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[1994] 1 C.F. 330

A-705-91

Dunstan Weerasinge (appelant)

c.

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Weerasinge c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Mahoney et Robertson, J.C.A., et juge suppléant Henry—Toronto, 11 août; Ottawa, 9 septembre 1993.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — La revendication du statut de réfugié au sens de la Convention a été entendue par deux membres de la section du statut de réfugié, mais un seul a signé les motifs, l’autre ayant cessé d’exercer sa charge — L’art. 69.1 de la Loi sur l’immigration prévoit que le quorum de la section du statut lors d’une audience est constitué de deux membres — Si l’intéressé y consent, son cas peut être jugé par un seul membre — En l’absence d’un consentement, l’auteur de la revendication a droit à une audience tenue par un tribunal composé de deux membres — Puisque l’art. 63(2) (qui permet aux autres membres de rendre la décision lorsqu’un membre ayant cessé d’exercer sa charge n’est pas en mesure de participer à la décision) nie au demandeur un droit conféré par la Loi, ce dernier doit consentir expressément à son application — L’examen des motifs de la section du statut de réfugié par les avocats de la commission ne suscite aucune crainte raisonnable de partialité — La section du statut de réfugié est un tribunal formé de non juristes qui sont tenus de trancher des questions qui mettent en jeu la vie, la liberté et la sécurité de la personne, sans bénéficier d’un apport juridique — Que des avocats du Ministère examinent les motifs est souhaitable, et ne viole pas la justice naturelle.

Contrôle judiciaire — Décisions de la section du statut de réfugié examinées par des avocats du Ministère avant leur publication — En découle-t-il une violation des principes de justice naturelle? — La question doit être examinée comme s’il s’agissait de se pencher sur une allégation de crainte de partialité : la personne renseignée estimerait-elle vraisemblable que la décision du tribunal a été influencée par l’opinion des avocats qui en ont examiné les motifs? — Les avocats du Ministère ne représentent pas une partie — Le ministre est rarement représenté aux auditions de la section du statut de réfugié — L’agent d’audience et les conseillers des demandeurs ne sont pas nécessairement compétents en droit — Un tribunal formé de non juristes se prononce sur des revendications qui mettent en jeu la vie, la liberté et la sécurité de la personne — L’examen par des avocats des motifs d’une décision est souhaitable — Aucune violation de la justice naturelle — Le processus d’examen risque d’entraîner des abus, mais rien ne permet de conclure qu’il y a eu abus dans la présente affaire.

La revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de l’appelant a été entendue par deux membres de la section du statut de réfugié. La légalité de la décision a été contestée du fait qu’un seul membre en a signé les motifs, l’autre ayant cessé d’exercer sa charge. Le paragraphe 63(2) de la Loi sur l’immigration porte que, lorsque un membre auquel s’applique le paragraphe 63(1) (c’est-à-dire qu’il a cessé d’exercer sa charge) ne peut participer à la décision à rendre sur l’affaire, les autres membres peuvent rendre la décision. L’article 69.1 prévoit que le quorum lors d’une audience est constitué de deux membres. Si l’intéressé y consent, son cas peut être jugé par un seul membre de la section du statut.

L’appelant soutient également que la pratique de la commission de faire examiner les motifs du tribunal par des avocats du Ministère viole les principes de justice naturelle.

Arrêt : l’appel devrait être accueilli.

Le juge Mahoney, J.C.A. (aux motifs duquel a souscrit le juge Robertson, J.C.A.) : À moins qu’il consente à être jugé par un seul membre, l’auteur de la revendication a droit à une audience tenue par un tribunal composé de deux membres. Le recours au paragraphe 63(2) est une action grave qui nie au demandeur un droit conféré par la Loi. La décision d’un seul membre est à première vue rendue sans compétence. Lorsque le demandeur consent à être jugé par un seul membre, le dossier doit l’indiquer clairement. Il devrait en être de même lorsque l’on s’est prévalu du paragraphe 63(2). Lorsque l’on fait régulièrement intervenir le paragraphe 63(2), on doit verser au dossier une déclaration détaillée des circonstances pertinentes.

L’examen de la décision par les conseillers juridiques du Ministère ne met pas en cause une partie intéressée ayant participé à la prise de décision. Les avocats rattachés à un tribunal ne représentent pas une partie. Les audiences de la section du statut ne sont généralement pas de type accusatoire, le ministre étant rarement représenté. L’agent d’audience n’est pas l’avocat de ce dernier, son rôle consistant plutôt à aider le tribunal à obtenir la vérité. Comme l’agent d’audience et les conseillers des demandeurs ne sont pas nécessairement compétents en droit, le tribunal ne reçoit pas nécessairement un apport juridique avant de rendre sa décision. La section du statut est un tribunal formé de non juristes tenus de se prononcer sur des revendications qui mettent en jeu la vie, la liberté et la sécurité de la personne. Ils doivent le faire en se conformant à une jurisprudence volumineuse, compliquée et quelquefois confuse. En outre, ils doivent motiver par écrit leurs décisions défavorables à l’intéressé. L’avantage de l’examen juridique de ces motifs est évident. Le tribunal qui prend une décision sur ce qui essentiellement est une question de fait ne viole aucunement les principes de la justice naturelle en demandant avis sur les questions juridiques contenues dans ses motifs. Le processus de l’examen des motifs peut certes entraîner des abus, comme dans le cas où l’auteur d’une décision consulte d’autres personnes avant de publier ses motifs, mais rien ne permet de conclure qu’il y a eu effectivement abus du processus, soit dans la présente affaire, soit de façon générale. La personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste, pratique et exhaustive, n’estimerait pas vraisemblable que la décision du tribunal a été influencée par l’opinion des avocats qui en ont examiné les motifs.

Le juge suppléant Henry (motifs concordants quant au résultat) : La section du statut de réfugié est tenue d’agir judiciairement, en conformité avec les principes de justice naturelle. Elle tranche des questions dont les répercussions sur la vie, la liberté et la sécurité de l’intéressé sont considérables; il incombe par conséquent au tribunal d’éviter de créer une apparence de partialité ou d’absence d’indépendance, et de faire en sorte que soient communiqués aux parties la décision et les motifs du tribunal lui-même. Dans la présente affaire, les circonstances révélées laissent entière la question du rôle, le cas échéant, dans la décision du tribunal, des conseillers juridiques du Ministère. En l’espèce, on a révélé l’existence d’un processus d’examen de la décision du tribunal qui risque d’entraîner une erreur réformable pour violation des principes de justice naturelle. Cette Cour est tenue de superviser ce processus et d’examiner les circonstances, dont l’admission d’une preuve accessoire, pertinente relativement à la question en litige. Si l’appel n’avait pas été accueilli sur le premier moyen, l’instance aurait été ajournée afin de permettre à la Cour d’entreprendre un examen de cette question.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 59(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 61(1),(2) (mod., idem), 63(1) (mod., idem), (2) (mod., idem), 69.1(7) (édicté, idem), (8) (édicté, idem), (10) (édicté, idem), (11)a) (édicté, idem).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1305.

Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration, DORS/93-22, Règle 17.

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Re Sawyer and Ontario Racing Commission (1979), 24 O.R. (2d) 673; 99 D.L.R. (3d) 561 (C.A.); Re Emerson and Law Society of Upper Canada (1983), 44 O.R. (2d) 729; 5 D.L.R. (4th) 294; 41 C.P.C. 7 (H.C.).

DÉCISIONS CITÉES :

Committee for Justice and Liberty et autres. c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115; SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282; (1990), 68 D.L.R. (4th) 524; 42 Admin. L.R. 1; 90 CLLC 14,007; 38 O.A.C. 321; Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952; (1992), 90 D.L.R. (4th) 609; 3 Admin. L.R. (2d) 173; 47 Q.A.C. 169; 136 N.R. 5.

APPEL contre une décision de la section du statut de réfugié signée par un seul des deux membres ayant entendu la revendication et pour le motif que l’examen de la décision par les avocats rattachés au tribunal avant la publication de celle-ci viole les principes de justice naturelle. Appel accueilli.

AVOCATS :

Rocco Galati pour l’appelant.

Harley R. Nott pour l’intimé.

PROCUREURS :

Rocco Galati, Toronto, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Mahoney, J.C.A. : L’intimé n’a pas été appelé à répondre aux arguments qui portent sur le bien-fondé de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de l’appelant. À mon avis, le présent appel doit être accueilli sur le fondement de l’une des objections visant la légalité de la décision : le fait qu’elle n’ait été prise que par l’un des deux membres de la section du statut qui ont entendu la revendication.

La Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18)] prescrit ceci :

63. (1) Le membre de la section du statut ou de la section d’appel qui a cessé d’exercer sa charge par suite de démission ou pour tout autre motif peut, à la demande du président et dans un délai de huit semaines après la cessation de ses fonctions, participer aux décisions à rendre sur les affaires qu’il avait préalablement entendues. Il conserve à cette fin sa qualité de membre.

(2) En cas de décès ou d’empêchement du membre visé au paragraphe (1), ou de tout autre membre y ayant participé, les autres membres qui ont également entendu l’affaire peuvent rendre la décision, et sont, à cette fin, réputés constituer la section d’appel ou du statut, selon le cas.

La revendication a nécessité trois jours d’audience : le 23 janvier, le 2 mai et le 7 août 1990. Le 20 décembre 1990, une décision provisoire a été rédigée. Elle indiquait notamment ceci :

[traduction] La présidente de l’audience, Vara Singh, a cessé d’exercer sa charge à la section du statut et elle est inhabile à participer à la décision à rendre sur la présente affaire. Je signe par conséquent les présents motifs conformément au paragraphe 63(2), adopté par L.R.C. (1985).

La décision provisoire n’a jamais été publiée. La décision en litige, datée du 1er mars 1991, est identique au projet, si ce n’est qu’elle n’invoque pas le paragraphe cité. Le dossier ne contient aucun autre élément expliquant la raison pour laquelle un seul membre de la section a rendu la décision. Au 1er mars 1991, il est évident que le président de l’audience, ayant quitté sa charge depuis plus de huit semaines, était inhabile à participer à la décision. Il n’est nullement évident qu’il était également inhabile lorsque la décision fut prête pour remise le 20 décembre 1990.

Les motifs provisoires ne font pas partie des documents que la Règle 17 des Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration de 1993 [DORS/93-22] permet maintenant d’inclure au dossier, ni n’étaient-ils parmi les éléments que la Règle générale 1305 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663], qui s’appliquait au présent appel une fois que l’autorisation était accordée, permettait d’inclure sans l’accord des parties ou sans ordonnance de la Cour. Aucun élément versé régulièrement au dossier du présent appel ne permet de recourir au paragraphe 63(2).

L’article 69.1 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi prévoit en partie ce qui suit :

69.1

(7) Le quorum de la section du statut lors d’une audience tenue dans le cadre du présent article est constitué de deux membres.

(8) Sur demande de l’intéressé ou avec son consentement, la revendication peut être jugée par un seul membre de la section du statut; …

(10) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 60] Sous réserve du paragraphe (10.1), en cas de partage, la section du statut est réputée rendre une décision en faveur de l’intéressé.

Le paragraphe (10.1) n’est pas pertinent.

La revendication du statut de réfugié au sens de la Convention met en jeu les droits garantis par l’article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. À moins qu’il consente à être jugé par un seul membre, l’auteur de la revendication a droit à une audience tenue par un tribunal composé de deux membres, et il a l’avantage de tout désaccord entre ces derniers. Le recours au paragraphe 63(2) est une action grave qui nie au demandeur un droit conféré par la Loi. La décision d’un seul membre est à première vue rendue sans compétence. Lorsque le demandeur consent à être jugé par un seul membre, le dossier doit, comme il l’a toujours fait, l’indiquer clairement. Il devrait en être de même lorsque l’on s’est prévalu du paragraphe 63(2).

En droit, et afin de garantir que justice paraisse avoir été rendue, lorsque l’on fait régulièrement intervenir le paragraphe 63(2), on doit verser au dossier une déclaration détaillée des circonstances pertinentes. Une telle déclaration peut, bien sûr, être incluse dans les motifs de la décision.

Un second document a été irrégulièrement déposé au dossier. Il s’agit de la note de service adressée aux « membres de la SSR » par la conseillère juridique principale de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié à Toronto. Elle ne portait pas spécifiquement sur le présent appel. Le texte intégral, dont les soulignements ont été ajoutés, suit.

[traduction] Au cours des derniers mois, un volume écrasant de motifs devant être examinés ont été envoyés aux services juridiques de Toronto. En moyenne, nous avons reçu plus de 150 dossiers par mois. Au même moment, nous avons dû subir une réduction de personnel en raison en partie d’affectations spéciales au sein d’autres unités, de démissions et de vacances d’été. Par conséquent, nous avons accumulé un arriéré considérable. La gravité de la situation nous a forcés à adopter certains changements temporaires dans le processus de l’examen des motifs. Lorsque vous recevrez vos motifs des services juridiques dans les quelques semaines prochaines, vous remarquerez les changements suivants :

—   des commentaires moins longs et moins fréquents;

—   aucune correction grammaticale, bien que l’erreur puisse être encerclée;

—   aucune vérification de références , bien que nous continuions à souligner les difficultés, le cas échéant;

—   aucun changement de nature stylistique;

—   quant au raisonnement juridique, l’examen sera toujours exhaustif, bien que les commentaires soient plus brefs

Certains motifs, tels ceux qui soulèvent des questions juridiques complexes, nécessiteront évidemment un examen plus approfondi. Ces dossiers feront encore l’objet d’un examen complet.

Nous espérons qu’en effectuant un examen plus superficiel des dossiers pendant les quelques semaines à venir, nous parviendrons à éliminer l’arriéré et à reprendre notre méthode habituelle d’examen des motifs.

Nous avons également décidé d’envoyer certains dossiers à nos collègues de Montréal et d’Ottawa. Nous apprécions grandement leur collaboration, qui aide les services juridiques de Toronto à faire face à l’augmentation de la charge de travail. Nous espérons que vous trouverez leurs commentaires utiles.

Nous apprécions votre compréhension et nous regrettons les inconvénients que la situation pourrait vous causer. En guise d’avertissement, nous vous recommandons d’être particulièrement attentif dans la révision de votre texte définitif.

Enfin, si vous recevez des motifs qui ont été examinés de la façon superficielle indiquée ci-dessus, mais que vous estimiez qu’ils devraient être examinés exhaustivement, veuillez nous les retourner accompagnés d’une note explicative, et nous nous efforcerons d’effectuer un examen complet rapidement.

Encore une fois, merci de votre compréhension.

L’examen décrit ci-dessus s’apparente très peu aux situations considérées dans la jurisprudence invoquée par l’appelant, dans lesquelles une partie intéressée avait participé à la prise de décision. Effectivement, les avocats des services consultatifs rattachés à un tribunal ne représentent pas une partie.

Dans l’arrêt Re Sawyer and Ontario Racing Commission[1], après avoir tiré une conclusion et à l’insu de l’accusé, le tribunal a demandé au procureur de la poursuite de rédiger des motifs, qu’il a ensuite adoptés. Dans l’arrêt Re Emerson and Law Society of Upper Canada[2], le secrétaire du Barreau devait, conformément au règlement, amorcer une instance disciplinaire et rédiger le rapport du comité de discipline. La loi requérait qu’une décision écrite du comité soit envoyée à l’assemblée, qui était investie du pouvoir de prendre la mesure disciplinaire arrêtée. Dans sa décision, le comité a adopté le rapport du secrétaire.

Les audiences de la section du statut ne sont généralement pas de type accusatoire, le ministre étant rarement représenté. L’agent d’audience n’est pas l’avocat de ce dernier, son rôle consistant plutôt à aider le tribunal à obtenir la vérité. Il n’est pas nécessairement compétent en droit. Les auteurs d’une revendication ont le droit d’être représentés par un conseiller, ce dont se prévalent une grande partie d’entre eux. Les conseillers n’ont pas obligatoirement des compétences en droit, et de nombreux n’en ont pas; ils sont généralement des amis, des parents, des ecclésiastiques ou des conseillers en immigration. Ces derniers ne sont pas toujours compétents. En conséquence, le tribunal ne reçoit pas nécessairement un apport juridique avant de rendre sa décision.

La section du statut se compose de membres à temps plein et à temps partiel nommés par le gouverneur en conseil. Ils sont nommés pour un mandat maximal de sept ans, et au moins dix pour cent d’entre eux sont obligatoirement des avocats depuis au moins cinq ans[3]. Que l’un ou l’autre membre d’un tribunal qui entend une revendication ait des compétences en droit ne serait que pure coïncidence.

La section du statut est un tribunal formé de non juristes tenus de se prononcer sur des revendications qui, comme je l’ai souligné, mettent en jeu la vie, la liberté et la sécurité de la personne. Il doit le faire en se conformant à une jurisprudence volumineuse, compliquée et quelquefois confuse. En outre, il doit motiver par écrit ses décisions défavorables à l’intéressé[4]. L’avantage de l’examen juridique de ces motifs est évident. Le tribunal qui prend une décision sur ce qui essentiellement est une question de fait, à savoir si le demandeur craint avec raison d’être persécuté pour l’un des motifs visés par la définition de réfugié au sens de la Convention, ne viole à mon avis aucunement les principes de la justice naturelle en demandant avis sur les questions juridiques contenues dans ses motifs.

Le processus de l’examen des motifs, qu’il soit limité, comme le décrit la note de service, ou complet, comme il est suggéré, pourrait certes entraîner des abus, et les avocats réviseurs pourraient influer sur les décisions auxquelles les motifs se rapportent, mais, à mon avis, absolument rien ne permet de conclure qu’il y a eu effectivement abus du processus, soit dans l’affaire qui nous est soumise, soit de façon générale. Toute consultation par l’auteur d’une décision avant de publier celle-ci, notamment la consultation d’un auxiliaire juridique par un juge, pourrait entraîner des abus. Quant à savoir s’il paraît y avoir outrage à nos notions de justice naturelle, il me semble qu’il s’agit de savoir, lorsque l’on prétend par exemple qu’il existe une crainte raisonnable de partialité, si la personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste, pratique et exhaustive, estimerait vraisemblable que la décision du tribunal suivant laquelle un demandeur est ou n’est pas un réfugié au sens de la Convention a été influencée par l’opinion des avocats qui en ont examiné les motifs[5]. À mon sens, cette personne estimerait une telle possibilité peu vraisemblable.

J’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de la section du statut du 1er mars 1991 et je renverrais l’affaire devant un tribunal constitué différemment pour une nouvelle audition.

Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge suppléant Henry : Je souscris à la décision du juge Mahoney dans le présent appel en raison de l’absence d’un second membre du tribunal. J’ai toutefois quelques réserves concernant l’analyse qu’il effectue dans les paragraphes subséquents sur la question soulevée par l’avocat de l’appelant, à savoir que la décision du tribunal est viciée par une crainte raisonnable de partialité.

Indépendamment des arrêts cités par le juge Mahoney, j’ai examiné les décisions récentes de la Cour suprême dans les arrêts SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, et Tremblay c. Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952. Il ressort de ces décisions que la Cour suprême du Canada délimite, chaque fois qu’un cas se présente, la mesure dans laquelle les tribunaux administratifs peuvent recourir aux conseils juridiques et politiques de personnes qui ne sont pas les véritables auteurs de la décision concernée, dans les cas où le tribunal est tenu, à tout le moins en partie, d’agir judiciairement. En l’espèce, il n’y a pas de doute que le tribunal composé de membres non juristes (la section du statut de réfugié) est tenu d’agir judiciairement, en conformité avec les principes de justice naturelle. Il doit déterminer si le demandeur est un « réfugié au sens de la Convention », question mixte de fait et de droit; il tranche ainsi des questions dont les répercussions sur la vie, la liberté et la sécurité de l’intéressé sont considérables; il incombe par conséquent au tribunal d’éviter, même s’il lui est possible et usuel de consulter à l’interne des conseillers juridiques, de créer une apparence de partialité ou d’absence d’indépendance, et de faire en sorte que soient communiqués aux parties la décision et les motifs du tribunal lui-même.

Dans la présente affaire, les circonstances révélées laissent entière la question du rôle (le cas échéant), dans la décision du tribunal, des conseillers juridiques du Ministère, auquel renvoie la note de service citée par le juge Mahoney. Celle-ci révèle l’existence d’un processus d’examen de la décision du tribunal qui risque d’entraîner une erreur réformable pour violation des principes de justice naturelle. À mon avis, cette Cour est tenue de superviser ce processus et d’examiner les points soulevés par l’avocat de l’appelant, dont l’admission d’une preuve accessoire, pertinente relativement à la question en litige.

Si nous n’avions pas accueilli l’appel en nous fondant sur le premier moyen, j’aurais ajourné l’instance afin de permettre à la Cour d’entreprendre un examen de la question sur laquelle je me suis penché en l’espèce.



[1] (1979), 24 O.R. (2d) 673 (C.A.).

[2] (1983), 44 O.R. (2d) 729 (H.C.).

[3] Paragraphes 59(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18], 61(1) [mod., idem] et (2) [mod., idem] de la Loi sur l’immigration.

[4] Art. 69.1 (11)a) [édictée par L.R.C. (1985) (4e supp.), ch. 28, art. 18].

[5] Voir Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369.

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