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[1994] 2 .C.F 734

A-73-90

Sa Majesté la Reine du chef du Canada (appelante) (défenderesse)

c.

Yvon R. H. Gingras (intimé) (demandeur)

Répertorié : Gingras c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Pratte et Décary, J.C.A., et juge suppléant Chevalier—Montréal, 17 et 18 janvier; Ottawa, 10 mars 1994.

Fonction publique — Langues officielles — Prime au bilinguisme — Appel contre la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale selon laquelle l’intimé avait droit à la prime de 1980 à 1988 — L’intimé était membre de la GRC et a été transféré au SCRS — La prime lui a été refusée bien qu’il était bilingue — Le Régime de prime au biliguisme a été mis en œuvre pour tous les employés admissibles dont le CT était l’employeur — Applicable aux membres de la GRC à titre d’employés de la fonction publique aux termes de l’annexe I de la LRTFP — Aucun élément de discrétion quant à l’application — La décision d’instaurer le Régime a été prise par l’autorité compétente — Le régime peut être opposé à la Couronne par toute personne qui y est admissible.

GRC — Un membre de la GRC est un employé de la fonction publique car la GRC est un ministère au sens de la LAF — Distinction établie entre la définition d’« employé » de l’art. 1 du Régime et de la LRTFP — L’exclusion des membres non civils et non syndiqués de la GRC aux termes de la LRTFP ne les soustrait pas à la définition de fonction publique — Les membres de la GRC ont un statut spécial de par leur mode de nomination, leur serment, leur code de discipline, mais sont quand même des employés — L’art. 5 de la LGRC ne fait pas du Commissaire un employeur à la place du CT — Le pouvoir de nomination n’est pas un attribut essentiel de la qualité d’employeur en l’espèce.

Renseignement de sécurité — Le directeur du SCRS a décidé de payer une prime au bilinguisme seulement aux employés de la catégorie du soutien administratif — Les employés de la GRC et du SCRS ont des statuts différents — Le SCRS est un employeur distinct aux termes de sa loi habilitante — Le régime de prime au bilinguisme ne s’applique pas automatiquement aux employés du SCRS — Le directeur était autorisé aux termes de la LSCRS à adopter la politique contestée.

Pratique — Prescription — S’agit-il d’une prescription de cinq ans selon l’art. 2260(6) du Code civil du Bas-Canada ou d’une prescription de six ans aux termes du droit de l’Ontario? — Il est douteux que la cause d’action ait pris naissance au Québec au sens de l’art. 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale — La cause d’action a pris naissance en Ontario parce que le refus du Conseil du Trésor de payer la prime au bilinguisme à l’intimé s’est produit en Ontario.

Il s’agissait d’un appel contre la décision du juge Dubé selon laquelle l’intimé avait droit à la prime au bilinguisme pour les années 1980 à 1988 inclusivement. L’intimé a été membre de la GRC du 16 août 1962 au 15 juillet 1984, date à laquelle il est passé à l’emploi du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) jusqu’à sa retraite en 1988. Le Régime de prime au bilinguisme qui a été instauré par le Conseil du Trésor en 1977 s’appliquait à tous les employés admissibles de la fonction publique avec quelques exceptions. Même si l’intimé est bilingue, qu’il a réussi tous les examens requis et qu’il a occupé au cours de toutes ces années, pendant lesquelles le Régime était en place, des postes déterminés comme étant bilingues, en aucun temps la prime au bilinguisme ne lui a-t-elle été payée. Le juge de première instance a conclu que les membres de la GRC étaient des employés dont le Conseil du Trésor était l’employeur au sens du Régime, qu’ils avaient été par la suite exclus du Régime en raison d’une décision implicite du Conseil du Trésor et que cette décision d’exclusion était illégale. En ce qui a trait aux membres dit non-civils du SCRS, le juge de première instance en est venu à la conclusion que les employés du SCRS n’étaient pas visés par le Régime, mais qu’en décidant d’accorder la prime aux seuls employés dit de soutien administratif, le directeur avait également agi à l’encontre des objectifs recherchés par la politique sur les langues officielles. Les questions soulevées dans le présent appel sont les suivantes : 1) quelle est la nature juridique du Régime de prime au bilinguisme? 2) le Régime s’applique-t-il aux membres de la GRC? 3) le Régime s’applique-t-il aux employés du SCRS? et 4) quel est le délai de prescription?

Arrêt : l’appel est accueilli en partie.

1) La décision d’établir le Régime a été prise par le Conseil du Trésor en sa qualité de comité du Conseil privé. Ce Régime ne comporte aucun élément de discrétion en ce qui a trait à son champ d’application. Il n’est pas un simple énoncé de politique n’ayant point valeur décisionnelle comme il s’en publie tous les jours. Il n’est pas une directive administrative qui ne vise qu’à interpréter ou appliquer une loi ou un règlement donné. Il n’est pas une promesse de décision à venir. Il est la décision même qui a été prise par l’autorité compétente et il est la décision même que cette autorité a demandé aux fonctionnaires concernés d’appliquer. Le Régime de prime au bilinguisme peut être opposé à la Couronne par toute personne qui, selon les termes de ce Régime, y est admissible.

2) Le Régime, de par ses termes mêmes, s’applique « à tous les employés admissibles dont le Conseil du Trésor est l’employeur ». C’est l’interprétation de cette expression qui est au cœur du présent débat. La GRC était du nombre des « Ministères, départements et autres éléments de la fonction publique du Canada pour lesquels Sa Majesté, représentée par le conseil du Trésor, est l’employeur » énumérés dans la Partie I de l’annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique (LRTFP). Il n’y a, dans la branche exécutive du gouvernement fédéral, qu’un seul « employeur », qui est Sa Majesté la Reine du chef du Canada qui délègue plutôt l’exercice de ses fonctions tantôt au Conseil du Trésor, lorsqu’il s’agit d’un ministère ou d’un élément de la fonction publique que spécifie la Partie I de l’annexe I, tantôt à un employeur distinct, lorsqu’il s’agit d’un élément de la fonction publique que spécifie la Partie II de l’annexe I. Étant donné que la GRC est une division ou section de la fonction publique du Canada au sens de la Loi sur l’administration financière et constitue un ministère ou département au sens de cette Loi, ses membres sont, aux fins de cette Loi, des « personnes employées dans la fonction publique du Canada ». La définition d’« employé », à l’article 2 de la LRTFP, en excluant de la définition « personne employée dans la Fonction publique » aux fins de cette Loi les membres de la GRC, confirme que ces derniers sont, par ailleurs, des « personnes employées dans la Fonction publique ». Le fait que le législateur, en dépit de ce qu’il excluait à la fois les membres de la GRC et les employés « non civils » du SCRS de la définition d’« employé », ait persisté à inclure la GRC dans la Partie I et le SCRS dans la Partie II, indique que l’appartenance à l’une ou l’autre des Parties I et II de l’annexe I n’a rien à voir avec la définition d’« employé » dans la Loi. Il s’impose de distinguer selon qu’on traite de droit commun ou du droit interne de l’administration publique fédérale. Le fait qu’une personne soit dite « employée » aux fins du droit interne de l’administration, n’emporte pas nécessairement qu’elle soit une « employée » au sens du droit commun. Aussi bien en droit commun qu’en droit statutaire canadien, les membres de la GRC forment une classe à part, de par leur mode de nomination, leur serment, leur code de discipline. Ce statut particulier ne leur enlève pas, aux fins des lois relatives à l’organisation de l’administration publique fédérale, leur statut d’employé : ce sont des employés spéciaux, mais des employés quand même. Le fait que le commissaire de la GRC, en vertu de l’article 5 de la LGRC, « sous la direction du Ministre, est investi de l’autorité sur la Gendarmerie et de la gestion de toutes les matières s’y rattachant » n’en fait pas pour autant un employeur en lieu et place du Conseil du Trésor. Les pouvoirs de ce dernier sont en effet jalousement protégés par le paragraphe 7(6) de la LAF et ce n’est qu’exceptionnellement, et autrement que par simple attribution de ces pouvoirs à une autre autorité, que cette autre autorité les exercera à sa place. Le pouvoir de nomination des membres de la GRC échappe, il est vrai, au Conseil du Trésor, mais le pouvoir de nomination n’est pas un attribut essentiel de la qualité d’employeur aux fins des lois visées en l’espèce. Un membre de la GRC est, aux fins du Régime, une personne employée aussi bien dans la fonction publique (concept plus large englobant tous les éléments de l’administration publique fédérale) que dans la Fonction publique (concept plus étroit comprenant les seuls éléments de l’administration publique fédérale dont l’employeur était réputé être Sa Majesté représentée par le Conseil du Trésor).

3) Le SCRS étant un « employeur distinct » désigné tel dans la Partie II de l’annexe I, ses employés n’ont pas comme employeur Sa Majesté représentée par le Conseil du Trésor. Le Régime ne s’applique donc pas d’office aux employés du SCRS, ce qui n’empêche pas le directeur, muni des pouvoirs d’un employeur, de décider de l’appliquer au sein du SCRS. En l’espèce le directeur a pris la décision, le 5 mars 1985, de payer la prime, mais seulement à ceux de ses employés qui faisaient partie du service de soutien administratif. Il ne fait aucun doute que le directeur avait le pouvoir, en vertu de la LSCRS d’adopter la politique qu’il a adoptée. L’intimé, en sa qualité d’ancien membre de la GRC, avait droit à ce que la prime lui fût versée par le SCRS du 16 juillet 1984 au 5 mars 1985, mais pas au-delà.

4) Le juge de première instance, à l’invitation des parties, a décidé que la loi applicable était celle de la province de Québec puisque c’est dans cette province que l’exécution du « contrat d’engagement » de l’intimé s’était presqu’entièrement effectuée et a appliqué le délai de prescription de cinq ans établi à l’article 2260(6) du Code civil du Bas-Canada. Comme l’intimé a déposé sa première déclaration le 28 novembre 1985, sa réclamation ne pouvait porter que sur la prime qui lui aurait été payable depuis le 28 novembre 1980. Il n’est pas certain que la cause d’action a pris naissance au Québec au sens du paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale. La cause d’action était le refus par le Conseil du Trésor de payer la prime au bilinguisme à l’intimé et ce refus se serait produit en Ontario, où la prescription est de six ans. Il se peut que le législateur, au paragraphe 38(1), ait voulu que les lois d’une province donnée ne s’appliquent que lorsque toute la cause d’action a pris naissance dans cette province et que s’applique systématiquement la prescription de six ans lorsque la cause d’action a pris naissance dans plus d’une province.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22.

Code civil du Bas-Canada, art. 2260(6), 2261(3), 2262(3).

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, art. 3, 7, 10.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 64.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5].

Loi de 1966 sur l’organisation du gouvernement, S.C. 1966-67, ch. 25.

Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48, art. 3(1)c).

Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, ch. N-4.

Loi sur l’administration financière, S.R.C. 1952, ch. 116, art. 5(2).

Loi sur l’administration financière, S.R.C. 1970, ch. F-10, art. 3(1), 5(1)(a),(b),(5), 7(l)(a),(c),(d),(f),(i),(6),(9).

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 18, 37, 38(1).

Loi sur la gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1952, ch. 241.

Loi sur la gendarmerie royale du Canada, S.C. 1959, ch. 54.

Loi sur la gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, ch. R-9, art. 5, 6(2), 7(2), 11, 21(2), 22, 53.

Loi sur la gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 2 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 1), 7(2).

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11.

Loi sur la rémunération du secteur public, L.C. 1991, ch. 30, art. 3(2)d).

Loi sur la responsabilité de l’État, L.R.C. (1985), ch. C -50, art. 36.

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, ch. 21, art. 6, 8, 66(2), 93.

Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, S.C. 1966-67, ch. 71.

Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, ch. P-32, art. 2(1),(2).

Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, ch. O-2, art. 31, 33, 36(3).

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31.

Loi sur les prestations de retraite supplémentaires, S.R.C. 1970 (1er Supp.), ch. 43.

Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.C. 1966-67, ch. 72.

Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, ch. P-35, art. 2 (mod. par S.C. 1984, ch. 21, art. 93), annexe I.

Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35.

Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, C.R.C., ch. 1391, art. 45, 46, 47, 48, 49, 50.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Brown c. La Commission de la Fonction publique, [1975] C.F. 345; (1975), 60 D.L.R. (3d) 311; 9 N.R. 493 (C.A.); Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614; (1991), 80 D.L.R. (4th) 520; 48 Admin. L.R. 161; 91 CLLC 14,017; 123 N.R. 161; Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. La Reine, [1985] 2 C.F. 84; [1985] CLLC 14,016; 57 N.R. 351 (C.A.); Streeting c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] 2 C.F. 426; (1988), 49 D.L.R. (4th) 145 (1re inst.); Genest-Labarre v. The King (1935), 59 B.R. 151; Attorney-General for New South Wales v. Perpetual Trustee Co. (Ld.), [1955] A.C. 457 (P.C.); Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC 14,181; 23 N.R. 410; Bolling c. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1978] 1 C.F. 85; (1977), 77 D.L.R. (3d) 318 (C.A.); Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; St. Catharines Police Association and Board of Police Commissioners for the City of St. Catharines, Re, [1971] 1 O.R. 430 (H.C.).

APPEL contre une décision de la Section de première instance ([1990] 2 C.F. 68; (1990), 69 D.L.R. (4th) 55) portant que l’intimé, qui avait été membre de la GRC et a par la suite servi dans le SCRS, avait droit à la prime au bilinguisme pour les années 1980 à 1988 inclusivement. Appel accueilli en partie.

AVOCATS :

Raymond Piché et Odette Bouchard pour l’appelante (défenderesse).

Julius H. Grey et Elizabeth Lenghan pour l’intimé (demandeur).

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante (défenderesse).

Grey, Casgrain, Montréal, pour l’intimé (demandeur).

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Décary, J.C.A. : Cet appel porte sur l’application, aux membres de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) et aux employés du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) qui ne font pas partie de la catégorie de soutien administratif, du Régime de prime au bilinguisme (le Régime) instauré par le gouvernement du Canada le 15 octobre 1977, avec effet rétroactif au 1er novembre 1976.

L’intimé a été membre de la GRC du 16 août 1962 au 15 juillet 1984, date à laquelle il est passé à l’emploi du SCRS. Il a pris sa retraite le 2 décembre 1988. Il est acquis que l’intimé est bilingue, qu’il a réussi tous les examens requis et qu’il a occupé au cours de toutes ces années pendant lesquelles le Régime était en place, soit depuis novembre 1976, des postes déterminés comme étant bilingues. En aucun temps, cependant, la prime au bilinguisme ne lui a-t-elle été payée.

Dans une déclaration amendée particulièrement laconique en date du 16 janvier 1986 et dont les principaux allégués étaient les suivants[1] :

[traduction] 3. Pour des motifs illégaux et inexplicables, la GRC et le SCRS auraient été exclus par suite d’une décision du Commissaire de la GRC;

4. Il a droit de recevoir la prime au bilinguisme en vertu du décret et des directives qui les établissent; le Conseil du Trésor qui assure sa rémunération est tenu de les lui verser;

5. Le refus de les verser est discriminatoire, illégal, contraire à la Déclaration canadienne des droits et à la Charte canadienne des droits et libertés;

6. Il a droit au versement rétroactif d’un montant de 800 $ par année depuis novembre 1976 avec intérêt et les primes futures … 

l’intimé demandait à la Cour de déclarer qu’il avait droit à la prime, d’ordonner à l’appelante de la lui payer à l’avenir et de la lui payer (7,200 $) pour le passé, et d’accorder tout remède approprié en vertu de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10].

Par jugement en date du 4 janvier 1990, le juge Dubé accueillait l’action de l’intimé et, retenant contre lui la prescription de cinq ans établie par l’article 2260(6) du Code civil du Bas-Canada (le Code civil), déclarait qu’il avait « droit à la prime au bilinguisme pour les années 1980 à 1988 inclusivement »[2]. En ce qui a trait aux membres de la GRC, le juge Dubé s’est dit d’avis qu’ils étaient « des employés dont le Conseil du Trésor était l’employeur » au sens du Régime, qu’ils avaient été par la suite exclus du Régime en raison d’une décision implicite du Conseil du Trésor et que cette décision d’exclusion était illégale parce que prise sous la dictée d’un tiers, en l’occurrence le Commissaire de la GRC, et parce que prise pour des motifs étrangers à l’objectif visé par le Régime. En ce qui a trait aux membres dits non-civils du SCRS, le juge Dubé en est venu à la conclusion que les employés du SCRS n’étaient pas visés par le Régime, mais qu’en décidant d’accorder la prime aux seuls employés dits de soutien administratif, principalement pour ces motifs qui auraient amené le Commissaire de la GRC à convaincre le Conseil du Trésor d’exclure les membres de la GRC, le directeur avait également agi à l’encontre des objectifs recherchés par la politique sur les langues officielles. Le juge Dubé, par ailleurs, a rejeté l’allégation de discrimination fondée sur les articles 3, 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne[3] et, depuis le 17 avril 1985, sur l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte).

L’appelante invoque des moyens que je regrouperai comme suit, dans l’ordre qu’elle a choisi : 1) les membres de la GRC et les employés du SCRS ne sont pas des « employés dont le Conseil du Trésor est l’employeur » et le Régime leur est, en conséquence, inapplicable; 2) cette exclusion n’est ni illégale ni discriminatoire; 3) le Régime n’est pas un texte réglementaire et ne constitue pas une cause d’action dont les tribunaux peuvent connaître; 4) la prescription applicable serait celle d’un an ou de deux ans établie aux articles 2262(3) et 2261(3) du Code civil.

À moins d’indication contraire, je me référerai au texte des lois qui était en vigueur lors de l’établissement du Régime en 1977 et qui se retrouve en grande partie dans les Statuts révisés de 1970.

I—Le Régime de prime au bilinguisme

Les lois sur les langues officielles de 1969 et de 1988[4] ne contiennent aucune disposition relative à l’établissement d’un régime de prime au bilinguisme. En d’autres termes, rien, dans ces lois, n’obligeait le gouvernement à établir semblable régime, rien ne l’obligeait, si d’aventure il en établissait un, à le rendre applicable à tous les employés qualifiés de l’administration publique fédérale, et rien ne l’empêche d’abolir ou de modifier celui qu’il a établi, ce à quoi d’ailleurs le convie le Commissaire aux langues officielles, année après année, dans son rapport annuel.

Le 30 septembre 1977, le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique informaient « les sous-ministres et chefs d’organismes et de corporations », par circulaire portant numéro 1977-46, des « révisions » que le « gouvernement » avait annoncées à « ses politiques sur les langues officielles dans la Fonction publique » du Canada. Cette circulaire s’appliquait « à tous les ministères et organismes énumérés dans la Partie I, Annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique » ainsi qu’« aux corporations de la Couronne énumérées aux Annexes B et C de la Loi sur l’administration financière »[5]. La circulaire ajoutait par ailleurs que les corporations et organismes autres que ceux ci-haut mentionnés « sont tenues de prendre les mesures nécessaires pour que les dispositions de la Loi sur les langues officielles soient respectées et que les politiques fédérales des langues officielles qui sont appropriées soient mises en œuvre »[6].

Il sera utile de noter dès maintenant que la Partie I de l’annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique[7] (l’annexe I) à laquelle renvoyait alors la circulaire, énumérait les « Ministères, départements et autres éléments de la fonction publique du Canada pour lesquels Sa Majesté, représentée par le Conseil du Trésor, est l’employeur ». La « Gendarmerie royale du Canada » était du nombre. Par ailleurs, la Partie II de cette même annexe énumérait les « Éléments de la fonction publique du Canada qui sont des employeurs distincts ». Lorsque le SCRS sera établi, en 1984, l’article 93 de sa loi constitutive [Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, ch. 21] veillera à ce qu’il aille grossir les rangs des « employeurs distincts » énumérés dans cette Partie II.

La « Déclaration de politiques » relative aux « Langues officielles dans la Fonction publique du Canada » qui était jointe à la circulaire, occupait quelque 176 pages, en plus d’annexes. Le procureur général, qui a déposé cette Déclaration, n’en a déposé que la table des matières et les pages 143 à 149, qui décrivent le « Régime de Prime au Bilinguisme »[8]. À l’audience, les procureurs des parties ont convenu que le dépôt des autres pages du document n’aurait été d’aucune utilité à la Cour. Il va de soi que les motifs qui suivent ne s’appliquent qu’à cette partie de la Déclaration de politiques qui vise le Régime.

Le « Régime de Prime au Bilinguisme » constitue la Politique IV.19[9]. J’en retiens les passages suivants :

POLITIQUE IV.19 : RÉGIME DE PRIME AU BILINGUISME

Un régime de prime au bilinguisme pour les employés qui satisfont à la compétence requise d’un poste bilingue, sera instauré le 15 octobre 1977 et, le cas échéant, entrera en vigueur avec effet rétroactif au 1er novembre 1976. Le montant annuel de la prime sera de $800.

INTERPRÉTATION :

1.   La Prime au bilinguisme sera payable à tous les employés admissibles dont le Conseil du Trésor est l’employeur et à ceux qui ont été nommés en vertu d’un décret du Gouverneur en conseil, lorsqu’ils occupent un poste désigné bilingue et que, selon le jugement de la Commission de la Fonction publique, ils satisfont aux exigences établies de compétence linguistique du poste.

2.   En dérogation de l’article 1, la Prime au bilinguisme ne sera pas payable :

a)   aux employés du Groupe de la traduction, sauf ceux dont le poste a été désigné bilingue pour des raisons autres que celles qui ont trait à l’exécution ou à la surveillance des fonctions qui sont énumérées à la partie « inclusion » de la définition dudit groupe;

b)   aux employés qui continueront de toucher la prime gelée de rémunération du groupe ST, conformément aux stipulations mentionnées au paragraphe 15 de la présente section de politique;

c)   aux personnes nommées par le gouverneur en conseil au niveau SX-4 ou à un niveau salarial équivalent à celui de SX-4 ou à un niveau plus élevé;

d)   aux catégories de personnes suivantes :

i) personnes recrutées sur place à l’étranger;

ii) personnes dont la rémunération pour l’exécution des fonctions régulières d’un poste consiste en émoluments, ou en fonction des recettes du bureau où elles occupent un poste;

iii) personnes qui ne sont pas habituellement tenues de travailler plus d’un tiers du temps ordinaire exigé des personnes qui font un travail semblable;

iv) personnes embauchées sur une base occasionnelle ou temporaire, sauf si elles ont été ainsi nommées pour une période excédant six mois;

v) personnes embauchées en vertu d’un contrat de services professionnels ou personnels.

Ce Régime était instauré pour une période temporaire qui devait prendre fin le 31 décembre 1983. Cette période a été prolongée et, à ce jour, le Régime existe toujours, sans qu’aucune modification pertinente ne soit apportée à ses articles 1 et 2.

Le 4 octobre 1977, le Conseil du Trésor faisait circuler, pour fins d’insertion dans le Manuel de gestion du personnel, une version modifiée du Régime[10]. Cette version faisait référence au « CT 752255 du 23 septembre 1977 » et soulignait qu’« à quelques exceptions près, la prime au bilinguisme sera versée à tous les employés déclarés bilingues ».

Le 9 décembre 1977, dans une note de service qu’il envoyait à ses commandants et directeurs de service relativement aux « politiques revisées [sic] sur les langues officielles du Gouvernement du Canada », le Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (le Commissaire), M. R. H. Simmonds, s’expliquait comme suit :

4. Un des éléments majeurs des politiques revisées [sic] est la prime au bilinguisme, rétroactif au 1er novembre 1976, payable à tous les fonctionnaires qui rencontrent les exigences linguistiques des postes identifiés bilingues. Bien que les politiques revisées [sic] des langues officielles contiennent une autorité légale pour payer la prime aux fonctionnaires, cette autorité ne comprend pas les membres de la Gendarmerie, les Forces canadiennes et de certaines Sociétés de la Couronne et Agences. De plus, ce n’est pas de l’intention du Conseil du Trésor que cette autorité s’applique à ceux-ci. Des préparatifs sont maintenant en cours pour rémunérer les fonctionnaires de la Gendarmerie à cet effet. Sur ce sujet, la G.R.C. ne demandera pas l’autorité du Conseil du Trésor pour payer la prime aux membres pour plusieurs raisons :

a) les membres des autres corps policiers du Canada ne reçoivent pas de prime au bilinguisme, et vu que les recherches et négociations pour la rémunération des membres de la Gendarmerie sont reliées à celles des autres corps policiers, nous devons donc nous comparer à eux à cet égard.

b) dans une organisation cohérente telle que la Gendarmerie, la rémunération d’une telle prime deviendrait un élément de division. Des situations pourraient survenir qui verraient des membres de même rang et responsabilités œuvrer côte à côte et recevoir une rémunération différente qui serait due au fait qu’un ou plusieurs d’entre eux ont soit eu la chance de grandir dans un milieu favorable à l’apprentissage d’une deuxième langue officielle, ou encore ont eu la chance d’apprendre une deuxième langue aux frais du gouvernement. [D.A., vol. 1, aux p. 78 et 79.]

11. Il est à noter en page 160, « Déclaration de politiques » (Politique V.I.4) que, faisant partie des changements de délégation d’autorité qui furent introduits dans les politiques révisées, je suis maintenant responsable de l’observation des dispositions de la Loi sur les langues officielles dans la Gendarmerie, de la réalisation des objectifs du gouvernement en matière de langues officielles, de la mise en œuvre des politiques énoncées dans les politiques révisées; aussi je dois rendre compte dans un rapport annuel des projets ainsi que des progrès réalisés dans ce domaine. [D.A., vol. 1, à la p. 83.]

Le 28 juin 1984, était sanctionnée la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité[11]. L’intimé était alors muté au service de ce nouvel organisme. Le 7 août 1984, son procureur demandait au directeur du SCRS, M. Finn, de reconnaître à son client le droit de recevoir la prime au bilinguisme. Le 5 mars 1985, M. Finn répondait en ces termes[12] :

[traduction] Il importe de tenir compte du fait que, contrairement à la situation habituelle qui prévaut ailleurs dans le gouvernement, le Conseil du Trésor n’est pas l’employeur dans le cas du Service canadien du renseignement de sécurité (« le Service »). Le Service est un employeur distinct et, à ce titre, le Directeur a le pouvoir exclusif aux termes du paragraphe 8(1) de la Loi sur le SCRS de nommer les employés et de prévoir les modalités d’emploi. De façon générale, à titre de Directeur, j’exerce tous les pouvoirs et toutes les fonctions du Conseil du Trésor en matière de gestion du personnel aux termes de la Loi sur l’administration financière et de la Commission de la Fonction publique en application de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique.

En tant que Directeur du SCRS, j’ai décidé que la prime au bilinguisme serait accordée aux employés qualifiés qui occupent des postes dans la catégorie du soutien administratif du SCRS. Le Conseil du Trésor a également désigné les groupes exclus qui ne reçoivent pas la prime au bilinguisme. La politique du Conseil du Trésor en matière de prime au bilinguisme s’applique seulement aux ministères, organismes et sociétés de la couronne énumérés dans la Partie I, annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, à Postes Canada et au Conseil national de la recherche. Évidemment, le Service n’est pas mentionné dans la Partie I de l’annexe I, mais plutôt dans la Partie II.

Étant donné que votre client, M. Gingras, occupe un poste de professionnel au SCRS, il n’est pas actuellement habilité à recevoir la prime au bilinguisme.

Puisque vous avez mentionné la GRC, je tiens à porter une dernière question à votre attention. Pendant la période qui a immédiatement précédé la création du Service en juillet 1984, alors que votre client était encore membre de la GRC, il n’avait pas droit à une prime au bilinguisme aux termes de la politique de la Force en matière de langues officielles. Le paragraphe 66(2) de la Loi sur le SCRS prévoit que la personne dans la situation de votre client devrait recevoir des prestations d’emploi dans le Service équivalentes à celles que la personne recevait immédiatement avant l’entrée en vigueur de la Loi, jusqu’à la modification de ces prestations, en l’espèce, par le Service.

II—Les questions en litige

Les questions que soulève cet appel sont les suivantes. Le Régime vise-t-il ou non les membres de la GRC et les employés dits non-civils du SCRS? S’il les vise, en ont-ils été exclus par la suite par une autorité compétente? S’il ne les vise pas ou s’ils en ont été exclus par la suite par une autorité compétente, cette non-inclusion ou cette exclusion est-elle illégale ou discriminatoire?

La pauvreté de la preuve faite quant à la nature et l’origine exactes de la décision qui établit le Régime n’a pas facilité le travail de la Cour. Il appert de la référence au « CT 752255 du 23 septembre 1977 » que l’on retrouve dans la version modifiée du Régime en date du 4 octobre 1977, que la décision a été prise par le Conseil du Trésor, vraisemblablement en sa qualité de comité du Conseil privé de la Reine pour le Canada chargé, notamment, d’agir au nom du Conseil privé relativement à toute question concernant « la politique administrative générale suivie dans la fonction publique du Canada » et « l’organisation de la fonction publique ou de l’un de ses éléments »[13].

Si le Régime mis sur pied par le Conseil du Trésor en 1977 vise les membres de la GRC (le SCRS n’ayant été établi qu’en 1984, je traiterai de son cas plus loin), il faut se demander si le Conseil du Trésor lui-même ou encore le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 5(5) de la Loi sur l’administration financière, a par la suite modifié le Régime de façon à en exclure les membres de la GRC. Je n’ai trouvé aucune preuve d’une semblable modification.

Il y a eu, il est vrai, les dires du Commissaire, au paragraphe 4 de sa note de service, à l’effet qu’il n’était pas de l’intention du Conseil du Trésor d’appliquer le Régime aux membres de la GRC, mais le Commissaire n’est pas le porte-parole du Conseil du Trésor et il avait un intérêt évident à imputer à ce dernier une telle intention.

Il ressort des témoignages qu’aucune décision écrite n’a jamais émané du Conseil du Trésor, sous quelque forme que ce soit, en ce qui a trait au non-paiement de la prime aux membres de la GRC et que c’est sur la foi de décisions communiquées verbalement par l’on ne sait qui, l’on ne sait quand, que la prime au bilinguisme n’était pas versée à ces derniers[14]. Le témoin Guénette a fait état de notes de réunion qu’il avait vues dans les dossiers de la GRC et qui indiqueraient que lors d’échanges entre le Conseil du Trésor et le Commissaire, ce dernier « aurait indiqué sa préférence pour ne pas avoir de prime au bilinguisme dans sa boîte à lui »[15]. On ne sait pas si ces échanges ont eu lieu avant ou après que ne fut prise la décision d’établir le Régime. Ce même témoin a reconnu n’avoir « pas pu mettre la main sur des lettres précises signées par le commissaire »[16]. Je ne suis pas disposé à accepter qu’une simple décision orale soit venue modifier le champ d’application, particulièrement détaillé, du Régime.

Par ailleurs, rien n’indique que le gouverneur en conseil ait, par décret, comme l’exige le paragraphe 5(5) de la Loi sur l’administration financière, modifié ou annulé la décision du Conseil du Trésor.

Dans ces circonstances, je me dois de conclure que si les membres de la GRC ont été exclus du Régime, ce ne peut être que parce que quelqu’un, quelque part, à un moment qu’on ne peut situer, a conclu « par déduction », pour reprendre les mots du témoin Guénette, i.e par interprétation des mots « employés dont le conseil du Trésor est l’employeur », que le Régime ne s’appliquait pas aux membres de la GRC. Bref, l’exclusion, si tant est qu’elle existe, n’est pas le fruit d’une nouvelle décision : elle ne saurait être que le fruit de l’interprétation de la seule décision qui ait jamais été prise.

III—Le Régime s’applique-t-il aux membres de la GRC?

Le Régime, de par ses termes mêmes, s’applique « à tous les employés admissibles dont le Conseil du Trésor est l’employeur ». C’est l’interprétation de cette expression qui est au cœur du présent débat. Les procureurs des parties nous ont invités à l’interpréter comme si elle était une disposition législative ou réglementaire.

Je constate, au départ, que l’expression est malheureuse, le Conseil du Trésor n’étant à proprement parler l’employeur de personne. Ce qu’on voulait dire, à mon avis, c’est que le Régime s’appliquait à ces employés admissibles de la fonction publique fédérale dont Sa Majesté, représentée par le Conseil du Trésor, est l’employeur. C’est d’ailleurs ainsi que l’a compris le procureur de l’appelante, lequel soutient que l’intimé n’est pas un employé et que de toute façon le Conseil du Trésor n’est pas son employeur.

Pour bien comprendre ce qu’est, dans le jargon de l’administration publique fédérale, un « employé » et dans quels cas le Conseil du Trésor est réputé « employeur », il s’impose d’examiner la structure mise sur pied par le Parlement à la fin des années 60.

À l’audience, le procureur de l’appelante a souligné à juste titre la distinction qui devait être faite entre « fonction publique » (« administration publique », dans le langage plus contemporain de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11) et « Fonction publique » (« fonction publique », dans ce même langage), le premier concept, plus large, englobant tous les éléments de l’administration publique fédérale, le second, plus étroit, comprenant les seuls éléments de l’administration publique fédérale dont l’employeur était réputé être Sa Majesté représentée par le Conseil du Trésor. Le savant procureur nous invitait par conséquent à distinguer selon que le Conseil du Trésor agissait en sa qualité de gestionnaire de toute l’administration publique fédérale ou selon qu’il agissait en sa qualité d’employeur de certains éléments seulement de l’administration publique fédérale.

C’est la Loi sur l’administration financière qui est la pièce maîtresse de l’organisation de l’administration fédérale. Elle établit un comité du Conseil privé de la Reine pour le Canada, qu’elle appelle le « conseil du Trésor » (paragraphe 3(1)). Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé relativement à toute question concernant notamment « a) la politique administrative générale suivie dans la fonction publique du Canada »; « b) l’organisation de la fonction publique ou de l’un de ses éléments »; « c) la gestion financière »; et « e) la direction du personnel de la fonction publique, notamment la fixation des conditions d’emploi des personnes qui y sont employées ». (paragraphe 5(1)).

Le paragraphe 7(1) de la Loi prescrit ce qui suit :

7. (1) Sous réserve des dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d’un employeur distinct, mais nonobstant quelque autre disposition contenue dans tout texte législatif, le conseil du Trésor peut, dans l’exercice de ses fonctions relatives à la direction du personnel de la fonction publique, notamment ses fonctions en matière de relations entre employeur et employés dans la fonction publique … 

a) déterminer les effectifs nécessaires à la fonction publique … 

c) prévoir la classification des postes et des employés au sein de la fonction publique;

d) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit les personnes employées dans la fonction publique … 

e) prévoir les récompenses … 

f) établir des normes de discipline … 

i) régler toutes les autres questions, notamment les conditions de travail non autrement prévues de façon expresse par le présent paragraphe, que le conseil du Trésor estime nécessaires à la direction efficace du personnel de la fonction publique.

Le paragraphe 7(3) énonce à son tour que :

7. …

(3) Le gouverneur en conseil peut, à l’égard de tout élément de la fonction publique qui constitue un employeur distinct, autoriser … le fonctionnaire administratif en chef de cet élément à exercer les pouvoirs et exécuter les fonctions du gouverneur en conseil ou du conseil du Trésor, de la manière et sous réserve des conditions que prescrit le gouverneur en conseil, relativement à la direction du personnel dans ce secteur de la fonction publique … 

Le paragraphe 7(6) énonce que :

7. …

(6) Les pouvoirs et fonctions du conseil du Trésor relativement à toute question spécifiée au paragraphe (1) ne s’étendent pas à une semblable question expressément déterminée, fixée, prévue, réglementée ou établie par une loi quelconque autrement que par l’attribution des pouvoirs ou fonctions y relatifs à une autorité ou personne spécifiée dans cette loi, ni ne comprennent ni ne visent quelque pouvoir ou fonction expressément conférés à la Commission de la Fonction publique en vertu de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique ou sous son régime, ou quelque méthode de sélection du personnel que ladite Commission est astreinte ou autorisée à utiliser en vertu de ladite loi ou sous son régime.

Aux fins de cet article 7,

7. …

(9) … 

« employeur distinct » désigne un employeur distinct, au sens où l’entend la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique;

« fonction publique » a le sens que la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique confère à l’expression « Fonction publique »; elle comprend tout élément de la fonction publique du Canada désigné par le gouverneur en conseil comme partie de la fonction publique aux fins du présent article.

Il sera utile de rappeler qu’à l’article 2, la Loi définit « fonctionnaire public » comme comprenant :

2. …

 … un ministre et toute personne employée dans la fonction publique du Canada.

et « ministère » ou « département » comme signifiant :

2. …

a) l’un quelconque des ministères ou départements mentionnés dans l’annexe A,

b) toute autre division ou section de la fonction publique du Canada …, que le gouverneur en conseil désigne comme ministère ou département aux fins de la présente loi,

d) toute corporation mentionnée dans l’annexe B.

Ni l’annexe A ni l’annexe B ne mentionnent la GRC, laquelle, toutefois, par décret en date du 31 mars 1952, renouvelé le 22 décembre 1965, a été désignée « ministère ou département » aux fins de la Loi sur l’administration financière.

Deux autres lois complètent la Loi sur l’administration financière.

La Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, de par son article 3, s’applique « à tous les éléments de la Fonction publique ». On y retrouve, à l’article 2, les définitions suivantes :

2. …

« employé » désigne une personne employée dans la Fonction publique, sauf

a) une personne que le gouverneur en conseil, en vertu d’une loi du Parlement, nomme à un poste statutaire décrit dans cette loi,

b) une personne recrutée sur place hors du Canada,

c) une personne dont la rétribution pour l’exercice des fonctions normales de son poste ou de sa charge consiste en honoraires ou est en rapport avec le revenu du bureau dans lequel elle est employée,

d) une personne qui d’ordinaire n’est pas astreinte à plus du tiers de la durée normale de travail exigée des personnes exécutant des tâches semblables,

e) une personne qui est membre ou constable spécial de la Gendarmerie royale du Canada ou qui est employée par cette Gendarmerie à des conditions sensiblement les mêmes que celles qui s’appliquent à un de ses membres,

e.1) un employé du Service canadien du renseignement de sécurité qui ne fait pas partie de la catégorie du soutien administratif[17],

f) une personne employée à titre occasionnel ou temporaire, à moins qu’elle n’ait été ainsi employée pour une période de six mois ou plus,

g) une personne employée par la Commission ou qui relève de son autorité, ou

h) une personne préposée à la gestion ou à des fonctions confidentielles,

et, aux fins de la présente définition, une personne ne cesse pas d’être employée dans la Fonction publique du seul fait qu’elle a cessé de travailler par suite d’une grève ou du seul fait qu’elle a été congédiée contrairement à la présente loi ou à quelque autre loi du Parlement;

« employeur » désigne Sa Majesté du chef du Canada représentée,

a) dans le cas de tout élément de la fonction publique du Canada que spécifie la Partie I de l’annexe I, par le conseil du Trésor, et

b) dans le cas de tout élément de la fonction publique du Canada que spécifie la Partie II de l’annexe I, par l’employeur distinct qui est en cause;

« employeur distinct » désigne tout élément de la fonction publique du Canada que spécifie à l’occasion la Partie II de l’annexe I;

« Fonction publique » désigne l’ensemble des postes qui sont compris dans un ministère, département ou autre élément de la fonction publique du Canada que spécifie à l’occasion l’annexe I, ou qui en relèvent[18].

L’annexe I de la Loi comprend une Partie I, « Ministères, départements et autres éléments de la fonction publique du Canada pour lesquels Sa Majesté, représentée par le conseil du Trésor, est l’employeur ». La Gendarmerie royale du Canada est mentionnée dans cette Partie I.

L’annexe I de la Loi comprend une Partie II, « Éléments de la fonction publique du Canada qui sont des employeurs distincts ». Lorsqu’il sera établi, en 1984, le Service canadien du renseignement de sécurité sera mentionné dans cette Partie II.

La Loi sur l’emploi dans la Fonction publique[19], qui institue la Commission de la Fonction publique, contient les définitions suivantes, au paragraphe 2(1) :

2. (1) … 

« employé » désigne une personne employée dans une partie de la Fonction publique relativement à laquelle la Commission possède de façon exclusive le droit et l’autorité de faire des nominations;

« Fonction publique » a le même sens que dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique ;

« ministère » ou « département » signifie un ministère ou département mentionné à l’annexe A de la Loi sur l’administration financière et toute division ou direction de la Fonction publique que le gouverneur en conseil désigne pour être un ministère ou département aux fins de la présente loi.

Au paragraphe 2(2) de la Loi, il est précisé ce qui suit :

2. …

(2) Aux fins de l’admissibilité aux concours et pour l’application des articles 11 et 13, les personnes suivantes sont réputées employées dans la Fonction publique, savoir :

a) les membres de la Gendarmerie royale du Canada;

b.1) les employés du Service canadien du renseignement de sécurité[20].

Une lecture attentive de ces dispositions me mène aux constatations suivantes :

1. Il n’y a, dans la branche exécutive du gouvernement fédéral, qu’un seul « employeur », qui est Sa Majesté la Reine du chef du Canada;

2. Règle générale[21], Sa Majesté n’exerce pas elle-même non plus que par l’intermédiaire du gouverneur en conseil ses fonctions d’employeur; elle en délègue plutôt l’exercice tantôt au Conseil du Trésor, lorsqu’il s’agit d’un ministère ou d’un élément de la fonction publique que spécifie la Partie I de l’annexe I, tantôt à un employeur distinct, lorsqu’il s’agit d’un élément de la fonction publique que spécifie la Partie II de l’annexe I.

3. Le législateur a retenu un critère objectif, simple et facilement vérifiable pour établir à l’égard de qui Sa Majesté serait représentée, comme employeur, par le Conseil du Trésor, et à l’égard de qui elle serait représentée, comme employeur, par un employeur distinct : l’établissement, dans une loi et non pas dans un règlement, de deux listes, en l’occurrence les annexes I et II. Bien que ces listes apparaissent en annexe de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, elles servent d’autres fins que celles de cette Loi. Ainsi, la Loi sur l’administration financière (voir le paragraphe 7(9)) et la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique (voir la définition de « Fonction publique » au paragraphe 2(1)) renvoient expressément ou par implication nécessaire à l’annexe I. Un renvoi qui est fait à l’annexe I n’emporte donc pas nécessairement un renvoi à la loi à laquelle elle est rattachée.

4. C’est par législation plutôt que par réglementation que le gouvernement a précisé de qui le Conseil du Trésor, au nom de Sa Majesté, serait l’employeur et de qui il ne le serait pas. Tout changement de statut, à cet égard, ne peut donc être fait que par une loi.

5. La GRC est une division ou section de la fonction publique du Canada au sens de la Loi sur l’administration financière et constitue un ministère ou département au sens de cette Loi. Ses membres sont donc, aux fins de cette Loi, des « personnes employées dans la fonction publique du Canada ». De plus, la définition d’« employé », à l’article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, en excluant de la définition « personne employée dans la Fonction publique » aux fins de cette Loi les membres de la GRC, confirme que ces derniers sont, par ailleurs, des « personnes employées dans la Fonction publique ».

6. La GRC (et non seulement son personnel civil) est désignée dans la Partie I de l’annexe I parmi ces ministères, départements et autres éléments de la fonction publique du Canada pour lesquels Sa Majesté, représentée par le Conseil du Trésor, est l’employeur;

7. Le SCRS est désigné dans la Partie II de l’annexe I parmi ces éléments de la fonction publique du Canada qui sont des employeurs distincts.

8. Une comparaison des Parties I et II de l’annexe I révèle que le législateur a pris grand soin d’établir avec précision les « éléments » de la fonction publique qu’il y énumérait et rien ne permet d’interpréter le renvoi à la GRC, qui est fait dans la Partie I de l’annexe I, comme un renvoi au seul personnel civil de la GRC. L’annexe I, en effet, désigne des « éléments » (« secteurs » dans la version de l985) dans leur totalité, et lorsqu’elle a voulu ne renvoyer qu’à une partie d’un élément, elle l’a fait expressément (« Personnel de la Cour de l’Échiquier », « Personnel de la Cour suprême », dans la Partie I, en 1970; « Personnel de la Cour suprême » et « Personnel de la Cour fédérale », et « Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes », dans les Parties I et II, respectivement, en 1985). Il serait étonnant par ailleurs que le législateur ait inscrit la GRC dans la Partie I en raison de son seul personnel civil, quand on sait que la GRC est, essentiellement, une institution composée d’officiers et de membres; comme si le législateur avait donné priorité à l’accessoire sur le principal. Il serait aussi curieux que le législateur, après avoir, dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, pris soin d’exclure du mot « employé » les membres de la GRC, ait omis d’y aller de cette même exclusion quand est venu le temps de confectionner l’annexe I. De plus, le fait que le législateur, en dépit de ce qu’il excluait à la fois les membres de la GRC et les employés « non civils » du SCRS de la définition d’« employé », ait persisté à inclure la GRC dans la Partie I et le SCRS dans la Partie II, indique que l’appartenance à l’une ou l’autre des Parties I et II de l’annexe I n’a rien à voir avec la définition d’« employé » dans la Loi.

9. Un membre de la GRC est donc une personne employée au sein de la fonction publique, dans un élément de celle-ci dont l’employeur est Sa Majesté représentée par le Conseil du Trésor, ce qui en fait par surcroît une personne employée dans la fonction publique. Le fait que ce membre n’est pas un employé aux fins de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique ne change en rien son statut d’employé de la fonction publique. Je partage tout à fait le point de vue du juge du procès, pour qui « l’exclusion des membres non civils, non syndiqués, de la GRC pour les fins de l’application des dispositions générales de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique relève spécifiquement et uniquement de l’objet de celle-ci, à savoir l’encadrement des rapports collectifs de travail dans la Fonction publique. Cette exclusion n’a pas pour effet de soustraire ces membres de la GRC de la définition de “Fonction publique”[22] ».

10. Un membre de la GRC, du fait qu’il est nommé par le Commissaire plutôt que par la Commission de la Fonction publique, n’est pas un employé au sens de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, mais le législateur a spécialement permis, du fait justement qu’il est un employé de la fonction publique, qu’il puisse en participant aux concours de la Commission, quitter la GRC sans pénalité et devenir un employé de la fonction publique au sens de cette Loi.

11. Il est un dernier argument de texte qui invite à ne pas donner au mot « employé », à l’article 1 du Régime, le sens du mot « employé », dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Si tel avait été le cas, il n’eût pas été nécessaire, à l’article 2 du Régime, d’exclure « en dérogation de l’article 1 », les personnes décrites aux sous-alinéas i), ii), iii) et iv) de l’alinéa d), puisque ces mêmes personnes sont déjà exclues de la définition d’« employé » aux alinéas b), c), d) et f) de cette définition. Cette connexité, d’ailleurs, entre les textes du Régime et de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, indique à quel point les rédacteurs du texte du Régime avaient à l’esprit les termes de cette Loi.

L’appelante a beaucoup insisté sur le fait que le Parlement a jugé nécessaire, dans certaines lois, de préciser qu’à certaines fins les membres de la GRC étaient des « préposés » de la Couronne[23], des « employés » de la Couronne[24] ou des personnes exerçant un « emploi assurable »[25]. Cela signifierait, selon le procureur de l’appelante, que les membres de la GRC sont si peu des « préposés » ou des « employés » que le Parlement a dû dire expressément qu’il les considérait tels lorsque telle était son intention. Je ne suis pas de cet avis.

Il s’impose en effet de distinguer selon qu’on traite de droit commun ou de ce que j’appellerais le droit interne de l’administration publique fédérale. Le fait qu’une personne soit dite « employée » aux fins du droit interne de l’administration, n’emporte pas nécessairement qu’elle soit une « employée » au sens du droit commun et c’est ce qui a amené le Parlement à apporter les précisions qu’on retrouve dans les quatre lois précitées.

En droit commun, les fonctionnaires forment une catégorie spéciale d’employés et suivant une longue tradition, les règles contractuelles ordinaires ne leur sont pas applicables[26]. Les membres des forces policières échappent encore davantage à ces règles ainsi que le soulignait le vicomte Simonds dans Attorney-General for New South Wales v. Perpetual Trustee Co. (Ld.)[27] :

[traduction] Leurs seigneuries sont d’avis qu’il est suffisamment justifié de dire comme la Haute cour que le service d’un agent est « de nature différente » ou « sur un plan différent » à égard de la relation domestique, qu’il est « différent par sa nature et ce qui en découle », et que, même si certains des éléments que la loi sous-entend dans le contrat ordinaire de louage de services sont également présents dans la relation de l’agent envers la couronne, il existe une différence fondamentale portant qu’il faut examiner avec prudence la question de savoir si une forme d’action à laquelle on peut avoir recours dans un cas est disponible dans l’autre également.

Bien qu’il soit possible que certaines des distinctions soient devenues désuètes au fil des ans, il n’en reste pas moins qu’on peut comprendre que le Parlement, compte tenu du statut particulier et ambigu des membres de la GRC en droit commun, prenne le soin, à l’occasion et pour des fins particulières qui débordent généralement le champ de l’administration interne de l’État, de préciser que les membres de la GRC sont, ou ne sont pas, des « préposés » ou des « employés » de la Couronne.

Ainsi, il s’imposait, pour rendre la Couronne responsable à l’égard des tiers des actes posés par les membres de la GRC, de préciser que ces derniers étaient des « préposés » de la Couronne, puisque sans cette précision, ils ne l’auraient pas été en raison des décisions précitées.

De même, la question aurait pu se poser, en matière de discrimination et d’assurance-chômage, de savoir si les membres de la GRC étaient des « employés » au sens du droit commun que supposaient les deux lois pertinentes, qui étaient des lois d’application générale. Il est vrai que l’alinéa 3(1)c) de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage donne à entendre, lorsqu’il est lu avec les alinéas a) et b), que « l’emploi » d’un membre de la GRC ne relève pas de Sa Majesté, mais il faut bien comprendre que l’emploi que visent ces alinéas a) et b) est celui « exercé … pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d’un contrat de louage de services » et que sans la précision apportée à l’alinéa c), les membres de la GRC, vu les décisions précitées, ne se seraient vraisemblablement pas qualifiés en vertu de l’alinéa b)[28].

Je ne dis pas que les membres de la GRC sont des employés comme les autres. Il est certain, aussi bien en droit commun qu’en droit statutaire canadien, qu’ils forment une classe à part, de par leur mode de nomination, leur serment, leur code de discipline. Je dis simplement que ce statut particulier ne leur enlève pas, aux fins des lois relatives à l’organisation de l’administration publique fédérale, leur statut d’employé. Employé spécial, mais employé quand même.

L’appelante a par ailleurs soulevé un argument de texte fondé sur l’article 11 de la version modifiée du Régime. Cet article se lit comme suit[29] :

11. La prime au bilinguisme ne sera réputée faire partie du traitement d’un employé qu’aux fins suivantes :

Loi sur la pension de la Fonction publique

Loi sur les présentations (sic) supplémentaires de retraite [et onze autres lois ou régimes].

Cet argument ne me convainc pas. Dans sa version originale du 30 septembre 1977, cet article (alors l’article 10), ne renvoyait qu’à sept lois ou régimes[30]. Une semaine plus tard, dans sa version modifiée, il renvoie à treize lois ou régimes, dont la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires[31], laquelle s’applique aux membres de la GRC. Clairement, à mon avis, il n’y a pas de conclusion qu’on puisse tirer en droit à partir de cet article.

L’appelante fait grand état de l’article 5 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada qui prescrit que le Commissaire, « sous la direction du Ministre, est investi de l’autorité sur la Gendarmerie et de la gestion de toutes les matières s’y rattachant ».

Le fait que le Commissaire soit investi de cette autorité n’en fait pas pour autant un employeur en lieu et place du Conseil du Trésor. Les pouvoirs de ce dernier sont en effet jalousement protégés par le paragraphe 7(6) de la Loi sur l’administration financière et ce n’est qu’exceptionnellement, et autrement que par simple attribution de ces pouvoirs à une autre autorité, que cette autre autorité les exercera à sa place. En l’espèce, l’article 5 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada constitue une simple attribution de pouvoir au Commissaire, laquelle, par conséquent, ne confère en elle-même aucune autorité réelle au Commissaire relativement à ces questions qui sont spécifiées au paragraphe (1) de l’article 7 de la Loi sur l’administration financière et à propos desquelles le Conseil du Trésor aurait exercé ses pouvoirs[32].

Quels que soient de toute façon les pouvoirs du Commissaire en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, il est certain qu’ils ne s’étendent pas à ces pouvoirs et fonctions énumérés aux alinéas a), c), d) et i) du paragraphe 7(1) de la Loi sur l’administration financière, qui sont des attributs importants de la qualité d’employeur, puisque de par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada aux paragraphes 6(2), 7(2) et aux articles 11 et 22, ces pouvoirs et fonctions continuent à être exercés par le Conseil du Trésor. Le paragraphe 22(1), notamment, prescrit que « [l]e conseil du Trésor doit établir la solde et les allocations à verser aux membres de la Gendarmerie ». Le pouvoir de nomination des membres de la GRC échappe, il est vrai, au Conseil du Trésor, mais il lui échappe également dans les ministères, dont il est pourtant l’employeur (à titre de représentant de Sa Majesté), puisque ce pouvoir appartient à la Commission de la fonction publique. Le pouvoir de nomination n’est pas, par conséquent, un attribut essentiel de la qualité d’employeur aux fins des lois qui nous concernent[33].

Qui plus est, des dispositions analogues à celles de l’article 5 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada se retrouvent à l’article 6 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Or, le SCRS est réputé, lui, « employeur distinct » et son directeur se voit expressément confier à l’article 8, par dérogation expresse aux lois sur l’administration financière, sur l’emploi dans la fonction publique et sur les relations de travail dans la fonction publique, des pouvoirs et fonctions conférés par lesdites lois au Conseil du Trésor et à la Commission de la fonction publique. Autant le directeur du SCRS est « employeur », autant le Commissaire de la GRC ne l’est pas.

Un dernier mot sur cette question. Le Parlement, en prenant le soin de préciser au paragraphe 36(3) de la Loi sur les langues officielles de 1969 que cette Loi s’appliquait à la Gendarmerie royale du Canada, a voulu éviter que la GRC ne cherchât à profiter de la confusion qui entoure son statut juridique pour échapper aux contraintes du bilinguisme officiel. Ce renvoi à la GRC visait très certainement l’institution dans son entier. En interprétant le Régime de prime au bilinguisme comme je le fais, je me trouve simplement à conclure que le Régime se situe dans la continuité de la Loi qui lui sert de fondement, ce qui m’apparaît être dans l’ordre des choses.

Bref, quelle que soit la qualification que l’on donne aux relations juridiques entre la Couronne et les personnes qui la servent, quelles que soient les distinctions à cet égard entre les membres de la GRC et les autres serviteurs de la Couronne et quelles que soient les lois particulières dans lesquelles le législateur a jugé nécessaire d’écarter ces distinctions et de faire des membres de la GRC des « employés » ou des « préposés » selon l’entendement traditionnel du droit commun, j’en arrive à la conclusion, à l’instar du juge Dubé, qu’un membre de la GRC est, aux fins du Régime, une personne employée aussi bien dans la fonction publique que dans la fonction publique, et que son employeur est Sa Majesté représentée par le Conseil du Trésor. Dans ces circonstances, il ne me sera pas nécessaire de me pencher sur les allégations d’illégalité et de discrimination faites par l’intimé. C’est en vain, à mon avis, que le juge du procès s’est prononcé là-dessus.

IV—Le Régime est-il applicable aux employés du SCRS?

En dépit de leurs affinités évidentes et malgré le fait qu’ils soient généralement l’objet, dans certaines législations, d’exceptions communes, la GRC et le SCRS ne sont pas assujettis au même régime en ce qui a trait à leur statut au sein de l’administration publique fédérale et à leurs relations avec le Conseil du Trésor. Le SCRS, beaucoup plus autonome de par sa loi habilitante comme je l’ai déjà souligné, est un « employeur distinct », alors que la GRC, très peu autonome en fin de compte de par sa loi constitutive, doit se satisfaire d’avoir comme employeur Sa Majesté représentée par le Conseil du Trésor. Je ne sais pas ce qui a amené le législateur à agir ainsi le procureur de l’appelante, à l’audience, n’était pas en mesure de nous éclairer là-dessus et je me contente de constater que leur statut est différent, et de juger en conséquence[34].

Le SCRS étant un « employeur distinct » désigné tel dans la Partie II de l’annexe I, il va de soi que ses employés n’ont pas comme employeur Sa Majesté représentée par le Conseil du Trésor. Le Régime ne s’applique donc pas d’office aux employés du SCRS, ce qui n’empêche pas le directeur, muni des pouvoirs d’un employeur, de décider de l’appliquer au sein du SCRS.

En l’espèce le directeur a pris la décision, vraisemblablement le 5 mars 1985, date à laquelle il en informait l’intimé, de payer la prime, mais seulement à ceux de ses employés qui faisaient partie du service de soutien administratif.

Entre son entrée en fonction le 16 juillet 1984 et la prise de cette décision le 5 mars 1985, l’intimé avait droit à la prime en vertu des dispositions du paragraphe 66(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité qui précisent qu’un membre de la GRC qui est muté au SCRS le jour même de l’entrée en vigueur de cet article, a droit « à l’équivalence des avantages » dont il bénéficiait alors, et ce jusqu’à ce qu’une décision du SCRS y mette fin.

L’intimé soutient cependant que cette décision d’y mettre fin est nulle parce que, si je le comprends bien, contraire aux règles du droit administratif et, depuis le 17 avril 1985, discriminatoire au sens de l’article 15 de la Charte en ce qu’elle se fonderait sur les mêmes motifs que ceux avancés, huit ans plus tôt, par le Commissaire Simmonds et qui, selon le juge du procès, faisaient violence à l’objectif recherché par l’établissement du Régime.

Ces prétentions de l’intimé n’ont aucun mérite. La seule preuve qu’il invoque au soutien de son allégation, est la lettre que j’ai déjà reproduite et dans laquelle le directeur du SCRS informe l’intimé de la politique adoptée par le SCRS en matière de prime au bilinguisme. Il ne fait aucun doute que le directeur avait le pouvoir, en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, d’adopter la politique qu’il a adoptée et rien, dans la lettre, ne permet d’établir un lien entre la position du directeur du SCRS et celle du Commissaire de la GRC ou de supposer qu’il ait exercé ce pouvoir de manière illégale. Cette allégation est tout simplement gratuite et le juge du procès a eu tort de la retenir.

En ce qui a trait à l’allégation de discrimination, elle est si ténue qu’elle ne mérite pas qu’on s’y arrête. L’intimé n’a pas dit de quelle sorte de discrimination il s’agissait et il n’a présenté aucune preuve autre que des statistiques superficielles et non étayées. S’agirait-il de discrimination fondée sur la langue, que la demande devrait vraisemblablement être rejetée, la langue n’étant pas l’un des motifs décrits à l’article 15; il m’apparaît en effet peu probable qu’une personne puisse, par le biais d’une soi-disant discrimination fondée sur l’usage de l’une des deux langues officielles, obtenir davantage en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte que ce à quoi elle a droit en vertu des garanties linguistiques définies aux articles 16 à 22. Et si discrimination il y avait, ce ne serait pas une discrimination fondée sur la langue, ni même à la rigueur sur l’origine nationale ou ethnique, mais une discrimination fondée sur le fait que des employés bilingues exercent des fonctions administratives, et d’autres, des fonctions de nature policière. Il n’y a pas là, à prime abord, matière à intervention en vertu de la Charte. Quoi qu’il en soit, l’absence de preuves sérieuses de discrimination est telle que le recours fondé sur la Charte est en l’espèce manifestement frivole.

L’intimé, en sa qualité d’ancien membre de la GRC, avait droit à ce que la prime lui fût versée par le SCRS du 16 juillet 1984 au 5 mars 1985, mais pas au-delà.

V—Qualification juridique du Régime de prime au bilinguisme

Dans un très court paragraphe à la page 39 de son mémoire de 40 pages, le procureur de l’appelante a soutenu ce qui suit :

216…. le Régime de prime au bilinguisme tel qu’il apparaît dans l’énoncé de la Politique générale révisée sur les langues officielles dans la Fonction publique ne constitue qu’un énoncé de politique gouvernementale. Cet énoncé ne constitue aucune source de droit pour qui que ce soit et, partant, il ne peut constituer une cause d’action pour l’intimé.

Cette prétention étonne par le seul fait qu’elle soit avancée par la Couronne dans les circonstances de cette affaire. La décision d’établir le Régime a été prise, ainsi qu’on l’a vu plus haut, par le Conseil du Trésor en sa qualité de comité du Conseil privé. Le Régime est en place depuis une quinzaine d’années. Des fonds publics considérables, dûment autorisés, y ont été investis[35]. Ce Régime, pour reprendre les mots du Commissaire au paragraphe 4 de sa note de service du 9 décembre 1977, constitue « un des éléments majeurs des politiques revisées [sic] ». Le procureur de l’appelante s’est bien gardé de prétendre que le Régime avait été établi illégalement ou que les paiements faits depuis novembre 1976 à des milliers d’employés admissibles l’avaient été par libre choix, sans droit ou par erreur.

Le temps est révolu, en droit administratif, où un administré se voyait opposer par l’État la forme ou l’appellation choisie par ce dernier pour exprimer une décision qu’il avait valablement arrêtée avec l’intention qu’elle le liât. La réalité des choses, ici, est que le Conseil du Trésor, comité du Conseil privé dûment habilité à ce faire, a pris la décision d’établir le Régime. Ce Régime ne comporte aucun élément de discrétion en ce qui a trait à son champ d’application. Il n’est pas un simple guide servant à indiquer dans quel sens une discrétion sera exercée[36]. Il n’est pas un simple énoncé de politique n’ayant point valeur décisionnelle comme il s’en publie tous les jours. Il n’est pas une directive administrative qui ne vise qu’à interpréter ou appliquer une loi ou un règlement donné. Il n’est pas une promesse de décision à venir. Il est la décision même qui a été prise par l’autorité compétente et il est la décision même que cette autorité a demandé aux fonctionnaires concernés d’appliquer.

J’en arrive à la conclusion que le Régime de prime au bilinguisme peut être opposé à la Couronne par toute personne qui, selon les termes de ce Régime, y est admissible.

Prescription

Le paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale[37] prescrit que :

38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur entre sujets dans une province s’appliquent à toute procédure devant la Cour relativement à une cause d’action qui prend naissance dans cette province et une procédure devant la Cour relativement à une cause d’action qui prend naissance ailleurs que dans une province doit être engagée au plus tard six ans après que la cause d’action a pris naissance.

Il s’agit donc de déterminer dans un premier temps quelle est la cause d’action, et dans un second temps, dans quelle province, s’il en est, cette cause d’action a pris naissance.

Le juge Dubé, à l’invitation des parties, a décidé que la loi applicable était celle de la province de Québec puisque c’est dans cette province que l’exécution du « contrat d’engagement » de l’intimé s’était presqu’entièrement effectuée. Appelé ensuite à choisir entre le délai de prescription de cinq ans établi à l’article 2260(6) du Code civil du Bas-Canada , qui est le délai de droit commun en matière de « louage d’ouvrage et prix du travail », et celui de deux ans pour salaire d’employés établi à l’article 2261(3) dudit Code, qui est un délai d’exception, le juge du procès a retenu le délai de cinq ans. La conclusion du juge Dubé est conforme à la jurisprudence de la Cour d’appel du Québec[38], laquelle assimile les employés de la fonction publique à des locateurs d’ouvrage pour les fins de la prescription de leur recours contre la Couronne.

Comme l’intimé a déposé sa première déclaration le 28 novembre 1985, sa réclamation ne pouvait porter que sur la prime qui lui aurait été payable depuis le 28 novembre 1980.

Je ne suis pas pour autant certain que la « cause d’action », en l’espèce, a pris naissance au Québec au sens du paragraphe 38(1). Qu’est la cause d’action, ici, sinon le refus du Conseil du Trésor de payer la prime au bilinguisme à l’intimé, auquel cas ce refus se serait produit en Ontario, où le Conseil du Trésor tient feu et lieu et où la prescription est de six ans? Ou encore, qu’est la cause d’action, ici, sinon le fait que le Conseil du Trésor a refusé, à Ottawa, de payer la prime à l’intimé qui a travaillé à la fois au Québec et en Saskatchewan? J’avoue avoir des hésitations à conclure, lorsqu’il s’agit d’un acte posé par l’administration centrale qui vise tous les membres admissibles de la GRC où qu’ils se trouvent au Canada, que le délai de prescription, relativement à cette unique décision, varie selon qu’un membre de la GRC serve dans une province ou dans une autre. Je n’écarte pas la possibilité que le législateur, au paragraphe 38(1), ait voulu que les lois d’une province donnée ne s’appliquent que lorsque toute la cause d’action a pris naissance dans cette province et que s’applique systématiquement la prescription de six ans lorsque la cause d’action a pris naissance dans plus d’une province. Le texte anglais, qui utilise les mots « arising otherwise than in a province » (mon soulignement), est fort différent du texte français qui utilise les mots « ailleurs que dans une province » (mon soulignement), et permettrait de conclure comme je viens de le dire.

Quoi qu’il en soit, la question n’a pas été débattue devant nous et le procureur de l’intimé s’est satisfait d’une prescription de cinq ans, alors que dans l’une et l’autre des hypothèses avancées plus haut, elle serait de six ans. Le débat reste ouvert.

En désespoir de cause, le procureur de l’appelante a prétendu, à l’audience, que le seul recours que pouvait exercer l’intimé était celui prévu aux articles 45 et s. du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada[39] et ouvert à « [t]out membre qui estime avoir été lésé ou blessé ou avoir fait l’objet de quelque injustice ». Ce recours s’inscrit toutefois dans la partie du Règlement qui traite de « discipline » et ne saurait à prime abord viser une réclamation relative au paiement de la prime au bilinguisme. Il est vrai que l’article 50 du Règlement stipule que « [p]ar dérogation aux articles 45 à 49, un membre peut adresser directement au Commissaire des langues officielles pour le Canada une réclamation présentée en vertu de la Loi sur les langues officielles », ce qui permet de croire que le concept de « discipline » ne doit pas être pris dans son sens le plus strict. Toutefois, même si l’on acceptait que le Commissaire aux langues officielles a compétence, en vertu de la Loi de 1969, pour entendre une plainte d’un membre de la GRC portant sur le Régime de prime au bilinguisme, son seul pouvoir est de faire un « rapport » et des « recommandations » (articles 31 et 33) et il est évident que l’exercice de ce pouvoir n’est d’aucun secours concret à l’intimé.

Dispositif

Je serais en conséquence d’avis d’accueillir l’appel en partie et de modifier le jugement de première instance de manière à ce qu’il se lise comme suit :

L’action est accueillie avec frais et dépens. Il est déclaré que le demandeur a droit à la prime au bilinguisme du 28 novembre 1980 au 5 mars 1985.

En ce qui a trait aux dépens de l’appel, il est certain que l’appelante, bien qu’elle ait gain de cause en partie, voit sa prétention principale rejetée. Par ailleurs, l’intimé a entraîné la Cour et l’appelante, à grands frais pour l’État, dans des allégations de violation de l’article 15 de la Charte tellement nébuleuses qu’elles étaient au départ vouées à l’échec. Dans ces circonstances, je serais d’avis de n’accorder aucuns dépens à l’appelante et de n’accorder à l’intimé que la moitié des dépens de l’appel.

Le juge Pratte, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge suppléant Chevalier : Je suis d’accord.



[1] D.A., vol. 1, à la p. 1.

[2] Gingras c. Canada, [1990] 2 C.F. 68 (1re inst.), à la p. 105.

[3] S.C. 1976-77, ch. 33.

[4] Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, ch. O-2; Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31.

[5] D.A., vol. 3, à la p. 312.

[6] D.A., vol. 3, à la p. 313.

[7] S.R.C. 1970, c. P-35.

[8] D.A., vol. 3, aux p. 334 et s.

[9] D.A., vol. 3, aux p. 335 et s.

[10] D.A., vol. 3, à la p. 276.

[11] S.C. 1984, ch. 21.

[12] D.A., vol. 1, aux p. 88 et 89.

[13] Loi sur l’administration financière, S.R.C. 1970, ch. F-10, art. 3(1), 5(1)a),b).

[14] Transcription, à la p. 80.

[15] Transcription, à la p. 90.

[16] Transcription, à la p. 91.

[17] Modification faite en 1984 par l’art. 93 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.

[18] Le procureur de l’appelante a soutenu que l’usage du mot « postes » dans la définition de « Fonction publique » a pour effet d’exclure les membres de la GRC puisque ces derniers occupent des « grades et rangs » plutôt que des « postes ». C’est là, à mon avis, donner à ces mots une portée qu’ils n’ont pas. Les mots « postes » et « grades et rangs » ne semblent pas définis dans les lois pertinentes, encore que dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada reproduite au chap. 241 des Statuts refondus du Canada de 1952, « grade » ou « rang » signifiait « un grade ou emploi effectif », mais ne comprenait pas « un grade provisoire ». Dans Brown c. La Commission de la Fonction publique, [1975] C.F. 345 (C.A.), cette Cour, par la voix du juge en chef Jackett, à la p. 348 note 1, définissait « poste » comme « le pouvoir juridique d’employer une personne dans la Fonction publique ». Il est clair, à mon avis, que « poste », terme civil, englobe « grade » et « rang », termes militaires, aux fins des lois qui nous concernent. Je note que dans les lois révisées du Canada de 1985, l’art. 7(2) du ch. R-10, Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, emploie l’expression « le nombre maximal de postes à pourvoir dans chaque grade et échelon ».

[19] S.R.C. 1970, ch. P-32.

[20] Modification faite en 1984 par l’art. 92 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.

[21] Voir la note 34 relative aux Forces canadiennes.

[22] Gingras c. Canada, supra, note 2 à la p. 77. Les soulignements sont ceux du juge du procès.

[23] Voir Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 37; Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, ch. R-9, art. 53; Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), 36 (mod. idem, art. 32).

[24] Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 64.

[25] Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48, art. 3(1)c).

[26] Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651, à la p. 670, le juge l’Heureux-Dubé dissidente, dont la dissidence ne porte pas sur ce point; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614, à la p. 632, M. le juge Sopinka; Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. La Reine, [1985] 2 C.F. 84 (C.A.), aux p. 102 et 103, M. le juge Marceau, J.C.A.; Streeting c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] 2 C.F. 426 (1re inst.), le juge Reed; Genest-Labarre v. The King (1935), 59 B.R. 151, à la p. 162 et s., M. le juge Létourneau.

[27] [1955] A.C. 457 (P.C.), à la p. 482. Voir aussi Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, aux p. 319 et 320, M. le juge en chef Laskin, dissident; St. Catharines Police Association and Board of Police Commissioners for the City of St. Catharines, Re, [1971] 1 O.R. 430 (H.C.).

[28] L’appelante a cité la Loi sur la rémunération du secteur public, L.C. 1991, ch. 30, laquelle, en son art. 3(2)d), assimile les « membres et officiers de la Gendarmerie royale du Canada » à des « salariés » pour les fins de cette Loi qui, on s’en souvient, imposait un gel de salaires dans la fonction publique fédérale. Je ne crois pas qu’il soit opportun de recourir à cette Loi adoptée par l’une des parties au litige postérieurement aux faits qui ont donné naissance à ce dernier et au jugement de première instance. Quoi qu’il en soit, il me semble que le législateur, en adoptant cette Loi spéciale qui utilise un langage (« salarié », dans le texte français, « employee », dans le texte anglais) et des annexes qui lui sont propres, a voulu s’assurer que personne au sein de l’administration publique fédérale n’échapperait à l’application de la Loi et y est allé de précisions qui étaient peut-être inutiles. À titre d’exemple, il n’était sans doute pas nécessaire de parler à la fois des « membres et officiers » de la GRC puisque, dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, telle que modifiée en 1986 (L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 1) le mot « membre » comprend à la fois les membres et les officiers. Cette Loi confirme, tout au plus, l’ambiguïté qui existe encore, en 1991, relativement au statut des membres de la GRC, lesquels auraient pu tenter de soutenir, du fait qu’ils reçoivent une solde plutôt qu’un salaire, qu’ils ne sont pas des « salariés ».

[29] D.A., vol. 3, à la p. 285.

[30] D.A., vol. 3, à la p. 338.

[31] S.R.C. 1970 (1er Supp.), ch. 43.

[32] L’art. 7(1), en son alinéa f), confère au Conseil du Trésor le pouvoir d’établir des normes de discipline. Ces normes sont, à mon avis, différentes du Code de discipline établi dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et des « ordres permanents » que le Commissaire est habilité à édicter en vertu de l’art. 21(2) de cette Loi. Il s’ensuit que l’attribution de ce pouvoir au Commissaire n’est pas une attribution de pouvoir relative à une question spécifiée à l’art. 7(1) de la Loi sur l’administration financière

[33] Jusqu’à l’entrée en vigueur de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada de 1959 (S.C. 1959, c. 54) qui remplaçait la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (S.R.C. 1952, ch. 241), le gouverneur en conseil exerçait les pouvoirs qui seront dévolus en 1959 au Conseil du Trésor relativement aux effectifs de la GRC et à la solde de ses membres. À l’audience, le procureur de l’appelante a laissé entendre que le pouvoir du gouverneur en conseil de fixer la solde des membres de la GRC avait été transféré au Conseil du Trésor par l’art. 5(2) de la Loi sur l’administration financière de 1951 (S.R.C. 1952, ch. 116). Je ne suis pas certain que ce soit le cas, le paragraphe en question ne visant que les Parties II à VI de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada alors en vigueur et le pouvoir en question du gouverneur en conseil se retrouvant à la Partie I de cette Loi. La date exacte du changement importe peu dans les circonstances, puisque au moment de la réorganisation de l’administration publique fédérale dans les années ‘60, le gouverneur en conseil s’était déjà désisté au profit du Conseil du Trésor des pouvoirs que j’identifiais plus haut. Aussi, lors de cette réorganisation, en 1967, qui s’est concrétisée par des modifications majeures à la Loi sur l’administration financière (S.C. 1966-67, ch. 74) et par l’adoption de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique (S.C. 1966-67, ch. 72) et de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique (S.C. 1966-67, ch. 71), le statut traditionnel de la GRC avait déjà été substantiellement modifié. Devenue ministère par décret en 1952 et assujettie au contrôle du Conseil du Trésor depuis au moins 1959, il n’y avait plus qu’un pas à faire pour que la GRC devienne « un élément de la fonction publique du Canada pour lequel Sa Majesté, représentée par le Conseil du Trésor, est l’employeur », pas qui fut franchi à la Partie I de l’annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Cela ne signifie pas, pour autant, que la GRC soit un ministère comme les autres : en raison du statut spécial de ses membres, de son code de discipline et du rôle particulier de son Commissaire, le Parlement a dû, dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, déterminer les pouvoirs respectifs du gouverneur en conseil, du Conseil du Trésor, du ministre et du Commissaire d’une manière beaucoup plus précise qu’il ne le fait généralement et qui, à certains égards, peut sembler faire double emploi avec la Loi sur l’administration financière.

[34] Le procureur de l’appelante a fait allusion à maintes reprises aux membres des Forces canadiennes. Le statut des Forces canadiennes est quelque peu mystérieux. Elles sont établies, de façon autonome, par la Partie II de la Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, ch. N-4, mais ne trouvent place dans ni l’une ni l’autre des Parties de l’annexe I. Par contre, le ministère de la Défense nationale, établi par la Partie I de la Loi sur la défense nationale, et le Conseil de recherches pour la défense, mis sur pied par la Partie III de cette Loi, trouvent place dans la Partie I de l’annexe I. Même « le personnel des fonds non-publics, Forces canadiennes », chargé présumément de voir à l’administration de ces fonds définis à l’art. 38 de la Loi sur la défense nationale, a trouvé sa niche, avec un peu de retard, dans la Partie II de l’annexe I. De plus, la définition d’« employé » à l’art. 2 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, qui prend le soin d’exclure les membres de la GRC et certains employés du SCRS, ne dit mot des membres des Forces canadiennes. Tout cela laisse supposer que c’est à dessein que les Forces canadiennes ne sont pas nommées dans l’annexe I, le législateur étant sans doute d’avis que l’« employeur » des Forces canadiennes est Sa Majesté elle-même plutôt que Sa Majesté représentée par le Conseil du Trésor, comme dans le cas de la GRC, ou Sa Majesté représentée par un employeur distinct, comme dans le cas du SCRS. Cette Cour a déjà décidé, dans Bolling c. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1978] 1 C.F. 85, que la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique ne s’appliquent pas aux membres des Forces canadiennes. Le statut spécial des membres des Forces canadiennes remonte sans doute à l’art. 15 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], en vertu duquel le commandement desdites forces est attribué à la Reine.

[35] Le commissaire Simmonds au paragraphe 4 de sa note de service du 9 décembre 1977, ne disait-il pas que « les politiques revisées [sic] des langues officielles contiennent une autorité légale pour payer la prime ». [Mon soulignement.]

[36] Voir Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2.

[37] S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10.

[38] Voir Genest-Labarre v. The King, supra, note 26.

[39] C.R.C., ch. 1391.

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