligations prévues au contrat. Les tâches accomplies par les appelants en vertu de leur contrat de travail avec l'intimée sont demeurées les mêmes qu'à l'époque où ils travaillaient pour le Ministère.

En 1988, l'intimée et le Ministère ont négocié un contrat ayant pour but de stabiliser leurs relations d'affaires. Au lieu de reprendre chaque année le processus d'appel d'offres et de présentation des soumissions, les parties ont convenu d'une clause en vertu de laquelle le Ministère pouvait renouveler le contrat pendant plusieurs années consécutives en exerçant l'option prévue au contrat avant le début de chaque nouvelle saison de pêche au saumon. Le Ministère a exercé chaque année cette option, à tout le moins de 1988 jusqu'à la date de l'audience devant l'arbitre en 1992. Toutefois, cette option ne garantissait pas que le Ministère s'engageait à renouveler le contrat de l'intimée chaque année. L'arbitre explique le contrat dans les termes suivants:

[traduction] Le contrat est essentiellement d'une durée d'un an (une saison), mais renferme une option de renouvellement que le MAS [ministère des Approvisionnements et Services] peut exercer d'année en année. Le MAS a exercé cette option chaque année depuis 1988, première année où cette disposition a été incluse dans le contrat. Lorsque le gouvernement se prévaut des dispositions relatives à l'option de renouvellement, il ne lance pas d'appels d'offres et la B.D.S. [l'intimée] et conserve le contrat. Malgré les dispositions relatives à l'option de renouvellement, la compagnie ne peut compter sur plus d'un contrat d'un an (d'une saison) et elle ne peut donc pas assurer aux gardes-pêche un emploi pour plus d'une saison. Toutefois, les employés sont évalués après la saison et si leur rendement a été satisfaisant, la plupart d'entre eux sont réembauchés la saison suivante. La compagnie reçoit habituellement un bref préavis concernant l'octroi du contrat d'année en année, ce qui ne lui laisse pas suffisamment de temps pour recruter chaque année un nouvel effectif de gardes-pêche3.

Les appelants ont donc travaillé, tout d'abord pour le Ministère, et ensuite pour l'intimée, sur une base saisonnière en vertu de laquelle ils étaient rappelés chaque année à une date fixée par leur employeur. Les gardes-pêche travaillaient activement pendant environ 10 à 12 semaines par année, habituellement du 15 juin au 15 septembre. La date précise de début du travail coïncidait avec l'ouverture de la saison de la pêche au saumon, qui commence quand le saumon entreprend sa migration annuelle vers les eaux intérieures. Les appelants et les autres gardes-pêche étaient avisés de la date du début du travail pour chaque nouvelle saison de façon informelle, habituellement par un appel téléphonique de l'un des gestionnaires de l'intimée. Il n'y avait pas de contrat écrit entre les appelants et l'intimée et les appelants n'étaient pas tenus de remplir une nouvelle demande d'emploi ou de respecter d'autres conditions d'admissibilité pour être rappelés au travail.

À la fin de chaque saison de pêche, les appelants et les autres gardes-pêche recevaient de l'intimée un relevé d'emploi afin de leur permettre, notamment, de demander des prestations d'assurance-chômage pendant la saison morte. Le relevé d'emploi indiquait que la raison de la délivrance était le "manque de travail" et que la date de rappel était "inconnue". L'arbitre a jugé que le cycle d'emploi saisonnier était tel que les appelants avaient une attente légitime d'être rappelés au travail à l'ouverture de chaque nouvelle saison de pêche au saumon.

Donc, le fait que les services de gardes-pêche aient été confiés par le Ministère à l'intimée n'a pas perturbé l'emploi des appelants. Ceux-ci ont été embauchés chaque année comme gardes-pêche depuis 1978, dans le cas de Dean et Davis, et depuis 1980, dans le cas de Carew, jusqu'à ce que l'intimée les congédie. La preuve dont était saisi l'arbitre l'a amené à conclure que les appelants avaient établi une relation d'emploi de longue durée, tout d'abord avec le Ministère et ensuite avec l'intimée, en tant que gardes-pêche. Il déclare ceci:

[traduction] Comme il n'y a pas eu d'interruption dans leur cycle saisonnier de travail de gardes-pêche, d'abord au M.P.O. [le Ministère] puis avec la B.D.S. [l'intimée], les plaignants ont tous les trois été engagés de façon continue chaque saison, au même titre, pendant plus d'une dizaine d'années4.

Plus loin, il conclut que les appelants étaient des "employés saisonniers permanents" de l'intimée:

[traduction] Même si les trois plaignants ont habituellement travaillé de façon temporaire ou à temps partiel pendant la saison morte, je n'accepte pas ce fait comme étant la preuve qu'ils n'ont pas établi de relation de travail continue comme gardes-pêche d'abord avec le M.P.O. puis avec la B.D.S. pendant plus de 10 ans, chaque fois qu'il y avait du travail disponible. Je suis convaincu que les plaignants avaient le droit de se considérer comme des employés saisonniers permanents à titre de gardes-pêche; le fait qu'ils aient cherché et parfois trouvé ou créé du travail pendant la saison morte, pour s'assurer un revenu d'appoint et ne pas se fier exclusivement aux prestations d'assurance-chômage est, à mon avis, tout à leur honneur et ne devrait pas être utilisé à leur détriment5. [Non souligné dans l'original.]

L'intimée a renvoyé les appelants Dean et Carew le 27 juillet 1990. Davis n'a pas été réembauché par l'intimée en 1991, à l'ouverture de la saison le 22 juin 1991, bien que le Ministère ait renouvelé le contrat de l'intimée pour la prestation des services de gardes-pêche. Par conséquent, Davis a considéré, et l'arbitre en a convenu, qu'il avait en fait été congédié à cette date.

Les appelants ont déposé des plaintes auprès de Travail Canada aux termes de l'article 240 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15] du Code, alléguant qu'ils avaient été injustement congédiés par l'intimée. Quand la question a été entendue devant l'arbitre en juillet 1992, l'intimée a fait valoir que l'arbitre n'avait pas compétence pour entendre les plaintes déposées par les appelants pour deux motifs: tout d'abord, parce que l'emploi des appelants en tant que gardes-pêche ne relevait pas de la compétence fédérale et, par conséquent, que le Code canadien du travail ne s'appliquait pas; deuxièmement, parce que les appelants n'avaient pas "travaill[é] sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur", comme l'exige l'alinéa 240(1)a ) du Code et, par conséquent, qu'ils ne pouvaient se prévaloir des protections accordées par la partie III du Code, notamment de la nomination d'un arbitre pour entendre leurs plaintes.

La décision de l'arbitre

L'arbitre a rendu sa décision le 26 avril 1994. Il a rejeté les exceptions préliminaires soulevées par l'intimée et a conclu qu'il avait compétence pour connaître des plaintes. Au sujet de la première question, il a statué que les tâches accomplies par les gardes-pêche font partie intégrante de l'application des règlements fédéraux établis en application de la Loi sur les pêches, et dont l'objet est d'assurer la protection et la préservation du saumon dans les eaux intérieures; ces questions relèvent manifestement de la compétence du Parlement à l'égard des "pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur" énoncée à la catégorie (12) de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 18676 . Il a de plus statué que, puisque l'embauchage de gardes-pêche par l'intimée faisait partie intégrante d'une activité de compétence fédérale, il s'agissait d'un emploi assujetti à bon droit au droit du travail fédéral. Par conséquent, les voies de recours dont pouvaient se prévaloir les appelants par suite de leur congédiement injustifié par l'intimée relevaient du Code canadien du travail.

En se prononçant sur les demandes de contrôle judiciaire, le juge des requêtes a reconnu que l'emploi des appelants chez l'intimée en tant que gardes-pêche constituait un "emploi dans le cadre d'une entreprise fédérale" au sens de l'alinéa 167(1)a ) du Code et que, par conséquent, les dispositions ayant trait au renvoi injustifié contenues à la partie III du Code s'appliquaient aux appelants, pourvu que les conditions d'admissibilité contenues aux articles 240 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15] et 242 [mod., idem, art. 16] soient respectées7. L'intimée n'a pas contesté cette conclusion devant la présente Cour.

C'est la conclusion de l'arbitre sur la deuxième question de compétence, que le juge des requêtes a infirmé, qui fait maintenant l'objet des appels. La question s'articule sur l'interprétation qu'il convient de donner de l'expression "travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur" à l'alinéa 240(1)a ), et qui est l'une des conditions qu'une personne doit respecter avant de pouvoir déposer une plainte de congédiement injuste en vertu des dispositions pertinentes de la section XIV de la partie III du Code. Le paragraphe 240(1) est rédigé dans les termes suivants:

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si:

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective. [Non souligné dans l'original.]

L'intimée a fait valoir que les appelants n'avaient pas travaillé "sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur", et par conséquent, qu'ils ne pouvaient déposer une plainte en vertu de la partie III du Code. Toutefois, l'arbitre a rejeté cette prétention au motif que la version anglaise de l'alinéa 240(1)a ) fait référence à douze mois consécutifs d'emploi (employment) continu; il n'exige pas douze mois consécutifs de travail (work) continu. D'après la preuve, l'arbitre a conclu que, même si les appelants étaient mis à pied à la fin de chaque saison de pêche au saumon, leurs contrats de travail implicites étaient d'une durée indéterminée. Les appelants ont établi un scénario cohérent d'emploi saisonnier qui a duré plus de dix ans, selon lequel ils travaillaient pendant environ trois mois, étaient mis à pied pour le reste de l'année en raison du manque de travail, et étaient ensuite réembauchés la saison suivante. À son avis, la mise à pied annuelle n'a pas interrompu la relation d'emploi et donc les appelants avaient accumulé beaucoup plus que les douze mois consécutifs d'emploi continu que prévoit la condition d'admissibilité énoncée à l'alinéa 240(1)a). Il a donc conclu que les appelants respectaient les conditions pour présenter des plaintes contre l'intimée en vertu de la partie III du Code, et qu'il avait compétence pour entendre ces plaintes.

Pour ce qui a trait au bien-fondé des plaintes, après avoir longuement examiné la preuve, l'arbitre a convenu que les appelants avaient été injustement congédiés par l'intimée. Par conséquent, il a ordonné à cette dernière de réintégrer les appelants comme gardes-pêche sans perte de salaire ou d'avantages. Il a de plus ordonné à l'intimée de rembourser aux appelants leurs frais de justice raisonnables.

La décision de la Section de première instance

L'intimée a demandé le contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre devant la Section de première instance en se fondant sur les articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale8.

Devant le juge des requêtes, les appelants ont prétendu que l'arbitre n'avait pas compétence pour connaître et décider de la question de compétence soulevée par l'intimée concernant le paragraphe 240(1) du Code, et en outre que le juge des requêtes, dans une procédure de contrôle judiciaire, n'avait pas non plus compétence en cette matière. Ils ont fait valoir que les seules questions de compétence que l'arbitre avait explicitement le pouvoir d'entendre étaient celles qui étaient énoncées au paragraphe 242(3.1)9. Les objections se fondant sur le paragraphe 240(1) quant à la régularité de la plainte déposée, selon les appelants, relèvent de la compétence exclusive du ministre, et non pas de celle de l'arbitre. Ils soutiennent que ces objections ne peuvent être soulevées, sauf par voie de demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de nommer l'arbitre, une fois que le ministre a accepté qu'une plainte a été régulièrement déposée et qu'il a nommé un arbitre pour l'entendre. En l'absence d'une telle contestation, toutefois, les appelants prétendent qu'un arbitre doit prendre pour acquis que les conditions d'admissibilité énoncées au paragraphe 240(1) ont été respectées.

Le juge des requêtes a rejeté cet argument, tout à fait à bon droit, à mon avis. Il ressort implicitement du raisonnement de la présente Cour dans l'arrêt Société canadienne des postes c. Pollard10 qu'un arbitre est en droit d'examiner si les conditions préalables au dépôt régulier d'une plainte, énoncées au paragraphe 240(1), ont été respectées. La régularité du dépôt d'une plainte est une condition préalable à la compétence d'un arbitre nommé conformément à la partie III du Code. Le ministre ne peut, en nommant un arbitre, lui donner une compétence qu'il ou elle n'a pas en vertu des dispositions du Code. Si les appelants ne respectaient pas les conditions préalables énoncées au paragraphe 240(1), l'arbitre n'aurait pas compétence pour entendre leurs plaintes. L'intimée ne peut être empêchée de contester ce défaut de compétence devant l'arbitre simplement parce que le ministre a estimé que la plainte avait été régulièrement déposée, et que l'intimée n'a pas contesté la décision du ministre de nommer l'arbitre11. Par conséquent, en toute déférence, il était loisible à l'intimée de contester la compétence de l'arbitre en faisant valoir que les conditions exigées pour assurer la régularité du dépôt d'une plainte, énoncées au paragraphe 240(1), n'avaient pas été respectées par les appelants, et l'arbitre a eu raison de traiter de cette exception préliminaire avant de se prononcer sur le bien-fondé des plaintes.

Comme il est indiqué ci-dessus, le juge des requêtes a statué que l'arbitre avait commis une erreur en décidant que les appelants avaient satisfait à la condition énoncée à l'alinéa 240(1)a), savoir qu'ils "[travaillaient] sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur". Il a reconnu que la décision d'un arbitre nommé en vertu du Code est protégée par le paragraphe 243(1)12 , qui en consacre le caractère définitif. Toutefois, en appliquant les décisions de la présente Cour dans Pollard, précité, et Byers Transport Ltd. c. Kosanovich13, le juge des requêtes a statué que l'interprétation que l'arbitre a donnée du paragraphe 240(1) est susceptible de contrôle quant à la justesse, malgré la disposition consacrant le caractère définitif de sa décision, car il s'agit d'une disposition attributive de compétence.

Après avoir analysé le texte de l'alinéa 240(1)a) et la jurisprudence, le juge des requêtes a ensuite statué que l'expression "travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur" exigeait l'accomplissement de douze mois consécutifs de travail . En arrivant à cette conclusion, il a remis en cause plusieurs décisions prises par les arbitres en vertu du Code et qui appuient l'interprétation qu'a donnée l'arbitre de l'alinéa 240(1)a)14. À son avis, la notion que l'emploi peut signifier autre chose qu'un travail actif découle d'une mauvaise interprétation de la décision de la présente Cour dans Pioneer Grain Co. Ltd. c. Kraus15. Les paragraphes suivants aux pages 490 à 492 de ses motifs résument sa pensée à ce sujet:

Comme le contrat de la BDS a été renouvelé, l'arbitre a conclu qu'il existait effectivement un droit de rappel et que l'employeur n'avait pas respecté son obligation de réembaucher les plaignants. J'estime qu'il y a lieu de faire preuve de retenue à l'égard de la décision de l'arbitre en ce qui concerne cette conclusion particulière, étant donné qu'elle relève de son domaine particulier de connaissances techniques. Un scénario bien établi de travail saisonnier peut donner lieu à un droit de rappel, et je crois que, compte tenu des faits qui avaient été portés à sa connaissance, il était raisonnablement loisible à l'arbitre de tirer la conclusion à laquelle il est arrivé. À tout le moins, la conclusion à laquelle il est arrivé n'est pas manifestement déraisonnable.

Toutefois, la décision de l'arbitre suivant laquelle, en vertu du cycle de travail qui est à l'origine de ce droit de rappel, le plaignant "travaillait" au sens que le paragraphe 240(1) donne à ce terme, met en cause sa compétence; il convient par conséquent de vérifier le bien-fondé de sa décision. Pour apprécier le bien-fondé de la décision de l'arbitre sur ce point, j'estime utile de revenir à l'arrêt de la Cour d'appel qui est à l'origine de la jurisprudence pertinente élaborée par les arbitres. Dans l'arrêt Pioneer Grain , la Cour d'appel n'était pas saisie d'une question de travail saisonnier. M. Kraus occupait ce qu'on appelle couramment un emploi permanent assorti de mises à pied temporaires pour une brève période chaque année. C'est le contexte dans lequel la Cour d'appel fédérale a déclaré qu'elle n'était "convaincue" ni que l'emploi en cause ne s'était pas poursuivi durant la brève période de mise à pied, ni qu'on ne pouvait pas considérer que le plaignant travaillait "sans interruption" au sens de la loi malgré la brève mise à pied. Une interprétation juste de cet arrêt m'amène à conclure qu'il appuie le principe limité qu'un bref arrêt de travail annuel qui s'inscrit dans le cadre d'un emploi par ailleurs permanent et continu ne met pas nécessairement fin à cet emploi. Ou, en termes plus simples, une mise à pied annuelle d'une courte durée n'interrompt pas automatiquement la continuité d'un emploi permanent.

Sur le fondement de cette proposition, les arbitres en sont graduellement venus à considérer que la caractéristique fondamentale d'un emploi, à savoir l'exécution d'un travail en contrepartie du versement d'un salaire ou d'une rémunération, n'était pas prévue ou exigée par les mots "douze mois consécutifs d'emploi continu" contenus au paragraphe 240(1) et que, par conséquent, il n'était pas nécessaire qu'elle soit présente. Tant et aussi longtemps qu'existe un droit latent de rappel découlant d'un cycle de travail temporaire établi depuis longtemps, on peut affirmer que le travail en question n'a pas été interrompu. En fin de compte, les arbitres en sont venus à considérer un travail saisonnier exercé pendant une période limitée de trois mois au cours d'une année donnée comme un travail qui pouvait satisfaire au critère exigeant que l'intéressé ait "terminé douze mois consécutifs d'emploi continu au service d'un employeur".

À mon avis, ce résultat va à l'encontre du libellé du paragraphe 240(1) et découle d'une compréhension erronée des motifs essentiels de la Cour d'appel dans l'arrêt Pioneer Grain. Il n'y a rien dans le libellé du paragraphe 240(1) qui permette de penser qu'on puisse faire fi de la caractéristique fondamentale d'un "emploi", à savoir l'exécution d'un travail en contrepartie d'un salaire ou d'une rémunération, pour en vérifier l'existence. D'ailleurs, l'emploi des mots "consécutifs" et "continue" donne fortement à penser que ce sont les emplois caractérisés par l'exécution continue d'un travail qu'entend mesurer cette disposition, et non un droit latent de rappel découlant d'un cycle de travail antérieur. Celui qui possède le droit d'être rappelé éventuellement au travail n'est pas en "instance d'emploi" pendant qu'il attend d'être rappelé et il n'a certainement pas vécu "douze mois consécutifs d'emploi continu au service d'un employeur" durant cette période. Il aurait fallu que le législateur exprime dans les termes les plus nets son intention pour qu'on puisse donner au mot "travailler" un sens qui en exclue sa caractéristique constitutive fondamentale.

Pour parvenir à cette conclusion, le juge des requêtes a mis beaucoup d'accent sur l'utilisation du verbe "travailler" (signifiant "to work") de la version française du paragraphe 240(1)a )16. En appliquant le principe du sens commun, il s'est dit d'avis que le sens du texte français doit prévaloir parce que les termes de la version anglaise ont "une portée incertaine et qu'ils se prêtent à plusieurs sens"17. À son avis, la version française de l'alinéa 240(1)a) exige clairement que l'employé ait travaillé "sans interruption" depuis au moins douze mois pour le même employeur, pour avoir le droit de déposer une plainte en vertu du Code. Il a exprimé son avis de la façon suivante:

L'emploi du verbe "travailler" affaiblit considérablement l'argument que l'alinéa 240(1)a ) pourrait se rapporter à des "relations de travail" d'une durée de douze mois. En fait, le texte français de l'alinéa 240(1)a ) exige bel et bien que l'intéressé ait travaillé "sans interruption" depuis au moins douze mois18 .

Il a également rejeté l'argument présenté par les appelants et fondé sur l'article 29 [mod. par DORS/91-461, art. 29] du Règlement du Canada sur les normes du travail19, maintenant rédigé dans les termes suivants:

29. Pour l'application des sections . . . XIV de la Loi, n'est pas réputée avoir interrompu la continuité de l'emploi l'absence d'un employé qui est:

a) soit attribuable à une mise à pied qui n'est pas un licenciement aux termes du présent règlement;

b) soit autorisée ou acceptée par l'employeur. [Non souligné dans l'original.]

Ce règlement, modifié par DORS/91-461, est entré en vigueur le 2 septembre 1991, c'est-à-dire après que les appelants eurent déposé leurs plaintes à Travail Canada, mais avant l'audition devant l'arbitre. Avant la modification, la disposition ne précisait pas si une mise à pied saisonnière constituait une interruption d'emploi pour les fins du Code, y compris pour les dispositions relatives au congédiement injuste de la section XIV. À l'audition des demandes, les appelants ont prétendu que l'article 29, une fois modifié, révèle l'intention du législateur de faire en sorte qu'une mise à pied saisonnière n'interrompe pas la continuité d'une relation d'emploi par ailleurs permanente.

Or, le juge des requêtes s'est appuyé sur la modification pour obtenir l'effet exactement contraire. Selon son raisonnement, si le législateur a jugé nécessaire d'adopter l'article 29 du Règlement, ce doit être parce que, sans une telle "disposition créant une présomption", une mise à pied saisonnière avait effectivement pour effet d'interrompre la continuité d'une relation d'emploi. Puisque l'article 29, une fois modifié, ne s'appliquait pas pendant la période pertinente aux présents appels, il a conclu que lorsque l'intimée mettait les appelants à pied à la fin de chaque saison, il y avait en fait une interruption dans la continuité de leur relation d'emploi.

Par conséquent, le juge des requêtes a conclu que l'arbitre avait commis une erreur en statuant que les appelants avaient travaillé sans interruption pendant au moins douze mois pour le même employeur au sens de l'alinéa 240(1)a) et que l'arbitre n'avait jamais eu compétence pour entendre les plaintes en question. Par conséquent, il a rendu une ordonnance infirmant la décision de l'arbitre à l'égard de chacun des appelants.

Analyse

Il y a beaucoup d'arrêts de principe concernant la norme à appliquer lors du contrôle des décisions d'un tribunal administratif protégé par une clause privative20. Le droit, maintenant établi, indique que, malgré la retenue judiciaire dont il faut faire preuve à l'égard des tribunaux protégés par une clause privative, l'interprétation donnée par un tribunal d'une disposition de la loi qui lui attribue sa compétence, ou qui en limite l'étendue, doit être examinée d'après la norme de la justesse de la décision. Pour ce qui a trait à la partie III du Code, la décision de la présente Cour dans Pollard, précité, indique clairement que l'interprétation donnée par un arbitre des conditions préalables, énoncées dans la loi, concernant la régularité du dépôt d'une plainte sous le régime du paragraphe 240(1) est assujettie à la norme de la justesse de la décision. Le juge des requêtes était donc justifié d'examiner l'interprétation donnée par l'arbitre de l'alinéa 240(1)a) au regard de cette norme.

Toutefois, pour ce qui est de son examen de la question de fond, je suis d'avis, en toute déférence, que le juge des requêtes a commis une erreur en infirmant la décision de l'arbitre. Après avoir examiné le texte du paragraphe 240(1), la jurisprudence établie en vertu du Code et le but primordial recherché par les dispositions relatives au congédiement injuste visé à la partie III, je suis incapable d'accepter l'opinion du juge des requêtes selon laquelle le législateur, en utilisant l'expression "travaille sans interruption pendant au moins douze mois pour le même employeur" à l'alinéa 240(1)a ), avait l'intention d'exiger douze mois de travail sans interruption avant d'autoriser un plaignant à se prévaloir de la procédure énoncée à la partie III du Code, notamment de la nomination par le ministre d'un arbitre pour entendre sa plainte. Je suis plutôt d'avis qu'un plaignant qui a maintenu une relation d'emploi continue avec son employeur pendant au moins douze mois consécutifs avant d'être congédié peut, sous réserve qu'il respecte les autres conditions applicables, déposer une plainte en vertu du Code, même s'il n'a pas travaillé activement pendant une certaine partie de cette relation d'emploi. Comme je l'indiquerai ci-dessous, je suis d'avis que le juge des requêtes a mal interprété la ratio decidendi de la présente Cour dans Pioneer Grain et a accordé trop d'importance au principe du sens commun en interprétant l'alinéa 240(1)a), s'écartant ainsi de l'objectif de l'interprétation judiciaire, qui est de donner effet à l'intention que poursuivait le législateur au moment de l'adoption de la disposition en question.

Le principe du sens commun est expliqué succinctement dans Driedger on the Construction of Statutes, dans les termes suivants:

[traduction] Le principe de base qui régit l'interprétation des textes de loi bilingues est connu sous le nom de principe du "sens commun". Lorsque les deux versions d'un texte de loi bilingue ne disent pas la même chose, le tribunal doit retenir le sens qui est commun aux deux versions, à moins que le sens commun ainsi dégagé ne soit, pour une raison quelconque, inacceptable21 . [Non souligné dans l'original.]

Le juge des requêtes a jugé que l'expression "travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur" avait une "portée incertaine et . . . se prêt[ait] à plusieurs sens"22 et, partant, que le sens du verbe "travailler" utilisé dans la version française devait prévaloir. Contrairement au juge des requêtes, toutefois, je ne suis pas persuadé que le texte français de l'alinéa 240(1)a ) devrait être retenu simplement parce que c'est l'interprétation la plus restrictive. Je fais cette affirmation en sachant pertinemment que les deux versions des lois canadiennes ont également force de loi23. L'erreur du juge des requêtes a été de présumer que, parce que la version française a un sens plus restrictif que la version anglaise, elle conduit en fait "à une expression plus nette et plus précise de l'intention du législateur"24.

En toute déférence, en cherchant le sens commun aux deux versions du texte de loi, le juge des requêtes s'est engagé dans une interprétation technique de l'alinéa 240(1)a) qui a fait pencher l'analyse en faveur de la version française, plus restrictive. Bien que le juge des requêtes indique que la version française conduit à une "expression plus nette et plus précise de l'intention du législateur", il ne discute pas dans ses motifs de ce qu'était au juste l'intention du législateur au moment où il a adopté les dispositions relatives au congédiement injuste et la condition d'admissibilité énoncée à l'alinéa 240(1)a ). Autrement dit, il a commis une erreur en appliquant le principe du sens commun pour résoudre le conflit entre les versions française et anglaise de l'alinéa 240(1)a) sans tenir dûment compte de l'objectif que poursuivait le législateur lors de l'adoption de la disposition. En toute déférence, il s'agit là d'une étape importante dans l'application du principe du sens commun. P.-A. Côté dans son ouvrage Interprétation des lois, 2e édition, déclare ce qui suit:

Le travail de l'interprète ne devrait cependant jamais être jugé complètement accompli une fois que le sens commun a été établi. Il faut, dans tous les cas, se reporter aux autres dispositions de la loi pour vérifier si ce sens commun est bien compatible avec l'intention du législateur telle qu'on peut la déduire en appliquant les règles ordinaires d'interprétation25.

Il ne s'agit pas d'un cas où une version est ambiguë et l'autre claire, de sorte que la deuxième version peut être utilisée pour interpréter la première. Il s'agit plutôt d'un cas où une version peut avoir un sens plus large que l'autre, et la question à trancher est alors de savoir quel est le sens qui correspond le mieux à l'intention qu'avait le législateur en adoptant la disposition. Plus particulièrement, la question est de savoir si le législateur avait l'intention que la période de douze mois établie à l'alinéa 240(1)a) réfère à la période d'emploi, comme le suggère le texte anglais, ou à la période de travail actif comme il ressort de la version française. L'objectif doit toujours être de vérifier quelle était la véritable intention du législateur en adoptant les deux versions. Comme l'indique E. A. Driedger dans Construction of Statutes, 2e édition, [traduction] "la question, dans tous les cas, n'est donc pas de savoir "quelle version est le mieux rédigée" mais plutôt, au regard des deux versions de la loi, "quelle était l'intention du législateur"?"26

L'article 61.5 [édicté par S.C. 1977-78, ch. 27, art. 21] du Code canadien du travail27, qui est le prédécesseur de l'article 240 actuel, est entré en vigueur le 1er septembre 197828. L'objectif avoué des dispositions relatives au congédiement injuste était d'offrir aux travailleurs non syndiqués relevant des autorités fédérales une protection contre le congédiement injuste semblable à celle dont bénéficiaient les travailleurs syndiqués régis par des conventions collectives. La protection qu'offrait en common law l'action pour congédiement injuste était considérée comme déficiente à plusieurs égards29. Les observations suivantes de M. John Munro, qui était alors ministre du Travail, au cours des débats de la Chambres des communes sont instructives:

Quelles sont les rubriques du bill qui décrivent le mieux les objectifs visés? D'abord, nous voulons garantir la justice sur le marché du travail. À cet égard, il faut tenir compte des modifications qui se rapportent aux parties III et IV du Code canadien du travail.

Les parties III et IV du Code du travail concernent en grande mesure l'amélioration des normes du travail, surtout pour les travailleurs non syndiqués, et l'amélioration des normes de sécurité et d'hygiène professionnelle des travailleurs non syndiqués.

Les députés doivent d'abord se rendre compte des répercussions immédiates que ces dispositions auront sur les 550,000 travailleurs qui relèvent du gouvernement fédéral. Ils se retrouvent principalement dans les secteurs suivants: les chemins de fer, les lignes aériennes, les banques, le camionnage, les médias électroniques, la manutention du grain, les communications et les ports. Environ la moitié de ces 550,000 travailleurs ne sont pas syndiqués.

Nous espérons que les parties III et IV du bill donneront à ces travailleurs non syndiqués au moins une partie des normes minimales que les travailleurs syndiqués ont obtenues et qui font maintenant partie de toutes les conventions collectives. Nous ne voulons pas prétendre que les normes établies par le bill seront exactement celles que prévoient les conventions collectives. Nous voulons cependant établir des normes minimales.

. . .

Les modifications visent d'abord à protéger davantage l'emploi des travailleurs30. [Non souligné dans l'original.]

Étant donné que la section XIV de la partie III du Code a été adoptée par le Parlement afin d'offrir aux travailleurs non syndiqués une voie de recours en cas de congédiement injuste, je suis d'avis que la présente Cour doit interpréter en faveur des plaignants toute disparité entre les versions française et anglaise concernant les conditions d'admissibilité à une telle protection. Le fait que le but primordial de la loi doit éclairer l'interprétation de certaines dispositions est bien accepté dans notre droit31. Dans l'arrêt Abrahams c. Procureur général du Canada, par exemple, le juge Wilson s'est appuyée sur l'objet de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage32 pour interpréter les dispositions relatives à la réadmissibilité. Elle déclare ceci:

Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire33.

Un raisonnement semblable doit être appliqué dans le présent contexte. Cela ne signifie pas bien entendu que la Cour a toute la latitude pour étendre la portée des protections qui sont accordées par le Code à ceux qui ne respectent pas les conditions d'admissibilité qui y sont énoncées. Cela signifie tout simplement qu'en interprétant ces conditions d'admissibilité, la Cour doit garder à l'esprit l'objectif primordial des dispositions relatives au congédiement injuste, qui est d'assurer aux employés non syndiqués une certaine protection contre cette éventualité. En arrivant à cette conclusion, je fais observer que Travail Canada, l'organisme chargé de l'application du Code, a adopté comme principe directeur que tout doute de la part de ses représentants au sujet des conditions d'admissibilité doit être résolu en faveur du plaignant chaque fois que possible34.

À partir de ce raisonnement donc, je suis d'avis que le législateur n'avait pas l'intention de faire de l'alinéa 240(1)a) une disposition d'exclusion onéreuse qui prive des protections assurées par le Code tous les employés saisonniers et autres employés qui ne travaillent pas activement pendant douze mois sans interruption avant d'être congédiés, qu'ils aient ou non des relations de longue durée avec leurs employeurs.

Il s'ensuit que je ne peux accepter que les termes emploi et travail actif sont nécessairement synonymes dans le contexte de l'alinéa 240(1)a). Cette interprétation de la disposition aurait inévitablement pour effet d'exclure tous les employés saisonniers des protections offertes par le Code, abstraction faite de la permanence de leur emploi. Il en est ainsi parce que, d'après le raisonnement du juge des requêtes, toute période au cours de laquelle l'employé ne travaille pas en contrepartie d'un salaire, à l'exception d'une "mise à pied annuelle d'une courte durée"35, interrompt la relation d'emploi. Ce ne sont pas tous les emplois qui exigent douze mois continus de travail actif, et les employés saisonniers sont souvent parmi les travailleurs les plus exposés aux abus des employeurs. Si le législateur avait eu l'intention en adoptant l'alinéa 240(1)a) d'exclure entièrement cette catégorie de travailleurs non syndiqués des protections offertes par le Code, il me semble qu'il aurait exprimé cette intention en termes clairs.

Dans l'ouvrage Employment Law in Canada, Christie et ses collègues discutent du raisonnement qui sous-tend la condition du "travail sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur" dans les termes suivants:

[traduction] L'exigence selon laquelle le plaignant doit avoir travaillé "sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur" témoigne de trois préoccupations: 1) réduire le nombre élevé de dossiers, qui, autrement, existerait probablement; 2) fournir à l'employeur une période "d'essai" approximative qui lui permet d'évaluer les capacités de l'employé; 3) faire écho au principe de base de l'ancienneté qui est consacré par la plupart des conventions collectives, à savoir le "droit de propriété de l'employé sur son emploi"36.

En adoptant l'alinéa 240(1)a) à titre de condition minimale au niveau de l'ancienneté, j'accepte que le législateur avait l'intention d'éviter la possibilité qu'un trop grand nombre de demandes soient présentées en vertu du Code, et les pressions administratives qui pourraient en résulter, en reconnaissant que la grande majorité des congédiements se produisent pendant la première année d'emploi. J'accepte également que le législateur avait l'intention d'offrir aux employeurs une période de grâce à l'intérieur de laquelle ils peuvent évaluer le travail des nouveaux employés sans craindre l'application prématurée du Code. Toutefois, à mon avis, l'interprétation que l'arbitre a donnée de l'alinéa 240(1)a)"c'est-à-dire que le plaignant doit démontrer que sa relation d'emploi dure depuis au moins douze mois sans interruption"rétablit un juste équilibre entre ces différentes préoccupations, tout en assurant que le très grand nombre de travailleurs non syndiqués pourront prendre avantage des protections offertes par le Code. L'interprétation onéreuse de la disposition sur laquelle s'est appuyé le juge des requêtes n'aide pas beaucoup à alléger les préoccupations que cherchait à éliminer l'alinéa 240(1)a ). Un employeur a douze mois pour évaluer un nouvel employé, après quoi les dispositions du Code s'appliquent en cas de congédiement. Par conséquent, c'est la relation d'emploi et non la période de travail actif qui compte.

Étant donné que l'objectif poursuivi par le législateur dans l'adoption des dispositions relatives au congédiement injuste était d'assurer aux travailleurs non syndiqués des protections semblables à celles dont bénéficiaient les travailleurs syndiqués, il est important de tenir compte de la nature de ces protections en interprétant l'alinéa 240(1)a). D'une part, la majorité des conventions collectives prévoient une période d'essai, à l'intérieur de laquelle un employé peut être renvoyé sans motif. Par ailleurs, il est généralement accepté dans le domaine des relations du travail que la continuité de l'emploi d'un employé assujetti à une convention collective n'est pas rompue quand son service est interrompu pour des périodes de vacances, de maladie, de congé de maternité, de mise à pied raisonnable, d'arrêts de travail ou d'autres congés. Ce n'est que lorsque l'employé quitte volontairement son emploi ou qu'il est congédié que sa période de service continu est interrompue. À cet égard, j'adopte le raisonnement exprimé par l'arbitre Pyle dans Bell Canada c. Cowan:

[traduction] L'article 61.5 [maintenant l'article 240] du Code a été adopté pour assurer aux employés qui ne sont pas membres d'un groupe d'employés régis par une convention collective, une protection contre le congédiement arbitraire de leurs employeurs. En outre, compte tenu du fait que les employés "syndiqués" reconnaissent généralement que leur protection à cet égard est restreinte pendant une période d'essai au début de leur emploi, une réserve semblable est apportée à l'égard des employés non syndiqués, c'est-à-dire à l'égard de ceux qui comptent moins de douze mois consécutifs d'emploi37 .

C'est l'employeur qui décide si l'employé sera ou non rappelé au travail et pendant combien de temps. Il y aurait donc d'importantes possibilités d'abus si l'interprétation que le juge des requêtes donne de l'alinéa 240(1)a) devait être confirmée par cette Cour. En effet, une telle interprétation donnerait aux employeurs un outil de contrôle relativement à l'application du Code à l'égard de certains employés. On ne devrait pas donner à un employeur la possibilité de contourner les dispositions du Code en procédant tout simplement à une mise à pied annuelle des employés; cette conséquence serait inévitable si, comme le présume le juge des requêtes, la relation d'emploi prévue à l'alinéa 240(1)a) nécessite une période de travail actif et continu pendant au moins douze mois.

En toute déférence, le sens inclusif qui ressort de la version anglaise de l'alinéa 240(1)a) rend mieux l'intention qu'avait le législateur en adoptant cette disposition. Il n'est pas nécessaire de travailler sans interruption pendant douze mois consécutifs pour avoir droit aux protections offertes par le Code; ce qui est exigé, c'est douze mois consécutifs d'emploi continu. Pour en arriver à cette conclusion, je note également que lorsque les dispositions relatives au congédiement injuste ont été adoptées pour la première fois dans le Code canadien du travail [S.R.C. 1970, ch. L-1] en 1978, la version française de l'alinéa 61.5(1)a) [édicté par S.C. 1977-78, ch. 27, art. 21] était rédigée dans les termes suivants:

61.5 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une personne

a) qui a terminé douze mois consécutifs d'emploi continu au service d'un employeur . . .

Comme l'a fait observer le juge des requêtes, cette version française a un sens pratiquement identique à celui de la version anglaise. Toutefois, en 1984, la version française, qui figure maintenant à l'alinéa 240(1)a) des lois révisées, a été modifiée par le libellé actuel, alors que la version anglaise est demeurée inchangée38. Comme l'a noté le juge des requêtes, cette révision semble avoir été faite sous l'autorité de la Loi sur la revision des lois39, dont les alinéas 6e) et f) indiquent clairement que les pouvoirs limités de la Commission de revision ne lui permettent pas de modifier le fond de la loi. La Commission de revision avait les pouvoirs suivants:

6. . . .

e) apporter à la forme des lois les changements nécessaires à l'uniformité de l'ensemble, sans en modifier le fond;

f) apporter à la forme des lois les améliorations mineures nécessaires pour mieux exprimer l'intention du Parlement ou pour harmoniser la formulation d'une loi dans l'une des langues officielles avec sa formulation dans l'autre langue officielle, sans en modifier le fond; [Souligné par le juge des requêtes.]

Avant la modification de 1984, les versions anglaise et française de l'alinéa 240(1)a) exigeaient une relation d'emploi continu pendant au moins douze mois. La décision de la présente Cour dans Pioneer Grain a établi clairement que cette disposition n'exige pas nécessairement douze mois de travail sans interruption. Néanmoins, la Commission de revision a modifié la version française en utilisant le verbe "travailler", mais sans toucher à la version anglaise. En agissant ainsi, la Commission de revision a modifié, sans en avoir le pouvoir légal, le fond de la disposition. Par conséquent, à mon avis, la version française, qui avait été adoptée avant la modification de 1984, reflète de façon plus appropriée l'intention du législateur au moment de l'adoption de la disposition en question. La modification a introduit entre les deux versions une disparité qui n'existait pas auparavant40 .

Dans l'arrêt Pioneer Grain, c'est l'expression "douze mois consécutifs d'emploi continu" que la Cour devait interpréter. Dans cette affaire, le plaignant avait travaillé comme réparateur et sous-contremaître pour Pioneer Grain pendant six ans et demi. Chaque hiver, les ouvriers de l'équipe d'entretien, y compris le plaignant, étaient mis à pied, probablement à cause du manque de travail. La "mise à pied hivernale" durait de deux semaines à trois mois, selon les années41 . En 1979-1980, la mise à pied hivernale n'a duré qu'environ deux semaines. Le 21 mars 1980, la société a renvoyé le plaignant. Celui-ci a déposé une plainte en vertu du Code et un arbitre a été nommé pour entendre cette plainte. Toutefois, la société s'y est opposée au motif que la mise à pied annuelle avait interrompu la continuité de l'emploi du plaignant et que, par conséquent, il n'avait pas les douze mois consécutifs d'emploi continu alors exigés à l'alinéa 61.5(1)a) du Code. Le juge en chef Thurlow, qui a rédigé les motifs unanimes de la Cour, a rejeté l'argument de la société, en indiquant ceci à la page 824:

Les conditions de l'emploi ne sont stipulées nulle part. La relation qui existe entre l'employeur et le salarié au cours de la période ainsi appelée "mise à pied hivernale" n'est pareillement stipulée nulle part. La preuve la plus révélatrice dont dispose la Cour à cet égard est la déclaration de la requérante dans sa lettre du 12 mai 1980 où il est dit que Kraus a été "mis à pied" du 21 décembre 1979 au 7 janvier 1980. Cela pour le moins est compatible avec le maintien de l'emploi au cours de la période et sous-entend que l'arrangement était que l'employé devrait reprendre le travail au terme de la période. Rien de ce que l'on rapporte de la décision n'est incompatible avec une telle conclusion. De plus, on ne dit pas que cette mise à pied fut causée par le manque de travail ou la cessation d'une fonction. Voir le paragraphe 61.5(3).

Dans ces circonstances, je ne suis convaincu ni que l'emploi ne s'est pas poursuivi au cours de la période pendant laquelle Kraus était "mis à pied" ni que la conclusion de l'arbitre, que l'emploi de Kraus doit être considéré comme "continu" aux termes de la loi, était erroné. L'opposition de la requérante est donc rejetée. [Non souligné dans l'original.]

À mon avis, il ressort implicitement du raisonnement de la Cour que c'est la durée de la période d'emploi, et non la période de travail actif, qui est pertinente aux fins de ce qui est maintenant l'alinéa 240(1)a). Une mise à pied annuelle n'interrompt pas nécessairement la continuité d'une relation d'emploi permanente entre un salarié et un employeur. En vertu de ce raisonnement, les employés saisonniers, comme les appelants en l'espèce, peuvent toujours se prévaloir de la protection offerte par les dispositions du Code concernant le congédiement injuste, pourvu que l'on puisse conclure que leur relation d'emploi a survécu à leur mise à pied annuelle. Il s'agit là d'une décision de fait qui exige que les intentions des deux parties soient interprétées au regard de l'ensemble des circonstances relatives à l'emploi. Sans constituer une liste exhaustive, les facteurs suivants peuvent être pertinents: la durée de la relation d'emploi; la durée de la mise à pied annuelle; les termes du contrat de travail écrit, s'il y en a un; les renseignements fournis à l'employé concernant la mise à pied, savoir si elle figurera ou non sur son relevé d'emploi, et les pratiques de l'industrie. L'objectif est de déterminer si la relation d'emploi a été maintenue pendant la période au cours de laquelle l'employé n'a pas travaillé activement. Dans l'affirmative, et si cette relation est demeurée continue pendant une période de plus de douze mois consécutifs, l'employé a satisfait à la condition d'admissibilité énoncée à l'alinéa 240(1)a) et, sous réserve qu'il satisfasse aux autres conditions d'admissibilité, il peut déposer une plainte en vertu du Code.

Toutefois, contrairement à la jurisprudence établie par les arbitres qui ont interprété Pioneer Grain en ce sens, le juge des requêtes a essayé de restreindre la ratio decidendi de la présente Cour. Il a statué que la décision appuie simplement le principe limité selon lequel, dans les cas ayant trait à des employés permanents, "une mise à pied annuelle d'une courte durée n'interrompt pas automatiquement" la continuité de cet emploi permanent42 . Je n'accepte pas cette interprétation de Pioneer Grain. En toute déférence, bien que la durée de la mise à pied annuelle soit pertinente à la décision de fait de savoir si la relation d'emploi a été interrompue, elle ne peut servir de fondement à l'établissement d'un principe juridique. Combien de temps dure une mise à pied de "courte durée"? Le juge des requêtes a accordé beaucoup d'importance au fait que, dans l'année au cours de laquelle le plaignant a été congédié dans Pioneer Grain , la mise à pied hivernale n'a duré que deux semaines. Il a estimé que deux semaines de mise à pied étaient de "courte durée". Mais d'autres éléments de preuve dans cette affaire indiquaient que la mise à pied hivernale avait déjà duré jusqu'à trois mois certaines années. Néanmoins, la Cour a statué que la continuité de la relation d'emploi n'avait pas été interrompue par cette mise à pied annuelle. Il m'apparaît donc clairement que la Cour ne s'est pas appuyée sur ce concept de "courte durée" pour parvenir à sa conclusion.

En l'espèce, en s'appuyant sur la preuve, l'arbitre a conclu que les appelants étaient des employés saisonniers permanents de l'intimée; des employés qui avaient un droit de rappel (assujetti uniquement au renouvellement du contrat de l'intimée en vue de la prestation des services de gardes-pêche), et qui pouvaient légitimement espérer être rappelés. Autrement dit, les appelants avaient établi un scénario régulier de travail, dont la continuité n'était pas interrompue par la mise à pied annuelle. Bien qu'en l'espèce la mise à pied annuelle ait duré plus longtemps que celle de l'affaire Pioneer Grain, je suis d'avis que l'arbitre n'a pas commis d'erreur pouvant donner lieu à examen en concluant que la relation d'emploi des appelants avec l'intimée était maintenue pendant la période de mise à pied annuelle. Même si l'interprétation de l'alinéa 240(1)a) est à bon droit assujettie à la norme de contrôle de la justesse de la décision, l'application de cette disposition aux faits de l'espèce (c'est-à-dire à la question de savoir si la relation employeur-employé avait en fait été maintenue pendant au moins douze mois consécutifs) relève des connaissances spécialisées de l'arbitre. La Cour ne devrait pas intervenir dans cette décision à moins que celle-ci soit manifestement déraisonnable. À mon avis, elle ne l'est pas.

Le juge des requêtes a reconnu qu'il devait faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la conclusion de l'arbitre selon laquelle il existait un scénario bien établi de travail saisonnier entre les appelants et l'intimée43. Toutefois, il a refusé de faire droit à la conclusion de l'arbitre établissant que les appelants étaient des employés saisonniers permanents et que leur relation d'emploi n'était pas interrompue par leur mise à pied annuelle. Il aurait dû faire preuve de retenue à l'égard de cette conclusion, plutôt que d'en venir à sa propre décision, fondée sur la preuve, que les appelants étaient simplement des employés temporaires, dont l'emploi se terminait à la fin de chaque saison, mais en laissant "subsister un droit de rappel". Ce qui est plus important, en interprétant la condition d'admissibilité énoncée à l'alinéa 240(1)a ) comme exigeant douze mois consécutifs de travail sans interruption, le juge des requêtes s'est en fait écarté de la décision obligatoire de la Cour dans Pioneer Grain. Le fondement à partir duquel il a fait la distinction entre l'espèce et Pioneer Grain ne résiste pas, à mon humble avis, à un examen minutieux une fois que le contexte factuel dans lequel cette décision a été prise est compris dans sa totalité.

Finalement, bien qu'il ne soit pas strictement nécessaire de trancher ces appels, j'aimerais faire quelques observations sur le raisonnement du juge des requêtes au sujet de l'article 29 du Règlement. L'article 29, dans sa version actuelle, indique clairement que l'absence d'un employé au travail attribuable à une mise à pied ne doit pas être interprétée comme une interruption de la continuité d'un emploi à moins que la mise à pied constitue un licenciement. Toutefois, la modification est entrée en vigueur après que les appelants eurent déposé leurs plaintes. Par conséquent, le juge des requêtes a statué que le fait que le législateur a adopté cette modification signifie que, avant que la modification ait force de loi, la mise à pied interrompait effectivement la continuité d'une relation d'emploi par ailleurs permanente. Ce raisonnement est tout à fait incompatible avec les principes reconnus d'interprétation des lois. Il est tout aussi vraisemblable, en fait il est probablement plus vraisemblable, que la modification ait eu pour objet de refléter, pour en accroître la certitude, l'état du droit tel qu'il existait au moment de l'adoption. Pour illustrer cette erreur, il suffit de citer les paragraphes 45(2) et (3) de la Loi d'interprétation44 rédigés dans les termes suivants:

45. . . .

(2) La modification d'un texte ne constitue pas ni n'implique une déclaration portant que les règles de droit du texte étaient différentes de celles de sa version modifiée ou que le Parlement, ou toute autre autorité qui l'a édictée, les considérait comme telles.

(3) L'abrogation ou la modification, en tout ou en partie, d'un texte ne constitue pas ni n'implique une déclaration sur l'état antérieur du droit.

Pour tous ces motifs, je conclus que le juge des requêtes a commis une erreur de droit en infirmant la décision de l'arbitre. L'arbitre n'a commis aucune erreur susceptible de révision qui puisse justifier l'intervention du juge des requêtes qui a conclu qu'il avait compétence pour entendre les plaintes déposées par les appelants en vertu de la section XIV de la partie III du Code. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir les appels avec dépens, d'infirmer le jugement du juge des requêtes, de rejeter la demande de contrôle judiciaire et de confirmer la décision de l'arbitre.

Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge McDonald, J.C.A. (dissident): Il s'agit d'un appel d'une décision de la Section de première instance qui a annulé la décision d'un arbitre nommé conformément aux dispositions du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, partie III, section XIV. Dans cette affaire, les appelants allèguent qu'ils ont été injustement congédiés. La question principale est de savoir si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les appelants n'avaient pas droit à la protection contre le congédiement injuste accordée en vertu du Code canadien du travail étant donné qu'ils ne respectaient pas les conditions énoncés à l'alinéa 240(1)a) du Code. Une copie des présents motifs sera déposée dans chacun des dossiers mentionnés dans l'intitulé de la cause.

En vertu du Code, pour pouvoir déposer une plainte de congédiement injuste en vertu de l'alinéa 240(1)a) du Code canadien du travail, une personne doit avoir travaillé sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur. En l'espèce, les appelants ont travaillé chaque année pendant dix à douze semaines et ont ensuite été mis à pied pour le reste de l'année. L'arbitre a statué que la relation d'emploi a été maintenue pendant la mise à pied, et a conclu que les appelants respectaient la condition d'avoir travaillé sans interruption pendant douze mois. L'employeur a contesté cette décision devant la Section de première instance, qui l'a infirmée. Il a conclu que les mises à pied annuelles avaient interrompu la relation d'emploi, et que, de ce fait, les employés n'avaient pas travaillé sans interruption pendant douze mois pour le même employeur. Les anciens employés s'adressent maintenant à la Cour d'appel pour avoir gain de cause.

LES FAITS

Les appelants ont été embauchés comme gardes-pêche par la Beothuk Data Systems (BDS, l'intimée). À ce titre, ils étaient chargés de veiller à ce que le public respecte les dispositions de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, et ses règlements connexes. La saison de travail s'étendait généralement du 15 juillet au 15 septembre.

Les appelants ont d'abord commencé à travailler comme gardes-pêche en 1978 pour le ministère des Pêches et des Océans (MPO). En 1983, le MPO a commencé à confier l'application du programme des gardes-pêche à des entrepreneurs privés par voie d'appel d'offres. La soumission de la BDS a été retenue chaque année à compter de 1984 jusqu'à la date de l'audience. Dès l'octroi du premier contrat en 1984, la BDS a embauché les appelants comme gardes-pêche.

Les appelants ont été embauchés avec possibilité de rappel au travail d'abord par le MPO et ensuite par la BDS. Chaque année, après l'octroi du contrat, un des superviseurs de la BDS communiquait avec les appelants et leur demandait de se présenter au travail. Les appelants n'avaient pas à présenter de nouvelle demande d'emploi chaque année. En outre, il semble que les appelants croyaient comprendre qu'ils seraient rappelés à l'ouverture de chaque saison et qu'ils s'attendaient à être rappelés. À la fin de chaque saison, les appelants recevaient leur relevé d'emploi indiquant que la raison de la délivrance était le "manque de travail" et que la date de rappel au travail était "inconnue". Ces conditions de travail s'appliquaient à tous les gardes-pêche.

Les appelants Dean et Carew ont été congédiés par la BDS le 27 juillet 1990. La date du congédiement de l'appelant Davis est le 22 juin 1991.

CONTEXTE

Au moment de leur congédiement, les appelants ont déposé une plainte au Conseil des relations du travail alléguant qu'ils avaient été injustement congédiés. On leur a d'abord dit de s'adresser à la commission provinciale, puis ils ont été informés que leur plainte relevait de la compétence fédérale. Ils ont donc exercé leur recours en vertu de la partie III du Code du travail et un agent de Travail Canada a été désigné pour les aider à régler leur plainte. Après que les procédures eurent été épuisées sans qu'on parvienne à un règlement, le ministre du Travail a nommé un arbitre pour entendre les plaintes.

L'arbitre a rédigé une longue décision dans laquelle il a statué, notamment, que les appelants avaient droit à la protection offerte par les dispositions du Code canadien du travail relatives au congédiement injuste, étant donné qu'ils travaillaient sans interruption depuis au moins 12 mois pour le même employeur.

L'employeur en a appelé à la Section de première instance qui a infirmé la décision de l'arbitre. Les appelants s'adressent maintenant à la présente Cour pour avoir gain de cause.

DÉCISION DU JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE

La question principale dont était saisi le juge de première instance était de savoir si ces employés respectaient les conditions de l'alinéa 240(1)a) du Code. Par voie d'exception préliminaire, l'employeur a fait valoir que l'arbitre n'avait pas compétence pour connaître de cette affaire, étant donné qu'il s'agissait d'une question relevant de la commission provinciale des relations du travail, et non du Conseil canadien des relations du travail. Les employés ont fait valoir qu'il n'était pas loisible à l'employeur de soulever une question de compétence à cette étape de l'instance. Ils ont soutenu que, dès que le ministre considère qu'une plainte a été régulièrement déposée et qu'il désigne un arbitre, on ne peut plus soulever d'exception portant sur le bien-fondé de la plainte.

Après avoir examiné les arguments relatifs à la compétence, le juge de première instance a conclu dans les termes suivants (à la page 464):

Il est toujours loisible à une partie de contester l'autorité législative de l'arbitre sur le plan du bien-fondé de la plainte qu'il a été désigné pour entendre.

Le juge de première instance a aussi conclu que la régularité du dépôt d'une plainte est à la source de la compétence de l'arbitre et donc que la question de la compétence avait été soulevée à bon droit par l'employeur.

Ayant rejeté cette exception préliminaire, le juge de première instance a abordé l'analyse des trois moyens invoqués.

Première question:  Le Conseil canadien des relations du travail a-t-il été à bon droit saisi de cette affaire?

L'arbitre a conclu qu'il avait compétence pour entendre l'affaire, étant donné que le travail des gardes-pêche est étroitement lié au pouvoir du gouvernement fédéral relativement aux pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur. L'employeur a prétendu qu'il s'agissait là d'une erreur: la plainte relevait de la compétence provinciale et non de la compétence fédérale.

Le juge de première instance a fait observer que, conformément à l'arrêt Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, la norme de contrôle applicable aux décisions relatives à la compétence qui prennent leur source dans le partage des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux est celle de la justesse de la décision. Le juge de première instance a aussi fait observer que les gardes-pêche sont nommés en vertu de la Loi sur les pêches, d'origine fédérale, et que les pouvoirs des gardes-pêche sont énoncés dans cette même Loi. Le juge de première instance conclut qu'à son avis (à la page 476):

. . . les dispositions de la Loi sur les pêches qui énumèrent les pouvoirs des gardes-pêche et le résumé précité de leurs fonctions constituent des éléments de preuve amplement suffisants pour démontrer que les agents des pêches et les gardes-pêche sont les mandataires que le législateur fédéral a choisis pour veiller à l'application et au respect du régime législatif prévu par la Loi sur les pêches . . . On peut donc à juste titre qualifier le travail des gardes-pêche de "fondamental", "essentiel" ou "vital" à l'exploitation principale de l'entreprise fédérale.

Deuxième question:  L'arbitre a-t-il eu raison de décider que les intimés avaient travaillé sans interruption pendant au moins 12 mois pour la requérante comme l'exige l'alinéa 240(1)a) du Code canadien du travail?

L'arbitre s'est dit convaincu que l'alinéa 240(1)a) exige 12 mois consécutifs d'emploi et non pas 12 mois consécutifs de travail. À son avis, cet alinéa révèle l'intention du législateur d'autoriser les travailleurs saisonniers, comme les employés en l'espèce, qui ont établi des "relations de travail continues" pendant 12 mois à déposer une plainte en vertu du Code canadien du travail .

Le juge de première instance n'a pas accepté cette interprétation. Il a fait observer que la version française de la disposition utilisait le verbe "travailler" (to work ). Il a appliqué le principe du sens commun et conclu que lorsque les termes du texte anglais se prêtent à deux interprétations, tandis que le texte français ne peut recevoir qu'un seul de ces sens, celui-ci est considéré comme le sens commun aux deux versions et est présumé en être le véritable sens s'il n'existe pas de raison de l'écarter.

Cela dit, le juge de première instance a fait observer que le texte français avait été révisé sous l'autorité de la Loi sur la revision des lois qui permet d'apporter des changements aux lois sans en modifier le fond. La version originale française était beaucoup plus près du texte anglais, ce qui a obligé le juge de première instance à poursuivre son analyse en s'appuyant sur le texte anglais.

Le juge de première instance a ensuite analysé la jurisprudence ayant trait à l'alinéa 240(1)a). L'arbitre a conclu que la décision de la présente Cour dans Pioneer Grain Co. Ltd. c. Kraus, [1981] 2 C.F. 815, était applicable à l'espèce. Cette interprétation est conforme à d'autres décisions arbitrales qui ont appliqué l'arrêt Pioneer Grain: voir, par exemple, Ghislain Simard c. Cablevision Baie St-Paul Inc. (Tousignant, 1989); Pierre Mongrain c. Pelee Island Transportation (Abramovitz, 1986). D'après ces décisions, notamment, l'arrêt Pioneer Grain signifie que, si l'on fait la preuve de l'existence d'un cycle continu d'emploi entre les parties, il y a des relations d'emploi continues pour les fins du paragraphe 240(1). Selon ce raisonnement, un droit de rappel au travail peut être une preuve qu'il existe des relations contractuelles continues, ce qui soustrait les travailleurs saisonniers à la restriction prévue à l'alinéa 240(1)a).

Le juge de première instance a adopté une position tout à fait différente. Il a conclu que l'arrêt Pioneer Grain n'appuie que le principe limité selon lequel un bref arrêt de travail annuel qui s'inscrit dans le cadre d'un emploi par ailleurs permanent et continu ne met pas nécessairement fin à cet emploi. Autrement dit, en cas de mise à pied de courte durée, le contrat de travail subsiste. De l'avis du juge de première instance, les décisions subséquentes des arbitres qui ont voulu étendre l'application de l'arrêt Pioneer Grain aux travailleurs saisonniers sont erronées.

Troisième question:  La modification de l'article 29 du Règlement est-elle essentielle à la conclusion selon laquelle la mise à pied saisonnière des appelants n'interrompt pas la "continuité de l'emploi" pour les fins de l'alinéa 240(1)a)?

Les employés ont essayé de s'appuyer sur la version modifiée de l'article 29 du Règlement qui stipule que la mise à pied des travailleurs saisonniers n'est pas réputée avoir interrompu la continuité de leur emploi. Comme cette disposition est entrée en vigueur après le renvoi des employés en question, le juge de première instance a conclu qu'elle n'était pas applicable.

LES QUESTIONS EN LITIGE

Voici les trois principales questions qui se posent en l'espèce:

(1) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que l'employeur pouvait soulever la question de la compétence au cours d'une procédure de contrôle judiciaire;

(2) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que les appelants ne respectaient pas les conditions de l'alinéa 240(1)a) du Code canadien du travail; et

(3) La modification de l'article 29 du Règlement est-elle essentielle à la conclusion selon laquelle la mise à pied saisonnière des appelants n'interrompt pas la "continuité de l'emploi" pour les fins de l'alinéa 240(1)a )?

ANALYSE

Première question:  Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que l'employeur pouvait soulever la question de la compétence au cours d'une procédure de contrôle judiciaire?

Les appelants font valoir que cette question n'a pas été soumise à bon droit au juge de première instance dans une demande de contrôle judiciaire. Ils font valoir qu'une fois qu'un arbitre est nommé par le ministre, la compétence de l'arbitre ne peut plus être remise en cause. En réponse, la BDS a fait valoir que la question de la compétence peut être soulevée en tout temps, et que le juge de première instance a traité à bon droit de cette question.

Je suis d'avis que le juge de première instance a correctement interprété cette question. Les questions de compétence peuvent être soulevées en tout temps et à toutes les étapes de l'instance. Le simple fait que le ministre croit qu'un différend relève de la compétence fédérale ne signifie pas nécessairement que tel est le cas.

Quant au bien-fondé de l'argument concernant la compétence, il est clair que les postes de gardes-pêche sont régis par une loi fédérale. Je suis d'accord avec la conclusion du juge de première instance qui conclut que ces postes sont de nature fédérale étant donné qu'ils sont essentiels à l'exploitation principale de l'entreprise fédérale qui consiste à appliquer la Loi sur les pêches. À mon avis, il était juste de considérer que cette affaire relève de la compétence fédérale et non provinciale.

Deuxième question:  Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que les appelants ne respectaient pas les conditions de l'alinéa 240(1)a) du Code canadien du travail?

L'article 240 du Code canadien du travail stipule ce qui suit:

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si:

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

Il est important de noter dès le départ que, pour ce qui concerne les questions de droit, la norme de contrôle applicable à la décision de l'arbitre est celle de la justesse de la décision ou de l'absence d'erreur: Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652 (C.A.); Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354 (C.A.). L'interprétation du paragraphe 240(1) étant manifestement une question de droit, la question que doit trancher la présente Cour est donc de déterminer si l'interprétation que l'arbitre ou le juge de première instance ont donnée de l'article 240 est juste du point de vue juridique.

a)  Les principes d'interprétation

Pour interpréter l'article 240 du Code du travail, je garde à l'esprit les mots de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, dans lequel le juge Lamer [alors juge puîné] analyse l'objet des dispositions du Code du travail ayant trait au congédiement injuste. À son avis, le but de ces dispositions est (à la page 1072]:

. . . d'offrir à l'employé non syndiqué un moyen de contester un congédiement qu'il juge injuste et parallèlement d'offrir à l'arbitre les pouvoirs nécessaires pour remédier aux effets d'un tel congédiement.

Bien que ce soit là le but véritable des dispositions rectificatrices, l'accès au redressement prévu par ces dispositions est régi par l'article 240. En effet, le paragraphe 240(1) est une disposition de contrôle dont le rôle est de limiter l'application des dispositions rectificatrices subséquentes. C'est la portée de la restriction, et non la portée du redressement qui est en cause en l'espèce.

b)  La relation d'emploi a-t-elle été maintenue?

Au cours du débat devant la présente Cour, la BDS a fait valoir qu'elle ne peut accepter que les employés faisaient partie de ses "employés permanents". L'intimée a fait observer que l'emploi des appelants s'échelonnait généralement sur dix semaines par année, et exceptionnellement sur deux ou trois semaines de plus. L'intimée a donc soutenu qu'il n'y avait pas de relation d'emploi entre elle et les appelants pendant le reste de l'année civile.

La BDS a également fait valoir que la relation d'emploi ne pouvait être maintenue puisque, chaque année, le contrat devait être renouvelé par le gouvernement fédéral. Il n'y avait donc pas de possibilité raisonnable d'emploi tant et aussi longtemps que ce contrat n'était pas renouvelé. L'employeur a prétendu que le contrat de travail se terminait chaque année.

La BDS a de plus fait valoir que la jurisprudence élaborée par les tribunaux concernant l'alinéa 240(1)a) et son application aux travailleurs saisonniers indique que lorsque le rappel au travail d'un employé saisonnier mis à pied dépend de la possibilité pour l'employeur de trouver des fonds pour payer son salaire grâce à l'obtention d'un marché à la suite d'un appel d'offres, les tribunaux ont généralement statué qu'il y avait eu interruption. En l'espèce, les possibilités futures d'emploi dépendaient entièrement de la possibilité que la BDS obtienne un nouveau contrat chaque année, et la BDS soutient qu'il y a eu interruption d'emploi.

Dans l'ouvrage Employment Law in Canada, par Christie et al., 2e édition (Toronto: Butterworths, 1993, à la page 672), les auteurs indiquent ceci:

[traduction] L'exigence selon laquelle le plaignant doit avoir travaillé "sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur" témoigne de trois préoccupations:

(1) réduire le nombre élevé de dossiers qui, autrement, existerait probablement;

(2) fournir à l'employeur une période "d'essai" approximative qui lui permet d'évaluer les capacités de l'employé;

(3) faire écho au principe de base de l'ancienneté qui est consacré par la plupart des conventions collectives, à savoir le "droit de propriété de l'employé sur son emploi".

À la différence de la plupart des conventions collectives, le Code ne précise pas, à quelques exceptions près, quels événements constituent une "interruption" d'emploi . . . C'est en grande partie aux arbitres qu'il est revenu d'élaborer une jurisprudence sur cette question.

. . .

De même, lorsque le rappel du travailleur saisonnier mis à pied dépend de la possibilité pour l'employeur de trouver des fonds pour payer son salaire grâce à l'obtention d'un marché à la suite d'un appel d'offres, il a été jugé qu'il y a interruption parce qu'on ne peut pas dire en toute justice que l'employeur avait l'intention de garantir le rappel dans ces conditions. Dans ce cas, l'employé est plutôt engagé aux termes d'une série de contrats à durée déterminée qui expirent à la fin de chaque saison au même moment que le marché obtenu. [Les soulignements ne figurent pas dans l'original.]

En l'espèce, le contrat de la BDS avec le gouvernement est devenu un contrat assorti d'une option en 1988. Autrement dit, le contrat était présumé être renouvelé chaque année à moins d'indication contraire. Les appelants ont fait valoir que le fait que le contrat était assorti d'une option appuie la prétention selon laquelle il y avait des relations d'emploi continues.

Bien que l'existence d'un contrat assorti d'une option permette d'espérer raisonnablement un emploi futur, l'arbitre a spécifiquement conclu ceci:

[traduction] Malgré les dispositions relatives à l'option de renouvellement, la compagnie ne peut compter sur plus d'un contrat d'un an (d'une saison) et elle ne peut donc assurer aux gardes-pêche un emploi pour plus d'une saison. [Décision de l'arbitre, à la p. 5.]

Comme le contrat de la BDS était régulièrement renouvelé au moyen de l'exercice de l'option dont il était assorti et qu'il n'était pas assujetti au processus d'appel d'offres chaque année, il est clair qu'il n'y avait aucune garantie que la BDS obtienne le contrat dans les années suivantes. L'arbitre fait observer que la période d'avis entre l'octroi annuel du contrat et l'ouverture de la saison est assez courte: voir la décision de l'arbitre, à la page 6. Dans une telle situation, il semble déraisonnable de conclure que la relation entre l'employé et son employeur ait pu subsister, alors que l'employeur ne pouvait lui garantir de travail d'une année à l'autre.

Je ne suis pas convaincu que l'existence d'une option de renouvellement du contrat avec la BDS soit suffisante pour maintenir la relation d'emploi d'une année à l'autre. Je préfère la solution proposée par Christie et ses collègues, ci-dessus, selon laquelle l'emploi est plus justement décrit comme une série de contrats à durée déterminée. À mon avis, conclure qu'une relation d'emploi a été maintenue, avec tous les droits et les obligations qui en découlent, imposerait une obligation trop onéreuse à l'employeur dans des situations où celui-ci n'est aucunement assuré de pouvoir offrir du travail aux employés qu'il a mis à pied.

c)  Le droit de rappel

Les appelants font valoir que la pratique suivie par l'employeur qui les a rappelés d'année en année tend également à conclure à l'existence d'une relation d'emploi continue. Les employés étaient assujettis à un droit de rappel chaque année et n'avaient pas à présenter de nouvelle demande d'emploi ni à subir de nouvelle entrevue pour avoir leur poste.

Le juge de première instance a conclu que l'alinéa 240(1)a) exige expressément qu'il y ait un "emploi continu" (continuous employment ). À son avis, le sens ordinaire de la disposition exige plus que dix à douze semaines de travail par année. Il n'a pas accepté l'argument selon lequel le contrat de travail a été maintenu pendant le reste de l'année en raison de la pratique de l'employeur de rappeler les employés au travail.

De même, l'arbitre a été tout à fait persuadé par ce processus de rappel au travail. Il a examiné tous les éléments des arrangements en matière d'emploi, y compris le fait que ce cycle d'emploi s'est répété pendant plus de dix ans, que les employés n'avaient ni présenté de nouvelle demande ni passé une nouvelle entrevue pour obtenir le poste, et que l'emploi était de même durée chaque année. En outre, ces employés s'attendaient à être réembauchés l'année suivante. L'arbitre semble avoir conclu qu'il s'agissait là d'une hypothèse raisonnable se fondant sur la pratique antérieure.

Même si les employés ont été rappelés chaque année pendant dix ans, je ne suis pas d'accord pour dire que cette pratique de rappel au travail établit une relation d'emploi continue. Comme il a été expliqué ci-dessus, chaque année, l'emploi dépendait de la capacité de la BDS d'obtenir un contrat annuel. Sans ce contrat, il n'y avait pas d'emploi disponible. À mon avis, l'incertitude associée à l'octroi d'un nouveau contrat l'emporte sur les pratiques de rappel suivies par l'employeur.

d)  Les versions française et anglaise de la loi

L'arbitre fait observer, à bon droit à mon avis, que la version anglaise de la loi fait référence à l'emploi (employment) et non à des semaines de travail continu. Ainsi, s'il existe une "relation d'emploi" continue (et pas nécessairement un "travail" continu) pendant toute l'année, les employés sont visés à l'alinéa 240(1)a ).

Le juge de première instance s'est inspiré de la version française de la loi pour interpréter le texte anglais de cette disposition. Cette façon de procéder est souvent utile, mais je ne suis pas convaincu qu'elle l'a été en l'espèce. Comme l'a fait observer le juge de première instance, bien que la version française de la disposition actuelle utilise le verbe "travailler", la version antérieure était formulée de façon beaucoup plus semblable au texte anglais actuel. La version française a été modifiée par suite de l'application de la Loi sur la revision des lois , qui permet expressément d'apporter des changements à une loi sans en modifier le fond. À mon avis, le changement de formulation, dans la mesure où il a modifié le sens de la version française, a été fait illégalement, et restreint grandement l'utilité de cette version en l'espèce.

e)  La jurisprudence

Le paragraphe 240(1) (qui était alors l'article 61.5) a été examiné par la présente Cour dans l'arrêt Pioneer Grain Co. Ltd. c. Kraus, [1981] 2 C.F. 815. Dans cet arrêt, la Cour était saisie du cas d'un travailleur de la construction de longue date qui alléguait avoir été congédié injustement. L'employé était mis à pied pendant plusieurs semaines chaque année quand il faisait trop froid pour travailler. Pendant le reste de l'année, il travaillait de façon permanente et à plein temps. L'employeur a fait valoir que l'employé n'avait pas droit à la protection du Code du travail, étant donné que son emploi n'avait pas été continu durant douze mois consécutifs. La Cour a conclu que l'employé avait droit à la protection de la loi, étant donné que la relation d'emploi avait été maintenue pendant la période de mise à pied.

L'arbitre a essayé d'appliquer l'arrêt Pioneer Grain à l'espèce et a conclu que cet arrêt appuyait le principe voulant que les travailleurs saisonniers puissent avoir une relation d'emploi qui subsiste pendant la période de mise à pied. Donc, de l'avis de l'arbitre, les employés saisonniers comme les appelants respectent la condition des douze mois consécutifs d'emploi continu dont il est question à l'alinéa 240(1)a), quand on peut faire la preuve de l'existence d'une relation d'emploi continue. L'arbitre a estimé que cette preuve existait et il a conclu que les appelants respectaient les conditions de l'alinéa 240(1)a).

Les appelants font valoir que l'arbitre a correctement interprété et appliqué l'arrêt Pioneer Grain aux faits de l'espèce. Selon leurs arguments, la relation d'emploi a subsisté pendant la période de mise à pied, et l'interprétation de l'arbitre devrait être confirmée. Les appelants font également valoir qu'une fois que l'interprétation qu'il convient de donner au paragraphe 240(1) est correctement établie, il incombe à l'arbitre d'évaluer les faits de la cause. La décision de l'arbitre concernant l'évaluation de ces faits est susceptible de révision uniquement si elle est manifestement déraisonnable.

Par ailleurs, la BDS fait valoir que l'arbitre a commis une erreur dans son interprétation et son application de l'arrêt Pioneer Grain et soutient que le juge de première instance a correctement interprété l'alinéa 240(1)a).

Je préfère l'opinion selon laquelle l'arbitre a commis une erreur en interprétant et en appliquant l'arrêt Pioneer Grain aux faits de l'espèce. Je ne crois pas que l'arrêt Pioneer Grain a pour effet d'étendre la portée de l'alinéa 240(1)a) aux travailleurs saisonniers. Tout d'abord, il n'est pas du tout certain que l'employé dans l'arrêt Pioneer Grain puisse être qualifié d'"employé saisonnier". À mon sens, un employé saisonnier, c'est un employé qui travaille pendant une période fixe chaque année. Les pêcheurs, tout comme les gardes-pêche, en sont l'exemple classique. Je ne vois pas comment cette définition d'un travailleur saisonnier peut englober une personne comme l'employé dans Pioneer Grain . Dans cette affaire, l'employé était mis à pied pendant une courte période variant chaque année. Sa mise à pied était de très courte durée. Cette courte période de mise à pied, quand il faisait trop froid pour travailler, ne fait pas de ce travailleur un "employé saisonnier".

Par la suite, les arbitres ont étendu l'arrêt Pioneer Grain aux employés saisonniers qui travaillent pendant trois ou quatre mois par année (voir Simard, précité). Après avoir examiné la relation d'emploi générale, y compris la pratique de rappel au travail suivie par l'employeur, l'arbitre dans Simard a conclu qu'il y avait une relation d'emploi continue.

Le juge de première instance a conclu que cette façon d'analyser l'arrêt Pioneer Grain étendait la portée de la décision au-delà de celle que la Cour avait eu l'intention de lui donner. Je ne peux que souscrire à cette affirmation. Dans l'arrêt Pioneer Grain, le travailleur était mis à pied pendant quelques semaines chaque année, parce qu'il faisait trop froid pour travailler. La Cour a jugé que cette mise à pied n'était pas suffisante pour rompre la relation d'emploi, étant donné que l'employé reprenait le travail à la fin de cette mise à pied de courte durée. À mon avis, cela ne signifie pas que tous les employés saisonniers peuvent avoir une relation d'emploi continue pendant douze mois consécutifs alors qu'ils ne travaillent en fait que quelques mois par année.

Il y a un facteur plus essentiel que la durée de la mise à pied pour établir la distinction avec l'arrêt Pioneer: c'est en fait la date précise de reprise du travail qui était donnée à l'employé. Dans Pioneer, la Cour a conclu, et je suis d'accord avec elle, que la fixation d'une date de reprise du travail laisse présumer que la relation d'emploi avait subsisté pendant la période de mise à pied.

En l'espèce, les employés travaillaient pendant douze à quatorze semaines par année. À l'arrêt du travail, aucune date de reprise n'était fixée. En fait, il était impossible de préciser une telle date, étant donné que la disponibilité du travail à venir dépendait de la capacité de l'employeur à obtenir le contrat pour assurer le travail de l'année suivante.

Il convient de faire une autre distinction importante entre Pioneer et l'espèce: dans Pioneer, il n'était pas question de la capacité de l'employeur d'obtenir un contrat en participant à un appel d'offres pour renouveler l'emploi du plaignant. L'employé dans l'arrêt Pioneer était mis à pied non pas parce que le travail nécessaire était terminé, mais parce que les conditions climatiques l'empêchaient d'effectuer les travaux nécessaires. À mon avis, il s'agit là d'un point tout à fait distinct des faits de l'espèce où l'on est en présence d'un contrat d'emploi précis se terminant à la fin de chaque année.

À mon avis, l'application de l'arrêt Pioneer aux faits de l'espèce étend la portée de cet arrêt bien au-delà de ce qui avait été prévu. Dans cet arrêt, la Cour ne peut pas avoir eu l'intention de nier le libellé exprès de l'alinéa 240(1)a). Les faits de l'arrêt Pioneer dictent simplement que, malgré la mise à pied, le fait qu'une date de rappel au travail était fixée et que la mise à pied était de courte durée réfute toute présomption qu'il y avait eu interruption de la relation d'emploi.

Même si je fais erreur et que l'arbitre n'a pas élargi la portée de l'arrêt Pioneer, je pense que la distinction peut être faite au niveau du contrat. Je ne peux accepter que la relation d'emploi a été maintenue pendant toute l'année alors qu'il n'y avait plus de travail à faire et qu'il n'y avait aucune confirmation des possibilités de travail tant que le contrat n'était pas renouvelé.

Troisième question:  La modification de l'article 29 du Règlement est-elle essentielle à la conclusion selon laquelle la mise à pied saisonnière des appelants n'interrompt pas la "continuité de l'emploi" pour les fins de l'alinéa 240(1)a)?

L'article 29 du Règlement, modifié par DORS/91-461, se lit comme suit:

29. Pour l'application des sections IV, VII, VIII, X, XI, XIII et XIV de la Loi, n'est pas réputée avoir interrompu la continuité de l'emploi l'absence d'un employé qui est:

a) soit attribuable à une mise à pied qui n'est pas un licenciement aux termes du présent règlement;

b) soit autorisée ou acceptée par l'employeur.

Cette modification est entrée en vigueur après la mise à pied des appelants, mais avant l'audience devant l'arbitre.

La BDS fait valoir qu'il existe en droit canadien une présomption générale contre la rétroactivité. Elle soutient également que la modification de l'article 29 du Règlement [traduction] "laisse fortement entendre" que, pendant la période pertinente de la cessation d'emploi, la mise à pied a effectivement interrompu la continuité de l'emploi. L'intimée fait également valoir qu'il est contradictoire pour les appelants de prétendre que la modification ne permet pas de présumer du droit, et en même temps de chercher à utiliser cette modification pour confirmer la décision de l'arbitre.

Subsidiairement, la BDS fait valoir que ces employés n'étaient pas mis à pied chaque année. Au contraire, leur emploi prenait fin parce que la BDS n'avait aucun droit de continuer à faire le travail. Sa capacité à reprendre chaque année le travail dépendait de l'obtention du contrat. Il est impossible de prétendre que les appelants ont à l'égard de la BDS des droits supérieurs à ceux que la BDS peut faire valoir à l'égard du gouvernement fédéral. D'après elle, même si le Règlement modifié s'appliquait, il n'aurait aucun effet.

Les appelants soutiennent pour leur part qu'avant la modification le Règlement était silencieux sur la question de savoir si une mise à pied saisonnière interrompait la continuité de l'emploi pour les fins de l'article 240. Bien que la modification soit entrée en vigueur après la date de leur congédiement, les appelants prétendent qu'en vertu de l'article 44 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, la nouvelle modification aurait dû s'appliquer à l'instance dont était saisi l'arbitre. Ils font également valoir que leur emploi respectait les conditions de l'article 240 si cette disposition est lue de concert avec l'article 29 du Règlement.

Les appelants font aussi valoir que le juge de première instance a commis une erreur en inférant que le droit était différent que ce que prévoit la disposition réglementaire avant que celle-ci n'entre en vigueur. Ils soutiennent que cette disposition a eu un simple effet déclaratoire et n'a aucunement modifié l'état antérieur du droit.

En vertu des paragraphes 45(2) et (3) de la Loi d'interprétation, aucune inférence ne peut être tirée d'une modification quant à l'état antérieur du droit. C'est-à-dire que la modification ne peut ni être présumée déclaratoire ni représentative d'un changement des règles de droit. Il faut donc examiner le droit tel qu'il existait avant la modification pour décider si la modification constitue une déclaration ou une modification quant à l'état du droit. Si la modification est une déclaration du droit qui était en vigueur à la date de son adoption et qu'elle a donc un simple effet déclaratoire, les appelants ont raison d'affirmer que l'arbitre était en droit d'en tenir compte. Par ailleurs, si la modification a modifié le droit en vigueur, alors l'arbitre devait l'ignorer.

On a fait valoir que la modification est conforme à des décisions arbitrales antérieures qui ont étendu la protection de l'article 240 aux travailleurs saisonniers. Si telle est l'interprétation qu'il convient d'adopter, la modification est déclaratoire et aurait dû être appliquée par l'arbitre. Compte tenu de mon interprétation de l'arrêt Pioneer Grain et de ma conclusion selon laquelle les décisions arbitrales subséquentes ont élargi la portée de cette affaire bien au-delà de l'intention de la Cour, je ne peux conclure que cette disposition est effectivement déclaratoire. Le paragraphe 240(1) indique expressément qu'il doit y avoir douze mois consécutifs d'emploi continu, ce qui crée une présomption que les travailleurs saisonniers ne sont pas protégés par cette disposition. En outre, avant la modification, le Règlement n'indiquait nulle part si les travailleurs saisonniers étaient visés. La présomption n'a donc pas été réfutée et elle n'a pas été, à mon sens, perturbée par la décision de la présente Cour dans Pioneer Grain. À mon avis, la disposition réglementaire n'était pas déclaratoire.

Je conviens que la modification démontre que le législateur avait l'intention d'accorder aux travailleurs saisonniers la protection de l'article 240. Toutefois, avant cette modification, le libellé retenu par le législateur ne faisait pas d'exception pour les travailleurs saisonniers. Je ne suis pas convaincu qu'une série de décisions arbitrales qui ont, à mon avis, élargi la portée d'une décision de la présente Cour bien au-delà de l'intention de cette dernière soit suffisante pour modifier l'intention du législateur qui ressort du libellé de la loi et du Règlement tels qu'ils existaient au moment de la mise à pied des employés.

De toute façon, j'accepte la prétention subsidiaire de la BDS selon laquelle le nouveau Règlement ne change pas la position des appelants. La BDS a fait valoir que l'expiration du contrat gouvernemental chaque année entraînait la cessation d'emploi et toute attente raisonnable à cet égard. Même si la disposition devait s'appliquer (c'est-à-dire si elle était déclaratoire), elle ne serait d'aucune utilité pour la cause des appelants. Pour l'employeur, il y avait cessation d'emploi à la fin de chaque contrat. Cette position est conforme à mon opinion concernant la relation d'emploi.

Considérations d'ordre public

Il y a certainement des arguments d'ordre public qui militent en faveur d'une conclusion voulant que ces appelants respectaient les conditions du paragraphe 240(1). Les dispositions relatives au congédiement injuste ont pour but d'assurer une protection aux travailleurs qui ne sont pas régis par des conventions collectives. En l'espèce, les appelants exerçaient les mêmes emplois depuis plus de dix ans et s'attendaient raisonnablement à reprendre leur travail. Sans la protection de l'article 240, ils ne peuvent poursuivre leur employeur pour congédiement injuste en vertu du Code canadien du travail.

Parallèlement, il est facile de voir comment on peut abuser d'un précédent. Accorder cette protection aux employés qui travaillent bien en-deçà d'une pleine année civile pourrait étendre l'application de cette disposition à des plaignants beaucoup plus nombreux que ne le voulait le législateur au moment où ces employés ont été congédiés. Si la Cour entreprend d'élargir le libellé de la disposition pour inclure ce que le législateur n'a manifestement pas voulu y inclure, elle va en fait à l'encontre de l'une des fonctions de contrôle qui a été donnée au paragraphe 240(1).

Je suis en outre convaincu que le refus d'accorder la protection du Code canadien du travail à ces appelants ne les prive pas d'un droit d'action contre leur employeur. On a fait valoir devant la Cour que refuser à ces appelants le redressement prévu au Code du travail équivaut à leur refuser toute possibilité de réparation pour les présumés congédiements injustes. En toute déférence, je ne peux souscrire à cet argument. Même en l'absence de la protection offerte par le Code du travail, les appelants ont des voies de recours en common law qu'ils peuvent exercer contre leur employeur, étant donné que la preuve semble démontrer qu'ils ont été forcés, à tort, de s'adresser aux tribunaux fédéraux à leur détriment.

CONCLUSION

Pour ces motifs, je suis d'avis que l'arbitre a commis une erreur en concluant que les appelants avaient travaillé sans interruption pendant douze mois pour le même employeur. Je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens et de confirmer la décision du juge de première instance.

1 L.R.C. (1985), ch. L-2, et ses modifications (le Code canadien du travail ou le Code).

2 L.R.C. (1985), ch. F-14 (la Loi sur les pêches ou la Loi). L'art. 5(1) [mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 2] dispose comme suit:

5. (1) Le ministre peut désigner toute personne ou catégorie de personnes à titre d'agents des pêches, ou de gardes-pêche pour l'application de la présente loi et peut restreindre, de la façon qu'il estime indiquée les pouvoirs qu'un agent des pêches ou un garde-pêche est autorisé à exercer sous le régime de cette loi et de toute autre loi fédérale.

3 Affaire intéressant un arbitrage régi par la partie III du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, modifié, entre Michael Carew, Hugh Davis, Douglas Dean (plaignants) et Beothuk Data Systems Ltd., Division Seawatch (mise en cause) (les motifs de l'arbitre), à la p. 5.

4 Motifs de l'arbitre, à la p. 1.

5 Motifs de l'arbitre, à la p. 10.

6 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5].

7 L'art. 167(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 5] est rédigé dans les termes suivants:

167. (1) La présente partie [III] s'applique:

a) à l'emploi dans le cadre d'une entreprise fédérale, à l'exception d'une entreprise de nature locale ou privée dans le territoire du Yukon ou les Territoires du Nord-Ouest;

b) aux employés qui travaillent dans une telle entreprise;

c) aux employeurs qui engagent ces employés;

d) aux personnes morales constituées en vue de l'exercice de certaines attributions pour le compte de l'État canadien, à l'exception d'un ministère au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques.

8 L.R.C. (1985), ch. F-14, et ses modifications.

9 L'art. 242(3.1) est rédigé dans les termes suivants:

242. . . .

(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants:

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

10 [1994] 1 C.F. 652 (C.A.) (Pollard).

11 Il est bien établi en droit que le consentement ne peut donner à un tribunal une compétence que lui refuse la loi. Voir par exemple Dominion Canners Ltd. v. Costanza, [1923] R.C.S. 46, aux p. 66 et 67; Essex Incorporated Congregational Church Union v. Essex County Council, [1963] A.C. 808 (H.L.), aux p. 820 et 821; et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Commission canadienne des transports, [1988] 2 C.F. 437 (1re inst.), aux p. 449 et 450. En suivant un raisonnement semblable, une partie ne peut être empêchée de contester la compétence d'un tribunal parce qu'elle n'a pas soulevé l'objection au cours d'une procédure antérieure. Voir par exemple Bande indienne de Norway House c. Canada (Arbitre, Code du travail), [1994] 3 C.F. 376 (1re inst.).

12 L'art. 243(1) est rédigé dans les termes suivants:

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

13 [1995] 3 C.F. 354 (C.A.).

14 Le juge des requêtes cite les décisions des arbitres nommés en vertu du Code dans les affaires suivantes: Pierre Mongrain c. Pelee Island Transportation (12 août 1986, arbitre Abramowitz); Re Beaudril c. Preignitz (27 octobre 1986, arbitre J. W. Samuels); et Ghislain Simard c. Cablevision Baie St-Paul Inc. (27 septembre 1989, arbitre Tousignant).

15 [1981] 2 C.F. 815 (C.A.) (Pioneer Grain).

16 L'art. 240(1)a) se lit comme suit:

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si:

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur. [Non souligné dans l'original.]

17 Motifs du jugement, à la p. 484.

18 Motifs du jugement, à la p. 484.

19 C.R.C., ch. 986, et ses modifications (le Règlement).

20 Voir Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412; U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; et CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983.

21 R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto: Butterworths, 1994), à la p. 220.

22 Motifs du jugement, à la p. 484.

23 Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4esuppl.), ch. 31, art. 13.

24 Motifs du jugement, à la p. 485.

25 (Cowansville (Québec): Éditions Yvon Blais Inc., 1991), à la p. 309.

26 (Toronto: Butterworths, 1983), à la p. 171. Voir: Juster c. La Reine, [1974] 2 C.F. 398 (C.A.); Food Machinery Corpn. v. Registrar of Trade Marks, [1946] R.C.É. 266; The King v. Dubois, [1935] R.C.S. 378; R. v. Black & Decker Manufacturing Co. Ltd., [1975] 1 R.C.S. 411; et R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865. Dans toutes ces causes, il s'agissait de choisir entre l'interprétation large et l'interprétation restrictive dans les deux versions. Dans Juster, Food Machinery Inc., Black & Decker et Compagnie Immobilière, les tribunaux ont adopté le sens large. Dans Dubois, le tribunal a retenu le sens restrictif. Cependant, dans tous les cas, les tribunaux sont allés au-delà du sens ordinaire des mots, et ont dissipé l'ambiguïté en examinant le but et l'effet de la disposition législative en question afin de dégager l'intention du législateur.

27 S.R.C. 1970, ch. L-1, et ses modifications.

28 Loi modifiant le Code canadien du travail, S.C. 1977-78, ch. 27. Le projet de loi C-8 a été déposé à la Chambre des communes le 27 octobre 1977 et a reçu la sanction royale le 20 avril 1978.

29 Pour une analyse détaillée des lacunes, voir G. England, "Recent Developments in Wrongful Dismissal and Some Pointers for Reform" (1978), 16 Alta. L. Rev. 470; et I. Christie et al., Employment Law in Canada, 2e éd. (Toronto: Butterworths, 1993).

30 Débats de la Chambre des Communes (vol. II, 3e sess., 30e Lég., 1977-78), aux p. 1831 et 1832. Voir également "A Better Deal for Canada's Unorganized Workers", allocution prononcée par le ministre John C. Munro, The Labour Gazette (19 août 1977), à la p. 347; et G. England, "Unjust Dismissal in the Federal Jurisdiction: The First Three Years" (1982), 12 Man. L.J. 9, à la p. 10.

31 Comme l'indique J. Channell dans Reigate Rural District Council v. Sutton District Water Company; Ewart, Third Party (1908), 99 L.T.R. 168 (K.B.), à la p. 170, [traduction] "il faut toujours en interprétant une loi, et les mots que l'on y retrouve, examiner le but en vue duquel la loi a été adoptée, parce que cela nous permet de comprendre le sens des mots qui ont été utilisés dans cette loi." Cité par le juge en chef Anglin avec approbation dans Hirsch v. Protestant Board of School Commrs. , [1926] R.C.S. 246, à la p. 267; voir aussi Ottawa, City of, v. Canada Atlantic Ry. Co. (1903), 33 R.C.S. 376; Attorney-General for Canada v. Hallet & Carey Ld., [1952] A.C. 427 (P.C.), à la p. 449, par lord Radcliffe; et Nokes v. Doncaster Amalgamated Collieries, Ld., [1940] A.C. 1014 (H.L.), à la p. 1022, par le vicomte Simon.

32 S.C. 1970-71-72, ch. 48, et ses modifications.

33 [1983] 1 R.C.S. 2, à la p. 10.

34 Voir N. Grosman, Federal Employment Law in Canada (Toronto: Carswell, 1990), à la p. 91.

35 Motifs du jugement, à la p. 491.

36 Précité, note 29, à la p. 672.

37 (19 août 1987, arbitre D. G. Pyle, no de référence 771-Ont.), à la p. 19.

38 Loi modifiant le Code canadien du travail et la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9.

39 S.C. 1974-75-76, ch. 20.

40 Il est clair que le principe selon lequel la dernière mesure prise par le législateur doit avoir préséance ne s'applique pas lorsque la modification d'une version de la loi équivaut à une erreur. Lorsqu'il y a une telle erreur, la version non modifiée sera habituellement préférée. Voir, par exemple, R. c. Popovic et al., [1976] 2 R.C.S. 308, le juge Pigeon; et Laberge c. Carbonneau et le Procureur Général de la Province de Québec (1921), 30 B.R. 385 (Qué).

41 La Cour note le passage suivant de la décision de l'arbitre, à la p. 823:

La preuve administrée démontre que les ouvriers de l'équipe de maintenance [sic] sont mis à pied entre le 15 décembre et le 21 décembre chaque année puis sont habituellement rappelés entre le début de janvier et la fin de février ou le début de mars. C'est ce que l'employeur appelle la "mise à pied hivernale". Au départ des employés en décembre on leur verse les congés gagnés jusqu'à cette date. Lorsqu'ils reprennent leur travail, ils recommencent à gagner des congés. Ils n'ont jamais droit à des congés payés comme tels.

42 Motifs du jugement, à la p. 491.

43 Motifs du jugement, à la p. 490.

44 L.R.C. (1985), ch. I-21, et ses modifications.

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